M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, contre la motion.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à titre liminaire, je veux d’abord insister sur le caractère équilibré de la proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, que nous examinons aujourd’hui. Nous le savons, une initiative récente a manqué de nuances et donné l’impression d’un parti pris sans doute excessif. Notre texte est donc à porter au crédit du travail effectué au Sénat.

Car ce texte, j’espère que vous y serez sensible, monsieur le secrétaire d'État, est le fruit d’un travail concerté entre la présidence du Sénat, les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères et le Quai d’Orsay. C’est aussi ce qui nous a permis d’aboutir à un texte que je qualifierai d’impartial.

J’entends certes les critiques adressées à la proposition de résolution : d’aucuns la considèrent comme pro-russe, d’autres comme pro-ukrainienne. Ces jugements contradictoires me font penser que le texte est au contraire équilibré !

La situation sur le terrain est complexe, et la mise en œuvre des accords de Minsk délicate, même si des avancées peuvent être constatées par rapport à la situation qui prévalait avant le 12 février 2015.

C’est pourquoi nous ne devons pas voter la motion tendant à opposer la question préalable que nous présente notre collègue Hervé Maurey.

Celui-ci nous dit que la proposition de résolution appelle à une levée des sanctions européennes contre la Russie. Cette présentation est pour le moins réductrice. Le texte n’invite pas à une levée inconditionnelle des sanctions. C’est tout le contraire ! Il pose notamment des conditions précises pour « un allégement progressif et partiel » des sanctions économiques sectorielles, dès lors que « des progrès significatifs et ciblés » seraient constatés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.

Notre collègue développe deux arguments en faveur de sa motion.

En premier lieu, notre proposition de résolution serait « inopportune », car elle encouragerait la Russie à ne pas respecter ses engagements au titre des accords de Minsk. Ces accords reposent précisément sur un équilibre de contreparties réciproques que la proposition de résolution vise à faire respecter.

Leur mise en œuvre est délicate, personne ne le nie. Aussi chacune des parties doit-elle respecter ses engagements, la Russie comme l’Ukraine. Or ce pays connaît une situation politique tendue qui ne facilite pas l’adoption de réformes. En particulier, le volet politique des accords de Minsk, la révision de la constitution ukrainienne et la loi électorale pour le Donbass ne progressent guère. À ce titre, nous devons saluer la coopération mise en place avec la Rada sur l’initiative du président Larcher pour élaborer la réforme constitutionnelle.

En second lieu, notre proposition de résolution serait « contre-productive », car elle enverrait « un signal désastreux » aux autorités russes et au peuple ukrainien.

Je ne le crois pas ! Au contraire, le texte envoie un signal positif pour aller de l’avant et pour s’engager dans un cercle vertueux. Nous disons ceci aux parties des accords de Minsk : « Appliquez mieux et plus vite ces accords et, sous cette condition, les sanctions seront allégées ; appliquez-les intégralement, et les sanctions seront complètement levées. » Cela sera favorable pour tout le monde ! Formons le vœu que le vote de cette proposition de résolution européenne permette d’enclencher ce cercle vertueux.

En outre, le Sénat joue pleinement son rôle en invitant le Gouvernement à engager ce débat au Conseil européen des 28 et 29 juin prochains. À ma connaissance, il est le seul parlement national à agir en ce sens. Les relations de l’Union européenne avec la Russie et les sanctions ne doivent pas relever du domaine exclusif du pouvoir exécutif. Les parlementaires aussi ont le droit et le devoir de s’exprimer sur ce dossier essentiel pour l’avenir et la sécurité de notre continent.

J’entends les arguments de nos collègues qui s’émeuvent à juste titre de la violation du droit international que constitue l’annexion de la Crimée. Celle-ci doit être fermement condamnée, et c’est précisément l’objet de l’alinéa 14.

La rédaction du texte n’est naturellement pas figée. C’est tout l’intérêt du débat parlementaire que de le faire évoluer jusqu’à son point d’équilibre. Certains amendements me semblent bienvenus. C’est le cas de l’amendement tendant à renforcer la condamnation de l’annexion illégale de la Crimée à l’alinéa 5, et de l’amendement ayant pour objet les sanctions visant les parlementaires russes à l’alinéa 19. Je les voterai.

En votant la motion tendant à opposer la question préalable, nous nous priverions de toute influence sur ce sujet. Il serait inutile et dangereux de revenir à l’esprit de la guerre froide, lorsque deux blocs s’observaient avec hostilité. Ce n’est pas en nous coupant de la Russie que nous y diffuserons nos valeurs et que nous soutiendrons la démocratisation de ce régime, au contraire.

L’Union européenne, personne ne le conteste aujourd’hui avec le recul, a fait des erreurs dans son approche des relations avec son voisin qu’est la Russie dans le cadre du partenariat oriental. Je remercie nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda, qui se sont particulièrement penchés sur cette question.

Pour autant, l’Union européenne a bien pris conscience de la nécessité de bouger, comme le montrent les conclusions du conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier. Je pense que nous avons manqué de clarté hier, quand la Commission Barroso a parlé de contrat d’association : cela n’avait pas valeur de contrat d’adhésion. C’est cette ambiguïté qui a généré des crispations de notre voisin, ce qui ne gomme en rien son action dans le Donbass et en Crimée.

Le Président Junker a ainsi prévu de se rendre au Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 16 juin prochain. C’est un signe positif que nous devons encourager. Je crois que notre proposition de résolution européenne va dans ce sens.

Pour conclure, je pense que nous devons regarder au-delà des sanctions. Nous avons besoin d’une politique européenne envers la Russie. Je note le rendez-vous particulier que nos deux rapporteurs de la commission des affaires européennes Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo ont eu avec notre ambassadeur Pierre Sellal et avec le secrétaire général au service européen pour l’action extérieure, Alain Le Roy. J’oserai dire que, pour reprendre les propos de Simon Sutour, nous sommes passés de l’embargo à l’embarras. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. Jean Bizet. Au travers de cette résolution européenne se dessine un engagement de l’Union européenne à penser autrement les relations avec la Russie, et c’est pourquoi je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable proposée par notre collègue Hervé Maurey. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Je préciserai tout d’abord qu’il s’agit d’un avis fondé, découlant des travaux que la commission mène depuis déjà un certain temps sur ces sujets, et du rapport approfondi signé l’année dernière par nos collègues Robert del Picchia, Josette Durrieu et Gaëtan Gorce. Préconisant une désescalade, celui-ci allait dans le sens de la résolution qui nous est aujourd'hui proposée. C’est donc une démarche déjà ancienne à laquelle nous adhérons.

Deuxièmement, l’Assemblée nationale s’étant montrée très imprudente sur ce sujet, je crois qu’il était nécessaire d’apporter détermination et tempérance à cette approche. C’est le rôle du Sénat, qui, après un examen approfondi en commission des affaires européennes, puis un autre examen en commission des affaires étrangères, discute d’un texte qui, me semble-t-il, donne toute satisfaction.

Troisièmement, sur l’essentiel, ce texte n’est pas du tout ambigu eu égard à nos convictions. Oui, nous condamnons l’annexion de la Crimée, et puisque vous y teniez, monsieur le secrétaire d'État, nous l’avons condamnée deux fois : au début et à la fin, dans l’alinéa 5 et dans l’alinéa 14. Nous affirmons clairement que nous sommes favorables aux accords de Minsk, qui font partie de la solution pour une sortie de crise, et dont l’application nous permettra d’envisager l’évolution des sanctions. Cette proposition de résolution est ainsi l’occasion de réaffirmer nos convictions sans ambiguïté, notamment en condamnant l’annexion de la Crimée, qui est une atteinte fondamentale au droit international.

Mais, quatrièmement, nous affirmons dans le même temps que nous voulons favoriser le dialogue politique. L’on nous dit, et je le comprends bien, que les parlementaires russes ne sont pas comme nous. Mais quand on veut sortir d’une crise politique par la discussion, on ne choisit pas toujours ses interlocuteurs, et il faut quelquefois parler avec des gens que nous avons combattus ! La paix se trouve dans le dialogue, quelquefois même avec l’ennemi. Par définition, la voie du dialogue amène à négocier avec des interlocuteurs qui nous sont désignés plus que nous ne les désignons, et qu’il faut essayer de convaincre. Il est important de faire ce travail-là aujourd'hui. (M. Jacques Mézard opine.)

Le président du Sénat et les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes ont d’ailleurs engagé un dialogue avec le Conseil de la Fédération et les parlementaires russes.

Nous n’avons pas le sentiment de trahir nos convictions, mais nous pensons que l’avenir de notre pays et de notre politique étrangère ne peut se faire sans construire un véritable dialogue avec la Russie, sans essayer de comprendre un certain nombre de ses objectifs et de la faire évoluer ; autrement dit, sans retrouver la véritable voie de la France, c'est-à-dire l’indépendance, la capacité de pouvoir parler avec les États-Unis, la Russie, l’Iran. L’indépendance nationale se construit dans l’équilibre de tous les dialogues, et c’est pour cela que nous avons été une majorité à approuver ce texte. (Applaudissements.)

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Le président de la commission des affaires étrangères vient de démontrer que la sagesse était son guide. Sa parole était d’or, et la voie me semble ouverte pour une résolution claire.

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée concernant cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Notre groupe unanime votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable.

Le président de la commission des affaires étrangères Jean-Pierre Raffarin a conclu son propos sur l’indépendance de la diplomatie française et sur la nécessité de renouer un dialogue avec la Russie. J’aurai l’occasion d’en redire un mot lors de la discussion générale, mais ce point nous est particulièrement cher. Le Parlement, le Sénat ont une parole diplomatique, et la diplomatie parlementaire est positive lorsqu’elle se donne pour objectif de conforter, de restaurer l’indépendance de la diplomatie française. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.

M. Bernard Vera. Notre collègue Hervé Maurey considère que cette proposition de résolution est inopportune ; elle envoie, selon lui, un signal de faiblesse et d’encouragement à la Russie. Le groupe CRC ne partage pas cet avis.

D’une part, parce que cette proposition de résolution condamne clairement l’annexion de la Crimée et réaffirme l’intangibilité des frontières.

D’autre part, parce qu’elle ne dédouane ni la Russie ni l’Ukraine des difficultés que nous observons dans la mise en œuvre des accords de Minsk.

En revanche, nous ne pouvons que constater l’impasse dans laquelle nous a conduits la logique des sanctions. À nos yeux, il est urgent de s’interroger sur l’efficacité de cette logique dans la mesure où les sanctions ne débouchent pas sur une solution politique ou diplomatique.

C’est pourquoi nous considérons que cette proposition de résolution nous donne, au contraire, l’opportunité de proposer une initiative qui va dans le sens d’un dépassement de la crise que nous connaissons. C'est la raison pour laquelle notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour explication de vote.

M. Daniel Reiner. La commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes ont tant travaillé sur cette proposition de résolution que nous pouvons dire aujourd'hui qu’elle est équilibrée. Ayant fait la part des choses, celle-ci est là pour ouvrir en quelque sorte des perspectives. Elle ne contient pas d’injonction ; elle exprime le souhait que les parlementaires français rouvrent les perspectives d’un dialogue avec la Russie. Tout était jusqu’à présent fondé sur l’idée même que l’expression du Parlement français était celle de l'Assemblée nationale. Mais le texte débattu par l'Assemblée nationale était tellement excessif, tellement outrancier, je le redirai ultérieurement dans la discussion générale, que nous ne pouvions en rester là.

Amendée telle qu’elle l’a été, retravaillée comme elle l’a été, nous voterons la proposition de résolution qui est aujourd'hui soumise à notre approbation et nous nous exprimerons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 27, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de résolution.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 241 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l’adoption 16
Contre 302

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

Question préalable
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, relative au régime de sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons cet après-midi aborde un sujet d’actualité éminemment complexe et sensible. Et c’est justement la raison pour laquelle je tiens, tout d’abord, à saluer l’approche de conciliation adoptée lors de l’élaboration de ce texte.

En ouvrant la réflexion aux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères, mais aussi à la présidence du Sénat ainsi qu’au ministère des affaires étrangères, vous êtes parvenus à un texte qui, tout en soulevant un certain nombre de questions, a rassemblé en commission.

Sur la forme, ce texte s’inscrit de plain-pied dans la diplomatie parlementaire à laquelle nous sommes particulièrement attachés ici.

En effet, au travers de cette initiative, vous invitez le gouvernement français à une reprise du dialogue ainsi qu’à un allégement progressif et partiel du régime des sanctions applicables à l’encontre de la Russie, conditionné par la mise en œuvre des accords de Minsk II. Vous appelez également à une réciprocité de ces engagements du côté russe.

L’approche est donc radicalement différente de celle qui a été défendue par la proposition de résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril dernier, qui demandait le non-renouvellement et la levée immédiate des sanctions européennes dans leur ensemble ; ce point doit être souligné.

En outre, vous l’avez rappelé, le régime des sanctions européennes trouve son origine dans l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et la violation de l’intégrité du territoire d’une puissance souveraine.

Le groupe écologiste condamne fermement cette violation du droit international, et il était impératif que cela apparaisse dans cette proposition de résolution, même s’il est vrai que le terme « regrettant » figurant à l’alinéa 5 reste faible, eu égard au contexte.

Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’attitude du régime russe à la fois sur son territoire au regard des droits de l’homme, mais également au niveau de son voisinage. Cette proposition de résolution ne peut constituer un blanc-seing pour la Russie.

Face à cette situation, si les sanctions européennes ont constitué, au moment où elles ont été prises, un signal fort et une manifestation indispensable de la fermeté européenne, elles n’ont pas eu jusqu’à présent tous les effets escomptés. Leur utilité à ce moment-là ne peut pas être remise en cause. Mais, force est de constater que, près de deux ans après le début du conflit, la situation est aujourd’hui gelée et que nous nous trouvons dans une impasse diplomatique.

Alors que le Conseil européen du 19 mars 2015 conditionne la levée des sanctions à une application intégrale des accords de Minsk II, leur mise en œuvre, plus d’un an après, est loin d’être satisfaisante, et ce malgré tous les efforts déployés par les médiateurs : la situation sécuritaire sur le terrain demeure précaire, avec des violations répétées du cessez-le-feu ; les réformes politiques en Ukraine n’ont pas particulièrement avancé ; la question de la Crimée se pose toujours et la Russie contrôle encore près de 400 kilomètres de frontières communes.

Certes, quelques avancées récentes permettent d’équilibrer légèrement ce bilan, mais elles restent bien minimes face à la situation réelle sur le terrain.

Celle-ci ne saurait perdurer, et nous devons, par la voie diplomatique, impulser une relance du processus de résolution.

Plus encore, sur le plan international, alors que nous traversons une période de grande instabilité, notamment dans notre voisinage proche et éloigné, l’Union européenne peut-elle se passer d’un partenaire tel que la Russie ?

Face aux défis multidimensionnels auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, à la fois sécuritaires, diplomatiques et humanitaires, nous devons placer notre action dans le cadre d’une coalition internationale la plus large possible.

Force est de constater que la Russie est un interlocuteur incontournable sur la scène internationale et constitue un partenaire dans notre engagement au Moyen-Orient dans la lutte contre Daech. Il paraît donc nécessaire de multiplier les échanges, afin de répondre à ces enjeux communs.

Je me permets ici de citer un passage du livre intitulé Qui est l’ennemi ? du ministre de la défense : « Face à cette menace, dont l’ambition et les canaux sont mondiaux, il nous faut suivre une stratégie elle-même mondiale qui puisse associer tous ceux – et ils sont nombreux – qui se retrouvent désignés par Daech comme ses ennemis, mais aussi, plus largement, tous les membres des Nations unies. » Dont acte.

Une fois cela dit, je ne souhaite pas non plus laisser entendre que seules les sanctions européennes ont un impact sur nos relations avec la Russie. En effet, non seulement la Russie a violé le droit international, mais elle a également mis en place un certain nombre de mesures de rétorsion au travers, notamment, d’embargos sur les produits alimentaires. Et la persistance de cette situation se fait au détriment direct des populations et des entreprises des deux côtés.

Le volume des échanges entre l’Union européenne et la Russie a été divisé par deux et, en un an, les exportations alimentaires européennes vers la Russie ont chuté de 29 %.

C’est pourquoi il était important que la réciprocité des engagements du côté russe soit explicitement intégrée au dispositif de la résolution, notamment en ce qui concerne l’embargo décidé antérieurement à la crise ukrainienne et qui pénalise grandement nos agriculteurs.

Dans l’état actuel du texte, tout en saluant la démarche de conciliation qui a été entreprise, tout en rappelant l’objectif final de s’acheminer vers une mise en œuvre effective et complète des accords de Minsk II et tout en reconnaissant l’impasse diplomatique dans laquelle nous sommes, la majorité du groupe écologiste, avec des divergences de points de vue, s’abstiendra.

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la proposition de résolution de notre collègue promeut un allégement progressif des mesures restrictives et des sanctions économiques visant la Russie, je regrette qu’elle ne demande pas tout simplement leur levée immédiate. Car, du point de vue économique autant que géostratégique, les conséquences de ces sanctions sont un désastre.

À la suite des mesures prises par l’Union européenne lors de la crise ukrainienne, la sanction russe ne s’est pas fait attendre : depuis le 7 août 2014, fruits, légumes, viandes, poissons, lait et produits laitiers ne peuvent plus être importés en Russie.

Selon Eurostat, au premier trimestre 2015, nos exportations agroalimentaires vers la Russie ont chuté de 33,6 %. La France exportait vers la Russie 70 000 tonnes de porc, soit un cinquième de la consommation dans ce pays. L’interdiction de l’exportation de porc vers la Russie a, selon l’interprofession nationale porcine, coûté 500 millions d’euros de février à août 2014.

Cette situation est absolument dramatique pour nos agriculteurs ; c’est même, je le dis, un véritable coup de poignard de l’Union européenne et de notre gouvernement. Et le temps joue contre nous ; le terrain perdu sera difficile à reprendre. Il est illusoire de croire que la production française arrivera, une fois les sanctions levées, à récupérer la totalité des marchés perdus, d’autant que d’autres pays comme l’Allemagne et ses grands groupes agroalimentaires, en particulier Tönnies, groupe leader en Europe, peuvent s’engouffrer dans la brèche.

De plus, les Russes saisissent l’occasion de cet embargo pour développer leur propre production.

Rappelons, par ailleurs, que ce sont 1 200 entreprises françaises qui sont présentes sur le territoire russe, créant près de 100 000 emplois indirects en France par les projets russes de la France.

Pour parachever ce tableau, on constate que, pendant que nos agriculteurs se suicident, les Américains continuent de commercer avec la Russie : les échanges entre ces deux pays ont même augmenté de 7 %. « Cocus et contents ! »

« L’Europe est aussi précieuse à un Russe que sa Russie ; chaque pierre y est douce à son cœur », disait Dostoïevski. Alors, il est temps, mes chers collègues, de reconsidérer nos relations et notre géostratégie, et de saisir l’occasion d’envoyer un signal positif à la Russie, alliée historique de la France.

Car les sanctions dont nous débattons relèvent en réalité d’une logique idéologique : Bruxelles a saisi au bond la crise russo-ukrainienne pour jeter l’opprobre sur Moscou. À grands coups de « bien-pensance » béate et de recours au droit international à géométrie variable, l’Union européenne méprise l’histoire et le droit à l’autodétermination.

Pourtant, la Crimée s’était exprimée sans hésitation en 1991 sur ses attaches avec la Russie, avant même l’indépendance de l’Ukraine.

Avant 1989, il était naturel d’être les alliés des États-Unis. Maintenant que la menace soviétique n’existe plus à l’Est, l’OTAN est devenue un instrument d’assujettissement des nations occidentales par Washington.

La France doit en sortir pour retrouver sa liberté et reprendre son rôle à la tête d’une grande Europe des nations. Une Europe de « l’Atlantique à l’Oural » conforme au désir du général de Gaulle, qui savait, même à l’époque du communisme, que, derrière l’URSS, il y avait la Russie.

Dans un contexte économique difficile, il serait judicieux de favoriser et de développer nos échanges avec un pays détenant 20 % des richesses naturelles mondiales. Revenir sur ces sanctions est une nécessité absolue.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe votera unanimement cette proposition de résolution.

À quelques jours du prochain Conseil européen, nous saluons l’initiative de nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, auteurs de ce texte, qui ont bien travaillé et ont œuvré dans le bon sens. Ce débat nous permet aujourd'hui d’évaluer à la fois l’efficacité et l’opportunité du régime des sanctions instauré à l’encontre de la Russie dans le contexte de la crise ukrainienne.

En vérité, il est plus que temps de regarder avec lucidité les limites de cette décision plusieurs fois renouvelée et conditionnée sur le terrain à l’application des accords de Minsk. De ce point de vue, je salue le travail accompli par le président de la commission des affaires étrangères, fort de son expérience et de son sens de la diplomatie réaliste ; nous sommes sensibles à la nécessité, qu’il a rappelée, d’une diplomatie française indépendante.

Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, il est incontestable que le Président de la République a joué dans la conclusion des accords de Minsk un rôle efficace et utile. Si les sanctions ont pu freiner les initiatives russes dans le Donbass et encourager les accords, c’est tant mieux.

Reste que l’issue du conflit dépend aussi de la capacité de l’Ukraine à appliquer les réformes politiques prévues. Or le projet de révision constitutionnelle sur la décentralisation, qui prévoit la reconnaissance d’un statut spécifique pour le Donbass, n’a toujours pas été examiné en seconde lecture par le parlement de ce pays, pour des raisons politiques que nous connaissons tous.

Les progrès dans la mise en œuvre des accords de Minsk sont réels, mais, nous le concédons, timides. Toujours est-il que des processus ont été engagés, et que la France y a pris une large part.

En attendant que ces processus aboutissent complètement, soyons lucides, je le répète, sur les conséquences du régime de sanctions, qui s’avèrent de plus en plus négatives pour l’Union européenne et donc pour la France.

En plus des sanctions économiques, des sanctions personnelles ont été décidées contre certains parlementaires russes. Je considère cette idée comme saugrenue et contraire à la recherche d’un progrès pour la résolution du conflit local : penser que l’on pourrait régler les problèmes en prenant des sanctions personnelles contre des parlementaires est absurde ! (MM. Christian Cambon, vice-président, et Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, opinent.)

Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur les conséquences économiques des sanctions pour notre pays dans les domaines agricole et industriel. Je n’en remettrai pas non plus une couche en ce qui concerne les Mistral, que l’on a refusé de vendre aux Russes pour les vendre aux Égyptiens, qui ont des accords avec les Russes et dont le régime actuel ne s’est pas véritablement illustré sur le plan des droits de l’homme, chers à certains en dehors de cet hémicycle, en faisant tirer à la mitrailleuse sur des manifestants et en exécutant plusieurs centaines d’entre eux…

De grâce, redevenons réalistes : l’embargo russe qui nous a frappés en réplique aux sanctions a eu des conséquences. Soyons aussi logiques et lucides, monsieur le secrétaire d’État : on ne peut pas sérieusement appeler la Russie à participer à une grande coalition contre Daech, une coalition militaire, tout en maintenant les sanctions actuelles ; et on ne peut pas vouloir reconduire ces sanctions tout en demandant aux Russes de lever l’embargo sur nos produits agricoles.