Mme Catherine Procaccia. On vote Macron ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Nous entamons l’examen d’une série de dispositions très importantes. Certes, le débat qui s’amorce va peut-être dépasser notre hémicycle pour se poursuivre – si j’ai bien compris, c’est parfois l’objectif – rue de Solférino ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

Les articles dont nous nous apprêtons à débattre traitent de l’actionnariat salarié, de l’épargne salariale, c’est-à-dire des salariés et de leur rémunération, soit à la performance, soit en raison d’investissements dans des plans épargne-retraite. Nous allons aussi parler du financement des entreprises de notre capacité à trouver des mécanismes performants. Les banques, même françaises, montrent peu d’entrain à y participer.

La ligne politique du Gouvernement consiste à améliorer l’attractivité et la compétitivité de nos entreprises. Améliorer la capacité d’investissement privé et public, c’est aussi permettre à notre tissu productif, qui accuse un retard important depuis de nombreuses années, de se réarmer en vue de la compétition mondiale.

Il a pu y avoir quelques pas de côté. Il est même arrivé que l’on fasse un peu de surplace. Mais le message est clair : la ligne politique passe par le redressement de notre économie, et nous continuons à réformer !

Il serait tout de même dommage de commencer en supprimant l’article 34, qui traite d’une formule d’actionnariat salarié. Nous cherchons à nous replacer dans la compétition européenne. Il est question non pas des États-Unis, mais de l’Europe, notre continent : M. le ministre a démontré avec fougue et conviction que nous n’étions pas dans la course, notamment par rapport aux Allemands et aux Anglais.

Le tissu productif français est fait de telle manière que l’on a besoin de tout le monde : grands, moyens, petits… Notre système capitalistique est vertical, et il s’appuie sur des filières industrielles. Et même si les grands ont pris leur envol international, leurs sièges sociaux restent en France, ils paient des impôts en France, peut-être pas suffisamment aux yeux de certains, et soutiennent toute une filière. Quand on construit des centrales nucléaires en Chine, ce sont quatre-vingts entreprises françaises de la filière, petites ou moyennes, qui travaillent. Or quand on sait faire de la robinetterie pour le nucléaire, on sait en faire pour tout ! D’ailleurs, la Chine a d’énormes besoins en matière d’équipements des ménages.

En Allemagne, le tissu industriel est beaucoup plus horizontal, et les liens avec les banques sont plus forts. En France, il faut que l’État agisse. C’est ce qu’il fait.

Monsieur le ministre, le groupe socialiste vous apportera bien évidemment tout son soutien, car nous partageons votre ligne politique.

Mme Nicole Bricq. Pour autant, j’accepte complètement le débat. Je ne dirai jamais qu’il n’y a qu’une seule politique possible. Ce que je sais, c’est que, en matière économique, il y a de bonnes politiques et de mauvaises politiques. Je considère que celle du Gouvernement va dans la bonne direction et qu’il y a encore beaucoup à faire.

M. le ministre nous proposera de revenir à la version adoptée par l’Assemblée nationale. Mme le corapporteur, en commission spéciale, vous avez amodié le dispositif sur la durée de conservation. Or, après vérification, il apparaît que le dispositif anglais ne connaît pas de durée obligatoire de conservation.

Monsieur le ministre, nous voterons bien entendu votre proposition et nous nous engageons avec résolution dans ce mouvement en vue d’améliorer la compétitivité de nos entreprises en France. En outre, il ne faut pas l’oublier, des entreprises étrangères qui investissent en France, ce sont des salariés et des emplois à la clé !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir placé le débat là où il devait être.

Au fond, cet amendement est un prétexte. Vous avez déclaré vouloir partir du monde tel qu’il est, et non de principes fumeux… Mais, monsieur le ministre, le « monde tel qu’il est », ce n’est pas Dieu qui l’a fait, ou alors il y a très longtemps ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Le monde tel qu’il est, il résulte d’une politique menée de manière continue depuis une quarantaine d’années par des gouvernants de droite ou des gouvernements dits « de gauche » ! Je ne suis donc pas étonné que vous ayez été largement applaudi du côté droit de cet hémicycle.

Vous posez les enjeux d’une manière telle que nous ne pouvons que vous donner raison ! Pour survivre, il faut aller dans le sens du vent.

M. Roger Karoutchi. Le sens de l’Histoire !

M. Pierre-Yves Collombat. Il faut des salaires de plus en plus bas, des règles de plus en plus laxistes, une libre circulation de l’argent… Je me souviens du débat sur la prétendue séparation des activités bancaires : tout ce qui pouvait faire un peu grincer des dents BNP Paribas ou quelques autres a été évacué ! (Mme Annie David acquiesce.)

Bientôt, ne pas nous aligner sur le Bangladesh, ce sera aller à contre-courant, agir contre les intérêts des entreprises françaises, donc des Français en général !

Simplement, je commence à m’interroger sur ce qu’est une « entreprise française » ou un « groupe français ». Que sont ces fameuses grandes entreprises, dont certaines pratiquent l’optimisation fiscale et dont le capital est parfaitement international ? Peut-on encore parler d’« entreprise française » ? Je suppose d’ailleurs que la langue véhiculaire au sein des organes dirigeants ne doit pas être le français. En outre, ce ne sont pas forcément celles qui emploient le plus de salariés en France.

Par ailleurs, nous discutons « économie », « relance », mais peut-être faudrait-il aussi s’interroger sur les retombées politiques de cette façon de concevoir l’économie. Quand il y a un malaise, on dit aux gens de se serrer la ceinture ; on dit à ceux qui arrivent de s’intégrer. Mais à quoi doivent-ils s’intégrer ? C’est quoi, la France ?

M. Jean-Louis Carrère. Vous philosophez, mon cher collègue !

M. Pierre-Yves Collombat. Je philosophe peut-être, monsieur Carrère. Mais avez-vous vu les résultats des dernières élections ? Et des prochaines ?

M. David Rachline. Surtout des prochaines !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous, on en reparlera le coup d’après !

J’ai entendu qu’on allait réformer les programmes et enseigner ce qu’est la France ! Mais on n’enseigne pas ce qu’est la France en faisant des prêches ; on l’enseigne en la faisant vivre !

On ne peut pas faire litière des dégâts politiques d’une telle politique économique ! Un certain nombre de pays, par exemple le Danemark, ont réussi à conserver, par des biais juridiques, un capital local. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.)

Vous pouvez rire, mes chers collègues. Je sais que mes propos vous semblent parfaitement exotiques, vieillots, ringards. Mais regardez ce qui se passe chez nous ! Regardez ce qui se passe dans un certain nombre de pays, par exemple, où les résultats des dernières élections sont vraiment très « encourageants » ! Vous réaliserez que ce que vous considérez comme la « vérité » risque de nous coûter extrêmement cher. Peut-être faudrait-il se réveiller avant qu’il ne soit trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. M. Pierre-Yves Collombat vient de m’ôter les mots de la bouche.

Monsieur le ministre, vous avez en effet placé le débat là où il devait être. Il s’agit d’un débat politique sur le projet de société que nous voulons mettre en œuvre. Comme Pierre-Yves Collombat l’a souligné, il est question des grosses entreprises.

Mme Nicole Bricq. Mais non !

Mme Éliane Assassi. Laissez l’oratrice s’exprimer, madame Bricq !

Mme Annie David. Monsieur le ministre, vous souhaitez « garder les talents ». Or, vous le savez bien, l’actionnariat salarié dont vous parlez concerne seulement certains salariés. Qui sont ces talents que vous ne voulez pas voir partir à l’étranger ? Ce sont les cadres dirigeants d’entreprise !

Je comprends que vous vouliez les maintenir en France. Contrairement aux clichés que certains à la droite de cet hémicycle peuvent véhiculer, nous ne sommes pas contre les grandes entreprises, sous réserve qu’elles se comportent correctement.

J’aimerais d’ailleurs vous interroger sur la responsabilité sociale des entreprises. À quel moment comptez-vous parler de ces grands groupes qui s’installent en France, bénéficient des infrastructures publiques mises en place par les collectivités, utilisent les avantages fiscaux pour faire de l’optimisation et profitent de tout ce que la France a de meilleur à proposer à l’ensemble de ses concitoyennes et de ses concitoyens ?

Ces entreprises-là viennent. Elles prennent ce qui les intéresse et utilisent les salariés pour les jeter ensuite à la rue, une fois qu’elles n’en ont plus besoin ! D’ailleurs, cela ne concerne pas seulement les grandes entreprises françaises. Nous avons évoqué Sanofi, mais il y a d’autres cas. J’ai travaillé dans un grand groupe américain installé en France depuis très longtemps : les dirigeants ont beau avoir de nombreux avantages, ils enchaînent les plans de licenciement dès qu’ils le peuvent !

Malgré ce que chacun pourra bien dire, nous savons tous à qui l’article 34 s’adresse ! Ce qui est en jeu, c’est bien un projet de société pour notre pays. Monsieur le ministre, au groupe CRC, nous refusons votre projet de société. Nous sommes attachés à ce qui a fait la grandeur et la beauté de la France : la solidarité, la fraternité, l’égalité, le fait que chacun contribue à cette solidarité pour pouvoir bénéficier en contrepartie des services publics et de tout ce que notre pays est capable de mettre en œuvre ! Or les entreprises en question ne veulent pas participer à cette solidarité.

Nous maintenons donc notre amendement de suppression. Nous demandons d’ailleurs qu’il soit mis aux voix par scrutin public. Il faut que chacun se positionne sur le projet de société qu’il souhaite pour demain, pour nos enfants, pour nos familles, pour notre pays ! Le nôtre est à l’opposé de la philosophie de l’article 34 !

Mme Sophie Primas. Dinosaure !

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Patrick Abate. Je partage ce qui vient d’être dit par mes collègues Marie-Noëlle Lienemann et Annie David.

Ceux qui, dans notre hémicycle, ont vu avec douleur notre pays s’enfoncer dans un dogmatisme dans ce qui paraît être le chemin absolument indiscutable du bien-être se trouvent sur nos travées !

Monsieur le ministre, chers collègues de droite, vous êtes aussi dogmatiques qu’ont pu l’être les Soviétiques ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Éliane Assassi. Plus encore ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Patrick Abate. Eux aussi étaient enfoncés dans une croyance absolue qui les rendait aveugles à leurs propres erreurs ! (Nouvelles exclamations sur les travées de l'UMP.)

Qu’on me prouve que le départ de ces « talents », les plus hauts dirigeants de nos entreprises grandes ou moyennes, a posé une seule fois un problème à une entreprise ! Avons-nous dans l’histoire du monde microéconomique en France un seul élément qui le démontre ? Cela n’existe pas !

Nous sommes attentifs aux problèmes des entreprises. Nous savons que la fiscalité ne prend pas suffisamment en compte l’utilisation qui est faite des résultats. Nous ne sommes pas opposés au fait que la fiscalité favorise l’investissement, la recherche, la redistribution. On pourrait même imaginer – je parle de manière très libre, comme nous le sommes tous au sein de notre groupe – de diminuer largement la fiscalité sur les entreprises et les actionnaires lorsqu’ils investissent. Peut-être nous disputerions-nous tout de même un peu ; mais, sur le fond, vous nous trouveriez assez compréhensifs.

Mais votre discours est dogmatique, monsieur le ministre ! Affirmer qu’il faut faciliter la vie fiscale de gens qui n’en ont pas forcément besoin pour éviter qu’ils ne partent à l’étranger et ne mettent en danger nos entreprises, c’est du dogmatisme !

Qui sont les véritables talents dans nos entreprises ? Qui fait de la recherche, travaille, produit, innove ? Les actionnaires ?

Mme Sophie Primas. Il y a des salariés actionnaires !

M. Patrick Abate. Nous sommes très attachés aux grands groupes. Le problème, c’est que le tissu industriel est extrêmement faible, du fait de l’insuffisance du nombre d’entreprises moyennes. Il nous manque de belles PME, ce qui n’est pas le cas des pays anglo-saxons. C’est d’ailleurs là l’une de leurs forces.

Dans ma région, en Lorraine, les actionnaires des belles PME n’ont que faire de la fiscalité qui pèse sur leurs actions ; ils investissent massivement.

À la porte de chez moi, de très belles entreprises de 150 à 200 employés sortent de la crise. Dans ces entreprises familiales, depuis deux ou trois générations, personne ne s’est jamais servi de manière excessive ; on ne recherche pas l’avantage individuel !

Il ne s’agit pas d’opposer les propriétaires aux salariés ; ils ont un intérêt commun. Mais ce n’est pas une raison de demande à ceux qui rencontrent le plus de difficultés de faire encore des efforts, à cause des suppressions ou des réductions dans les services publics, au moment où vous vous inquiétez des prétendus talents qui partiraient à l’étranger !

Cela me fait penser à l’histoire de ce ministre de l’économie qui suggérait au roi d’imposer des efforts aux plus pauvres ; quand le monarque objectait que ces derniers n’en pouvaient plus, le ministre répondait qu’ils présentaient l’avantage d’être les plus nombreux ! Il serait tout de même regrettable d’en rester à une telle vision des choses !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Patrick Abate. Au demeurant, si les talents s’exportent, ce n’est pas si mal ! C’est l’image de la France qui se diffuse ainsi dans les arts et le management. Ce n’est pas la vraie difficulté de notre économie aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.

M. Francis Delattre. Monsieur le ministre, j’ai un peu d’expérience politique, et j’ai l’impression que nous venons de vivre votre moment de vérité. Sachez que nous le respectons, d’autant que nous partageons bien des orientations de votre projet de loi et que votre analyse de la situation de notre pays est assez voisine de la nôtre.

La France a effectivement beaucoup de difficultés à financer son économie. Par idéologie, des gouvernements ont refusé les fonds de pension…

M. Francis Delattre. … et les outils que de nombreux pays utilisent aujourd'hui. Nous le voyons bien, le financement des PME et des PMI dépend à 90 % ou 95 %, des décisions des banques. Nous avons là l’amorce d’une possibilité nouvelle. Notre camp politique est attaché depuis longtemps à une association des salariés aux résultats de leur entreprise. On appelle cela la participation.

Philosophiquement, nous ne pouvons que voter contre les amendements de suppression de l’article 34.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué l’autre jour que nous avions une attitude « gramscienne ». Aussi, pour parodier Gramsci, je dirai que le vieux monde tarde à disparaître, que le nouveau monde tarde à apparaître et que, dans ce clair-obscur, des dangers surgissent. Ces dangers, nous les voyons bien ; il suffit d’écouter les discours de M. Collombat ou de nos collègues du groupe CRC ! (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)

Il faudra bien que nous nous rassemblions sur l’essentiel et que nous dressions le bilan des réformes dont le pays a besoin.

L’article 34 ne constitue qu’une toute petite partie du projet de loi. Mais il est révélateur d’un état d’esprit. Et cet état d’esprit, nous le partageons largement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos propos.

En démocratie, il me paraît essentiel de mettre en œuvre ce que l’on a dit aux citoyens et de ne pas changer de ligne au milieu du gué !

Si vous pensez que les « talents », c’est-à-dire les hauts cadres, doivent être mieux rémunérés parce qu’ils sont compétitifs au niveau mondial et qu’ils risquent de partir ailleurs, si vous pensez qu’il faut revoir la fiscalité, si vous pensez que le chômage est dû à une excessive protection des salariés aux Français, présentez-vous aux élections et dites-le aux citoyens ! Mais il ne me semble pas que nous ayons été élus sur ce thème !

Vous caricaturez la situation ! Bon nombre de vos soutiens d’aujourd’hui étaient des gauchistes quand moi j’étais socialiste ! En 1971, j’étais déjà socialiste, et je le suis toujours !

Le soutien aux grandes entreprises, ce n’est pas le soutien aux cadres ! Pouvez-vous me dire que le patron et les cadres d’Acome, l’un des premiers groupes exportateurs français, qui est une coopérative, ont moins de talents que je ne sais quel haut cadre de ce fonds d’investissement qui a fait du déficit en distribuant plein d’actions gratuites ?

Je ne demande pas la suppression de l’aide aux actions gratuites. Je demande que l’on n’accroisse pas les inégalités et que l’on ne remette pas en cause ce que nous avons voté avec M. Ayrault. Les formes de rémunération gratuites doivent être aidées financièrement de la même manière que le travail ; elles doivent être taxées de la même manière que le travail !

Monsieur le ministre, puisque vous voulez soutenir les talents, utilisez l’argent pour aider nos doctorants et ingénieurs, qui, eux, sont très mal rémunérés ! Financez des programmes de recherche, qui sont bénéfiques aux grandes entreprises françaises, pour leur permettre de rester dans notre pays ! Je préfère financer ceux-là, plutôt que les cadres financiers, qui, la plupart du temps, n’apportent pas vraiment une super-compétence supplémentaire rendant discriminante l’efficacité des grandes entreprises !

Quand il a fallu aller négocier pied à pied à Bruxelles les normes pour les automobiles en matière de pollution ou les normes environnementales, j’ai toujours défendu l’industrie française, parfois avec des retards à l’allumage, toujours pour éviter qu’on désindustrialise notre pays.

Ce n’est pas la même chose de défendre l’industrie et de défendre les hauts cadres ! C’est comme si vous me disiez qu’il fallait rémunérer à mort les traders pour que nos banques soient performantes !

C’est cela que je conteste, surtout au moment où l’on demande des efforts partout et l’où on a du mal à financer la recherche et l’investissement, y compris privé ! J’avais déposé, avec d’autres collègues, des amendements visant à favoriser l’investissement privé. Vous les aviez refusés ; aujourd'hui, vous les jugez nécessaires.

Et ne nous accusez pas de ne pas être attentifs à l’avenir de notre pays ! Dans la République française, le premier moteur, ce n’est pas l’argent ou les inégalités ; en la matière, notre modèle républicain n’est pas optimal… C’est parce qu’il se fonde sur l’humanisme et non pas sur la mise en concurrence des forts, pour écraser les faibles, que notre modèle est le meilleur !

Le Premier ministre vient d’ailleurs de signer un texte dont je n’approuve pas toutes les idées, mais dont bien des éléments philosophiques peuvent nous réunir. Il est notamment écrit ceci : « Les inégalités minent la confiance et la croissance, sans lesquelles un pays ne peut aller de l’avant. […] Activons tous les leviers pour les combattre : la redistribution… » Ce que nous faisons là, ce n’est pas de la redistribution ! (M. Dominique Watrin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Je ferai cinq remarques.

Premièrement, je suis toujours sceptique quand on nous dit qu’il faut attirer les talents et que, pour avoir les meilleurs, il faut payer. N’y aurait-il donc que la motivation liée à la rémunération ? J’en doute beaucoup ! Nous finirons par fonctionner comme ces grands clubs sportifs professionnels, qui « achètent » des stars internationales pour garantir des résultats et gagner de l’argent. D’ailleurs, ces clubs sont de plus en plus souvent gérés par des actionnaires !

Deuxièmement, et vous en conviendrez avec moi, monsieur le ministre, depuis quelques années, au sein des conseils d'administration des grands groupes, siègent de plus en plus de financiers, et de moins en moins de grands capitaines d’industrie. Cela a une incidence sur les choix industriels et d’investissement qui sont faits. Ces grands groupes, vous les avez évacués fort habilement de votre raisonnement pour ce qui concerne la fiscalité. Or, vous le savez, ils payent proportionnellement moins d’impôts que les PMI-PME, dont l’imposition atteint 33,33 %, alors que, pour les grands groupes du CAC 40 – c’est le Conseil des prélèvements obligatoires qui l’affirme dans un rapport de 2009 –, elle est, en moyenne, de 8 %, voire moins. Je pense que la situation s’est encore dégradée depuis 2009. Il y a donc là un problème d’égalité de traitement.

Quatrièmement, comme le disait un illustre dirigeant du XXe siècle : « Le capitalisme n’est pas acceptable dans ses conséquences sociales, il écrase les plus humbles. » Le même homme a également écrit : « Comment voulez-vous qu’on aille toujours plus loin vers l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres ? » Ce n’est pas du Maurice Thorez ; c’est du Charles de Gaulle !

M. Gérard Longuet. C’est pour cela que le général de Gaulle était pour la participation !

M. Éric Bocquet. Cinquièmement, j’ai beaucoup de respect pour votre compétence, votre talent et votre fougue à défendre ce texte, monsieur le ministre. Bien que vous l’ayez défendu avec la même fougue à l’Assemblée nationale, ce n’est qu’après le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution qu’il est parvenu jusqu’à nous. Je n’ai donc pas le sentiment que vous ayez convaincu l’Assemblée nationale, y compris votre majorité, avec les arguments que vous déployez aujourd'hui.

Notre collègue Pierre-Yves Collombat l’a rappelé, lors des élections départementales, un certain message a été envoyé. Vous pouvez choisir de ne pas en tenir compte et de faire fi de l’expression populaire. Mais vous en paierez les conséquences. Faites donc preuve d’un peu de sagesse et de modestie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, vous venez de nous tenir un discours revigorant et vivifiant, mais sans doute partiel.

Tout d’abord, vous l’avez tenu à propos d’un dispositif particulier visant à distribuer des actions gratuites. Nous attendons de voir, dans la suite du débat, sur d’autres sujets, si nous assistons à la même conversion au réel du Gouvernement, voire de la majorité à l’Assemblée nationale. Sur ce sujet en tout cas – je vous en donne acte, monsieur le ministre –, vous faites des propositions. La commission spéciale va, bien entendu, les examiner.

Ensuite, ce discours de vérité n’engage visiblement pas toute la majorité. Nous l’avons vu à l’Assemblée nationale, et la lecture des motions en discussion pour le congrès du parti socialiste montre bien que ce discours de conversion n’est pas assumé par tous. Vous l’assumez courageusement, monsieur le ministre, mais les Français et les acteurs économiques écoutent l’ensemble de ceux qui s’expriment. Le ministre de l’économie exprime, certes, une voix salutaire, mais le Gouvernement dans son ensemble et le Président de la République gagneraient à tenir un discours plus clair.

En outre, si ce discours est utile et s’il constitue effectivement un bon début, proposer des mesures, c’est encore mieux ! Et puis, nous n’oublions pas qu’il s’agit tout de même d’un revirement.

En tant que maire du Bourget, j’ai plus particulièrement en tête un fameux discours prononcé dans ma commune un certain jour du mois de janvier 2012,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très beau discours !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. … où la France entière a appris que l’ennemi, c’était la finance, que le monde économique obéissait à une division binaire avec les bons d’un côté, les mauvais de l’autre et que la présidence de la République était destinée à remettre tout cela en ordre !

Monsieur le ministre, quand je vous entends à présent, j’ai envie de comparer les deux discours. Il fallait sans doute abjurer le discours du Bourget. Vous l’avez fait à l’instant, mais je voudrais que ce soit clair pour tout le monde. Il reste encore du chemin à parcourir, me semble-t-il.

Par ailleurs, quand je parle de revirement, c’est aussi parce que le discours que vous nous tenez prend l’exact contre-pied de la pratique que nous avons connue depuis trois ans. (Mme Nicole Bricq le conteste.) Certaines mesures fiscales qui ont été prises ont contribué à bloquer la croissance, à décourager l’économie et les inventeurs et à encourager un certain nombre de départs à l’étranger. Il est bien d’en prendre conscience, mais il faudra peut-être aussi déployer d’autres moyens et prendre d’autres mesures. Même si vos propos sont substantiels, revigorants et positifs, il reste encore une certaine distance à parcourir sur le chemin de la conversion à la réalité !

La commission spéciale et la majorité sénatoriale ont proposé d’insérer un certain nombre de mesures dans le projet de loi. Au-delà de la distribution d’actions gratuites, il existe des points de blocage sous-jacents dans ce texte. Des questions se posent, notamment sur la réalité du marché du travail aujourd’hui, avec, là encore, la nécessité d’avoir des points de comparaison avec ce qui se passe en Europe et dans le monde.

Sur certains sujets, comme les seuils ou le temps de travail, la commission et la majorité sénatoriale ont fait des propositions. Sur tous les thèmes, nous allons suggérer des mesures qui constitueront, pour vous, l’épreuve de vérité. Après votre déclaration d’intentions, nous vous invitons donc à passer aux travaux pratiques ! Chiche ? (Sourires.)

Mme Lienemann vous a fort justement interpellé tout à l’heure, en vous suggérant de vous présenter aux élections. C’est en effet un moment de vérité, où l’on tient souvent un autre discours.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous êtes bien placé pour le savoir, avec votre « président du pouvoir d’achat » !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Tant que le parti socialiste se présentera aux élections en refusant de tenir un discours de réalité, un discours de conversion au monde d’aujourd’hui, le problème subsistera ! En effet, au-delà des batailles qui sont les nôtres, le pays gagnerait à ce que toutes les forces politiques sachent parfois s’unir pour expliquer certains sujets importants à nos compatriotes et moderniser le pays.

Je souhaite que vous arriviez à faire progresser les choses dans les mois qui viennent, monsieur le ministre. Il faut que, au Sénat, nous ayons le courage de tenir un discours de vérité à nos compatriotes. Nous devons proposer des mesures qui contribueront à moderniser le pays. Ces mesures troubleront parfois, interrogeront certainement. Mais nous préférons cela plutôt que d’entendre nos compatriotes penser, à chaque élection, que la classe politique ne sert à rien, parce qu’elle ne pose pas les vraies questions.

Merci donc d’avoir posé les vraies questions, monsieur le ministre. Maintenant, passons ensemble aux actes ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)