M. Jean-Pierre Bosino. Et quelle absurdité !

M. Christian Favier. De plus, les transferts effectués autoritairement au profit des métropoles toucheront au cœur même des compétences départementales, à savoir l’action sociale, sans compter la voirie et même les collèges. Ainsi, une fois réunies les conditions de l’affaiblissement des départements dans le périmètre des métropoles, il sera évidemment facile de les rayer définitivement de la carte.

De fait, pour vous aligner sur les exigences de Bruxelles, c’est bien à l’architecture générale de nos institutions locales que vous vous attaquez. Le grand principe constitutionnel de libre administration, issu des lois de décentralisation, se réduit comme peau de chagrin à tous les niveaux.

Si les communes et les départements sont les plus durement touchés, comme nous venons de le voir, les régions, malgré un renforcement de leurs compétences, n’échapperont pas à cette nouvelle tutelle centralisatrice de l’État, que les préfets exerceront par leur contrôle d’opportunité sur les schémas régionaux de développement stratégique.

Par ce biais, les régions deviendront l’instrument du contrôle de l’État sur toutes les autres collectivités. En effet, les schémas, sous contrôle de l’État, seront opposables aux départements et aux communes.

Par ailleurs, les régions vont devenir l’instrument de la mise à mal de cet autre principe constitutionnel qu’est la non-tutelle d’une collectivité sur une autre.

Dès lors, chacun comprendra que nous ne puissions voter en faveur d’un texte qui rompt brutalement avec le processus de décentralisation.

Nous pouvons d’autant moins le voter que l’ensemble de ses dispositions se mettra en place alors même que la « loi Sarkozy » de 2010 sur l’intercommunalité vient tout juste de s’appliquer et que le nouveau découpage des grandes régions fera que les exécutifs régionaux auront, pendant des mois, la lourde tâche d’assurer la continuité des services publics pendant la mise en place d’une nouvelle administration sur des territoires élargis. Le transfert de nouvelles compétences risque donc d’être à la source de nombreux dysfonctionnements.

À l’évidence, les multiples changements de pied du Gouvernement sur ces textes donnent un sentiment, largement partagé, de navigation à vue. Ils montrent aussi qu’il n’y a pas au Gouvernement de véritable vision cohérente d’une décentralisation ambitieuse et porteuse d’un vrai projet de développement du territoire.

Enfin, comment peut-on mettre en œuvre de tels bouleversements dans le contexte d’une baisse de 28 milliards d’euros des dotations de l’État aux collectivités ? De surcroît, les régions revendiquent, avec votre soutien, madame la ministre, de recevoir plus de 50 % du produit de la CVAE, au détriment des communes et des départements, qui verront évidemment s’accentuer leur situation d’étranglement financier.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre ce texte et appellera les élus locaux et les citoyens à construire un vrai projet de décentralisation dans le cadre d’une VIe République. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, aucun membre du groupe du RDSE ne votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, et notre collègue Pierre-Yves Collombat le redira lors des explications de vote sur l’ensemble.

Ce n’est pas pour nous donner le beau rôle, cher collègue Jean-Jacques Hyest, que nous ne voterons pas ce texte !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Je ne pensais pas à vous !

M. Jacques Mézard. Quand il a fallu combattre, nous avons été présents et nous avons apporté notre concours.

Mme Isabelle Debré. Nous avons été plusieurs !

M. Jacques Mézard. Nous ne voterons pas ce texte parce que nous considérons qu’il n’est pas bon.

Nous ne sommes pas contre les réformes : nous en votons souvent et sommes même à l’origine de certaines d’entre elles !

En tout cas, je salue le travail de nos deux rapporteurs, qui ont fait preuve d’un esprit constructif pour parvenir à un armistice.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Un armistice ?

M. Jacques Mézard. Mais oui, car ce combat n’est pas terminé : nous sommes au milieu du gué. Aujourd'hui, il y a toujours – et ce sera plus encore le cas demain ! –, parmi les personnalités les plus éminentes, des partisans de la suppression du Sénat, des départements et des communes. Cette position est respectable… à condition de l’assumer !

L’objectif initial de ce projet de loi, tel qu’il a été présenté le 18 juin 2014 en conseil des ministres n’était pas du tout conforme aux déclarations préalables du chef de l’exécutif, et c’est là que le bât blesse !

Avant son élection, et encore après, il avait en effet affirmé qu’il fallait conserver les conseils généraux. Il n’avait jamais été question, dans un programme, de binôme, non plus que de fusion des régions – car il est évident que les trois textes qui constituent la réforme territoriale forment un tout. Il avait même expliqué clairement qu’il fallait préserver les ressources des collectivités.

D’où une série d’incohérences !

M. Jacques Mézard. Pour réussir, une réforme territoriale globale doit à la fois faire l’objet d’un consensus et avoir été affichée clairement au moment des changements fondamentaux, c'est-à-dire lors de l’élection présidentielle.

M. Antoine Lefèvre. Il est vrai qu’on n’était pas, alors, dans la clarté…

M. Jacques Mézard. Ensuite, la fusion des régions a été mise en place.

Oui, cher André Vallini, je continuerai à lutter contre la désespérance du territoire que j’ai l’honneur de représenter, vous le savez bien. Et vous n’avez jamais apporté de solutions concrètes aux problèmes que nous avons soulevés.

Pour justifier la fusion des régions, vous aviez annoncé des économies de l’ordre de 20 milliards d’euros. Et aujourd'hui, vous nous dites qu’on verra dans dix ans ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe CRC.)

Mais qui va faire des économies ? La vérité, c’est que seul l’État fera des économies !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Du reste, les préfets préfigurateurs commencent à opérer des suppressions de postes. Et cela va continuer !

Ce n’était donc pas convenable de présenter ainsi cette réforme.

Mme Isabelle Debré. C’est sûr !

M. Jacques Mézard. Vous avez indiqué que vous étiez arrivés à une solution. Mais nous avons bataillé pour préserver les départements. Le parti politique que je représente a même affirmé qu’il allait quitter le Gouvernement si ce dernier ne préservait pas les conseils départementaux. Nous avons donc joué un rôle à ce moment-là.

Aujourd'hui, il nous faudrait accepter le travail constructif de la commission mixte paritaire au motif que nous aurions évité le pire. Mais le pire, ce sont les chiffons rouges que vous avez agités en vue d’obtenir un accord !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. La création d’un Haut Conseil des territoires, c’était d’emblée une provocation !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela venait de l’AMF !

M. Jacques Mézard. Oh, j’ai relu vos déclarations sur ce sujet à l'Assemblée nationale, madame la ministre. Il vaut mieux pour vous que je ne les rappelle pas ici cet après-midi… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous pouvez le faire !

M. Jacques Mézard. L’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, qui a surgi en cours de débat, était bien, aussi, une provocation.

On nous dit aujourd'hui que les transports scolaires doivent rester de la compétence des régions. Mais que se passe-t-il quand on habite une commune éloignée de la capitale régionale ? Moi, je me trouve très loin de chez Michel Mercier !

M. Michel Mercier. Nous tenterons de nous rapprocher ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. On va essayer, mais cela va être difficile, d’un point de vue géographique ! (Nouveaux sourires.)

La proximité avait un sens pour les transports scolaires. Nous savons pour quelles raisons vous voulez absolument que cette compétence soit laissée aux régions : tout simplement pour pouvoir justifier des transferts de CVAE !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Voilà la réalité ! Il vaut mieux dire les choses et les assumer !

Moi, je vous reproche depuis le début de ne pas avoir fixé clairement les objectifs et d’avoir trompé les élus locaux. Mais, aujourd'hui, ils ne sont pas dupes.

En quoi ces réformes – ce grand charivari territorial – apporteraient-elles du mieux-être à nos concitoyens ? J’attends toujours qu’on me le dise !

En quoi ces réformes entraîneront-elles des économies pour les collectivités locales ? J’attends toujours le début d’une démonstration !

S’agissant des métropoles, j’ai voté, avec la majorité de mon groupe, la loi MAPTAM…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jacques Mézard. Eh bien, je conclus, madame la présidente, en disant que ces textes vont contribuer à aggraver les inégalités territoriales. Ce n’est pas avec des maisons de santé et des maisons de services au public, même si elles sont utiles, qu’on résoudra le problème de l’aggravation des inégalités territoriales, que vous avez malheureusement continué à creuser ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Alors, comment fait-on ?

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’aborder au fond les travaux de la commission mixte paritaire, permettez-moi d’adresser mes remerciements à nos deux rapporteurs, qui ont su guider le bateau jusqu’au port – ce n’était pas chose aisée ! –…

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Un bateau ivre !

M. Michel Mercier. … ainsi qu’au rapporteur de l'Assemblée nationale, qui a fait, lui aussi, de nombreuses concessions.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est plutôt modeste. Il ne s’agit pas là d’un grand texte, appelé à marquer cette période. Mais à quoi sert-il ?

Il me semble – je parle là sous le contrôle des rapporteurs – qu’on a essayé de répondre à deux questions.

Première question : qui fait quoi ?

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. C’est l’objectif principal !

M. Michel Mercier. Seconde question : quelles structures pour le bloc communal ?

M. Roger Karoutchi. Troisième question : qui ne fait rien ? (Sourires.)

M. Michel Mercier. Monsieur Karoutchi, appelez-moi lorsque vous aurez réussi à mettre en place la métropole du Grand Paris ! Même un dimanche, j’accourrai ! (Nouveaux sourires.)

M. Roger Karoutchi. Ce ne sera pas de sitôt ! On en parlera tout à l’heure !

M. Michel Mercier. En attendant, je vous saurais gré de ne pas m’interrompre pour que je dispose de tout mon temps de parole !

Mme la présidente. Cette interruption a été décomptée de votre temps de parole, mon cher collègue !

M. Michel Mercier. Je vous en remercie, madame la présidente !

Qui fait quoi ?

Madame la ministre, cette loi est un retour à la loi de 2010, avec la suppression de la clause de compétence générale pour le département et la région.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Absolument !

M. Michel Mercier. Pourquoi avoir perdu cinq ans ? Cinq ans d’atermoiements ! Il suffisait d’appliquer la loi de 2010 : les départements et les régions ont des compétences d’attribution, la commune et l’État ont une compétence générale. Telle est la clarification apportée par ce texte, mais on ne fait là que reprendre la loi de 2010.

Pour ce qui concerne les compétences transférées à la région, celle-ci est d’abord responsable, sans aucune contestation possible, du développement économique et de l’internationalisation des entreprises, de l’aide à l’exportation, ainsi que de l’aide à la formation, au travers de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

La question des transports se posait. Pour ma part, je me félicite qu’il y ait un bloc « transports », et ce pour une raison toute simple. Dans les territoires ruraux notamment, les lignes d’autobus sont utilisées par les habitants qui vont d’un point à un autre, mais aussi très souvent par les scolaires. Conventionner toutes les lignes de transport entre deux collectivités aurait été source de complexité. Soit on confiait tout au département soit on confiait tout à la région ; un choix a été fait, et il n’est pas médiocre.

S’agissant de la question de la suppression du département, on aurait mal compris, après l’invention du binôme, que le département disparaisse ! Une telle invention mérite qu’on y recoure au moins une fois ! (Sourires.) On verra ce qu’il en adviendra après...

La solidarité entre les personnes et les territoires constitue le socle des compétences du département.

S’agissant du bloc communal, deux points sont à retenir des textes relatifs à la nouvelle organisation territoriale.

Tout d’abord, rappelons une formule volontaire, avec la création de communes nouvelles. En dépit de l’intérêt que présente cette mesure, le succès est mince, il faut bien le dire : 30 communes nouvelles sur les quelque 36 800 communes. Voilà où on en est avec une intercommunalité obligatoire depuis 2010 !

Qu’apportent les conclusions de la commission mixte paritaire ?

Ce texte maintient avant tout le système intercommunal. C’est l’œuvre du Sénat ! Et, contrairement à ce que l’on a entendu, les membres des conseils communautaires, dans les communes de plus de 1 000 habitants, sont élus au suffrage universel direct.

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Bien sûr !

M. Michel Mercier. Il faut le dire et le redire : même il y a un fléchage, ces conseillers sont élus au suffrage universel direct dans le cadre communal.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais ce n’est pas un scrutin spécifique !

M. Michel Mercier. L’élection des délégués communautaires est, à nos yeux, une question essentielle, et nous tenons à ce que cette élection se déroule dans le cadre de la commune.

MM. René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, corapporteurs. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Madame la ministre, je veux vous poser une question à ce sujet.

En dépit de tous les efforts qu’il m’est possible de faire, je n’arrive pas à comprendre la cohérence entre la volonté de faire élire, en 2020, les conseillers communautaires dans la plus petite communauté de communes de 5 000 habitants hors du cadre communal – vous avez laissé voter un amendement pour que cette élection ait lieu dans le cadre communautaire – et celle d’imposer le cadre communal ou infra-communal pour Paris, qui a le même régime juridique.

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Eh oui !

M. Michel Mercier. Quelle est la cohérence dans tout cela ? Il n’y en a point ! (Mme la ministre s’interroge.) Je suis d’accord avec vous, madame la ministre, il n’y a aucune cohérence. D’autres raisons sans doute vous ont poussé à faire ce choix… En tout cas, j’espère que le Conseil constitutionnel supprimera cette néfaste mesure.

L’abaissement du seuil à 15 000 habitants pour constituer une intercommunalité, avec les nombreuses dérogations prévues, est une solution souple. Cette mesure permettra aux commissions départementales de coopération intercommunale et aux préfets de faire preuve de sagesse, en n’allant pas à l’encontre des souhaits des uns et des autres.

La commission mixte paritaire a su faire disparaître, il est vrai, quelques scories de la loi ALUR. Peut-être sommes-nous les derniers soutiens de certaines dispositions de cette loi. En effet, nous nous sommes opposés à la majorité requise pour adopter un PLUI. Il faut s’en tenir au compromis trouvé dans la loi ALUR.

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Absolument !

M. Michel Mercier. C’est ce que prévoit le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, et c’est bien.

Par ailleurs, la question de la création du Haut Conseil des territoires m’a interpellé. Certes, on en a bien conscience, on a brandi un chiffon rouge pour nous faire peur. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Mais le fait que des associations d’élus soient à l’origine de cette affaire m’inquiète. (MM. René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, corapporteurs, approuvent.) Il faudra que les sénateurs et les associations d’élus débattent clairement de cette question pour savoir ce qu’il en est au juste, afin que ce point ne prête plus à discussion à chaque occasion.

Enfin, je dirai qu’il s’agit là d’un texte de compromis, donc très imparfait, qu’il faut accueillir de manière très modeste. La majorité des membres du groupe UDI-UC l’acceptera loyalement, en espérant qu’il sera suivi d’une pause pour laisser aux habitants, aux élus et aux territoires le temps de s’organiser et de souffler un peu. (MM. Michel Canevet, Antoine Lefèvre et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous voici enfin au terme de l’examen de ce texte, qui aura tant mobilisé notre Haute Assemblée et qui restera comme un marqueur de son retour dans le débat parlementaire.

Mais le présent projet de loi aura surtout marqué les esprits par les controverses et les inquiétudes qu’il aura suscitées chez les acteurs les plus impliqués, c’est-à-dire les maires et l’ensemble des élus locaux du pays.

Le projet initial du Gouvernement consistait à noyer les territoires dans des super-régions en rayant de la carte les départements. Finalement, au terme d’un virage à 180 degrés, le texte en sanctuarise l’existence, organisant un troc de compétences entre niveaux de collectivités, mais sans jamais considérer les communes.

En fin de compte, ce projet de loi est parti dans tellement de directions opposées qu’il a donné le tournis aux élus, déjà désorientés par le rocambolesque redécoupage des cantons.

Le Président de la République souhaitait porter à son bilan quelques initiatives qui, à défaut de répondre aux défis de notre époque, avaient le mérite d’offrir une grande visibilité.

La réforme des collectivités territoriales devait aussi, selon vous, monsieur le secrétaire d’État, faire économiser une dizaine de milliards d’euros de dépenses publiques à la Nation. Qui s’aventurerait encore à formuler un tel pronostic ?

Il n’en reste pas moins que ce « chamboule-tout » territorial constitue une réforme que les élus locaux, véritables chevilles ouvrières de la décentralisation, n’attendaient pas et dans laquelle ils ne se retrouvent pas.

Si le Gouvernement ne les a pas réellement consultés, le Sénat, lui, les a écoutés. Renouant avec sa vocation de représentant des territoires de la République, la Haute Assemblée a su entendre le malaise des élus locaux.

Chacun d’entre nous, dans nos départements, a échangé de longues heures avec des maires désespérés par un texte qu’ils percevaient comme une manifestation de défiance à leur endroit.

Combien d’élus, que ce soit dans les communes rurales, dans les villes ou encore dans les conseils départementaux, nous ont fait part de leur lassitude d’être vus comme des entraves à la bonne gouvernance de leur territoire, quand ils sont en fait les artisans quotidiens de son développement ?

La démarche du Gouvernement aurait été mieux inspirée si elle avait suivi l’ambition pour les collectivités locales qui fut jadis exprimée en ces termes : « Je veux aboutir à une véritable décentralisation, à une décentralisation qui donne enfin aux maires, aux présidents de conseils généraux et aux présidents de conseils régionaux […] la responsabilité et la liberté. » Ces mots, prononcés le 19 novembre 1981, sont ceux de Gaston Defferre présentant à cette même tribune sa loi de décentralisation.

Alors oui, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous aurions pu aller plus loin vers une véritable loi de décentralisation ! Car, s’il est une certitude, c’est que nous sommes à des années-lumière de ce que vous appelez le « grand soir territorial ». Oui, le Sénat a écouté les élus ; mais il les a surtout entendus !

Entraîné par la nouvelle dynamique insufflée par le président Gérard Larcher, le Sénat a pris à bras-le-corps ce problème et a enfin retrouvé la place qui lui revient dans le processus d’élaboration de la loi.

Je veux donc saluer ici le travail absolument colossal et efficace de nos deux corapporteurs, René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, qui ont su réorienter le texte présenté par le Gouvernement et faire prévaloir les positions du Sénat au sein de la commission mixte paritaire.

Sur les points les plus préjudiciables du projet de loi, notre assemblée a tenu bon, et sa détermination inébranlable a permis à nos collègues députés et au Gouvernement de prendre la juste mesure des dispositions du texte les plus contraires à l’intérêt général et à l’idée même de la décentralisation.

Nous avons, durablement je l’espère, tordu le cou à cette idée selon laquelle le département est une collectivité surnuméraire. À l’heure de la France des grandes régions, entériner sa disparition ferait apparaître un chaînon manquant : celui de la proximité.

Qu’il en aura fallu du temps et des débats pour expliquer au Gouvernement que la France n’était pas uniforme et que l’on ne pouvait répartir des bassins de vie avec une calculatrice ou un compas ! Non, il n’y a pas de nombre d’or en matière d’intercommunalité !

Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir, en abaissant les seuils obligatoires de 20 000 à 15 000 habitants et en les ouvrant à des dérogations tenant compte de la faible densité des territoires – et notamment à la spécificité des zones de montagne –, considérablement éloigné le texte de sa logique comptable pour le faire coïncider avec des réalités physiques et tangibles.

Une intercommunalité ne saurait être réduite à une statistique. Ce doit être un choix librement assumé de fonder une communauté de projet. Et un mariage forcé n’est jamais le présage d’une union heureuse !

C’est donc selon la même logique que nous avons défendu et obtenu le report à 2020 du transfert obligatoire des compétences relatives à l’eau et à l’assainissement.

Dans le même esprit, nous avons préféré nous en tenir au droit existant en matière de minorité de blocage concernant le plan local d’urbanisme intercommunal, soit 25 % des communes représentant 20 % de la population.

De même, l’intérêt communautaire pour le transfert de compétences des communes aux intercommunalités est maintenu avec la majorité qualifiée des deux tiers actuellement en vigueur. Nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir repoussé les transferts obligatoires de compétences souhaités par le Gouvernement.

Ce qui fonde la cohérence de ces positions, c’est notre conviction selon laquelle les communes, cellules de base de notre vie civique, doivent pouvoir garder une certaine maîtrise de leur destin.

Il ne s’agit pas d’une vision recroquevillée ou conservatrice ; nous défendons même des communes nouvelles ! Mais il s’agit ici de regroupements librement assumés et favorisés par la récente loi votée sur la proposition de Jacques Pélissard.

La commune est le lieu où s’expriment la démocratie et la communauté au sein de laquelle les élus sont parfois les derniers à incarner la proximité, la solidarité et à entretenir le lien social.

Les maires et les conseillers municipaux, pour la plupart sans étiquette politique et quasi bénévoles, qui acceptent de relever ces défis sont autant de figures utiles et respectées par la légitimité qu’ils incarnent.

Qu’adviendrait-il d’eux si, comme les députés de la majorité l’avaient voté lors de l’examen du texte, les élus des communes rurales étaient doublés et, au final, supplantés par des listes de conseillers intercommunaux forcément partisanes ?

Nous refusons l’organisation d’un scrutin indépendant pour les conseils communautaires, car cela sonnerait définitivement le glas de la commune.

Là aussi, le Sénat a pleinement joué son rôle : réaffirmer la confiance de la République envers ses élus, et notamment ceux qui agissent auprès de nos concitoyens des territoires ruraux et qui vivent dans un sentiment d’abandon.

Enfin, grâce à l’accord obtenu en commission mixte paritaire, nous avons mis un terme à cette mascarade consistant à créer un Haut Conseil des territoires. Sans doute manquions-nous cruellement de « hauts conseils » et autres « observatoires » dans notre pays pour qu’il faille en créer un nouveau… Mais, en l’espèce, l’article 24 de la Constitution est assez limpide puisqu’il dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. En quelque sorte, la place est déjà prise, et la fonction est assumée avec un certain regain de pugnacité !

Devons-nous pour autant nous estimer pleinement satisfaits par le texte de la commission mixte paritaire ? Non, et c’est là le propre des compromis. Il reste dans ce texte des points qui n’emporteront pas, voire n’emporteront jamais notre adhésion.

Ainsi, nous ne nous satisfaisons pas des schémas régionaux, d’aménagement durable et d’égalité des territoires, et nous en regrettons le caractère prescriptible.

Nous avions déployé nos efforts pour expliquer qu’une co-élaboration poussée rendrait plus efficaces, car plus partagées, les ambitions pour développer nos régions. Mais nous n’avons pas été entendus.

Au contraire, sur la question du Grand Paris, votre ambition réformatrice semble s’être arrêtée aux limites de l’Île-de-France, madame la ministre ! Tout ça pour ça ! Les Franciliens, qui représentent un sixième de la population française, ne méritaient-ils pas mieux que cette métropole devenue une coquille vidée de ses compétences ?

Il y a paradoxalement un autre aspect de ce dossier sur lequel les députés de la majorité ont montré un tout autre activisme et dont nous contestons la légalité : le meccano électoral autour de la désignation des représentants de la Ville de Paris dans le conseil de cette métropole. C’est une disposition sur-mesure, taillée pour empêcher une personnalité émérite de notre famille politique de présider un jour la métropole du Grand Paris !

Devant cette situation, les sénateurs ont pris leurs responsabilités en décidant de ne pas faire échouer la commission mixte paritaire, ce qui aurait conduit l’Assemblée nationale à légiférer seule, annihilant de fait toute la plus-value apportée sur ce texte par la Haute Assemblée.

Pour autant, nous n’en resterons pas là. Nous saisirons le Conseil constitutionnel sur ce qui n’est autre qu’une manœuvre de cuisine électorale parfaitement indigeste et totalement incongrue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le législateur a vocation à créer les conditions de la meilleure représentation des territoires et de leurs concitoyens habitants, non à piéger des élus !

C’est sans enthousiasme que nous voterons ce texte, qui demeure imparfait, mais dont nous avons su ici, sur toutes les travées de notre hémicycle, largement améliorer le contenu pour en repousser les dispositions les plus dommageables.

Cela montre à quel point le Sénat a pleinement renoué avec le rôle qui lui revient dans notre système bicaméral et qu’il est, plus que tout autre organe existant ou fantasmé, l’assemblée qui défend les territoires de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)