M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le logement est au cœur des préoccupations des salariés et d’un très grand nombre de nos concitoyens.

Ce projet de loi, relatif aux modes de financement de l’effort de construction, aurait donc mérité davantage qu’une simple habilitation législative. Ce sujet n’est pas nouveau : la première mouture, présentée lors de l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Au moment où le Gouvernement utilise l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter le projet de loi « travail », nous ne pouvons que nous opposer à ces pratiques antiparlementaires.

Sur le fond également, ces dispositions posent de nombreuses questions.

Notons d’abord qu’elles traduisent fidèlement les préconisations du livre blanc publié par le MEDEF en janvier 2015. Il s’agit ainsi de parachever la réforme engagée par la loi Boutin de 2009, qui a déjà conduit à réduire très fortement le nombre de CIL, passés de cent vingt-cinq en 2009 à vingt en 2012. La nouvelle entité unique s’appuiera donc demain sur treize délégations régionales – sans compter les CRAL, comme vous l’avez dit, madame la rapporteur –, en lieu et place des vingt CIL. La logique de concentration, conforme à la loi NOTRe, est ainsi appliquée au réseau des collecteurs du « 1 % logement ».

Le lien logement-territoire, c’est-à-dire l’exigence de proximité entre logement et lieu de travail des salariés, essentielle à nos yeux, ainsi que la complémentarité entre l’ensemble des acteurs du logement social, sont ainsi rompus. Cela ne manquera pas, d’ailleurs, de provoquer des difficultés concernant le contrôle des fraudes éventuelles. La proximité est en effet le meilleur gage de la réussite de la collecte. La vraie question, selon nous, est celle du maillage du territoire.

Le risque est grand, avec cette nouvelle réforme, de voir les inégalités se creuser entre les régions, voire les départements. À rebours de ce qu’a dit Mme la ministre, nous ne pensons pas que tous les territoires en sortiront gagnants.

Au-delà de la volonté affichée de rationalisation, la centralisation opérée illustre la maîtrise par l’État de cette manne financière, qui masque un réel désengagement. Il ne s’agit pas d’une petite question, puisque les ressources d’Action logement représentent près de 4 milliards d’euros, dont plus de 1,5 milliard d’euros pour la seule collecte annuelle.

Madame la ministre, vous justifiez cette réforme en avançant l’idée que l’organisation de la collecte serait défectueuse, puisqu’elle conduirait à des excédents inutilisés au sein des différents CIL. À l’inverse, et précisément, ces excédents nous paraissent démontrer que la collecte est une réussite. Elle ne permet cependant pas de construire suffisamment de logements pour les salariés de notre pays. Au lieu d’en revoir les modalités, nous devrions poser la question de sa finalité ; mais tel n’est sans doute pas le but du présent projet de loi.

Si, pour l’instant, il est annoncé que l’ensemble des personnels et actifs des CIL devraient être repris dans la nouvelle structure – nous l’espérons –, le futur nous éclairera sur la concrétisation de ces annonces. L’exigence d’optimisation des coûts, que vous avez évoquée, madame la ministre, nous fait craindre qu’une telle concrétisation ne soit difficile.

Nous passons de la notion de réseau à la notion de groupe. Or la richesse d’Action logement, c’est justement son réseau. Vous confondez, madame la ministre, nécessaire mutualisation sur l’ensemble du territoire national et lourde centralisation. Celle-ci n’est pas adéquate aux véritables missions d’Action logement.

Nous n’avons rien contre la simplification, mais nous sommes dubitatifs devant la création de ces structures géantes, qui seront propriétaires de l’ensemble du patrimoine immobilier. Il s’agit en effet de fonder le premier groupe du logement en France, propriétaire d’un patrimoine de 900 000 logements. Plusieurs conseils d’administration de CIL ont voté une motion dénonçant les modalités de cette réforme. L’USH, l’Union sociale pour l’habitat, est également réticente face à ce montage.

La capitalisation des ESH par la structure immobilière soulève des questions de compatibilité au regard de la réglementation européenne ; elle pourrait être caractérisée comme une aide de l’État. Plus grave, elle ouvre la voie à l’abandon de nombreuses structures, puisque la vision nationale ne permettra pas de prendre en compte les spécificités locales.

Alors même que, d’ores et déjà, le financement de la politique du logement repose avant tout sur le « 1 % », nous craignons de voir s’édifier un nouveau dispositif de déstabilisation du modèle économique du logement social dans notre pays.

Dernier point : la mise en place de la garantie locative VISALE. Il s’agit certes d’une avancée, mais nous regrettons l’abandon de la GUL, la garantie universelle des loyers, mise en place par Cécile Duflot. En effet, le mode de financement de VISALE est très différent et reposera, une nouvelle fois, sur le « 1 % logement ».

Par ailleurs, le caractère non universel de ce mécanisme est à déplorer. Nous prônons une véritable sécurité sociale du logement, comme le demande d’ailleurs la Confédération nationale du logement.

S’agissant du « 1 % », nous avons d’autres pistes de réforme. Elles permettraient de dégager plus d’argent et de construire plus de logements adaptés à la diversité du monde des salariés. Elles seraient également de nature à favoriser la création d’emplois.

Il faut rétablir ce prélèvement à 1 %, contre 0,45 % actuellement, et permettre sa collecte à partir de dix salariés, et non de vingt, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous demandons également que l’ensemble des salariés bénéficie du dispositif.

Par ailleurs, nous estimons qu’il faut cesser de faire financer par le 1 % l’ensemble de la politique du logement et de la politique de la ville. En effet, Action logement finance 93 % du nouveau programme de renouvellement urbain, qui dépend de l’ANRU. Elle finance également l’ANAH, sans compter sa contribution au financement des aides personnalisées au logement, les APL !

Aujourd’hui, Action logement et les bailleurs sociaux sont les acteurs majeurs de la politique publique et sociale du logement. Pour preuve, leurs contributions s’élèvent à 1 milliard d’euros, alors que celle de l’État n’est que de 250 millions d’euros pour l’aide à la pierre. Et la part de l’État se concentre depuis de nombreuses années sur la mise en œuvre de niches fiscales dont vous avez d’ailleurs annoncé la prolongation. Est-ce cela l’urgence ? Est-ce cela la priorité aujourd’hui, madame la ministre ?

Dans le cadre de la réforme, les organisations syndicales demandent la mise en œuvre d’un réel paritarisme, d’une démocratie sociale permettant un véritable pouvoir d’intervention dans les territoires et la gouvernance des ESH. Elles demandent également un véritable statut de l’administrateur, afin de permettre aux futurs mandatés d’assumer pleinement leurs missions. Allez-vous les entendre ?

Les ordonnances prises devront tenir compte de ces exigences, ainsi que de celle d’une présence territoriale forte, en lien étroit avec les élus locaux.

Vous l’avez compris, à nos yeux, ce projet de loi n’apporte pas les outils pour répondre à la crise du logement. Pis, le recours aux ordonnances et la centralisation excessive de la collecte, du financement et de la construction privent le Parlement de son pouvoir législatif et détournent Action logement de sa mission au service des salariés et des territoires. Sincèrement, nous ne pourrons pas voter ce texte, car nous ne croyons pas à son efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC).

M. Philippe Dallier. C’est bien dommage !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’idée de rationaliser et de simplifier la collecte des participations des employeurs au financement du logement de leurs employés, alias le « 1 % logement », n’a rien de choquant, même si l’usage le plus fréquent des « rationalisations et simplifications complexifiantes » m’a rendu méfiant quant à ce genre d’exercice ! D’ailleurs, rien que le titre du texte a de quoi inquiéter ! (Mme la rapporteur sourit.)

En l’espèce, la concurrence entre les CIL pour la collecte de la PEEC, avec les frais de fonctionnement que cela engendre – 320 millions d’euros, selon la Cour de comptes –, alors qu’il s’agit de cotisations obligatoires, semble appeler une restructuration du dispositif.

Cela posé, pourquoi procéder par ordonnances, et non par la voie législative normale ? Comme ce point a été soulevé tout à l’heure, je précise ne soutenir aucun candidat à l’élection présidentielle qui serait amateur déclaré ou secret du gouvernement par la bureaucratie ! (M. Roger Karoutchi s’exclame.)

Il faudrait, nous dit-on pour justifier une telle procédure, agir rapidement dans un domaine hautement technique, où les intervenants sont nombreux et où il faut l’accord des partenaires sociaux.

Il s’agirait seulement de renouveler une habilitation acquise avec la loi Rebsamen de 2015, mais censurée pour cause de cavalier par le Conseil constitutionnel, qui ne pouvait pas laisser passer une telle entorse compte tenu de sa sensibilité bien connue aux problèmes majeurs de constitutionnalité… (Sourires.)

Mais, même si ces arguments ne me convainquent pas totalement, j’avoue que rien ne s’oppose non plus à suivre la voie des ordonnances, au vu de l’accord semblant exister entre l’État et les partenaires sociaux et de la création, à l’alinéa 7 de l’article 1er, d’un comité consultatif chargé d’associer tous ces partenaires.

Surtout, si j’ai bien lu, l’article 4 prévoit la ratification des ordonnances devant le Parlement sous trois mois à compter de la publication de chacune. Il sera alors facile – mes collègues l’ont fait observer – de contrôler le travail des bureaux et, si nécessaire, de modifier le texte.

Restent deux interrogations.

La première n’a, me semble-t-il, pas vraiment été évoquée. Elle concerne le traitement qui sera réservé au personnel des CIL locaux. Ceux-ci risquent de se retrouver sans emploi du jour au lendemain.

La seconde a été longuement exposée. Elle porte sur un problème essentiel : la garantie de l’équité territoriale de la gestion des participations du nouvel organe dans les organismes d’HLM et assimilés.

En effet, si la centralisation de la perception des cotisations ne pose pas de problème particulier, il en va autrement de la gestion de participations jusque-là décentralisée. L’éloignement de l’organisme central et de ses gestionnaires des besoins provinciaux risque de pénaliser la France « ultra Île-de-France » – l’Île-de-France a incontestablement de véritables besoins en matière de logement !

M. Philippe Dallier. Merci de le reconnaître !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est bien cela qui est inquiétant ! S’il n’y avait pas de tels besoins, on pourrait se défendre. Mais là, cela risque d’être difficile… Si je me souviens bien, à l’origine, le principal objectif de la création du Grand Paris était précisément de régler le problème du logement !

M. Philippe Dallier. Ce n’est pas encore fait !

M. Pierre-Yves Collombat. J’allais le dire, mon cher collègue !

M. Roger Karoutchi. Nous avons la structure, mais il manque encore le contenu !

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, vous nous avez indiqué qu’il serait tenu compte de ces différents éléments et des besoins des territoires.

Certes, j’ai bien entendu que les CRAL permettraient d’exprimer ces besoins. Mais, compte tenu du caractère limité des crédits, il faudra bien procéder à des arbitrages. Et c’est dans ce détail que le diable risque de se nicher !

« Loin des yeux, loin du cœur », dit l’adage ; mais loin aussi, et l’adage ne le dit pas, des pouvoirs et des lobbys les plus influents !

La suggestion de Mme la rapporteur, qui consiste à prévoir la présence des collectivités locales, les régions et les départements notamment, dans le comité consultatif, pourrait constituer une réponse, à condition que la représentativité de tous les territoires soit véritablement garantie. Je souscris à ce qui a été indiqué tout à l’heure : tous les territoires, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux, sont concernés.

Malgré ces interrogations, j’apporte le soutien du RDSE à la présente demande d’habilitation, la présomption de bonne volonté du Gouvernement dans cette affaire nous paraissant devoir l’emporter sur les doutes. Rendez-vous à la séance de ratification, madame la ministre ; nous saurons si notre confiance a été bien placée ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme Valérie Létard, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est toujours un véritable plaisir d’entendre l’analyse fine de Mme la rapporteur Valérie Létard, notamment, mais pas seulement, sur le logement. Elle a un vrai regard social sur ce type de sujets.

Je salue également Marie-Noëlle Lienemann, qui bénéficie aussi d’une forte expérience en la matière, ainsi que notre collègue Dominique Estrosi Sassone, sur les travées de la droite.

Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Heureusement qu’il y a les femmes !

M. Joël Labbé. Voilà un dossier sur lequel nous pouvons trouver des convergences politiques transpartisanes !

Madame la ministre, cela ne vous surprendra pas, nous, les parlementaires écolos, ne sommes pas forcément adeptes des ordonnances !

Je n’irai pas aussi loin que M. le président de la commission des affaires économiques, qui a parlé tout à l’heure de « précipitation ». Comme Mme la ministre l’a rappelé, le texte a été conçu en lien direct et étroit avec les partenaires sociaux, et il y a urgence à agir. En outre, le caractère très technique des modifications à apporter peut aussi justifier le recours à des ordonnances.

Madame la ministre, je sais que vous aurez à cœur d’associer notre assemblée aux travaux. Malgré certaines divergences politiques profondes de vue entre nous, le Sénat jouit d’une réputation importante lorsqu’il s’agit d’expertise locale, pour le logement comme pour d’autres domaines.

L’habilitation que vous sollicitez porte sur une réforme qui est évidemment nécessaire et participe au mouvement de fond engagé depuis plusieurs années sous l’impulsion du Président de la République, intitulé sobrement « choc de simplification ». Si la sémantique est certainement mal adaptée, le consensus autour de la simplification est, lui, bien réel.

La multiplication des interlocuteurs et des organismes constitue évidemment un frein et une source de confusion, voire, dans certains cas, de concurrence entre les organismes concernés. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder le tableau comparatif de l’organisation actuelle d’Action logement et de son organisation future qui nous a été communiqué.

La poursuite des économies de fonctionnement, lorsqu’elles sont raisonnables et ne se traduisent pas simplement par des suppressions de postes, est louable en période de contraction budgétaire et de maîtrise des déficits publics.

Les maîtres mots de cette réforme sont la rationalisation, la transparence, la lisibilité et l’équité. Espérons que vous atteindrez la totalité de ces objectifs et que les principes de péréquation et de solidarité entre les territoires s’appliqueront pleinement.

Il est aussi primordial de rassurer les quelque 4 000 salariés concernés par cette réforme, car ils sont confrontés à une grande incertitude pour leur avenir. Ils ont accompli leur tâche avec dévouement et responsabilité, et appliqué les réformes successives consciencieusement. Ils pensent avoir réussi à faire des économies tout en assumant de plus en plus de compétences. Ils craignent aujourd’hui de devenir les oubliés d’une réforme qui est pourtant ambitieuse. Pouvez-vous leur apporter ici des éléments de nature à les rassurer, madame la ministre ?

La tâche est immense. La crise du logement, qui perdure, n’est pas nouvelle. Même si quelques signes heureux d’amélioration apparaissent, elle reste toujours aussi profonde.

Si la création d’un organisme paritaire chargé de définir les orientations du dispositif d’ensemble et de piloter et de contrôler les structures qui le composent est une bonne chose, cette nouvelle réforme ne doit surtout pas aboutir à une recentralisation des décisions. Ainsi que cela a été souligné, nous devons, certes, veiller à ce que nos réglementations répondent à un niveau d’exigence élevé, mais celles-ci doivent aussi tenir compte des spécificités des régions et des particularismes des territoires, notamment ruraux.

Nous serons vigilants sur le volet territorial et, même s’il faut toujours faire attention aux clichés, sur le rôle de ce que l’on appelle la « technocratie parisienne ». Ce sont les politiques qui doivent décider de la politique à mener, la technocratie étant là pour l’exécuter.

Madame la ministre, comme c’est la première fois que vous êtes au banc du Gouvernement pour défendre un projet de loi, je souhaite attirer votre attention sur quelques problématiques particulières.

Dans le Morbihan, nous sommes confrontés à des difficultés d’application de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, qui est une excellente loi ! Cela concerne notamment les logements sociaux. Certaines communes pourtant volontaristes, dont la population se situe juste au-dessus du seuil des 3 500 habitants, se retrouvent en situation de carence bien malgré elles. Je pense notamment à des communes dont le centre-bourg représente seulement le tiers de la population. Comme elles sont contraintes, à juste titre, de ne plus construire dans les écarts, elles ont l’obligation de construire presque uniquement du logement social dans leur centre-bourg pour rattraper leur retard, alors que la demande n’est pas excessivement forte. Il faut vraiment trouver des solutions ou adapter les modes de calculs.

Je me suis rapproché de deux structures, Lorient Agglomération, dans le Morbihan, et le Club « Décentralisation et Habitat Bretagne », qui ont mené d’intéressants travaux d’analyse pour proposer des réponses. Je vous invite à les rencontrer, madame la ministre ; je crois d’ailleurs que vos services sont en contact avec eux.

Le commerce en centre-ville et la lutte contre l’artificialisation des espaces naturels et agricoles restent également des sujets fondamentaux. J’espère que les travaux en cours de notre groupe de travail sur la simplification législative du droit de l’urbanisme, de la construction et des sols nous permettront d’apporter rapidement des réponses allant dans le sens d’une véritable simplification, tout en assurant une politique cohérente d’aménagement équilibré et économe en utilisation du sol. Je le rappelle, le sol est un bien commun particulièrement précieux.

Madame la ministre, pour relever ces grands défis, vous pouvez compter sur le soutien des écologistes du Sénat qui voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Madame la ministre, après ces premières interventions, vous aurez compris combien le texte présenté par le Gouvernement soulève des difficultés au sein de l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée. Le logement en général et son financement font partie des préoccupations majeures du Sénat.

Avant toute chose, je tiens naturellement à saluer le travail de Mme la rapporteur Valérie Létard. Elle est, avec d’autres, une excellente spécialiste de la question. Le logement et la famille étant des sujets très proches, il est logique que les sénatrices s’y investissent particulièrement.

Mme la rapporteur a su prendre la mesure des propositions et, surtout, attirer notre attention et celle du Gouvernement sur les difficultés soulevées par ces réformes. Je compte bien évidemment sur elle pour être notre vigie quant à la publication et au contenu des ordonnances.

Je souhaite faire deux remarques de forme sur le présent projet de loi.

La première concerne évidemment le fait de solliciter une habilitation pour légiférer par ordonnances.

Par définition, proposer ce genre de texte, c’est demander aux parlementaires de se dessaisir de leur pouvoir de législateurs. Certes, nous votons l’habilitation et la ratification, mais les débats de fond sur les mesures législatives n’ont pas lieu. C’est largement regrettable, d’autant que ce n’est pas la première fois que ce gouvernement recourt à cette procédure dans le domaine du logement. La dernière fois, c’était en 2013. Il s’agissait d’accélérer les projets de construction. Je ne suis pas sûr que les ordonnances aient vraiment eu l’effet escompté !

Je comprends l’urgence à agir, étant donné que la fin de la législature approche, mais je suis convaincu qu’un débat serein et constructif dans les deux chambres aurait été possible dans les mêmes délais. Je me réjouis d’ailleurs que nos collègues députés aient réduit de trois mois le délai de publication des ordonnances ; cela devrait être largement suffisant.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer le calendrier de publication et de ratification des ordonnances ? La censure du Conseil constitutionnel est déjà ancienne, mais je comprends que vous vouliez imprimer votre marque au texte. En tout cas, je suis intimement convaincu que nous pourrions en reparler lors de l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui comprend aussi un volet consacré au logement.

Ma deuxième critique de forme tient à l’accumulation et au morcellement des réformes relatives au logement depuis quatre ans.

Nous avons examiné à deux reprises la loi Duflot, puis nous avons été saisis de la loi ALUR, qui a été retouchée dans la loi Macron. Et voici que, après les ordonnances déjà évoquées, un nouveau texte vient réorganiser totalement Action logement, avant que la discussion d’une réforme importante du logement social dans le titre II du projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Avec les membres de mon groupe, je regrette que ces différentes réformes soient étudiées au coup par coup, sans vision globale.

Notre assemblée a toujours abordé ces différents textes avec beaucoup d’ouverture et de volonté. Néanmoins, un tel morcellement nuit à la compréhension des législateurs que nous sommes, mais aussi des Français eux-mêmes et de l’ensemble des acteurs publics ou privés du secteur. J’ose espérer que le découpage ne résulte pas d’une volonté délibérée du Gouvernement. Quoi qu’il en soit, madame la ministre, nous aimerions qu’un vrai bilan de l’ensemble de ces réformes puisse être présenté, tant elles ont bouleversé le paysage du secteur.

J’en viens désormais au fond du projet de loi d’habilitation.

Comme Mme la rapporteur l’a souligné, le réseau Action logement connaît aujourd’hui des difficultés de fonctionnement et les partenaires sociaux sont tombés d’accord pour lancer des changements profonds d’organisation, qui constituent le fond même du cadre des ordonnances proposées. L’examen de ce texte nous donne l’occasion de reposer un certain nombre de questions sur le logement social, en particulier sur le financement et sur l’organisation des acteurs opérationnels.

La nouvelle organisation proposée doit pouvoir améliorer le service rendu aux entreprises et aux salariés, tout en limitant les coûts et la concurrence. L’objectif est bien de faire progresser l’efficacité du « 1 % logement », mais cette efficacité ne peut être obtenue au détriment de l’équité entre les habitants et entre les territoires.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, la principale interrogation de notre Haute Assemblée concerne la prise en compte équilibrée de tous les territoires.

Ma première inquiétude tient au fait que l’on recentralise et que l’on reconcentre Action logement pour que l’argent collecté soit « mieux » piloté, c’est-à-dire piloté par l’État ! Je n’émets pas de doute sur cette gestion, mais je vous mets en garde. Cet argent doit bien être dirigé vers le logement social, et non vers d’autres secteurs qui ne seraient pas suffisamment dotés. À l’heure actuelle, les tentations sont grandes !

Par ailleurs, la recentralisation ne doit pas s’effectuer au détriment des territoires. La réforme ne doit pas accentuer encore les écarts entre les secteurs urbains ou périurbains et les secteurs ruraux, voire « hyper-ruraux » comme dirait notre collègue Alain Bertrand. Vous le savez, ces territoires connaissent des problématiques souvent similaires ; ils ne peuvent pas souffrir qu’on leur apporte des solutions différentes ou qu’on ne les prenne pas en considération.

L’un des enjeux des ordonnances sera de garantir une répartition équitable de la PEEC. Auparavant, les collectivités locales assuraient un rôle important dans les choix réalisés et la prise en compte des besoins spécifiques de leur territoire. Comment la structure faîtière pourra-t-elle garantir demain cette prise en compte, qui demande de la finesse d’analyse et une connaissance du terrain ?

Les territoires doivent être entendus. Or, alors que la désertification menace, les bourgs-centres et les villes moyennes ont le sentiment de ne pas l’être. Pourtant, ils ont plus que jamais besoin d’être accompagnés dans leurs mutations. C’est un enjeu important et le Sénat doit s’engager sur ce dossier.

En outre, le texte prévoit de mettre en place des prêts pour recapitaliser un certain nombre d’organismes. Il envisage la création d’une foncière qui prendra des participations dans de grosses sociétés de niveau national. Je ne souhaite pas que ces possibilités soient seulement accordées aux « gros » établissements et que l’État soit le seul à piloter une politique où son engagement financer est de plus en plus faible !

Le groupe UDI-UC suivra la position de Mme la rapporteur et votera en faveur du projet de loi. Néanmoins, madame la ministre, nous serons extrêmement attentifs à vos réponses et vigilants quant au contenu des ordonnances prévues. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi demande au Parlement de déléguer sa compétence pour autoriser le Gouvernement à procéder, par voie d’ordonnances, à une modification importante du dispositif de collecte et de redistribution de la PEEC.

Sur le fond, l’objectif est commun aux acteurs du dispositif. Ensemble, ils ont engagé d’importants changements dans leur édifice de gouvernance, dans un souci de rationalisation, d’économie et de transparence. Aujourd’hui, c’est le souci d’aller vers toujours plus d’efficience qui appelle la modification envisagée.

Pour autant, si nous souscrivons évidemment à cette démarche, le texte n’est pas exempt de zones à éclaircir ni de difficultés à surmonter.

Tout d’abord, le Parlement ne peut pas passer sous silence le caractère regrettable de la méthode employée ; mes différents collègues se sont exprimés sur ce point. L’habitude prise de recourir aux ordonnances s’ajoute à celle d’engager la procédure accélérée, ce qui est nature à contraindre trop largement l’expression du Parlement.

Je rappelle par ailleurs que l’urgence faisait déjà partie de l’argumentation en faveur du recours aux ordonnances dans le cadre de la loi ALUR à propos des logements intermédiaires. On sait ce qu’il en a été par la suite : l’ordonnance a été publiée un an et demi après l’adoption du texte en urgence !

J’en viens au fond. Ma principale préoccupation porte sur la prise en compte des problématiques et des spécificités locales, dans la refonte d’un dispositif dont la présentation apparaît particulièrement recentrée au niveau de l’État et des régions. C’est là que ressurgissent des inquiétudes que vous reconnaîtrez : la place des autres collectivités ; la prise en compte de la ruralité et des zones périphériques, c’est-à-dire de l’aménagement du territoire.

Il me paraît important d’insister sur la nécessité d’éviter que la répartition de la PEEC collectée ne se concentre sur les zones tendues. Il faut éviter de nourrir un cercle vicieux conduisant à toujours plus de désertification humaine et économique dans certains bassins de nos territoires.

Madame la ministre, pour apaiser une telle crainte, vous avez, je crois, invoqué la création, par l’Assemblée nationale, du comité consultatif. Il semblerait en effet que la présence des territoires soit désormais prévue au sein du comité, afin de garantir aux territoires l’expression de leurs spécificités et de leurs besoins.

Quelle forme cette structure prendra-t-elle ? Quelle forme prendra la participation des collectivités ? Quelle sera la nature réelle de son influence ? Autant de points sur lesquels il faudra apporter le plus possible de précisions, dès à présent, mais aussi tout au long de l’élaboration de l’ordonnance.

À mon sens, de telles précisions seront bien plus précieuses dans la détermination de notre choix quant à l’adoption de ce texte que la référence à l’éventuelle possibilité de ne pas ratifier les ordonnances. Soyons dès maintenant clairs et précis : nous lèverons les obstacles et nous gagnerons du temps.

Le contrôle par les collectivités territoriales est d’autant plus important que deux raisons le soutiennent.

D’une part, le contrôle de l’État prévu aujourd’hui par le texte ne saurait suffire, d’autant que ses difficultés financières le conduisent à faire porter sur d’autres la charge de politiques publiques qu’il entend pourtant continuer à déterminer. Je peux faire référence aisément aux transferts de compétences aux collectivités locales sans les moyens correspondants.

D’autre part, ce contrôle complète le dispositif des CRAL. Certes, celui-ci, qui repose sur la conclusion de conventions-cadres, doit aussi permettre l’identification des besoins des territoires. Seulement, il semble que ces conventions seront conclues par les régions et les EPCI. Aussi, le comité consultatif doit donner l’occasion à d’autres collectivités de pouvoir exprimer leurs besoins en logements ou en financement de logements.

En somme, il apparaîtrait donc que ce texte contient de réels avantages, simplifiant, comme on le prétend, un dispositif qui pourrait visiblement réaliser de nouvelles économies.

Il semblerait par ailleurs que vous entendiez donner une place aux collectivités territoriales dans le dispositif proposé, madame la ministre. Cette place est évidemment essentielle. Les collectivités locales jouent un rôle fondamental en matière de logement et elles sont tenues à certaines obligations dans ce domaine.

Ces précisions et ces engagements sont des éléments qui jouent incontestablement en faveur de l’adoption du texte. Pour autant, il ne peut pas y avoir d’ambiguïté.

Le cas échéant, cette adoption reposerait sur d’importantes réserves. Pour beaucoup d’entre nous, ces réserves sont jugées fondamentales et seront déterminantes dans les suites données à l’acceptation par le Parlement des ordonnances, sur la base de l’engagement évoqué précédemment. Il ne suffit pas d’une participation des collectivités territoriales au dispositif ; il faut que cette participation permette effectivement de défendre les besoins des territoires.

Madame la ministre, les rôles et les responsabilités sont distribués. Je vous remercie d’en prendre acte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.