PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dépôt d’un avis

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Thierry Santa, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par lettre en date du 19 janvier 2016, l’avis formulé par le congrès de la Nouvelle-Calédonie au cours de sa séance publique du mercredi 13 janvier 2016 sur la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (n° 226, 2015-2016).

Ce document a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

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Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

Suite de la discussion d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

 
 
 

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chacun en a bien conscience aujourd’hui, l’évolution de la biodiversité est extrêmement préoccupante partout dans le monde. Son état est en particulier alarmant en France, que la variété de ses territoires métropolitains et ultramarins place au huitième rang des pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées.

Notre responsabilité est donc colossale. Il nous faut agir. C’est cette nécessité que veut traduire en politiques publiques le présent texte. Pour une large part, il transpose en droit français le droit international de défense de la biodiversité autour de son institution opérationnelle : l’Agence française pour la biodiversité, évoquée par Chantal Jouanno. Je me concentrerai donc sur les principes fondamentaux et l’architecture générale de la gouvernance, autrement dit sur les titres I et II.

Sans remettre en cause notre droit, les principes fondamentaux sanctionnent une différence d’approche, plus dynamique. Une définition de la biodiversité dérivée de celle de la convention sur la diversité biologique de 1992 entre ainsi dans le code de l’environnement. Intégrant la relation des êtres vivants à leurs écosystèmes, elle est moins statique. Nous saluons aussi la transposition du triptyque « éviter-réduire-compenser », prolongement opérationnel de l’action préventive.

Toutefois, l’avancée la plus importante est sans doute l’introduction de la complémentarité entre l’environnement, l’agriculture et la sylviculture pour obtenir un résultat significatif et pérenne. On ne peut continuer à opposer défense de la nature et exploitation économique des ressources naturelles : c’est bien là que réside le principal défi à relever.

C’est donc un changement profond de culture dans les deux sens du terme qu’il nous faut amorcer. Il existe ainsi des méthodes agricoles innovantes, telles que les méthodes promues dans mon département, la Vendée, par des associations comme l’ADAP, association pour la promotion d’une agriculture durable. Celle-ci développe des techniques de semis directs sous couvert végétal pour cultiver sans travailler le sol et en stockant du carbone.

Quant à la refonte de la gouvernance du système, elle va dans le bon sens, celui de la clarification de l’objectif consistant à défendre la biodiversité dans son ensemble et celui d’une simplification des structures.

Le groupe UDI-UC a déposé des amendements visant à améliorer la représentation des agents économiques et à valoriser la mutation de leur activité, car c’est bien au sein des instances de gouvernance que doit se concrétiser la collaboration de tous les acteurs dédiés à la défense de la biodiversité dont font partie les agriculteurs. Grâce à Jérôme Bignon, dont je salue l’investissement, toutes les catégories d’acteurs concernés sont bien représentées au sein du Comité national de la biodiversité, le « parlement » qui fixe les grandes orientations. Néanmoins, soyons lucides, c’est l’AFB, véritable exécutif, qui devrait être étoffée. Les objectifs devront prendre en compte la complexité et le pragmatisme des actions à mettre en œuvre localement, ce dont, dans les marais vendéens par exemple, nous sommes des témoins privilégiés.

Le réchauffement climatique aide des espèces exotiques invasives importées à se développer au détriment de tout l’écosystème. C’est le cas de plantes aquatiques envahissantes comme la jussie et le myriophylle du Brésil. Des actions d’arrachages tentent de réduire leur taux de recouvrement, mais le prix à payer est exponentiel. De ce fait, rien d’équivalent n’est mis en œuvre contre des plantes terrestres comparables, telles le baccharis. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, il faudrait que l’ensemble des plantes exotiques envahissantes soit interdit à la vente. Madame la ministre, est-ce bien le cas ?

Côté faune, même constat ! Si les acteurs locaux luttent contre les rongeurs aquatiques nuisibles, ragondins et rats musqués sur leur territoire, c’est à leurs frais, vu qu’aucune subvention n’est accordée alors que cette action est indispensable pour la préservation des espèces autochtones. L’AFB suppléera-t-elle à cette carence ?

De même, l’écrevisse de Louisiane ruine la biodiversité des marais : propriétaires et associations se heurtent à une réglementation de plus en plus drastique pour intervenir.

Nous soutenons ce texte et espérons qu’il bénéficiera de l’accompagnement réglementaire et financier nécessaire à son déploiement opérationnel sur les territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, un fascicule vient de vous être distribué. Il illustre très bien les thèmes qui seront abordés lors de nos débats. Le ministère avait déjà réalisé un tel fascicule pédagogique lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. Gérard Longuet. Cette fois-ci, il y a des images. C’est mieux ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en décembre, les 195 pays réunis à Paris par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères ont fait de la COP 21 un grand succès en reconnaissant, enfin, collectivement, la réalité du réchauffement climatique et des dérèglements liés à l’activité humaine et en se fixant par accord un objectif de limitation du réchauffement mondial entre 1,5 et 2 degrés d’ici à 2100.

C’est en cela que l’accord de la COP 21 est d’une importance capitale. Il signifie que plus aucun des 195 pays signataires ne nie encore la réalité : le dérèglement climatique et la grave dégradation de notre environnement existent ; ils sont le fait de l’activité humaine. À nous d’en tirer désormais les conséquences.

Ce texte nous encourage et nous engage. Il n’est que le début d’un travail colossal que nous avons l’obligation de mener constamment et de faire aboutir. Il est une base solide qui justifie les efforts que nous devrons poursuivre pour réduire nos impacts sur l’environnement. Il doit surtout nous servir à approfondir, avec une véritable résolution, notre réflexion sur la nécessaire redéfinition de nos modèles de développement et de progrès économique et social.

Cela signifie que nous devons collectivement changer, que nous devons prendre des mesures fortes et être exigeants avec nous-mêmes. Car entretenir l’espoir d’une possible réduction de nos émissions et de nos pollutions sans amender nos comportements et les normes sociales tendant à envisager l’accomplissement humain et social des individus en fonction de leur niveau de consommation reviendrait à nous bercer d’illusions ! Une telle réduction suppose aussi de sortir du raisonnement, encore très prégnant, d’après lequel les exigences environnementales et sanitaires constituent un frein à l’activité économique.

Notre première responsabilité est dès lors de prendre la pleine mesure des coûts occasionnés pour la collectivité par la dégradation de notre environnement. Rappelons-nous qu’une étude scientifique intitulée Le coût de l’inaction politique, présentée en 2008 à la conférence des Nations unies de Bonn, estimait entre 1 350 et 3 100 milliards d’euros le coût annuel de l’érosion de la biodiversité à l’échelle mondiale. Non seulement notre modèle de développement économique et industriel détruit chaque jour davantage notre planète de manière irréversible, mais encore nous coûte-t-il très cher.

Lorsqu’une activité est envisagée économiquement, la norme est de ne considérer que les coûts directs supportés par les entrepreneurs privés, en comparaison avec les revenus qu’ils en tirent. Les externalités négatives sont quant à elles systématiquement écartées. C’est pourtant la société qui partage les coûts induits de la pollution de l’eau, de l’air et des sols, des émissions de gaz à effets de serre et des atteintes multiples à la biodiversité occasionnés par l’agriculture intensive, la surexploitation des ressources halieutiques ou forestières, la production d’énergie carbonée. Ces coûts induits vont des travaux de dépollution aux dépenses de santé, en passant par la dégradation consécutive de l’attractivité de nos territoires.

L’accumulation consécutive des normes environnementales, dont se plaignent notamment bon nombre de nos agriculteurs, est une vraie problématique. Je pense aux réglementations anti-nitrates ou aux conditions d’utilisation et d’épandage de pesticides de plus en plus strictes. Nous devons entendre la détresse de ceux qui sont obligés de composer avec des contraintes toujours plus dures à assumer, malgré un travail très difficile et dont la rémunération ne reflète pas nécessairement le haut degré d’investissement.

Pourtant, devant ces constats, notre responsabilité est justement d’accepter de prendre conscience que l’accumulation des contraintes est d’abord la conséquence de pratiques parfois déraisonnables, que nous pourrions corriger si nous acceptions de nous y confronter réellement. Pour prendre l’exemple d’une thématique que je connais bien, le Commissariat général au développement durable a estimé dans un rapport publié en décembre 2015 que, sur les 2,2 millions de tonnes de produits phytosanitaires utilisés en 2013, deux tiers l’étaient en surdose. Une fois dépassée la dose d’intrants que la plante peut absorber, ceux-ci se dispersent dans la nature, se volatilisent dans l’air, se dissolvent dans l’eau, persistent dans les sols. Ce trop-plein coûte jusqu’à 3 milliards d’euros par an aux seuls services de l’eau potable et de l’assainissement.

Voilà des paramètres que nous devons aussi avoir en tête quand le modèle intensif est systématiquement présenté comme le moins cher par les industriels qui y ont leur intérêt et quand le projet de réduction des intrants est le plus souvent présenté comme irréaliste et naïf.

L’environnement et la biodiversité ne sont pas des notions à la mode. Ce sont des réalités que nous devons prendre en compte pour nous, nos enfants et les générations futures, ainsi que pour notre présent et notre avenir. Car un cours d’eau pollué l’est souvent de manière irréversible ; une espèce disparue ne réapparaît plus. Or nous sommes allés suffisamment loin ! La communauté scientifique parle de « sixième extinction de masse », et elle estime que la moitié des espèces vivantes que nous connaissons pourrait disparaître d’ici à un siècle. En trente ans, ce sont 420 millions d’oiseaux qui ont déjà disparu et, pratiquement chaque année depuis le début des années 2000, un nouveau record de température est dépassé sur l’ensemble du globe.

Ce projet de loi vise donc à inventer un nouveau modèle, qui nous dotera d’une riche palette d’outils en vue d’atteindre l’objectif ambitieux de renouveler les politiques publiques en faveur de la biodiversité, quarante ans après la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

La réforme de la gouvernance de la biodiversité et de la politique de l’eau, la création de l’Agence française pour la biodiversité, les mécanismes de compensation environnementale, les mesures de protection du littoral et des milieux marins, le renforcement des outils en matière de lutte contre la pollution et les infractions au droit de l’environnement, la meilleure prise en compte de la dimension paysagère dans la biodiversité : ces nombreux axes de réforme serviront les grandes valeurs ayant présidé à l’élaboration de ce projet de loi, à savoir la solidarité écologique, le principe « éviter, réduire, compenser », la mise en mouvement des territoires, la nécessité d’« innover sans piller » et la mutualisation des savoirs et des sciences participatives.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Nicole Bonnefoy. Le groupe socialiste soutiendra la vision ambitieuse de ce projet de loi au travers d’une série d’amendements visant à instaurer une action de groupe dans le domaine environnemental, à défendre la création des zones prioritaires pour la biodiversité ou encore à renforcer les dispositions au service des mesures compensatoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’aurais aimé dire quelques mots à notre collègue national-populiste – je regrette son absence –, lui qui a la gâchette si facile pour tirer sur les écologistes !

M. Jean-Louis Carrère. Vous n’êtes pas une espèce en voie de disparition ! (Sourires.)

M. Joël Labbé. Mais son intervention ne mérite pas que l’on s’y arrête, car les propos des orateurs qui m’ont précédé ont élevé le débat.

Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont la discussion commence enfin à la Haute Assemblée, fait suite au premier accord universel visant à assurer l’avenir de l’humanité, signé le 12 décembre 2015, une date historique. Il y aura donc un avant et un après !

Ce texte, à l’intitulé très COP21 compatible, si je puis dire, puisqu’il comporte la mention « pour la reconquête de la biodiversité », arrive au bon moment.

La biodiversité souffre du dérèglement climatique et elle est en même temps indispensable pour remédier à ce problème. Aussi, ce sont de bons signes que nous devons adresser à nos concitoyens. En effet, nous sommes en situation d’urgence environnementale !

Ce projet de loi a connu quelques avancées à l'Assemblée nationale et quelques reculs ici l’été dernier en commission (M. le président de la commission s’exclame.), mais c’était avant l’accord intervenu lors de la COP21 !

Je tiens à relayer les propos de ma collègue Marie-Christine Blandin, qui suit ces questions depuis de nombreuses années : « Du Grenelle de l’environnement était sorti un consensus qui malheureusement n’avait pas été repris complètement par le Gouvernement de l’époque. Un point en revanche n’était pas acquis : la création d’une Agence pour la biodiversité. C’est chose faite aujourd’hui, et nous nous en félicitons. Un petit bémol cependant, avec l’absence de l’ONCFS dans cette agence.

« Les écologistes seront très attentifs à l’article 18, sur les questions relatives à l’accès et au partage des avantages. Cet article apporte quelques avancées que nous saluons, mais nous dénombrons également des reculs, notamment sur les méthodes permettant de mieux associer les communautés d’habitants. »

Permettez-moi maintenant d’évoquer les sujets qui me préoccupent dans ce texte : l’interdiction des brevets sur le vivant ; la suspension des cultures issues de mutagenèse pour insuffisance d’évaluation préalable ; la question de l’étiquetage des huîtres nées en mer ou en écloseries. Je défendrai par ailleurs un amendement, qui peut paraître anecdotique, relatif à l’énergie animale et à la reconnaissance du statut de meneur territorial, un amendement issu de la consultation citoyenne dont je parlerai ultérieurement s’il me reste un peu de temps.

J’insisterai aussi sur la question des pesticides néonicotinoïdes qui me tient à cœur et dont nous avons débattu au mois de février dernier lors de l’examen d’une proposition de résolution que j’avais défendue avec force, et qui restera dans l’histoire. Depuis lors, de nouvelles études ont confirmé les conclusions que j’avais exposées : ces pesticides systémiques sont de puissants neurotoxiques qui touchent gravement non seulement les abeilles, mais aussi l’ensemble des pollinisateurs, des insectes, des oiseaux insectivores, des vers de terre, des invertébrés aquatiques ; ils ont des effets sur la faune et la flore microbienne du sol. Cela fait beaucoup !

Quand on apprend que, dans une seule poignée de terre végétale, il y a plus d’organismes vivants que d’êtres humains sur la planète, on comprend mieux cette phrase simple : « La vie fait le sol, et le sol fait la vie. » Et là, la chimie crée un grand désordre.

L’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, vient d’ailleurs de publier un avis très éclairant sur le sujet que je vous invite, mes chers collègues, à consulter. Mais je sais que certains d’entre vous l’ont déjà lu.

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Joël Labbé. « En l’absence de mesures de gestion adaptées, l’utilisation des néonicotinoïdes entraîne de sévères effets négatifs sur les espèces pollinisatrices » : tel est le constat rappelé par l’Agence.

J’ai évoqué précédemment la consultation citoyenne au moyen de la plateforme Parlement et Citoyens. À cet égard, je salue votre action, madame la ministre : vous avez joué le jeu, ce qui n’était pas si simple. M. le rapporteur, Jérôme Bignon, a également fait en sorte que le texte issu des travaux de la commission soit soumis à l’avis citoyen. Ainsi, nos concitoyens ont pu exprimer leur avis sur chacun des articles et ont formulé des propositions. Même si cela a été un peu compliqué, le nombre de contributions dépasse les 9 300, ce qui démontre l’intérêt que portent nos concitoyens à ce que nous faisons. Il y a une nécessité absolue de se reconnecter, et cette plateforme est l’un des outils modernes susceptibles d’assurer cette reconnexion entre les citoyens et les politiques que nous sommes.

Cela étant, la position du groupe écologiste dépendra évidemment du texte qui résultera de nos travaux. Mais après tout ce que j’ai entendu et comme je suis une personne optimiste, j’espère bien que nous le pourrons le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier Jérôme Bignon de son rapport remarquable ; il a beaucoup travaillé sur ce sujet.

Bien sûr, il y a urgence pour la biodiversité et urgence pour l’homme, car nos sociétés se sont construites et subsistent grâce aux services rendus par la nature, une nature que nous menaçons.

Selon une étude récente de la revue britannique Nature, modifier plus de 50 % de la surface du globe provoquerait un effondrement des écosystèmes dont les conséquences sont incalculables pour nos conditions de vie. Or le taux actuel s’élève à 43 %. Il faut donc agir !

À ce stade du débat, beaucoup de choses ont déjà été dites, et bien dites. Mais je ne peux m’empêcher de revenir sur un point qui a été souligné précédemment. Il y a encore actuellement des discussions un peu trop politiques, et nous n’avons certainement pas, il est vrai, suffisamment tenu compte des avis exprimés depuis de nombreuses années par les scientifiques.

Voilà vingt-cinq ans que Hubert Reeves – il apparaît dans le petit fascicule qui nous a été remis en tant que parrain de la mission de préfiguration et de la future Agence française pour la biodiversité – parcourt le monde entier, la France – et le Gers ! (Sourires.) – pour essayer sans relâche de nous faire prendre conscience de la situation. Comment concevoir que cette prise de conscience ait été aussi difficile, alors que les hommes ne pourront pas quitter cette planète demain matin ou en trouver une autre dans un temps compatible avec l’état de celle-ci ? Aussi, il est nécessaire de prendre conscience que nous sommes interdépendants pour y sauvegarder la vie.

Mais j’en reviens au texte qui nous est soumis.

Je veux le souligner, le renforcement des principes de solidarité écologique et de compensation est un point positif.

Par ailleurs, l’introduction du préjudice écologique par la commission du développement durable et son inscription dans le code civil fondent le principe de la responsabilité pour atteinte à l’environnement et la réparation des dommages qui lui sont causés.

La création de l’obligation réelle environnementale constitue une réponse pragmatique aux contraintes financières qui s’imposent à toute personne publique ou privée souhaitant agir en faveur de la biodiversité sur un terrain qui ne lui appartiendrait pas.

Certes, je pourrais vous faire part d’un certain nombre de points sur lesquels les membres du groupe du RDSE ont débattu ce matin en commission, mais la majeure partie d’entre eux suivra l’examen de ce texte avec attention et, j’en suis certain, le votera.

En effet, ce projet de loi, qui comporte un train de mesures, est indispensable. À cet égard, permettez-moi, madame la ministre, de revenir sur vos propos concernant l’engagement des territoires au travers de l’expérimentation dans les territoires à énergie positive pour la croissance verte.

Il faut que la future Agence française pour la biodiversité fonctionne au plus près du terrain. Comme vous l’avez souligné, c’est sur le terrain qu’auront lieu les actes concrets, auxquels nos concitoyens participeront. C’est ainsi que nous avancerons sur ce sujet essentiel.

Il importe aussi de traiter la question préoccupante des pesticides néonicotinoïdes, dont l’incidence sur les abeilles est scientifiquement avérée. Pouvons-nous encore invoquer notre incompétence juridique pour ne pas agir, alors que le principe d’action préventive figure dans le titre Ier du projet de loi ? Madame la ministre, il faut intervenir auprès de nos partenaires européens pour obtenir une interdiction ou, à tout le moins, un moratoire.

Enfin, le titre VI de ce texte renforce la prise en compte des paysages dans les politiques d’aménagement du territoire et introduit des objectifs de qualité paysagère dans les SCOT, les schémas de cohérence territoriale. C’est un encouragement pour les territoires, comme le mien, qui se sont volontairement engagés dans la réalisation d’un plan de paysage.

Mes chers collègues, notre responsabilité est grande. Dans le prolongement du Grenelle de l’environnement, de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et de la COP21, la future loi constituera une étape décisive et indispensable en vue de réduire les pressions que nous exerçons sur la biosphère qui héberge notre vie.

À cet égard, permettez-moi de citer l’une des phrases que répète souvent Hubert Reeves, président d’honneur de l’association Humanité et Biodiversité, que j’ai eu l’honneur d’accueillir à de nombreuses reprises dans ma ville dans le cadre d’un festival qui a pris, grâce à lui, une dimension européenne : « La biodiversité nous concerne au premier chef, car la biodiversité c’est nous, nous et tout ce qui vit sur Terre. » Soyons-en conscients, nous sommes dépendants de la biodiversité !

C’est avec beaucoup d’attention que nous suivrons le sort réservé à la centaine d’amendements que nous présenterons. Mais, comme je l’ai souligné dans mon propos introductif, nous ne pouvons pas ne pas parvenir à un consensus : la politique doit aujourd'hui laisser place à la responsabilité. Nous devons faire en sorte que perdure la vie de notre espèce sur Terre.

Enfin, je salue le travail de tous les scientifiques qui se battent depuis de nombreuses années pour l’humanité et qui se sont largement fait les porte-parole de votre initiative, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous entamons la discussion risque, faute d’avoir fait l’objet d’un dialogue constructif, apaisé et fructueux entre tous les utilisateurs de la nature et les défenseurs de la biodiversité, d’aboutir à un formidable rendez-vous manqué, en particulier avec les chasseurs et les pêcheurs.

À plusieurs reprises, les rapporteurs et Mme la ministre ont affirmé, à juste titre, qu’il ne s’agissait pas d’un projet de loi relatif à la chasse et à la pêche. Seulement, à la faveur d’amendements déposés tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, certains parlementaires ont nettement voulu en faire un projet de loi attaquant principalement l’exercice de la chasse (M. Ronan Dantec s’exclame.), telle qu’elle est pratiquée actuellement, avec ses particularismes locaux, au nom d’arguments trahissant une méconnaissance totale de la réalité de terrain. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

À la vérité, les chasseurs sont des acteurs essentiels de la biodiversité. D’ailleurs, dans un entretien en date du 20 octobre dernier, le Président de la République a reconnu qu’ils étaient « parfois déçus du manque de compréhension qu’ils peuvent rencontrer », alors qu’ils « entretiennent la flore et protègent la faune ». Songeons, mes chers collègues, aux zones humides : sans les chasseurs, il y a bien longtemps qu’elles auraient été réduites dans notre pays. Et n’oublions pas que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, finance la quasi-totalité de la répression du braconnage, preuve que, n’en déplaise à M. Dantec, les chasseurs s’imposent des contraintes !

La priorité doit être, ainsi que le Président de la République l’a confirmé, de renforcer l’activité cynégétique, qui représente 3,6 milliards d’euros par an, 26 000 emplois et 75 millions d’heures de bénévolat chaque année et qui doit être considérée comme l’un des atouts pour le développement diversifié de nos territoires ruraux. Au demeurant, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement a émis un avis favorable sur l’amendement, cosigné par quatre-vingt-quatre sénateurs, visant à supprimer la baisse du plafond des redevances cynégétiques affectées à l’ONCFS, un amendement que le Sénat a adopté à l’unanimité.

En commission, les sénateurs du groupe d’études Chasse et pêche, que j’ai l’honneur de présider, ont présenté des amendements défensifs tendant à revenir sur les interdictions, décidées par l’Assemblée nationale, de la chasse à la glu et de la chasse des mammifères en période de reproduction. Je remercie mes collègues de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable qui, dans leur sagesse, ont adopté ces amendements défensifs et supprimé les mesures d’« agression » – notez bien les guillemets – adoptées par l’Assemblée nationale.

À écouter les orateurs précédents, on avait parfois l’impression que la chasse à la glu était l’élément central de ce projet de loi relatif à la biodiversité… (M. Ronan Dantec s’exclame.) C’est bien ce que vous avez dit, monsieur Dantec, et vous n’avez pas été le seul ! Or, je le répète, cette chasse locale est abordée sur le fondement de désinformations notoires.

Mes chers collègues, il faut bien mesurer que, à force d’être mis en cause en permanence (M. Ronan Dantec s’exclame de nouveau.), les chasseurs sont devenus extrêmement méfiants et dubitatifs à l’égard de toutes les initiatives, pourtant parfois louables, dont ils craignent qu’elles ne les diluent au sein d’organismes incontrôlables, avec, à la clé, une restriction considérable des temps de chasse.

Nous avons également déposé des amendements offensifs, visant à faire ressortir le rôle joué par les chasseurs et les pêcheurs dans le fonctionnement de la nature. Aussi bien, je suis de ceux qui considèrent que l’espèce humaine en tant que telle fait partie intégrante de la biodiversité : je ne crois pas, comme certains opposants à la chasse, que la nature soit un sanctuaire réservé à la faune et à la flore dans lequel l’activité humaine n’aurait pas sa place. Madame Primas, je vous remercie de l’avoir bien souligné : les chasseurs sont la première vigie de la biodiversité ! C’est pourquoi nous insistons pour que les principes d’usage et d’utilisation durable de la nature soient retenus et que, à l’inverse, le principe de non-régression écologique soit repoussé.

Nous défendrons également des amendements tendant à maintenir l’indépendance des organismes représentant les chasseurs. Nombre d’orateurs ont dit regretter que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ne soit pas intégré dans l’Agence française pour la biodiversité. Je leur rappelle que cet office représente 1,2 million de pratiquants et que la chasse est une filière à part entière, au même titre que les filières agricole et forestière. Il est donc logique que l’ONCFS, qui, du reste, réalise nombre d’études techniques commandées par le ministère de l’environnement, conserve son intégrité et son indépendance, tout en concluant, comme Mme la ministre l’a signalé, une convention avec l’Agence française pour la biodiversité. Nous ne voulons pas que cette indépendance soit peu à peu grignotée au profit d’une vaste agence dans laquelle les chasseurs seraient dilués !

Madame la ministre, mes chers collègues, dans la discussion qui s’engage, j’espère que chacun pourra faire valoir son point de vue dans un climat apaisé. Je souhaite aussi que les arguments des chasseurs et des pêcheurs, qui sont des prédateurs entrant dans un cycle naturel, soient entendus, car je pense que les uns et les autres, chasseurs comme opposants à la chasse, ont tout intérêt à ce que le projet de loi soit voté de manière consensuelle. En vérité, la défense de la biodiversité mérite mieux qu’un combat dogmatique contre des activités naturelles et millénaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)