M. Bernard Cazeneuve, ministre. Trois applaudissements seulement ! (Sourires.)

M. Éric Doligé. Ce sont les meilleurs ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 105.

Mme Éliane Assassi. Je dirai quelques mots rapides sur cet article 1er, à propos duquel beaucoup de choses ont déjà été dites.

Nous avons eu depuis ce matin un débat très intéressant, qui montre – et c’est très important – que nos réflexions ne sont guidées par aucun dogme.

Beaucoup s’accordent à dire que ce texte va bouleverser le paysage institutionnel dans notre pays.

J’ose le dire : et pourquoi pas ? Comme vous le savez, nous sommes pour une réforme ; nous sommes même favorables à la construction populaire d’une sixième république. Nous sommes donc disponibles pour réformer, mais la méthode est aussi importante.

Au bout de plusieurs décennies, il est tout à fait normal de vouloir réformer, mais encore faut-il se poser les bonnes questions : réformer pour quoi faire ? Et au service de qui ? Le texte qui nous est proposé permettra-t-il effectivement de réaliser des économies ? Je n’en suis pas sûre.

Pour ma part, je pense que la forme ne peut pas être dissociée du fond. La carte des régions est un véritable sujet, mais ce n’est pas « le » sujet, comme le montrent nos débats. Les enjeux vont bien au-delà de cette question. Quels moyens seront donnés aux régions ? Seront-ils pérennes ? De quelle autonomie fiscale bénéficieront les régions ? N’ayant pas obtenu de réponse à ces questions, nous demandons la suppression de l’article 1er.

Monsieur le ministre, je reconnais tout à fait vos talents d’homme politique, mais pour la clarté des débats, permettez-moi de revenir sur vos propos. Vous nous dites que le projet de loi ne prévoit pas la suppression des départements. Certes, mais tel n’est pas le cas de l’étude d’impact, laquelle, je le rappelle, a été validée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, page trente, il y est écrit : « En effet, avec l’augmentation de la taille minimale des EPCI à fiscalité propre à 20 000 habitants, la recomposition de la carte régionale et le transfert d’importantes compétences des départements aux régions et aux EPCI à fiscalité propre, le Gouvernement met en place les conditions nécessaires à la suppression des départements en tant que collectivités territoriales. »

Pardonnez-moi cette petite digression, mais je souhaitais que cela figure au compte rendu intégral des débats.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Monsieur le président, très sincèrement, je suis dans le décor ! (Sourires.)

Comme vous, j’ai écouté les propos qui ont été échangés depuis plusieurs heures. J’ai essayé de suivre. Je ne garantis pas que j’ai tout suivi, mais j’ai pris l’essentiel. Je me remémore les réunions de la commission spéciale, monsieur Karoutchi. C’est un peu comme une campagne faite ensemble, cela laisse des souvenirs ! (Sourires.) Des heures à voir le scepticisme resplendir sur votre visage… Bref, nous avons avancé, et d’une manière plutôt satisfaisante, monsieur le président.

Nous avons examiné l’article 1er. Puis nous avons examiné des amendements de suppression de l’article 1er, auxquels je n’étais pas favorable. Pour ma part, je préférais que nous poursuivions le débat. La commission spéciale a majoritairement émis un avis favorable sur ces amendements, contre l’avis de son rapporteur. Elle s’est trompée, c’est tout. Du coup, plus d’article 1er !

V’là-t-y pas, comme on dit chez moi,…

M. Philippe Bas. Chez moi aussi !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … qu’ils veulent tous redessiner la carte, tous – j’ai relevé les noms au fur et à mesure des débats –, à commencer par M. Jean-Pierre Raffarin.

Mme Isabelle Debré. Il veut du temps !

M. Michel Delebarre, rapporteur. J’ai cru qu’il allait se lever, crayon à la main, et qu’il allait être suivi par une longue cohorte de sénateurs désireux eux aussi de refaire la carte.

M. Roger Karoutchi. Là, vous exagérez ! (Sourires.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Si, j’y ai cru ! J’ai même failli me lever moi-même !

M. Roger Karoutchi. À deux crayons, ce n’est pas possible !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Tout le monde était prêt, plus sur les travées de la droite que sur celles du groupe socialiste, d’ailleurs.

M. Roger Karoutchi. Ils ne sont pas de bonne volonté !

M. Michel Delebarre, rapporteur. À mon avis, ils n’avaient pas de crayons, c’est tout.

M. Roger Karoutchi. Ils n’avaient que des gommes !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Je dois dire que j’ai été impressionné. Je me suis dit que si on se donnait du temps, on pourrait refaire cette carte assez facilement. Je ne dis pas, monsieur le ministre, qu’on réglerait tous les problèmes. Il en resterait, il y aurait quelques taches blanches, mais une grande partie des difficultés, dont certaines ont déjà été abordées en commission spéciale, pourraient trouver une solution. Si j’étais vous, monsieur le ministre, je nous laisserais la soirée pour redessiner la carte. Nous pourrions suspendre la séance pour cela. Ah ! il y a un problème : le match ;…

Mme Fabienne Keller. Ce n’est pas sérieux !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … cela ne va pas nous aider. L’idée est bonne, mais je ne la sens pas tellement.

M. François Grosdidier. On renonce à la suspension de séance et on continue !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Ce sera pour la deuxième lecture.

Vous êtes tellement prêts à boucler cette carte, chers collègues, que cela ne devrait pas nous prendre un temps fou. Jean-Jacques Hyest est déjà prêt à s’y remettre.

Monsieur le président, je le répète, la commission ne m’a pas suivi et a adopté les amendements visant à supprimer l’article 1er. Il faudra en tirer les conséquences. Je ne peux pas faire plus que ce que je viens de dire. Merci de votre attention ! (M. Roger Karoutchi rit.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Juridiquement, il n’y a pas eu de demande de renvoi en commission, monsieur le président. La commission s’est exprimée par deux fois, d’une part, en n’élaborant pas un texte – c’est peut-être regrettable – sur l’article 1er. En définitive, si le projet de loi n’avait comporté que l’article 1er, peut-être aurions-nous pu évoluer, mais il y a tout le reste (Mme Isabelle Debré opine.), et il y a également le deuxième projet de loi.

Mme Assassi a eu raison de citer l’étude d’impact. Pour nos collègues, vous le savez très bien, monsieur le président, tout est ouvert à condition de ne pas supprimer le département, et pas seulement dans les zones rurales. Pour certains, c’est l’existence même du département qu’il ne faut pas remettre en cause. Ne cherchez pas ailleurs la raison du blocage, elle est là.

Par amendements successifs, la commission spéciale était parvenue à des résultats, mais cela n’a pas été une partie de plaisir. Les amendements étaient contradictoires, on ne savait pas par où commencer, on ne voyait pas à quoi on aboutissait. Il faut reconnaître qu’un tel travail n’est pas facile à faire en séance, mais nous y sommes parvenus en commission.

Ainsi, la commission était d’accord pour créer une région Poitou-Charente–Aquitaine–Limousin.

M. Jean-Pierre Sueur. Large accord !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Large accord, en effet ! Peu d’opposition !

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi ne le vote-t-on pas tout de suite d’ailleurs ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En revanche, la commission avait proposé une région Alsace–Lorraine–Champagne-Ardenne, mais l’Alsace a dit qu’elle n’en voulait pas.

M. Martial Bourquin. Rappelez le Languedoc-Roussillon ! Vous me ferez plaisir.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Attendez. Ensuite, la commission a proposé une région Nord-Pas-de-Calais–Picardie, puisque la Picardie et Champagne-Ardenne avaient été démariées, mais la région Nord–Pas-de-Calais a dit qu’elle ne voulait pas de ces gens-là !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Ce n’est pas ainsi que cela a été dit. (M. François Grosdidier s’esclaffe.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Pas exactement, mais un peu tout de même…

Une région Pays de la Loire–Centre est envisagée, mais les Pays de la Loire préféreraient aller avec la Bretagne.

Voilà ce que je n’ai cessé d’entendre, monsieur le ministre !

On a démarié Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, estimant qu’il s’agissait de grosses régions et qu’elles ne pouvaient pas former une communauté évidente, pour un certain nombre de raisons. C’est ainsi.

Nous avons donc effectué ce travail, qui a abouti. Il a suscité des réactions. Nombre de nos collègues se sont exprimés sur l’ensemble de nos travées aujourd'hui, monsieur le ministre, mais sachez que j’en ai entendu d’autres hier !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Et bien moins que demain...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En tant que parlementaire, je ne connais pas trop mal le territoire français et je peux comprendre un certain nombre de choses, en particulier les solidarités. Il faut en tenir compte. En outre, il faudrait également tenir compte des élus qui ne veulent pas perdre leur place. Pour ma part, je m’y refuse. Je n’en tiendrai jamais compte, car je n’aime pas les potentats locaux, et je ne les ai jamais aimés. Il faudra tout de même dire un jour que là n’est pas l’important.

Pour ma part, je considère que la carte présentait un certain nombre de défauts, le principal étant la création de cette très grande région.

En plus, si on met les Pays de la Loire avec la Bretagne, le Centre devient orphelin. Il y aurait donc deux orphelins, la Picardie et le Centre. Ce serait dommage, car il s’agit de deux belles régions.

Telle est la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés, monsieur le président. Cependant, je pense sincèrement que nous aurions pu proposer une carte, même si cela n’aurait pas fait plaisir à tous les membres de la commission. Mais une carte n’a pas de raison d’être si on ne redéfinit pas les compétences.

M. Philippe Bas. Il a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Pour ma part, je ne suis pas opposé à des évolutions, vous le savez, comme je l’ai prouvé dans le passé, notamment lors de la création des métropoles. De même, lorsque j’étais député – député de l’opposition –, je ne me suis pas opposé à la loi Joxe. Toutefois, je pense qu’une réforme telle que celle qui nous est proposée nécessite un peu de temps. En outre, il faut au minimum consulter les élus locaux, ce que n’a absolument pas fait le Gouvernement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Le rapporteur a consulté un certain nombre d’entre eux, c’est vrai, mais dans un temps extrêmement bref. Or il faut écouter les arguments des uns et des autres, ne serait-ce que pour savoir s’ils souhaitent être rattachés à tel ou tel groupement.

M. Éric Doligé. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Nous reviendrons calmement sur ces questions, en même temps que sur celles de la répartition des compétences et de l’avenir des départements. (M. Louis Pinton opine.)

Mme Fabienne Keller. Excellent !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Je suis convaincu que le Sénat, dans son rôle constitutionnel, saura alors faire une loi, avec vous, monsieur le ministre : une loi solide, une loi d’avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements, pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure.

On nous explique que la carte pourrait être améliorée, mais que, pour cela, il faudrait la supprimer et en redessiner une autre entièrement, et donc prendre du temps, des mois, attendre encore, attendre toujours. Nous sommes dans un processus législatif, il y a la navette parlementaire. Si vous supprimez l’article 1er et si vous ne votez pas ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, il sera soumis à l’Assemblée nationale.

Vous nous demandez d’accepter la main tendue, mais la nôtre est tendue depuis le début. Nous n’avons pas à faire d’effort pour la tendre davantage. Vous voulez une autre carte. Eh bien, amendez celle-ci, et si ce qui est fait dans le cadre de ce débat parlementaire n’est pas suffisant, il y aura d’autres lectures. Il sera toujours temps d’améliorer cette carte.

L’idée qu’il faudrait arriver en deuxième lecture avec une page blanche et que, l’été aidant et les esprits ayant mûri, il serait alors possible de parvenir à la meilleure carte est une façon de nous dire à nous, membres du Gouvernement, que nous sommes suffisamment stupides pour ne pas l’avoir trouvée nous-mêmes et que l’exercice est si facile qu’il suffirait d’un été pour le réussir. Or, vous le savez, c’est bien plus compliqué que cela.

Si vous considérez qu’une autre carte est nécessaire, commencez à modifier dès à présent celle qui vous est présentée. Il y aura d’autres discussions, d’autres occasions d’échanges. Vous tendez la main en disant : modifions cette carte. Je la saisis volontiers, en vous proposant que l’on commence tout de suite.

Vous nous dites qu’il faut du temps pour aller au bout des choses. La navette parlementaire nous donnera ce temps. À cet égard, je rappelle qu’un certain nombre de textes ayant été décidés du jour au lendemain et dont les conséquences étaient extraordinairement lourdes pour les collectivités locales – je pense à la suppression de la taxe professionnelle – n’avaient fait l’objet d’aucune discussion préalable, que ces textes ont été entièrement réécrits au Parlement dans les conditions que l’on sait,…

Mme Fabienne Keller. Ce n’est pas le sujet !

M. François Grosdidier. On ne redessinait pas la France !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et que cela n’avait alors suscité aucune émotion sur les travées de la majorité de l’époque. Vous n’aviez pas demandé que passent l’été, l’automne, l’hiver. Les sujets traités étaient pourtant beaucoup plus « tectoniques » que ceux que nous évoquons aujourd'hui.

Je le répète, je saisis la main que vous tendez et je vous propose de commencer le travail, de le poursuivre tout au long de la navette parlementaire et de le faire sans perdre de temps. (MM. Jacques Chiron, Alain Néri, Didier Guillaume et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

Un sénateur du groupe UMP. Ils sont seulement quatre à applaudir !

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.

M. Michel Boutant. Je ne voterai pas ces amendements pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nos collègues de l’opposition nous disent qu’il faut se mettre au travail pour redessiner la carte. Or, sur un certain nombre de territoires, mes chers collègues, ce travail, nous l’avons déjà fait ; nous l’avons même entamé dès le 2 juin, le jour où cette carte a été annoncée. Pour mener à bien ce travail, nous sommes partis de la base, et vous nous dites aujourd'hui que c’est par là qu’il faut commencer.

Aujourd'hui, le président de la commission des lois nous dit que celle-ci a voté à une très large majorité un amendement qui vise modifier la région Centre–Poitou-Charentes–Limousin, laquelle appelle tant et tant de remarques, pour en faire une région Aquitaine–Poitou-Charentes–Limousin. Nous ne devons pas nous perdre en parlottes et chercher des atermoiements. Mes chers collègues, il est un moment où il faut savoir s’investir pleinement dans des contre-propositions.

C’est à partir de la base et au-delà des clivages politiques que nous formulons des contre-propositions dans la région Poitou-Charentes. En effet, comme je le disais hier dans mon intervention au cours de la discussion générale, les conseils généraux des quatre départements de la région Poitou-Charentes ainsi que les parlementaires qui avaient pu se libérer ce jour-là se sont réunis. Un vote a eu lieu : environ 160 conseillers généraux étaient présents ; il n’y a eu qu’une voix contre la proposition Aquitaine – Poitou-Charentes – Limousin et deux abstentions ; tous les autres étaient favorables.

Avec cette décision qui s’ajoute aux délibérations remontant des communes des régions concernées et qui vont toutes dans le même sens, nous avons entamé ce travail, dont on ne sait pas aujourd'hui par quel bout il faut le prendre : sera-t-il parlementaire ou local ? Prenez les initiatives !

Aujourd'hui, il nous faut définir un terrain sur lequel, demain, nous devrons reprendre nos combats politiques. La question transcende les clivages, comme je l’ai toujours dit. Ce message a été compris par Dominique Bussereau, président du conseil général de Charente-Maritime, par Claude Bertaud, président du conseil général UMP de la Vienne, par Éric Gautier, président du conseil général des Deux-Sèvres, ou par moi-même.

À un moment, il faut savoir dépasser ce qui nous sépare pour faire des propositions et, ensuite, le jeu politique reprend son cours. (MM. Jacques Chiron, Alain Néri, Didier Guillaume et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. J’écoute attentivement depuis ce matin l’ensemble des interventions, et beaucoup d’entre elles vont dans le même sens.

Je voudrais pour ma part répondre à certains propos qu’a tenus M. le ministre. Il faut réformer, c’est urgent, tout le monde demande des réformes, disait-il.

Nous, les membres du groupe UDI-UC, sommes favorables aux réformes structurelles et aux réformes de fond. Beaucoup sont à mener. Or, depuis deux ans, nous n’en avons finalement vu que très peu. En cela, nous avons perdu beaucoup de temps.

Il faut réformer la fiscalité, le droit du travail, le coût du travail, les retraites, l’indemnisation chômage… Il y a plein de réformes à faire en France !

Le millefeuille territorial en fait partie et le Gouvernement, en début d’année, a décidé subitement qu’il fallait en effet le réformer.

Quel problème le millefeuille territorial pose-t-il ? Quel problème, en tout cas, les Français perçoivent-ils ? Ils observent qu’il y a plusieurs niveaux d’intervention : les communes, les intercommunalités, les départements, les régions, l’État. Nos concitoyens constatent l’existence d’un problème de lisibilité, mais aussi d’efficacité et de coût ; c’est donc un problème d’ensemble.

Le Gouvernement a rétabli ce qui avait été supprimé : la clause de compétence générale, qui permet à plusieurs collectivités d’intervenir sur le même sujet. C’est, selon moi, un facteur de dépenses, de coûts et d’inefficacité dans notre système du millefeuille territorial.

Je suis donc d’accord pour que l’on réforme ce millefeuille. Toutefois, la méthode adoptée pose problème. En effet, nous est proposée une carte, dont nous discutons, et nous affirmons que le Sénat devrait la dessiner. Or cette carte a été établie par le Président de la République, à l’Élysée, après avoir pris l’avis de quelques amis, et il a décidé de l’imposer par le haut.

Nous avons, en France, un problème de méthode de réforme. Il faudrait qu’enfin nous devenions une démocratie un peu adulte ! Prenons exemple sur les pays nordiques. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Quand ils réforment, ils recherchent le consensus. Comment cela se passe-t-il ? On met sur la table un texte d’ensemble, qui comporte les compétences et les niveaux de responsabilité, et on en débat dans le pays, avec l’ensemble des élus, les habitants, tous ceux qui veulent s’en saisir. Au bout d’une période fixée par le Gouvernement, on arrête le débat, on fait une synthèse, puis le Gouvernement prend ses responsabilités et propose un texte.

Nous, en revanche, nous devons débattre sur un texte qui débarque d’un seul coup, en surprenant un peu tout le monde, et on nous dit : « Vous avez, en urgence, le devoir d’établir cette carte à toute vitesse ! »

Cette méthode est mauvaise. Nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord parce que le débat n’a pas eu lieu : aujourd'hui, il a lieu rapidement entre nous. Nous nous apercevons bien que cette question est complexe mais que, sur le fond, nous n’avons pas assez d’éléments pour nous prononcer.

Nous, les membres du groupe UDI-UC, sommes très ennuyés : d’un côté, nous avons envie de montrer que nous souhaitons aller de l’avant et faire bouger les choses ; de l’autre, nous sentons bien que le texte qui nous est présenté aujourd'hui est carrément insuffisant. Nous avons beaucoup réfléchi à la position que nous devions adopter, car la situation est compliquée.

Nous sommes bien sûr attachés au rôle du Sénat et nous déplorons que la Haute Assemblée présente assez souvent une copie blanche. En effet, nous parvenons souvent à nous mettre d’accord contre les textes, mais nous avons beaucoup plus de mal à nous accorder sur un texte, ce qui est évidemment problématique.

Le groupe UDI-UC, dans sa majorité, a finalement décidé d’accorder sa chance à la discussion au Sénat. Par conséquent, nous ne voterons pas ces amendements de suppression, même si nous comprenons les motifs qui ont présidé à leur dépôt. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je comprends très bien – après tout, c’est comme cela – que le Gouvernement veuille réformer, reporter les élections, et que vous arriviez avec un texte.

Soyons francs : on l’a bien vu, au cours des débats de la commission spéciale, y compris au travers d’amendements socialistes, ce texte est évolutif.

M. Roger Karoutchi. Cependant, il est d’autant plus susceptible d’évoluer que l’on a le sentiment que les options du Gouvernement ne sont pas définitivement stabilisées, qu’il s’agisse du sort des départements, des compétences ou des moyens financiers.

Vous vous tournez vers l’opposition mais aussi vers la majorité en disant : il y a une carte. Je reconnais qu’il est normal d’arriver avec une carte qui n’est, par définition, pas très stabilisée, parce que toute carte peut être redessinée.

Certes, nous savons qu’en votant la suppression de l’article 1er nous supprimons la carte…

M. Roger Karoutchi. … et que nous envoyons à l’Assemblée nationale un texte sans carte.

M. Roger Karoutchi. Cependant, en réalité, nous savons bien que l’Assemblée nationale va voter soit la carte que vous présentez, soit autre chose. (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.) Or, monsieur le ministre, quand M. Raffarin vous tend la main, il ne vous demande pas d’empêcher l’Assemblée nationale d’établir une carte, elle en dessinera une. Au mois d’octobre, nous sera présenté le deuxième texte, qui porte sur les compétences et les moyens. D’ici là, le Gouvernement lui-même aura probablement réfléchi avec le groupe socialiste sur ce que l’on veut faire des départements, puisque l’on voit bien aujourd’hui que même dans le groupe socialiste la position sur cette question évolue. À ce moment-là, nous-mêmes, monsieur le ministre, nous aurons plus d’éléments en main.

Que faites-vous des départements ? On le saura peut-être plus. Quelles compétences donnez-vous aux régions ? Quels moyens mobilisez-vous ? Nous le saurons alors probablement davantage les uns et les autres, la gauche comme la droite.

Nous vous demandons non pas de ne pas aller à l’Assemblée nationale, mais de revenir en deuxième lecture dans cette Haute Assemblée en disant : Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a évolué sur le sort des départements ; il a stabilisé la manière dont il voit les compétences des régions et des départements ; il sait quels sont les moyens. Maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle que soit la carte dessinée par l’Assemblée nationale, sans doute un peu rapidement au mois de juillet, réfléchissez, travaillez sur une carte des régions qui soit fondée sur le sort des départements, sur les compétences et sur les moyens.

En outre, monsieur le ministre, nous aurons tous, chacune et chacun dans nos régions, rencontré les élus locaux et les acteurs économiques, examiné les études et les sondages ; ainsi, nous aurons évidemment une vision de ce que souhaitent les différents acteurs politiques, économiques, sociaux.

Une fois que vous nous aurez apporté des précisions sur le sort des départements, sur les compétences et sur moyens, et que nous aurons consulté tous ces acteurs, nous serons plus à même, comme le propose M. Raffarin, de travailler sur une carte et de vous faire une proposition, et ensuite nous travaillerons ensemble.

Travailler avec l’assemblée qui représente les collectivités territoriales – cela m’est arrivé dans le passé et cela arrivera à tout ministre ou gouvernement quel qu’il soit –, c’est quand même ce qu’il y a de mieux pour refaire la carte de France pour les cinquante ans qui viennent !

M. Jean-Pierre Sueur. Précisément !

M. Roger Karoutchi. Précisez la pensée du Gouvernement sur ce qui va advenir des départements, des compétences, des moyens, allez à l’Assemblée nationale, revenez ici même en octobre avec les deux textes et faites confiance au Sénat, gauche et droite confondues, pour refaire le texte et la carte.

Je ne vous demande pas de nous dire que vous êtes pour la suppression de l’article 1er ; vous ne pouvez évidemment pas dire cela. Tout ce que je vous demande, c’est de dire à M. Raffarin : Oui, quoi qu’il advienne à l’Assemblée nationale, le Gouvernement ayant précisé sa pensée sur le sort des collectivités, les moyens et les compétences, nous reviendrons au Sénat avec l’esprit ouvert pour faire ensemble la nouvelle carte. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. Mon collègue Vincent Delahaye vient de préciser la position largement majoritaire dans notre groupe, à savoir que nous ne voterons pas les amendements de suppression de l’article 1er. Je voudrais rappeler, comme je l’ai déjà fait au début de ces débats, que cela ne signifie pas, bien sûr, que nous serions d’accord avec le contenu de ce texte ; dès le départ, j’ai pris soin d’affirmer que la carte ne nous convenait pas.

Par ailleurs, au fil de ces discussions, je crois avoir compris aussi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez peut-être insuffisamment communiqué avec un certain nombre d’élus régionaux et de personnalités qui auraient mérité d’être consultées. Selon moi, c’est une erreur. Nous avons eu le sentiment que seules quelques grandes personnalités de gauche et du parti socialiste ont eu droit à la parole pour établir cette carte, qui, à nos yeux, est catastrophique. Je tenais à le rappeler.

J’entends que tout le monde cite la maxime de François Mitterrand : « Il faut donner du temps au temps ». Pour ma part, je n’arrive pas à comprendre pourquoi le fait de dessiner une carte en première lecture au Sénat aurait empêché par la suite l’évolution de celle-ci et la négociation ; une telle carte eût bien au contraire constitué un point de départ.

Prenons l’exemple de l’amendement qu’a présenté en commission, je crois, Jacques Mézard sur la région présidée par M. Christian Bourquin, le Languedoc-Roussillon. Sa démarche me paraissait juste, aussi j’ai voté cet amendement. Les habitants s’identifient au Languedoc-Roussillon jusque sur les rives de la Loire,…