M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire, c’est que le programme du prochain Conseil européen sera, une fois de plus, très chargé ! L’ordre du jour officiel comporte plusieurs dossiers lourds, auxquels il convient d’ajouter d’autres questions non moins sensibles, même si elles ne sont pas inscrites au programme.

Cette réunion sera, rappelons-le, la première rencontre officielle des chefs d’État et de gouvernement depuis les élections du 25 mai dernier. C’est donc en réalité de la stratégie et des politiques des institutions européennes dans leur ensemble et pour les cinq années à venir qu’il s’agira.

Une double question se pose : d’une part, celle du choix des personnes qui seront amenées à – espérons-le – incarner l’Europe ; d’autre part, celle de l’organisation, de la répartition des tâches et des responsabilités, et donc des priorités dont cette nouvelle répartition sera la traduction concrète.

On aurait tort de sous-estimer ce dernier aspect, qui touche à ce qui a finalement été l’une des plus grandes faiblesses de la Commission sortante. Faute de volonté politique et d’ambition réelle, celle-ci s’est très tôt enfermée dans des dossiers extrêmement techniques, souvent particulièrement sectoriels et précis, dont le traitement parfois assez catastrophique a eu des conséquences désastreuses sur l’appréhension par l’opinion de l’ensemble des dossiers européens.

En l’absence d’orientations fortes, de commissaires et de représentants un tant soit peu charismatiques et dotés d’une véritable vision, c’est à travers un effet d’entropie propre à la Commission européenne depuis maintenant une vingtaine d’années que nous avons vu la très organisée direction générale de la concurrence prendre la main sur un grand nombre de questions stratégiques durant la présidence de M. Barroso. Si cette promotion acharnée de la concurrence a parfois sa logique, elle traduit aussi un incroyable dogmatisme, et il est à l’évidence aujourd’hui dangereux de soumettre l’avenir de l’Europe à la mise en œuvre de cette politique. Cela ne peut continuer ainsi !

Si nous voulons que la Commission européenne mette en place des politiques audacieuses, nous devons la doter de structures qui soient à la hauteur de la tâche et propres à mieux donner la priorité à ce qui fera le futur de nos concitoyens.

C’est particulièrement vrai en matière industrielle. Certes, le portefeuille de l’industrie existe déjà au sein de la Commission ; il est même détenu par l’un de ses vice-présidents, mais le poids relatif du commissaire à l’industrie par rapport à d’autres membres du collège est sans commune mesure avec l’importance de ce secteur ! Qu’attendons-nous alors pour renfoncer ses services et ses attributions, pour les mettre davantage en lien avec des compétences déjà attribuées qui rejoignent les siennes, telles que l’énergie, le climat, la recherche et l’innovation ? Qu’attendons-nous pour nous doter d’une Commission stratège, comme nous voudrions avoir un État stratège au niveau national ?

Des personnalités aussi diverses que Michel Barnier ou Pierre Moscovici ne disent pas autre chose. Dès lors que le constat est aussi largement partagé, il serait difficilement compréhensible que la France ne pousse pas en faveur de l’adoption de semblables solutions.

Revenons-en au détail de l’ordre du jour de ce Conseil européen. Je laisserai de côté les questions purement économiques, que d’autres évoqueront sans doute. Parlons un instant des affaires intérieures : justice, liberté, sécurité.

Il s’agit d’un chapitre essentiel, ne serait-ce qu’en raison de la volonté affichée du nouveau gouvernement italien, lequel prendra très prochainement la présidence du Conseil de l’Union européenne, d’avancer dans ce domaine.

Il est cependant à craindre que la question ne soit abordée, une fois de plus, que sous l’angle de la lutte contre le terrorisme, de l’immigration irrégulière, de la situation en Méditerranée, qui ne constituent pourtant qu’une partie du problème.

La question de l’espace de liberté, de justice et de sécurité en Europe renvoie aussi à celle, pour le moins centrale, de la citoyenneté européenne. Comme vous le savez, est citoyen européen toute personne disposant de la citoyenneté d’un des vingt-huit pays membres de l’Union. Même si les critères d’acquisition de la nationalité varient encore étrangement d’un État à un autre, ce principe ouvre à chacun de nombreux droits.

Or, depuis quelques années, ces droits sont tout simplement à vendre… Poussés par la crise et un sens parfois absurde des priorités, plusieurs États ont cherché à mettre en place ou ont effectivement lancé des programmes visant à attirer de riches investisseurs, souvent sans être trop regardants sur l’origine de leur richesse, en leur octroyant un permis de séjour, voire la nationalité du pays – et donc une citoyenneté qui, de fait, vaut pour l’Union tout entière –, en échange de quelques faveurs financières.

Vous vous souvenez sans doute du cas de Malte, qui, récemment, voulait vendre la nationalité maltaise contre 650 000 euros. Cet État a ensuite ajouté une condition supplémentaire : il faut désormais avoir résidé au préalable un an sur son territoire. Cependant, ce cas n’est pas unique, puisque le Portugal, l’Espagne, la Grèce ont également mis en place des programmes de ce genre. Ces pays ne proposent certes pas d’acquérir la nationalité, mais ils n’en vendent pas moins chèrement un droit de séjour sur le sol de l’Union, sans que nous trouvions à y redire. L’Irlande, la Lettonie se trouvent également dans cette situation et, dernièrement, les Pays-Bas étudiaient cette possibilité, chaque pays fixant un tarif plus ou moins élevé, compris entre 72 000 euros et plus de 1 million d’euros ! Si l’on comprend bien quel intérêt peuvent y trouver de riches Chinois ou Russes – ce sont, comme par hasard, les deux nationalités les plus représentées parmi les postulants –, on voit mal, en revanche, ce que l’Union pourrait tirer d’un tel marché de dupes…

Si nous prenons au sérieux la question de la citoyenneté européenne, nous devons d’urgence mettre fin à ces dérives, dont les conséquences sont bien plus qu’anecdotiques. Pourriez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, si le Président de la République envisage d’aborder ce problème lors du prochain Conseil ?

Je conclurai mon intervention en évoquant les questions climatiques et énergétiques, autre point important de l’ordre du jour de ce Conseil. Parce qu’il y a urgence, parce que les politiques des États membres en la matière divergent, parce que les ressources naturelles ou les inquiétudes des uns les poussent à privilégier des sources d’énergie comme les gaz de schiste, par exemple, que les autres rejettent en raison de leur dangerosité pour l’environnement et le climat, il s’agit d’un dossier éminemment sensible, sur lequel nous peinons à avancer ces derniers mois.

Précisément parce que c’est un dossier sensible, il est difficile de se mettre d’accord. Peut-on pour autant accepter que l’Union, tout en feignant de laisser aux États le choix de développer ou non ces énergies, se mette déjà à les financer via le programme Horizon 2020 ?

Auteur d’un rapport sur ce programme pour notre assemblée, j’avais notamment pointé les difficultés relatives au fléchage des fonds : trop précis, celui-ci risque de vite devenir obsolète et d’attiser les désaccords entre États ; trop flou, il risque de donner lieu à certaines dérives. Ces dérives, nous les voyons désormais, puisque, selon plusieurs articles de presse récents, l’Union finance discrètement l’exploitation des gaz de schiste – jusqu’à 133 millions d’euros ! – dans le cadre d’un programme destiné en principe à promouvoir l’innovation et la protection de l’environnement. Entre nous, il ne s’agit plus là de politique, mais véritablement d’alchimie, une alchimie douteuse qui transforme des crédits verts en carbone. Manifestement, quand la porte est fermée, certains trouvent toujours une fenêtre ouverte…

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera la position de la France sur ce sujet, et plus largement sur les ambitions européennes en matière de climat ? La tenue de la COP 21, dont vous avez déjà amplement parlé, est un enjeu majeur pour notre pays, pour l’Europe, pour notre planète. Comme vous l’avez vous-même souligné, il est absolument essentiel de ne pas découpler enjeux énergétiques et enjeux climatiques. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen verra certainement la poursuite de la négociation pour le choix du nouveau président de la Commission européenne. Permettez-moi de souligner combien cette étape est importante : pour la première fois, le choix du président de la Commission devra respecter strictement les résultats des élections au Parlement européen. C’est un gage de démocratie, alors que l’on reproche souvent à la construction européenne de se faire loin des peuples.

En conséquence, nous demandons au Gouvernement de négocier dans le respect du résultat du scrutin. Agir autrement serait nourrir les partis extrémistes, populistes et anti-européens. Or, monsieur le secrétaire d'État, c’est bien la droite et le centre droit européens du Parti populaire européen, le PPE, et eux seuls, qui ont remporté les élections européennes, et notre candidat est Jean-Claude Juncker. Dès lors, nous demandons que ce choix des électeurs soit respecté dans les négociations intergouvernementales.

Cela signifie aussi qu’il faut maintenir le cap choisi, notamment en matière économique et financière, ce qui nous amène à l’un des points importants de l’ordre du jour du prochain Conseil européen : le semestre européen.

Ce processus de réglage coordonné des politiques macroéconomiques des États membres commence à être rodé, au moins en ce qui concerne son calendrier et son interconnexion avec les budgets nationaux. Cependant, il semble qu’il faille maintenant se l’approprier pleinement ; c’est le cas en particulier pour le Gouvernement français, qui paraît un peu rétif à écouter les avis divergents sur sa politique économique.

Au préalable, permettez-moi de souligner que, depuis un an, la zone euro dans son ensemble est en voie de stabilisation. L’Irlande et l’Espagne sont sorties des programmes de soutien ; le Portugal est en train d’en sortir ; Chypre a réalisé de bons progrès, ainsi que la Grèce, même si sa situation demeure encore bien fragile. Les risques sur les dettes souveraines sont donc moins pressants et, globalement, le redémarrage de la croissance est là, même s’il reste modeste. Réjouissons-nous : c’est le résultat de la politique menée jusqu’à présent.

Nous le constatons, les efforts consentis, collectivement et par certains pays – je pense notamment à l’Espagne –, commencent à porter leurs fruits. Ce début de consolidation européenne sera renforcé avec la mise en place de l’union bancaire dans les tout prochains mois.

Néanmoins, nous devons rester prudents. Le chômage continue d’être élevé, de même que les déficits publics et l’endettement, qui se situent à des niveaux historiquement hauts dans certains pays, dont la France. Ce n’est donc vraiment pas le moment de relâcher nos efforts, ce n’est pas le moment de contester le pacte de stabilité et de croissance. À cet égard, je tiens à saluer les propos de M. Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, qui a affirmé très clairement, il y a quarante-huit heures, que modifier le pacte de stabilité et de croissance porterait atteinte à sa crédibilité et qu’il fallait se garder de renouveler les erreurs de 2003.

Nous ne comprenons donc pas bien ce qu’a voulu dire le Président de la République lorsque, sous le choc des résultats des dernières élections européennes, il a parlé de « réorienter l’Europe ». Avant de demander aux autres de changer, ne devons-nous pas commencer par nous adapter et prendre notre part du fardeau ? En effet, dans un contexte européen de convalescence, la France fait malheureusement de plus en plus figure de mauvais élève. Elle est placée sous surveillance, et la solidité de l’assainissement de ses finances suscite des interrogations de toutes parts.

Monsieur le secrétaire d'État, il est peut-être temps de se rendre à l’évidence. Ce n’est pas un modeste sénateur de l’opposition qui vous le dit. La Commission européenne, le Fonds monétaire international, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes : désormais, les analyses de toutes les institutions, nationales et internationales, convergent…

En résumé, toutes ces institutions estiment que les hypothèses macroéconomiques que vous retenez sont optimistes, que ce soit en matière de croissance ou d’inflation. Toutes estiment que la baisse des dépenses publiques que vous annoncez est mal documentée et sera vraisemblablement insuffisante pour redresser nos comptes et financer les nouvelles dépenses que vous envisagez. Au-delà d’une formulation très diplomatique, toutes donnent à penser que si, sur le papier, votre présentation des comptes publics paraît cohérente, la réalisation ne suit pas.

Nous pensons aussi que le premier carburant de la croissance, ce sont des finances publiques stables. C’est être de mauvaise foi que de dire que cela signifie l’austérité. Il s’agit au contraire de transformer notre modèle économique et d’ajuster nos dépenses à notre richesse. Je le dis souvent sous forme de boutade : chaque époque a sa vérité, et les richesses d’aujourd'hui ne permettent plus d’engager les dépenses d’hier ; vous l’aurez deviné, je pense essentiellement aux dépenses sociales.

Dans cette perspective, il faut s’engager dans la voie des réformes structurelles : celle de la fiscalité, celle du marché du travail, celle de l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique. Comme la France a obtenu un délai de deux ans pour revenir à l’équilibre des comptes publics, il serait judicieux d’utiliser pleinement ce délai et de profiter de la période actuelle de taux d’intérêts bas, car elle est susceptible de ne pas durer. Je rappelle que le service des seuls intérêts de notre dette publique nous coûte 45 milliards d'euros chaque année. Je vous laisse imaginer ce qu’il adviendrait si par malheur les taux d’intérêts devaient remonter…

Il est temps de passer aux travaux pratiques, avec courage et détermination. Il est temps d’agir vite, et je le dis sans acrimonie, tant notre pays est historiquement plus prompt à la révolution et à la contestation qu’à la réforme ; en conséquence, la tâche est difficile.

Monsieur le secrétaire d'État, il nous paraît impératif de respecter scrupuleusement nos engagements à l’égard de nos partenaires européens. Ce doit être notre objectif primordial. Il y va de notre crédibilité à leurs yeux, ainsi qu’à ceux des marchés financiers. Il y va également de la cohésion même de l’Union européenne, parce que la France est la deuxième économie de la zone euro.

Le prochain débat sur le projet de loi de finances rectificative nous permettra de savoir comment vous comptez compenser le dérapage de nos finances publiques en 2014. Sachez que nous serons vigilants. D'ores et déjà, toutes nos inquiétudes portent sur l’échéance de 2015 et sur le respect d’une trajectoire de redressement qui semble de jour en jour plus compromise. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe UDI-UC.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « coordonner pour concrétiser », c’est le sens du semestre européen. Les injonctions de la Commission européenne sont claires ; où en est-on de leur mise en application ? Placée sous mécanisme d’alerte, la France fait l’objet d’un bilan approfondi et d’une surveillance particulière en raison de ses déséquilibres macroéconomiques chroniques. Si les mesures prévues par le Gouvernement sont globalement conformes aux recommandations pour 2013, leur mise en œuvre est dramatiquement insuffisante.

La Commission européenne doute, comme la Cour des comptes, de notre capacité à atteindre l’objectif de ramener notre déficit public à 3 % du PIB à l’horizon 2015. Elle met en cause la politique que nous menons et souligne notre déficit de croissance. À ses yeux, la pression fiscale demeure beaucoup trop élevée, le ratio impôt/PIB étant de 45,9 %. C’est pourquoi elle insiste sur la nécessité de baisser les taux nominaux de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, préconise le renforcement de l’efficacité de la TVA et s’inquiète du maintien en 2015 de la surtaxe sur les grandes entreprises au niveau extravagant de 38,1 %.

Le coût du travail en France reste l’un des plus élevés de l’Union, et l’importance des charges fiscales sur le travail réduit la rentabilité des entreprises. Les PME peinent à atteindre la taille adéquate pour pouvoir exporter et innover. Des enquêtes internationales alertent sur la détérioration de l’environnement des entreprises en France, et le choc de simplification apparaît notoirement insuffisant. Quelles suites sont données au rapport dont l’auteur est devenu secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification ?

La Commission européenne pointe des distorsions dans la structure des salaires et l’absence de flexibilité de ces derniers, dans un marché du travail beaucoup trop segmenté et en voie de détérioration. Elle estime que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ne profite pas aux entreprises qui exportent et manque par conséquent un objectif essentiel.

Dans quelle mesure les conclusions des assises de la fiscalité, saluées par le Conseil, sont-elles mises en œuvre par le Gouvernement ? Le rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises sera remis sous peu : quel accueil le Gouvernement lui réservera-t-il ?

Lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement, le Premier ministre a pris de très importants engagements au travers du pacte de responsabilité. Or, dans son architecture actuelle, ce pacte ne permet pas de réduire la dépense publique de 50 milliards d’euros. En réalité, il tend à fiscaliser une large part de la protection sociale, à hauteur de 30 milliards d’euros, en finançant à recettes constantes les baisses de charges annoncées. Il ne propose donc que 20 milliards d’économies nettes en trois ans, c’est-à-dire moins de 7 milliards d’euros de réduction du déficit public chaque année : c’est très nettement insuffisant ! De plus, les collectivités territoriales et les administrations de la sécurité sociale seront également mises à contribution. Dès lors, l’économie nette de 20 milliards d’euros sur trois ans pour le budget de l’État devient très difficile à retracer.

La Commission européenne attend de notre pays une véritable réforme administrative visant à simplifier les échelons et à éliminer les chevauchements de compétences. Dans son récent rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes doute de la faisabilité du pacte s’il ne s’accompagne pas d’une importante baisse des effectifs des collectivités territoriales et des administrations de la sécurité sociale. Elle fixe un objectif de 30 000 postes en moins par an. Allez-vous mettre en œuvre ces préconisations, comme cela est nécessaire pour faire baisser une dépense publique dramatiquement élevée ?

Le projet de loi de finances rectificative sera discuté au Sénat le 7 juillet prochain. Vous devez mettre en place des instruments budgétaires en phase avec nos engagements européens : un service public rénové, un marché du travail fluidifié et des retraites alignées sur la moyenne européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, votre poste, extrêmement important au regard de ce que devrait être la place de la France dans l’Union européenne, va être très difficile à tenir si vous maintenez les positions que vous défendiez en tant que premier secrétaire du parti socialiste, lorsque vous exigiez le maintien de la retraite à 60 ans et l’embauche de 60 000 enseignants, fût-ce à effectif de la fonction publique globalement constant : c’est là l’exact contre-pied des recommandations de la Commission européenne.

Ce qui me rend perplexe, c’est la schizophrénie française : vous savez que si vous persistez dans cette quasi-inertie au regard des engagements pris par la France, notre pays risque, ultime humiliation, d’être placé sous protocole !

Les engagements pris à l’égard de l’Union ne sont pas le seul motif devant nous pousser à entreprendre des réformes structurelles vitales pour la France : c’est dans notre propre intérêt !

Depuis mai 2012, notre endettement est passé de 1 700 milliards à 1 890 milliards d’euros et nous comptons 370 000 chômeurs de plus ; en outre, seulement 320 000 logements neufs ont été construits, au lieu des 500 000 annoncés.

L’économie est étouffée par l’impôt. Vous expliquez avoir augmenté les impôts de 30 milliards d’euros comme le gouvernement Fillon. Je vais tenter, en recourant à une allégorie que vous trouverez peut-être audacieuse, de vous faire comprendre comment les Français ressentent la situation. Imaginez une voiture avec deux chauffeurs qui se relaient ; vous êtes le second. Des gendarmes vous arrêtent pour avoir roulé à 150 kilomètres à l’heure sur une route où la vitesse est limitée à 90 kilomètres à l’heure. Votre prédécesseur admet avoir roulé, pour sa part, à 120 kilomètres à l’heure : on va lui retirer six points, mais vous, vous allez perdre votre permis de conduire. La situation est analogue en matière de fiscalité et de charges pénalisant notre économie.

Le Premier ministre a raison de baisser les charges et les impôts, mais pourquoi étaler ces mesures dans le temps ? Coupez tout de suite dans les dépenses ! Mettez en œuvre le programme présenté par M. Valls lorsqu’il était candidat à la primaire socialiste : il allait jusqu’à demander la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et des 35 heures.

Il me semble enfin difficile de ne pas vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur le contentieux entre BNP Paribas et les États-Unis. Je rappelle que le règlement européen 2271/96 interdit aux entreprises et aux personnes physiques de faire droit aux injonctions américaines contraires au droit international en matière d’extraterritorialité. Allez-vous faire appliquer le droit européen, afin que l’Europe se fasse respecter en tant que puissance internationale ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les 26 et 27 juin se tiendra donc le premier Conseil européen depuis les élections européennes du 25 mai, dont les résultats ont été marqués par une très forte abstention – même si celle-ci fut moins importante que ne l’annonçaient les sondages, elle témoigne d’un grand désintérêt et d’un fatalisme certain des citoyens à l’égard de l’Europe – et par la percée des partis populistes europhobes, qui reflète le malaise sociétal dans lequel l’Europe s’est enlisée ces dernières années.

Avec un taux de participation à peine supérieur à 43 %, les deux grands partis que sont le PPE et le PSE obtiennent respectivement 29,43 % et 25,43 % des voix. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser, car ils devront s’accommoder de la nouvelle donne tenant au fait que les partis populistes et d’extrême droite rassemblent environ 20 % des voix.

Il faut tout de même noter une nette progression du groupe de la gauche unitaire européenne, qui passe de trente-deux à cinquante-deux membres, issus de quatorze pays différents, la parité y étant exactement respectée, comme au sein du groupe CRC du Sénat. C’est encore trop peu, mais cela permettra sans doute de faire mieux entendre, au Parlement européen, l’aspiration à une Europe fondée sur la solidarité et la coopération.

Au contraire, les populistes d’extrême droite promeuvent des remèdes simplistes pour des problèmes complexes, et leurs thèses s’imposent avec une telle agressivité qu’elles vont marquer la vie politique pour les années à venir.

Le verdict des urnes laisse encore subsister quelques inconnues, et le futur président de la Commission devra trouver des alliés ou des partenaires pour gouverner.

Comme l’écrivait une journaliste d’El Pais, « Il y a de l’écho dans l’histoire. […] Comme l’a montré le XXe siècle européen, les grandes crises, quand elles sont combattues au moyen de certaines recettes économiques, poussent la démocratie à se retourner contre la démocratie. »

La crise du capitalisme, l’austérité imposée aux plus faibles sont bien à l’origine de ces deux phénomènes que sont l’abstention massive et le vote en faveur de l’extrême droite. Car la crise, on le sait bien, ce n’est pas pour tout le monde : ainsi, même avec des profits en baisse de 8 % en 2013, les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 8 % les dividendes distribués ! Alors que nos grandes entreprises accumulent des retards d’investissements considérables, 85 % des profits partent en dividendes…

Nous retrouvons cette même façon de penser au sein de l’Union. S’il fallait encore un exemple de cette déconnexion des instances européennes des préoccupations des citoyens, il suffirait de regarder l’ordre du jour du prochain Conseil européen, notamment les conclusions du semestre européen : rien ne change ! Comment est-il possible de préconiser, encore et toujours, plus d’austérité, quand les peuples souffrent ?

Ainsi, la lecture des recommandations de la Commission concernant le programme national de réforme pour la France de 2014 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2014 ne peut que laisser pantois. Comment l’Europe peut-elle espérer relancer l’économie du continent en renforçant encore l’austérité ? Ces recommandations, qui s’apparentent en fait à des consignes à appliquer, nous enseignent quelles seront les orientations pour le prochain budget, et même pour le collectif budgétaire à venir. Il est ainsi clairement signifié à notre pays que des efforts additionnels devront être inscrits dans la prochaine loi de finances rectificative pour 2014.

Je dois avouer que je m’interroge de plus en plus sur le rôle que nous jouons dans cet hémicycle, d’ailleurs toujours plus désert lorsque le débat porte sur l’Union européenne… Le Conseil européen définit les objectifs pour notre pays, le Gouvernement les applique avec le zèle que nous lui connaissons, et pour notre part nous nous contentons de les commenter.

C’est pourtant le candidat Hollande qui tenait les propos suivants : « Je veux réorienter la construction européenne. Je défendrai une association pleine et entière des parlements nationaux et européen à ces décisions. » Mais, dans la réalité, le Conseil européen assène qu’« il est donc nécessaire de préciser encore la stratégie de réduction des dépenses en intensifiant l'examen des dépenses qui est en cours et en redéfinissant, le cas échéant, la portée de l'action des pouvoirs publics ». Le Conseil européen insiste également fortement sur l’importance du projet de loi relatif à l’organisation territoriale de notre pays. Selon lui, ce texte devrait permettre « de simplifier les divers échelons administratifs, de créer de nouvelles synergies, d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant des échelons ».

Si certains d’entre nous avaient encore quelques doutes sur les raisons du revirement présidentiel et gouvernemental concernant la suppression des départements et la diminution considérable du nombre d’élus régionaux, le Conseil européen nous rappelle fort à propos ce qui l’inspire…

La réforme des collectivités territoriales ne répond en effet qu’à une application aveugle des recommandations du Conseil. Ainsi, le Gouvernement français va intensifier le contrôle des dépenses des collectivités territoriales, plafonner l’augmentation annuelle de leurs recettes fiscales, tout en mettant en œuvre de façon rigoureuse la réduction des dotations, comme on le lui demande. Voilà le programme dicté par l’Europe pour nos collectivités ! Est-ce de cette Europe-là que les citoyens veulent ? Je ne le crois pas.

De plus, comment peut-on imaginer un seul instant qu’il sera possible de réaliser des économies en supprimant les assemblées départementales et une région sur deux ? Même l’agence de notation Moody’s annonce que cette réforme sera sans effet sur la dépense publique. Certes, il est nécessaire d’adapter nos services publics aux nouveaux besoins des administrés, mais cela ne veut pas dire les éloigner toujours plus des populations. Devant cette recentralisation, devant l’affirmation de métropoles hyperintégrées, il nous faut exiger que ces choix, qui engagent l’avenir des conseils départementaux, des conseils régionaux, des communes et des intercommunalités, soient non pas imposés par une recommandation du Conseil européen, mais débattus et tranchés souverainement par le vote des citoyens concernés. Ce dont la France et l’Europe ont besoin, c’est avant tout d’un renouveau démocratique !

D’autres recommandations sont tout aussi inquiétantes pour le devenir de notre système social. En effet, le Conseil européen préconise de prendre de nouvelles mesures pour « réduire de façon sensible l’augmentation des dépenses en matière de sécurité sociale, en fixant des objectifs plus ambitieux pour les dépenses annuelles dans le domaine des soins de santé ».

Nous connaissons pourtant les grandes difficultés que rencontrent nombre de nos concitoyens pour accéder aux soins. Est-il opportun de continuer à limiter et à diminuer le remboursement des médicaments, de poursuivre le démantèlement du système public de soins hospitaliers ?

Comme si tout cela n’était pas encore suffisant, on invoque la nécessité d’une nouvelle réforme des retraites, concernant notamment les régimes spéciaux. Les allocations familiales, l’aide au logement, les indemnités chômage seront-elles aussi revues à la baisse, afin de paupériser davantage encore les populations fragiles ? Non, la solidarité n’est vraiment pas un des axes de développement de l’Europe, et c’est tout à fait regrettable.

Ainsi, le Conseil européen estime que le SMIC français permet « un pouvoir d’achat parmi les plus élevés au sein de l’Union » : sous-entend-il qu’il est bien trop élevé, sachant qu’il invite à le faire évoluer de façon à renforcer la compétitivité et la création d’emplois, ou encore à étendre les dérogations au salaire minimum ?

Le Conseil européen continue de considérer le travail comme un coût à réduire, mais ne s’intéresse guère à l’augmentation du coût du capital, qui gangrène l’économie européenne. Là se trouve pourtant le nœud du problème. Le Conseil demande que soient encore accrues les exonérations de cotisations sociales patronales, alors que nous avons déjà observé que ces exonérations n’avaient aucun effet sur l’emploi. Depuis des décennies, la même politique est appliquée, mais pour quel résultat, hormis une diminution sans fin des ressources de l’État, qui contribue à l’aggravation du déficit de nos comptes publics ?

En revanche, on sent le Conseil bien moins motivé pour négocier un accord sur la taxation des transactions financières, dont la conclusion se fait attendre. On estime que les recettes annuelles seraient de l’ordre de 30 milliards à 35 milliards d’euros, soit entre 0,4 % et 0,5 % du PIB des États membres concernés : cela ne représente donc pas un niveau de taxation insupportable, tandis que cette taxe constituerait un outil intéressant de lutte contre la spéculation et un moyen de faire contribuer le secteur financier à la reconstruction des économies et au renflouement des finances publiques des États la mettant en place. Mais les opposants sont nombreux et les États très divisés.

Afin d’éviter une fragmentation du marché intérieur des services financiers, ainsi que des phénomènes de double imposition ou de double non-imposition, il nous apparaît urgent d’avancer concrètement sur ce dossier.

Cependant, l’accord intervenu le 5 mai dernier entre dix ministres des finances de l’Union européenne est très inquiétant, dans la mesure où il réduit considérablement le périmètre d’application de la taxe. Monsieur le secrétaire d’État, pourrez-vous nous préciser quelle est aujourd’hui la position du Gouvernement sur ce sujet ?

Les citoyens européens rejettent cette Europe qui laisse un grand nombre d’entre eux sur le bord de la route. Pour relancer la dynamique européenne, il est impératif de répondre clairement aux inquiétudes exprimées récemment. Les résultats des dernières élections sont un signal d’alarme fort, et l’Europe devrait tout mettre en œuvre pour en tenir compte, mais je constate amèrement que telle n’est pas l’orientation retenue pour la prochaine réunion du Conseil européen. Sans doute estime-t-on que l’Europe a maintenant cinq ans devant elle jusqu’aux prochaines échéances électorales…

Imposer toujours plus d’austérité aux populations européennes ne mènera nulle part. Il y a urgence à agir avec les forces politiques, syndicales, citoyennes, pour bâtir un projet progressiste porteur d’avenir, d’espoir, entièrement fondé sur le respect de l’humain ! (M. Jean-Pierre Chevènement applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste.