Mme Évelyne Didier. Nous l’avons compris, avec les amendements de suppression déposés par la commission, il ne nous sera pas possible de défendre nos propres amendements. Compte tenu des propos que nous avons entendus, nous ne nous faisons guère d’illusions.

Aussi, je tiens à rappeler les raisons pour lesquelles nous avions déposé nos amendements.

À l’article 1er, nous souhaitions rappeler les éléments qui nous semblent essentiels pour donner toute son effectivité à cette proposition de loi.

L’amendement n°5, que nous considérions comme un amendement d’appel, visait à souligner la difficulté d’identifier la chaîne de la sous-traitance. Nous voulions montrer la perfectibilité de la proposition de loi s’agissant de l’identification de la chaîne de valeur.

En effet, la notion de « relation commerciale établie » risque de ne pas englober la sous-traitance en cascade, qui est pourtant mentionnée dans l’exposé des motifs. Nous proposions tout simplement une plus grande clarté dans la rédaction, afin de rendre le texte de la proposition de loi conforme aux objectifs de l’exposé des motifs.

Certes, la notion de « relation commerciale établie » est plus large que celle d’influence réelle. Mais elle reste sujette à interprétations. Le rapporteur à l’Assemblée nationale en a ainsi donné la définition suivante : « relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ». Il semble donc que soient exclus les cocontractants occasionnels, même lorsqu’il s’agit de commandes extrêmement importantes. Notre amendement aurait permis de mieux appréhender la réalité complexe des chaînes de valeur.

De même, et c’était l’objet de notre amendement n° 6, il est impensable que les syndicats et les représentants du personnel ne soient pas informés du contenu du plan de vigilance. Ils sont parties prenantes d’une démarche RSE. Il nous semble donc essentiel que la présentation de ce plan devant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail soit mentionnée dans la proposition de loi.

Enfin, nous pensons, et c’était l’objet de notre amendement n° 7, qu’il n’est pas opportun de plafonner l’amende civile à 10 millions d’euros en cas de non-respect de la mise en place du plan de vigilance. Cette disposition peut fragiliser le texte. En effet, selon de nombreux juristes, en cas de saisine, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait considérer que cette amende civile possède en fait, de par sa nature comminatoire, un caractère pénal et que le devoir de vigilance n’est pas suffisamment défini dans le texte, en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines.

C’est pourquoi il nous paraîtrait plus judicieux que le juge puisse prononcer une amende proportionnée au chiffre d’affaires de la société ou du groupe concerné. Cela se révélerait in fine bien plus dissuasif.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, chers collègues de droite, vous avez choisi une stratégie : trois articles, trois suppressions ! C’est votre choix. Il est respectable. Vous le fondez sur deux motifs.

Le premier est d’ordre juridique. Vous ne voulez ni d’une loi contraignante ni de dérogations au droit commun de la responsabilité. Or, ayant lu le rapport écrit de la commission avec attention, comme je le fais toujours, je constate que vous citez vous-même des dérogations au code du travail, monsieur le rapporteur ! Il existe déjà une dérogation au droit de la responsabilité par rapport au travail dissimulé.

Votre second motif est d’ordre économique. Selon vous, il y aurait un risque disproportionné pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises françaises à l’échelle européenne et mondiale. Cet argument vous permet, fort habilement, je le reconnais, de vous en remettre à la directive européenne relative au reporting extrafinancier, que nous devons transcrire dans notre droit national avant la fin de l’année 2016, comme tous les États membres. Il eût été intéressant de nous indiquer votre conception de la transposition. Mais vous n’en parlez pas !

Vous faites le choix de la facilité, en vous réfugiant derrière les principes directeurs de l’OCDE. Je connais bien ce sujet, pour avoir été le point de contact entre la France et cette institution dans une vie antérieure ; je suis souvent intervenue à cet égard à la suite du drame du Rana Plaza. Vous l’avez souligné tout à l’heure, notre pays est un bon exemple, souvent cité, pour tous les pays de l’OCDE. Les entreprises françaises appliquent la RSE du mieux qu’elles peuvent.

La question qui est posée à tous les parlementaires, de droite comme de gauche, est celle de ce que nous pouvons faire à l’échelle nationale pour rendre effectifs les principes de la responsabilité sociale des entreprises ? Or vous ne voulez pas y répondre !

Quand M. le Premier ministre a conclu la conférence sociale du 19 octobre dernier, il a adopté un point de vue différent du vôtre. Vous, vous considérez uniquement la contrainte ; lui a insisté sur le fait que la responsabilité sociale était davantage un levier pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité de l’implantation en France. Il a dit très intelligiblement qu’un tel levier était efficace pour le suivi de la COP 21 et la préparation de la Conférence internationale du travail, qui doit se tenir à Genève au mois de juin 2016.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Bricq. L’article 1er de la proposition de loi tend à créer un plan de vigilance. Si vous aviez été constructifs, vous auriez dû nous aider à définir le contenu des modalités du plan, au lieu de dénoncer le renvoi à un décret en Conseil d’État.

Vous avez choisi une autre méthode, celle qui consiste à écarter le sujet. Pourtant, cette proposition de loi nous invite à réfléchir ; c’est sa grande vertu. Il est dommage que vous ne vouliez pas répondre à cette invitation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, avec votre permission, je prendrai un peu plus de temps pour présenter l’amendement n° 14. L’argumentaire que je développerai vaudra également défense des amendements nos 15 et 16.

La présente proposition de loi a, certes, un objectif vertueux : faire davantage contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme et des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde. La commission des lois a cependant conclu à son rejet, pour trois séries de raisons.

En premier lieu, le texte comporte de nombreuses imprécisions et ambiguïtés juridiques : incertitude sur l’éventuelle portée extraterritoriale pouvant résulter de l’extension du plan de vigilance aux sous-traitants et fournisseurs étrangers ; imprécision des normes de référence du plan de vigilance et contenu insuffisant du décret prévu pour préciser les dispositions relatives au plan ; incertitudes sur la procédure permettant d’enjoindre une société à établir le plan, et surtout sur celle permettant au juge de prononcer une amende civile en cas de manquement ; incertitudes sur la portée réelle du régime de responsabilité prévu en cas de manquement, du fait de l’extension du plan aux sous-traitants étrangers ; instauration d’une forme d’action de groupe permettant aux associations, en cas de manquement, d’agir en responsabilité sans être victimes ; obligation d’ingérence des sociétés mères dans la gestion de leurs filiales et sous-traitants.

Ces imprécisions soulèvent des interrogations d’ordre constitutionnel quant à de possibles atteintes au principe de clarté de la loi, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au principe de responsabilité et au principe selon lequel nul ne plaide par procureur.

En deuxième lieu, alors que la portée des législations étrangères comparables est beaucoup plus limitée, ce texte, dépourvu d’évaluation préalable, risque de porter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France.

Les entreprises étrangères intervenant sur le marché français ne seraient pas soumises aux mêmes obligations, ce qui créerait en outre des distorsions de concurrence sur le marché européen.

Ces obligations auraient des conséquences sur les PME françaises sous-traitantes, du fait de l’extension du plan de vigilance, et imposeraient à l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises, en France et à l’étranger, des coûts de mise en œuvre et de contrôle du plan qui ne sont d’ailleurs pas évalués

En troisième lieu, l’Union européenne semble l’échelon pertinent pour traiter des préoccupations de ce texte, sur la base de la directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises. Cette directive prévoit que les entreprises doivent publier des informations sur leur politique de prévention des risques en matière sociale et environnementale, de droits de l’homme et de corruption, et rendre compte des procédures de diligence raisonnable qu’elles mettent en œuvre à cette fin.

Dans ces conditions, il n’est pas assuré que la proposition de loi soit un outil adapté pour atteindre efficacement l’objectif.

En conséquence, le présent amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Le gouvernement émet un avis tout à fait défavorable sur cet amendement.

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le fond, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Je ne retire rien de ce que j’ai dit. Le Gouvernement souhaite que l’on puisse progresser dans l’examen de ce texte.

M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, vous avez d’abord tenté de bloquer l’examen de ce texte par le dépôt d’une motion préjudicielle, avant d’y renoncer devant la bronca soulevée.

Vous déposez à présent des amendements de suppression des différents articles de la proposition de loi,…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il fallait vous y attendre !

M. Didier Marie. … au lieu d’en débattre sur le fond, voire d’essayer de l’améliorer.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’y a rien à améliorer !

M. Didier Marie. Je dois vous reconnaître le mérite de la cohérence, dans la défense d’une certaine conception du fonctionnement du marché, libre et sans contrainte ou entrave. En revanche, je ne partage pas votre sens de l’action, ou plutôt de l’inaction politique.

Monsieur le rapporteur, dans le monde, et même dans notre pays, il existe des entreprises qui placent la recherche du profit au-dessus du respect des droits humains. (Mme Évelyne Didier acquiesce.) Cette approche, conforme aux préceptes de Milton Friedman, pour qui la responsabilité sociale des entreprises était de faire du profit, semble être partagée par M. Dallier.

Vous croyez à l’autorégulation du marché. Malheureusement, les faits vous donnent tort. Certains exemples récents, qui concernent parfois de grands groupes, comme Volkswagen ou Nestlé, en attestent.

Pour ma part, et en accord avec tous ceux qui soutiennent ce texte, je pense que la politique prime la dérégulation, qu’il est possible d’encadrer l’activité des entreprises pour prévenir le dumping social, environnemental et sur les droits humains. Je crois souhaitable de légiférer, y compris pour protéger les entreprises et renforcer leur compétitivité.

Vous considérez que la rédaction proposée comporte des imprécisions et des ambiguïtés juridiques.

Au contraire, ce texte est juridiquement fiable. Il repose – faut-il le rappeler ? – sur des fondements internationaux solides, qui s’imposent à tous les États les ayant ratifiés. C’est le cas de la France, ce dont nous pouvons être fiers.

Mais ces engagements ne peuvent se traduire dans la réalité que s’ils sont transposés dans le droit national. La Commission européenne nous incite à le faire. Nous vous proposons aujourd’hui de passer aux actes.

Ces textes, vous les connaissez. Il s’agit des principes directeurs sur les droits de l’homme et les entreprises, adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies au mois de juin 2011, des principes directeurs de l’OCDE sur la responsabilité des multinationales et des normes de l’Organisation internationale du travail.

Les bases juridiques relatives au droit français ne peuvent pas être plus claires. La notion de « relation commerciale établie » engageant la responsabilité d’une entreprise à l’égard de ses filiales et sous-traitants est définie à l’article L. 442-6 du code de commerce et par la jurisprudence qui en découle.

J’en viens à l’impossibilité supposée d’apporter la preuve matérielle du respect de la loi. Le texte fixe une obligation de moyens. Il suffira à l’entreprise d’édicter et de mettre en œuvre un plan qu’elle aura déterminé en fonction de son champ d’activité et de la connaissance des risques afférents.

Il y aurait donc un paradoxe à considérer que le marché peut s’autoréguler tout en demandant un cadre rigide s’appliquant uniformément et indistinctement à toutes les entreprises.

C’est la raison pour laquelle nous voterons contre votre amendement de suppression de l’article 1er. Nous ferons de même sur les autres amendements de suppression ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Je ne reviens pas sur les arguments juridiques que notre collègue Didier Marie a développés. Je centrerai mon propos sur les motifs que la droite invoque pour réclamer la suppression des articles de ce texte.

Dans ce débat, nous ne sommes ni naïfs ni idéalistes. En revanche, l’économie nationale est bien mal défendue par vos conceptions vieillottes, ringardes et poussiéreuses, chers collègues de la majorité sénatoriale.

Nous défendons ce soir l’ambition d’une économie plus créative, plus ouverte au monde, s’adaptant aux nouvelles réalités de la mondialisation. Vous nous opposez des arguments cent fois entendus, anciens, racornis, sur une économie nationale qui devrait être beaucoup plus ouverte sur l’étranger, sur la mondialisation et sur ses conséquences sociales et environnementales.

L’ouverture de la COP 21 est proche. Il est donc de saison de rappeler la phrase prononcée par Jacques Chirac voilà quelques années : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! » Ce soir, on serait tenté de dire : « Les enfants meurent et vous regardez ailleurs ! »

Nous voterons donc contre l’amendement de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

M. Joël Labbé. Le groupe de droite a demandé un scrutin public. D’un point de vue stratégique, j’aurais dû me garder de faire de même, sachant qui est majoritaire et qui est minoritaire aujourd’hui.

Pourtant, je maintiens ma demande de scrutin public. Je veux que tout le monde, y compris les nombreux absents, puisse s’exprimer. Je vous le dis dans les yeux, chers collègues : j’espère que vous avez consulté les membres de votre groupe pour connaître la position de chacune et de chacun, en son âme et conscience, sur ce texte.

Vous me répondrez que la conscience n’a pas lieu d’être ici. Au contraire, il est temps qu’elle recouvre sa place ! Et tant pis si ce vocabulaire est inhabituel !

En tout cas, au nom du groupe écologiste, je soutiendrai ce texte, et je continuerai de le soutenir, même si ces amendements de suppression sont adoptés de soir. D’ailleurs, du point de vue du débat démocratique, ce serait lamentable ! J’en serais profondément attristé, à l’instar des trois quarts de nos concitoyens, qui sont favorables à la responsabilité sociale des entreprises, selon un sondage réalisé par l’institut CSA au début de l’année.

Vous pouvez bien mobiliser des arguties juridiques pour justifier votre rejet de ce texte. Mais ce sont les droits humains qui sont en jeu ! (L’orateur garde le silence pendant quelques instants.)

Mon silence est lourd de sens ; il signifie que les temps sont graves. Il est important de donner des signes forts à la population française. J’entends trop souvent dire que les politiques ne servent à rien et qu’ils sont impuissants face au pouvoir économique et financier. On ne croit plus en nous, et on conclut qu’il est inutile d’aller voter. Voilà votre responsabilité !

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.

M. Pascal Allizard. Je suis particulièrement gêné, et même choqué par la tonalité de ce débat.

Voilà cinq ans, dans la petite commune normande de 5 000 habitants dont je suis maire, un grand groupe multinational a fermé un site industriel, supprimant ainsi 330 emplois.

Le ministre chargé de l’industrie s’appelait à l’époque M. Besson. Je ne ferai pas de commentaires sur ce point, afin de ne pas être désagréable.

Mme Nicole Bricq. « Désagréable » pour qui ?

M. Didier Marie. Il était ministre de Nicolas Sarkozy !

M. Pascal Allizard. Mais rien n’a été fait.

Je le rappelle, un débat sur un texte tendant à interdire les licenciements boursiers a eu lieu dans cet hémicycle. À l’époque, j’étais seulement suppléant de sénateur. Le gouvernement actuel disposait alors de la majorité des sièges au sein de la Haute Assemblée. Pourtant, le texte n’est pas passé !

Quand j’entends parler de « conscience », je ne trouve pas cela de bon augure.

La fermeture du site de production que j’évoquais a eu lieu pendant la campagne présidentielle et législative de 2012. À l’époque, un futur ministre du redressement productif, M. Montebourg pour ne pas le nommer, est venu faire campagne dans ma commune, promettant que la fermeture du site serait empêchée en cas de victoire de son camp aux élections…

Vous avez gagné les élections, mais le site a fermé ! Je trouve donc curieux de vous entendre ce soir donner de leçons de morale et de bonne conscience !

M. Joël Labbé. Ce n’est pas le propos !

M. Pascal Allizard. Si ! C’est tout à fait le propos ! Nous courons le danger que nos concitoyens ne croient plus en la parole politique.

M. Joël Labbé. C’est vous qui le dites !

M. Pascal Allizard. Et, avec des débats comme celui de ce soir, nous alimentons la défiance.

Mme Évelyne Didier. La succession des arguments est remarquable !

M. Pascal Allizard. Pour autant, et c’est la cause de ma gêne, je pense que nous sommes saisis d’une véritable question.

Mme Nicole Bricq. Il faut donc y répondre !

M. Pascal Allizard. Malheureusement, avec cette proposition de loi, nous risquons d’y apporter une mauvaise réponse.

Mme Évelyne Didier. Il fallait l’améliorer !

M. Pascal Allizard. Ce texte risque de fragiliser encore plus la compétitivité nationale de la France.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Allizard. La bonne réponse à la question, si elle existe, se situe nécessairement à l’échelon européen.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Effectivement, les auteurs de la proposition de loi soulèvent une vraie question ; le texte a précisément pour objet de tenter d’y répondre.

Peut-être la réponse proposée n’est-elle pas parfaite. Peut-être le texte comporte-t-il des imprécisions. Mais vous avez la possibilité de l’améliorer !

Depuis 2013, il existe auprès du Premier ministre une plate-forme RSE qui rassemble des industriels, des ONG, des administrations et des organisations représentatives de salariés. Elle a émis un certain nombre de propositions, en se penchant notamment sur le problème des entreprises donneuses d’ordre et de la sous-traitance. En particulier, elle a proposé un dispositif extrêmement intéressant au mois de juillet dernier. Il s’agissait de faire en sorte que l’entreprise donneuse d’ordre se dote des moyens d’audit et de contrôle nécessaires pour s’assurer du respect de sa politique tout au long de la chaîne de valeur de créations de richesses. Voilà une proposition qui pouvait figurer dans le fameux plan de vigilance ! Vous auriez pu la formuler.

Ce qui est inacceptable, c’est que vous ayez choisi la méthode du vide, en partant du principe que le texte n’était pas améliorable. C’est ce que j’ai entendu M. le président de la commission des lois affirmer tout à l’heure. Or c’est très grave. Notre travail de parlementaires est d’arriver à une construction politique. En refusant de le faire, vous n’assumez ni votre rôle ni vos responsabilités.

À propos de compétitivité, savez-vous que les grandes entreprises cotées sont notées par des agences de notations qui prennent en compte l’argument de la responsabilité sociale assumée par les entreprises, via leurs informations extrafinancières ?

Mme Évelyne Didier. Et les fonds d’investissement demandent cette notation !

Mme Nicole Bricq. Votre argument sur la compétitivité ne tient donc pas, notamment s’agissant des entreprises cotées en bourse. (M. Daniel Raoul applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Madame Bricq, il est assez paradoxal de vous entendre reconnaître que le texte n’est pas parfait…

Mme Nicole Bricq. Oui, je le reconnais !

M. Philippe Dallier. … et nous reprocher à nous de ne pas l’avoir amélioré ! C’est tout de même assez curieux de nous accuser de ne pas assumer nos responsabilités s’agissant d’un texte déposé par votre groupe !

Mme Évelyne Didier. Cessons ces arguties ! Parlons du fond !

M. Philippe Dallier. Que n’avez-vous proposé un texte parfait ?

Mme Nicole Bricq. Aucun texte n’est parfait !

M. Philippe Dallier. Nous sommes d’accord sur ce point.

J’en viens au fond du sujet.

Mme Évelyne Didier. Il était temps !

M. Philippe Dallier. Il est évident qu’un problème se pose. Personne ici ne prétend le contraire !

Mais, en l’état actuel, il ne nous paraît pas possible d’adopter des dispositions applicables aux seules entreprises françaises tandis que leurs concurrentes étrangères chez nous n’y seraient pas soumises !

Vous pouvez considérer que notre argument ne vaut pas. Mais nous, nous considérons qu’il vaut. Trouvons les moyens de régler au plus vite ce problème à l’échelon européen, afin d’éviter toute distorsion de concurrence.

Ne faites pas comme s’il y avait les bons et les méchants ! Ce débat a tout de même été légèrement caricatural… Certes, je peux comprendre que le sujet suscite de l’émotion.

M. Joël Labbé. Ce n’est pas de l’émotion ; c’est de la pensée politique !

M. Philippe Dallier. Excusez-moi d’avoir perçu de l’émotion dans vos propos, mon cher collègue ! Mais je continue de penser qu’il y en avait !

Faisons attention à la manière dont nous légiférons. À nos yeux, ce n’est pas possible d’appliquer une législation à nos seules entreprises.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai entendu certains orateurs évoquer ce qu’ils considèrent être les « arguments de la droite ».

Mes chers collègues, lorsque le rapporteur de la commission des lois s’exprime, il ne le fait pas au nom d’un groupe politique. Ce n’est ni la droite, ni la gauche, ni le centre, ni un autre groupe qui parle. C’est la commission des lois du Sénat qui s’exprime, après avoir procédé à de nombreuses auditions, avec le souci de remplir son devoir.

Son devoir, c’est de rédiger la loi de telle manière que les obligations créées soient prévisibles pour ceux auxquels elle s’applique et que les sanctions instituées puissent se fonder sur un cadre juridique clair.

Ce que la commission des lois reproche à ce texte, ce ne sont pas les intentions de ses auteurs, qui sont bonnes.

Mme Évelyne Didier. On ne l’aurait pas cru…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’y a pas, dans cet hémicycle ou à la commission des lois, ceux qui ont une conscience politique et une générosité qui les placent au-dessus de tout soupçon et ceux qui seraient seulement mus par des intérêts inavouables.

Mme Évelyne Didier. Prouvez-le !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y a des législateurs qui ne veulent pas créer d’incertitudes dans le droit applicable, en l’occurrence, à des entreprises.

Or il suffit d’une lecture pour constater que le texte est entaché non pas d’insuffisances de rédaction, mais d’une insuffisance grave de conception.

Obliger une entreprise à adopter un plan, au titre d’un devoir de vigilance, avec des obligations aussi floues que « prévenir la réalisation de risques d’atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » revient à créer dans notre droit un ensemble d’obligations dont le champ n’est pas précisé, ouvrant la voie à des incertitudes contentieuses majeures.

M. Didier Marie. C’est faux !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui, nos entreprises ont une responsabilité sociale ! Elles doivent l’assumer. Mais le moyen que vous imaginez pour renforcer cette obligation n’est certainement le bon.

Nous devrons, en écrivant la loi, la concevoir non pas comme un décor de théâtre que l’on dresse pour tenir des discours politiques, mais comme un ensemble d’obligations précises qui permettent des sanctions effectives quand elles ne sont pas respectées. Ce n’est nullement le cas avec ce texte.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois vous invite à adopter l’amendement de suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. On ne peut pas laisser passer certains propos.

Les notations extrafinancières se multiplient. De plus en plus de fonds de toutes sortes demandent à disposer d’éléments de ce type pour pouvoir prendre des décisions d’investissement dans telle ou telle entreprise. C’est l’avenir !

Par ailleurs, vous vous souvenez tous de l’entreprise Tepco, qui possédait la centrale nucléaire japonaise qui a explosé. Les agences de notation extrafinancières sont les premières à avoir décelé les failles de cette entreprise, notamment, mais pas seulement, en matière de gouvernance. La responsabilité sociale et environnementale, c’est l’avenir pour des entreprises exemplaires.

Il n’est pas admissible, dans un débat comme celui-ci, de s’en tenir à des critiques de forme sans aborder le fond. Je ne fais pas de la morale. Je demande simplement que l’on soit sur des sujets de fond. Il est inacceptable de ne pas avoir de régulation permettant de prendre en compte la santé, la vie et l’environnement des personnes ! C’est pour cela qu’il y a la RSE et la notation extrafinancière !

Il eût fallu que vous vous inscriviez d’une façon bien plus intéressante et moderne dans ce débat. C’est d’abord cela que nous vous reprochons !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe écologiste et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Je vous rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 189
Contre 145

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements nos 1, 4, 5, 6 et 7 n’ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.

L’amendement n° 1, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 225-102-4. – I. – Toute société dont le total du bilan dépasse vingt millions d’euros ou le montant net du chiffre d’affaires dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre de salariés permanents employés au cours de l’exercice est supérieur à cinq cents établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

L’amendement n° 4, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger

par les mots :

dont le total du bilan est supérieur à vingt millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires net dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice est au moins de cinq cents

L’amendement n° 5, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après les mots :

relation commerciale

insérer les mots :

, directe ou indirecte,

L’amendement n° 6, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il est mis à l’ordre du jour de la première réunion du comité mentionné à l’article L. 4611-1 du code du travail qui suit sa publication.

L’amendement n° 7, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 8, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Toute personne mentionnée au II peut demander au juge de prononcer une amende civile proportionnée au chiffre d’affaires du groupe auquel appartient la société n’ayant pas respecté les obligations mentionnées au I.