M. François Marc, rapporteur pour avis. Il avait une bonne roue de secours !

M. François Rebsamen. C’était Takieddine ?

Mme Nathalie Goulet. Les gens sont vraiment distraits, me direz-vous…

Dans ce cas, nous a-t-il expliqué, « je ne suis pas nécessairement face à un manquement à l’obligation déclarative. Rien ne me prouve que cette personne ait voulu franchir une frontière. » Il est vrai qu’elle roulait simplement sur le périphérique…

M. Fournel poursuivait ainsi : « l’un des premiers enjeux pour les douaniers, même s’ils ont trouvé l’argent dans la roue de secours, c’est d’arriver à démontrer qu’il y a un lien. En soi, porter de l’argent et le faire circuler à l’intérieur du territoire n’est pas une infraction. Derrière, il faut juridiquement appuyer la distraction sur quelque chose de solide. Ce qu’on essaie de faire dans ces cas-là, c’est, éventuellement, via l’article 40, de renvoyer une enquête judiciaire pour une saisie, soit de la douane judiciaire, soit d’un autre service d'ailleurs, qui peut être un service de l’État, afin d’essayer d’arriver à démontrer que cet argent provient effectivement d’une opération de blanchiment ou d’une infraction sous-jacente. » En l’espèce, faute de preuves, l’argent a été rendu !

Au cours de son audition, M. Bock nous a, quant à lui, déclaré : « Je vais vous donner l’exemple d’une situation certes caricaturale, mais devant laquelle nous nous sommes trouvés il y a quinze jours : elle est d'ailleurs assez gênante. Nous avons intercepté des personnes se déplaçant entre les Pays-Bas, la France et l’Espagne, et transportant, chose tout à fait interdite, un montant excessif d’espèces imprégnées de cocaïne. » Il s’agissait en l’occurrence de 300 000 euros.

On a beaucoup parlé de notions théoriques, mais je suis un parlementaire de terrain ; je vous livre donc quelques exemples pratiques : 800 000 euros dans une roue de secours, 300 000 euros imprégnés de cocaïne… L’histoire s’est terminée de la manière suivante, précisait M. Bock : « On applique une amende de 25 % et on renvoie le reste […] Là, on atteint vraiment les limites du système. »

Je voudrais également évoquer les problèmes liés au remboursement de TVA au profit de personnes qui jonglent manifestement avec plusieurs passeports sans que quiconque puisse vérifier la réalité de leur domiciliation.

Il serait extrêmement intéressant de donner des moyens plus importants aux douaniers de Roissy pour qu’ils puissent procéder à des vérifications complémentaires. On nous a cité plusieurs remboursements de 750 000 euros, et même de 200 000 euros avec des doutes réels et sérieux sur la domiciliation des bénéficiaires, les remboursements s’effectuant quasiment automatiquement et sans contrôle.

Avant de conclure, je voudrais insister sur un point. La conférence de presse à laquelle nous avons assistée tout à l’heure à l’Assemblée nationale était intéressante. Il est en effet évident que ces sujets sont non seulement « transpartis », mais également « transassemblées » et que nous pouvons y travailler ensemble. En attendant le grand soir d’une autre grande loi fiscale, il faudrait tout de même essayer de mettre en place une cellule de suivi, même informelle, des diverses propositions de nos commissions d’enquête.

Les propositions formulées font rarement l’objet d’un suivi. Or il faudrait pouvoir remettre l’évasion fiscale au cœur du débat parlementaire. Le sujet est extrêmement mouvant ; nous sommes dans la guerre de l’obus et du blindage : le fraudeur va toujours plus vite que la législation ! Une commission d’enquête dure six mois. Nous avons eu la saison 1, nous sommes en train de réaliser la saison 2 et nous organiserons peut-être les saisons 3 voire 4, mais il n’y a pas de lien entre elles et le suivi en matière d’introduction dans notre droit positif n’est pas assuré. Il convient donc, comme nous l’avons suggéré dans le cadre de la commission d’enquête présidée par Philippe Dominati et rapportée par Éric Bocquet, de mettre en place une structure permanente de relation entre Parlement et Gouvernement.

Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur des questions loin d’être anecdotiques pour qui s’intéresse à la fraude fiscale. Je pense aux 4 500 euros joués nonchalamment en espèces par des joueurs de handball ou encore aux 100 000 euros offerts, toujours en espèces, par un jeu télévisé ! Alors que certains nous expliquent qu’il faut supprimer les billets de 500 euros et que la circulation d’espèces pose problème, avouez que l’attribution d’un lot de 100 000 euros en espèces dans un jeu télévisé aux heures de grande écoute devrait nous interpeller !

Il s’agit de sujets très graves. Le temps est trop court, trop de questions demeurent en suspens pour pourvoir être traitées au cours d’un débat faisant l’objet d’une seule lecture, en fin de session extraordinaire… Bref, vous n’aurez pas trop de quatre ans pour répondre à toutes ces interrogations, madame la garde des sceaux.

Je crois en tout cas que vous aurez le soutien de l’ensemble du Parlement. Pour ce qui me concerne, je voterai évidemment ces deux textes. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour lutter efficacement contre la fraude fiscale, il me paraît d’abord utile de tirer les leçons des échecs ou des initiatives inabouties de ces dernières années.

En 2009, le Président de la République de l’époque n’hésitait pas à déclarer de manière fracassante : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé ! ». J’ai le sentiment que nous étions un peu comme l’armée polonaise partant à l’assaut des panzers allemands sur de fringants chevaux ou bien encore comme des gens extrêmement adroits attaquant des divisions blindées à l’aide seulement de lance-pierres ! Nous ne boxons pas dans la même catégorie, si vous me permettez cette expression.

Pourquoi alors un tel enthousiasme ? Rappelons quelle était notre situation en 2009. Comme de nombreux pays à travers le monde, nous étions durement frappés par la crise économique et financière. La croissance et les recettes de l’État s’étaient effondrées. Nombre de nos concitoyens ont alors perdu leur emploi, la majorité d’entre eux devant faire de nombreux sacrifices.

C’est dans ce contexte que le « club des riches », OCDE ou G 20, décide de mettre fin à un vaste système de fraude fiscale et d’optimisation s’appuyant sur ce que l’on appelle communément les « paradis fiscaux ». Par parenthèse, plutôt que d’« optimisation », il serait judicieux d’utiliser des termes un peu plus durs, comme « tricherie ». Au moins, tout le monde comprendrait de quoi il s’agit ; avec « optimisation », on semble faire référence à une solution trouvée par des gens intelligents et, par-dessus le marché, très honnêtes…

M. François Marc, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. François Fortassin. C’est tout de même un comble !

Nous avons fermé les yeux pendant trop longtemps sur la situation. La crise et les difficultés que connaissent nos concitoyens ont rendu l’ampleur de cette fraude et de cette tricherie fiscales véritablement intolérable. Les pertes de recettes peuvent être évaluées entre 40 et 80 milliards d’euros pour la France et sont certainement de l’ordre de 1 000 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne.

Quelle a été la solution proposée à l’issue de ce G 20 de Londres en 2009, présentée à l’époque comme une rupture majeure ? Les fameuses « listes », noire ou grise, des États et territoires non coopératifs ! Celles-ci ont fait trembler les gens pendant à peu près deux semaines, à la suite de quoi ils se sont organisés et la crainte s’est évanouie.

Le principal obstacle dans la lutte contre la fraude fiscale tient bien entendu à l’opacité. Avec le recul, la solution proposée à l’époque paraît bien illusoire. Certes, il existe également un dispositif de contrôle dans le cadre du Forum mondial qui fonctionne assez bien, mais il est largement insuffisant pour mettre effectivement fin aux pratiques fiscales dommageables.

Finalement, entre 2009 et 2013, les banquiers suisses et les gestionnaires de trusts des Bermudes et autres territoires lointains ont continué à dormir sur leurs deux oreilles.

C’est seulement au printemps 2013 qu’a lieu un nouveau coup de tonnerre : les médias de trente-six pays s’associent pour révéler les dossiers contenant les noms de milliers de titulaires de comptes liés à des sociétés offshore ou à des trusts situés dans des paradis fiscaux.

La plupart des États, qui subissent les conséquences de la crise, se mobilisent à nouveau pour lutter contre la fraude et la tricherie fiscales. Mais si la France s’est illustrée avec la concomitance de la dramatique affaire Cahuzac, exemple de fraude fiscale spectaculaire commis par un ministre, il est non moins évident que les cas de fraude scandalisent peut-être davantage nos concitoyens qu’il y a quelques années.

Ces pratiques d’optimisation fiscale permettent à certaines grandes entreprises de réduire en toute légalité leur imposition, parfois à néant, dans des pays où elles ont pour la plupart une activité et des bénéfices significatifs.

L’optimisation est aujourd’hui une question centrale, très peu abordée dans le texte que nous examinons. Le sujet mérite toutefois que l’on s’y attarde, l’essentiel étant d’en parler et de continuer à marteler autant qu’il le faudra.

Tout le monde s’y intéresse, à commencer par l’OCDE, dans un récent rapport consacré à la lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet que nous connaissons bien à la commission des finances : nous avons mis en lumière les montages fiscaux pratiqués par les géants du numérique, notamment grâce à l’action du président Philippe Marini, qui est spécialiste en la matière, non pas de l’optimisation fiscale (Sourires.), mais des mécanismes permettant à beaucoup de capitaux de ne pas rentrer dans les caisses de l’État.

Les membres de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales ont rendu un excellent rapport, dans lequel ils ont bien souligné la frontière ténue entre fraude et optimisation. La seconde commission d’enquête, qui doit rendre son rapport en octobre prochain, apportera, je n’en doute pas, de nouveaux éclaircissements à cet égard.

Plusieurs de nos collègues de l’Assemblée nationale viennent également de rendre un rapport sur l’optimisation de la fraude fiscale dite « agressive » des grandes entreprises multinationales. Ce rapport commence ainsi : « L’impôt représente une charge pour les entreprises ; il n’est donc pas étonnant qu’elles cherchent à l’optimiser, c’est-à-dire à le réduire autant que le droit le permet ». Le dernier élément de cette phrase est intéressant et nous invite peut-être à retourner en notre faveur la manière d’aborder ce problème. En effet, c’est notre droit qui, grâce à un nombre incalculable de niches fiscales, permet aux entreprises et aux particuliers de réduire leurs impôts. C’est certainement là qu’il nous faut être le plus vigilant.

En 2013, les États, si l’on en croit les déclarations faites lors du récent G8, sous présidence britannique, sont déterminés à lutter pour de bon contre la fraude et l’évasion fiscales. Les États-Unis ont voté une loi qui impose l’échange automatique d’informations à des fins fiscales avec l’ensemble des établissements bancaires de la planète. L’Europe, quant à elle, avance à petits pas. Il existe d’ailleurs un certain nombre de pays, comme l’Autriche et le Luxembourg, qui soufflent en permanence le chaud et le froid et qui, surtout, évitent soigneusement de nous livrer leurs informations.

M. Éric Bocquet. Tout à fait !

M. François Fortassin. Si la France a raison de proposer des solutions à son niveau, comme elle le fait avec le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, il reste évident que la seule solution véritablement efficace se situe à l’échelle européenne et internationale.

Je tiens également à signaler le risque consistant à penser, comme en 2009 avec les listes de paradis fiscaux, que l’échange automatique d’information constituerait le remède miracle à tous nos maux. L’échange automatique n’a de sens que si nos services fiscaux et nos juges, ainsi que ceux des autres pays, ont les moyens de traiter cet ensemble d’informations et de sanctionner ceux qui ont fraudé.

Je prendrai un autre exemple pour illustrer la nécessaire coopération et harmonisation européenne, celui de la fraude à la TVA. Je me réjouis de voir que l’amendement proposé par notre collègue François Marc et adopté par la commission permet de mieux prévenir ce type de fraude.

Le problème étant éminemment européen, la solution à la fraude et à l’optimisation fiscales réside donc en grande partie dans l’harmonisation fiscale et le renforcement coordonné.

Le projet de loi que nous examinons va évidemment dans le bon sens ; le texte a d’ailleurs été enrichi par l’Assemblée nationale. En matière de fraude fiscale, nous devons faire preuve de volontarisme, d’activisme et, je dirais même, d’un certain zèle. La fenêtre d’opportunité est de nouveau ouverte au niveau international ; ne la laissons pas se refermer. Nous devons imposer à l’échelle mondiale des mesures véritablement ambitieuses, afin de mettre définitivement fin à l’opacité dont les fraudeurs font leur miel.

Aussi, madame la garde des sceaux, sur cette question très importante, vous savez pouvoir compter sur le groupe du RDSE. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat comprend deux volets et je m’abstiendrai de commenter le texte relatif au parquet financier, étant hostile à cette mesure de circonstance. Je bornerai donc mes propos au projet de loi relatif à la fraude fiscale, sujet qui me semble dépasser très largement les clivages partisans.

Le projet de loi comprend des mesures utiles. À vrai dire, il prolonge tout d’abord le travail engagé précédemment, notamment à travers le collectif budgétaire de la fin de l’année 2011 et la première loi de finances rectificative pour 2012. Il s’agissait déjà de renforcer les sanctions applicables à la fraude fiscale, en particulier en cas de dissimulation d’actifs à l’étranger.

Ce texte est, certes, utile, mais ce n’est certainement pas le « grand moment » de travail législatif que le Gouvernement nous avait annoncé. La réforme, qui a commencé avec une dimension modeste, s’est au demeurant nourrie à l’Assemblée nationale d’un assez grand nombre d’initiatives que je qualifierai, selon la formule consacrée, de « puisées à bonne source ». Tout cela est d’ailleurs en général utile, notamment s’agissant des dispositifs douaniers.

Au total, le texte sur la fraude fiscale ressemble dans une large mesure aux dispositions que nous sommes habitués à examiner dans les collectifs de fin d’année.

Mes chers collègues, nous le savons, dans le domaine de la lutte contre la fraude, il faut trouver et préserver un bon équilibre. L’État ne doit pas être naïf : la fraude s’adapte sans cesse.

Cela étant dit, il est deux bornes à ne pas franchir : d’une part, celle qui préserve les libertés publiques, préoccupation par excellence de notre commission des lois ; s’autre part, celle qui délimite l’attractivité du territoire, sujet auquel notre commission des finances est naturellement très sensible.

Tout ne tient pas dans le droit, mais son application est souvent tout à fait décisive. Je relèverai que la commission des lois est intervenue de manière tout à fait heureuse et légitime, par exemple pour assurer l’intégrité de la notion de délai de prescription, pour éviter le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment ou encore pour faire en sorte que les avocats ne soient pas assimilés à des complices de fraudeurs.

Le projet de loi permet – c’est certainement une nécessité – le recours à ce que l’on appelle de manière générique les « techniques spéciales d’enquêtes » en matière de lutte contre la fraude fiscale, et notamment les sonorisations de lieux ou encore la captation de données informatiques. Il faut s’adapter aux technologies existantes. Les fraudeurs, eux, savent les utiliser, voire les manipuler avec une très grande efficacité.

Ces techniques, conçues à l’origine pour lutter contre la seule criminalité organisée de grande complexité, ont été progressivement étendues à la délinquance économique et financière, alors même, je le souligne au passage, qu’elles ne sont pas réellement ouvertes aux services de renseignement intervenant en dehors du cadre judiciaire.

J’observe également que le projet de loi conforte la place des « lanceurs d’alerte », pratique inspirée d’autres droits nationaux, notamment anglo-saxons, et à la vérité non dénuée de points de rencontre avec certains éléments traditionnels de notre droit, en particulier l’article 40 du code de procédure pénale. Encore faut-il trouver, là aussi, le bon équilibre. Je crois que la commission des lois y a veillé, en s’attachant à ce qu’une personne faisant son devoir ne puisse pas être exposée à des mesures redoutables de rétorsion, tout en évitant d’encourager par principe, dans une entreprise ou un service public, toute calomnie ou manœuvre personnelle. L’équilibre est assurément délicat à trouver. J’espère toutefois que nous parviendrons à l’atteindre.

Je souhaite également noter que les difficultés du projet de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois, à éviter la tentation – je dirais même le péril – du « tout pénal ». Ce point nourrira assurément nos débats. L’article 2 ter remet en cause, à mon sens de manière malencontreuse, les compétences du ministère du budget en matière de poursuite de la fraude fiscale.

Vous le savez, mes chers collègues, à la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale n’est pas, jusqu’à présent, poursuivi d’office par le procureur de la République. Ce dernier ne peut mettre en mouvement l’action publique que dans la mesure où l’administration a préalablement déposé une plainte.

Je vous précise – cela ne vous étonnera pas – que je partage totalement l’analyse sur ce point de l’excellent rapporteur pour avis de la commission des finances, le rapporteur général François Marc.

Le droit actuel en la matière me semble devoir être maintenu. La fraude fiscale est déjà lourdement sanctionnée par l’administration fiscale. Celle-ci peut, vous le savez, appliquer des sanctions administratives susceptibles d’atteindre 100 % des droits éludés, à l’issue de procédures qui, au demeurant, respectent les règles tirées de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier le principe du contradictoire.

Par ailleurs, l’engagement de l’action publique parallèlement à une procédure de redressement fiscal risquerait, je le souligne, d’encourager les démarches dilatoires des contribuables poursuivis, retardant un peu plus le recouvrement de l’impôt. La commission des finances ne peut qu’être très sensible à un tel argument, qui a notamment été utilisé à juste titre par M. le ministre du budget. C’est la raison pour laquelle il semble préférable de ne recourir aux poursuites pénales, comme c’est le cas aujourd’hui, que dans le cas des fraudes les plus graves, comme le blanchiment de capitaux.

Enfin, la fraude fiscale affiche une complexité croissante, qui réclame tout à la fois une expertise et des moyens humains dont ne saurait disposer, à ce jour, la seule autorité judiciaire. C’est pourquoi l’examen préalable des dossiers par l’administration fiscale me semble constituer un gage d’efficacité et d’effectivité de la sanction, indispensable en cas de manquement grave.

Pour toutes ces raisons, j’ai déposé un amendement visant à la suppression de l’article 2 ter. J’ai observé avec plaisir que mon amendement était loin d’être isolé…

À la surenchère en matière de sanctions de la fraude fiscale, il faut préférer, me semble-t-il, une démarche plus simple et apaisée, consistant à s’interroger sur les besoins concrets de l’administration pour lutter efficacement contre les pratiques abusives.

Je voudrais à cet égard évoquer la preuve, sujet qui va sans doute constituer une étape intéressante de notre débat. En matière de lutte contre la fraude fiscale, aucun moyen, dès lors qu’il est légal et proportionné, ne saurait être écarté.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Philippe Marini. Si l’article 10 était voté dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois, l’administration fiscale ne pourrait pas exploiter une liste de fraudeurs qui lui serait transmise par un particulier, ce qui aboutirait à une situation analogue à celle que l’on a rencontrée au début de l’affaire dite de la « liste HSBC ».

Mes chers collègues, il est grand temps, me semble-t-il, de renoncer en ce domaine aux fausses pudeurs, qui me rappellent un peu le vieux Tartuffe ! Comme le montre le rapport du 10 juillet dernier rédigé par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, la liste HSBC a préalablement été remise à l’administration fiscale. Or le document n’a pu être exploité qu’après saisine par le parquet de Nice et transmission à la direction générale des finances publiques.

Par comparaison, je tiens à rappeler que, en vertu de l’histoire, les douanes disposent déjà d’un cadre juridique et de moyens financiers – M. le ministre du budget y sera sensible – pour rémunérer leurs « aviseurs » et, par conséquent, acquérir des preuves. On m’expliquait cela dès l’époque lointaine où j’étais inspecteur des finances, lors de la « tournée », où l’on mettait déjà en relief cette différence de droit procédural et de moyens financiers entre l’administration des douanes et celle des impôts.

Je pense donc, mes chers collègues, qu’il serait sage d’adopter l’amendement de François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances, ou, à tout le moins, son amendement de repli visant à revenir au texte de l’Assemblée nationale.

Pour conclure, je voudrais évoquer deux des amendements que j’ai déposés. Ils résultent de contrôles sur pièces et sur place que j’ai effectués auprès de la direction générale des finances publiques au début de l’année.

Il s’agit de tirer les leçons de l’examen des dossiers de procédure de contrôle fiscal que j’ai pu réaliser grâce à vos collaborateurs et avec leur pleine coopération, monsieur le ministre. Ces amendements visent à combler les lacunes que présentent aujourd’hui des instruments essentiels de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales dans deux domaines : d’une part, les procédures applicables aux prix de transfert et, d’autre part, l’abus de droit.

Le premier amendement tend à modifier l’article 57 du code général des impôts, afin d’introduire une présomption simple de transfert anormal de bénéfices en cas de transferts de fonctions et de risques hors de France. Ainsi, il est envisagé de retourner la charge de la preuve pour certaines situations « à risque », comme la restructuration d’entreprise, qui peut être motivée par des comportements fiscaux discutables.

Le second amendement vise à rectifier l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour renforcer la procédure de l’abus de droit, en élargissant son champ d’application aux cas où les actes mis en cause répondraient à un motif essentiellement, et non plus exclusivement, fiscal.

Ainsi, l’abus de droit permettrait de sanctionner les montages ayant pour « motif essentiel d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » en s’appuyant sur une application littérale des textes, contraire à l’esprit de leurs auteurs.

C’est la leçon que je tire de l’examen des dossiers de contrôle fiscal que j’ai pu réaliser auprès de vos services, monsieur le ministre : dans le cadre de montages internationaux complexes, il me semble relativement aisé, pour un groupe lui-même complexe, de démontrer l’existence d’un élément économique, aussi faible et secondaire soit-il. Cela fait ainsi obstacle à l’application de l’abus de droit, qui suppose qu’il s’agisse d’un objectif exclusivement fiscal.

Les deux dispositifs que je propose ont été repris, et je m’en réjouis, dans le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale des entreprises, dit rapport « Muet-Woerth », dont le Gouvernement a d’ailleurs annoncé vouloir s’inspirer dans la perspective du prochain projet de loi de finances. Peut-être nous confirmerez-vous ce point, monsieur le ministre ?

En outre, j’ai pu constater que le groupe CRC avait déposé des amendements identiques aux miens. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Jacqueline Gourault. Collusion ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. J’espère que ces amendements ont été présentés en premier ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Marini. Je me réjouis de ce consensus technique, dont j’observe qu’il retient toute votre attention, mes chers collègues !

Pour conclure, je relève qu’un grand nombre d’initiatives présentées dans le cadre de l’examen du présent projet de loi révèlent une tendance à confondre fraude et optimisation fiscales.

Après avoir signalé une conjonction qui a étonné certains d’entre vous,…

Mme Nathalie Goulet. Cela arrive !

M. Philippe Marini. … je voudrais rappeler que l’optimisation fiscale est légale, tandis que la fraude relève, elle, d’un comportement délinquant.

Les pratiques abusives, quelles qu’elles soient, peuvent aussi traduire les lourdeurs, la complexité ou l’arbitraire de la fiscalité. C’est là qu’il nous faut être particulièrement attentifs, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre : les dispositifs et les lois que nous élaborons doivent se fixer la borne de l’attractivité fiscale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez rappelé, le contexte international que nous connaissons depuis plusieurs années rend la fraude fiscale, comme la délinquance économique et financière, chaque jour plus insupportable pour nos pays et leurs habitants. Cette délinquance en col blanc, cette injustice profonde, qui renforce encore les inégalités économiques et sociales, est l’une des sources de la défiance, en l’occurrence légitime, que ressentent nos concitoyens. Au-delà de la crise morale qu’il provoque, le phénomène a des conséquences ravageuses sur le modèle donné à notre jeunesse, comme sur notre système démocratique et politique, dont nous devons dans cette Haute Assemblée être les garants.

En cette période difficile, respecter les règles collectives et s’acquitter de sa part juste d’impôt est un devoir moral et citoyen. C’est surtout le moyen de maintenir et de renforcer nos services publics et notre système social, au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.

Comment tolérer que de 60 à 80 milliards d’euros, soit l’équivalent du déficit du budget de l’État, échappent chaque année à la richesse nationale via l’évasion fiscale, alors que des efforts sont demandés aux Français pour redresser nos comptes ? Cette somme peut aussi être mise en perspective avec les 18 milliards d’euros que le contrôle fiscal permet de récupérer chaque année.

Comment accepter que des particuliers et des entreprises ne participent pas à la solidarité nationale, alors qu’ils bénéficient de la richesse nationale à travers la dynamique économique de la France ? Du reste, la même question peut être posée à l’échelle de l’Europe, puisque c’est principalement à cette échelle que la fraude fiscale se déploie.

Comment accepter que ceux-là mêmes qui s’exonèrent de la participation à la solidarité collective puissent ne pas être poursuivis et sanctionnés ?

Il est aujourd’hui établi que l’évasion fiscale internationale, dont l’essor au cours des dix dernières années résulte de l’action de gestionnaires financiers, et non de chefs d’entreprise, a été un facteur d’amplification et de pérennisation de la crise financière. C’est pourquoi il est temps de réagir en prenant, aux niveaux national et international, des mesures radicales et efficaces.

En fin de compte, on peut se réjouir, aujourd’hui, que certains événements récents aient mis de nouveau en lumière l’évasion fiscale internationale, phénomène ancien sur lequel, comme il a été rappelé, le Sénat travaille depuis deux ans. Ces événements ont favorisé une nouvelle prise de conscience internationale, qui débouche depuis plusieurs semaines sur des avancées notables aux échelles européenne et internationale.

De fait, le G8, le G20, le Conseil européen, la Commission européenne, l’OCDE, tous s’engagent sur la voie de l’échange automatique d’informations. Cette coopération permettra de franchir une étape décisive dans la lutte contre le secret bancaire et les paradis fiscaux.

Face à cette pression de la société internationale, plusieurs États refuges de l’optimisation fiscale – nous savons bien que la limite est ténue entre l’optimisation et la fraude –, ainsi que certains paradis fiscaux ou bancaires, ont également infléchi leurs positions.

Les auditions organisées par la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux font apparaître que les établissements bancaires seraient sur la voie d’une amélioration des pratiques. En effet, ils commenceraient à fermer un certain nombre de filiales dans les paradis fiscaux et dans les pays accordant de larges avantages d’optimisation.

En outre, ces établissements déclarent informer désormais les titulaires de comptes à l’étranger de leurs obligations à l’égard de leur pays de domiciliation fiscale ; du reste, ce changement d’attitude peut soulever des questions sur les pratiques antérieures.

Alors que la lutte contre l’évasion fiscale est maintenant à l’ordre du jour de nos principales instances de décision, transformons ces intentions en actes.

Tel est justement l’objectif du projet de loi présenté par le Gouvernement. Il vise à traduire dans les faits la volonté collective de mettre fin à une crise de l’imposition et de rétablir la puissance financière publique. Dans la continuité du projet de loi relatif à la séparation et à la régulation des activités bancaires, ce projet de loi est la traduction des annonces fermes du Président de la République en avril dernier.

Il répond en partie aux problèmes mis en évidence par les commissions d’enquête sénatoriales. Lors de nos travaux, nous avons pu constater les difficultés auxquelles on se heurte pour recueillir l’information et détecter les fraudeurs, ainsi que le manque de moyens pour les investigations et l’effet peu dissuasif des sanctions.

Ce projet de loi va enfin mettre en place des outils juridiques permettant d’accroître les moyens de l’administration fiscale. Ainsi, la fraude pourra être mieux détectée, les preuves pourront en être mieux établies et, le cas échéant, les sanctions pénales pourront être à la hauteur des infractions.

En effet, l’objectif prioritaire du projet de loi est de renforcer l’efficacité de nos services d’enquête, parfois démunis face à la complexité des structures et des montages financiers mis en œuvre par les fraudeurs, ou face à l’insuffisance des moyens dont ils disposent pour faire aboutir leurs procédures d’investigation.

En particulier, le projet de loi instaure un délit de bande organisée et ouvre la possibilité, qui existe déjà en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis, d’exploiter des fichiers volés, quelle qu’en soit l’origine.

L’aggravation des peines encourues est une bonne nouvelle. En effet, grâce à ces sanctions renforcées, nous pourrons inverser la tendance et insécuriser les fraudeurs, en introduisant un doute dans le rapport entre les risques encourus et le bénéfice escompté de l’infraction.

Pour avoir rencontré, avec tous nos collègues membres des deux commissions d’enquête sur l’évasion fiscale, des agents du ministère des finances, d’autres des douanes judiciaires, des policiers et des magistrats, je suis persuadé que l’ensemble de ces nouvelles dispositions seront accueillies favorablement et qu’elles permettront de gagner en coordination, en réactivité et en efficacité.

À cet égard, sans doute nous faut-il aussi repenser la politique fiscale des entreprises ; l’OCDE en fait elle-même le constat. C’est ainsi que l’un de ses directeurs, Pascal Saint-Amans, écrit : « certaines règles ont été fondées sur le principe d’une imposition unique […]. Or, dans l’économie moderne mondialisée, cette hypothèse n’est pas toujours valable : les possibilités d’optimisation peuvent aboutir à aucune imposition des bénéfices, nulle part. Par ailleurs, le monde a changé. De nombreuses règles sont ancrées dans un environnement économique caractérisé par des actifs matériels, des usines et des équipements, et par un faible degré d’intégration économique internationale, alors que dans l’économie numérique d’aujourd’hui, les bénéfices sont souvent générés par des activités de prise de risque et par des actifs incorporels, comme les brevets et les marques ».

Ce constat vaut notamment pour les grandes multinationales de l’Internet et du commerce en ligne, à tel point que, dans les pays où l’activité économique a lieu, celles-ci ne paient plus ni la TVA, qu’elles acquittent dans d’autres pays, notamment au Luxembourg et en Irlande, ni l’impôt sur les sociétés, lequel est largement transféré dans les deux mêmes pays, ainsi que dans d’autres paradis fiscaux.

Mes chers collègues, force est ainsi de constater qu’en voulant agir, par le biais des conventions fiscales, pour éviter la double imposition, nous aboutissons parfois à un système de double non-imposition.

À cet égard, dans la continuité des travaux des deux commissions d’enquête du Sénat, il nous faut sans doute aller encore plus loin pour faciliter l’exercice du contrôle fiscal des entreprises, notamment de celles qui détiennent des filiales ou des actifs à l’étranger. En effet, une utilisation excessive de l’optimisation fiscale peut ouvrir la voie à l’évasion, puis à la fraude.

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à considérer avec attention, dans la discussion des articles des deux projets de loi, les différents amendements visant à faciliter l’exercice de ce contrôle.

Je vous signale particulièrement les amendements relatifs à la sécurisation du dispositif de délivrance du numéro de TVA intracommunautaire, à l’alourdissement des sanctions et des peines en cas de fraude, à la transparence dans la détermination des prix de transfert pratiqués par les entreprises et à l’obligation faite aux entreprises, en cas de contrôle, de donner copie de leur comptabilité informatisée, qualifiée de « dématérialisée », qu’on ne peut pas saisir aujourd’hui.

Mes chers collègues, je vous appelle à soutenir massivement le projet de loi et le projet de loi organique, en apportant éventuellement au projet de loi les quelques retouches que je viens de souligner pour aller encore plus loin dans la voie d’une meilleure transparence et d’une plus grande justice fiscale.

En effet, il est urgent d’amplifier au niveau national les avancées engagées aux échelles européenne et internationale, en dotant nos administrations fiscale et judiciaire d’outils pertinents et efficaces.

Il nous faut envoyer à tous les serviteurs de l’État qui travaillent dans ces administrations, ainsi qu’à tous les citoyens français, un message clair : celui d’un pays où les tricheurs et les fraudeurs n’ont pas le droit de faire porter par tous les autres le poids de leurs comportements irresponsables ; celui d’une nation unie où chacun contribue en fonction de ses moyens à la solidarité nationale ; bref, celui d’un pays où la justice fiscale existe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – Mme Esther Benbassa ainsi que MM. Éric Bocquet et Jean-Claude Requier applaudissent également.)