Mme Corinne Bouchoux. Comme nous l’avons déclaré tout à l’heure, nous considérons que l’article 2 introduit une mesure infondée, injuste et inefficiente, même si nous reconnaissons les progrès accomplis sur certains points.

Certains font référence à l’allongement de la durée de vie. Or celle-ci est toute relative. Selon les derniers chiffres de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, de 2008 à 2010, l’espérance de vie sans incapacité est passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes, et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes. Si elle s’était simplement stabilisée, on aurait pu par exemple invoquer des limites physiologiques à sa progression continue ou encore un ralentissement des progrès médicaux. Mais elle recule ! Selon nous, c’est le symptôme d’une société malade : une société qui trouve le moyen de concilier un chômage de masse dévastateur et un mal-être général au travail pour les personnes qui ont la chance d’avoir un emploi ; une société qui se consume dans une course mortifère à la production.

On ne sortira pas d’une telle impasse en adoptant les vieilles recettes du libéralisme, qui ont précisément mené à la crise. Nous l’avons dit, il faut mettre à contribution la sphère financière, même si cela ne suffit pas.

Il faut aussi, selon nous, repenser le travail, son organisation à l’échelle de la société, où il doit être mieux partagé, et à l’échelle d’une vie, où il doit être harmonieusement réparti. Il faut également repenser la répartition des richesses et le sens même de la richesse. Pourquoi l’apport à la société des retraités, qui animent la moitié des associations et représentent le tiers des maires, n’est-il jamais reconnu et valorisé dans tout ce débat ?

Il faut repenser les modes de consommation et de production. Les activités économiques propres à la transition écologique, parce qu’elles pèsent moins sur les ressources et l’environnement, sont plus denses en emplois, d’ailleurs souvent non délocalisables. À nos yeux, c’est là, et non dans un rafistolage fait de rustines et de malheurs, que réside la réponse au besoin de financement des retraites.

C’est donc un changement de modèle, un nouveau paradigme, que proposent les écologistes. L’article 2, bien loin de préfigurer une telle évolution, contribue au contraire à nous enfoncer dans la crise. Nous vous invitons à voter sa suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ces trois amendements ont le même objectif, mais leurs motivations sont diamétralement opposées, en tout cas pour l’un d’entre eux. J’aimerais rappeler un certain nombre d’éléments.

L’article 2 est une composante extrêmement importante de la réforme : il s’agit d’allonger la durée de cotisation progressivement et sans brutalité. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Savary, il y a une différence considérable entre allongement de la durée de cotisation et recul de l’âge légal de départ en retraite.

L’allongement de la durée de cotisation s’inscrit dans le temps. Le recul de l’âge légal, lui, a pour conséquence de faire travailler encore plus longtemps les personnes ayant commencé à travailler jeunes ; il est donc très injuste. C’est d’ailleurs ce que nous avions dénoncé, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, lors de la réforme de 2010.

L’augmentation de la durée de cotisation prévue dans le projet de loi s’accompagne d’un certain nombre de mesures de justice : justice d’abord envers les apprentis, dont les années de formation compteront intégralement pour leur retraite ; justice ensuite envers les femmes et les personnes à carrières saccadées ou heurtées ; justice également envers les étudiants, qui pourront racheter des trimestres d’études qui compteront dans le calcul de leur retraite ; justice enfin envers les stagiaires, puisque l’Assemblée nationale a adopté un certain nombre de mesures les concernant.

Je tenais à insister sur l’importance de cet article, qui permet en outre d’atteindre l’équilibre financier visé par le projet de loi. La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est évidemment également défavorable aux amendements de suppression de l’article 2.

Je le dis clairement, le Gouvernement assume pleinement les dispositions de cet article, qui vise à allonger la durée de cotisation pour disposer d’une retraite à taux plein. Aujourd’hui, nous vivons collectivement plus longtemps. Les jeunes qui s’engagent maintenant dans la vie professionnelle et qui arriveront à l’âge de la retraite après avoir travaillé quarante-trois ans vivront deux ans de plus que leurs grands-parents qui partent en retraite cette année, et en ayant travaillé durant une période moins longue.

Du point de vue du progrès social, l’essentiel est que la période de la retraite s’allonge et que nous puissions en profiter pour nous consacrer à d’autres activités.

On ne peut pas s’engager dans une réforme des retraites en trouvant formidables les avancées sociales et les mesures de progrès qu’elle introduit tout en faisant l’impasse sur les efforts demandés à nos concitoyens.

La réforme constitue un tout. Des efforts s’imposent ; ils doivent être demandés. L’enjeu est que le cap soit le plus juste possible ; cela signifie des efforts répartis entre les différentes catégories de la population et adaptés à la réalité de la vie professionnelle et personnelle. C’est pourquoi nous affirmons que si tout le monde doit travailler plus longtemps, tout le monde ne peut pas le faire dans les mêmes conditions.

M. Claude Domeizel. Absolument !

Mme Marisol Touraine, ministre. Oui, l’allongement de la durée de cotisation est nécessaire ! Mais il doit évidemment être modulé pour tenir compte de la réalité professionnelle de chacun. C’est cela le cœur de la réforme, qui, je le dis avec force, ne serait pas ce qu’elle est sans un appel à l’effort de nos concitoyens.

Madame Lienemann, je ne crois pas que le lieu soit particulièrement bien choisi pour se livrer à l’exégèse des textes d’un parti politique,…

Mme Marisol Touraine, ministre. … même si j’ai beaucoup d’attachement pour les documents du parti auquel j’appartiens.

J’ai directement travaillé au contre-projet de la réforme de 2010 qui a été déposé à l’Assemblée nationale et au Sénat ; je puis vous affirmer qu’il prévoyait l’allongement de la durée de cotisation contre le relèvement de l’âge légal.

Comme l’a souligné Mme la rapporteur, les deux mesures d’âge n’ont absolument rien à voir entre elles.

Mme Marisol Touraine, ministre. Le relèvement de l’âge légal est une mesure toise, rabot, qui s’applique de la même manière pour tout le monde et qui, par définition, fait peser un effort plus grand sur ceux qui ont commencé à travailler jeunes.

La durée de cotisation peut s’apprécier au regard des carrières professionnelles et selon l’âge auquel on a commencé à travailler, car le terme de la carrière n’est évidemment pas le même dès lors qu’il faut cotiser quarante-deux ou quarante-trois annuités. Ce sont donc deux mesures qui n’ont rien à voir.

Le présent projet de loi se situe pleinement dans la continuité des propositions que nous avions défendues contre la réforme de 2010. Je le revendique au nom du Gouvernement, comme je revendique le fait que l’allongement de la durée de cotisation a toute sa place dans une réforme de progrès et de justice. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Parmi les raisons qui justifient le refus de l’allongement de la durée de cotisation figure l’engagement du Président de la République de faire de la jeunesse sa priorité.

Force est de le constater, c’est la jeunesse qui sera la plus pénalisée par l’allongement, pour plusieurs raisons.

Premièrement, contrairement au discours ambiant, selon lequel le travail des seniors serait un bienfait pour l’économie et ne pénaliserait pas la jeunesse, toutes les courbes montrent que la montée en masse du travail des seniors s’accompagne d’une chute de l’emploi des jeunes actifs. C’est donc au détriment de l’entrée dans le monde du travail des plus jeunes que l’on fait travailler les plus âgés. Tant que le chômage touchera en masse les jeunes dans ce pays, il n’y aura aucune raison d’augmenter la durée de cotisation !

Deuxièmement, le départ tardif des jeunes à la retraite, vers 67 ans ou 68 ans, les pénalisera. Toutes les études montrent – je pense à des études anglaises très précises sur ce point – que la productivité des salariés décline fortement à partir de 65 ans, et même dès 60 ans.

Troisièmement, le niveau des retraites sera amputé. Nous le savons bien, l’âge de cessation d’activité ne correspond pas à l’âge légal ou au nombre d’annuités. Aujourd’hui, l’âge de cessation d’activité s’élève à 58,8 ans, contre 61 ans pour l’âge moyen de départ en retraite.

Autrement dit, comme vous le souligniez, madame la ministre, ce sont l'assurance chômage et le RSA qui prennent le relais des retraites pendant ce temps.

Nous ne pensons pas que ce soit là un avenir à proposer à notre jeunesse. Le progrès social ne doit pas s'arrêter parce que le libéralisme a décidé que le monde du travail devait être de nouveau pressuré au profit du capital et que la rente devait être valorisée. Nous pensons donc qu’il était possible, et j’y reviendrai, de faire une réforme sans l'allongement de la durée de cotisation.

Madame la ministre, j’accepte les efforts ! Oui, l'augmentation des cotisations est légitime ! Au passage, on peut s'étonner que les entreprises en soient exonérées et que les salariés la subissent plein pot. Mais passons…

En revanche, dégrader les conditions d'âge de départ en retraite ne me paraît pas conforme à l'idéal de progrès social qui a toujours été celui de la gauche.

Je retire mon amendement, et j’appellerai à voter pour celui de Mme Bouchoux.

M. le président. L'amendement n° 14 rectifié bis est retiré.

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. J'ai écouté très attentivement Mme Cukierman tout à l’heure, et je crois qu’elle a dressé des constats justes. (Mouvements divers sur les travées du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. Je m'inquiète !

M. Philippe Bas. Il est vrai que beaucoup de salariés du privé ne sont plus en activité à la date à laquelle ils font valoir leurs droits à la retraite ; ils sont donc à la charge du régime d'assurance-chômage. Tout comme il est vrai que si l'on décidait que ces personnes doivent partir à la retraite, il faudrait accorder à beaucoup d'entre elles la possibilité de le faire bien avant l'âge de 60 ans.

Or ce ne serait pas sérieux. Procéder ainsi reviendrait à dire que la capacité de production des personnes de 58 ans à 65 ans n’est plus digne d'être prise en considération dans notre société.

Mme Cécile Cukierman. Beaucoup d'employeurs n’en veulent plus !

M. Philippe Bas. Or ce sont des âges où l'on est encore en pleine maîtrise de ses moyens et doté d'une très grande expérience.

Je partage donc le même constat que notre collègue. Mais je n’en tire pas les mêmes conclusions. À mon sens, il faut multiplier les dispositions permettant l'emploi des seniors.

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

M. Philippe Bas. Cela suppose de mener une politique économique favorisant le développement de nos entreprises, donc l'emploi. Je ne la vois pas vraiment à l’œuvre en ce moment…

M. Alain Néri. Vous n’avez pas dû la voir davantage par le passé !

M. Philippe Bas. Il y a un autre élément vrai dans ce que vous avez dit tout à l'heure, madame Cukierman : on ne peut pas vouloir prolonger indéfiniment la durée d'activité.

Certes, dans plusieurs pays – je pense par exemple au Japon –, plus on travaille tard, plus on est en bonne santé et plus on vit longtemps. Mais, comme les années d'espérance de vie que l’on gagne se situent après l'âge de 80 ans, voire pour beaucoup d'entre nous après l'âge de 85 ans, il est tout à fait normal que nos compatriotes s'approchant de leur soixante-cinquième ou de leur soixante-septième anniversaire se disent : « Les années de vie que je gagne sont après 85 ans, mais les bonnes années de retraite sont avant 70 ans ».

Par conséquent, je crois que la logique d'allongement de la durée d'activité doit avoir une limite. Mais, il faut le dire aussi, cette limite n’est pas encore atteinte dans notre pays. En effet, le seuil à partir duquel il faut prendre sa retraite est extrêmement bas par rapport aux pays voisins.

Mme Cécile Cukierman. Les pays voisins ne sont pas forcément des modèles à suivre ! L’Espagne a été franquiste pendant des années !

M. Philippe Bas. Pour ma part, je voterai les amendements de suppression.

D'abord, les dispositions retenues par le Gouvernement n’apportent pratiquement rien. Elles suppriment le dispositif prévoyant de maintenir constant le rapport entre la durée d'activité nécessaire pour avoir une retraite à taux plein et, par ailleurs, l'espérance de vie. Comme celle-ci augmente encore, dit-on, de près d'un trimestre par an, le système actuel fait progresser d'environ un trimestre de cotisation tous les deux ans la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein.

M. Jean-Pierre Caffet. C'est la durée moyenne de retraite qui est visée ; ce n’est pas pareil…

M. Philippe Bas. Or que voit-on dans le texte du Gouvernement ? Une évolution retardée, avec un trimestre de plus tous les trois ans.

On peut évidemment discuter de l'évaluation des effets des deux dispositifs, mais il n’y a pas de différence radicale. Cela nous fait dire que la valeur ajoutée de cette réforme, si elle existe, est extrêmement faible par rapport au dispositif que nous avons adopté voilà quelques années.

Ainsi, à partir de constats qui peuvent conduire à reconnaître le bien-fondé de certaines des interprétations données par Mme Cukierman, nous tirons la même conclusion : il est nécessaire de ne pas adopter l’article 2. Mais, à la vérité, nos motivations sont substantiellement différentes.

Mme Cécile Cukierman. Là, je suis d’accord avec vous ! (Mme Michelle Demessine acquiesce.)

M. Philippe Bas. Vous jugez cet article excessif ; nous le trouvons insuffisant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Caffet. À mon sens, l’article 2 constitue le nœud des sujets qui nous préoccupent et, peut-être, le nœud de la réforme.

M. Bruno Retailleau. Un nœud coulant ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Caffet. Que nous est-il proposé ? De supprimer l’article 2, qui est particulièrement important. Qui le propose ? Le groupe UMP, Mme Lienemann et le groupe écologiste.

J'ai écouté attentivement les arguments du groupe écologiste, et j’avoue que je n’ai pas compris ce qui les poussait à demander une telle suppression.

J'ai aussi écouté l'argumentation du groupe UMP, et celle-là, en revanche, je l’ai comprise ! M. Bas vient de nous le dire : l’article 2 est beaucoup plus protecteur que le dispositif issu de la réforme de 2003, qui obligeait à maintenir un rapport constant entre la durée d'assurance pour obtenir une retraite à taux plein, et la durée de retraite. La réforme a été appliquée. C'est ainsi que la durée de cotisation a augmenté.

M. Bas vient de nous vendre la mèche. Il nous dit que la réforme est trop limitative, puisque nous nous arrêtons à une durée de quarante-trois ans. Et encore : c’est seulement à partir de la génération née en 1973 que le dispositif s’appliquera…

En revanche, si l'on suit M. Bas, selon la loi de 2003, à laquelle il se réfère, le mécanisme continuerait à fonctionner, génération après génération. Et tout le monde connaît les calculs ; on aboutirait à l'obligation, pour la génération née en 1989, de cumuler quarante-quatre ans de cotisations pour partir en retraite à taux plein ! Je soutiens donc l'article 2, qui va beaucoup moins loin que la réforme de 2003.

Par ailleurs, l’article inscrit le mécanisme en cause dans la loi. La réforme de 2003 donnait le pouvoir au gouvernement de décréter, dès lors qu’une génération atteignait 58 ans, sa durée de cotisation. Et, comme je le disais, petit à petit, de génération en génération, on aurait pu arriver ainsi à quarante-quatre ans, quarante-cinq ans et, pourquoi pas, quarante-six ans, voire cinquante ans de cotisation !

M. Jean-Pierre Caffet. La présente réforme est très claire. Nous nous arrêtons à quarante-trois ans. Si l'on veut aller au-delà, il faudra repasser par la loi, donc par un vote du Parlement.

Reconnaissez, chers collègues, que c'est un progrès par rapport à la loi de 2003 ! (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.) Mais oui, madame Cukierman ! Par rapport à la loi de 2003, c’est un progrès !

M. Jean-Pierre Caffet. Regardons la réalité en face : la réforme de 2010 a échoué. Nous sommes tous d'accord pour le constater ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) Et, à l'heure actuelle, les projections du Conseil d'orientation des retraites pronostiquent un déficit de l'ensemble des régimes de l'ordre de 20 milliards d'euros en 2020.

À partir de là, que fait-on ? Je regrette que, compte tenu des dispositions juridiques en vigueur dans ce pays, nous ne puissions pas discuter de l’ensemble des mesures de cette réforme. Certains éléments relèvent du complémentaire ; d’autres, comme la fiscalisation de la majoration des pensions, relèvent du projet de loi de finances. Ce qui relève de ce projet de loi, c'est principalement la durée de cotisation.

J’en ai l'intime conviction : si toutes les dispositions avaient figuré dans la loi, les mêmes amendements, portés par les mêmes signataires, auraient abouti à mettre la réforme en pièces, et une majorité se serait dégagée pour ne créer aucune recette pour les régimes de retraite.

Alors, nous sommes face à un choix. Faut-il laisser filer les déficits ? Faut-il les transférer à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES ? Doit-on reporter la charge des déficits et de la dette sur les générations futures ? Que n’ai-je entendu, hier ! Les propos étaient très forts, extrêmement émouvants ; il était question de pacte national autour des retraites, de solidarité intergénérationnelle…

M. Jean-François Husson. C'est toujours d'actualité !

M. Jean-Pierre Caffet. Qu’en reste-t-il avec ces amendements ? Rien, hormis le refus de regarder la situation en face et un report de la charge de la dette sur les générations futures. Car c’est bien à cela que conduit le rejet de telles recettes ; personnellement, je m'interdis d’aller en ce sens.

Chère Marie-Noëlle Lienemann, j’aurais aimé discuter de ce que vous indiquez dans l'exposé des motifs de votre amendement, à propos de l'incertitude sur les années à venir.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le sénateur.

M. Jean-Pierre Caffet. Il me semble que vos propos ont dépassé ce cadre, ma chère collègue. Mais je voulais vous remercier de ce que j'ai entendu dans votre explication de vote : il n’est jamais trop tard pour se réclamer du Président de la République...

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Le groupe CRC votera sans surprise pour la suppression de l’article 2.

C’est tout à fait logique. Dans nos interventions précédentes, nous avons souligné et dénoncé l'injustice des nouvelles mesures d'augmentation de la durée de cotisation. Il ne peut pas y avoir de justice dans une telle décision. Je pense en particulier aux jeunes ; que vous le vouliez ou non, vous vous apprêtez à les faire travailler au moins jusqu’à 66 ans. En plus, c’est inefficace, y compris au plan économique ; les expériences passées l'ont suffisamment démontré.

Nous avions prévu de remplacer cette disposition par une autre, plus juste et plus efficace pour les comptes sociaux : l’instauration d’une modulation de cotisations sociales en fonction de la politique salariale de l’entreprise.

Je ne développerai pas ce point, mais je tiens quand même à souligner que d'autres solutions sont possibles pour aller chercher les 20 milliards d'euros dont notre collègue vient de parler sans en faire peser la charge sur les jeunes générations. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Mais je constate que vous n’écoutez pas ce que nous disons…

En effet, comme nous le proposions dans notre amendement, il est possible de procéder tout à fait différemment. Je vous invite à regarder l'évolution des cotisations sociales patronales depuis le début des années quatre-vingt : personne ne peut nier qu’elles n’ont eu de cesse de décroître, alors que la part de la richesse créée dans l'entreprise et destinée à la rémunération du capital n’a, elle, jamais cessé d'augmenter.

Ce recul de société que vous nous proposez n’est donc qu’une conséquence du refus de prendre les mesures nécessaires pour une plus juste répartition des richesses créées par les salariés.

Je crois aussi qu’il faut vous interroger sur l'efficacité de nos politiques publiques.

En 2010, la France a consacré près de 20 milliards d’euros, soit plus de 1,2 % de son produit intérieur brut, au financement de mesures d’exonération de cotisations sociales patronales sur les bas salaires. Cette action, présentée comme étant de nature à favoriser l’emploi, est le volet budgétaire le plus important de toutes les politiques menées en faveur de l’emploi dans notre pays, avec les résultats, constatés par la Cour des comptes, que vous connaissez.

En outre, de telles exonérations agissent comme des trappes à bas salaires, entraînant une baisse encore plus forte des cotisations entrant dans les caisses de retraite. Par leur caractère massif, elles contribuent également à faire pression sur le niveau des salaires. Les cotisations sociales étant également assises sur ceux-ci, la sécurité sociale est perdante une deuxième fois.

Conclusion, si le Gouvernement, au lieu d’adopter une mesure injuste, frappant exclusivement les salariés, en particulier les plus fragiles, en avait véritablement la volonté, il pourrait opter pour une solution efficace économiquement, pertinente en matière de politique de l’emploi et juste socialement : l’instauration d’une modulation des cotisations sociales acquittées par les entreprises. Les entreprises favorisant l’emploi et la formation bénéficieraient d’une réduction de leur taux de cotisation, tandis que celles qui privilégient la rémunération du capital au détriment d’une politique salariale juste se verraient appliquer des cotisations salariales plus importantes.

En d’autres termes, nous mettrions en place un dispositif de cotisations sociales « intelligentes ». Mais, chers collègues socialistes, depuis le temps où nous vous proposons une politique intelligente permettant de réorienter l’argent vers l’économie réelle plutôt que vers la finance, vous ne nous écoutez pas…

Ne déduisez pas de notre vote sur ces amendements que nous souhaitons le statu quo. Le financement des retraites, nous l’avons dit, dépend avant tout d’un choix de société : soit l’on fait payer le travail, c'est-à-dire les salariés actifs et les retraités, soit l’on fait payer le capital. Pour notre part, nous faisons le choix de mettre à contribution les revenus financiers des entreprises au même niveau que les salaires.

Nous regrettons de ne pas pouvoir développer nos propositions – de toute façon, on ne nous écoute pas –, mais nous voterons les amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

M. Claude Domeizel. Étant intervenu précédemment pour exprimer la position du groupe socialiste sur l’article, je souhaite à présent prendre la parole, comme le permet notre règlement, pour expliquer mon point de vue personnel.

J’assume entièrement mon choix de voter contre les amendements de suppression. Je suis pour le maintien de l’allongement de la durée de cotisation.

Je ne pense pas que l’on puisse me taxer de ne pas être un homme de gauche. Je suis un homme de gauche, et personne ne pourra le contester ! Le lieu où j’ai grandi, la famille dans laquelle j’ai été élevé et les événements, notamment les grèves, auxquels j’ai assisté m’ont conduit à choisir très jeune de militer à la Section française de l’internationale ouvrière, la SFIO. Tout cela a fait de moi un homme de gauche.

Mais être un homme de gauche signifie-t-il qu’il faille laisser les régimes de retraite aller à vau-l’eau face à la difficulté ? Non ! Je souhaite que nous nous donnions tous les moyens pour atteindre l’équilibre des régimes, non pas dans notre intérêt, mais dans celui des jeunes. C’est pourquoi je voterai contre les amendements de suppression.

Je profite toutefois de l’occasion pour répondre à celles ou ceux qui ont affirmé que c’était la première fois qu’un gouvernement de gauche prenait une telle mesure.

Parmi les moyens à notre disposition se trouvent l’allongement de la durée de cotisation et le report du départ à la retraite, deux solutions proches, mais qui présentent quelques différences, comme je l’ai expliqué dans la discussion générale.

Mes chers collègues, l’âge de la retraite est passé de 60 ans à 65 ans en 1945. Or je ne pense pas que l’on puisse dire de ceux qui ont pris une telle décision – Alexandre Parodi, Ambroise Croizat ou d’autres – qu’ils n’étaient pas des hommes de gauche. Pour pouvoir maintenir le régime par répartition, il leur fallait faire ce choix d’un report de l’âge de départ à la retraite de 60 ans à 65 ans. Il me semblait tout de même important d’apporter cette précision historique. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Je voudrais à mon tour expliquer pourquoi notre groupe votera ces amendements de suppression, les arguments que j’avancerai étant convergents avec ceux de Marie-Noëlle Lienemann et Corinne Bouchoux.

J’écarte d’emblée l’argumentaire de la droite, qui nous délivre depuis le début du débat un grand numéro d’hypocrisie ; depuis 1993, avec le gouvernement d’Édouard Balladur, elle n’a eu de cesse de faire systématiquement reculer le droit à la retraite, son seul objectif en la matière. D’ailleurs, si elle en avait le pouvoir, elle proposerait encore bien pire que l’article 2, dont elle demande la suppression.

Chers collègues de l’opposition, vous êtes capables à la fois de reculer l’âge légal de la retraite et d’allonger la durée de cotisation. Avec vous aux manettes, nous n’aurions même pas le choix entre l’une ou l’autre de ces solutions : vous mettriez les deux en œuvre ! Vous l’avez déjà fait. D’ailleurs, c’est bien ce que l’ensemble des forces de droite cherchent à faire à l’échelle européenne : porter l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, en France et dans les autres pays européens. Il est donc bien évidemment impensable que nous rejoignions un seul de vos arguments.

Prenons, par exemple, votre idée selon laquelle le dynamisme des entreprises justifierait l’allongement de la durée de cotisation. Vous ne nous avez toujours pas expliqué pourquoi, après des décennies d’augmentation de la durée de cotisation, le chômage ne cesse de progresser. Voilà qui mériterait tout de même des réponses...

Monsieur Caffet, vous affirmez que tout ira beaucoup mieux qu’en 2003. Mais vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, vous en reviendrez à cette question très simple : avec cette réforme, les salariés partiront-ils à la retraite plus tôt, au même âge ou plus tard que ce que prévoyait la réforme adoptée, en 2010, sous Nicolas Sarkozy ? Les salariés font leur compte et ils ont très bien compris qu’ils partiront en grande majorité plus tard, avec des pensions dégradées. C’est pour cela que la popularité du Gouvernement, et je ne m’en réjouis pas, est actuellement si basse parmi ceux qui l’ont élu…

L’argument relatif à l’allongement de la durée de vie ne tient pas plus la route ; nous l’avions déjà démontré quand nous discutions face à la droite en 2010. En effet, la dégradation constante des conditions de départ à la retraite aura à un moment donné des conséquences sur l’espérance de vie. On le voit déjà dans certains pays d’Europe, où cela contribue, avec le développement de la crise sociale, le chômage et la précarité, à fragiliser cette espérance de vie. L’allongement de la durée de vie n’est en aucun cas un phénomène constant : il dépend aussi des conditions sociales créées pour les salariés. Et une trop forte dégradation de la situation aura des effets à cet égard.

Madame la ministre, vous avez évoqué une réforme de « justice ». Mais vous omettez un élément, que Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs annoncé – il l’avait oublié ! – quelques jours après la réforme : toutes les hausses de cotisation affectant les entreprises seront compensées. Par conséquent, cette réforme ne leur coûte rien, l’intégralité de l’addition étant payée par les salariés, dans le cadre de la réforme des retraites, et, plus tard, par le biais de nouveaux allégements qui leur seront proposés, notamment en matière d’allocations familiales. C’est donc une réforme injuste et financée de manière inéquitable !

Enfin, cet article 2 n’est pas un article clé, comme je l’entends dire. C’est au contraire un article verrou : alors que vous aviez la possibilité de rouvrir le débat que la droite avait fermé en 2010, vous avez utilisé l’allongement de la durée de cotisation pour verrouiller la discussion et empêcher tout débat sur les autres solutions. En effet, si l’on n’avait pas considéré une telle option comme devant obligatoirement être retenue, nous aurions été contraints de travailler sur d’autres possibilités et, en particulier, d’échanger autour de nos propositions de taxation des revenus financiers des entreprises et de modulation des cotisations.

Une fois encore, nous manquons une occasion d’engager un réel débat sur d’autres pistes de financement que celles qu’on nous ressert à chaque réforme des retraites depuis maintenant quinze ans, avec les mêmes résultats : un recul du droit à la retraite sans solution durable en matière de financement des régimes. C’est ainsi que, tous les cinq ou dix ans, nous repartons pour un tour, en aggravant sans cesse la situation.

Nous pouvions ouvrir le débat sur les autres solutions ; cet article, dont la suppression est soumise au vote, a servi à fermer la discussion. C’est bien dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)