M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales et de la santé, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le groupe UDI-UC, et tout particulièrement Jean Arthuis, d’avoir permis ce débat, car il me paraît important, plus de dix ans après la mise en place de la réforme du temps de travail, que nous en établissions le bilan, sans fard ou ni mots convenus, car il ne fait pas de doute que cette réforme a profondément affecté non seulement l’hôpital public, mais aussi un certain nombre d’équilibres dans notre pays, au point de constituer l’un des facteurs de notre perte de compétitivité.

Je me permets d’ouvrir ici une courte parenthèse pour évoquer un sujet qui est étranger à l’hôpital mais qui mérite réflexion, tant il me semble révélateur des effets de cette réforme. En 2004, grâce à sa filière agroalimentaire, notre pays était placé en tête du classement européen. Il ne sera bientôt plus qu’à la quatrième place, derrière l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie. Il va bien falloir que nous prenions ces réalités à bras-le-corps, au-delà des options idéologiques des uns et des autres, car il y va de l’avenir de notre pays.

Je ferme cette parenthèse pour revenir à ce qui fait précisément l’objet de ce débat.

Plus de dix ans après son entrée en vigueur, la loi sur les 35 heures a très largement modifié la gestion du temps de travail à l’hôpital, et tout particulièrement l’organisation des soins.

Ses incidences ont été d’autant plus fortes qu’elles sont intervenues dans un contexte hospitalier caractérisé par une évolution marquée des modes de prise en charge, un ONDAM hospitalier faible, une pénurie d’infirmiers diplômés d’État – à partir de 2008 – et une pénurie de médecins hospitaliers dans certaines spécialités.

Quels sont donc ces impacts majeurs constatés pour les établissements hospitaliers et médico-sociaux et quelles pourraient être les pistes d’évolution ?

L’instauration des 35 heures a eu des impacts sociaux d’apparence positifs, avec des avantages certains sur le plan individuel, notamment en termes de jours de récupération et d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Elle a aussi été un facteur de relative paix sociale et a surtout fourni l’occasion d’une large concertation sociale.

Mais la loi a fait de la durée du travail le cœur des discussions, au détriment de l’aménagement et de l’organisation du temps de travail, avec des accords trop souvent déséquilibrés – il n’est que de lire un certain nombre de rapports ! –, par souci de tranquillité sociale ou du fait d’enjeux politiques locaux, faute d’une révision suffisante des organisations du travail.

J’en viens au second impact majeur qui me paraît, lui, entièrement négatif, car il a mis en cause la continuité du service public à l’hôpital.

Je demande à chacun d’entre vous, mes chers collègues, de songer à ce qui s’est passé sur son territoire depuis 2002 : les fermetures de lits se sont généralisées pendant les congés d’été, les amplitudes horaires de travail ont diminué, faute de recrutements à la hauteur des besoins. Voilà la réalité !

Dès lors, la continuité des organisations est en fait utilisée comme variable d’ajustement.

Les 35 heures ont accentué les divergences d’organisation entre les établissements ; j’y reviendrai lorsque je formulerai quelques propositions.

Dans les établissements ayant accordé de nombreuses « RTT », le temps de travail a été arithmétiquement réduit sans pour autant que les organisations de travail soient, la plupart du temps, réellement modifiées. À activité constante, la création de postes médicaux et non médicaux a été alors insuffisante pour compenser la baisse du temps de travail liée au passage aux 35 heures.

Les effets organisationnels des 35 heures à l’hôpital sont particulièrement visibles, et frappants, si on les observe à travers le prisme des cadres de santé, qui sont en définitive les principales « victimes » des 35 heures. Plongés, noyés dans les plannings, les cadres de santé sont désormais perçus seulement comme des gestionnaires déconcentrés des temps de travail, non comme des animateurs d’une unité de soins, alors que c’est là leur fonction essentielle.

Ils doivent maintenant gérer aussi les effets des 35 heures sur la mentalité des agents, en ajustant l’organisation des temps de travail, des soins, des parcours de soins, ainsi que les modes managériaux pour répondre à ces évolutions.

Ils doivent tenir compte du changement de paradigme à l’hôpital, qui fait que le temps individuel prime dorénavant sur le temps collectif.

Mais il faut aussi parler finances !

Cela a été dit, la mise en place des 35 heures a conduit à la création de 35 000 postes de personnels non médicaux et de 3 500 postes de personnels médicaux. Ce « partage du temps de travail » s’est traduit en fait par un alourdissement sans précédent de la masse salariale des établissements.

La réduction du temps de travail a, au surplus, créé des charges financières de gestion des jours de RTT.

En outre, si la durée du travail de nuit, ramenée à 32 heures 30 par semaine pour le secteur public, est un élément d’attractivité certain, son coût est élevé pour les établissements.

À tout cela il faut ajouter que le cumul des RTT a engendré un stock de comptes épargne-temps très important : entre 2002 et 2012, 2 millions d’heures de RTT ont ainsi été stockées. Or les RTT de 2002 devant être prises au plus tard en 2012, les hôpitaux ont dû payer une partie des jours stockés, ce qui a induit un surcoût de 600 millions d’euros pour les finances hospitalières !

Enfin, si le recours à l’intérim paramédical a certes tendance à diminuer depuis quelques mois, l’intérim médical augmente sans cesse. Toujours est-il que, entre la rétribution des sociétés d’intérim – 67 millions d’euros – et les rémunérations versées aux contractuels – 700 millions d’euros –, qui sont finalement des intérimaires employés directement, la nécessité de combler le vide créé par les 35 heures à l’hôpital représente une facture annuelle de 767 millions d’euros !

Car cette diminution du temps de travail, censée inciter les établissements à mieux maîtriser leurs effectifs et à réaliser des gains de productivité, ne s’est pas réellement concrétisée. Les conséquences financières que je viens de décrire se sont donc accompagnées d’une dégradation des conditions d’exercice du service public à l’hôpital et d’un bouleversement du rapport des professionnels à la valeur travail.

Quelles évolutions paraissent souhaitables ?

Je n’entrerai pas ce matin dans le débat sur le temps de travail, même s’il s’agit d’un sujet essentiel, qui dépasse la seule fonction publique hospitalière, qui dépasse la fonction publique dans son ensemble, qui concerne en vérité tout le pays.

Il me semble d’abord qu’il est de la responsabilité du Gouvernement et des agences régionales de santé de soutenir les établissements dans la révision de leurs accords locaux.

Afin de rétablir quelque peu leurs équilibres budgétaires, nombre d’établissements ont procédé ou sont en train de procéder à la révision de ces accords locaux, certains étant très généreux. Ces démarches doivent être encouragées par les pouvoirs publics, car elles sont difficiles et parfois impopulaires. C’est une des conditions du redressement des finances hospitalières, objectif affiché par le Gouvernement. Il est essentiel que l’on ne procède pas, à cet égard, à une uniformisation au niveau national : cela doit se faire à l’échelon de chaque territoire, avec une réelle coordination entre les établissements d’un même territoire.

Il faut également centrer les processus organisationnels sur la prise en charge du patient.

Depuis douze ans, on planifie d’abord le temps de travail et ensuite les prestations de prise en charge, ensuite seulement ! Il faut recentrer le processus organisationnel autour du soin et remettre les processus de prise en charge au centre des préoccupations. Le cœur de l’organisation, ce qui la justifie au premier chef, ce doit être le malade !

Il convient donc, d’abord, d’évaluer les organisations requises par les prestations de soins à assurer, puis de planifier les temps de travail qui permettront de les réaliser.

L’enjeu est aussi de rapprocher au maximum les organisations du travail des personnels médicaux et non médicaux au sein de chaque établissement.

Il me semble également important d’utiliser l’annualisation du temps de travail pour mettre en place ce qui n’existe pas encore : une politique à destination des seniors.

Alors que les seniors travaillant à l’hôpital ne bénéficient pas encore de mesures spécifiques, l’annualisation du temps de travail doit être employée comme un levier d’accompagnement des populations soignantes dans la troisième phase de leur vie professionnelle. Elle doit permettre de développer une politique managériale des seniors.

Par ailleurs, un cumul des comptes épargne-temps sur les trois dernières années pourrait permettre des départs progressifs à la retraite. Ainsi, il serait possible d’agir sur la pénibilité tout en assurant un transfert de compétences vers de plus jeunes professionnels.

Il faut aussi revoir l’organisation hospitalière dans le cadre du service public territorial de santé.

Les démarches de renégociation des accords locaux doivent être conduites dans un cadre territorial, où les hôpitaux d’un territoire donné définiraient ensemble de nouvelles règles et de nouvelles organisations. Comment voulez-vous parler de groupements de coopération sanitaire ou de communautés hospitalières de territoire s’il n’existe pas une certaine logique d’organisation garantissant la continuité ?

Parallèlement, il va falloir simplifier. Je dirai même, pour employer une expression à la mode, qu’il faut provoquer un « choc de simplification » de la réglementation du temps de travail.

Vous le savez, cette réglementation est complexe et abondante. Rappelons-nous les débats que nous avons eus sur les temps d’habillage, de déshabillage ou de passation de consignes ! On en finissait par oublier l’essentiel, c'est-à-dire l’activité professionnelle elle-même !

Il est capital que les acteurs de terrain bénéficient de plus de souplesse et d’autonomie pour gérer le temps de travail des personnels médicaux et non médicaux, afin de s’adapter aux réalités territoriales et aux besoins réels des organisations.

Voilà pourquoi cette simplification doit s’accompagner d’un système d’information performant, réduisant ce que j’appelle la « pénibilité d’application des 35 heures ».

Pour traiter ce sujet sous un angle positif, il faut réinventer ce qui n’existe que trop peu à l’hôpital public : le management des personnels. À mes yeux, il s’agit d’un point tout à fait fondamental, qui doit être au cœur de la stratégie des établissements publics. L’enjeu, c’est l’instauration d’une gestion des ressources humaines plus ouverte, plus « responsabilisante », fondée sur l’éthique des pratiques professionnelles et plus intégrée – j’y reviens – aux territoires.

Madame la ministre, il va bien falloir repenser le statut de l’hôpital, pour garantir la réactivité et la capacité d’adaptation de nos établissements aux enjeux de santé publique et aux réalités territoriales.

Cette évolution doit non seulement rassurer les professionnels mais aussi donner aux hôpitaux les moyens de mettre en place des organisations du travail modernes, adaptées aux besoins des patients, à leurs responsabilités territoriales, à l’extension de l’hospitalisation à domicile et aux réalités de la prévention. C’est la raison pour laquelle il faut garantir l’autonomie des acteurs, l’assouplissement et la simplification de la réglementation.

Voilà quelques mots clefs pour l’avenir de l’hôpital public.

Je l’avais déjà souligné lorsque, en tant que président d’une grande fédération des hôpitaux publics, j’avais débattu de ce dossier avec Mme Aubry et M. Kouchner : à mon sens, nous avons dangereusement affaibli l’hôpital public en y appliquant ainsi les 35 heures.

Que l’on se penche sur le temps de travail et sur l’organisation des services au sein de ces établissements me paraît nécessaire et, à ce titre, le débat qui a eu lieu à l’époque n’était pas totalement inutile. Cependant, on a considérablement alourdi la facture du système hospitalier, le mettant ainsi partiellement en péril, par exemple au regard de la continuité des soins.

L’hôpital doit continuer à s’adapter et à évoluer. On ne pourra pas conserver tous les plateaux techniques, maintenir des professionnels partout. Le véritable sujet est celui-ci : comment répondre, en respectant les impératifs de qualité et d’égalité, aux besoins de santé de tous nos compatriotes ? Voilà un défi pour le Parlement !

S’y ajoute un autre enjeu, que Jean Arthuis a bien rappelé : comment relever ce défi tout en économisant 50 milliards d’euros sur la dépense publique ?

M. Jean Arthuis. Et voilà !

M. Gérard Larcher. Cette réalité est incontournable, et les autorités européennes s’interrogent sur notre capacité à revenir à l’équilibre. Le seuil des 3 % de déficit n’aurait dû être qu’un maximum. Au reste, il n’aurait sans doute jamais dû exister : cela nous aurait mis à l’abri de bien des tentations ! (M. Jean Arthuis acquiesce.)

Les dépenses de santé n’échapperont pas à cet impératif. Si nous voulons y répondre autrement que par la pénurie ou par le faux-semblant, il faut accepter de revoir l’organisation de nos hôpitaux. Cela passe aussi par notre capacité de réviser les temps de travail. Cette révision peut être menée de manière imaginative, non sous le seul angle de la contrainte, mais dans le cadre de négociations. C’est la tâche à laquelle nous devons nous atteler ! Si elle n’est pas accomplie, les réveils seront douloureux, car c’est la santé des Français qui en pâtira. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le bilan des 35 heures est globalement décevant, voire négatif, à l’hôpital, il est franchement préoccupant. Voilà pourquoi Jean Arthuis et les membres du groupe UDI-UC ont demandé la tenue de ce débat. Il est vrai que, au regard de la réduction du temps de travail, il existe une spécificité de l’hôpital : les 35 heures ont coûté cher, trop cher, et cela à tous égards.

Ce débat est également bienvenu parce que, au début de l’année 2012, le précédent gouvernement a mis en œuvre un plan d’apurement échelonné sur quatre ans. Nous sommes donc à mi-parcours et un bilan d’étape s’impose.

Quand on aborde cette question des 35 heures à l’hôpital, on est d’abord frappé par le vide en matière de sources. Mes chers collègues, tous les collaborateurs qui nous ont aidés à préparer ce débat pourront vous le dire : il est très difficile de trouver de la documentation sur le bilan, en 2014, des 35 heures à l’hôpital. On en vient à se demander si, face à l’ampleur du problème, une sorte de tabou ne s’est pas fait jour… (Mme Catherine Génisson manifeste son désaccord.)

Tout d’abord, de quel problème parle-t-on ? Il ne s’agit pas des 35 heures en général, c’est-à-dire de la réduction du temps de travail dans le secteur marchand. Sur ce plan, le bilan de la réforme est au mieux décevant, au pis négatif. Il est décevant si l’on considère le nombre d’emplois créés. Or tel était bien l’objet des lois Aubry : lutter contre le chômage, créer des emplois en partageant, en quelque sorte, l’emploi comme un gâteau.

À l’époque, j’avais organisé à l’Assemblée nationale, en tant que député de la majorité d’alors, un colloque intitulé : « Comment réussir les 35 heures ? » L’esprit de ma démarche était donc à la fois critique et constructif. À l’issue de ce colloque, auxquels avaient participé, entre autres, Martine Aubry, Gilles de Robien, des syndicalistes et des représentants du monde de l’économie, ressortait un constat très largement partagé : au-delà de ses apports dans d’autres domaines, la réduction du temps de travail ne pouvait constituer une recette miracle en matière de création d’emplois.

Ce colloque s’est tenu après l’adoption de la première loi et avant l’examen de la seconde. En bon soldat ayant voté le premier texte, tout en restant critique à bien des égards, j’espérais infléchir le texte à venir. Il s’agissait, au fond, de rendre la démarche concrète et pragmatique, en l’adaptant à la réalité. En tout cas, je n’avais pas d’a priori totalement négatif,…

M. Gérard Larcher. Moi non plus !

M. Jean-Marie Bockel. … même si je restais circonspect.

Hélas ! ce n’est pas la voie de la prudence qui a été finalement empruntée.

Dans le secteur marchand, les 35 heures auraient créé 350 000 emplois. Cette évaluation fait consensus, mais elle est bien loin des chiffres mirobolants alors avancés par les promoteurs de la réforme, et qu’a rappelés Jean Arthuis : environ 2 millions d’emplois ! Le bilan est donc bien décevant.

En revanche, 650 000 emplois publics et parapublics ont été créés via la RTT, soit près du double. Ce chiffre est à la fois frappant et instructif. À l’origine, les 35 heures ne devaient pas être étendues à la fonction publique. C’est par un décret d’août 2000 qu’elles l’ont été. Pourquoi ? Pour des raisons politiques, bien sûr ! Des demandes en ce sens avaient été exprimées ici où là.

Toutefois, si le gouvernement d’alors a étendu les 35 heures à la fonction publique, c’est aussi parce qu’il savait que, dans ce secteur, elles créeraient à coup sûr des emplois. Généraliser la RTT était donc le seul moyen de concrétiser un tant soit peu les annonces mirifiques du départ. Bref, la RTT est principalement un instrument de création d’emplois publics et parapublics.

En résumé, les 35 heures présentent un bilan plus que décevant dans le secteur marchand et ont considérablement accru la charge de personnel dans le secteur public. (M. Gérard Larcher acquiesce.)

Si l’on ajoute à cela des considérations liées à la compétitivité de nos entreprises, ce bilan pourrait passer de simplement décevant à franchement négatif. Je parle au conditionnel, car l’effet préjudiciable de la RTT sur la compétitivité nationale a certainement été quelque peu atténué par la loi Fillon du 17 janvier 2003, qui a assoupli les 35 heures.

Quoi qu'il en soit, les 35 heures ont créé un climat et façonné une image qui, à l’évidence, ne jouent pas en notre faveur.

Dans tout cela, quelle est la spécificité du secteur hospitalier ? En l’occurrence, il n’y a pas d’enjeu de compétitivité : c’est simplement une question d’effectifs et de coûts. Mais la problématique de l’hôpital ne se limite pas à l’application des 35 heures, les différents orateurs l’ont rappelé, notamment Gérard Larcher, qui s’est exprimé à l’instant avec la fougue qu’on lui connaît. Il reste que c’est un élément qui doit être pris en compte.

Commençons par le problème des effectifs. C’est en 2002 que la RTT a été instaurée dans les hôpitaux. Le gouvernement Jospin avait promis la création de 3 500 postes de médecins et de 45 000 postes non médicaux. Dans les faits, seule une partie de ces emplois a été créée : si, dans leur ensemble, les effectifs de la fonction publique hospitalière sont passés de 930 000 à 1,13 million de personnes entre 2000 et 2010, soit une augmentation de plus de 21,5 % en dix ans, les recrutements strictement médicaux ont été insuffisants. Le manque de personnels qualifiés, notamment d’infirmières, a empêché l’hôpital de s’adapter à la réforme comme il le fallait.

Autrement dit, la RTT a été imposée à l’hôpital sans avoir été préparée ni même accompagnée. Aucun relèvement du numerus clausus n’a été décidé. Cette logique a suscité nombre de dysfonctionnements dans l’organisation du travail à l’hôpital. De plus, les crédits destinés aux postes prévus ont souvent été gelés par les établissements, confrontés à des difficultés financières.

Ce constat me conduit au second problème : celui du coût.

Faute de pouvoir être remplacés, nombre de médecins et de cadres se sont vus dans l’impossibilité de prendre leurs jours. Ils les ont stockés dans des comptes épargne-temps qui, au fil des ans, n’ont cessé de gonfler. (M. Gérard Larcher opine.) Le chiffre a été cité : en 2012, on estimait à 2 millions le nombre de jours accumulés par les praticiens. Certains d’entre eux en avaient jusqu’à 150, voire 200 ! De leur côté, les personnels non médicaux, principalement les cadres, totalisaient environ 1,2 million de jours.

Parce que la loi de 2002 prévoyait que les jours ainsi stockés devaient être soldés dans un délai de dix ans, un accord-cadre a été conclu le 23 janvier 2012 entre les syndicats de praticiens et le ministre de la santé de l’époque. Ce texte imposait que les vingt premiers jours stockés par un médecin soient pris sous forme de congés, le reste devant être soldé dans un délai de quatre ans.

Trois possibilités s’offrent dès lors au médecin. Primo, le praticien peut décider de prendre ses jours de congé ; dans ce cas, l’hôpital doit, en règle générale, rémunérer un remplaçant pour que le service puisse continuer à fonctionner. Secundo, le médecin peut opter pour des points de retraite supplémentaires ; mais, là encore, il en résulte un coût pour l’établissement, qui doit cotiser davantage au régime additionnel de retraite des praticiens. Tertio, le médecin peut obtenir le paiement des jours non pris ; chacune de ces journées est alors rétribuée à hauteur de 300 euros par son hôpital – 180 euros pour les personnels non médicaux.

Dans tous les cas de figure, c’est à l’hôpital de payer, de financer une politique de RTT qui n’a rien à voir avec sa mission première. Le surcoût est considérable : il a été estimé, en 2012, à 600 millions d’euros. Mais il est impossible d’établir une évaluation précise, car le chiffre dépend des choix des personnels concernés.

À titre d’exemple, je citerai l’hôpital de Mulhouse, que je connais bien pour présider son conseil de surveillance depuis vingt-cinq ans. Au sein de cet établissement, le coût du compte épargne-temps est estimé à 18 millions d’euros, soit 5 % du budget total, qui s’élève à 360 millions d’euros. Ce n’est pas rien !

À la fin de l’année 2011, les hôpitaux avaient mis, pour faire face à ces charges, environ 250 millions d’euros de côté. Cette somme était naturellement très insuffisante. Comble de l’ironie, on craignait que nombre d’établissements ne soient contraints de supprimer des emplois pour financer les 35 heures !

Madame la ministre, deux ans après l’accord-cadre du 23 janvier 2012, peut-on disposer d’un premier bilan de la mise en œuvre du dispositif défini ? Qu’ont choisi les personnels concernés ? Combien, en conséquence, la RTT a-t-elle coûté et coûtera-t-elle encore aux hôpitaux ? Comment ces derniers pourront-ils faire face à ces dépenses ? Certains d’entre eux ont-ils effectivement dû réduire leurs charges de personnel ?

Que des problèmes d’organisation se posent de toute façon, je ne le nie pas, car je ne veux pas être manichéen. Mais, si l’on s’en tient au sujet qui nous occupe aujourd'hui, les questions que je viens d’énumérer sont d’autant plus cruciales que, mécaniquement, durant toute la période de montée en charge des 35 heures, la situation financière de l’hôpital s’est fortement dégradée, et elle demeure préoccupante, pour de nombreuses raisons.

C’est à partir de 2006 que l’hôpital s’est retrouvé en déficit. Celui-ci ne se résorbe que lentement : alors qu’il avait atteint 710 millions d’euros en 2007, il était toujours, en 2010, de 488 millions d’euros. Ces chiffres sont étonnamment voisins du coût prévisionnel de la RTT…

Si le problème est flagrant à l’hôpital, que dire du secteur sanitaire et social ? Dans les maisons de retraite, dans les EHPAD – établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, dans les établissements accueillant des personnes handicapées ou dans les foyers d’hébergement de jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, les prix de journée ont atteint des niveaux difficilement supportables pour les pensionnaires ou leurs familles. Et l’on prétend, dans ce contexte, faire la nécessaire réforme de la dépendance !

J’affirme que, si les 35 heures ont globalement été une fausse bonne idée, ou au moins une idée mal mise en œuvre, leur extension à l’hôpital a été une grave erreur, à certains égards irresponsable. Je veux le dire à mon tour, la compétence, l’engagement, le dévouement des personnels médicaux et non médicaux – et aussi des directions, souvent de qualité, qui font ce qu’elles peuvent pour résoudre les problèmes auxquelles elles sont confrontées et faire face à tous les enjeux de cette période–, permettent à notre système de santé de demeurer malgré tout un motif de fierté, capable de relever bien des défis. On sent bien, toutefois, qu’il a un fil à la patte, ou plutôt un boulet au pied, qui le freine dans l’engagement des réformes nécessaires.

Il s’agit d’une question majeure à laquelle il nous faut apporter des solutions. L’OFCE – observatoire français des conjonctures économiques – l’a dit, et la CFDT, pour citer l’exemple d’un syndicat qui recueille un nombre important de voix dans le personnel des hôpitaux, a dénoncé « une approche court-termiste, au seul service d’un message politique ». Lionel Jospin lui-même, invité à dresser le bilan des 35 heures, a confié qu’il s’agissait de son seul regret, reconnaissant qu’il aurait fallu étaler davantage la réforme dans le temps.

Au regard des objectifs d’économies, que plusieurs orateurs ont rappelés, nous devons savoir nous remettre les uns et les autres en question. Il ne s’agit pas de « mettre le bazar » dans les hôpitaux ni d’envoyer des messages négatifs à des personnels auxquels on demande beaucoup et qui, quelle que soit leur compétence, sont confrontés quotidiennement à de graves difficultés, notamment parce que de plus en plus de nos concitoyens ont recours à l’hôpital, faute d’autres solutions. Nous savons tout cela ! Tout cela rend, bien sûr, l’exercice très difficile. Il n’en est pas moins nécessaire.

D’une manière ou d’une autre, une remise à plat s’impose, et nous entendrons avec intérêt vos réponses, ainsi que les perspectives que vous tracerez, madame la ministre.

Il est à mon sens impossible d’occulter ce sujet en se contentant de renvoyer aux autres problèmes sérieux, comme celui de l’organisation, que rencontre le secteur et en niant que cette question se pose de manière lancinante.

Merci, madame la ministre, de vos réponses, que je souhaite tournées vers l’avenir, et non vers le passé. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)