PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 1981, la proposition n° 58 du candidat François Mitterrand était ainsi rédigée : « Pour les peuples de l’outre-mer français qui réclament un véritable changement, ouverture d’une ère de concertation et de dialogue à partir de la reconnaissance de leur identité et de leurs droits à réaliser leurs aspirations. »

À l’issue de bouleversements institutionnels nombreux et confus, ainsi que de violents conflits, qui devaient atteindre leur apogée lors de l’embuscade de Hienghène et la prise d’otages d’Ouvéa, la Nouvelle-Calédonie est parvenue à un équilibre grâce à un statut particulier et unique au sein de notre République. Après bien des divergences sur l’avenir de la « Grande terre », les Calédoniens sont parvenus à un compromis fondé sur le dialogue et l’écoute.

L’accord de Nouméa de 1998, point culminant des relations pacifiées, a réussi à réunir des points de vue a priori inconciliables. L’identité kanake était enfin reconnue et les indépendantistes acceptaient un maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. Ce territoire s’est alors doté d’institutions et de règles juridiques originales, et son statut sui generis lui est reconnu par un titre à part au sein de la Constitution.

Un processus de décolonisation peut-il aboutir à assurer une paix immuable ? Les fractures et les blessures qui divisent la société calédonienne sont malheureusement encore trop profondes. La crise institutionnelle de 2011, provoquée en raison des conflits politiques autour du double drapeau, avec la démission successive de plusieurs gouvernements, nous prouve que la situation demeure fragile. Toutefois, la loi organique du 25 juillet 2011 y a apporté une réponse.

De même, les grèves générales contre la « vie chère » qui se sont déroulées au mois de mai dernier nous rappellent que la paix doit se construire en permanence.

Avec un produit intérieur brut par habitant le plus élevé de l’outre-mer et le deuxième plus élevé de la région – entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande –, des ressources en nickel riches, un gouvernement collégial fondé sur une entente entre indépendantistes et non-indépendantistes et une autonomie renforcée, la Nouvelle-Calédonie pourrait nous sembler à l’abri des problèmes économiques et sociaux. Or il n’en est rien.

Tout d’abord, la situation économique du territoire est instable. Elle repose encore sur l’exploitation du nickel, qui représente entre 8 % et 18 % de son PIB, et sur les transferts de la métropole. Dans un rapport de 2012, le professeur Étienne Wasmer explique cette vulnérabilité face aux variations des cours du nickel. En effet, en 2012, les exportations se sont contractées de 13,8 %, en raison des difficultés du secteur.

Ensuite, le taux de chômage demeure élevé, et les disparités sociales sont deux fois plus fortes qu’en métropole. Ainsi, selon l’Institut d’émission d’outre-mer, l’écart entre les revenus des plus riches et ceux des plus modestes est de près de 8, contre 3,6 en métropole, et le taux de pauvreté atteint 17 %... Ces disparités sont d’autant plus graves qu’elles jouent en défaveur des Kanaks.

De surcroît, les prix sont, en moyenne, 34 % plus élevés qu’en métropole, un record en outre-mer. Ils sont supérieurs de 65 % pour l’alimentation et de 39 % pour le logement, l’eau et l’énergie, pénalisant ainsi les ménages les plus fragiles.

L’insularité, l’éloignement, les frais des transports ou encore les habitudes de consommation influent sur les prix. De même, l’absence de concurrence et la fiscalité sur les importations participent à la « vie chère ».

Le protocole d’accord du 27 mai 2013 signé entre les syndicats et le patronat a permis d’apaiser les tensions en réduisant de 10 % les prix de 300 produits alimentaires et d’hygiène, ainsi que de 200 produits supplémentaires, et en appliquant un gel des prix jusqu’à la fin de l’année 2014.

M. Jean-Claude Requier. Le processus qui va de l’acquisition des libertés individuelles vers l’égalité est parfois trop lent pour apaiser les tensions. L’État a voulu réduire une telle fracture par une politique de rééquilibrage des disparités, qui sont également spatiales. J’évoquerai à titre d’illustration l’usine de nickel de Koniambo, mise en fonctionnement récemment.

Toutefois, la fracture est profonde, et son colmatage est inachevé. La situation est donc potentiellement explosive et pourrait aboutir à des effets non réellement désirés par la population lors du prochain référendum d’autodétermination, qui devrait se tenir avant 2018. Le choix pourrait alors se résumer à une simple réaction aux problèmes économiques et sociaux, et non traduire une volonté réelle de décider de l’avenir du territoire.

Quelle place peut occuper la République ? Certainement un rôle d’accompagnateur en matière de transfert de compétences ! L’accroissement de l’autonomie à un rythme soutenu doit être accompagné. Les autorités calédoniennes sont demandeuses d’une telle démarche, et il convient de saluer la mise en place d’une nouvelle structure réunissant les ministères concernés par les transferts de compétences.

En l’espace de quelques années, la Nouvelle-Calédonie a bénéficié de nouvelles compétences qui revêtent une importance fondamentale. On peut évoquer des cas récents : la police et la sécurité de la circulation maritime, la circulation aérienne, l’enseignement du second degré, le droit civil ou le droit commercial… D’autres transferts sont également prévus pour 2014, comme l’enseignement supérieur ou l’administration provinciale et communale.

Le présent projet de loi organique actualise la loi organique de 1999, afin de permettre un plein exercice de ces prérogatives.

En ce qui concerne la problématique de la « vie chère », l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante nationale, par ses rapports rendus en 2012, a recommandé la création d’une autorité de la concurrence locale, afin de briser les monopoles et oligopoles, qui entraînent des prix excessivement élevés et qui affectent le pouvoir d’achat des Calédoniens. Selon ses rapports, au contrôle inefficace des prix devrait se substituer une action sur la structure de marché.

L’article 1er du projet de loi organique modifie le statut, afin précisément de permettre la création d’autorités administratives indépendantes. Il servira de fondement à la création de l’autorité de la concurrence locale disposant de pouvoirs de réglementation, de sanction, d’injonction, pour mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles et aux concentrations de marché. Si la Nouvelle-Calédonie se dote d’une réforme du droit de la concurrence, un tel dispositif pourrait se révéler efficace.

Il convient de saluer le travail de notre collègue Catherine Tasca, rapporteur des deux textes, qui renforce l’indépendance des futures AAI, puisque les candidats devront, après audition publique, être désignés à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du congrès. Les membres seront irrévocables, sauf exception.

L’exercice des compétences est également favorisé par le pouvoir général de police administrative accordé au président du gouvernement néo-calédonien en matière de sécurité maritime, de sécurité aérienne et de sécurité civile. La prise de décision est ainsi accélérée. La possibilité, pour les assemblées de province, de déléguer la passation des marchés publics à leur président contribue à l’allégement de la procédure.

Plusieurs dispositions du projet de loi organique s’inspirent du droit commun des collectivités territoriales, par exemple, les règles en matière de subventions publiques des provinces ou les règles budgétaires des services publics industriels et commerciaux.

Ainsi, c’est par des actualisations de la loi organique, en donnant les moyens juridiques de l’autonomie et en facilitant le fonctionnement des institutions et de l’administration que la France se conforme à l’esprit de l’accord de Nouméa.

C’est grâce à cette neutralité qu’un climat de confiance peut être maintenu entre l’État et la Nouvelle-Calédonie et que les liens, qui ne sont plus exclusivement historiques, mais qui sont aussi affectifs, peuvent être préservés. Il en est de même des différents textes relatifs à l’outre-mer. C’est pourquoi le groupe RDSE approuvera le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avoue ne pas être un spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. Je l’ai découverte au gré de l’examen de ces projets de loi, car, finalement, j’en connaissais peu, en tout cas bien moins que mes collègues présents aujourd’hui, les réalités sociologiques, historiques et politiques. Toujours est-il que le sujet m’a passionné !

Les statuts des collectivités ultramarines sont très souvent des modèles uniques en leur genre, très éloignés de ce que connaissent les collectivités territoriales métropolitaines. On peut aisément affirmer que l’outre-mer a toujours constitué un laboratoire juridique et institutionnel.

Cependant, si l’on retrouve certaines problématiques communes aux outre-mer, il faut bien reconnaître que la spécificité du modèle calédonien, depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, est sans équivalent.

Il est néanmoins l’héritage d’une histoire complexe, marquée par de violents affrontements entre communautés autour de la question de l’accession à l’indépendance, que je ne rappellerais pas ici, mais que les pouvoirs publics de l’époque ont su apaiser en renouant le dialogue avec les représentants des partis indépendantistes et loyalistes.

Ainsi, le 26 juin dernier, la Nouvelle-Calédonie célébrait le vingt-cinquième anniversaire de la signature des accords de Matignon, qui avaient mis un terme à plusieurs années de tensions ayant atteint leur paroxysme lors de la tragédie de la grotte d’Ouvéa.

Ces accords furent suivis par l’accord de Nouméa et par sa traduction juridique, la loi organique du 19 mars 1999, qui prévoyait des transferts progressifs de compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie et la tenue d’une consultation de la population entre 2014 et 2018 pour décider de l’avenir institutionnel de cette collectivité.

Depuis lors, on croyait le temps des tensions extrêmes révolu. L’année 2011 fut pourtant marquée par des événements dramatiques liés à un contexte social très difficile, partagé, il est vrai, par l’ensemble des outre-mer, dû à la cherté de la vie et à un chômage endémique touchant principalement les jeunes issus de la communauté kanake. Les accords économiques et sociaux signés à l’époque pour remédier à la situation n’ont jamais été appliqués.

C’est notamment la raison pour laquelle un mouvement social de grande ampleur, réunissant plusieurs syndicats et touchant les trois provinces de l’archipel, a de nouveau éclaté au mois de mai dernier. Les manifestants souhaitaient la mise en place d’un dispositif de modération des prix semblable à celui qui est contenu dans la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, ou loi Lurel, que le Sénat avait adoptée en septembre dernier en première lecture et dont j’avais eu le privilège d’être le rapporteur pour la commission des lois.

Avec les pluies diluviennes survenues au début de ce mois de juillet, qui ont entraîné une dégradation importante des exploitations agricoles, la pression sur les prix ne risque pas de baisser !

Ce profond malaise social et la crise économique que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis quelques années peuvent s’expliquer par les retards qui ont été pris depuis 2007 dans la mise en œuvre du volet économique et social de l’accord de Nouméa, compromettant de ce fait la politique de rééquilibrage qui en était le cœur.

Le projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a pour objet de poursuivre le processus enclenché il y a vingt-cinq ans.

Il clarifie des compétences existantes et reconnaît des prérogatives aux autorités calédoniennes, telles que le pouvoir de police administrative générale et de réquisition accordé au président du gouvernement.

Il facilite également le fonctionnement des institutions du territoire, en accordant notamment la possibilité à l’assemblée de province de déléguer son pouvoir à son président pour passer les marchés publics ou encore au président de la Nouvelle-Calédonie de subdéléguer sa signature aux agents de son administration.

Enfin, il actualise les règles administratives et financières en vigueur sur ce territoire.

Conformément à l’engagement pris par le Premier ministre devant le comité des signataires de l’accord de Nouméa le 6 décembre dernier, ce texte permet surtout à la collectivité de créer, par des lois du pays, des autorités administratives indépendantes dotées des mêmes pouvoirs, notamment de sanction.

Cette disposition essentielle – et, on l’imagine aisément, fortement attendue par la population, au regard des difficultés qu’elle rencontre – pourra s’appliquer dans des domaines aujourd’hui sensibles, tels que la concurrence, la concentration économique et l’aménagement commercial. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie pourra se doter d’une autorité de la concurrence locale, outil de régulation indispensable qui devrait rendre effective l’adoption par le congrès calédonien, le 25 juin dernier, d’une loi antitrust, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, qui en a été saisi.

Pour être parfaitement efficaces, ces organismes devront voir leur impartialité et leur indépendance assurées par la mise en place de garanties concernant leur composition, les modalités de désignation et de fin de mandat de leurs membres, et les règles d’incompatibilités auxquelles ils sont soumis.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons qu’adhérer aux amendements proposés par Mme la rapporteur – et je saisis l’occasion qui m’est donnée pour saluer son travail – qui prévoient d’inscrire le principe selon lequel les membres de ces futures AAI seront nommés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, après confirmation par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Avant d’évoquer le second texte qui nous est présenté, et qui fait l’objet avec le projet de loi organique d’une discussion générale commune, je me permets une digression, pour attirer l’attention du Gouvernement sur l’état déplorable de la prison de Nouméa. Des mutineries y éclatent régulièrement, les prisonniers protestant contre les conditions indignes dans lesquelles ils sont détenus, conditions également dénoncées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, et par l’Observatoire international des prisons. Cette question ne prête pas à polémique - même si l’on aurait souhaité que le gouvernement précédent y apporte des solutions pérennes et réalistes - mais le projet de construction d’un nouvel établissement à Nouméa, coûteux et inadapté, n’y répondait pas.

Consciente de la gravité et de l’urgence de la situation, Mme Taubira a annoncé, outre le déblocage d’une enveloppe de 32 millions d’euros destinée à rénover et agrandir la prison, l’envoi sur place d’une mission chargée notamment d’apporter des solutions à ce problème. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ce point ?

Mais j’en viens au projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, qui prévoit la ratification de huit ordonnances.

Mes collègues interviendront pour vous présenter des amendements relatifs à leur département. Je voudrais, pour ma part, faire une remarque liminaire concernant le recours aux ordonnances. Si je suis sensible à l’argument selon lequel, compte tenu de la surcharge du calendrier législatif, ce procédé présente nombre d’avantages, il est néanmoins indispensable de bien veiller à associer le Parlement au processus d’élaboration des textes.

J’aimerais m’appesantir quelques instants sur l’ordonnance du 25 janvier 2013 relative aux allocations de logement à Mayotte, qui crée, outre l’allocation de logement familiale, qui existait déjà, l’allocation de logement sociale, dont l’alignement progressif sur le droit commun des départements d’outre-mer est prévu.

L’INSEE a relevé, lors de son dernier recensement, que le nombre de logements augmentait moins vite que la population. Si la croissance démographique de Mayotte est si forte, c’est certes en raison du nombre important de naissances, mais également, et surtout, à cause d’une pression migratoire extrêmement élevée.

Les dispositions que je viens d’évoquer vont évidemment dans la bonne direction, mais elles resteront insuffisantes. J’avais alerté Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur ce point. Le taux actuellement arrêté pour cette allocation est trop bas, les ménages mahorais ne peuvent assumer les loyers. Au bout du compte, les logements sociaux existants restent vides et les logements en programmation ne trouveront jamais preneur…

Les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui marquant l’engagement pris par ce gouvernement de soutenir les outre-mer, le groupe socialiste votera cette dixième réforme de la loi organique de 1999, ainsi que le projet de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE. – M. Christian Cointat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en tant que sénateur représentant les îles Wallis-et-Futuna, bien sûr, mais aussi comme quelqu’un, qui, jusqu’à son retour à Wallis, il y a une vingtaine d’années, a vécu une grande partie de sa vie, depuis l’adolescence, en Nouvelle-Calédonie.

La Nouvelle-Calédonie, cette terre de promesses, qualifiée par certains de paradis sur terre, a vécu des heures sombres, terribles. Le sang a, hélas, coulé. Cependant, grâce à quelques hommes de bonne volonté, des mains se sont tendues, un dialogue a été renoué, et un processus de réconciliation a été enclenché, alors que si peu de gens y croyaient !

Un quart de siècle plus tard, on peut être fier du chemin parcouru, salué la semaine dernière encore par le président actuel du Forum des Îles du Pacifique, le Premier ministre des Îles Cook, M. Henry Puna, qui s’est tout récemment rendu à Nouméa, après une visite à Bruxelles et à Paris, avec un passage au Sénat.

Je salue ainsi les efforts soutenus par les responsables de la Nouvelle-Calédonie dans la recherche du bien commun. Je pense bien sûr aux politiques, aux coutumiers, à l’administration et à toutes les associations qui ont contribué à ce travail.

Revenons-en à Wallis-et-Futuna. Quelques chiffres parleront peut-être à mes collègues sénateurs : Wallis et Futuna sont deux îles distantes de 2 000 kilomètres environ de Nouméa, où vivent aujourd’hui près de 13 500 habitants et qui sont frappées par la décroissance démographique et l’exode dû à un développement économique demeurant par trop embryonnaire.

La Nouvelle-Calédonie, en revanche, abrite une communauté wallisienne et futunienne de 30 000 à 35 000 personnes, soit 15 % de sa population totale, donc une minorité importante, arrivée par vagues successives, pour la plupart anciennes. De nombreux Wallisiens et Futuniens de Nouvelle-Calédonie sont ainsi des Calédoniens de troisième génération.

Pour autant, depuis 1988 et les accords de Matignon, quand on pense à la Nouvelle-Calédonie, on voit, surtout de Paris, la construction d’un avenir commun entre deux communautés, les Mélanésiens et les Européens de souche. On a beaucoup oublié, en en payant parfois le prix, qu’il existait une troisième communauté, laquelle peine, depuis vingt-cinq ans, à trouver sa place.

J’entends bien sûr ceux qui veulent s’opposer à tout communautarisme au sein de la République. Ils ont raison sur le fond, mais, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, une telle attitude reviendrait à méconnaître des réalités profondes dont il faut tenir compte. La réconciliation, la construction d’un avenir commun dans l’harmonie, le respect et la paix, passent par une reconnaissance de la place de chacun, y compris de la communauté wallisienne et futunienne de Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, cette communauté de coutume polynésienne a bien du mal à s’affirmer. Vous rappeliez, monsieur le ministre, que nous en étions au dixième texte sur la Nouvelle-Calédonie, depuis l’enclenchement du processus visant à faire évoluer l’organisation de ce territoire. Réinventons le dicton et gageons que « jamais dix sans onze » ! (Sourires.)

Je crois me faire le porte-parole de l’immense majorité des Wallisiens et Futuniens de Nouvelle-Calédonie en affirmant, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il est nécessaire d’inventer une structuration spécifique, pour représenter les citoyens originaires de Wallis-et-Futuna.

Notre collègue Pierre Frogier connaît bien le sujet, nous en avons encore parlé récemment, et je sais qu’il est sensible et attentif aux inquiétudes de la communauté wallisienne et futunienne, qui craint d’être laissée au bord du chemin.

Bien évidemment, une telle organisation ne saurait être calquée sur le Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie. Nous avons tous suffisamment d’imagination pour trouver une structure adéquate, qui ravivera le lien de cette communauté, favorisera son intégration et l’aidera à trouver sa place dans la construction de la Nouvelle-Calédonie de demain.

Je souhaiterais donc vivement, monsieur le ministre, qu’une réflexion s’ouvre sur ce sujet, en lien avec chacun, afin que cette idée puisse prospérer dans l’harmonie avec les autres communautés.

Je passe maintenant sans transition au projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, qui ratifie plusieurs ordonnances, dont certaines concernent Wallis-et-Futuna. Les ordonnances relatives au droit civil et à l’action sociale n’appellent pas de remarque particulière de ma part, sauf à vous faire part, monsieur le ministre, d’une légère inquiétude : qui paiera pour la mise en place d’un service tutélaire à Wallis-et-Futuna ?

L’ordonnance du 25 janvier 2013 relative aux dispositions applicables à certains agents relevant de l’État ou des circonscriptions territoriales exerçant leurs fonctions sur le territoire des îles Wallis et Futuna appelle en revanche quelques remarques rapides quant aux décrets que l’État devra prendre.

Je voudrais tout d’abord vous demander, monsieur le ministre, de confirmer l’engagement de vos services sur deux points : le principe d’une consultation des représentants locaux avant toute mise en œuvre d’un nouveau statut particulier et, surtout, la mise en place de passerelles entre ce nouveau statut et celui de la fonction publique d’État, qui ne peut se faire que s’il y a correspondance entre le corps d’origine et le corps d’accueil.

Enfin, je souhaite vous rappeler, monsieur le ministre, la nécessité, exprimée par les représentants des agents locaux et à laquelle je souscris pleinement, de mettre en place un droit d’option pour ce nouveau statut. Il est important en effet que l’agent puisse avoir le choix, pour des raisons qui lui sont propres, de l’intégrer ou non.

Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais dire brièvement à l’occasion de l’examen de ces deux textes. Connaissant votre écoute, toujours attentive, j’espère que vous pourrez rebondir sur les idées que je viens de vous soumettre.

Je voterai bien sûr ce projet de loi organique et ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ce qui concerne le projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, je concentrerai mon propos sur la ratification, d’une part, des ordonnances relatives aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique et, d’autre part, de l’ordonnance adaptant à l’outre-mer la réforme de la pêche de 2011. Elles illustrent l’économie et les carences de la politique concernant les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Deux des ordonnances complètent la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. Il s’agit de régler trois questions laissées en suspens : les règles financières et comptables des nouvelles collectivités, les conditions de transfert des personnels et celles des patrimoines.

Pour chacun de ces sujets, les ordonnances proposées se contentent de prévoir le strict minimum. Or la fusion en une collectivité unique des départements et de la région en Martinique et en Guyane n’a jamais été, à elle seule, une solution aux difficultés sociales, économiques, environnementales, sécuritaires et culturelles que ces deux collectivités territoriales subissent.

Vous en êtes convaincu, monsieur le ministre, car, à ce jour, vous n’avez pas envisagé cette voie pour la région Guadeloupe.

La simplification d’une partie du millefeuille administratif est cependant un outil pour une meilleure conduite des politiques publiques à l’échelon de ces territoires. Mais sans compétence nouvelle, sans levier de financement nouveau, sans reconnaissance des spécificités et des besoins de chacun des territoires, la collectivité unique n’apporte aucune solution miracle.

Ces ordonnances ne fournissent, hélas ! pas davantage de réponse.

Concernant la fusion des personnels, l’ordonnance n° 2012-1398 prévoit l’addition des personnels du département et de la région au service de la collectivité unique. Il ne s’agit que de la transcription d’une condition sine qua non de la fusion des collectivités : aucune des personnes œuvrant pour un échelon territorial ne devait faire les frais d’une économie et d’une rationalisation des moyens.

Que dire alors des disparités qui subsistent entre les quelques territoires où ne s’applique pas la loi de séparation des Églises et de l’État ? Ainsi, alors que l’Alsace-Moselle bénéficie de la prise en charge par l’État des rémunérations des membres du corps ecclésiastique, cette dépense, d’un montant annuel de près de 1 million d’euros, reste inscrite au budget du conseil général de Guyane et sera donc supportée, à terme, par celui de la future collectivité unique.

Par ailleurs, le maintien du niveau de régime indemnitaire antérieur plus favorable et celui des avantages individuels collectivement acquis doivent être portés au crédit de ces ordonnances. Les personnels issus des anciennes collectivités peuvent être rassurés sur ce point. Cependant, une carence apparaît immédiatement à la lecture de ces textes : comment s’opérera la fusion des services au sein de la nouvelle collectivité ?

L’ordonnance ne prévoit aucune consultation en vue de l’élaboration d’un nouvel organigramme. L’idée de créer un « comité technique commun » permettant de faire rapidement émerger une représentation syndicale légitime commune aux deux collectivités appelées à fusionner a fait long feu. Elle devait accompagner le souhait d’avancer le plus possible dans la direction d’une fusion des services avant la mise en place de la collectivité unique. Qu’en est-il sur ce sujet ? L’inquiétude des personnels, en particulier dans les services fonctionnels, est-elle prise en compte ?

L’addition des fonctionnaires et des contractuels est une réponse à la crainte d’une économie par mutualisation des moyens humains, mais rien n’apparaît cependant quant à la préparation de la nouvelle organisation.

La fusion des patrimoines présente un caractère absolument identique : dans l’opération d’addition des patrimoines du département et de la région, un grand silence règne quant à l’affectation des biens de ces collectivités au bénéfice des services de l’État.

L’arrêté interministériel du 30 juin 1948 portant répartition des biens de l’ancien domaine colonial dresse une liste de biens appartenant au département, mais échappant totalement à sa maîtrise, aussi longtemps que les services de l’État en ont usage.

Deux anomalies apparaissent aujourd’hui.

La première est le régime juridique singulier réservé à ces biens des collectivités d’outre-mer mis à la disposition des services de l’État, par rapport à la situation que connaissent les départements métropolitains à cet égard.

En métropole, par exemple, un bail de longue durée et à titre gratuit est conclu entre l’État et les collectivités décentralisées : ainsi, leur propriété est respectée. Ce n’est malheureusement pas le cas lorsque le pouvoir réglementaire édicte l’affectation du patrimoine des personnes publiques ultramarines.

La seconde anomalie est la condition exorbitante des biens domaniaux de l’État, en particulier en Guyane.

Je pourrais tout d’abord relever que, à l’occasion de la mise en place de la collectivité unique, l’ordonnance devrait prévoir un inventaire contradictoire portant sur l’affectation de ces biens, leur gestion par l’État, le respect par celui-ci de ses obligations d’entretien et un possible retour en pleine propriété, assorti d’une soulte, à la collectivité unique.

Mais je veux également mentionner le cas du domaine privé de l’État : un foncier domanial non exploité, non constaté, qui n’est pas évalué et permet à l’État, dans le seul département de la Guyane, d’échapper à la taxe sur le foncier non bâti sur l’ensemble de son domaine privé.

La seule fusion des patrimoines, qui est l’objet légal de l’ordonnance, pourrait inviter à l’élaboration d’un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer permettant de régler plus largement la question de la dévolution des patrimoines fonciers publics. Il n’en est rien, et je le regrette.

L’ordonnance n° 2012-1397 déterminant les règles budgétaires, financières et comptables applicables aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique témoigne encore de quelques imperfections.

Le cadre budgétaire et comptable du département diffère de celui de la région : il était nécessaire de déterminer celui qui réglerait la future collectivité unique. On pouvait espérer que le renvoi à une ordonnance ouvrirait sur un choix plus audacieux, par la programmation d’un système ad hoc, que la simple copie du modèle régional.

Par exemple, des dispositions concernant le préfinancement à 100 % des projets de la collectivité unique ou des collectivités locales auraient pu compléter le dispositif afin de prendre en compte les difficultés que rencontrent ces territoires, dans la structure même de leurs ressources budgétaires, pour réaliser les projets qui leur sont nécessaires.

La troisième ordonnance, celle qui porte sur la pêche, offre en revanche des avancées pour les outre-mer.

En plus des compétences attribuées aux comités régionaux des pêches, elle dote la région d’une compétence en matière d’aménagement de l’aquaculture. Il faut saluer cette confiance accordée aux collectivités décentralisées dans un domaine de compétence relevant de l’autorité déconcentrée en métropole.

Pourtant, dans un projet de loi contenant des dispositions sur la pêche, il est regrettable qu’aucun élément nouveau ne vienne répondre aux préoccupations actuelles relatives à la pêche en outre-mer : la lutte contre le pillage illégal de la ressource halieutique, l’accès à cette ressource pour des pêcheurs aux moyens inadaptés à une activité de plus en plus hauturière, la mobilisation des moyens financiers nécessaires pour accompagner la structuration d’une véritable filière aquacole…

D’une manière plus générale, puisque ce texte tend à rendre définitivement applicable, au moins sur le plan législatif, la collectivité unique en Guyane et en Martinique, c’est encore un silence gêné qui répond aux demandes réitérées de mise en place d’un fonds d’accompagnement financier qui soit à la mesure exacte des enjeux liés à cette évolution.

Je rappelle enfin que la Guyane est le seul département ne comptant aucun établissement de formation aux métiers de la mer.

La mutualisation des moyens permettra certainement, à plus long terme, de réaliser des économies d’échelle. Cependant, des mesures financières préalables sont à prévoir, notamment en termes de formation, de prestations et de services extérieurs – audit, communication –, de frais d’harmonisation des moyens de gestion.

Mais puisque nous parlons de recettes budgétaires pour les futures collectivités uniques, qu’en est-il de la fiscalité sur les ressources fossiles et minérales ? Qu’en est-il des puits de carbone ? Qu’en est-il encore de la dotation globale de fonctionnement, dont la part superficiaire est plafonnée dans le seul département de la Guyane ? Qu’en est-il enfin du prélèvement de 27 millions d’euros sur le produit de l’octroi de mer qui est opéré depuis 1974 au détriment des communes, de manière unilatérale, sans compensation, là aussi uniquement pour la Guyane ?

Toutes ces questions ne peuvent être résolues au travers de ce projet de loi, les dispositions financières relevant d’un autre véhicule législatif, mais le service minimum assuré par le biais des ordonnances prises ne rend pas optimiste quant à la politique de soutien aux collectivités d’outre-mer. Ces ordonnances sont nécessaires, il faut donc les ratifier ; mais il est également nécessaire et urgent de mener une politique ambitieuse de développement en faveur des outre-mer. La réunion de travail organisée hier par vos soins, monsieur le ministre, nous permet finalement d’être optimistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)