M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, concertation, simplification et adaptation sont les marques de ce projet de loi qui, sur le plan politique, devrait apporter des réponses précises aux opérateurs de terrain ainsi qu’aux élus de proximité. Il présente en outre l’intérêt particulier de tendre à consolider les expériences antérieures, sans contraindre à de nouvelles prises de responsabilités locales, en prévoyant des contenus et un calendrier mieux adaptés, qui seront un gage d’efficacité pour la politique de la ville de type nouveau qu’il inaugure.

Le volet hexagonal a été largement évoqué, à travers le meilleur du texte de la commission. Une singularité émerge cependant : l’état de la politique de la ville dans les outre-mer.

Certes, la mise en œuvre de quarante CUCS, de trente-quatre ZUS, de sept ZFU ou encore de vingt-trois conventions PRU en outre-mer tend à donner à croire que les villes concernées connaissent des problèmes analogues à ceux de tous les quartiers sensibles et relèvent des mêmes réponses. Or la politique de la ville dans nos quartiers se caractérise, comme vous avez pu le constater lors de votre passage en Guyane, monsieur le ministre, par un immense chantier et se heurte à des difficultés accrues.

Ce chantier est celui de la réhabilitation urbaine, toujours nécessaire tant l’habitat précaire est largement répandu : habitat informel – qualifié parfois de spontané – qui se forme très rapidement aux abords comme au centre des villes, quartiers d’habitat précaire qui ont déjà fait l’objet d’une restructuration partielle, quartiers insalubres apparus à proximité des périmètres déjà traités ou encore « quartiers durcis », anciennement en bois ou en tôle, qui ont conservé leur configuration initiale.

La question de la rénovation urbaine, de l’aménagement du territoire se double de celle de l’habitat. Sur un parc de 500 000 logements, plus de 100 000 peuvent être considérés comme indécents ou insalubres.

La lutte contre l’habitat indigne afin d’améliorer les conditions de vie des habitants, telle est actuellement l’action prioritaire de la politique de la ville dans les outre-mer.

Les difficultés ne manquent pas : la première est la capacité de financement limitée des collectivités territoriales. À Mayotte par exemple, les communes ont théoriquement, depuis cette année, une fiscalité propre, mais avec un potentiel fiscal faible et sans cadastre, sa mise en œuvre est hypothétique.

Or la construction de logements et, de manière générale, la régénération urbaine requièrent une participation financière minimale des collectivités locales pour être éligibles aux programmes d’action nécessaires mais laissés à l’état de projets à cause de ces carences financières.

L’exposition aux risques naturels, ensuite, concerne de 30 % à 80 % de la population selon les territoires. Le cyclone Bejisa, à La Réunion, illustre la terrible actualité de cette situation, mais les risques sismiques sont aussi présents, comme aux Antilles, alors que, en Guyane, la très forte humidité entraîne une dégradation accélérée des constructions et que les pluies provoquent régulièrement des glissements de terrain.

Une autre difficulté tient au fait que les besoins spécifiques de développement économique sont difficiles à isoler. Le tissu économique dans les outre-mer est extrêmement fragile, et la situation particulière d’un quartier ou d’une zone sensible est largement diluée dans un contexte économique et social dominé par un taux de chômage supérieur à 20 % aux Antilles et en Guyane, proche de 30 % à La Réunion, tandis qu’il atteint, pour les jeunes, 46 % en Guadeloupe et jusqu’à 60 % à La Réunion. De surcroît, en Guyane, 80 % de la population satisfait aux conditions de ressources pour l’accès au logement locatif social.

Les problèmes de sécurité sont encore plus graves en outre-mer que dans l’Hexagone : les trois départements des Antilles et de la Guyane comptent parmi les cinq départements où les atteintes volontaires à l’intégrité physique sont le plus fréquentes.

Je ne m’étendrai pas sur les problèmes de sécurité sanitaire spécifiques aux outre-mer. La question de l’accès de tous à l’éducation se pose encore de manière aiguë dans des départements à fort développement démographique, en raison soit d’un taux de natalité élevé, soit d’une immigration importante.

Enfin, en dépit de ce que peuvent faire apparaître ces indicateurs installés dans le rouge, l’absence de données fiables sur les populations des outre-mer rend encore plus difficile l’identification précise des quartiers sensibles devant relever prioritairement de la politique de la ville. Si la situation globale est assez bien connue, le pilotage du soutien à ces territoires suppose un outillage statistique efficace, précis et capable de suivre les évolutions rapides.

Les réponses proposées aux singularités ultramarines au travers de ce projet de loi sont modestes mais pragmatiques. À la marge de l’opération de simplification de la politique de la ville en métropole, la politique de la ville dans les outre-mer est marquée par une ambition identique en termes d’objectifs, tout en s’adaptant aux particularismes, aux réalités de chacun de ces territoires.

Vous avez ainsi entendu, monsieur le ministre, que les communes peuvent souvent être, dans les départements d’outre-mer, l’échelon adéquat pour mener la politique de la ville. Les vingt-deux communes du département de Guyane sont regroupées en intercommunalités. Pourtant, dans la communauté des Savanes, la distance entre les centres urbains de Kourou et de Sinnamary – dont les problématiques et les densités sont tout à fait différentes – est de soixante kilomètres, celle entre Kourou et Iracoubo de quatre-vingts kilomètres et celle entre Kourou et Saint-Élie de cinquante kilomètres, répartis par moitiés entre une piste de terre et un grand lac : la réalité géographique du territoire empêche de retenir l’intercommunalité comme échelon pertinent pour la politique de la ville. Le maire de Pamandzi, à Mayotte, a témoigné, lors de la table ronde sur la politique de la ville en outre-mer que vous avez organisée voilà exactement un an, monsieur le ministre, que penser l’intercommunalité est largement prématuré, tant les communes ont encore besoin de se construire.

Mais vous avez laissé ouverte la mise en œuvre de la disposition commune, puisque retenir l’échelon intercommunal reste une option lorsque cela est possible : la communauté d’agglomération du centre de la Martinique, dont fait partie Fort-de-France, compte déjà au nombre de ses compétences la politique de la ville, et il est tout à fait possible qu’il en aille de même pour la communauté d’agglomération du centre littoral de la Guyane, à laquelle appartient Cayenne et qui regroupe la moitié de la population du département.

Ce pragmatisme est bienvenu, tout comme celui qui régit la délimitation des zones sensibles : ce ne sont pas seulement les écarts de revenu entre habitants qui permettent de délimiter les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; des critères sociaux, démographiques, économiques ou encore relatifs à l’habitat interviennent aussi.

Cette prise en compte de la singularité des outre-mer permet ainsi de ne pas classer la quasi-totalité du territoire de certains départements en quartiers prioritaires, et surtout de s’adapter à l’absence de données précises sur des populations très précaires et aux évolutions rapides des territoires, ainsi qu’aux nécessités spécifiques à chacun d’eux.

L’actualisation trisannuelle manifeste encore le souci d’adapter la politique de la ville aux vérifications fréquentes du rythme de réalisation des opérations et au développement de ces territoires. Elle ne doit cependant pas remplacer la prospective à long terme qui doit animer une politique de la ville aussi ambitieuse qu’en métropole.

Ainsi, monsieur le ministre, confrontés à une problématique exacerbée du mal-développement, les départements d’outre-mer auront, avec ce texte, la garantie de l’adaptabilité du cadre national aux réalités territoriales, une adaptabilité indispensable pour les DOM, au sein de laquelle l’intelligence locale et la participation des citoyens devraient prendre toute leur place.

Le financement de la politique de la ville dans les outre-mer reste inchangé. C’est une question complexe, qui mêle au programme national de renouvellement urbain, intervenu tardivement dans les outre-mer, la ligne budgétaire unique et des mécanismes de défiscalisation. En prévoyant des dispositifs spécifiques pour les outre-mer, la future dotation budgétaire de péréquation pour la politique de la ville témoigne encore de votre volonté d’adaptation aux différentes réalités de nos territoires.

Je serai cependant vigilant : la future dotation « politique de la ville » ne doit pas permettre la disparité que créent les mécanismes actuels de péréquation, puisqu’ils fondent une différence inacceptable de 30 euros par habitant selon qu’il s’agit d’un quartier sensible de métropole ou d’un territoire d’outre-mer.

Je regrette aussi que la question du foncier n’ait pas été abordée dans le texte. Lorsque la difficulté majeure est celle du logement et que 90 % des territoires ultramarins sont la propriété de l’État, le coût de l’habitat résulte non pas seulement de celui des matières premières, mais aussi de celui du terrain. Il aurait fallu et il faudra trouver les outils pour que l’État libère les parcelles nécessaires au développement urbain.

Enfin, la politique de la ville est un moteur majeur du développement dans les outre-mer, par l’apport de financements. Le développement économique dans le secteur de la construction est primordial. Cela étant, la politique de la ville dans les outre-mer, si proche des politiques de droit commun pour le développement local, ne peut tout changer. En définitive, sa spécificité est de concilier le territoire, l’urbain et l’humain. Elle permet le renforcement du lien social et des solidarités entre voisins, encore présents dans les outre-mer, mais malheureusement si facilement mis à mal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est à Roubaix, trois mois après la parution du rapport de la Cour des comptes, qu’a débuté cette formidable aventure : une concertation nationale suivie d’un texte de simplification.

M. Claude Dilain, rapporteur. C’est vrai !

M. René Vandierendonck. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Cour des comptes appelait cette simplification de ses vœux. Elle avait notamment dénoncé la très grande complexité des zonages et la multiplication de procédures « stratifiées et mal articulées ».

Les précédents orateurs l’ont tous souligné, le choix d’un critère unique – à savoir le revenu par habitant – appuyé sur une méthodologie plus fine – reposant sur le carroyage – répond à la fois à un objectif de simplicité et d’objectivité. Il évite par ailleurs de restreindre le débat aux zones urbaines denses et garantit une véritable équité territoriale. (M. le ministre opine.) J’en donne acte au Gouvernement !

Cependant, en ce qui concerne l’efficacité de ce dispositif, le ministre de la ville pourrait-il faire valoir que, si le périmètre du problème est le quartier, celui de la solution peut être l’intercommunalité ?

M. René Vandierendonck. Est-il possible d’articuler les deux échelles territoriales ? Le présent texte y parvient, en grande partie grâce à l’excellent rapport de Claude Dilain, aux côtés duquel nous avons tous beaucoup appris. M. le rapporteur a placé les curseurs au bon endroit, c’est-à-dire au niveau de l’articulation entre proximité et cohérence territoriale.

M. René Vandierendonck. À propos de cohérence territoriale, je l’avoue en toute franchise : je n’aurais pas cru que M. le ministre parviendrait à conclure des conventions avec d’autres ministères, par lesquelles ceux-ci s’engagent à mobiliser le droit commun et à l’adapter aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

M. Claude Dilain, rapporteur. Eh oui !

M. René Vandierendonck. En effet, monsieur le ministre, tous ceux qui connaissent ce dossier le savent bien, jusqu’à présent toute politique de la ville s’accompagnait de crédits spécifiques, ce qui signifiait la disparition des crédits de droit commun… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste –Mme Mireille Schurch applaudit également.)

M. René Vandierendonck. Parvenir à ressusciter cette grande et ancienne règle du service public qu’est le principe d’adaptation, c’est fort !

Néanmoins, cela pourrait être plus fort encore. À cet égard, je déplore que l’on ait traîtreusement opposé l’irrecevabilité à un amendement relatif à la mobilisation prioritaire du droit commun sur la question de l’éducation.

Cet amendement avait pour objet de rappeler au Gouvernement quelques réalités.

Chacun le sait, la région Nord-Pas-de-Calais bat des records en termes de décrochage scolaire, en particulier dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Pour quelqu’un qui, comme moi, doit beaucoup à l’éducation nationale, il est difficile d’accepter ce constat : lorsque l’on veut mettre en place un dispositif expérimental, recruter une équipe pédagogique sur projet ou associer formation en alternance et formation initiale, on se heurte à d’immenses obstacles. Au mieux, on en revient aux initiatives engagées par Édith Cresson à Marseille ou ailleurs avec les écoles de la deuxième chance, on peut faire appel à des fondations privées ou mobiliser quelques crédits européens.

Monsieur le ministre, notre sort est entre vos mains (M. le ministre sourit.) : l’irrecevabilité ayant été opposée à notre amendement, seul le Gouvernement peut le reprendre, afin de permettre des expérimentations dans le cadre du droit commun sur le volet éducatif !

Par ailleurs, Mme Létard l’a bien dit en commission : n’oubliez pas la prévention, n’oubliez pas l’offre de soins ! L’hôpital public est, dans bien des villes, le premier employeur. Dans les quartiers le plus en difficulté, il représente encore la quintessence du service public. Je ne vois pas pourquoi l’hôpital public, ses moyens, les conditions dans lesquelles on lui permet de fonctionner et d’embaucher ne seraient pas au cœur d’une contractualisation relevant de la politique de la ville.

J’ai déjà défendu des amendements, dans le passé, et j’en défendrai encore, avec opiniâtreté, pour alerter sur le point suivant : aujourd’hui, certains services déconcentrés de l’État échappent très largement à l’autorité des préfets. Je pense notamment à l’’éducation nationale et à la santé.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Il y en a d’autres !

M. René Vandierendonck. Il serait important d’améliorer la situation en la matière.

Je formulerai maintenant quelques remarques sur le développement économique, très souvent négligé dans les programmes d’action relevant de la politique de la ville.

À cet égard, on invoque volontiers les zones franches urbaines. À Roubaix, où la crise du textile nous a frappés de plein fouet, nous faisant perdre 5 500 emplois, j’ai été interrogé cinq ou six fois au sujet de ce dispositif : il n’y a jamais eu de véritable pilotage, de la part de l’État et des différentes administrations, ce qui est bien regrettable.

Cela étant, les zones franches urbaines peuvent fonctionner, à condition de s’inscrire dans une politique économique adaptée. Par conséquent, je n’enterre pas ce dispositif.

Par ailleurs, l’amélioration de la mobilité est un impératif pour les personnes à la recherche d’un emploi. Dans des zones où le chômage est trois ou quatre fois supérieur à la moyenne nationale, il faut commencer par dire aux demandeurs d’emploi qu’ils doivent être prêts à bouger, car ils ne trouveront pas nécessairement un travail dans leur quartier. À cet égard, la mobilité est un chantier à part entière.

De surcroît, il importe que ceux qui ont pour mission de favoriser l’implantation d’entreprises agissent dans une logique de croissance inclusive, en s’intéressant non seulement au nombre d’emplois créés, mais aussi aux typologies d’emplois créés et à la possibilité de les rendre accessibles aux demandeurs d’emploi du quartier par le biais de la formation professionnelle.

Par ailleurs, au travers de ce projet de loi, le Gouvernement fait le choix de relancer l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, l’EPARECA. Soit ! Toutefois, dans ma région, je n’ai jamais vu l’EPARECA faire davantage que ce qu’une société d’économie mixte aurait été en mesure de réaliser. Cela étant, peut-être est-il envisagé de doter cet organisme de nouveaux moyens et d’en faire une sorte d’établissement public foncier, spécialisé dans la revitalisation commerciale ?

En définitive, le véritable enjeu est d’inciter les investisseurs privés à s’implanter dans des secteurs où ils ne vont pas aujourd’hui. Pour le financement du moindre investissement immobilier dans les quartiers prioritaires, n’importe quelle banque exige, avant de consentir un prêt, qu’au moins 80 % des fonds propres soient déposés sur la table.

La mise en place de sociétés d’investissement régionales, comme celle qu’a créée la Caisse des dépôts et consignations dans ma région peut être une solution à cet égard. En outre, j’aimerais vivement que vous nous en disiez davantage, monsieur le ministre, sur le rôle en matière de co-investissement de l’ANRU Développement, future filiale de l’ANRU, pour accompagner et sécuriser des investissements public-privé sur la durée.

D’une manière générale, il faut, j’en suis convaincu, continuer à expertiser les conditions dans lesquelles nous pourrons faire revenir les investisseurs privés dans ces quartiers. En effet, c’est le seul moyen de garantir dans la durée les investissements que l’ANRU consent et d’assurer cette fameuse égalité des territoires, que chacun appelle de ses vœux !

En attendant ces jours meilleurs, à l’avènement desquels nous devons travailler, il faut se pencher sur l’économie sociale et solidaire. Curieusement, le présent texte n’en dit pas grand-chose.

M. Marc Daunis. C’est très vrai !

M. René Vandierendonck. Il s’agit pourtant d’un véritable sas, dans l’attente des formations et des emplois en CDI en entreprise. Je souhaite que les textes à venir traduisent les orientations récemment présentées par le ministre Benoît Hamon dans cet hémicycle.

Quoi qu’il en soit, je salue le travail qui a été accompli sur ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Lamy, ministre délégué. Avant tout, je tiens à remercier les différents orateurs de la qualité de leurs interventions, des interrogations qu’ils ont développées et des constats qu’ils ont dressés. Je m’efforcerai de répondre aux principales questions abordées, ce qui nous permettra peut-être d’examiner ensuite les amendements avec une plus grande rapidité.

Premièrement, je reviendrai sur le critère unique de la géographie prioritaire.

Certains le savent déjà pour avoir attentivement suivi les débats que l’Assemblée nationale a consacrés au présent texte : la publication de la liste des futurs quartiers prioritaires a fait l’objet de demandes répétées de la part de certains députés. Cela confinait presque au running gag ! Toutefois, une telle publication n’était ni possible ni souhaitable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a privilégié un critère unique et englobant. J’insiste sur ce point. D’autres critères ont été envisagés, comme le taux de chômage, le nombre de familles bénéficiant des aides personnalisées au logement – les APL –, le nombre d’étrangers résidant dans un quartier ou encore d’autres facteurs habituellement pris en compte en matière de politique de la ville. Or les simulations menées sur plusieurs agglomérations nous ont permis d’observer que l’indicateur du revenu par habitant englobe de 85 % à 90 % des cas.

Il s’agit là d’un critère unique, totalement objectif, que l’on ne peut pas moduler selon d’autres facteurs – y compris la couleur politique du maire ! Les « vraies » ZUS, celles qui ont été établies en 1996 sur la base des importantes difficultés auxquelles les communes se heurtaient et où la situation n’a, hélas ! pas évolué, seront presque toutes prises en compte par ce biais.

Vous le constaterez en étudiant les cartographies, grâce à ce critère unique très fin, grâce à la nouvelle technique du carroyage, c’est une nouvelle ère qui s’annonce, non seulement pour la politique de la ville mais aussi pour nombre d’autres politiques publiques. Cette méthode permettra de cibler les concentrations de pauvreté avec une grande précision.

L’objectif d’un critère lisible, englobant et totalement transparent est donc atteint. Cela étant, je ne peux publier la liste des territoires concernés avant que le Parlement ait adopté cette disposition !

Deuxièmement, ces simulations s’appuient sur un carroyage, c'est-à-dire une division du territoire national en petits carreaux de deux cents mètres de côté, auxquels est affecté le critère unique. Quand le Parlement aura adopté ce principe, il sera nécessaire d’effectuer des allers et retours entre l’État et les élus, car nos territoires ne recoupent pas exactement cet assemblage de petits carrés. Il nous revient donc de redessiner l’ensemble de la carte en tenant compte de la réalité du terrain. Il peut arriver, par exemple, que nous repérions une concentration, mais qu’une petite partie de la cité ou du quartier se situe dans le carré adjacent et ne soit pas détectée.

Je souhaite donc procéder à ces échanges entre préfets et élus après l’adoption du texte, et juste après les élections municipales. Non parce que je craindrais que, d’un coup, les élus se rebellent, mais simplement parce que je les connais : j’ai été maire pendant onze ans, et président de communauté d’agglomération. En ce moment, ils préparent les élections municipales et sont concentrés sur cela, puis ils seront mobilisés par la constitution des exécutifs des intercommunalités et des syndicats intercommunaux. Cela se passe sans doute toujours comme je l’ai vécu !

S’ouvrira alors une période d’environ deux mois durant laquelle ces échanges avec les élus prendront place, de manière à bien inclure tous les espaces concernés. Le Gouvernement a, certes, la volonté de se concentrer sur les quartiers qui rencontrent le plus de difficultés, mais il souhaite également n’en oublier aucun.

Nos simulations s’attachent aujourd’hui à des quartiers comptant au moins 1 000 habitants. Je ne souhaite cependant pas, ainsi que vous le lirez dans le décret qui suivra l’adoption du texte, qu’un quartier soit laissé de côté au prétexte qu’il ne comporterait que 950 habitants : nous nous accorderons suffisamment de souplesse pour qu’aucun quartier ni aucune ville ne soit oublié.

Il ne serait pas bon de publier maintenant une liste de villes concernées, qui serait nécessairement provisoire : nous risquerions d’en oublier. Je souhaite donc que le travail parlementaire aille à son terme, afin d’entamer ensuite ce processus d’allers et retours.

Des maires m’écrivent pour me faire part de leur inquiétude de voir leur commune exclue de la politique de la ville, mais, dans 99 % des cas, elle sera maintenue dans ce périmètre. En effet, ont été inclus dans le champ de la politique de la ville des territoires dont les difficultés n’étaient sans doute pas aussi intenses qu’ailleurs, parfois parce que c’était devenu nécessaire.

Je raconte souvent comment ma commune est entrée dans le champ de la politique de la ville : j’avais trouvé absolument inacceptable que la commune d’à côté soit incluse et pas la mienne. J’ai donc entamé des discussions avec le préfet afin de toucher quelques maigres crédits de la politique de la ville, soit, chaque année, entre 35 000 et 85 000 euros, pour un budget de 53 millions d’euros.

Concernant les contrats urbains de cohésion sociale, les experts en la matière savent très bien que les quartiers de priorité 2 et, surtout, de priorité 3 ne sont pas réellement des quartiers cibles de la politique de la ville, sur lesquels il serait nécessaire de concentrer des moyens. Le critère unique va donc nous permettre de simplifier la situation en identifiant de nouveau les quartiers au bénéfice desquels l’ensemble des politiques publiques, de l’État ou des collectivités locales, devront être mobilisées.

Je l’ai dit à l’Assemblée nationale et je le répète au Sénat, tous les élus qui souhaitent prendre connaissance des simulations concernant leur ville sont les bienvenus au ministère de la ville, où ils pourront consulter la carte et discuter avec mes collaborateurs, de façon que, d'ores et déjà, le processus d’échanges débute. J’ai accueilli ce matin même M. Jean-Claude Gaudin, qui m’a paru très satisfait de constater que la carte correspondait à sa connaissance de la situation sociale de sa ville. Je crois même lui avoir permis de découvrir de nouveaux quartiers en difficulté.

En réalité, donc, la liste ne sera pas arrêtée par le ministre, mais bien déterminée par la situation sociale des quartiers. Il ne sera donc plus possible d’affirmer que les quartiers concernés par la politique de la ville sont définis selon la couleur politique du ministre.

Concernant les changements de zonage, j’indiquerai, pour répondre au président de la commission des affaires économiques, que les choses sont parfaitement claires : l’ensemble des exemptions et exonérations attachées aux zones urbaines sensibles seront transférées aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce point ne fait l’objet d’aucune ambiguïté.

Au sujet de la géographie prioritaire, évoquée par M. Esnol, et des inquiétudes exprimées concernant l’organisation de la gouvernance entre l’intercommunalité et les maires, il est vrai que cette question a été prioritairement abordée à l’Assemblée nationale, afin de définir le bon positionnement. À mon sens, nous l’avons maintenant trouvé.

Comme vient de le dire excellemment René Vandierendonck, on ne peut travailler efficacement sur son quartier que s’il est inséré dans sa ville, et sa ville dans le territoire, celui du bassin de vie, le territoire intercommunal. L’intercommunalité est donc l’échelon pertinent pour les politiques structurantes : le désenclavement par les transports, qui est un élément majeur de la problématique de nos quartiers ; le diagnostic préalable, avec la possibilité, à cette échelle, de se doter des meilleures compétences ; enfin, le développement économique, qui me tient à cœur et doit devenir le moteur du développement de ces quartiers et de leur sortie « par le haut ». Il est également facteur de lien social et d’innovation.

L’innovation sociale et l’économie sociale et solidaire enclenchent un mouvement, ainsi que je le soulignais avec Benoît Hamon et Cécile Duflot il y a deux jours, alors que nous primions les premiers pôles territoriaux de compétence économique dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. L’innovation sociale doit servir au développement économique, et inversement.

C’est donc bien au niveau intercommunal que cela se fera, le maire étant, bien entendu, chargé de la mise en œuvre des actions de cohésion sociale et de rénovation urbaine sur le territoire qu’il connaît le mieux.

Si la loi oblige, comme c’est maintenant le cas, à ce que soient clairement définis les rôles respectifs des maires et du président de l’intercommunalité, la vie vient, après la loi, imposer ses logiques ! Dans la pratique, d’après mon expérience de président d’une communauté d’agglomération comptant de très petites communes, de 500 ou 600 habitants, et une commune plus importante, de 35 000 habitants, après un certain temps on s’entend par-delà les clivages politiques afin d’organiser le « bien vivre ensemble » entre collectivités et d’établir les rôles des uns et des autres dans la mise en œuvre de la politique intercommunale.

Je n’ai pas souhaité déposé un autre amendement visant à sanctionner les intercommunalités qui ne signeront pas les contrats de ville, car il ne me semble pas qu’il y en aura. Il ne me semble pas non plus qu’une intercommunalité appliquera une politique de la ville qui n’aurait pas reçu l’accord du maire de la commune concernée. En la matière, j’estime donc que nous avons trouvé le bon équilibre.

Reste la question des métropoles, et particulièrement, monsieur Dallier, de la région d’Île-de-France, à laquelle j’ajoute le problème spécifique posé par le territoire des Bouches-du-Rhône, notamment par celui de la future métropole d'Aix-Marseille-Provence. Je présenterai un même amendement concernant chacune de ces deux métropoles.

Il nous est impossible de nous satisfaire de la situation actuelle. Vous savez comment s’est construite l’intercommunalité en région d’Île-de-France : par affinités politiques ou par rejet de la commune adjacente, trop riche ou trop pauvre. Claude Dilain pourrait sans doute expliquer que, s’il avait pu, il aurait fondé une intercommunalité ne rassemblant pas seulement Clichy-sous-Bois et Montfermeil, mais aussi des communes plus riches.