M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi déposée par les sénateurs du groupe Les Républicains se fonde sur l’idée qu’il y aurait trop de normes, notamment dans les domaines de l’urbanisme et du logement, et que celles-ci constitueraient des obstacles à la volonté des élus. Ce sont bien sûr les lois SRU, littoral et ALUR qui sont visées.

Pourtant, ce qui fait obstacle à l’action publique, à nos yeux, ce n’est pas l’excès des normes, bien souvent utiles au regard de l’intérêt général, mais la pénurie de ressources liée à la baisse des dotations, en particulier, et aux politiques d’austérité. C’est d’ailleurs l’un des appels lancés par les maires de tous les horizons politiques : cessez la saignée des collectivités !

En ce qui concerne la volonté de reconnaissance de la spécificité des communes rurales qui sous-tend cette proposition de loi, nous ne pouvons que partager le constat des difficultés que rencontrent ces territoires, difficultés qui excèdent largement la thématique de la possibilité de construire des logements individuels sur les terres agricoles.

L’objet de ce texte est clair : il s’agit de faciliter le développement de lotissements en zone rurale. Or nous ne pensons pas que l’avenir et le dynamisme du monde rural passent par la création de davantage de lotissements, grands consommateurs de terres agricoles ou naturelles. D’ailleurs, M. le rapporteur a fait adopter plusieurs amendements tendant à revenir sur les aspects les plus libéraux d’une proposition de loi qui ouvre la voie à une urbanisation pas suffisamment maîtrisée. Ainsi, la référence aux dépendances, pas définie juridiquement, a été supprimée, et le caractère de « proximité » des annexes a été affirmé.

Au fond, deux problématiques sous-tendent cette proposition de loi.

La première est celle des difficultés du monde agricole et des agriculteurs. Si nous partageons l’inquiétude exprimée, nous ne pensons pas, pour autant, que la réponse réside dans la facilitation de l’urbanisation des terres : elle tient avant tout à une meilleure répartition de la plus-value entre producteurs et distributeurs, qui devrait assurer des prix rémunérateurs pour les agriculteurs.

La seconde problématique est celle de la ruralité. Nous estimons que celle-ci mérite mieux que cette proposition de loi, mieux que le droit au développement rural affirmé à l’article 1er. En effet, la notion de « ruralité » figure d’ores et déjà dans le code de l’urbanisme. Il y est d’ailleurs aussi fait référence à la revitalisation des centres ruraux, tout comme au nécessaire équilibre entre population urbaine et population rurale.

De fait, l’application des dispositions du présent texte pourrait entraîner la remise en cause du principe d’une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, milieux et paysages naturels. Nous ne pouvons souscrire à une telle orientation, sachant que l’équivalent d’un département disparaît tous les sept ans du fait de l’urbanisation non maîtrisée. Tous les syndicats agricoles nous ont maintes fois alertés, oralement et par écrit, sur ce sujet.

Dans le même esprit, nous ne pouvons approuver la proposition de supprimer l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.

Pour notre part, nous pensons que la problématique du logement en zone rurale recouvre deux questions fondamentales et prioritaires : celle de la revitalisation des centres-bourgs et celle de la constructibilité des « dents creuses », fondamentalement différente des enjeux qui sous-tendent ce texte. Le Morbihan est en première ligne sur le sujet.

Permettre la construction dans les « dents creuses », c’est non pas ouvrir de nouvelles terres à l’urbanisation, mais densifier les centres-bourgs ou les hameaux. La vision défendue reste celle d’un aménagement équilibré et d’une utilisation économe de l’espace, prenant en compte les besoins en matière de logements et de diversification des activités.

Un très grand nombre de conseils municipaux du Morbihan ont adopté des vœux, pour demander que la loi ALUR soit modifiée en ce sens. Je citerai le maire d’une commune très rurale de 1 000 habitants, située à plus de vingt kilomètres de la ville la plus proche.

M. Mathieu Darnaud. Vous appelez ça une commune très rurale ?

M. Michel Le Scouarnec. Oui, pour nous, une commune de 1 000 habitants est bien une commune rurale ! Quoi qu’il en soit, écoutez ce maire :

« Il est nécessaire d’œuvrer pour la préservation des terres agricoles, la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, objectif des lois précitées. Mais l’impossibilité d’urbaniser dans les dents creuses des hameaux remet en cause les opportunités de développer nos communes rurales, déjà peu dynamiques démographiquement. En densifiant les hameaux, on peut espérer attirer des jeunes couples, soit pour bâtir, soit pour rénover de vieilles maisons, plutôt que de les concentrer dans des lotissements géants, grands consommateurs de terres agricoles.

« Certes, il faut recentrer l’urbanisation autour de centres-bourgs disposant d’un minimum de services, mais il faut aussi tenir compte de notre habitat dispersé. Pour nos territoires ruraux, c’est une question vitale, la seule possibilité de redonner du dynamisme. »

Or la présente proposition de loi ne traite d’aucun de ces sujets. Nous affirmons qu’il est urgent de revoir les dotations, ainsi que les crédits de l’ANAH en faveur de la réhabilitation des centres-bourgs.

Plus largement, la ruralité n’est envisagée dans le texte qu’au travers d’un déficit de logements qui n’est pourtant pas toujours une réalité dans les zones rurales. On y trouve aussi, en effet, des maires bâtisseurs qui ont du mal à remplir les logements construits. C’est une problématique à prendre en compte, de même que celles de l’emploi, des équipements publics, au premier rang desquels l’école, des commerces de proximité et demain, sans doute, de la fracture numérique…

Agir pour la ruralité et le nécessaire accueil de nouvelles populations, ce n’est pas s’asseoir sur les règles d’urbanisme ; c’est mettre en œuvre des politiques publiques qui permettent l’égalité des territoires. Dans cette perspective, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen avaient soumis à la Haute Assemblée une proposition de loi tendant à rééquilibrer la répartition de la dotation globale de fonctionnement en faveur du monde rural. Hélas, elle n’a pas pu atteindre la ligne d’arrivée… (Mme la ministre rit.)

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous accordons sur les constats dressés par l’auteur de la proposition de loi. Nous savons tous que le monde rural est aujourd’hui en difficulté et connaît des problèmes de démographie et d’attractivité. Je m’étonne d’entendre proposer des solutions divergentes, voire complètement opposées. Ne pourrions-nous pas simplement considérer que le monde rural a besoin d’une forte mobilisation des élus ? J’ai même eu la surprise d’entendre certains collègues tenir des propos ne reflétant pas la réalité du territoire rural qu’ils représentent.

Je suis de ceux qui pensent que les territoires ruraux participent à l’équilibre même de notre pays. Il n’y a pas, d’un côté, des populations qui se concentrent dans des villes plus ou moins grandes, et, de l’autre, de grands oubliés de la République qui seraient dispersés sur un territoire rural mal identifié. En réalité, tous les territoires contribuent à l’équilibre de notre société.

J’entendais à l’instant l’un de nos collègues dire que les Aveyronnais étaient plus nombreux dans la capitale que dans leur département d’origine. Dans l’Orne, certaines communes comptent davantage de Franciliens que d’autochtones !

Il importe de ne pas opposer les territoires, de ne pas chercher à élaborer des solutions qui ne correspondent pas aux exigences de l’époque.

Madame la ministre, les communes rurales ne sont pas seules à participer à l’artificialisation des sols.

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Si des terres ont aujourd’hui perdu leur vocation agricole, cela est certes d’abord dû à l’urbanisation, mais aussi à l’emprise de grandes infrastructures. Je ne dis pas cela pour contester l’utilité de cette réalisation, mais a-t-on calculé combien de terres agricoles a consommé la construction de la ligne de train à grande vitesse qui permettra de relier Paris à Bordeaux en deux heures ? Dans le même ordre d’idées, malgré des oppositions marquées au sein du Gouvernement, on construit encore quelques autoroutes dans ce pays, tout comme d’autres types d’infrastructures.

Par ailleurs, les territoires ruraux sont souvent gérés par des personnes qui appartiennent au monde agricole. Je n’ai jamais vu d’élus de petites communes vouloir dilapider ces ressources naturelles que sont les terres destinées à l’agriculture. Ces élus sont au contraire très attachés à ce que l’économie agricole, d’une importance primordiale pour la vie des territoires, puisse prospérer.

Je voudrais féliciter l’auteur de la proposition de loi, Jacques Genest, ainsi que le rapporteur, qui a produit un excellent travail devant la commission, où les débats ont été particulièrement nourris, souvent animés. Cela montre que le sujet intéresse l’ensemble des sénateurs.

Dans quelle situation nous trouvons-nous aujourd’hui ? Il est plus difficile de construire en milieu rural qu’ailleurs : c’est une évidence que personne ne peut contester. Les règles qui s’appliquent en zones rurales vont au-delà des lois votées par le Parlement, et parfois même des décrets signés par un ministre. Il y a ensuite des interprétations, qui s’appuient le cas échéant sur des circulaires. J’ai déjà eu l’occasion de dénoncer ce fait à cette tribune voilà peu ; je n’y insisterai pas davantage.

En tout état de cause, obtenir un permis de construire pour édifier une maison dans une commune rurale relève aujourd’hui d’un véritable parcours du combattant. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Daniel Raoul. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Des solutions existent. Au contraire de la majorité des membres de mon groupe, je m’étais personnellement déclaré favorable aux plans locaux d’urbanisme intercommunaux, les PLUI, estimant que la maîtrise d’un territoire par les élus passe certainement par l’élaboration d’un tel document.

Cela étant, le débat s’est déplacé, les élus n’étant pas seuls pour élaborer un PLU : ils sont confrontés à une administration particulièrement exigeante, qui détermine ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Je sais bien qu’il y a des règles à respecter et que vous avez mis en œuvre, madame la ministre, des moyens pour que les élus qui élaborent un PLUI puissent bénéficier de conseils, et ainsi disposer d’un certain recul et d’une grille de lecture, mais laissons-les aussi prendre leurs dispositions !

Je le rappelle : une fois qu’il est élaboré, un plan local d’urbanisme est signé par le président de la communauté de communes, lorsqu’il est intercommunal, ou par le maire, lorsqu’il est communal. Si les services de l’État veulent contester ce document, ils peuvent saisir le tribunal administratif. Le contrôle intervient a posteriori, et non a priori.

Madame la ministre, j’ai entendu dire que le projet de loi « égalité et citoyenneté », qui sera prochainement soumis au Sénat, contiendrait des propositions de nature à lever le blocage que semble constituer, pour certains, l’article 2 du présent texte. Décidément, les articles 2 sont frappés d’une sorte de malédiction ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Il va falloir envisager de passer directement de l’article 1er à l’article 3… (Rires.)

Je vous invite, mes chers collègues, à dépasser vos préventions, les clivages dans lesquels vous vous êtes installés,…

M. Daniel Raoul. De quoi est-il question ?

M. Jean-Claude Lenoir. … et à prendre en compte la demande du monde rural : le monde rural veut vivre, et, pour cela, il a besoin de pouvoir construire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi pose la question essentielle de la relance de la construction en milieu rural, mais ses auteurs préconisent, dans cette perspective, de revenir sur le principe de protection des zones naturelles et agricoles en ouvrant des possibilités de construction quel que soit le document d’urbanisme couvrant le territoire concerné.

Par ailleurs, le texte fait fi des mesures déjà mises en œuvre par le Gouvernement, des résultats enregistrés depuis plusieurs mois, et même de la conjoncture. Il ne tient en outre aucun compte des réalités territoriales contrastées que connaît le monde rural.

Monsieur Lenoir, je vous ai bien écouté. Vous en conviendrez avec moi : le contexte rural est très différent d’un département à l’autre. Ainsi, le département du Nord, dont je salue les élus présents dans notre tribune, est le plus peuplé de France, mais il est resté très agricole, puisque 62 % de son territoire est consacré à l’agriculture et qu’il compte des zones rurales, voire très rurales. La forte densité de la population s’est relativement stabilisée depuis une dizaine d’années, mais le nombre de ménages augmente. Cette population jeune et familiale a d’importants besoins en matière de logement : c’est vrai en zone urbaine, ce l’est moins en zone rurale.

Parallèlement, de nombreuses exploitations agricoles sont concernées par l’étalement urbain et le mitage. Il semble plus judicieux de développer des programmes de rénovation avant de mobiliser des terrains agricoles, afin de ne pas accentuer le mitage. Par exemple, dans l’arrondissement rural où je réside, une étude de l’agence immobilière à vocation sociale a recensé environ 6 000 logements vacants, soit un logement sur dix ! Ces logements sont situés dans les centres de village. Leurs propriétaires attendent des mesures de soutien à la rénovation et des outils de gestion locative, c’est-à-dire une incitation et de la pédagogie.

Les mesures qui nous sont présentées aujourd’hui pour ouvrir de nouvelles possibilités de construction et assouplir les procédures inquiètent les agriculteurs et les SAFER, car elles marquent un véritable recul pour la protection du foncier agricole.

M. Martial Bourquin. Très juste !

Mme Delphine Bataille. En France, malgré le ralentissement constaté ces dernières années, l’équivalent de la superficie d’un département est artificialisé tous les sept ans. Nous perdons chaque jour une surface équivalente à celle de centaines de terrains de football !

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Delphine Bataille. Dans ce contexte, la préservation du foncier agricole est aujourd’hui devenue une urgence et un enjeu important pour tous nos territoires. Les élus locaux en ont parfaitement conscience, car l’étalement urbain coûte très cher et alourdit les charges des collectivités locales.

Dans le Nord, l’agriculture a pu s’adapter à ce phénomène grâce à son intensification, à la diversité de ses productions, au développement des circuits courts, mais surtout grâce aux règles en vigueur en matière d’urbanisme. La diminution du nombre d’exploitations y est même moins rapide que sur le reste du territoire national.

Les outils actuels et les évolutions permises par les textes récents répondent bien aux besoins du monde rural. La loi ALUR de mars 2014, notamment, a renforcé la lutte contre l’artificialisation des sols. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, adoptée au mois d’octobre de la même année, a créé la commission de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Enfin, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, entrée en vigueur au mois d’août dernier, permet aux PLU d’autoriser la construction d’annexes au sein des zones agricoles et naturelles.

Les constructions ou installations nécessaires à l’activité agricole et l’entretien du bâti restent donc toujours possibles. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous expliquer cette remise en question de l’équilibre existant.

En réalité, la présente proposition de loi, dont l’objet affiché est de répondre à la crise du logement en milieu rural, ne crée aucun droit nouveau, mais elle envoie un mauvais signal en matière de protection du foncier et ne permet pas d’appréhender la pluralité des ruralités. Au regard de la diversité de nos territoires, il est primordial de penser les efforts de construction en ayant conscience des réalités locales. C’est tout l’enjeu de la nouvelle dynamique engagée par le Gouvernement au travers des comités interministériels aux ruralités et du plan de relance de la construction lancé en 2014.

De nombreuses mesures spécifiques aux territoires ruraux ont été prises concernant le logement social, la simplification de la construction, mais aussi la revitalisation des centres-bourgs ou encore l’accession à la propriété. On peut citer, par exemple, l’amélioration du prêt à taux zéro et son extension aux logements anciens.

Par ailleurs, le troisième comité interministériel aux ruralités, qui s’est tenu voilà quelques jours à Privas, a validé le redéploiement de plus de 40 % des crédits du programme « Habiter mieux » de l’ANAH vers la rénovation des logements en milieu rural, soit un objectif de près de 30 000 logements rénovés.

Ces mesures favorisent le développement d’une offre adaptée, notamment en direction des personnes âgées isolées, bénéficiant de faibles revenus et vivant en milieu rural. Elles sont primordiales pour les territoires ruraux qui disposent d’un potentiel important de logements à rénover et qui, comme dans le Nord, présentent un nombre élevé de propriétaires occupant des logements anciens, un vieillissement de la population, une forte demande locative liée aux besoins créés par la décohabitation des jeunes, une diminution particulièrement forte de la taille des ménages et une population à faibles revenus.

Après une longue période de baisse de la construction de logements dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, ces mesures, tel le plan de relance que j’ai évoqué, portent aujourd’hui leurs fruits. Il en va de même à l’échelon national. La construction de logements neufs est en hausse sur les douze derniers mois, mais c’est surtout dans les secteurs du logement collectif et de l’entretien et de la rénovation que l’activité redémarre le plus fortement.

Nous devons, à l’évidence, rester mobilisés, mais les mesures gouvernementales, qui produisent aujourd’hui des effets encourageants, permettent aux élus de répondre aux besoins si particuliers des territoires ruraux et de leurs habitants.

En conclusion, je dirai que ce n’est certainement pas un hasard si ce texte présenté par la majorité sénatoriale est examiné pendant le congrès des maires. Il s’agit à l’évidence d’un texte d’affichage politique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Claude Luche. C’est de la provocation !

M. Daniel Raoul. Non, elle a raison !

Mme Delphine Bataille. Pourtant, si l’on y regarde bien, cette proposition de loi n’apporte pas de réponse à la question du logement en milieu rural. En revanche, elle supprime un certain nombre de protections pour les zones naturelles et agricoles.

M. Jacques Genest. Elle a dépassé son temps de parole ! C’est fini, monsieur le président !

Mme Delphine Bataille. Enfin, ce texte ne tient pas compte des besoins des acteurs de terrain que sont les élus locaux, qui utilisent de manière optimale les outils existants et ont besoin d’un cadre protecteur face aux demandes de leurs administrés.

Ce sont ces raisons qui motiveront le vote de notre groupe contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat des difficultés du monde rural a souvent été fait sur les travées de cette assemblée et de nombreux rapports ont été consacrés à ce sujet. Le Sénat est l’un des derniers lieux où l’on s’intéresse encore à l’avenir des territoires ruraux.

M. Jacques Genest. C’est vrai !

M. Pascal Allizard. Nous travaillons d’ailleurs sur le sujet avec Jacques Genest,…

M. Gérard Longuet. Un travail remarquable !

M. Pascal Allizard. … dans le cadre d’un groupe de travail sur la ruralité.

La situation dans ces territoires déjà fragiles, aux moyens financiers restreints et à la démographie déclinante, s’est aggravée sous l’effet des crises agricoles successives qui affectent leur économie.

C’est dans ce contexte particulier qu’intervient l’examen de la présente proposition de loi.

L’urbanisme apparaît comme l’une des préoccupations majeures des élus locaux, en particulier des maires ruraux, qui déplorent la complexité et l’instabilité des règles d’urbanisme, vécues comme des contraintes inadaptées à la réalité de leur territoire.

En outre, des textes récents ont introduit de nouvelles contraintes, notamment en matière de consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, bien que les communes rurales soient en fait peu consommatrices d’espace et que le nombre d’autorisations de construire y demeure limité.

Enfin, les règles d’urbanisme font souvent l’objet d’interprétations divergentes par les services de l’État, selon les territoires, ce qui crée pour les élus insécurité et confusion.

Pour sortir de cette situation, il faut desserrer l’étau des règles d’urbanisme et ne plus se contenter de maintenir en survie les zones rurales et de montagne, mais véritablement créer les conditions d’un développement.

Sans revenir sur le principe de lutte contre l’artificialisation des sols, il semble néanmoins important de rappeler que les territoires ruraux sont vivants et que leurs habitants doivent pouvoir y vivre sans contraintes normatives excessives. Il s’agit donc de trouver un meilleur équilibre entre préservation et évolution.

Aussi me semble-t-il souhaitable d’introduire – ou plutôt de réintroduire – le développement rural parmi les principes fondamentaux du droit de l’urbanisme.

Concernant la question de l’autorisation des annexes, j’avais déjà, en 2014, attiré l’attention du Gouvernement sur le sujet, partant du constat qu’il était devenu quasi impossible de faire évoluer le bâti en zone agricole ou naturelle en dehors des STECAL, qui doivent demeurer exceptionnels. J’avais d’ailleurs été très surpris de la fin de non-recevoir opposée par le ministre, et plus encore du revirement opportun – pour ne pas dire opportuniste – opéré par le Gouvernement quelques mois après, dans le cadre de la loi Macron.

Loi ALUR, loi d’avenir pour l’agriculture, loi pour la croissance : les évolutions vont trop vite pour que les collectivités puissent s’adapter. Ainsi, pour les annexes et les extensions, dans les zones agricoles et naturelles des territoires couverts par un PLU, celui-ci doit préciser la zone d’implantation, les règles de hauteur, d’emprise, etc. Le règlement peut aussi désigner les bâtiments pouvant faire l’objet d’un changement de destination.

Les révisions de PLU représentent une charge de travail importante et des coûts non négligeables pour les collectivités.

Au travers de cette proposition de loi, il est donc proposé de supprimer, notamment, l’obligation de préciser la zone d’implantation des annexes, ainsi que les conditions de hauteur, d’emprise et de densité, et l’avis de la CDPENAF. Cette simplification est attendue par de nombreux élus.

Dans les territoires couverts par le règlement national, l’adaptation, le changement de destination, la réfection, l’extension des constructions sont très encadrés. Le cas des annexes n’était pas prévu. La proposition de loi permet de les autoriser, de même que dans les parties de la carte communale inconstructibles.

Il semble utile de favoriser la multiactivité des exploitations agricoles, qui permet de dégager des revenus connexes, en autorisant les constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole, mais aussi celles qui constituent le prolongement de l’acte de production, et celles qui sont destinées à une activité d’accueil touristique complémentaire.

Par ailleurs, je considère le rétablissement de la participation pour voirie et réseaux, la PVR, comme un moyen indispensable pour financer l’investissement lourd que représente la réalisation des voies nouvelles et des réseaux rendus nécessaires par l’implantation de nouvelles constructions.

Toutefois, le critère définissant la ruralité – commune éligible aux aides pour l’électrification rurale – ne se révélera-t-il pas trop restrictif à l’usage ?

Madame la ministre, le statu quo doctrinaire n’est pas possible. Notre ruralité ne peut pas être votre jardin d’agrément sanctuarisé, en fait victime et en aucun cas complice de l’étalement urbain.

Nous sommes, au Sénat, au fait des difficultés, multiples et complexes, des territoires ruraux et de montagne. Je considère que la présente proposition de loi constitue d’ores et déjà un pas en avant important. Elle nous fournit l’occasion d’un débat particulièrement utile et mérite d’être soutenue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Masclet.

M. Patrick Masclet. Je veux saluer à mon tour l’excellent travail de M. Laurent, dont le rapport met notamment en lumière la décroissance démographique que connaît le milieu rural.

Mes chers collègues, je suis élu du Nord, troisième département le plus rural de France : 650 000 personnes y vivent en milieu rural. Le sujet que nous abordons est extrêmement important, voire grave : il y va de l’avenir des communes rurales, et peut-être même, tout simplement, de l’avenir des communes.

Dix-neuf de nos départements accusent aujourd’hui une perte nette d’habitants. De nombreuses communes, situées dans la sphère d’influence de zones urbanisées, voire très urbanisées, subissent également un déclin démographique qui semble inexorable.

Dans notre département, des études prospectives très intéressantes de l’association Aire métropolitaine de Lille mettent en évidence le siphonnage démographique, par la métropole européenne de Lille, des zones voisines, dont certaines, en particulier la Pévèle, sont très rurales. On risque de voir apparaître de véritables déserts.

Pour notre part, nous pensons que ce déclin n’est pas une fatalité et que, au contraire, la revitalisation du monde rural est possible. Encore faut-il s’en donner les moyens !

Ma commune ayant connu un déclin démographique extrêmement important au milieu des années quatre-vingt-dix, je voudrais maintenant exposer les mécanismes à l’œuvre.

Finalement, la revitalisation repose sur deux piliers : la démographie et l’économie.

En ce qui concerne la démographie, l’équation est relativement simple : la décroissance est directement liée à la moyenne d’âge, elle-même en relation avec l’espérance de vie, qui augmente régulièrement. Elle est aussi fonction d’un autre phénomène, qu’a signalé tout à l’heure ma collègue nordiste : celui de la décohabitation, notamment des jeunes, que l’on observe tout particulièrement en milieu rural.

Pour bien vivre la ruralité, il faut aussi, comme ailleurs, pouvoir disposer de services, au premier rang desquels figure, chacun le sait bien dans cette assemblée, l’offre médicale et paramédicale. À cet égard, l’Association des maires de France a fait réaliser il y a quelque temps un sondage extrêmement intéressant montrant que c’est le premier critère qui guide les néoruraux dans leur choix d’installation. Ensuite viennent l’offre scolaire et les politiques en direction de la jeunesse de la petite enfance. La couverture internet à haut débit est le troisième critère. Bien entendu, le cadre de vie est également un élément déterminant dans les choix d’installation des néoruraux.

Pour que les habitants puissent bénéficier de ces services – c’est une lapalissade –, encore faut-il que ceux-ci soient présents et, surtout, que la structure puisse trouver un équilibre financier, qu’elle soit publique ou privée.

La saignée financière que subissent les communes en raison de la baisse drastique des dotations fait qu’elles éprouvent des difficultés, parfois vives, à apporter des moyens suffisants pour soutenir lesdits services et les rendre accessibles à la population. Et que dire des services marchands qui, à défaut de réaliser un chiffre d’affaires satisfaisant et de trouver leur équilibre financier, ne peuvent subsister ?

Dès lors, seul le produit de l’impôt peut apporter la ressource nécessaire, non par le biais de la hausse de la fiscalité, mais par celui de l’élargissement de l’assiette. À cette fin, il importe d’attirer de nouveaux habitants.

Pour l’essentiel, deux pistes sont à explorer à cet égard : l’occupation ou la réoccupation des logements vacants, notamment dans les centres-bourgs, et la construction de nouveaux logements, qui représente, compte tenu de la réglementation en vigueur, un véritable parcours du combattant, pour reprendre les mots du président Lenoir.

Au-delà des exigences du code de l’urbanisme, il faut bien avoir à l’esprit que les territoires ruraux sont souvent des territoires de ressources. Qu’elles soient alimentaires ou en eau, ces ressources sont protégées par des périmètres qui, souvent, contrarient les possibilités de construction, alors même qu’elles sont destinées, pour l’essentiel, aux habitants des zones plus urbanisées.

Cette proposition de loi apporte un certain nombre de réponses en termes de reconnaissance du développement rural, ouvre de nouvelles possibilités de construction pour l’habitat et pour l’agriculture, facilite l’ouverture des secteurs à l’urbanisation et mobilise quelques moyens financiers, notamment par le rétablissement de la possibilité d’instituer une participation pour voirie et réseaux, outil intéressant pour les petites communes.