M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Le sujet fait débat depuis très longtemps, bien qu’il porte davantage, en général, sur les relations entre chambres de commerce et d'industrie et greffiers.

Monsieur le ministre, la notion de gratuité figure dans le texte de la commission. (M. le ministre le reconnaît.) Vous ne l’avez pas dit !

Permettez-moi d’ajouter quelques mots concernant le registre du commerce et des sociétés. Il ne s’agit pas simplement d’obtenir un numéro, il faut fournir tout un tas de documents ! Des juristes spécialisés, les greffiers en chef, font ce métier depuis toujours.

Comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, l’INPI joue un rôle fondamental, chacun le reconnaît, pour tout ce qui concerne la propriété intellectuelle. Le charger en plus du registre du commerce et des sociétés, alors qu’il y a déjà renoncé, ne me paraît pas pertinent.

Selon moi, le système proposé par la commission spéciale est plus économique. Que demander de plus ?

On a parfois l’impression – mais ce n’est sans doute qu’une impression, monsieur le ministre – qu’il faudrait donner du grain à moudre à cet institut, comme, d’ailleurs, à d’autres en France, pour qu’il se maintienne. Quant à la gratuité, on la réconcilie mal avec la perception de taxes, qui sont autant de recettes… Je ne comprends pas bien !

Bien sûr, l’INPI nourrit sans doute quelque inquiétude, mais là n’est pas notre préoccupation majeure.

Notre objectif, comme le Gouvernement, c’est que chacun puisse bénéficier des éléments du registre du commerce et des sociétés pour ses affaires, dans des conditions acceptables et gratuitement. Toutefois, les moyens que nous avons retenus ne sont pas les mêmes. S’il ne s’agit que de cela, nous pouvons en discuter. Vous le reconnaîtrez, monsieur le ministre, il n’existe pas forcément une seule solution.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce qui me gêne fondamentalement dans la proposition de la commission spéciale, c’est qu’elle privatise un monopole.

Mme Nicole Bricq. Exactement !

M. Emmanuel Macron, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, Infogreffe est dans la main des greffiers, telle est la vérité.

Les greffiers des tribunaux de commerce sont payés pour constituer et enregistrer les informations. C’est leur métier. Ce que nous contestons l’un et l’autre, c’est qu’ils soient payés deux fois. Le problème n’est donc pas là.

En revanche, nous divergeons sur la partie de la taxe dont vous disiez à l’instant, monsieur le rapporteur, qu’elle était destinée à l’INPI : il n’en est rien, cette partie de la taxe est destinée à la constitution de kilomètres d’archives physiques, auxquels vous ne pouvez pas renoncer. En toute hypothèse, ni Infogreffe ni l’INPI n’effectueront ce travail à titre gracieux, sauf si vous avez un engagement de leur part ; je ne l’ai pas eu.

Ainsi, quoi qu’il arrive, les deux missions d’authentification et de constitution des archives physiques n’étant en rien supprimées, les prix ne baisseront pas.

Jusqu’à présent, le registre constitué était la propriété de l’INPI. Infogreffe, acteur privé, offrait une prestation technique, encadrée par la convention de 2009. Or les greffiers des tribunaux de commerce se faisaient payer une deuxième fois pour mettre à disposition les données dont ils disposaient, puisqu’ils les avaient déjà constituées. Notre objectif commun est de les mettre gratuitement à disposition du public.

La formule que vous préconisez me pose problème, parce que vous transférez à un prestataire de services privé, Infogreffe, la propriété d’informations publiques – y compris celles dont il ne disposait pas auparavant – c’est-à-dire ce qui résulte d’un monopole public. Il est vrai que l’INPI ne s’était pas bien organisé. Mais croyez-vous qu’Infogreffe travaillera gratuitement ? Il fera payer les évolutions technologiques. Si tout, dans cette affaire, relevait de la philanthropie, cela se saurait ! Il y aura des compensations sur les prestations à venir, et cette privatisation continuera à coûter.

Ce que je conteste, parce que cela me semble une maladresse, c’est ce transfert de propriété de l’INPI à Infogreffe pour faire de l’open data. Pour notre part, nous proposons que les données soient mises à disposition par celui qui les détient aujourd'hui, à savoir l’INPI, et non pas par celui qui les gère pour le compte de l’INPI.

La mise à disposition par l’INPI aura un coût extrêmement marginal. Elle est faisable, nous l’avons vérifié. C’est la raison pour laquelle nous défendons une telle réforme.

J’ajoute enfin que vous ne supprimez pas de taxe : l’alinéa 13 introduit par la commission vise même à en créer une ! Certes, elle concerne le tabac. Mais j’attends que vous expliquiez aux buralistes que vous allez leur faire payer le dédommagement de l’INPI au bénéfice des greffiers des tribunaux de commerce. Cela ne marchera pas longtemps ! (Sourires.)

Vous créez une taxe, nous n’en créons pas.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est le gage, monsieur le ministre !

M. Emmanuel Macron, ministre. Certes ! Mais il a un coût, ce gage… Vous jouez à chaque fois à ceux qui simplifient, nous laissant le mauvais rôle ! Un peu de sincérité, tout de même !

Nous sommes dans une situation qui n’est pas satisfaisante, où l’information est payée deux fois. Soyons simples : l’INPI a la propriété des données ; une convention a été signée en 2009 avec un prestataire de services. Nous proposons que ces données soient mises à disposition par l’INPI, qui pourra toujours s’organiser avec Infogreffe s’il le souhaite, mais l’open data doit être géré par celui qui détient aujourd’hui l’information, à savoir l’INPI.

Restons-en à des principes simples et évitons les transferts de propriété. Lorsque l’on a défini un objectif, il faut adopter le chemin le plus simple pour l’atteindre.

Dans le système que vous proposez, tout en affirmant que vous voulez rendre l’information publique, vous décidez de transférer la propriété de cette information et chargez celui qui n’en est pas propriétaire aujourd’hui de la rendre publique !

La proposition du Gouvernement est beaucoup plus simple : l’information est propriété de l’INPI, qui va la rendre publique. Je rappelle que l’INPI gère toutes les bases de données publiques de l’État.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.

M. François Pillet, corapporteur. Monsieur le ministre, faisons un peu d’histoire.

M. François Pillet, corapporteur. Pourquoi l’INPI intervient-il, dans cette affaire ? Tout simplement parce que, lorsque l’on veut conserver des archives sur support papier, on a besoin de lui pour protéger toutes les informations collectées au titre du registre du commerce et des sociétés. À l’époque, pour sécuriser ces informations, on a confié à l’INPI le soin de les regrouper et de les conserver. Ces informations étaient envoyées à l’INPI sur papier, et c’est toujours le cas pour certains départements.

C’est ce souci de préservation qui explique la présence de deux protagonistes.

À l’heure où nous parlons, il n’est plus besoin de constituer un Fort Knox pour conserver des données sur papier, puisqu’une protection informatique suffit. Or les données sont collectées, pour l’essentiel, par les greffes des tribunaux de commerce ; elles n’appartiennent pas à l’INPI, pas plus qu’aux greffes ! Ces données sont publiques et les greffes des tribunaux de commerce sont placés sous l’autorité d’un ministre.

Je maintiens que vous voulez construire un système hybride, ou au moins à deux têtes, alors que nous avons la possibilité de le simplifier, en laissant l’INPI faire son travail. Les greffiers des tribunaux de commerce, qui sont les seuls capables d’analyser et de vérifier la qualité des informations fournies, se chargeront de les collecter, de les stocker et d’en permettre l’accès gratuit en open data. La deuxième partie de l’opération, qui consistait à renvoyer les informations à l’INPI, n’a donc plus lieu d’être. D’ailleurs, si l’INPI devait se charger de l’accès à ces données en open data, il devrait reconstituer un service informatique, embaucher un certain nombre d’agents, alors que nous disposons déjà d’un système qui fonctionne bien et qui n’appartient pas aux greffiers des tribunaux de commerce, puisque les données sont dans le domaine public.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez évoqué la taxe perçue par les greffiers. Nous retrouvons un problème propre à ce projet de loi : on oublie que c’est le Gouvernement qui a le pouvoir de modifier tous les tarifs des professions réglementées. Il suffit que vous indiquiez que, dans les tarifs des greffiers des tribunaux de commerce, la partie de la taxe qui correspondait aux envois à l’INPI n’a plus lieu d’être perçue ! Vous ferez nécessairement une économie.

Monsieur le ministre, je pense que notre système répond à toutes vos préoccupations, et j’en suis tellement convaincu que je parviendrai un jour à vous convaincre !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je souhaite apporter deux clarifications.

Premièrement, il faudra conserver les actes, vous le savez bien, puisque l’on ne peut pas tout dématérialiser ! Le coût ne va pas disparaître, car cette propriété publique a une matérialité dont on ne pourra pas s’affranchir.

Deuxièmement, Infogreffe, groupement d’intérêt économique, est dans la main des greffiers des tribunaux de commerce.

M. Jean-Jacques Hyest. Qui sont des officiers publics ministériels !

M. Emmanuel Macron, ministre. Tout à fait ! Ils sont donc rémunérés à l’acte, mais, quand vous consultez le site Infogreffe, vous payez deux euros pour accéder à l’information : c’est une réalité qui nous a largement échappé jusqu’à présent et c’est tout le problème ! (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)

En tant qu’officiers publics ministériels, ils sont rémunérés pour constituer des actes, mais il n’y a aucune raison pour qu’ils perçoivent une dîme pour chaque consultation desdits actes ! Voilà pourquoi nous voulons mettre ces informations à disposition gratuitement.

En ce qui concerne les données publiques, je suis plus à l’aise si elles restent dans la main de celui qui les détient déjà, à savoir l’INPI, et qui les met techniquement à disposition du grand public, car tel est son rôle. L’INPI peut ensuite passer une convention de gestion avec qui il veut et notre réforme n’empêche pas Infogreffe de continuer à exploiter ces données.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. À quoi bon, alors ?

M. Emmanuel Macron, ministre. La consultation ne sera plus payante, monsieur le président de la commission spéciale.

Le transfert de propriété de l’INPI à Infogreffe, qui est le GIE des greffiers des tribunaux de commerce, me pose problème. Ce serait un vrai changement et une véritable privatisation. Les greffiers des tribunaux de commerce ont beau être des officiers publics ministériels, il ne vous aura pas échappé qu’ils ne sont pas des agents titulaires de la fonction publique !

M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.

M. François Pillet, corapporteur. Je souhaite insister sur un dernier point, tellement j’ai plaisir à débattre avec vous, monsieur le ministre. Mais il ne faut pas oublier pour autant l’objectif, sinon nous nous laisserions aveugler par un plaisir assez dématérialisé… (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Ou désintéressé !

M. François Pillet, corapporteur. Infogreffe n’exercera aucun pouvoir sur ces informations ni sur leur diffusion. Le texte adopté par la commission spéciale confie cette responsabilité au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, qui n’est pas un organisme virtuel ou un GIE. Il n’y a donc pas lieu de conserver cette organisation duale, que vous voudriez réintroduire puisque, il y a trente secondes, vous avez même envisagé que l’INPI puisse passer une convention avec Infogreffe…

M. Emmanuel Macron, ministre. S’il le veut !

M. François Pillet, corapporteur. De grâce, faisons ce que la loi veut : simplifions !

(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Jean-Pierre Caffet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. J’ai été très sensible à l’argumentation de M. le ministre, notamment sur le monopole : vous créez un monopole de droit en faveur d’Infogreffe, monsieur le rapporteur. Or il se trouve qu’Infogreffe est un GIE, alors que l’INPI est un établissement public placé sous la tutelle des ministères de l’économie et de la justice. Permettez que nous préférions que le transfert des données se fasse au profit de l’INPI. En effet, nous sommes contre la constitution, par la loi, d’un monopole privé, puisque tel est le sens du texte adopté par la commission spéciale.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1617.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 565 rectifié est présenté par MM. A. Marc et Commeinhes.

L’amendement n° 601 est présenté par M. Hyest.

L’amendement n° 695 rectifié bis est présenté par Mme Gruny, M. Calvet, Mme Deromedi, M. B. Fournier, Mme Mélot et MM. Milon, Pierre, Revet et Vasselle.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du deuxième alinéa sont applicables concomitamment à l’entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives à la création d’un code de l’accès au droit et de l’exercice du droit. » ;

L’amendement n° 565 rectifié n’est pas soutenu.

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 601.

M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement vise à apporter une précision. En effet, la tarification des greffiers, fixée par décret en Conseil d’État, repose actuellement sur un mode de péréquation entre prestations tarifées et prestations effectuées sans frais. Ce principe a été clairement constaté par l’Autorité de la concurrence dans son avis sur les professions réglementées du droit.

Les mesures de l’article 12 du projet de loi visent à instaurer une tarification fondée sur la structure des coûts. Ces dispositions remettraient en cause immédiatement, sans compensation, l’équilibre financier des greffes, et donc leur capacité à maintenir la viabilité des offices.

Les conséquences seraient particulièrement dangereuses pour les jeunes professionnels endettés, qui représentent un tiers des offices. La mesure aurait notamment pour conséquence de déséquilibrer le fonctionnement des juridictions commerciales.

Nous proposons donc de soumettre l’entrée en vigueur de l’article 19 à celle des dispositions réglementaires qui découleront de l’application de l’article 12.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour présenter l’amendement n° 695 rectifié bis.

Mme Colette Mélot. Cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Je pense que je n’aurai pas trop de mal à être suivi, puisque le texte de la commission spéciale donne très largement satisfaction aux auteurs de ces deux amendements. Je leur suggère donc de les retirer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis !

Mme la présidente. Monsieur Hyest, l’amendement n° 601 est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest. Je serais prêt à retirer cet amendement, si M. le corapporteur pouvait me dire en quoi nous avons obtenu satisfaction. Dubito, ergo sum, comme on dit… (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. On n’achète pas le lapin dans le sac !

Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.

M. François Pillet, corapporteur. Vous proposez que la mise à disposition gratuite des données du registre du commerce et des sociétés en open data par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ne s’applique qu’à compter de l’entrée en vigueur du code de l’accès au droit et de l’exercice du droit, dont la commission a proposé la création à l’article 12 A – article adopté au terme d’un débat serré.

Pour le coup, attendre la publication de ce code, dont le Gouvernement a dit qu’il ne souhaitait pas le réaliser, nous renverrait aux calendes grecques.

On pourrait envisager une entrée en vigueur différée, afin que les greffiers aient le temps de s’organiser pour prendre en charge gratuitement cette mission, mais pas à ce point !

M. Jean-Jacques Hyest. Je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 601 est retiré.

Madame Mélot, l’amendement n° 695 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 695 rectifié bis est retiré.

Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 299 rectifié ter, présenté par MM. Magras, Milon et Bignon, Mme Procaccia, MM. Laufoaulu, Longuet, Calvet, Revet, Grand et Laménie et Mmes Deromedi et Lamure, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :

2° L’article L. 123-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation à l’avant-dernier alinéa et à titre expérimental pour une durée n’excédant pas trois ans, dans les départements d’outre-mer de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion, le ministre de la justice délègue la gestion matérielle des registres du commerce et des sociétés à la chambre de commerce et d’industrie compétente. Cette délégation de gestion s’opère dans les conditions déterminées au même alinéa. Pour le bon déroulement de l’expérimentation, la convention mentionnée audit alinéa porte sur toute sa durée. Les expérimentations débutent au 1er janvier 2016 au plus tard. Un rapport est remis, au terme de la deuxième année, sur les conditions d’exécution de la délégation. » ;

La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Cet amendement vise à rétablir le 2° de l’article 19 dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Bien qu’il n’en fasse pas mention, il comporte néanmoins une double ambiguïté s’agissant du sort de Saint-Barthélemy, en cas d’expérimentation effective de la gestion matérielle du RCS. Une précision semblait nécessaire, mais l’amendement que j’ai déposé en ce sens a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution,…

M. Francis Delattre. C’est insupportable ! (Sourires.)

M. Michel Magras. … ce qui m’a conduit, monsieur le ministre, à revenir à votre rédaction.

La circonscription judiciaire de la Guadeloupe regroupe trois chambres de commerce et d’industrie « compétentes » : la CCI des îles de Guadeloupe, pour la Guadeloupe proprement dite, la chambre économique multiprofessionnelle, la CEM, pour Saint-Barthélemy, et la chambre consulaire interprofessionnelle pour Saint-Martin. Dès lors, faut-il considérer que la rédaction actuelle prévoit implicitement un transfert de la part du RCS relevant de chacune des chambres respectives ?

L’autre incertitude prend sa source, quant à elle, dans la disposition qui prévoit le transfert du « registre du commerce et des sociétés », dans son ensemble donc, et non pas du RCS du ressort territorial, au sens géographique, de la Guadeloupe.

Or, si l’on admet que l’ensemble du RCS est confié à la CCI des îles de Guadeloupe, on entre en contradiction avec la notion de CCI compétente, puisque Saint-Barthélemy et Saint-Martin ne relèvent plus de la CCI des îles de Guadeloupe. En effet, à Saint-Barthélemy, la CEM exerce les compétences autres que consultatives dévolues aux CCI au titre de l’article 46 de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services.

Ainsi, selon cette lecture, dans les deux cas, le 2° de l’article 19 ne prend pas en compte la configuration particulière de la Guadeloupe.

Comme je l’indiquais, la gestion de l’immatriculation des sociétés et la tenue du registre dans cette situation de décalage statutaire, et en particulier fiscal, est préjudiciable non seulement aux entreprises, mais aussi à l’État et à la collectivité de Saint-Barthélemy.

Cette problématique est au cœur de l’activité des entreprises, sujet qui nous préoccupe dans l’examen du présent texte, dès lors que l’enregistrement marque la naissance de l’entreprise.

Monsieur le ministre, je vous remercie des éclairages que vous voudrez bien m’apporter sur ces deux points.

Mme la présidente. L’amendement n° 980 rectifié ter n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 299 rectifié ter ?

M. François Pillet, corapporteur. Le dysfonctionnement du RCS outre-mer provoque une grave perturbation de la vie économique et une grande gêne pour les entreprises concernées : nous sommes d’accord, il faut traiter ce problème.

Mais ne nous cachons pas ce que nous n’avons pas à nous cacher ! La commission a supprimé la disposition que prévoyait le texte adopté par l’Assemblée nationale sur ce point, tout d’abord parce que l’on ne sait pas ce qu’il faut entendre par « gestion matérielle du registre ». En pratique, les opérations matérielles de dépôt d’acte sont imbriquées avec le contrôle de régularité juridique opéré par le greffier. Si les deux activités sont dissociées, comment s’opérera le contrôle, une fois que des actes irréguliers auront été déposés ?

Ensuite, se pose le problème des conflits d’intérêts qui pourraient surgir quand la chambre de commerce gérera un registre de publicité légale concernant des entreprises dont les dirigeants seraient à sa tête. Ce problème se posera inévitablement.

Pour autant, j’ai parfaitement noté que le problème spécifique de Saint-Barthélemy est totalement différent, compte tenu du contexte législatif que vous avez évoqué, mon cher collègue. Mais l’amendement étant présenté globalement, il ne saurait être accepté.

Je pense que la balle est dans le camp du ministre.

Il faut absolument traiter la situation actuelle. On peut le faire en mettant en place la solution votée par le législateur en 2011, et qui consiste à désigner des greffiers de tribunaux de commerce pour assurer le greffe de ces juridictions et pour accéder aux standards de qualité, de fiabilité, de rapidité que nous connaissons dans l’Hexagone.

En un mot, il suffirait d’appliquer la loi que nous avions votée pour les territoires d’outre-mer, et vous auriez satisfaction, mon cher collègue ! Mais cette loi n’a pas été appliquée.

Pour ma part, je ne peux que défendre ce que le Sénat a voté. Appliquons la loi qui existe et le problème sera résolu ! Mais on ne pourra pas le résoudre par la technique que vous proposez.

Il est vrai que le fait d’être « embarqué », si j’ose dire, dans le même amendement pénalise Saint-Barthélemy. Ce territoire connaît en effet un régime quelque peu différent, que vous aviez d’ailleurs présenté, à titre personnel, dans un amendement qui a été déclaré irrecevable en application de l’article 40.

La solution de votre problème, mon cher collègue, est entre les mains du Gouvernement, tout au moins pour l’instant. Nous allons donc entendre avec intérêt la réponse du ministre....

M. Roger Karoutchi. Moi qui croyais que Saint-Barthélemy faisait rêver...

Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Comme l’a dit M. le rapporteur, il s’agit bien là de la constitution du registre et de l’enregistrement des actes.

Sur ce volet, la loi Lurel avait permis une organisation plus souple en autorisant notamment les CCI, sous le contrôle du greffier public, de procéder à ces opérations.

Je rassure pleinement M. le rapporteur, qui n’a peut-être pas tout à fait saisi l’articulation avec la loi Lurel : la supervision du greffier public garantit l’absence de conflit d’intérêts. Il ne s’agit pas, en l’espèce, que chacun puisse faire n’importe quoi !

Compte tenu du caractère difficultueux de la situation et des aménagements prévus par la loi Lurel, le texte du Gouvernement prévoyait de lancer une expérimentation en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Malheureusement, cette partie de la proposition gouvernementale n’a pas été retenue par la commission spéciale.

Quoi qu’il en soit, je n’aurais pas soutenu ici l’extension de cette expérimentation à d’autres territoires ultramarins, car il convient de la limiter à quelques-uns pour bien observer comment fonctionne le dispositif.

Ma collègue Christiane Taubira est pleinement mobilisée sur ce sujet, qu’elle connaît bien. Nous allons donc poursuivre l’expérimentation, sur la base de la loi Lurel, dans ces trois départements, et réfléchir aux moyens qui peuvent être dégagés pour résoudre ce problème réel que vous avez évoqué au travers de votre amendement, monsieur le sénateur, et dont nous sommes pleinement conscients.

Je le répète, ce problème est connu. Un cadre a été défini par la loi Lurel et une expérimentation sera donc menée. Mais, par définition, celle-ci ne peut être dans un premier temps généralisée à tous les territoires.

À la lumière de ces informations, je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est maintenant l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Compte tenu des précisions qui viennent d’être apportées par M. le ministre, au terme, d’ailleurs, d’un exposé des motifs qui n’était pas tout à fait le mien, la solution est, hélas - tout au moins dans l’immédiat -, le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. Monsieur Magras, l’amendement n° 299 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Michel Magras. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez compris que la démarche de Saint Barthélemy s’expliquait, au départ, par son statut. (M. Jean-Jacques Hyest opine.) Collectivité régie par l’article 74 de la Constitution, elle s’administre librement, une libre administration que garantit l’État.

Or nous avons la compétence fiscale. Et c’est là que réside le nœud du problème, car je ne peux pas accéder au fichier regroupant les informations fiscales relatives à un certain nombre d’entreprises.

Il a été rappelé que la loi Lurel avait prévu une solution, mais qu’elle n’a pas été suivie d’effet.

Je suis prêt à en apporter la preuve, la démarche que Saint Barthélemy appelle de ses vœux, qui est spécifique et ne peut en aucun cas être assimilée à celle des DOM, ne portera atteinte ni au métier de greffier, ni aux tribunaux de commerce, ni à l’État. Elle ne servira pas davantage de tremplin pour une généralisation à l’ensemble du territoire.

J’ai noté, monsieur le ministre, que la porte était ouverte et que la discussion se poursuivrait. Dans ce cadre, je me tiens à la disposition du ministère compétent, celui de la justice. Je suis prêt à venir expliquer, débattre, convaincre, démontrer et apporter toutes les garanties que vous souhaitez pour que vous nous fassiez confiance et que vous nous autorisiez à assurer cette gestion matérielle.

J’ai aussi noté que la démarche expérimentale était destinée à être maintenue devant l’Assemblée nationale. J’aurais aimé que la navette parlementaire nous permette de régler concrètement la situation de Saint-Barthélemy. À défaut, c’est-à-dire en restant dans le flou, nous n’aurons pas avancé.

Je vais retirer mon amendement, car les engagements du ministre sont de nature à nous donner confiance. J’espère que, durant la navette, ou à tout le moins avant l’aboutissement de la discussion du projet de loi, nous parviendrons à trouver une solution concrète pour Saint-Barthélemy.

Je retire l’amendement, madame la présidente.