M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en paraphrasant Verlaine, de dire comme lui mon rêve, « un rêve étrange et pénétrant » non pas d’une femme inconnue, comme l’illustre poète, mais d’un outre-mer aux mille visages, et que j’aime, et qui m’aime et qui n’est chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, et m’aime et me comprend… (Sourires.)

Oui, monsieur le ministre, je fais ce rêve d’un outre-mer qui, enfin, ne serait plus à la traîne de la métropole, ne serait plus la cinquième roue du carrosse France, mais qui, au contraire, profitant pleinement de ses atouts et de ses positions géographiques autour de la planète, constituerait un réseau d’innovation, de dynamisme voire d’audace pour montrer à notre vieille et douce France la voie du futur et de la conquête économique, sociale et culturelle.

L’outre-mer n’est pas une séquelle du passé, quelque reste de l’Histoire. Absolument pas ! Il incarne au contraire la force de notre avenir, de l’avenir de la France tout entière, dans ce monde en pleine mutation où nous avons besoin de points d’ancrage dans les zones en expansion ou de renouveau.

Nous le savons tous, les centres d’intérêt de notre planète sont en train de se déplacer, en particulier vers l’Asie, le Pacifique et les zones tropicales des grands océans. Il serait temps d’en prendre réellement conscience par des actes concrets. Or nous ne donnons pas l’impression d’anticiper cette évolution. Il le faut, pourtant, si nous voulons continuer à compter sur le plan international.

Si elle ne veut pas être dépassée, l’Europe doit, elle aussi, en tant qu’union, se donner les moyens d’exister pleinement dans le concert des nations. Dans ce contexte, le rôle de la France est également fondamental en tant que moteur de développement. Ses départements et ses collectivités d’outre-mer ainsi que la Nouvelle-Calédonie lui offrent des moyens d’action dont ses partenaires ne disposent pas dans la même ampleur, sans compter le formidable relais que représentent les Français de l’étranger partout dans le monde.

Il est donc temps, monsieur le ministre, de mettre en avant nos richesses ultramarines, dont l’enjeu stratégique mérite notre compréhension et tous nos efforts. N’oublions pas l’immense zone économique exclusive maritime que nous apporte l’outre-mer, mais aussi les minerais, les terres rares, les énergies du futur, la proximité avec la prochaine modernité.

M. Philippe Bas. Très juste !

M. Christian Cointat. Donnons-lui sa chance et sortons enfin, monsieur le ministre, de ce qui demeure, qu’on le veuille ou non, une forme d’assistanat, pour entrer dans une ère de véritable développement partagé pour un bénéfice commun.

Ce rêve qui hante mes pensées peut devenir réalité si la volonté est au rendez-vous. Comme le disait Churchill, « toute volonté trouve son chemin. » Il suffit que les autorités de notre pays se convainquent que tout doit être fait pour que l’outre-mer ne soit plus à la remorque et devienne lui aussi, là où c’est possible, le « train avant » directeur de la France. Cela suppose, d’abord, d’en avoir la conviction et, ensuite, de se donner les moyens de changer la configuration de l’attelage.

Certes, les difficultés budgétaires ne nous aident pas et rendent les contraintes encore plus délicates. Mais l’enjeu est de taille et l’avenir n’attend pas. Il est indispensable que l’outre-mer puisse véritablement prendre son envol économique, social et stratégique vers les horizons prometteurs que nous souhaitons tous atteindre.

Commençons, au moins dans une première phase, par transformer ce rêve en une vision collective de la France de demain, dans laquelle l’outre-mer serait en pointe, en son nom, dans toutes les zones de renouveau du monde. Cette vision, il me semble l’avoir retrouvée dans les propos de notre collègue Paul Vergès.

Prenons, par exemple, le cas de la Nouvelle-Calédonie. Si, comme je le souhaite de tout cœur, elle choisit, le moment venu, de rester française, ne serait-il pas plus efficace, compte tenu de sa position privilégiée dans le Pacifique et de tous les atouts dont elle dispose, que ce soit elle qui, avec la Polynésie, porte les intérêts de la France dans cette région du monde et parle en son nom ? (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

À propos de la Calédonie, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Les Calédoniens sont en effervescence. Je reçois des pétitions, des protestations, des appels à soutien sur deux sujets.

L’un, qui a été évoqué par Pierre Frogier, est relatif aux listes électorales pour les élections provinciales, dont les indépendantistes demandent le retrait de près de 7 000 inscrits. Or ces listes sont déjà gelées, ce qui est, vous en conviendrez, assez spécial en démocratie. Il est donc souhaitable de ne pas aller au-delà du raisonnable…

L’autre sujet concerne le traitement qui serait réservé au Haut-Commissaire, pourtant un grand commis de l’État et un serviteur loyal de la France. Je le connais, et je peux garantir ses qualités.

Pouvez-vous nous rassurer, monsieur le ministre ? Car nous sommes inquiets. Les réseaux sociaux bourdonnent ; ce n’est pas bon signe. Pouvez-vous nous dire clairement, en vous appuyant sur des actes concrets, que le Gouvernement n’est pas en train d’abandonner la France en Nouvelle-Calédonie ? Nous avons besoin d’en être certains.

Je referme la parenthèse néocalédonienne pour évoquer la Guyane. Tout le monde sait que le Brésil est promis à un bel avenir. Nous avons tout intérêt à privilégier le rôle de la Guyane dans nos relations avec ce grand pays.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut multiplier les exemples de ce que peut nous apporter l’outre-mer. Mais, avant l’action politique, il faut bien entendu, comme l’ont dit de nombreux orateurs avant moi, régler les retards économiques et sociaux.

Si l’explosion que j’appelle de mes vœux pour propulser les ultramarins vers des lendemains heureux n’est pas immédiatement au rendez-vous, en raison de la crise financière, vous pouvez, monsieur le ministre, par cette vision partagée du futur et des lignes directrices claires, ne pas briser le rêve, et nous laisser l’espérance.

Si, déjà, le ministère des outre-mer pouvait rassembler et maîtriser la totalité de l’effort budgétaire de l’État pour tout le domaine dont il a la charge, cela donnerait un sens et une force concrète à la vision que j’évoquais précédemment. Elle pourrait prendre réellement corps.

Vous pouvez d’autant mieux y arriver, monsieur le ministre, qu’une politique bien comprise à l’égard de l’outre-mer ne peut être ni de gauche, ni du centre, ni de droite : elle doit être celle de la France en tant que telle, de la France tout entière. Nous avons des devoirs à l’égard de nos compatriotes ultramarins, mais ils nourrissent aussi des attentes au sein de notre grande communauté française.

Il nous revient de faire en sorte qu’ils occupent au cœur de la nation la place – et toute la place – qui leur revient naturellement. Alors, à leur tour, ils pourront le moment venu nous faire bénéficier de leur proximité des centres névralgiques du futur, comme de leur expérience du terrain au sein des différents continents, au contact des réalités d’un monde en mouvement et qui n’attend pas.

Oui, l’avenir de l’outre-mer, c’est notre avenir à tous. Comme disait Henri Bergson, « l’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. » Alors, faites-le, monsieur le ministre ! Courage ! Franchissons enfin le boulevard périphérique qui nous étrangle dans Paris, et faisons vivre pleinement tous ces beaux coins de France, si loin soient-ils ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative de notre collègue Paul Vergès et de son groupe : ce débat sur la situation des outre-mer nous offre une excellente occasion d’interpeller le Gouvernement sur les maux dont souffrent nos régions respectives, maux qui sont les mêmes, comme vous avez pu l’entendre de la bouche des orateurs qui m’ont précédé, à savoir un PIB faible, un seuil de pauvreté élevé, un taux de chômage parmi les plus importants de France, une situation sanitaire déplorable, un déficit de logements, de l’habitat insalubre, une insécurité, pour ne citer que les principaux.

Face à ce constat de sous-développement, voire de non-développement persistant, en dépit d’une politique d’assistanat et de rattrapage menée depuis fort longtemps, des questions s’imposent.

Monsieur le ministre, le moment n’est-il pas venu de déclarer en faillite ce mode de développement des outre-mer ? Ne faut-il pas le revoir et le corriger, en mettant l’accent sur une meilleure reconnaissance des situations ultramarines et une plus grande adaptation à leur diversité ? Les outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène : chaque région d’outre-mer est différente, et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles.

C’est ainsi que, trop souvent, trop facilement, la Guyane est purement et simplement assimilée aux autres petites économies insulaires des autres départements et régions d’outre-mer. Par conséquent, les mesures et dispositions qui sont prises en faveur de ces derniers lui sont appliquées, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec celui des îles.

Le territoire de la Guyane est continental, d’une superficie terrestre de près de 90 000 kilomètres carrés ; il dispose d’une zone économique et exclusive de 130 140 kilomètres carrés, et de ressources tout à fait essentielles qui ne sont pas exploitées, ou qui le sont peu ou mal.

La Guyane a des spécificités : l’occupation humaine de son espace territorial, qui laisse à penser qu’un équilibrage est possible ; le taux de croissance exceptionnel de sa population, qui offre une large diversité en termes non seulement historiques, ethniques, culturels, linguistiques, mais aussi administratifs !

Voilà des éléments qui distinguent radicalement la Guyane des autres DROM, et dont il faut absolument tenir compte dans la réflexion sur son développement.

Or on nous impose, au nom d’enjeux universels, et par mimétisme avec les pays développés, des modalités de gestion de notre territoire qui sont celles de régions où la croissance économique s’est faite à partir d’une exploitation peu rationnelle de ressources naturelles ou non renouvelables, et où il est devenu indispensable de ménager des espaces sauvegardés, préservés.

Ce que nous voulons, nous, c’est assurer à la Guyane un développement durable, supprimer des inégalités criantes devant l’accès à l’emploi et aux ressources et atteindre finalement un bien-être social satisfaisant.

Nous en avons les moyens, nous, en Guyane, et nous pouvons y parvenir si nous est laissée la possibilité d’élaborer une conception spécifique de notre développement. Il n’est pas là question d’une remise en cause du statut de la Guyane par rapport à la France, mais, dans le champ économique, la Guyane doit pouvoir se distinguer, si elle ne veut pas définitivement rester le « mauvais élève » de la République, celui qui est à la traîne.

Notre démarche doit donc reposer sur les capacités guyanaises en hommes et en qualifications. Elle devra être définie avec l’ensemble de la population, dans un esprit de partenariat. Nous ne pouvons plus éternellement nous en remettre à d’autres pour construire la Guyane de demain.

C’est tout le sens, monsieur le ministre, que l’on doit donner au « pacte pour l’avenir » entre l’État et la Guyane, annoncé par le Président de la République lors de son récent passage chez nous.

Je ne pourrai terminer mon propos, monsieur le ministre, sans évoquer trois questions d’actualité.

La première porte sur l’approvisionnement en carburants routiers de la Guyane. Le Suriname, notre voisin, aura d’ici à la fin d’année du carburant aux normes Euro 5, ce qui est largement suffisant pour le niveau des normes exigées par l’Union européenne. Pouvons-nous alors escompter, à partir de cette date, une sortie du dispositif d’approvisionnement par la SARA, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles ?

La deuxième question est relative au bouclier qualité-prix. Si les prix des produits listés ont été contenus en Guyane, puisque le prix du panier a parfois été inférieur à celui qui avait été fixé au départ, en accord avec les distributeurs, la population exprime néanmoins un ressenti négatif.

En effet, le prix du bouclier est global et non par article, pour une liste qui comprend entre 90 et 150 articles. Comme il est très rare qu’un consommateur achète tous les produits de la liste, il ne peut, très souvent, vérifier que les prix des produits qu’il achète sont moins élevés qu’avant la mise en place du bouclier. C’est l’un des points qu’il vous faudra examiner, monsieur le ministre, lors des toutes prochaines négociations sur le bouclier qualité-prix, qui auront lieu, me semble-t-il, dans le courant du mois de mars.

La troisième et dernière question – et non la moindre, et elle me préoccupe, ainsi que d’autres, depuis fort longtemps – porte sur l’octroi de mer. De très fortes inquiétudes se sont exprimées quant à sa prorogation. J’espère que vous pourrez les lever. Les propos que vous avez tenus la semaine dernière, lors de votre audition par la délégation à l’outre-mer de l’Assemblée nationale, semblaient indiquer que l’octroi de mer ne serait prorogé que de quelques mois.

Pouvez-nous nous donner davantage de précisions ? Quel serait le calendrier parlementaire ? Il est inutile de vous rappeler toute l’importance de cette taxe pour nos régions déjà très affaiblies financièrement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le doyen, cher Paul Vergès, mes chers collègues, à l’heure où une timide embellie économique semble se dessiner sur le continent européen, en particulier en France, de nombreux indicateurs restent au rouge dans les outre-mer, en dépit d’un effort budgétaire certain ou de diverses mesures prises, notamment, pour lutter contre la vie chère.

À ce titre, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les dernières évaluations de l’évolution des prix pour 2013 ?

Des avancées ont également été obtenues à Bruxelles dans la négociation de dossiers européens à forts enjeux pour nos territoires. Je pense, bien sûr, à la pêche ou à la fiscalité du rhum traditionnel des départements d’outre-mer, dossiers sur lesquels notre délégation à l’outre-mer a fait adopter par la Haute Assemblée des propositions de résolution qui ont « épaulé » le Gouvernement dans ses démarches.

Malgré ces efforts réels, la situation socioéconomique reste plus que préoccupante et les défis sont de plus en plus difficiles à relever dans une période qui, à maints égards, apparaît comme charnière pour nos outre-mer.

Aux difficultés structurelles liées aux caractéristiques de nos économies – faible diversification de la production, forte dépendance aux approvisionnements extérieurs et importance des surcoûts, vulnérabilité climatique, prédominance des TPE dans le tissu économique, ou encore forts différentiels de compétitivité dans l’environnement régional – s’ajoutent aujourd’hui d’autres facteurs de complexité qui vont peser lourd.

Je pense tout d’abord aux dynamiques démographiques de nos territoires : elles doivent être prises en compte dès aujourd’hui dans les politiques publiques. Ces dynamiques, qui divergent selon les territoires, supposent la définition immédiate de priorités : si les Antilles sont confrontées au vieillissement de leur population, d’autres départements, comme la Réunion, Mayotte ou la Guyane, doivent déjà ou vont devoir gérer une explosion démographique, avec ce que cela implique en termes de réalisation de structures éducatives, de création de foyers d’hébergement ou de construction de logements.

Ainsi, une enquête récente menée par l’INSEE et la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Guyane estime à 160 000 le nombre de logements à réaliser d’ici à 2040, ce qui imposerait une cadence de construction de plus de 5 000 logements par an, chiffre à mettre en regard des 3 320 logements sociaux construits entre 2009 et 2012.

Je profite de cette occasion pour rappeler que la sanctuarisation de la ligne budgétaire unique ne doit pas empêcher d’envisager d’autres dispositifs afin d’anticiper des phénomènes d’une pareille ampleur et d’être à même d’y faire face. La délégation sénatoriale à l’outre-mer avait demandé d’évaluer la pertinence, pour le financement du logement social dans nos territoires ultramarins, de la mise en place d’un prêt bonifié de type « PTZ », qui se substituerait au dispositif de défiscalisation. Où en est-on sur ce sujet, monsieur le ministre ?

Un autre facteur de complexification d’une situation déjà particulièrement tendue tient à la difficulté des instances européennes à prendre en compte les contraintes propres aux outre-mer.

Malgré les possibilités d’adaptation et de dérogation théoriquement offertes par l’article 349 du traité de Lisbonne, les instances européennes, notamment la Commission, persistent à s’en tenir à une interprétation restrictive. La politique commerciale de l’Union européenne constitue, en outre, une menace permanente pour nos productions locales : banane, rhum, sucre, pêche… Les dispositifs de compensation, qui interviennent par définition a posteriori, ne suffiront pas à sauvegarder ces filières, en l’absence de dispositif régulateur en amont permettant d’atténuer les effets dévastateurs des différentiels de compétitivité avec des pays producteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales, sanitaires ou environnementales.

Bien évidemment, la sauvegarde de ces productions nécessite aussi d’imaginer des positionnements de niche et d’anticiper certaines échéances qui modifieront radicalement la donne, telle la suppression des quotas sucriers en 2017. Sur ce point, monsieur le ministre, où en est l’expertise que vous nous avez annoncée lorsque nous vous avons auditionné au mois de novembre dernier ?

Pour certains de nos territoires, les évolutions institutionnelles à venir ou en cours peuvent également ajouter aux difficultés. Ainsi, la mise en œuvre concrète de la fusion du département et de la région en Martinique et en Guyane, si elle facilitera la gouvernance après 2015, est susceptible de faire naître des tensions pendant la phase transitoire. Il faudra également veiller à ce que cette réforme ne soit pas l’occasion de confondre approfondissement des libertés locales et désengagement de l’État. De même, certaines phases du calendrier institutionnel calédonien pourraient se révéler délicates. Par ailleurs, les évolutions induites à Mayotte par l’acquisition du double statut de département et de région ultrapériphérique, par exemple la mise en place de la fiscalité, constituent également des défis à relever.

Ces échéances de diverses natures et ces transitions, qui représentent des tournants majeurs pour les territoires concernés, appellent un accompagnement particulièrement attentif de la part des autorités étatiques. Or, celles-ci n’ont pas toujours une juste vision des réalités ultramarines. Cette posture est même, parfois, délibérée. Nous avons pu le vérifier en ce qui concerne les incidences économiques des dispositifs fiscaux de soutien à l’investissement dans les outre-mer ; si ce qu’il est convenu d’appeler la « défiscalisation » n’est pas la panacée, elle a eu néanmoins le mérite de drainer des financements, alors que le système bancaire se montre toujours très frileux. (M. le ministre opine.) D’ailleurs, monsieur le ministre, qu’en est-il de la mise en place du nouveau crédit d’impôt et des modalités de préfinancement qui conditionnent son effectivité ?

Le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, qui, dans ses développements relatifs à la situation du tourisme dans les outre-mer, n’oublie pas de fustiger une nouvelle fois, au passage, la défiscalisation, fournit un magnifique exemple –un de plus – de cécité comptable : il passe quasiment sous silence la question des différentiels de compétitivité avec les pays voisins en tant que freins au développement du tourisme dans les outre-mer. Il fait également fi de l’impossibilité, pour les hôtels des Antilles, de sortir de l’engrenage de l’accumulation des dettes fiscales et sociales, qui les empêche d’emprunter et de monter des dossiers de financement pour rénover l’offre.

Monsieur le ministre, quels dispositifs envisagez-vous de mettre en œuvre pour permettre aux établissements hôteliers d’apurer cette dette sociale et fiscale, préalable à la rénovation et à l’amélioration de l’offre touristique ? Quid de la proposition de concours financier de l’Agence française de développement, dans le cadre d’un plan de rénovation et de développement présenté par la région Martinique ?

Cette problématique affecte malheureusement une grande partie du tissu économique, constitué essentiellement de très petites entreprises. À cet égard, monsieur le ministre, il faudra prendre garde à ce que la réforme à venir de l’octroi de mer ne donne pas à ces dernières le coup de grâce !

Dans ce contexte difficile et mouvant, où les inquiétudes sont légion, où la violence et la délinquance explosent et où la jeunesse, victime de taux de chômage battant tous les records, est si souvent en désespérance, la restauration de la confiance passe par des signaux forts et des actions structurantes.

Les potentiels ultramarins, notamment en matière d’économie maritime et de biodiversité, sont tout à fait remarquables, et nos territoires sont souvent pionniers dans les secteurs innovants. Cependant, on se contente encore trop souvent d’invoquer ces potentiels dans des discours incantatoires ! Saisir les chances de développement liées aux potentiels de nos territoires suppose d’élever le niveau de formation de nos populations.

C’est là un enjeu prioritaire, et la réforme en cours de l’université doit permettre d’y répondre. Le groupe de travail commun à la délégation sénatoriale à l’outre-mer et à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication créé en novembre dernier remettra prochainement ses conclusions. Elles permettront de nourrir l’ordonnance qui organisera cette réforme.

Enfin, condition sine qua non pour le développement économique de nos territoires, il faut ménager davantage de stabilité et de visibilité pour les acteurs économiques ultramarins. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il me serait difficile, je l’avoue, d’accepter la belle mission, proprement démiurgique, que M. Cointat a bien voulu me confier : passer du rêve à la vision, de la vision à l’espérance… Seuls les peuples des outre-mer sont à même de transformer le réel.

Je tenterai, plus modestement, de répondre à toutes les interrogations qui m’ont été adressées.

Je voudrais tout d’abord remercier le groupe CRC du Sénat, singulièrement le sénateur Paul Vergès, d’avoir choisi d’inscrire à l’ordre du jour de votre assemblée ce débat sur la situation des outre-mer.

Cette initiative a permis aux sénateurs d’évoquer les problématiques de leurs territoires, comme ils ont l’habitude de le faire lors de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », examen dont ils ont cependant été une nouvelle fois privés, à l’automne dernier, en raison du rejet de la première partie du projet de loi de finances.

En préambule, permettez au ministre que je suis de vous donner sa vision de la situation des outre-mer. Je crains de manquer de temps pour évoquer le changement de modèle économique, de vision, d’idéologie, pour ne pas dire de paradigme, que d’aucuns ont appelé de leurs vœux.

J’entends non pas dresser un bilan – celui-ci, par définition, se fera après moi –, mais rappeler la philosophie de l’action engagée par le gouvernement de Jean Marc Ayrault dans les outre-mer depuis vingt et un mois.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage bien évidemment les inquiétudes que vous exprimez régulièrement sur le niveau atteint par le chômage dans les outre-mer.

M. Philippe Bas. Pas seulement outre-mer !

M. Victorin Lurel, ministre. C’est ce constat, plus qu’alarmant, qui a précisément justifié que l’État opère un véritable retour dans les outre-mer, après dix ans de désengagement manifeste.

Ce retour d’un État volontariste dans les outre-mer a eu une traduction concrète dans la loi de finances rectificative pour 2012 et dans les lois de finances initiales pour 2013 et 2014, en cohérence avec les engagements du Président de la République.

Dès le mois de mai 2012, nous avons mis en œuvre une stratégie globale, s’inscrivant dans la durée et, j’ose le dire, sous-tendant un changement structurel. Cette démarche a trouvé sa traduction dans la loi relative à la régulation économique outre-mer ; on ne saurait la réduire à la seule mise en place du « bouclier qualité-prix », qui est certes une mesure importante. Je le redis, nous avons adopté une vision stratégique pour faire évoluer les structures fondamentales de nos économies.

Cette loi importante, adoptée quelques mois à peine après ma prise de fonctions, s’attaque aux racines des difficultés que nous traversons en donnant les moyens de lutter contre les rentes et les exclusivités et de renforcer la concurrence et la transparence, au bénéfice du consommateur, du pouvoir d’achat et de l’emploi. J’aurai l’occasion d’y revenir, notamment en répondant à différents orateurs, mais je veux rappeler que la lutte contre la vie chère permet également de favoriser le développement de la production locale et donc, in fine, l’emploi.

Cette stratégie, vous en voyez également la concrétisation dans les priorités que permettent de servir les moyens d’intervention du ministère, notamment, c’est vrai, au travers des dispositifs de soutien à l’emploi – exonérations, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, service militaire adapté, création de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, la LADOM –, mais aussi via le maintien d’une défiscalisation mieux encadrée et l’expérimentation d’un nouvel outil de financement, tout aussi avantageux et potentiellement plus efficient : le crédit d’impôt.

Monsieur le sénateur Vergès, la réussite de cette expérimentation est pour moi une priorité. Vous avez raison : les conditions de son préfinancement sont essentielles. Je me suis engagé dans ce travail, conjointement avec le ministre du budget, en ayant le souci d’y associer directement les représentants des milieux économiques. Une instruction est en cours de préparation.

Je rappelle qu’il ne s’agit néanmoins là que d’outils, qu’il faut mettre au service d’une cohérence d’ensemble.

Le plan d’action pour la croissance, le développement et l’emploi dans les économies ultramarines que je présenterai dans les prochains mois devra repenser l’articulation de l’ensemble des dispositifs, existants ou à inventer, concourant à soutenir la création de valeur ajoutée et d’emplois, afin de promouvoir un modèle durable et compétitif pour les outre-mer. Nous allons nous atteler à définir ensemble cette vision globale, qui est ce qui nous a le plus manqué jusqu’à présent.

Madame Assassi, sachez que cette remise à plat ne vise absolument pas à tout remettre en cause ou à discuter des « avantages acquis » !

Je me garde naturellement de tout triomphalisme, mais les premiers résultats de cette nouvelle politique sont en train de se faire sentir. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

Outre les résultats obtenus en matière de lutte contre la vie chère, sur lesquels je reviendrai, trois signes très encourageants attestent de la justesse de notre politique outre-mer.

Tout d’abord, même s’il faut rester prudent et si nous ne disposerons que ce soir des données concernant le mois de janvier, les chiffres attestent que, depuis un an, dans nos régions ultramarines – à l’exception, malheureusement de la Guyane –, l’inversion de la courbe du chômage des jeunes est engagée. (M. Éric Doligé s’exclame.)