M. Jean Arthuis. Les économies doivent être recherchées dans la fonction publique !

Mme Marisol Touraine, ministre. Avant d’élargir le débat, suivant le vœu de M. Arthuis, je tiens à affirmer que les professionnels de santé à l’hôpital se sont pleinement approprié les 35 heures.

M. Jean-François Husson. Ça dépend desquels !

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme Mme Archimbaud l’a souligné avec force, ils les considèrent comme un indéniable progrès et les plébiscitent largement.

Au vrai, à l’hôpital au moins autant qu’ailleurs, voire plus qu’ailleurs, la réduction du temps de travail était une nécessité. En effet, les professionnels qui y exercent travaillent dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles, et le rapport qu’ils entretiennent à leur temps de travail est marqué par l’engagement et la mobilisation. Plus que d’autres professionnels, ils doivent faire face à l’irrégularité de la charge de travail ; en particulier, les jours et les horaires alternés perturbent leur vie personnelle.

C’est pourquoi les professionnels de santé à l’hôpital sont nombreux à avoir vu dans les 35 heures une réponse nécessaire à leur situation.

Je veux saluer l’engagement, la mobilisation et le dévouement de l’ensemble de la communauté hospitalière, personnels soignants, dans leur diversité, et personnels non soignants. Monsieur Savary, je vous le dis avec courtoisie, mais fermeté : je ne peux pas vous laisser prétendre que les 35 heures leur auraient fourni un prétexte pour se démobiliser et se désengager.

M. René-Paul Savary. Ce n’est pas ce que j’ai dit, madame la ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est bien ce que vos propos laissaient entendre, monsieur le sénateur !

En ce qui concerne la question du numerus clausus, qui est sans lien direct avec les 35 heures, mais qui vous préoccupe beaucoup et que vous soulevez régulièrement, je veux tordre le cou à l’idée selon laquelle il suffirait de former davantage de médecins pour résoudre l’ensemble des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans nos territoires, en particulier dans les territoires ruraux. Au demeurant, ces difficultés sont en voie d’être aplanies grâce aux mesures que j’ai mises en place, au nom du Gouvernement, depuis un peu plus d’un an.

En vérité, monsieur Savary, les médecins français n’ont jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui par rapport à la population : alors qu’il y avait dans notre pays, pour 100 000 habitants, 214 médecins au début des années 1990, on en compte aujourd’hui environ 300, soit presque un tiers de plus !

M. René-Paul Savary. Les spécialités sont plus nombreuses aujourd’hui !

Mme Marisol Touraine, ministre. Ainsi, le problème ne tient pas au nombre de médecins formés, mais à leur répartition et à leurs choix d’implantation. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé d’encourager les professionnels à s’installer dans des territoires où, désormais, ils ne vont plus d’eux-mêmes, plutôt que de former davantage de professionnels qui grossiraient les rangs de ceux qui ouvrent ou rejoignent des cabinets en centre-ville.

Mais je reviens aux 35 heures. Pour les personnels, le passage à cette durée a été synonyme d’un meilleur équilibre des rythmes de travail et de vie. Pour eux, la plupart des jours de RTT ont été intégrés aux cycles de travail.

S’agissant des personnels médicaux, il faut se souvenir que les RTT ont été mises en œuvre en même temps que la directive européenne sur le temps de travail était transposée. Cette directive a notamment prévu la comptabilisation des gardes comme du temps de travail effectif et elle a confirmé l’obligation de repos quotidien : ce sont des mesures dont nous n’avons pas fini de gérer les conséquences sur le plan de l’organisation.

En réalité, c’est moins le passage aux 35 heures qui a pesé sur l’organisation du temps travail des médecins à l’hôpital que la transposition à peu près concomitante de cette directive européenne à laquelle nous avons dû nous soumettre. Les contraintes d’organisation sont aujourd’hui dépassées, pour l’essentiel, mais elles ont été réelles au début des années 2000.

Par ailleurs, la mise en œuvre des 35 heures a permis de créer des emplois : 37 000 emplois ont été créés dans le seul domaine sanitaire, et 8 000 dans le secteur médicosocial.

Je ne peux pas laisser dire qu’il s’agirait de sous-emplois et que les professionnels de l’hôpital seraient d’anciens emplois-jeunes sous-qualifiés. En effet, les emplois-jeunes ont été formés là où ils ont été recrutés : s’ils ont commencé à travailler il y a dix ans, on peut tout de même penser qu’ils ont acquis un savoir-faire !

En outre, à l’hôpital, les emplois-jeunes ont servi au recrutement de personnels administratifs, non de soignants, alors que les emplois créés grâce aux 35 heures ont été, pour l’essentiel, des emplois de soignants.

Il faut bien constater, néanmoins, que les spécificités de l’hôpital y ont rendu la mise en œuvre des 35 heures plus difficile que dans d’autres secteurs. De fait, si la présence médicale ou soignante doit être assurée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il est souvent difficile de remplacer une infirmière ou une aide-soignante qui a accompagné un malade pendant plusieurs heures.

C’est la raison pour laquelle l’engagement des établissements hospitaliers a été décisif pour réorganiser le travail après la mise en place des 35 heures. Les établissements ont dû concentrer leurs efforts sur la réduction des chevauchements d’équipes, sur la mise en commun des moyens et sur la consolidation des relations entre les services cliniques et les services médico-techniques.

D’ailleurs, certaines de ces réorganisations ont été à la source de progrès pour les hôpitaux : c’est ainsi que l’application de la réduction du temps de travail à tous les personnels, sans exception, a permis un renforcement de la coordination des équipes médicales et non médicales.

La critique, au demeurant nuancée, que M. Larcher a adressée aux 35 heures ne saurait faire oublier que, dans certains établissements, comme celui de Rambouillet, l’accord visant à accompagner la mise en place des 35 heures a été extrêmement généreux pour les personnels.

M. Gérard Larcher. L’accord a été revu depuis !

M. Alain Gournac. Eh oui, on est revenu en arrière !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est la preuve que des solutions performantes ont pu être trouvées.

M. Gérard Larcher. Il faudra l’expliquer à la CGT !

Mme Marisol Touraine, ministre. La grande caractéristique de la fonction publique hospitalière est d’être une fonction publique d’établissements. Aussi bien, c’est établissement par établissement que les 35 heures ont été mises en place et que le dialogue social a été organisé. La réforme a donc été déclinée de manière variable selon les établissements, même si une convergence s’est progressivement dessinée.

M. Alain Gournac. Tout va bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. L’un des orateurs a préconisé de mobiliser les agences régionales de santé pour rendre le dialogue social plus actif. Je suis extrêmement attentive à la vitalité du dialogue social, mais j’estime qu’il doit se nouer au sein des établissements et tenir compte des réalités de chacun. Il appartient aux agences régionales de santé de s’assurer que le dialogue est effectif, mais les directeurs généraux des agences n’ont pas à se substituer aux directeurs des établissements pour l’organiser.

Afin d’assurer la mise en œuvre des 35 heures, nos hôpitaux ont également développé de nouveaux outils de gestion, comme les comptes épargne-temps, les CET, dont le format s’est adapté au fil du temps.

Ces dispositifs ont engendré des différences entre les établissements et les personnels. Les 35 heures se sont traduites de manière variée selon les catégories professionnelles : soit elles ont été intégrées dans les cycles de travail, soit elles ont donné lieu à des possibilités de récupération pour les professionnels médicaux, les cadres et les cadres supérieurs, qui bénéficient pour leur part d’un CET.

Ces différences peuvent avoir provoqué un certain nombre de dysfonctionnements. En effet, de nombreux personnels hospitaliers n’ont pas transformé leurs manières de travailler à la suite de la mise en œuvre des 35 heures, accumulant ainsi au fil des années des jours de congés non pris, dont le nombre peut atteindre 100, 200, voire 300 ! Une telle situation est susceptible de déboucher sur des dysfonctionnements, soit à court terme, soit à plus long terme. Par exemple, il n’est pas interdit d’imaginer que, à la fin de leur carrière, certains personnels hospitaliers puissent partir en retraite un an plus tôt que la date prévue.

C’est la raison pour laquelle j’ai fait le choix de mieux réguler ce qu’on a coutume d’appeler la « dette sociale », laquelle, indépendamment des mesures que j’ai prises, a été provisionnée, monsieur Savary, par les établissements hospitaliers.

M. Jean Arthuis. Non ! Cela n’apparaît pas !

Mme Marisol Touraine, ministre. J’ai donc pris un certain nombre de décisions. Le décret du 6 décembre 2012 prévoit notamment qu’un maximum de dix jours peut être inscrit chaque année dans le CET. Il prévoit aussi que le plafond maximal de jours maintenus dans le CET est fixé à soixante, alors que la durée de vie du compte épargne-temps reste illimitée. L’ensemble des jours de congés maintenus dans les CET, qu’ils donnent lieu à une indemnisation ou à des congés, est désormais valorisé dans un compte de provision, qui peut être identifié, contrôlé puis rendu public dans le cadre des comptes financiers.

Vous qui appelez à la transparence, messieurs les sénateurs de l’opposition, mais ne l’avez jamais mise en œuvre au cours des dix dernières années, vous allez pouvoir vous réjouir qu’elle soit désormais au rendez-vous ! En effet, dans chaque établissement, on pourra dorénavant vérifier la manière dont les jours ou les heures ont été accumulés, dans le cadre des 35 heures. Par ailleurs, il y aura, pour la première fois, une « remontée » au niveau national de la réalité de chacun de ces comptes hospitaliers, de façon que nous puissions procéder à l’agrégation et à la comparaison des situations.

M. Jean Arthuis. Cela va être très difficile !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne doute pas que vous vous félicitiez de cette mesure, que vous auriez pu prendre au cours des dix années passées.

Pour ce qui concerne les personnels médicaux, un second décret a été publié, qui permet une meilleure régulation de leurs CET. Outre des dispositions similaires à celles qui sont prévues pour les agents de la fonction publique hospitalière, le texte prévoit une mise sous contrôle de l’utilisation des CET. Ainsi, le chef de pôle est désormais pleinement responsable de la gestion prévisionnelle des congés et des CET : l’objectif est de sensibiliser le corps médical à la prise régulière de jours de congé et à la régulation des CET.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au cours des dix prochaines années, la réduction des durées de séjour et le développement de l’ambulatoire transformeront encore en profondeur l’organisation du travail à l’hôpital.

Plusieurs questions se posent – Mme Cohen en a évoqué certaines –, notamment en termes d’organisation. Je pense en particulier au recours à des médecins intérimaires, parfois appelés « mercenaires ». C’est un sujet préoccupant, qui fera l’objet de dispositions spécifiques dans la prochaine loi de santé que je serai amenée à proposer, car nous ne pouvons pas laisser se développer et prospérer ce type de solutions.

Comme l’a indiqué Catherine Génisson, nous avons des progrès importants à réaliser concernant l’organisation de notre système de santé autour des parcours de soins. De même, une meilleure intégration de la médecine ambulatoire et de la médecine hospitalière est nécessaire. C’est là, monsieur Arthuis, le cœur des réformes structurelles que nous avons à promouvoir pour l’hôpital.

Je ne crois pas que ce soit par la suppression ou la remise en cause des 35 heures que nous parviendrons à maîtriser les dépenses publiques. Car cette maîtrise est désormais indispensable : nous devons, nous, régler ce problème puisque vous, ces dépenses, vous les avez laissé littéralement exploser – il n’y a pas d’autre mot – au cours de dix dernières années. Je crois, au contraire, que seules des réformes structurelles seront à même de produire des effets dans la durée.

S’agissant de l’autonomie, sur laquelle vous m’avez posé une question précise, le projet de loi qui viendra en débat au printemps devant le Parlement est d’ores et déjà intégralement financé. En effet, cela ne vous aura pas échappé, nous avons instauré une contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, dite CASA – vous l’aviez contestée en son temps –, affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.

M. Jean Arthuis. C’est un impôt supplémentaire !

Mme Marisol Touraine, ministre. Ce prélèvement, qui représente environ 645 millions d’euros par an, permettra la mise en œuvre de ce texte relatif à l’autonomie. Vous le voyez bien, il n’y a là ni doute ni flou, contrairement à ce que vous avez indiqué.

Je terminerai en disant simplement que la réduction horaire du temps de travail doit aujourd'hui être complétée par une amélioration de la qualité de vie au travail ; Catherine Génisson et Laurence Cohen ont insisté sur ce point. J’ai en effet bien conscience que des tensions demeurent au sein de la communauté hospitalière. Pour y répondre, j’ai lancé plusieurs chantiers.

D’abord, le pacte de confiance pour l’hôpital a d’ores et déjà permis, au travers de la publication de décrets, de renforcer les compétences des comités techniques d’établissement, des commissions médicales d’établissement et des commissions régionales paritaires. Ces trois instances sont appelées à renforcer leurs échanges sur la gestion du temps de travail.

J’indique au passage que les tensions n’apparaissent pas plus importantes dans la fonction publique hospitalière qu’ailleurs et que, pour ce qui est de l’absentéisme, les différences sont plus nettes à l’intérieur des hôpitaux, d’un service à un autre, qu’entre les hôpitaux ou entre la fonction publique hospitalière et les autres fonctions publiques.

Par ailleurs, une négociation est actuellement en cours sur les conditions de travail des personnels hospitaliers. Elle devrait déboucher sur l’organisation d’un rendez-vous annuel consacré à cette question. Il s’agit de cibler des crédits qui permettront de relancer la dynamique des contrats locaux d’amélioration des conditions de travail, lesquels intègrent la thématique de la concordance des temps de travail entre personnels médicaux et non médicaux.

C’est dans ce cadre, en particulier, mais pas exclusivement, que la question de l’organisation du temps de travail par période de 12 heures peut être posée. Elle est aujourd'hui permise par les textes, mais à titre dérogatoire. À cet égard, des interrogations peuvent être légitimement se faire jour, compte tendu de la tendance à la généralisation de ce mode d’organisation, pourtant plébiscité par les jeunes générations. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé que ce sujet fasse l’objet de débats au niveau du CHSCT central, c'est-à-dire au sein du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière.

Enfin, la ministre chargée de la fonction publique a entamé à la fin de l’année dernière des discussions sur le thème de la prévention de la pénibilité dans la fonction publique : elles devraient permettre de réaliser les progrès qui sont nécessaires en la matière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en œuvre des 35 heures à l’hôpital a été, pour les centaines de milliers de Français qui y exercent au quotidien, une avancée sociale importante. Toutefois, le travail engagé pour parfaire l’organisation du travail hospitalier doit être poursuivi.

Le temps de travail, l’organisation du travail, la qualité de vie au travail : ces trois enjeux sont indissociables. C’est la raison pour laquelle nous menons les trois chantiers de front. La communauté hospitalière et l’ensemble des Français, usagers potentiels de notre secteur hospitalier, attendent que l’hôpital soit reconnu non seulement comme un lieu où le travail doit se dérouler dans les meilleures conditions possibles, mais aussi, plus largement, comme un lieu de vie.

Je veux dire aujourd'hui ma confiance – et non pas ma défiance, comme je l’ai parfois entendu ! – envers le personnel hospitalier et ma volonté de faire en sorte que leurs conditions de travail soient toujours améliorées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan des 35 heures à l’hôpital.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à midi, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Questions cribles thématiques

laïcité

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la laïcité, thème choisi par le groupe UMP.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.

La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe UDI-UC.

M. Hervé Marseille. Monsieur le ministre, le terme « laïcité » a connu ces derniers temps des interprétations multiples, aboutissant, in fine, à des confusions. Par conséquent, je préciserai, pour commencer mon propos, ce que j’entends par laïcité.

À propos de la loi Falloux, Victor Hugo s’exprimait dans ce même hémicycle en ces termes : « je veux […] l’Église chez elle et l’État chez lui. »

Pour sa part, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, rappelle notamment que la laïcité est non pas la négation du fait religieux ou son ignorance par la puissance publique, mais le respect des opinions religieuses. Aussi, il n’y a jamais eu d’athéisme d’État. La plus haute juridiction administrative est claire : la liberté est la règle, la restriction, l’exception.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, réaffirme l’exigence de neutralité de l’État, la non-reconnaissance des cultes, le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, la garantie du libre exercice du culte et, enfin, le fait que la République ne salarie aucun culte.

En 1905, Aristide Briand concevait la rue comme un prolongement de la sphère privée. Elle ne devait donc pas être « aseptisée ». Aussi, la religion n’était pas amenée à rester dans l’unique sphère privée. Par conséquent, seuls l’État, ses bâtiments, monuments, personnels ne peuvent arborer de signes religieux.

Selon Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, qui occupe la chaire d’histoire et de sociologie des laïcités, « il y a [aujourd’hui] la tentation que la rue prolonge l’espace d’État » plutôt que de prolonger l’espace privé.

Souscrivant aux définitions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur le point soulevé par M. Portier, en me référant à des cas d’actualité.

Pour ce qui concerne l’affaire Baby Loup, les juges du fond ont résisté à l’arrêt rendu par la Cour de cassation. Celle-ci devra donc siéger en assemblée plénière. Un arrêt fondamental est attendu sur ce point.

Par ailleurs, le quotidien Les Échos consacrait récemment un article à la société Paprec, qui vient d’appliquer à une entreprise privée les concepts de laïcité auxquels l’État est soumis.

Aussi, j’aimerais savoir si le Gouvernement entend présenter un projet de loi afin de réaffirmer le système consacré par nos juridictions – il s’agirait d’un signal fort –, ou s’il souhaite modifier ce système pour que la rue et l’entreprise privée prolongent l’espace d’État.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé certains grands principes de la laïcité, notamment la séparation existant entre l’espace privé et l’espace public. Certains endroits sont, en quelque sorte, au croisement des deux ; vous avez évoqué la rue et l’entreprise.

En réalité, la question est de savoir comment appliquer de façon équilibrée ces principes dans ces espaces mixtes. Tous les espaces de travail ne le sont pas. Ceux qui offrent des services publics sont considérés comme faisant partie à 100 % de l’espace public : en l’espèce, le principe de laïcité, au sens où nous l’entendons dans cette enceinte, s’applique évidemment dans toute sa force. Aucun signe particulier ne doit permettre de distinguer les uns des autres.

S’agissant de l’entreprise – la crèche Baby Loup est une entreprise privée, mais son personnel est au contact avec le public –, la question est de savoir s’il est possible d’interdire catégoriquement pour tous les employés le port de signes distinctifs, ou si, comme l’autorise le code du travail, cette interdiction peut ne valoir que pour certaines catégories, comme celles qui sont au contact avec le public.

La question que je viens de poser est celle qui est aujourd'hui juridiquement soumise aux juridictions. Vous avez évoqué les différentes décisions rendues dans l’affaire de la crèche précitée. De mémoire, le conseil des prud’hommes a considéré que le licenciement pour port d’un signe distinctif était légitime ; une cour d’appel a confirmé ce jugement de première instance ; la Cour de cassation l’a infirmé, considérant que le règlement intérieur de la crèche était trop catégorique et trop général ; une nouvelle cour d’appel, celle de Paris, s’est « rebellée » contre cette dernière décision et est revenue à la position d’origine. Il revient maintenant à la Cour de cassation de rendre une décision finale, dont nous devrons tirer des conclusions.

Ma conviction est qu’il existe aujourd’hui, au sein du code du travail et dans les entreprises, des outils qui permettent de faire la différence, de réglementer sans interdire de manière catégorique. C’est plutôt dans cette voie que notre pays devrait, me semble-t-il, s’engager.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour la réplique.

M. Hervé Marseille. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Nous attendons avec impatience la décision de la Cour de cassation, qui fera, sans nul doute, date, car cette question soulève, à l’évidence, des difficultés auxquelles de nombreuses entreprises risquent d’être confrontées.

Il est important de réaffirmer nos principes fondamentaux. Néanmoins, il sera peut-être nécessaire de compléter, sur certains points, les textes existants, car, le temps passant, l’évolution de la société rend utiles de telles adaptations.

Malgré tout, cette situation traduit malheureusement aussi un échec de notre système éducatif. L’esprit de tolérance, qui devrait être enseigné davantage dans les familles et à l’école, trouve là ses limites. Au-delà de ces structures, il revient au législateur et aux juridictions de faire en sorte que cet esprit de tolérance perdure dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour le groupe socialiste.

M. Claude Domeizel. Madame la ministre, en 2011 – en deux étapes, le 28 avril et le 31 mai, pour des raisons d’agenda et d’organisation des débats –, le Sénat a adopté la proposition de résolution instituant « une journée nationale de la laïcité », fixée au 9 décembre.

Les débats, riches, ont été sereins, à l’image de ce qui caractérise la laïcité. À cet égard, permettez-moi de citer une phrase qui me plaît beaucoup : « La laïcité, c’est comme l’air qu’on respire sans s’en apercevoir. » C’est tout à fait vrai, ce qui pourrait laisser penser qu’il n’est pas nécessaire de parler de quelque chose d’aussi banal.

L’actualité nous incite pourtant à rappeler de temps à autre que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

C’est pourquoi le groupe socialiste avait, sur mon initiative, déposé la proposition de résolution susvisée. Cette journée nationale de la laïcité, garante de la cohésion républicaine, non fériée et non chômée – je le précise –, d’une part, permettrait de faire le point une fois par an sur les différentes actions menées en la matière par les pouvoirs publics et, d’autre part, serait l’occasion de manifestations au sein du système associatif et éducatif.

Dois-je encore préciser qu’une proposition de résolution rédigée dans des termes très similaires avait également été déposée par l’un des membres du groupe UMP, Sophie Joissains ? Je profite d’ailleurs de cette remarque pour souhaiter à notre collègue, qui a été victime d’un accident, un prompt rétablissement.

Madame la ministre, il ne s’agit pas de raviver les polémiques, bien au contraire ! Mon intervention se veut un rappel de la tolérance et du vivre ensemble. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à cette résolution, qui a été adoptée à une large majorité par le Sénat ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, Manuel Valls aurait aimé vous répondre personnellement, mais il est retenu par une réunion avec ses homologues belge et néerlandais.

La question que vous soulevez est au cœur des problématiques que le Gouvernement examine avec intérêt. Je reprends pour le compte du Gouvernement la belle définition de la laïcité que vous avez donnée, cet « air qu’on respire sans s’en apercevoir »…

J’ai bien entendu les vœux que vous formiez pour cette résolution qui a été examinée en deux temps par le Sénat, le 28 avril et le 31 mai 2011. Elle est corroborée par l’avis du 19 novembre 2013 de l’Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, qui avait émis une recommandation fondée sur les mêmes principes et allant dans le même sens.

Le Gouvernement et, au-delà, l’ensemble des pouvoirs publics sont à l’œuvre pour engager des actions en faveur de la promotion de la laïcité. Ils entendent bien veiller à ce que tous les moyens soient mis en œuvre pour faire comprendre que, par laïcité, il faut entendre la coexistence entre la séparation des Églises et de l’État et une liberté totale d’exercice du culte. Ce sont des notions bien connues.

Sur le plan territorial, chaque administration a vocation à relayer cette politique, par l’intermédiaire des correspondants « laïcité » qui ont été désignés dans chaque préfecture, et à débattre de ces questions au sein des conférences départementales de la laïcité et de la liberté religieuse.

Le 9 décembre, date anniversaire de la loi du 9 décembre 1905, est en effet une belle occasion pour faire un bilan de ces actions de promotion. Mais cette journée ne doit en aucun cas faire oublier que la laïcité est une action permanente et de terrain. C'est quelque chose de très concret, qu’il faut faire vivre au quotidien. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)