Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Votre question, madame la sénatrice, me donne l’occasion de préciser une chose : il a toujours été clair pour moi qu’il fallait faire une distinction entre l’hostilité absolue et par principe à la réforme et les interrogations professionnelles d’un certain nombre d’équipes enseignantes, auxquelles il nous faut apporter des réponses. Nous élaborerons donc bien évidemment les textes d’application de la réforme en concertation avec leurs organisations représentatives.

Pour répondre à certaines de ces interrogations, je rappelle que la réforme du collège ne se fait pas à moyens constants puisque 4 000 postes sont créés. Ils seront bien utiles notamment pour développer les petits groupes de travail dont j’évoquais les vertus tout à l’heure.

Concrètement, chaque collège verra sa dotation horaire globale augmenter et disposera ainsi de davantage de marge de manœuvre pour renforcer ici ou là en fonction de ce que l’établissement – c’est cela la marge d’autonomie – aura décidé comme prioritaire pour ses élèves compte tenu de leurs besoins. La grande nouveauté de cette réforme est qu’elle permettra à chaque établissement de « mettre le paquet » sur les matières dans lesquelles ses élèves sont en retard, que ce soit en français ou en langues vivantes.

Voilà pour ce qui est des moyens affectés à la réforme.

J’en viens maintenant à l’accompagnement et à la formation. Concrètement, les cadres, c'est-à-dire les chefs d’établissement, les inspecteurs, mais aussi les enseignants, seront formés cet automne. Il est donc important de préparer le cadre dès à présent.

S’agissant des enseignants, ils seront formés sur site. Concrètement, cela signifie que des équipes de formateurs se déplaceront dans les établissements, afin de former ensemble les enseignants qui seront invités et appelés à travailler en collaboration demain.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Telles sont les quelques indications que je peux aujourd'hui vous donner, madame la sénatrice.

Vous le savez, aucune réforme ne peut entrer en vigueur ou être mise en œuvre dans de bonnes conditions sans accompagnement de ses principaux acteurs, en l’occurrence les enseignants.

Mme Catherine Troendlé. Ils n’ont pas été respectés !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je leur redis donc aujourd'hui que les quinze mois à venir serviront bien évidemment à cela. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique, brièvement, afin de permettre à nos collègues de bénéficier de la retransmission télévisée.

Mme Françoise Cartron. Merci, madame la ministre, de votre réponse !

Si la formation est nécessaire au sein des ESPE, il faut également mobiliser tous les corps d’encadrement, en particulier les inspecteurs et les inspecteurs départementaux, car étant au plus près du terrain, ils pourront répondre à l’inquiétude, parfois légitime, des enseignants, en tout cas leur dire qu’ils ne seront pas seuls, qu’ils seront accompagnés.

Un sénateur du groupe UMP. On est sauvés !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe UDI-UC.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, si le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République mentionne la nécessité de « repenser le collège unique », jamais les modalités précises d’une future réforme n’ont été évoquées lors des débats au Parlement. Aussi les préoccupations demeurent-elles vives et nombreuses parmi les élus, mais aussi parmi les enseignants, que nous avons eu l’occasion d’auditionner hier, et qui nous disent ne pas avoir été consultés. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

L’une de ces préoccupations fondamentales est une inconnue de la réforme, à savoir la question de l’orientation.

L’arrêté prévoit la suppression des options de découverte professionnelle en classe de troisième, tandis que les classes dites « prépa-pro » demeurent, mais sans horaires attribués. À ce jour, le nouveau parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel, qui remplace le parcours de découverte des métiers et des formations, ne bénéficie, lui non plus, d’aucun horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire.

Dès lors, comment permettre aux élèves de choisir leurs études et leur profession ? Y a-t-il là une volonté délibérée de retarder le choix de l’orientation à la seconde et de limiter l’orientation vers les études professionnelles ?

Enfin, le Gouvernement est déjà passé en force sur la réforme des rythmes scolaires. Cette fois, il nous explique que le délai d’ici à la rentrée 2016 permettra de réfléchir aux contenus des formations des enseignants. Soit !

Toutefois, personne ne semble se préoccuper d’un autre aspect très concret de la mise en œuvre de la réforme, à savoir la rédaction et l’achat des nouveaux manuels scolaires. Je ne vois pas comment les collectivités pourront faire face à une dépense inédite par son ampleur alors que toutes subissent déjà le contrecoup de la baisse des dotations de l’État. Il faut savoir que toutes les disciplines, mes chers collègues, dans toutes les classes du primaire et du collège, sont concernées. (M. Claude Kern opine.)

D’où ma question : comment les collectivités ont-elles été associées à la mise en œuvre de la réforme ? Un financement spécifique par l’État de cette dépense est-il prévu ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la sénatrice Catherine Morin-Desailly, d’une certaine façon, on pourrait presque nous reprocher d’avoir attendu trop longtemps avant de publier le décret.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah non !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce décret résulte de l’adoption d’une loi, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui a été définitivement adoptée au Parlement il y a vingt-deux mois.

Vous dites, madame la sénatrice, qu’il n’a pas été question de la réforme du collège lors de l’examen au Parlement de cette loi. Je vous invite donc à relire les comptes rendus des débats parlementaires. Je suis prête à répondre aux questions qui vous viennent aujourd'hui, mais je regrette que vous n’ayez pas eu l’occasion de les poser au cours des cinq mois qu’ont duré les débats sur cette loi.

Certains d’entre vous se demandent pourquoi on ne se préoccuperait pas d’abord de l’école primaire avant le collège. Je rappelle que la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a précisément prévu d’aborder de façon chronologique tous les problèmes que connaît notre système éducatif.

Nous avons donc commencé par l’école primaire, à laquelle nous avons donné la priorité, notamment en mettant en œuvre le dispositif « Plus de maîtres que de classes ». Nous avons également favorisé la préscolarisation des enfants avant trois ans à la maternelle.

Le temps du collège est aujourd'hui venu.

C’est ainsi qu’il faut procéder, notamment pour permettre à tous les enfants d’acquérir le fameux socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu dans la loi pour la refondation de l’école de la République. Celui-ci doit être décliné afin que les enseignements fondamentaux figurent au cœur des programmes repensés, comme je l’ai indiqué tout à l’heure. Par ailleurs, un fonctionnement par cycles de trois ans doit être mis en œuvre afin de permettre de mieux s’assurer de la maîtrise de ces connaissances par les enfants.

J’en viens à votre question sur l’information des élèves en matière d’orientation professionnelle. L’orientation est pour moi un enjeu fondamental. C’est d’ailleurs pour cela que l’un des huit enseignements pratiques interdisciplinaires qui sera mis en œuvre au collège s’intitule « Monde économique et professionnel ». Il permettra aux enfants d’aborder dès la classe de cinquième des sujets qui, jusqu’à présent, n’étaient évoqués qu’à la fin de la troisième (M. Claude Kern s’exclame.), à savoir la construction de l’orientation, la découverte des métiers et de l’apprentissage. Tout le monde se gargarise de l’apprentissage. Or, pour changer notre culture en matière d’apprentissage, il faut peut-être le valoriser plus tôt au collège. C’est ce qui sera fait dans cet enseignement pratique interdisciplinaire. Il permettra par exemple aux élèves de construire, à l’aide de leur professeur, des mini-entreprises, à l’établissement…

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … de s’ouvrir sur son environnement économique et de signer des partenariats avec les entreprises qui l’entourent. (M. Claude Kern s’exclame.)

Je tenais à vous répondre en détail, madame la sénatrice, parce que je pense que le nouveau collège veillera à donner aux élèves les clés de leur avenir professionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Kern. Et les financements ?

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je regrette, madame la ministre, de ne pas avoir obtenu de réponse sur le réalisme de la refonte de tous les manuels scolaires en même temps, en moins d’une année. Les éditeurs nous disent que ce n’est simplement pas réaliste. Et je ne parle même pas du coût d’une telle refonte.

Il faut bien évidemment changer notre culture sur l’apprentissage, madame la ministre. Mais alors pourquoi est-on revenu il y a un an dans la loi pour la refondation de l’école sur les dispositifs d’initiation aux métiers en alternance, les DIMA, qui favorisaient l’apprentissage ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

On fait les choses complètement à l’envers, à coups d’aller-retour et d’atermoiements très préjudiciables à la refonte du collège.

Le collège unique, ce n’est pas le collège uniforme.

Nous sommes extrêmement attachés à ce que chaque enfant, à partir du socle commun, trouve son parcours de réussite et puisse se voir offrir une orientation qui corresponde à la fois à ses aptitudes et ses appétences.

De ce point de vue, nous ne voyons pas en quoi l’actuelle réforme, telle qu’elle est proposée, pourra faciliter les choses.

Enfin, dans le texte de loi proprement dit, jamais les mots « réforme des collèges » n’ont été employés. (M. Roger Karoutchi opine.) Quant au rapport annexé, nous nous étions posé beaucoup de questions à l’époque sur le statut de ce document assez verbeux.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Catherine Morin-Desailly. La surprise du Parlement et de la communauté éducative est donc légitime. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour le groupe UMP.

Je demande à chacun de respecter le temps de parole qui lui est imparti. Maîtriser le temps, c’est aussi un apprentissage.

Mme Catherine Troendlé. Nombreuses furent les personnalités de tous bords à vous alerter, madame la ministre, sur les difficultés que soulèvent la réforme du collège et celle des programmes scolaires.

Nous avons assisté à une levée de boucliers contre la suppression du latin et du grec, contre l’annonce selon laquelle l’enseignement des Lumières deviendra facultatif en histoire en classe de cinquième – de même, le christianisme médiéval deviendra une option parmi d’autres –, ou encore contre la disparition des classes bilangues et européennes, qui menacera, c’est certain, l’apprentissage de la langue allemande.

Un sénateur du groupe UMP. C’est sûr !

Mme Catherine Troendlé. Les groupes d’amitié France-Allemagne du Sénat et de l’Assemblée nationale sont intervenus contre la suppression des classes bilangues et européennes. (M. Jean-Pierre Raffarin opine.) J’ai moi-même pris l’initiative d’une tribune en ce sens (Exclamations sur quelques travées du groupe socialiste.), qui a été cosignée par plus de cinquante de mes collègues sénateurs.

Nous pouvons relever encore l’appel de 250 parlementaires et les pétitions demandant la suppression de la réforme, signées par des dizaines de milliers de personnes. Malgré cela, rien n’y a fait, vous avez refusé de revoir votre copie !

Et vous avez encore fait la sourde oreille, en refusant de comprendre que la majorité des Français est opposée à votre réforme.

M. Didier Guillaume. Vous parlez en connaisseurs !

Mme Catherine Troendlé. La semaine dernière, ce sont les principaux acteurs de l’éducation nationale, les enseignants, qui se sont massivement mobilisés en manifestant à leur tour contre cette réforme. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Leurs voix font écho aux inquiétudes de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, à celles des professeurs de lettres, mais aussi à celles des professeurs d’arts plastiques et des professeurs de langues vivantes. Tous se mobilisent contre cette réforme qui, comme ils le rappellent, se soldera « par la perte d’heures d’enseignement disciplinaire » au moment où les élèves en ont le plus grand besoin. (M. Roger Karoutchi opine.)

Malgré cela, vous avez décidé de passer en force. Affront suprême à tous ceux qui expriment leurs profondes inquiétudes sur vos réformes, vous avez publié au Journal officiel, en catimini, au lendemain d’une grève nationale, le décret ainsi que l’arrêté portant sur la réforme ! (M. Didier Guillaume s’exclame.)

M. le président. Posez votre question, ma chère collègue !

Mme Catherine Troendlé. Madame la ministre, vous refusez tout dialogue.

M. Didier Guillaume. Nous en parlons aujourd’hui !

Mme Catherine Troendlé. Voici ma question. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Un sénateur du groupe socialiste. Il est temps !

Mme Catherine Troendlé. Dans une société en crise et une école en perte de repères, alors qu’une réelle crise de confiance s’installe entre les Français et leur école, entendez-vous enfin ouvrir une réelle et large concertation sur la réforme du collège et celle des programmes scolaires ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre, à laquelle je demande de pratiquer la contraction de texte, qui est un utile exercice. (Mme la ministre sourit.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je voudrais tout d’abord répondre en quelques mots à Mme la sénatrice Catherine Morin-Desailly.

M. Ladislas Poniatowski. Ce n’est pas la règle du jeu !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Vous proposiez en somme de décider d’office, dès l’âge du collège, que tel enfant s’orienterait vers l’apprentissage et l’enseignement professionnel, tandis que tel autre aurait droit à un enseignement plus général. Nous proposons de sensibiliser tous les élèves à l’ensemble des matières, qu’elles soient intellectuelles ou manuelles, afin qu’ils puissent construire leur orientation professionnelle en s’ouvrant toutes les perspectives possibles. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.) Il y a une différence fondamentale entre ces deux conceptions, et j’insiste sur la nécessité de bien préparer les enfants à leur future orientation professionnelle.

Madame la sénatrice Catherine Troendlé, nous devons faire preuve de sérénité, en commençant par bien distinguer réforme du collège et réforme des programmes.

La refonte des programmes est un dossier lourd, qui ne fait que commencer. En effet, le Conseil supérieur des programmes, instance indépendante au sein de laquelle siègent des élus de gauche et de droite, a conçu des projets de programmes sur toutes les matières enseignées à l’école primaire et au collège. Je remercie d’ailleurs les membres du Conseil supérieur pour le travail considérable qu’ils ont accompli. Ces projets sont soumis pour consultation à 800 000 enseignants pendant un mois, et c’est seulement après que nous validerons la version définitive. En la matière, – j’insiste sur ce point – je suis très à l’écoute des différents avis qui peuvent être formulés. Étant donné le nombre de disciplines et de niveaux d’apprentissage concernés, personne ne peut se croire omniscient.

J’ai donc demandé à ce que la consultation soit largement ouverte, au-delà même du corps enseignant. Ainsi, de grands historiens seront invités, lors d’un forum que nous organiserons le 3 juin prochain, à venir apporter leur éclairage et à dire comment l’histoire de France, dans sa singularité, doit être enseignée aux enfants en fonction de leur âge.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. En la matière, nous devons véritablement faire preuve d’esprit d’apaisement et chercher à élaborer les programmes les plus clairs, les plus progressifs et les plus efficaces possibles, afin que les enfants les acquièrent. Tel est notre objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour la réplique.

Mme Catherine Troendlé. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Ma remarque sur la concertation visait à la fois la réforme du collège et celle des programmes. Ces deux choses sont liées, madame la ministre ; vous ne pouvez pas les dissocier. (Exclamations sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Ce sont deux choses différentes !

Mme Catherine Troendlé. Elles sont liées ! Dès lors que les enseignants ont largement manifesté leur mécontentement et leur rejet de la réforme du collège, comment voulez-vous parler d’une concertation sereine sur les programmes ?

Vous ne les avez pas entendus une première fois… Comment pouvez-vous aujourd’hui nous parler de sérénité ? (Mme Marie-Annick Duchêne et M. Gérard Bailly applaudissent. – M. Didier Guillaume s’exclame.)

M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour le groupe socialiste, pour deux minutes.

M. Christian Manable. Merci, monsieur le président. Madame la ministre, au moment où certains s’interrogent sur les débats, la réflexion et la concertation qui entourent la réforme du collège – les questions posées par nos collègues siégeant à la droite de cet hémicycle en témoignent –, il me paraît opportun de rappeler toute l’ambition et la portée de la loi de refondation de l’école, défendue initialement par Vincent Peillon.

En effet, dans le rapport annexé à la loi promulguée en 2013, et qui vise à présenter l’ensemble des orientations et des chantiers engagés au service de la réussite de ce grand dessein éducatif, les objectifs fixés par la Nation sont très clairs : une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. La refondation de l’école doit en priorité permettre une élévation générale du niveau de tous les élèves. Et l’ensemble des composantes du système éducatif, notamment le premier et le second degré, doivent se mobiliser pour la réalisation de ces objectifs.

Ainsi, Jean-Paul Delahaye, l’un de ceux qui ont contribué à cette loi, écrivait encore récemment : « La refondation concerne bien sûr tous les élèves, et il n’est pas question de réduire les écarts en baissant le niveau des meilleurs. Refonder l’école, ce n’est pas niveler par le bas, c’est élever le niveau de tous en centrant l’attention du système éducatif en priorité en direction des plus fragiles, ceux dont les destins scolaires sont liés à leur origine sociale. »

Je souhaiterais donc, madame la ministre, que vous puissiez préciser la place du collège dans la démarche de refondation de l’école et mettre ainsi en perspective la réforme qui nous préoccupe aujourd’hui.

Pour illustrer cette nécessité d’agir sur l’ensemble du continuum éducatif, je souhaiterais également vous interroger sur l’un des engagements de la loi de refondation, à savoir le développement des compétences numériques et sa traduction dans la réforme du collège.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Christian Manable. En effet, le collège doit être en phase avec les usages du numérique d’aujourd’hui. Nous devons apprendre aux collégiens, qui s’en servent par ailleurs quotidiennement, à utiliser, maîtriser et comprendre ces outils.

M. le président. Votre temps est écoulé, monsieur Manable !

M. Christian Manable. Certes, mais comme vous êtes un républicain soucieux d’égalité, monsieur le président,…

M. le président. Attendez deux jours ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Sourires.)

M. Christian Manable. … je vous demande de pouvoir disposer du même temps de dépassement que les orateurs qui m’ont précédé.

Quel est le rôle des collectivités territoriales dans ce « service public du numérique éducatif » ?

M. Jean-Claude Lenoir. Il faut payer !

M. Christian Manable. Pouvez-vous, madame la ministre, nous préciser les mesures et engagements pris en la matière, lesquels s’inscrivent dans la réforme du collège et le plan numérique annoncé par le Président de la République voilà quelques semaines ?

M. le président. Monsieur Manable, vous avez consommé le temps qui vous était imparti pour la réplique !

La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Monsieur le sénateur Christian Manable, je vous remercie d’avoir posé cette question (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.), et d’avoir fait allusion à l’excellent rapport de Jean-Paul Delahaye, travail qui a eu pour vertu de remettre dans le paysage public le million d’enfants pauvres qui fréquentent nos écoles, nos collèges et nos lycées (Mme Maryvonne Blondin opine.), et dont on parle rarement. Sont ainsi décrites les difficultés que ces enfants éprouvent au quotidien pour s’alimenter, s’habiller et se concentrer sur leurs devoirs, de même que la façon dont ils en viennent à décrocher très vite, parce que leurs familles sont malheureusement elles-mêmes dans une instabilité économique qui ne leur permet pas de suivre les progrès de leurs enfants. Ce rapport était essentiel également pour rappeler l’objectif premier de la refondation de l’école. Celle-ci s’intéresse aussi à ces enfants-là, pour veiller à lutter contre l’autocensure qui les guette parfois, lorsqu’ils ne croient plus la réussite possible pour eux. Nous voulons être à leurs côtés pour les aider à développer le meilleur d’eux-mêmes.

J’en profite pour compléter ma réponse sur le latin et le grec. Non, ces matières ne sont pas supprimées dans la réforme du collège ; elles sont offertes à tous les collégiens,…

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … là où elles ne bénéficiaient jusqu’à présent qu’à 18 % d’entre eux.

Pourquoi certains collégiens, parce qu’ils ne connaissent pas les codes, parce que leurs familles ne sont pas informées, parce qu’ils n’ont pas, à leur arrivée en classe de sixième, des performances scolaires optimales n’auraient-ils pas la possibilité de s’élever par la pratique du latin et du grec ? C’est précisément ce qu’offre cette réforme du collège, qui a vocation aussi à moderniser nos enseignements.

L’utilisation du numérique constitue à cet égard un formidable potentiel, une formidable opportunité.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Même si l’annonce est passée quelque peu inaperçue, le Président de la République a annoncé voilà dix jours un plan de 1 milliard d’euros sur trois ans pour permettre d’équiper tous les collèges et de former les enseignants.

M. le président. Il faut vraiment conclure, madame la ministre !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous voulons que les élèves connaissent les outils, les utilisent et apprennent aussi la civilité numérique, qui constitue, comme vous le savez, un enjeu majeur.

M. le président. Monsieur Manable, vous avez presque consommé vos « arrêts de jeu » ; deux mots !

M. Jean-Pierre Raffarin. Merci ! (Rires.)

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oui, merci !

M. Christian Manable. Merci, madame la ministre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Ces mots viennent de m’être soufflés par mes collègues.

Cette réponse d’une ancienne Amiénoise à un actuel Amiénois me convient parfaitement ! Au-delà de ce dénominateur commun géographique, je voudrais insister sur l’importance des infrastructures sur la question du numérique.

M. le président. Le temps est largement écoulé, monsieur Manable ! Votre horloge aussi est picarde ! (Sourires.)

M. Christian Manable. Car pour rester parfaitement « connecté », il faut des « tuyaux ». La décision prise par le Président de la République et le Gouvernement va dans le bon sens. J’insiste toutefois sur le fait que l’intervention publique reste indispensable en zone rurale, où, nous le savons, les opérateurs privés rechignent à investir.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe UMP.

M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, la réforme du collège, que vous avez menée avec brutalité et dogmatisme (Protestations sur les travées du groupe socialiste.),…

Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !

M. Jacques Grosperrin. … a dressé contre le Gouvernement auquel vous appartenez les acteurs de la communauté éducative, l’opinion publique et de nombreux intellectuels – des vrais intellectuels !

Mme Françoise Cartron. Car il y aurait de faux intellectuels ?

M. Jacques Grosperrin. Comment en est-on arrivés là, alors que vous partiez d’une bonne intention, si l’on en croit vos déclarations, madame la ministre ? Il s’agissait, disiez-vous, de partir de ce qui marche déjà sur le terrain, de libérer les capacités d’initiative.

M. Didier Guillaume. C’est ce qui va arriver !

M. Jacques Grosperrin. Je vous donne acte de la mise en œuvre de votre intention de libérer les initiatives : l’accroissement de l’autonomie va dans le bon sens.

Mais, pour le reste, quel échec ! Vous prétendez en effet partir de ce qui marche sur le terrain (M. Didier Guillaume s’exclame.) et vous commencez par supprimer les expériences pédagogiques, qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur attractivité. Je parle bien entendu des classes bilangues et de l’enseignement des langues anciennes en tant que matière à part entière.

S’agissant des classes bilangues, vous supprimez une proposition pédagogique qui permet l’apprentissage de deux langues dès la sixième, qui concerne actuellement 80 000 élèves de sixième et qui a permis, à partir de 2005, de maintenir les effectifs en langue allemande.

En remplacement de cette proposition, qui fonctionne sur le terrain, vous proposez que tous les élèves puissent apprendre une deuxième langue de leur choix dès la cinquième. Cette modification pose trois problèmes. D’abord, comme l’a relevé M. Ayrault, il y a fort à craindre que les élèves ne fassent le choix de l’espagnol contre l’allemand. Ensuite, nos élèves n’auront pas le niveau suffisant pour appréhender une deuxième langue dès la cinquième, et vous les conduirez à l’échec. Enfin, de nombreuses familles vont fuir le collège public pour aller dans les établissements privés, qui proposeront, eux, des classes bilangues.

Sur les langues anciennes, vous prétendez les offrir à tous alors que vous les supprimez en tant qu’enseignements autonomes. Qui peut croire que les mesures de votre réforme permettront de les sauvegarder ?

M. le président. Posez votre question, mon cher collègue, afin de permettre à Mme Garriaud-Maylam de bénéficier de la retransmission télévisée.

M. Jacques Grosperrin. En réalité, votre réforme s’emploie à tirer tous les élèves vers le bas et révèle une fois de plus combien le socialisme a un problème avec l’excellence et la méritocratie. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jacques Grosperrin. Ne serait-il pas encore temps, madame la ministre, de retirer ce texte pour travailler en véritable concertation avec les acteurs, pour faire en sorte que les enfants de la République réussissent.

Enfin, à quel moment le Parlement s’est-il prononcé sur le contenu de cette réforme du collège qui, d’après vous, fait suite à la loi de refondation de l’école ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour deux minutes. Je suis certain que Jacques Grosperrin contractera son temps de parole lors de sa réplique.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Monsieur le sénateur Jacques Grosperrin, vous me demandez à quel moment les parlementaires se sont prononcés. Ils l’ont fait lors du vote sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, en 2013 ; c’était il y a vingt-deux mois.

M. Roger Karoutchi. Nous ne nous sommes pas prononcés sur la réforme du collège !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Que prévoit la réforme du collège s'agissant des langues vivantes étrangères ? Elle prévoit que l’apprentissage de la deuxième langue vivante se fera plus précocement qu’aujourd'hui : dès la classe de cinquième, et non en plus en classe de quatrième.

M. Didier Guillaume. Très bonne mesure !