Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 25 mai dernier, les citoyens de l’Union européenne étaient appelés aux urnes pour élire un nouveau Parlement européen. Finalement, peu d’entre eux se sont déplacés, notamment en France, et les partis europhobes ont réalisé une percée importante en Pologne, au Danemark, en Autriche, en Hongrie, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

Les Français, pour leur part, ont placé en tête la liste du Front national. C’est symboliquement contrariant que la liste qui préconise la destruction de l’Europe en tant qu’institution soit en tête, mais, politiquement, il n’est pas encore écrit que les listes europhobes parviennent à modifier sensiblement l’équilibre du Parlement européen.

Cela étant, ce vote ne traduit pas une volonté des Français de sortir de l’Europe. Pour reprendre une formulation un peu galvaudée, nous devons « tirer les leçons de ce scrutin ». Force est de constater que les fameuses « leçons à tirer » ne sont pas les mêmes pour tous.

La crise économique, la précarité et l’inquiétude socioéconomiques de nos concitoyens favorisent à la fois l’abstention et un vote contestataire. En outre, l’insécurité économique engendre une crispation identitaire, habilement orchestrée par ces mouvements extrêmes. Dès lors, aux yeux des pourfendeurs de l’Europe, la réponse aux difficultés sociales et économiques résiderait dans la sortie de l’euro et la déconstruction européenne, avec le rétablissement des frontières nationales.

Le groupe socialiste du Sénat conteste vigoureusement l’idée qu’il faille revenir sur les grandes réalisations européennes telles que la libre circulation ou la monnaie unique, mais il continue à demander une réorientation de l’Europe, ainsi qu’une modification de sa gouvernance.

Pour que cette demande de réorientation soit crédible, nous devons prendre nos responsabilités. Trop souvent, depuis trop longtemps, nous n’avons pas su ni voulu parler d’Europe, et cette responsabilité est aussi celle de nos grands médias. Parfois, certaines mesures, impopulaires, ont été mises, à tort, sur le dos de l’Europe. A contrario, quand il s’agissait d’initiatives européennes, nous avons choisi de les mettre à notre seul crédit politique.

Le mot « Europe », récemment encore porteur de rêve, synonyme de progrès et de liberté, est désormais entaché de suspicion. L’urgence exige de redonner en priorité du sens, de la lisibilité et de la hauteur de vue à l’action européenne. Dans cette perspective, trois dossiers seraient de nature à « raccrocher les wagons ».

Le premier nécessite de régler, dans des délais acceptables, les questions liées au dumping fiscal.

Le deuxième dossier concerne l’âme de l’Europe, en résistant, pour reprendre les propos du pape François, « à la mondialisation de l’indifférence ».

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Belle référence !

Mme Bariza Khiari. Absolument !

Le troisième dossier, le plus important, est relatif à l’abandon des politiques de rigueur et à la relance de la croissance et de l’emploi.

Notre crédibilité est en jeu et notre responsabilité immense.

Le premier dossier porte donc sur l’harmonisation fiscale, du moins l’imposition des profits là où ils sont réalisés. Nous devons être à l’offensive face à cette exigence. Il est absolument impossible de justifier notre fiscalité, tant sur les ménages que sur les entreprises, si nous ne combattons pas parallèlement les stratégies d’évitement élaborées notamment par les nouveaux géants du numérique, dont les plus connus sont Amazon, Google, Facebook.

Le consentement à l’impôt est une nécessité démocratique. Or l’optimisation fiscale pratiquée par ces groupes contribue à l’érosion de ce consentement, d’une part, et à la destruction d’emplois, d’autre part. Il s’agit d’une problématique sensible autant en France et au Royaume-Uni qu’en Allemagne. Nous savons que, le 11 juin dernier, la Commission a ouvert une enquête sur les pratiques fiscales de l’Irlande, du Luxembourg et des Pays-Bas. Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les avancées de l’Union européenne sur cette question et quel rôle entend jouer notre pays pour accélérer le processus ?

La commission des finances du Sénat a été très active sur la question de l’équité fiscale numérique. Si je souhaite y revenir aujourd’hui, c’est parce que, depuis six mois, le Parlement travaille sur une proposition de loi visant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres, dont je suis rapporteur. Le dispositif que nous avons élaboré vise à rétablir des conditions de concurrence plus équitables entre les librairies indépendantes et le géant de la vente à distance. Cette proposition de loi, qui devrait normalement être adoptée jeudi matin, est soutenue à l’unanimité par tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat. Or la Commission européenne, sur un aspect au moins du dispositif voté, a émis un avis que nous contestons. La commission des affaires culturelles du Sénat, forte de cette double unanimité, a décidé de passer outre, et nous espérons que la Commission européenne sera sensible à nos arguments.

Le deuxième dossier sur lequel nous devons parler haut et clair concerne l’exigence d’une nouvelle approche de la politique européenne de l’asile qui soit en conformité avec les droits de l’homme et l’ensemble des valeurs et des principes des démocraties occidentales.

Je rappelle que nous avions déposé, en 2010, une proposition de résolution visant le déclenchement de l’octroi de la protection temporaire en faveur des réfugiés afghans. Quels sont les engagements que peut d’ores et déjà prendre l’Union européenne en termes de déclenchement de la protection temporaire, monsieur le secrétaire d’État ?

Le traitement en urgence des réfugiés, la mise en place â contretemps des mesures nécessaires ne sont pas compatibles avec l’esprit de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Il nous faut anticiper, dès maintenant, un afflux éventuel de réfugiés irakiens.

Outre la protection temporaire souvent engagée tardivement, l’Union européenne pèche aussi en matière de réinstallation, une autre solution pour les réfugiés. En 2013, l’Union européenne, avec vingt États, n’a réinstallé que 5 500 réfugiés, quand les États-Unis en réinstallaient 50 000, l’Australie 6 000 et le Canada 7 000. Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous proposer pour améliorer cette situation ?

Ne cédons pas au cynisme, à l’indifférence, à l’impuissance mise en scène et rappelons à nos concitoyens – j’emprunte ces mots à la maire de Lampedusa – qu’« aucun d’entre nous n’aurait le courage de monter à bord de ces bateaux, en laissant tout derrière soi » et que cette folle odyssée, en mer ou en camion, a sans doute des raisons impérieuses.

L’Europe est une oasis de paix, mais, à nos portes, des pays s’enfoncent dans des guerres civiles aux atrocités sans nom. Notre politique de l’asile doit s’adapter et ne pas se laisser instrumentaliser, amoindrir ou dénaturer par les crispations identitaires honteusement orchestrées par des partis qui se nourrissent de la détresse pour distiller la haine et la défiance.

Ce n’est pas être une « âme sensible » que de veiller à ce que la lutte contre l’immigration irrégulière n’entame pas le droit d’asile. Je suis persuadée que nos concitoyens attendent de l’Europe qu’elle les rende fiers, qu’elle soit porteuse, dans ses actes, de valeurs.

L’opération Mare nostrum, lancée par l’Italie et en partie financée par l’Europe, a permis de sauver des milliers de vies. Monsieur le secrétaire d’État, que compte faire l’Europe aujourd’hui pour que ce programme conjugue sauvetage en mer et respect du droit d’asile ?

Le troisième dossier que nous devons reprendre concerne les règles de calcul du déficit public et la règle des 3 % fixée par le traité de Maastricht. Beaucoup de voix, et pas seulement en France, s’élèvent pour demander une révision de la procédure budgétaire européenne. Ce qui fait figure d’exception aujourd’hui doit devenir la règle demain, pour un rééquilibrage entre lutte contre les déficits publics et promotion de la croissance. À cette fin, il nous paraît fondamental d’exclure les dépenses d’investissement d’avenir et les contributions au budget européen du calcul du déficit. Nous devons également réfléchir à en exclure le coût des réformes structurelles, notamment celles qui sont recommandées par la Commission européenne elle-même. Le ministre allemand de l’économie vient de s’y déclarer favorable, et la future présidence italienne du Conseil de l’Union européenne devrait prendre une initiative en ce sens. Même le FMI appelle à un assouplissement de ces critères.

Nous avons besoin de retrouver le chemin de la croissance. Le gouvernement français, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le pacte de responsabilité effectif à partir de 2015, a mis en place des dispositifs de soutien au pouvoir d’achat, à la compétitivité, et à la croissance. Les dernières décisions de la Banque centrale européenne s’inscrivent également dans cette perspective. Pourriez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d’État, l’état de la réflexion sur la règle de calcul ?

Après avoir exposé trois défis qui doivent trouver des réponses précises et rapides si l’on veut enrayer la désaffection européenne, je veux maintenant saluer la mise en place de la garantie jeunesse, qui a constitué une priorité dans l’agenda du Gouvernement. Je me félicite également de la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement, qui lui permettra de jouer son rôle de levier économique : elle a surtout le mérite d’avoir tenu bon, depuis deux ans, dans les échanges avec les autres États européens, sur la nécessité de doter l’Europe d’un volet social.

J’aimerais conclure sur la garantie jeunesse. Il s’agit du premier programme opérationnel dans le cadre de l’emploi des jeunes. La France recevra une enveloppe importante, destinée aux régions où le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %. La jeunesse française est fortement touchée par le chômage et l’Europe ne la fait plus rêver, à la différence de la génération précédente. La prise en compte de cette population et de ses difficultés économiques est essentielle pour rebâtir un lien de confiance. Le 11 juillet se tiendra le sommet européen pour l’emploi des jeunes. Pouvez-vous d’ores et déjà nous éclairer sur les propositions que la France y défendra ?

Règles budgétaires rénovées, justice fiscale et sociale, humanisme de la politique d’asile constituent donc pour le groupe socialiste du Sénat les trois piliers d’une nouvelle gouvernance de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. André Gattolin. Attendez ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 26 et 27 juin va se voir soumettre, en vertu du traité sur la stabilité, la cohérence et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, dit TSCG, et dans le cadre procédural du semestre européen, une série de recommandations par pays visant à guider les États membres dans leurs politiques budgétaires et de réformes dites « structurelles ».

J’ai lu soigneusement les recommandations concernant non seulement la France, mais aussi l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. C’est un programme d’assainissement à perte de vue, engagé simultanément dans tous les pays européens. Il s’agit en effet de ramener non seulement le déficit budgétaire « structurel », objectif de moyen terme, à 0,5 % du PIB, mais aussi le niveau d’endettement à 60 % du PIB.

Dans ce cadre contraint, l’Allemagne ne peut absolument pas jouer son rôle de locomotive de la croissance européenne. Si les recommandations qui lui sont adressées mentionnent « l’amélioration des conditions propices à une hausse de la demande interne », leur portée est immédiatement circonscrite « à la réduction des taux élevés d’imposition et de cotisation de sécurité sociale, en particulier pour les bas salaires ». Cette suggestion est franchement dérisoire, quand on lit dans le paragraphe précédent que l’Allemagne doit préserver une position budgétaire saine, afin que le taux d’endettement de l’État, actuellement de 85 % du PIB, reste sur une trajectoire descendante durable, jusqu’à 60 % du PIB. Ce n’est pas avec ce genre de recommandation qu’on fera repartir la croissance européenne !

Pour la France, c’est une mise à la diète généralisée : efforts d’économies budgétaires accrus, plafonnement des retraites, rationalisation des allocations familiales, réduction des aides au logement et, curieusement, réforme territoriale, comme si celle-ci pouvait permettre de dégager des économies propres à réduire le déficit budgétaire à 3 % du PIB en 2015 ! Cet objectif est évidemment hors d’atteinte, quand on sait que le déficit sera de 4,1 % du PIB en 2014, du fait d’un tassement des rentrées fiscales de 14 milliards d’euros par rapport aux prévisions.

Viennent ensuite, parmi les recommandations, la réduction du coût du travail, la remise en cause du crédit d’impôt recherche que j’avais créé jadis, la déréglementation des professions dites réglementées, l’ouverture des services à la concurrence, la hausse des tarifs du gaz et de l’électricité, la réduction des niches fiscales et l’élimination des seuils, la suppression des subventions au diesel, la réforme du système d’indemnisation du chômage, j’en passe et des meilleures. Ultime et cocasse recommandation : faire en sorte que le gestionnaire unique des infrastructures des chemins de fer soit bel et bien indépendant par rapport à la SNCF.

On croit rêver, monsieur le secrétaire d’État ! Sur quelle planète vivent donc les technocrates de la Commission européenne ? Celle-ci n’hésite même pas à outrepasser ses compétences en préconisant la réforme du système d’éducation, compétence nationale s’il en est. Bonjour la subsidiarité !

Nous assistons à la mise en tutelle généralisée de la démocratie républicaine. La Commission préconise ainsi les fusions des collectivités locales, éclairant d’un jour inédit les motivations d’une réforme territoriale dont nous avions jusqu’ici quelque peine à percevoir la logique.

La Commission européenne, dans sa proposition au Conseil européen, va même jusqu’à critiquer les règles européennes en dénonçant, à la page 5 du document concernant la France, l’absence de ciblage du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi sur les entreprises exportatrices, seules en mesure d’aider la France à retrouver sa compétitivité. Or on sait que ce sont les institutions européennes elles-mêmes qui, au nom de la concurrence, imposent une règle de non-discrimination entre les entreprises, handicapant ainsi toute politique industrielle.

Ce qui frappe dans la lecture de ces considérants, c’est le resserrement du « cadenassage » de nos choix politiques. Le 5 mars 2014 intervenait, en vertu du TSCG de 2012, la présentation par la Commission du bilan concernant la France ; le 7 mai, la France présentait son programme national de réformes ; le 2 juin était publié le projet de recommandation de la Commission au Conseil du 26 et 27 juin 2014 concernant la France.

Vous entendez, mes chers collègues, ce « cliquetis de chaînes » que j’avais annoncé lors de la ratification du TSCG le 20 octobre 2012. Que restera-t-il, après la réunion du Conseil des 26 et 27 juin, de la liberté de vote du budget par le Parlement ? Et que reste-t-il déjà de la liberté de la France de s’organiser comme bon lui semble en tous domaines, y compris l’éducation ou l’administration des collectivités locales ? Où est passé l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui rappelle que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation » ? Que fait-on de l’article 3 de notre Constitution, qui rappelle que c’est au peuple qu’appartient la souveraineté ? Chacun d’entre nous peut ressentir que notre République n’est plus vraiment libre de ses décisions.

Monsieur le secrétaire d’État, nous ressentons aussi le poids de la doxa économique qui sous-tend la logique de ces recommandations. Tandis que les États-Unis revoient à la baisse leurs prévisions de croissance de 2,8 % à 2 % pour 2014, dans la zone euro, la faiblesse des crédits bancaires et des taux d’inflation – 0,5 % en rythme annuel, en mai – fait peser, je cite Mme Lagarde, directrice du FMI, dans une interview du 16 juin au Handelsblatt, « de graves menaces pour la reprise européenne ».

L’évolution de la situation en Ukraine et en Irak comporte des risques de récession accrus, notamment à travers les prix du gaz et du pétrole. L’euro a retrouvé un cours de 1,36 dollar, supérieur de près de 20 % à son cours de lancement. Bonjour la compétitivité !

Si Mme Yelleen, présidente du Federal Reserve Board, promet, quant à elle, une politique monétaire accommodante, que fait de son côté la BCE ? Mme Lagarde n’a pas hésité à braver le conformisme ambiant en déclarant : « Si l’inflation devait rester obstinément faible, alors nous espérerions certainement que la BCE prenne des mesures d’assouplissement quantitatif par le biais d’achat d’obligations souveraines. » Quelle audace !

Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, que le Conseil européen, détenteur de la légitimité démocratique, se saisisse pleinement de la gravité de la situation économique. Le vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, s’est prononcé récemment pour « davantage de souplesse budgétaire à l’égard des pays qui paient le coût des réformes imposées ».

Il est temps d’engager une autre politique sur le plan européen, en commençant par faire baisser la parité de l’euro et en allongeant d’un ou deux ans les objectifs de retour aux critères du pacte de stabilité. Les sociaux-démocrates sont au pouvoir en Allemagne. Ils doivent aussi prendre leurs responsabilités pour mettre la monnaie au service de l’économie et desserrer le carcan des disciplines que l’ordolibéralisme allemand veut imposer au reste de l’Europe au mépris d’une situation sociale qui n’a jamais été aussi dégradée : 23 millions de chômeurs dans les pays de la seule zone euro ! Un peu d’inflation supplémentaire est parfaitement tolérable. La BCE doit cesser de combattre, tel Don Quichotte, les dangers imaginaires que ses statuts lui commandent de terrasser. Il y a longtemps que c’est chose faite. Il est temps d’affronter les problèmes réels !

Avant de conclure, j’aimerais dire quelques mots de l’Ukraine, car la situation qui y prévaut amènera sans doute le Conseil à se saisir de la question.

M. Porochenko propose la paix mais il fait la guerre ! À ce jour, il n’a pas ouvert le processus de négociations auquel il s’était engagé. Or il faut bien négocier avec ceux contre lesquels on se bat. Il est facile d’excommunier l’adversaire en lançant contre lui une opération dite « antiterroriste ».

La Russie a facilité la tenue de l’élection présidentielle ukrainienne du 25 mai, je ne vous l’apprends pas !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le Président de la République française et la Chancelière de la République fédérale d’Allemagne ont appelé, le 10 mai, au « lancement d’un processus de réforme constitutionnel aussitôt après les élections du 25 mai, comprenant un calendrier court, un processus de consultation inclusif impliquant toutes les parties tenantes concernées et les principaux domaines couverts par le processus », notamment la compétence des autorités régionales.

La France a toujours déclaré ne pas vouloir placer l’Ukraine devant un choix impossible entre l’Europe et la Russie. Or un accord d’association doit être signé entre l’Union européenne et l’Ukraine le 27 juin. La France n’a pas à distinguer entre les bons Ukrainiens et les mauvais, entre ceux qui seraient à l’Est ou à l’Ouest, entre les uniates de Lviv et les russophones de Donetsk ! Elle ne connaît que les Ukrainiens ! Est-il toutefois concevable de signer un accord d’association avec un pays dont le Président persisterait à refuser d’ouvrir le dialogue avec les régions russophones de l’Est ?

M. Jean-Yves Leconte. Il a été élu au premier tour !

M. Jean-Pierre Chevènement. Certes ! Mais par des gens qui voulaient la paix, y compris à l’Est !

La semaine dernière, l’opération dite « antiterroriste » s’est soldée par 200 morts. Le commissaire bruxellois chargé du dossier aurait déclaré que les mesures prises par le Président Porochenko constituaient une « violence proportionnée » et, par conséquent, acceptable. Or je constate qu’il y a déjà eu trois fois plus de morts du côté des militants russophones dits « séparatistes » qu’il n’y en avait eus du côté des militants de Maïdan.

M. Jean-Yves Leconte. Ce ne sont pas des militants !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le Président Porochenko a été élu pour faire la paix. Tant qu’une négociation n’aura pas été engagée, il me paraîtrait normal de suspendre la conclusion de l’accord d’association, d’autant que 11 milliards d’euros ont déjà été promis à l’Ukraine par l’Union européenne.

Selon le commissaire Oettinger, la Grèce ne serait à côté de l’Ukraine qu’une « bagatelle ». Toutefois, l’accord d’association ne peut en aucune manière valoir promesse d’adhésion à l’Union européenne, comme je l’entends dire par M. Olli Rehn, par exemple. Celle-ci ferait mieux de se préoccuper des problèmes qui se posent au Sud, en Méditerranée et en Afrique plutôt que de vouloir toujours reculer sa frontière orientale. Le Conseil européen doit reprendre le contrôle de la politique européenne de voisinage, qui a été laissé dès le départ à des incapables négociant séparément avec la Russie et avec l’Ukraine. Une certaine russophobie est de mise dans certains cercles, comme si l’on voulait construire l’Europe contre la Russie, au nom de je ne sais quelle idéologie.

La Russie fait partie de l’Europe ! En l’oubliant, l’Union européenne se mettrait définitivement à la remorque d’intérêts qui ne sont pas les siens. Non, une nouvelle guerre froide n’est ni de l’intérêt de la France ni de l’intérêt bien compris de l’Europe et encore moins de l’Ukraine ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’orateur précédent, je voudrais rappeler que le tout prochain Conseil européen marquera la conclusion du semestre européen et verra l’adoption par les États de recommandations par pays, sur la base des propositions de la Commission européenne publiées le 2 juin dernier. Que faut-il retenir de cette « recommandation de recommandation », pour reprendre le jargon bruxellois, concernant le programme national de réforme et le programme de stabilité de la France pour 2014 ?

Il est important de savoir comment le Gouvernement réagit aux observations de la Commission européenne. Il est également important de savoir s’il envisage d’en contester certains aspects et si les vingt-sept autres États suivront la Commission ou préféreront un assouplissement de la discipline commune, comme nous le laissent entendre les sociaux-démocrates. Nous allons bien voir s’il ne s’agit là que de paroles…

Tout d’abord, je note que la Commission européenne retient une prévision de déficit de la France de 3,4 % du produit intérieur brut en 2015, alors que l’objectif retenu dans le programme de stabilité est de 3 % du PIB.

Ensuite, je relève que la Commission pointe du doigt le niveau de détail insuffisant des mesures d’ajustement, ce qui ne permet pas de « garantir de façon crédible la correction du déficit excessif pour 2015 ». Ainsi, l’horrible austérité dont parlent quelques-uns ne ferait pas l’objet de mesures suffisamment étayées et documentées !

Pour ma part, je crains qu’une fois de plus nous n’ayons affaire au phénomène d’opacité – que nous connaissons bien – de la politique budgétaire de ce gouvernement. Par exemple, pour la Commission européenne, comme pour l’ensemble des observateurs de notre vie politique nationale, les mesures d’économie annoncées par le Gouvernement, qui font tant réagir ici ou là, notamment dans une certaine partie de nos hémicycles, ne sont pas suffisamment précisées et détaillées pour être crédibles. Cette opacité, mes chers collègues, me semble aggravée par l’utilisation de la notion de « solde structurel ». Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur cette notion, qui n’est, à mon sens, qu’un nouveau et moderne rideau de fumée.

Bien entendu, il n’est pas illégitime de raisonner en termes de solde structurel. Nous sommes d’ailleurs tenus de le faire puisque nous avons transposé en droit interne le TSCG. Toutefois, s’il fallait désormais résumer le débat sur le redressement de nos finances publiques à l’énoncé de variables macroéconomiques abstraites et au développement de raisonnements complexes en termes de croissance potentielle et d’économies par rapport à une tendance – laquelle n’est d’ailleurs même pas explicitée par le Gouvernement –, il est tout à fait clair que nous ne serions compris de personne et que nous nous rendrions complices d’un vrai recul démocratique. Or, aujourd’hui – je l’observe avec peine –, le Gouvernement se dispense de plus en plus de nous dire sur quelles hypothèses, sur quelles mesures il se fonde pour justifier la trajectoire qu’il nous propose. Il se contente de nous demander de lui faire confiance, appliquant le principe qui eut au demeurant souvent cours en matière européenne : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

M. Aymeri de Montesquiou. Dormez, bonnes gens…