Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans le cadre de la formalisation et de l’institutionnalisation des rapports – au-delà de ce que nous avons déjà fait avec le ministre de l’intérieur – entre le ministère de la justice, le renseignement pénitentiaire et les services du ministère de l’intérieur, nous avons introduit, dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, des dispositions relatives aux modalités d’intervention dans les établissements pénitentiaires et aux échanges d’informations.

Monsieur Sueur, la nouvelle rédaction que vous proposez pour l’alinéa 21 soulève quelques difficultés, car elle s’éloigne trop du texte adopté par l’Assemblée nationale. Pour cette raison, je me permets très respectueusement de vous demander si vous consentiriez à retirer cet amendement, au profit de l’amendement n° 190 de la commission des lois, même si les dispositions de ce dernier me posent également un petit problème, à vrai dire tout à fait mineur.

Permettez-moi, en quelques mots, de faire un utile rappel.

M. Bas a fait adopter par la commission des lois un amendement tendant à ce que le renseignement pénitentiaire « demande » aux services de renseignement spécialisés du ministère de l’intérieur d’effectuer des opérations de surveillance.

Le mot « demande » sous-tend une relation hiérarchique, ce que vous avez reconnu, monsieur le président de la commission. C’est la raison pour laquelle vous avez déposé cet amendement n° 190 visant à remplacer le verbe « demander » par le verbe « signaler », ce qui nous paraît en effet plus conforme à la nature et à la qualité des relations entre le renseignement pénitentiaire et le renseignement spécialisé.

Cependant, dans le même amendement, vous employez les mots « aux fins de mise en œuvre ». Pour ma part, j’ai le sentiment que cette formulation réintroduit, même de manière minime, l’idée d’une relation hiérarchique.

L’avantage de votre amendement, c’est que vous l’avez découpé en deux parties, ce qui permettra de trouver sans difficulté un compromis avec l’Assemblée nationale en commission mixte paritaire.

Je le répète, l’emploi des mots « aux fins de mise en œuvre » n’est pas rédhibitoire et c’est ce qui me conduit à préférer cet amendement à celui de Jean-Pierre Sueur, auprès de qui je m’excuse très humblement et que je remercie très chaleureusement de son implication, d’une part, en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, et, d’autre part, dans ce projet de loi.

Par ailleurs, le Gouvernement émet un avis favorable sur le sous-amendement n° 207 de Mme Benbassa, qui, comme l’a dit M. Bas, tend à apporter une précision utile, ainsi que sur le sous-amendement n° 209 de M. Sueur.

Concernant l’amendement n° 129 rectifié, le Gouvernement envisageait de s’en remettre à la sagesse du Sénat ; en définitive, il émettra un avis favorable dans la mesure où, en règle générale, le champ des décrets soumis au Conseil d’État est précisément défini ; il s’agit notamment des décrets touchant aux libertés fondamentales. Qui peut le plus peut le moins !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je sollicite une brève suspension de séance, avant qu’il ne soit procédé à la mise aux voix de ces différents amendements.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi d’un sous-amendement n° 209, présenté par M. Sueur, et ainsi libellé :

Alinéa 5

Après les mots :

aux fins de mise en œuvre,

insérer les mots :

à leur appréciation et

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voyons bien que nous sommes au cœur d’un débat à la fois difficile et très important.

Il s’agit, comme cela a été beaucoup dit, de bien distinguer les fonctions, d’une part, de l’administration pénitentiaire, et, d’autre part, des services de renseignement.

Mme la garde des sceaux m’a demandé de retirer l’amendement n° 131 rectifié, dont j’étais l’auteur au profit de l’amendement n° 190, qui a été déposé par M. Philippe Bas au nom de la commission des lois.

Mme Nathalie Goulet. Et qui est bien meilleur ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Après discussion et réflexion – je remercie ceux qui ont participé à ce travail –, je propose ce sous-amendement, qui vise à ajouter au cinquième alinéa de l’amendement n° 190, à la suite de l’expression « aux fins de mise en œuvre », les mots : « à leur appréciation et ».

Je vous donne lecture de la rédaction à laquelle nous aboutirions : « signaler » – ce serait l’apanage des services de l’administration pénitentiaire – toute personne détenue – à la suite à l’adoption du sous-amendement n° 207 de Mme Esther Benbassa – à ces services aux fins de mise en œuvre à leur appréciation et dans les conditions prévues au chapitre 1er du titre II d’une technique mentionnée au titre V ».

Pourquoi ajouter « à leur appréciation » ? Nous voulons mentionner qu’il revient aux personnels de l’administration pénitentiaire de signaler soit des personnes soit des situations, tandis qu’il est du ressort des services de renseignement d’apprécier quelle technique doit être mise en œuvre et dans quelles conditions. Encore faudrait-il, mes chers collègues, que vous adoptiez ce sous-amendement et que M. le rapporteur, qui est l’auteur de l’amendement n° 190, en soit d'accord.

Avec cette rédaction, nous serions, en tout cas, intégralement fidèles à la feuille de route qu’a encore énoncée tout à l’heure Mme Christiane Taubira : il y a, d’une part, les services pénitentiaires dont la mission doit être en l’espèce de signaler un certain nombre de réalités ou de personnes, et, d’autre part, des services de renseignement qui ont pour charge de mettre en œuvre des techniques. Nous n’entendons pas qu’il soit demandé à un surveillant pénitentiaire de décider, d’une manière ou d’une autre, de la mise en œuvre d’une technique parmi celles qui sont évoquées dans ce texte.

Il s’agit donc d’un sous-amendement de clarification, dont la portée est de préciser le rôle exact de chacun.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission n’a pu se réunir pour se prononcer sur ce sous-amendement. Je ne vais pas demander de suspension de séance : je pense que si mes collègues de la commission des lois ont des reproches à me faire en fonction de ce que je vais dire, ils m’en feront part à un autre moment.

Que voulons-nous ? Nous voulons faire en sorte qu’une surveillance mobilisant les techniques de renseignement sur lesquelles nous légiférons soit possible en prison. Il s’agit d’un point important.

Que ne voulons-nous pas ? Nous ne voulons pas que ces techniques de renseignement soient mises en œuvre par l’administration pénitentiaire, sur son initiative. En effet, comme le disait Mme la garde des sceaux voilà quelques instants, ce n’est pas son métier – même si, madame, vous avez aussi rappelé votre préoccupation de ne pas laisser les détenus sans surveillance, tant au regard de la cohésion de la communauté pénitentiaire que des intérêts supérieurs de l’État assumés par les services de renseignement.

Comment concilier ces deux problématiques ? La commission des lois a souhaité, d’une part, que les services de renseignement puissent imposer à l’administration pénitentiaire, par une sorte de droit de suite, la surveillance de personnes qui leur ont été signalées et, d’autre part, que l’administration pénitentiaire puisse attirer l’attention des services de renseignement, sur la base des informations qui ont été collectées, notamment par les agents de renseignement de l’administration pénitentiaire, sur certains détenus.

Il me semble que nous sommes arrivés, à travers l’amendement que je vous ai présenté, à un bon compromis.

M. Sueur, après avoir procédé aux concertations nécessaires, s’est inquiété de ce que la formulation de mon amendement pourrait être interprétée – vous l’avez également souligné, madame la garde des sceaux – comme signifiant que les services de renseignement n’ont d’autre choix que de déférer à une sorte de demande, qui n’en porterait pas le nom, mais qui en aurait toutes les caractéristiques, de mettre en œuvre des techniques de renseignement à l’intérieur des établissements pénitentiaires.

Telle n’était pas mon intention. Les dispositions du sous-amendement que vous venez de nous présenter, monsieur Sueur, permettraient de respecter exactement ce que je crois avoir été l’intention de la commission des lois lorsqu’elle a émis un avis favorable sur mon amendement.

Par conséquent, je ne crois pas la trahir en recommandant que notre assemblée veuille bien adopter mon amendement ainsi sous-amendé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voudrais d’abord saluer très respectueusement et très chaleureusement le travail effectué au sein de la commission des lois, mais aussi à l’instant, en un temps record.

La concertation qui vient de se tenir a permis d’aboutir à un résultat de très grande qualité. Je remercie M. le président-rapporteur de sa compréhension et de son intelligence du mandat que lui a confié la commission des lois.

La formulation évolue, mais l’esprit reste le même. Comme vous l’avez indiqué, notre souci est de nous assurer que la pensée et l’intention exprimées au travers de cet amendement soient fidèlement traduites dans le texte.

L’adoption du sous-amendement de M. Sueur permettrait de préciser que l’appréciation de la mise en œuvre des techniques relève des services de renseignement spécialisés.

Je rappelle que les services de renseignement pénitentiaires effectuent déjà des actions de renseignement et de surveillance, telles qu’elles sont définies dans l’arrêté de 2008 et dans la loi pénitentiaire de 2009. La loi autorise les interceptions des communications de téléphonie fixe, le contrôle de la correspondance et des ordinateurs – depuis un décret de 2003, les détenus ont le droit d’avoir un ordinateur, mais non d’accéder à internet –, et les fouilles.

Le champ d’action dont nous traitons ici relève des services spécialisés de renseignement. L’ajout des termes « à leur appréciation » permet aux services de renseignement de conserver leur libre arbitre pour décider, dans le cadre des procédures prévues par ce texte de loi, d’effectuer les surveillances sollicitées. Une fois encore, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie mille fois de ce travail législatif de très grande qualité.

Le Gouvernement est donc évidemment favorable à ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous voterons bien entendu le sous-amendement n° 209 ; par voie de conséquence, nous voterons l’amendement n° 190, ainsi sous-amendé.

Je tiens à remercier tout particulièrement Philippe Bas. Nous sommes arrivés, après bien des débats, à une rédaction importante, me semble-t-il, au regard de la définition des pouvoirs.

En République, il est très important de respecter les missions de chaque institution.

La mission de l’administration pénitentiaire – vous l’avez assez dit, madame la garde des sceaux – n’est pas celle d’un service de renseignement, même si les uns et les autres sont au service de la République. C’est aux services de renseignement, en vertu de leur mission, qu’il revient de mettre en œuvre les techniques évoquées dans ce texte.

Il est très important de séparer, de distinguer, de préciser la fonction des uns et des autres. Encore une fois, je crois que nous sommes parvenus à une rédaction très satisfaisante.

En conséquence, monsieur le président, je retire les amendements nos 131 rectifié et 130 rectifié bis.

M. le président. Les amendements nos 131 rectifié 130 rectifié bis sont retirés.

La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote sur l'amendement n° 46.

M. André Reichardt. En qualité d’ancien coprésident, avec Nathalie Goulet, de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je me félicite que la question du renseignement pénitentiaire figure dans l’un des alinéas de cet article 1er.

La commission d’enquête n’est pas parvenue aux mêmes conclusions que vous, madame la garde des sceaux. Il n’est que de lire les quelques pages que nous avons consacrées au renseignement pénitentiaire pour constater qu’il reste encore du travail à faire.

Toujours est-il que les dispositions dont nous discutons vont dans le bon sens et reprennent l’une de nos préconisations.

Je voudrais ensuite me féliciter que la commission des lois, par la voix de son président-rapporteur, ait présenté cet amendement, dont les dispositions me paraissaient fort bien rédigées et nous permettaient, me semblait-il, d’aboutir à un équilibre particulièrement sain.

Toutefois, je me retrouve totalement dans la nouvelle rédaction de l’amendement, ainsi sous-amendé par Esther Benbassa et Jean-Pierre Sueur. Je voterai naturellement en faveur de l’équilibre auquel nous sommes parvenus. Et puisque M. le président de la commission des lois cherchait une certaine bénédiction des membres de la commission, permettez à l’humble membre que je suis de la lui donner à titre personnel. (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci mon Père ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 46.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 90.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 91.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 129 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 207.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 209.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 190, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 128 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 21

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 811-...- Le nombre maximal des autorisations en vigueur simultanément d’une des techniques de renseignement mentionnées au présent livre est arrêté par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La décision fixant ce contingent et sa répartition entre les ministères mentionnés à l’article L. 821-2, ainsi que le nombre d’autorisations délivrées sont portés sans délai à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement peut adresser au Premier ministre une recommandation relative au contingent et à sa répartition.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à étendre à l’ensemble des techniques de renseignement prévues par le projet de loi le principe du contingentement retenu pour les dispositifs de proximité de type IMSI catchers et les interceptions de sécurité.

Je précise que le principe du contingentement, lequel prévoit un nombre maximal de techniques mises en œuvre à un instant donné, ne doit pas être confondu avec le nombre total de mesures – demandes initiales et renouvellements – réalisées annuellement au profit des ministères concernés. Ce principe est apparu pour la première fois dans la loi de 1991.

Dans son souci de conserver un caractère exceptionnel aux interceptions de sécurité – nous avons déposé un amendement visant à rappeler la nécessité d’inscrire dans la loi cette caractéristique –, le législateur avait opté pour une limitation sous forme d’un encours maximum, protecteur des libertés publiques.

L’article L. 242-2 du code de la sécurité intérieure dispose que « le nombre maximum des interceptions susceptibles d’être pratiquées simultanément en application de l’article L. 242-1 est arrêté par le Premier ministre ».

L’intérêt de ce système a été souligné à plusieurs reprises, en particulier dans le rapport de nos collègues MM. Urvoas et Verchère du 14 mai 2013 sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement ou dans le rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2014 du 18 décembre 2014.

Tels sont les motifs pour lesquels il nous semble que le contingentement constitue un indicateur précieux de la mise en œuvre de ces techniques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement pour des raisons essentiellement techniques.

Tout d’abord, il est très difficile de déterminer a priori les besoins en matière de renseignement, qui sont par nature évolutifs. Je note au demeurant qu’il existe déjà un quota pour les interceptions de sécurité et qu’il a régulièrement été augmenté pour tenir compte de ces nécessités.

C’est encore plus complexe quand il s’agit non pas d’écoutes, mais de données de connexion. Tout à l’heure, l’un de nos collègues rappelait que les accès administratifs aux données de connexion sont très nombreux – un peu moins de 350 000 par an.

En effet, quand les services sont à la recherche de données de connexion, ils ne savent pas toujours à quel opérateur s’adresser. Ainsi, pour un seul numéro, il leur arrive de demander à dix opérateurs. Si bien que la surveillance d’un individu peut parfois déclencher cinq, dix, voire quinze demandes. Nous ne savons jamais à l’avance combien de demandes il sera nécessaire de faire pour assurer la surveillance d’un individu, en tout cas du point de vue des données de connexion qui caractériseront son activité de communication.

C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement a pour objet d’étendre le principe de contingentement à l’ensemble des techniques de renseignement prévues par le projet de loi. En l’état du texte, il n’a été retenu que pour les dispositifs de proximité du type IMSI catcher ou les interceptions de sécurité.

Selon le Gouvernement, il ne serait pas opportun d’étendre aux autres dispositifs ce principe, une telle limite constituant une restriction certaine à l’efficacité des techniques, sans être nécessairement justifiée au regard de la protection des libertés. Ainsi, certaines techniques sont moins intrusives que les interceptions de sécurité ou le IMSI catching, d’autres sont assorties de garanties extrêmement strictes. La technique de la limitation quantitative doit être utilisée selon nous avec beaucoup de mesure.

Le Gouvernement n’est donc pas favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 128 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 56, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 26

Supprimer les mots :

sur le territoire national

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Le projet de loi est assez vague, nous semble-t-il, sur la question de l’activité de nos services quand ils opèrent à l’étranger. Pour que la mission de protection et de défense des intérêts nationaux soit légitime, leurs activités doivent, il faut l’admettre, être encadrées par la loi, où qu’elles se déploient.

Si l’une de leurs finalités entre dans le champ des missions qui leur sont confiées et qu’ils ont compétence à l’étranger, ils doivent relever de la loi française. Il ne nous paraît donc pas opportun, pour les autorisations de mise en œuvre des techniques de recueil, d’établir une distinction entre le territoire national et l’étranger.

En effet, le critère du territoire national n’est pas judicieux dans deux cas. Tout d’abord, il peut laisser entendre que la loi viserait uniquement à assurer la protection des droits des seuls nationaux. Ensuite, il implique que des citoyens français qui se trouveraient hors du territoire national, ou utilisant des moyens de communication transitant par l’étranger, peuvent faire l’objet de mesures de surveillance, ce qui est légitime. Toutefois, ces mesures de surveillance ne doivent pas être différentes de celles qui s’appliquent aux nationaux sur le territoire national.

C’est pourquoi nous considérons que, du point de vue de la protection des libertés, le critère de la nationalité est inopérant. Les non-nationaux doivent, en effet, bénéficier du même régime légal, dès lors qu’ils font l’objet de mesures mises en œuvre par des services français.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Dans le cadre légal que nous posons, le critère de la nationalité n’existe pas. Seul le critère du territoire est retenu. Quand il s’agit de surveillance à l’étranger, la mise en œuvre des techniques de renseignement ne se présente évidemment pas de la même façon que lorsqu’il s’agit de surveillance sur le territoire national.

Je voudrais souligner deux points.

Premièrement, le texte prévoit à l’article 3 des dispositions introduisant malgré tout un minimum d’encadrement.

Deuxièmement, de même qu’aucun service de renseignement étranger ne peut légalement intervenir en France, aucun service de renseignement français ne peut légalement intervenir à l’étranger. Par conséquent, jamais aucun tribunal d’un pays étranger ne pourra apprécier les conditions de légalité au regard de la loi française d’une autorisation qui serait délivrée pour intervenir à l’étranger.

Il convient de tenir compte de ces différences, qui s’imposent aux législateurs que nous sommes. Nous ne sommes pas les législateurs universels, nous devons avoir conscience de la difficulté particulière que représente, pour nos services de renseignements, une intervention à l’étranger. Or nous avons besoin, il faut le savoir, que ces interventions existent.

Si l’encadrement légal peut paraître minimaliste à certains d’entre nous, il a au moins le mérite d’exister. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas appliquer hors du territoire national le régime d’autorisation, assorti de toutes les conditions de légalité qui s’ensuivent et qui sont prévues par le texte.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement. Non pas qu’il refuse d’encadrer l’activité des services à l’étranger – l’article 3 le permettra d’ailleurs en partie –, mais parce que la souveraineté des États dans lesquels peut se déployer l’activité de nos services ne permet pas de penser que c’est la loi française qui devrait s’appliquer de manière extraterritoriale.

Il va de soi que certaines des activités de nos services à l’étranger sont clandestines. J'ajoute qu’il convient qu’elles le restent, comme le montre l’actualité la plus immédiate.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’estime ni opportun ni juridiquement possible de soumettre au même régime légal les activités de nos services qui se déploient sur le territoire national et celles qui sont mises en œuvre à l’étranger.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Éliane Assassi. Je le retire, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 56 est retiré.

Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 47, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 26

Supprimer les mots :

du Premier ministre délivrée après avis

La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Avec le titre II de l’article 1er, nous passons à l’examen de la procédure applicable aux techniques de recueil de renseignements soumises à autorisation.

Dans son rapport, la commission des lois du Sénat est très claire : « Renforcer les capacités d’action intrusives a nécessairement pour conséquence d’élargir les occasions pour les services spécialisés de porter atteinte au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentales de nos concitoyens. Une telle évolution ne peut s’envisager sans ses corollaires indispensables, que sont, d’une part, la création de contrôles effectifs, garantissant que ces atteintes s’exercent de manière légitime, nécessaire et proportionnée, et, d’autre part, l’ouverture de voies de recours pour les personnes qui s’estimeraient victimes d’abus. »

En l’état, le texte est, selon nous, loin de garantir ces contrôles effectifs.

Pour commencer, face à des mesures particulièrement intrusives, qui auraient vocation à être ordonnées alors même qu’aucune infraction pénale ne peut être reprochée, un véritable contrôle indépendant de l’exécutif est incontournable.

Le chef de l’exécutif ne peut donc autoriser des actes individuels attentatoires aux droits et aux libertés impliquant une atteinte à la vie privée.

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit être dotée d’un pouvoir d’autorisation préalable et exercer ainsi son contrôle de façon systématique. Afin de répondre aux nécessités de l’urgence, la CNCTR pourra fonctionner dans le cadre de permanences, à l’image des pratiques judiciaires.

Par ailleurs, en termes d’équilibre institutionnel, une CNCTR indépendante, composée exclusivement de juges administratifs et judiciaires, constituerait un pendant utile à l’administration demanderesse et garantirait la séparation des pouvoirs.

M. le président. L'amendement n° 84 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 26

Après les mots :

après avis

insérer le mot :

conforme

II. - Alinéa 39, seconde phrase

Remplacer le mot :

rendu

par le mot :

favorable

III. - Alinéa 42

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il s'agit ici d’une question importante, à savoir le véritable rôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Cet amendement tend à introduire trois rectifications à l’article 1er, aux alinéas 26, 39 et 42.

À l’alinéa 39, le texte prévoit que, si l’avis demandé à la CNCTR n’est pas communiqué, « celui-ci est réputé rendu ». Nous pensons qu’il serait plus logique et plus conforme à notre tradition juridique d’inscrire « celui-ci est réputé favorable ». En effet, si la commission ne dit rien, elle doit assumer le fait qu’elle rend un avis favorable ; c’est ce qu’on appelle l’accord tacite en droit administratif et civil.

Quant à l’alinéa 26, c'est-à-dire le premier alinéa de ce chapitre, il prévoit la création de la commission nationale de contrôle, qui, nous dit-on, apportera une garantie fondamentale à nos concitoyens, puisqu’elle fera bien son travail.

Quel est le dispositif prévu ? On met en œuvre, sur le territoire national, des techniques de recueil de renseignements, soumises à autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Il n’est pas écrit « après avis conforme » de la CNCTR. Nous proposons donc d’ajouter le mot « conforme ». En effet, le Gouvernement peut passer outre l’avis de cette autorité administrative dite « indépendante ».

M. Jacques Mézard. En effet, chère collègue. Une de plus, dont on nous vante les mérites, comme pour les trente-neuf autres !

Dans ces conditions, je ne vois pas tellement l’intérêt de la créer. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler les termes de l’alinéa 42, mes chers collègues : « Lorsque l’autorisation est délivrée après un avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, elle indique les motifs pour lesquels cet avis n’a pas été suivi. » Ainsi, le Gouvernement n’a pas à se conformer à un avis défavorable, il doit simplement dire pourquoi il n’en a rien à faire !

On nous dira, et c’est vrai, qu’un tel cas de figure se produira dans peu de cas. Toutefois, justement, ce seront les cas les plus graves, ceux qui posent le plus de problèmes, en particulier en matière de respect des libertés individuelles.

Je connais l’argumentation de la commission des lois : elle va nous répondre que nous sommes en général hostiles aux autorités administratives indépendantes ! (M. le rapporteur acquiesce.)

Pour autant, je maintiens ma position. Monsieur le ministre, si vous voulez créer une nouvelle autorité, faites au moins en sorte qu’elle serve à quelque chose, et pas seulement de paravent.

M. le président. L'amendement n° 48, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 26

Après les mots :

après avis

insérer le mot :

conforme

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à l’amendement présenté par ma collègue Michelle Demessine, dont les dispositions vont dans le sens de celles que vient de défendre M. Jacques Mézard.

Il vise à lier la décision du Premier ministre à celle de la CNCTR, laquelle, selon nous, doit avoir un pouvoir de décision et émettre un avis conforme.

En effet, le caractère purement consultatif de cette commission ne constitue pas à nos yeux une garantie suffisante des droits des citoyens. À défaut de confier à la CNCTR un pouvoir de décision, il est indispensable de lier la décision du Premier ministre en reconnaissant à cette autorité un pouvoir d’avis conforme.