M. François Marc. L’argument est maigre !

M. Philippe Bas, rapporteur. De fait, nous vivons dans la même République.

Le désaccord porte également sur la signature de la France, qui n’est pas un enjeu secondaire.

Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !

M. Philippe Bas, rapporteur. En ratifiant un pacte, une convention, nous nous engageons à l’appliquer loyalement, non selon l’interprétation que nous en faisons mais selon celle qu’en font ses signataires.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas du droit, c’est une simple diversion !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas exactement la même chose, surtout lorsque cette convention exclut la possibilité d’émettre des réserves quant à son application. Or tel est précisément l’objet de l’article 21 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

M. Philippe Bas, rapporteur. Sur ce point, notre désaccord est grave. Il me semble même irréductible.

M. François Marc. C’est tiré par les cheveux !

M. Philippe Bas, rapporteur. La révision constitutionnelle que vous préconisez ne purge pas l’inconstitutionnalité de cette charte. Cette dernière, en effet, ne se limite pas aux trente-neuf engagements auxquels vous souhaitez souscrire, et qui sont déjà entièrement appliqués par les institutions de la République ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Maryvonne Blondin. Alors, ratifions-la !

M. Philippe Bas, rapporteur. Dès lors, ratifier la Charte n’est nullement nécessaire pour appliquer ces engagements !

Mais cette charte, c’est aussi son préambule, qui proclame le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie publique ; c’est aussi sa première partie, qui prévoit que les circonscriptions administratives ne doivent pas être contraires aux aires géographiques dans lesquelles se pratiquent des langues régionales (M. Ronan Dantec proteste.) et que la République doit permettre la réunion d’instances représentatives des groupes de locuteurs de langues régionales.

M. Roger Karoutchi. Et voilà !

M. Philippe Bas, rapporteur. Sur ces points, aucune réserve n’est possible.

Du reste, la déclaration interprétative que vous avez évoquée, et qui est mentionnée dans ce projet de révision constitutionnelle, ne prévoit pas de réserves d’interprétation sur ces différents points. Elle est lacunaire. En effet, la décision du Conseil constitutionnel que vous prétendez vouloir appliquer est postérieure d’un mois à cette déclaration interprétative. Vous n’avez pas pris le temps de la relire pour la corriger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Didier Guillaume. Les leçons, ça va comme ça !

M. Claude Bérit-Débat. Le niveau monte…

M. Philippe Bas, rapporteur. Enfin, le fait que cette ratification puisse être accompagnée d’une déclaration interprétative ne purge pas le vice d’inconstitutionnalité de la Charte.

M. Didier Guillaume. Argumentation au rabais !

M. François Marc. C’est vraiment laborieux !

M. Philippe Bas, rapporteur. Si la Charte devait être appliquée, elle le serait dans un sens contraire à notre Constitution.

Cette révision constitutionnelle impliquerait l’obligation de ne pas respecter la Charte au moment même où sécherait l’encre de la signature apposée par le Président de la République sur l’acte de ratification.

Les réserves sont interdites. Le système proposé l’indique clairement : c’est aux autorités instituées par la Charte qu’il appartiendra d’interpréter les devoirs des États qui la ratifient. En conséquence, nous serions en tort, non seulement vis-à-vis des vingt-quatre autres signataires de cette charte qui l’ont ratifiée, mais aussi au regard de notre propre Constitution.

J’entends bien que cette charte a une forte portée symbolique. Mais elle est inutile pour promouvoir les langues régionales !

Je tiens à saluer le remarquable travail accompli par la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Il est grand temps que le Gouvernement s’inspire de ses recommandations pour mener une politique réellement ambitieuse au service des langues régionales.

Mes chers collègues, cette révision est donc inutile. Pis, son adoption nous conduirait à enfreindre à la fois notre Constitution et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Voilà pourquoi il ne faut pas voter ce projet de loi constitutionnelle.

Permettez-moi d’évoquer aussi l’article 5 de la Constitution, article fondamental puisqu’il définit les missions du Président de la République, lequel nous a proposé cette révision en application de l’article 89 de la Constitution. Que dit donc cet article 5 ? Que « le Président de la République veille au respect de la Constitution » et qu’« il est le garant du respect des traités. »

Cette révision constitutionnelle conduirait à ne pas respecter la Constitution et à violer un traité, s’il était ratifié. (M. Ronan Dantec s’exclame.) En votant la question préalable, vous renverrez donc M. le Président de la République à sa mission, telle qu’elle est définie par l’article 5 de la Constitution.

Gardons à l’esprit ce proverbe créole antillais : Moun pa ka achté chat an sak. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. André Reichardt. Très bien !

M. Marc Daunis. La prononciation n’est pas excellente… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Philippe Bas, rapporteur. « Un chat en sac ne doit pas être acheté »… parce qu’il vous sauterait à la figure !

Eh bien, cette révision constitutionnelle, c’est un chat en sac, et je ne l’achèterai pas ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le débat sur la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires est inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, c’est parce que le Président de la République, dont je connais l’attachement à l’histoire, je devrais même dire aux histoires…

M. Jean-Claude Lenoir. Il est en effet familier des histoires ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Espagnac. … de France, et aux cultures locales de notre pays, s’y est engagé.

Mais la question de la place des langues régionales ou minoritaires n’est pas nouvelle.

Ainsi, le 14 mars 1981, François Mitterrand déclarait : « Le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique ». Il ajoutait souhaiter que la France cesse d’être « le dernier pays d’Europe à refuser à ses composantes les droits culturels élémentaires, reconnus dans les conventions internationales qu’elle a elle- même signées ».

Jacques Chirac, le 29 mai 1996 à Quimper, lors de son premier voyage officiel en Bretagne en tant que Président de la République, se déclarait ouvert à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg le 24 juin 1992.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est lui qui a saisi le Conseil constitutionnel en 1999 !

Mme Frédérique Espagnac. Il y a seize ans déjà, la France signait la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle n’a jamais franchi le pas historique de sa ratification.

Allons-nous enfin le franchir aujourd’hui ?

Mme Frédérique Espagnac. Allons-nous enfin dépasser ces blocages constitutionnels, ou plutôt de ces arguties procédurales de mauvaise foi (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.) qui empêchent ce beau projet d’aboutir ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Où voyez-vous donc des arguties ?

Mme Frédérique Espagnac. Vingt-cinq de nos voisins européens ont ratifié cette charte, sans que se posent des problèmes de blocages constitutionnels. Ces pays ont adopté librement et en cohérence avec leur politique linguistique nationale les dispositions de la Charte européenne, dites de droit souple, sur lesquelles ils souhaitaient s’engager.

En France, nous nous heurtons depuis trop d’années à des blocages minoritaires, animés par des peurs et du mépris, plutôt que portés par des arguments juridiquement fondés.

Car la constitutionnalité du projet de loi autorisant la ratification de la Charte européenne a été traitée très rigoureusement et avec une grande vigilance, afin d’écarter tous les risques et toutes les craintes exprimées quant à la compatibilité entre la Charte et notre Constitution. Je fais référence ici au travail remarquable qui a abouti à la formulation de la déclaration interprétative par la France, le 7 mai 1999, déclaration qui permet de répondre clairement aux interrogations et de lever toute ambiguïté sur la compatibilité entre le projet de loi et les articles 1er et 2 de notre Constitution, touchant à l’indivisibilité de notre République, à la langue française et à l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui ne remet nullement en cause le français et les principes de notre République qui font la fierté de nos concitoyens. Bien au contraire, il renforce la cohésion sociale au sein de notre société.

M. Didier Guillaume. Évidemment !

Mme Frédérique Espagnac. Le bilinguisme n’est pas l’ennemi de la République. C’est l’école de la tolérance, du civisme et de l’ouverture à l’autre, comme vous l’avez si bien dit, madame la ministre. La France, pays des droits de l’homme, ne peut pas refuser le droit linguistique !

Nous devons nous garder de tomber dans les caricatures trop faciles qui font des langues régionales des vecteurs de propagation d’aspirations politiques, ethniques ou territoriales.

Il est même insupportable de lire que la ratification de la Charte « reviendrait à inscrire le principe du communautarisme dans la Constitution française », comme a pu l’écrire le président du groupe Les Républicains, à l’occasion du dépôt de dernière minute de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur.

La Charte est très claire et précise qu’elle ne prend pas en compte la langue des migrants, mais seulement les langues indigènes.

Quant au risque de conflit de droit également évoqué, il s’agit d’un argument juridique sans fondement, au service d’une mauvaise foi sans nom !

Il est inacceptable, aujourd’hui, de confisquer ce débat en déposant une motion de procédure. C’est incompréhensible, quand on tient à cette institution, le Sénat, dont beaucoup d’entre nous revendiquent la défense.

Dans mon territoire, où se côtoient les langues béarnaise, occitane et basque dans la vie quotidienne des habitants, dans les crèches, dans les écoles, à l’occasion des événements culturels, sportifs et autres, il existe un profond respect de ce patrimoine linguistique, partagé par nos jeunes et nos aînés, comme par les nouvelles populations qui viennent s’y installer.

J’ai été frappée par les nombreux témoignages des anciens qui, encore aujourd’hui, restent très marqués par les souvenirs douloureux d’un temps où les langues régionales étaient combattues et mises à mal par le système éducatif français. Que répondre à ces personnes, qui craignent aujourd’hui de voir disparaître une langue qui est souvent leur langue maternelle ? Ce refus de les entendre, monsieur Mézard, s’accompagnerait-il d’une réticence à les tenir pour égaux parce que leur langue maternelle n’est pas le français ?

En même temps, j’observe chaque jour l’engouement des jeunes générations et des populations nouvellement installées sur le territoire pour apprendre et faire vivre cet héritage précieux, qui leur procure une grande fierté.

Les langues régionales ne sont pas des vestiges du passé. Elles ont un avenir, entre les mains de nos futures générations. Face à un monde globalisé, celles-ci se les approprient et les revendiquent comme leurs racines, leur identité, leur richesse !

Dans mon territoire, mais aussi dans les vôtres, chers collègues, de nombreux élus locaux, de tous les bords politiques, se sont engagés dans l’expérimentation du bilinguisme au sein de leurs collectivités, afin de répondre à la demande de leurs administrés. Cela montre bien qu’il est possible de faire coexister ces langues et le français sans que la qualité du service public en pâtisse !

M. Philippe Dallier. Eh oui ! Justement, tout cela est déjà possible !

Mme Frédérique Espagnac. Mes chers collègues, si ce débat a lieu aujourd’hui, c’est aussi parce que ces hommes et ces femmes qui respectent et défendent ces langues attendent de nous, sénateurs, représentants des territoires, de leur diversité, de leur culture, un message positif et un signe fort en faveur de ce patrimoine culturel oral et immatériel. Ces hommes et ces femmes souhaitent tout simplement bénéficier d’une loi précisant et réglementant les actions à mettre en place pour l’ensemble des langues de France. Ils ont dû faire preuve d’une grande patience, au moins égale à leur détermination !

Oui, une avancée en faveur de la reconnaissance de ce patrimoine a bien été entamée en 2008, je vous le concède. Elle est toutefois insuffisante, car elle ne précise pas nettement les contours des mesures de protection et de développement des langues régionales.

Qu’attendons-nous pour poursuivre et terminer le processus démocratique déjà engagé par nos prédécesseurs, qui dépasse les clivages politiques traditionnels ?

Qu’attendons-nous pour accorder une véritable reconnaissance, un statut juridique clair, des moyens de développement et de promotion de notre patrimoine linguistique à la hauteur de son indéniable richesse ?

Enfin, dans votre proposition de loi, monsieur le président de la commission des lois, qui n’est qu’une reprise de la proposition de loi de M. Le Fur de 2013, lequel ne souhaitait pas alors s’associer à celle que soutenait le député Armand Jung, vous ne tenez même pas compte les évolutions institutionnelles que nous avons votées – puisque vous avez entendu donner une leçon à Mme la garde des sceaux, souffrez d’en subir une à votre tour ! Il en va ainsi de certaines dispositions de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des modifications introduites à l’article L. 212-8 du code de l’éducation par la loi NOTRe ou de la question de la délégation pour la culture modifiée par la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Tout cela n’est pas bien sérieux ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, ma chère collègue.

Mme Frédérique Espagnac. C’est dommage, car je voulais vous lire en conclusion, chers collègues, un beau texte que Jaurès a écrit à Saint-Jean-de-Luz en 1911. Je ne citerai donc que sa première phrase, mais je transmettrai la suite à tous ceux qui souhaiteront la connaître : « Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion d’admirer en Pays basque, comment un antique langage, qu’on ne sait à quelle famille rattacher, n’avait pas disparu. »

Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre argumentaire pour vous opposer à la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires n’est pas à la hauteur de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! Depuis maintenant plusieurs décennies, cette phrase m’accompagne et nourrit mes interrogations sur la marche du monde, sur ses mutations culturelles, sur le droit redoutable que s’arrogent ceux qui portent l’action publique de décider pour autrui ce qui sera bon pour lui.

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! : « Quand même, la langue bretonne est une bien belle langue ! » Cette traduction littérale appauvrit un peu le sens du mot flour, plus riche et plus précis que « beau » ou « magnifique ». Dans flour, il y a aussi l’idée de douceur.

Cette phrase m’a un jour été adressée par la maîtresse de maison de la ferme où j’effectuais un stage d’étudiant. Sa force ne réside pas dans l’affirmation que la langue bretonne est belle – tout le monde trouve magnifique sa langue maternelle –, mais dans l’adverbe memez, « quand même ».

Pour la génération de mon interlocutrice, ce « quand même » exprime tout le désarroi, toutes les questions que suscite l’abandon de sa langue natale. Pourquoi avoir abandonné sa langue ? Pour se plier à l’injonction de l’instituteur, prompt à vous mettre autour du cou ce morceau de bois, symbole annonçant la punition, quand il vous surprenait à parler breton ? Ou parce qu’on a cédé à la pression des parents et de l’entourage, qui considéraient que le français était le passage obligé vers l’avenir, dans des sociétés marquées par l’exode rural et l’émigration ? Ou bien encore parce que l’on avait intégré les contraintes des modèles économiques libéraux, exigeant de la main-d’œuvre mobile et parlant une langue commune ? Probablement un peu de tout cela…

Ce « quand même » dit l’incompréhension, la culpabilité aussi, la colère parfois, de celles et ceux qui ont brisé la chaîne de la transmission et n’ont pas appris la langue, leur propre langue, à leurs enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chers collègues, adopter enfin la Charte européenne des langues régionales, ce serait dire enfin que notre pays a tourné la page de ce temps d’avant, celui du déracinement et des émigrations massives de Bretons, d’Auvergnats, d’Antillais vers les centres urbains, celui de la condescendance profonde vis-à-vis d’un monde rural si longtemps dépeint sous les traits de Bécassine, auquel s’opposait le lettré de la grande ville.

M. Jacques Mézard. Très bien, coupons les routes et restons tous chez nous !

M. Ronan Dantec. Ce serait dire que nous n’avons plus peur des diversités, que nous en avons fini avec les haines nationalistes et les mépris colonialistes qui marquèrent tragiquement les siècles passés.

Ratifier cette charte, ce serait donc également dire notre confiance en l’avenir et participer à la construction de sociétés plus tolérantes et apaisées.

Cet acte de ratification pose donc clairement notre responsabilité politique collective.

Hormis quelques nostalgiques du temps d’avant les tranchées de 14-18, nous aurions dû tous nous rassembler pour approuver ce texte. Le seul débat susceptible d’avoir lieu aurait dû porter sur la possibilité d’une ratification plus large que les trente-neuf articles retenus par la France.

Malheureusement, pour des raisons tenant à des tactiques politiciennes à visées immédiates et à un vieux fond conservateur, ce texte est sous la menace d’une question préalable qui me laisse, je dois le dire, atterré.

Pour nous garder des faux débats, je souhaite vous lire deux extraits du préambule tant décrié de cette charte, qui date donc de 1992.

« Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, et conformément à l’esprit de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe ; »

Ou encore : « Soulignant la valeur de l’interculturel et du plurilinguisme, et considérant que la protection et l’encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ;

« Conscients du fait que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d’Europe représentent une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ; »

Je ne suis pas certain que tout le monde ici ait vraiment lu ces mots. Tout y est pourtant dit : droit imprescriptible, reconnu par les Nations unies ; nulle mise en cause des langues officielles et de la souveraineté nationale.

Cela aurait dû suffire à nous rassurer et à nous rappeler que la patrie autoproclamée des droits de l’homme ne peut pas mettre un quart de siècle à ratifier un texte déclinant un droit imprescriptible reconnu par les Nations unies !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas le cas !

M. Ronan Dantec. Un texte dont la ratification est même nécessaire à l’adhésion à l’Union européenne, ce qui signifie que, s’il n’était pas un membre fondateur, notre pays ne pourrait même pas rejoindre aujourd’hui l’Union européenne !

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est inexact !

M. Ronan Dantec. Rappelons ici quelques éléments, afin de ne pas nous perdre dans des débats d’un autre siècle.

N’en déplaise au rapporteur, qui a dû déployer tout son talent pour trouver des arguties juridiques à l’appui de cette question préalable, son argumentaire reste faible, contradictoire et tient, malheureusement, plus du sophisme que du paralogisme.

Rappeler la Constitution ne nuit pas : une fois le nouvel article 53-3 adopté, c’est bien la déclaration interprétative qui prévaudra sur d’éventuelles stipulations internationales. Telle est la stricte logique du droit français !

Inventer des risques contentieux qui n’existent pas, qu’aucun pays signataire n’a jamais rencontrés, n’a d’autre objectif que d’échapper au débat de fond. La droite sénatoriale n’en voulait pas, par calcul politicien, pour s’opposer au Président de la République, mais aussi par peur d’étaler ses propres divisions, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

À l’inverse, ne pas adopter la Charte, c’est ouvrir la porte à tous les recours, y compris sur l’application des dispositions relatives aux langues régionales que nous avons votées dans la loi NOTRe et dans la loi MAPTAM.

Ce procédé de contournement est bien médiocre. Cette fuite devant le débat augure mal de la capacité de la majorité sénatoriale à affronter et à trancher demain d’autres débats. L’immobilisme, je le crains, restera sa boussole, sa seule réponse à ses propres divisions. À moins que l’emploi de certains mots que l’on brandit ici, comme « communautarisme », n’indique une direction assumée, celle de concurrencer l’extrême droite dans ses discours de repli ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Permettez-moi de relever qu’en juillet dernier, à Genève, le comité des droits de l’homme a encore exhorté la France à retirer les réserves et clauses interprétatives habituelles des conventions internationales qu’elle ratifie. Voilà la preuve que ces clauses font la loi – sinon, nul ne s’en inquiéterait ! – et que l’image de la France n’est pas obligatoirement celle que nous imaginons.

J’aurais préféré que le rapporteur s’inquiétât davantage de cette image abîmée de la France dans le monde que de la cohésion de son groupe parlementaire. On pourrait aussi estimer que Philippe Bas et ses collègues, au premier chef le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, devraient d’abord se soucier d’éviter l’affaiblissement de la République et sa désagrégation dans les particularismes !

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est exactement cela !

M. Ronan Dantec. Mais ce n’est pas du tout le cas ! Leur propos est finalement assez simple : pas besoin de charte, laissons faire les régions ! Que les conseils régionaux s’en occupent, financent l’enseignement, les médias... C’est une affaire locale, régionale, et non nationale ! Si l’on veut convaincre les uns et les autres qu’ils sont en périphérie de la République, c’est effectivement ainsi qu’il faut procéder, en les ramenant toujours à leur singularité !

Voter cette charte, c’est au contraire dire l’égalité des citoyens, qui ont tous droit, sur tout le territoire de la République, à la pratique des différentes langues de France. C’est une approche très différente et, je le pense profondément, bien plus républicaine.

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Très bon argument !

M. Ronan Dantec. Je cite Bruno Retailleau, expert en identité locale, ou du moins vendéenne : « La Vendée a développé une identité très puissante à partir d’une tragédie. » Voir disparaître sa langue dans l’indifférence, voire l’hostilité du pouvoir central est aussi une tragédie. Évitons donc de nourrir les colères identitaires !

Dès lors, voter contre la Charte constitue bien une attaque sournoise contre l’unicité de la République, une incitation au repli identitaire, et je vous exhorte, chers collègues, à vous y opposer fermement !

Regardons le monde et sortons de nos archaïsmes : la plupart des États de cette planète n’ont pas la même peur panique de leur propre diversité. Les exemples foisonnent !

Sortant des ténèbres de l’apartheid, l’Afrique du Sud, dans sa Constitution de 1996, a donné un statut officiel à onze langues sur son territoire, le xhosa à égalité avec l’afrikaans, le zoulou à côté de l’anglais, le ndébélé respecté comme le sotho. Beau symbole d’une nation vivante, s’ouvrant à un nouvel avenir !

Pourtant patrie des Lumières, la France frémit encore à l’idée de signer une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ! C’est dire à quel point nous sommes encore loin d’un statut officiel d’égalité entre les langues, statut qui est pourtant la norme dans la plupart des grands pays de culture ancienne. Le Maroc en reconnaît deux, l’arabe et l’amazighe berbère ; mais c’est également le cas du Canada où nous, Français, veillons à ce que notre langue reste l’égale de l’anglais ; et je ne parle pas de l’Inde, où vingt-deux langues – un cauchemar, sans doute, pour certains d’entre nous ! – sont officiellement reconnues dans la Constitution…

À contre-courant et surtout à contretemps du monde, nous affichons toujours notre logique tatillonne de l’égalité, mais, pour reprendre les mots de l’historienne Mona Ozouf, il s’agit d’une logique égarée, qui confond l’égalité avec la ressemblance, voire la similitude. Or cet égarement nous coûte cher, car il est empreint de beaucoup de mépris envers ceux qui ne sont pas dans la norme et les cadres culturels fixés. Un sénateur n’a-t-il pas déclaré en commission des lois, concernant la ratification de cette charte et la manière dont elle est ressentie, selon lui, « par le plus grand nombre de nos concitoyens » : « Il n’y a pas que des lettrés en France [...] et ce sera une catastrophe. » Que de mépris dans cette phrase ! Ces « ploucs » qui se contentent de baragouiner quelques mots de français vous remercient, monsieur le sénateur !

Chers collègues, si je vous demande de voter cette charte, c’est justement pour en finir avec ce mépris-là, avec cette arrogance des « sachants » et des élites éclairées conduisant le peuple. C’est au nom de tous ceux qui ont vécu la violence de l’abandon de leur langue. C’est pour ceux qui aujourd’hui les parlent toujours, les apprennent même, s’investissent pour sauver une parcelle de la diversité du monde, et qui n’en peuvent plus de cette injustice.

Cette charte est un message fraternel adressé à tous ceux qui, par leur origine ou leurs choix de vie, ne sont pas tout à fait à l’image de « nos ancêtres les Gaulois », ce peuple qui, vous le savez bien, n’a jamais vraiment existé au-delà des images d’Épinal et des cartes Rossignol, mythe facile pour ceux qui refusent la complexité du monde, sa « créolisation », pour reprendre l’expression magnifique d’Édouard Glissant.

Ratifier cette charte, c’est adresser un message de respect autant à mes grands-parents bretonnants disparus qu’aux jeunes élèves des écoles bilingues, c’est construire une société plus solide, car la Nation, c’est bien la volonté de vivre ensemble. Or ce « vivre ensemble » ne peut se construire sur la négation de nos diversités ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)