Mme Nicole Bricq. Cela revient au même ! Vous l’avez supprimé, assumez-le !

M. Michel Forissier, rapporteur. En effet, à ce jour, aucune évaluation de la mise en œuvre du dispositif, qui compte seulement 40 000 bénéficiaires, n’a été réalisée. L’expérimentation reste prévue jusqu’au 31 décembre 2017 et peut être étendue à la dizaine de départements où elle n’a pas encore été mise en place.

Pour ce dispositif, comme pour le CPA, ne cherchons pas à aller trop vite – il n’y a pas urgence électorale ! –, mais assurons-nous de sa simplicité et cherchons à garantir son effectivité, après analyse des résultats et, éventuellement, modification ou adaptation, avant de le graver dans le marbre de la loi.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous voulons que les salariés et les entreprises puissent évoluer dans un contexte législatif et réglementaire adapté au XXIe siècle, équilibrant les droits et les devoirs, afin que notre pays connaisse la réussite économique qui, seule, permettra des avancées sociales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme Assassi, M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 103.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 662, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement débat sur un projet de loi aura commencé dans un tel climat de tension : un mouvement d’une longévité exceptionnelle – plus de trois mois –, d’une diversité et d’une force impressionnantes exprime le refus de ce texte par la très grande majorité de la population.

MM. Hollande et Valls et vous-même, madame la ministre, semblez surpris, incrédules, face à une contestation que vous ne comprenez pas et jugez illégitime, au point de critiquer le droit de manifester et l’exercice du droit de grève.

Cette incrédulité devant le rejet massif dont l’actuel pouvoir fait l’objet provient d’une profonde incompréhension de l’attachement de notre peuple à son modèle social, un attachement que ni M. Sarkozy ni l’actuel Président de la République ne sont parvenus à éradiquer.

Le code du travail, l’un des forts symboles d’une conception sociale de la République, a été constitué lutte après lutte, décennie après décennie depuis le début de la révolution industrielle. Oui, ne vous en déplaise, il est avant tout un outil de protection des salariés face à la domination patronale. Ne l’oublions pas, c’est la volonté de protéger la santé des travailleurs, enfants, jeunes et vieux, mourant en masse à la tâche qui a suscité les premières luttes, débouchant sur les premières lois sociales puis le code du travail, né en tant que tel au début du XXe siècle.

Oui, la particularité française, que la gauche tout entière a longtemps défendue, c’est la primauté de la loi pour définir le droit du travail. Loin de l’arbitraire du droit anglo-saxon en la matière, c’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.

Ainsi, l’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une république […] laïque, démocratique et sociale ». Son article 34 décline cette idée en ces termes : « La loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail » et « du droit syndical ».

Cette République sociale, attaquée depuis le début de la crise économique sous la pression du marché et des exigences de Bruxelles, est symbolisée par ces mots du Préambule de la Constitution de 1946, issu du programme « Les jours heureux » du Conseil national de la Résistance : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Le Préambule reconnaît ensuite le droit de grève, le droit à l’action syndicale, le droit à la retraite, le droit à la sécurité sociale et – j’y reviendrai – le droit au repos.

La gauche, celle qui croit en elle-même et se respecte, a toujours eu comme objectif de réaliser ces principes, de les mettre en action.

Madame la ministre, cette aspiration à la justice sociale est profondément ancrée dans l’esprit et dans le cœur de nos concitoyens ; elle ne pourra être éteinte par le passage en force que le Gouvernement tente aujourd’hui, avec la complicité maladroite ou gênée d’un patronat et d’une droite réduits au rôle de faire-valoir.

Ce passage en force est flagrant : de l’absence de réelles concertations, pourtant exigées par l’article L. 1 du code du travail, dont l’esprit, selon MM. les rapporteurs eux-mêmes, n’a pas été respecté, à la mise en œuvre honteuse du 49.3 à l’Assemblée nationale dès la discussion de l’article 1er du projet de loi, l’autoritarisme du pouvoir brutalise la population, les salariés ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Madame la ministre, on ne réforme pas en profondeur le code du travail sans majorité à l’Assemblée nationale ! Sur l’article 2 du projet de loi, relatif à l’inversion de la hiérarchie des normes, la seule majorité qui vous soutient, c’est celle du Sénat… Pouvez-vous en être fière ?

M. Roger Karoutchi. Mais oui ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Messieurs les rapporteurs, permettez-moi de vous citer : « Nous constatons avec satisfaction que le projet de loi s’inscrit dans la continuité des réformes menées par les précédentes majorités. »

Bien sûr, la droite a besoin d’exister, d’autant que ses primaires approchent ; de sa part, la surenchère est donc de bonne guerre, ce qui explique l’ajout dans le projet de loi de propositions ultralibérales et ultraprovocatrices, comme le retour aux 39 heures. Cela étant, bien souvent, madame la ministre, la majorité sénatoriale se contente de revenir à votre texte d’origine, comme pour le plafonnement des indemnités de licenciement.

Que personne ne s’inquiète : nous saurons dénoncer les dispositions rétrogrades promues par les rapporteurs !

L’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale et la discussion au Sénat non du texte du Gouvernement, mais de celui de la commission ont une lourde conséquence démocratique : le texte du Gouvernement, dans sa cohérence propre, ne sera jamais débattu, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat.

M. Roger Karoutchi. Ni même au sein du Gouvernement !

Mme Éliane Assassi. En réalité, l’attitude de la majorité sénatoriale de droite sert le Gouvernement. Est-ce voulu ou non ? On peut s’interroger sur ce point.

Quelle sera la véritable constitutionnalité d’une loi qui, en définitive, n’aura pu être débattue telle quelle par l’ensemble des parlementaires ?

Mme Catherine Procaccia. Comme la loi Macron !

Mme Éliane Assassi. La conjonction du recours au 49.3 à l’Assemblée nationale et de la réécriture du texte par le Sénat pose indéniablement problème.

Je concentrerai ma défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur l’inversion de la hiérarchie des normes, colonne vertébrale du projet de loi.

Comme je l’ai rappelé, la Constitution fonde le droit du travail sur la loi. Le Conseil constitutionnel lui-même valide régulièrement ce principe en acceptant, par exception, le transfert de compétences aux accords d’entreprise. Je considère, avec mon groupe, que la généralisation de la primauté donnée à ces accords, susceptibles d’être défavorables aux salariés, rompt l’équilibre instauré par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La dénonciation d’un code du travail entravant la liberté d’entreprise est récurrente depuis plus de trente ans. La gauche tout entière a longtemps résisté à cette pression libérale, avec plus au moins d’ardeur.

Ainsi, en 2008, M. Vidalies défendait une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de M. Xavier Bertrand instaurant la primauté des accords d’entreprise pour la gestion des heures supplémentaires. Écoutez bien, mes chers collègues, ce que disait alors l’actuel secrétaire d’État chargé des transports :

« Vous avez fait le choix, monsieur le ministre, d’une déréglementation sans précédent des conditions de travail et de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. […] Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n’hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd’hui comme des vieux adeptes d’Adam Smith. […] La droite française est encore dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l’individualisation des relations sociales. »

Et M. Vidalies de hausser le ton :

« Outre la déréglementation à tout-va, le fil rouge de votre réforme est la priorité donnée à l’accord d’entreprise. […] Or vous êtes parfaitement conscient de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l’émiettement, l’atomisation des règles d’organisation du temps du travail. »

Et M. Vidalies de poursuivre :

« Que pourront faire les salariés d’une entreprise soumis au chantage d’un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n’y aura alors guère de négociation possible, puisque c’est leur emploi qui sera en cause. »

Et M. Vidalies de conclure en ces termes, qui pourraient aussi bien s’appliquer à votre projet de loi, madame la ministre :

« Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation collective s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables. On peut facilement imaginer comment vont se dérouler de telles négociations. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Bravo, monsieur Vidalies ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Mme Éliane Assassi. Ce discours de M. Vidalies, qui m’a moi-même étonnée, tant il étale au grand jour le renoncement d’un membre du Gouvernement qui vitupère chaque jour contre les grévistes,…

Mme Nicole Bricq. Heureusement qu’il était là pour la SNCF !

Mme Éliane Assassi. … pourrait prêter à sourire s’il n’était pas symbolique de la raison profonde de votre échec, madame la ministre, et de celui de MM. Hollande et Valls.

Notre peuple n’en peut plus de ces gens qui se font élire et oublient le lendemain leurs promesses et leurs discours.

M. Philippe Dallier. Et voilà !

Mme Éliane Assassi. M. Hollande n’a pas été élu pour renverser la hiérarchie des normes et donner les clés du droit de travail au MEDEF ! En 2008, il avait signé, ainsi que M. Valls, la saisine du Conseil constitutionnel consécutive à l’intervention de M. Vidalies…

À propos de l’inversion de la hiérarchie des normes en matière de repos compensateur, voici ce que faisaient valoir les auteurs de cette saisine : « L’atomisation des règles du droit du travail qui en résulte tourne le dos à la conception sociale de notre République. La fragmentation des règles protectrices du droit du travail tourne le dos à l’ordre public social. » Que de chemin parcouru en quelques années…

Madame la ministre, l’article 2 de votre projet de loi, retouché par la droite ou non, est profondément anticonstitutionnel, comme vos amis le démontraient en 2008, en ce qu’il brise la hiérarchie des normes fondée par les principes républicains les plus forts. La jurisprudence du Conseil constitutionnel établie en 2004 et en 2008 est claire : tout renvoi non encadré à un accord d’entreprise de dispositions relevant de la Constitution, comme le droit au repos, doit être censuré.

Malgré vos précautions, votre projet de loi est truffé de mesures de ce type. Je pense par exemple à la possibilité de fixer par accord d’entreprise les jours fériés chômés en dehors du 1er Mai : cette disposition offense brutalement, frontalement le principe constitutionnel du droit au repos.

Nous ne pourrons saisir seuls le Conseil constitutionnel, mais peut-être ceux qui l’ont fait en 2008, et qui sont encore nombreux dans notre assemblée, se ressaisiront-ils et nous rejoindront… (M. Roger Karoutchi sourit.)

Oui, la Constitution est profondément bafouée ; mais, au-delà, c’est à la République sociale que l’on porte atteinte, celle des canuts et de la Commune, de 1936 et du Conseil national de la Résistance, des accords de Grenelle de 1968 et des avancées de 1981.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !

Mme Éliane Assassi. C’est cette histoire que vous foulez aux pieds, madame la ministre, en entonnant la vieille rengaine patronale de la compétitivité, de la rentabilité et du nécessaire profit !

Du reste, le peuple l’a bien compris, comme il l’avait compris en 2005 en découvrant la réalité du traité constitutionnel européen, malgré une campagne travestissant en vecteur de progrès social un texte porteur d’une terrible régression sociale.

Madame la ministre, le peuple refuse votre projet de loi, et il le criera encore très fortement, demain, dans les rues de la capitale : vous devez le retirer !

Pour l’heure, après la gifle infligée au Parlement avec le recours au 49.3, le Sénat s’honorerait en rappelant le Gouvernement à ses obligations constitutionnelles et au devoir de respecter l’histoire sociale de notre pays. Pour cela, mes chers collègues, je vous invite à opposer l’exception d’irrecevabilité au présent projet de loi ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, contre la motion.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe CRC, au travers de cette motion, nous invite à nous interroger sur la recevabilité du projet de loi.

Il y aurait un paradoxe à ce que le Gouvernement, après avoir fait si longtemps travailler M. Combrexelle, s’être entouré des avis du Conseil d’État et avoir mené de nombreuses consultations, n’ait pas respecté les règles minimales de recevabilité d’un texte aussi sensible. Reste que, le Gouvernement étant parfois bien plus que maladroit, la question vaut sans doute d’être posée… Après tout, dans la situation si singulière où nous nous trouvons aujourd’hui, le Gouvernement n’en est plus à un paradoxe près ! J’incline donc plutôt à remercier nos collègues communistes d’avoir suscité ce débat.

Cela étant, je me dois de rappeler que l’adoption de cette motion, à laquelle je m’oppose, priverait le Sénat d’un débat utile et de toute possibilité d’expression. Elle priverait aussi nos collègues du groupe CRC d’une tribune… Surtout, elle nous priverait d’un examen complet du projet de loi en séance publique, après que celui-ci a déjà été empêché à l’Assemblée nationale par le recours au forceps du 49.3. Mes chers collègues, je vous invite au contraire à faire vivre la démocratie parlementaire, le bicamérisme et la tradition d’écoute et de débat éclairé qui caractérise notre assemblée !

Mme Éliane Assassi. C’est quand ça vous arrange !

M. Vincent Capo-Canellas. Faire vivre le débat, c’est imposer au Gouvernement une discussion qui n’a pas eu lieu à la chambre des députés ; c’est aussi, au passage, lui imposer un débat qu’il n’a pas su faire vivre dans le pays, du fait d’une absence de pédagogie et de méthode dont nous voyons maintenant les conséquences dans la rue.

Les auteurs de la motion avancent deux séries d’arguments pour contester la recevabilité du projet de loi : celui-ci serait contraire au Préambule de la Constitution de 1946 et contraire aux règles du dialogue social, qui sont certes de valeur législative et que, ici au Sénat, nous respectons tout particulièrement, ce qui est bien légitime.

Le projet de loi, donc, est-il contraire aux principes fixés par le Préambule de la Constitution de 1946 en matière de droit du travail ? Le Préambule dispose que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

Le projet de loi ne contrevient pas à ces principes ; il donne aux employeurs et aux salariés, dans le respect de ces derniers, notamment s’agissant des discriminations, des outils de discussion, de négociation pour assurer la pérennité de leur activité et de l’emploi. Je dirais même plus : dans sa version sénatoriale, le texte vise à créer plus d’emplois en donnant plus de souplesse aux entreprises.

Mme Éliane Assassi. Les choses ne marchent pas ainsi !

M. Vincent Capo-Canellas. Le Préambule proclame le droit au travail. Nous devons justement, pour respecter ce principe, nous interroger sur l’évolution d’un droit qui paraît aujourd’hui protecteur, mais qui n’empêche pas que plus de 5 millions de personnes soient prisonnières du chômage…

Je ne reviens pas sur la thèse selon laquelle des insiders bénéficient de droits protecteurs au détriment d’outsiders qui, eux, ont du mal à entrer sur le marché du travail, car je sens bien que les auteurs de la motion y verraient un chiffon rouge…

Nous devons, en tout cas, nous préoccuper plus encore de ceux qui sont au chômage et comprendre que, à l’heure de la mondialisation et du défi du numérique, nous devons faire évoluer nos règles, sans quoi nous risquons de passer à côté d’un bouleversement et de décrocher par rapport aux autres pays, qui, eux, s’adaptent. Protéger le travail, c’est, aujourd’hui, prendre en compte cette évolution.

Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose aussi que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

En quoi le projet de loi serait-il contraire à ces dispositions ? Il a bien pour objectif un renforcement de la négociation collective. L’inversion de la hiérarchie des normes, qui n’est qu’une possibilité offerte de négocier directement, et non une obligation, participe de cet objectif. Quant à l’exercice du droit de grève, il est effectif en ce moment, comme chacun peut le constater ; il n’est ni envisagé, ni possible, ni souhaitable d’y revenir. Les blocages, les invectives et, parfois, les violences mériteraient peut-être de faire l’objet d’une réflexion, mais il ne me semble pas que le projet de loi en traite.

Ces quelques considérations me conduisent à conclure non seulement que le projet de loi n’est pas contraire au Préambule de la Constitution de 1946, mais également qu’un texte est nécessaire pour prendre en compte la situation nouvelle de l’économie mondiale, d’autant que nos grands voisins nous ont devancés.

Pour développer l’emploi, il faut savoir faire évoluer notre droit du travail. Encore faut-il, pour cela, se poser la question du cadre de cette évolution.

La question de la loi qui porte votre nom, monsieur le président, est plus substantielle. Qu’en est-il, en effet, du respect de l’article L. 1 du code du travail ?

On peut opportunément s’interroger sur le respect par le Gouvernement de l’obligation de concertation. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a estimé que les dispositions de l’article L. 1 du code du travail avaient été respectées « dans les circonstances propres aux conditions d’élaboration du projet ».

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est jésuite !

M. Vincent Capo-Canellas. J’imagine que les exégètes du droit s’interrogeront abondamment sur cette formulation…

Sans doute le Conseil d’État faisait-il référence au fait qu’une partie des mesures du projet de loi avaient fait ou faisaient déjà l’objet de négociations, et que les syndicats avaient décliné la négociation à la suite de la publication du rapport Combrexelle, d’où provient l’immense majorité des dispositions du projet de loi.

Madame Assassi, vous vous interrogez sur la solidité de la démonstration du Conseil d’État ; toujours est-il que sa conclusion nous conduit à avancer. Je n’en conviens pas moins avec les auteurs de la motion qu’elle peut paraître un peu courte, et que l’esprit de l’article L. 1 du code du travail paraît avoir été pour le moins contourné. En somme, s’il n’y a rien à objecter en droit, selon le Conseil d’État, on peut néanmoins sans doute s’interroger d’un point de vue politique.

Autant dire que le Gouvernement a raté sa pédagogie : sa démarche est, à ce stade, juridiquement valide, du moins à en croire le Conseil d’État, mais, politiquement, il est, je crois, passé à côté de la nécessaire concertation.

Une loi, quelque éminents qu’en soient les auteurs, n’a pas automatiquement valeur constitutionnelle ; aussi la loi qui porte votre nom, monsieur le président, ne figure-t-elle pas encore, hélas, parmi les principes généraux du droit… Nous verrons, le moment venu, si le Conseil constitutionnel valide cette analyse.

Je dois dire, madame la ministre, que la majorité sénatoriale n’aurait sans doute pas osé s’affranchir ainsi de la loi Larcher (Sourires.), pour de nombreuses bonnes raisons, mais notamment par respect du dialogue social : là est tout le paradoxe !

Si vous brisez parfois utilement des tabous dans le domaine économique et social, c’est sans véritable raison, à mon avis, que vous avez choisi de briser celui de la concertation et du dialogue social. (M. le président de la commission des affaires sociales opine.) Vous avez osé ce que nous, ici, nous n’aurions pas fait.

Quand j’entends le Gouvernement affirmer par avance que nous serions moins progressistes que lui, je réponds que nous sommes respectueux du dialogue social et soucieux de faire vivre la démocratie sociale, ce qui permet de poser les vrais enjeux et parfois d’aller plus loin, car être progressiste aujourd’hui, c’est faire le choix de l’emploi, de l’adaptation et de la compétitivité, qui vont de pair.

Cette démarche si désordonnée, si tardive du Gouvernement a été préjudiciable au déploiement d’un minimum de pédagogie. En réalité, vous hésitez, depuis la loi Macron, devant la nécessaire conversion au libéralisme et au réalisme.

Vous avez la conversion douloureuse, lente et souvent inefficace. Or la réalité n’attend pas. Nous ne sommes pas condamnés à l’immobilisme, et l’on peut faire des compromis sociaux ambitieux. Encore faut-il poser, et bien poser, les vrais enjeux.

Cette motion vise au retrait du texte, du moins au refus de son examen. Il faut au contraire avoir ce débat. La société française ne peut plus jouer la politique de l’autruche, même si l’on peut s’interroger sur la méthode et le moment. Le moment – la fin du quinquennat – est curieusement choisi. Le calendrier, eu égard à la tenue de l’Euro de football, est lui aussi singulier.

Madame la ministre, vous voudriez accréditer l’idée que la France n’est pas réformable au-delà de votre propre texte, que l’on ne peut pas aller plus loin ; vous montrez surtout qu’elle n’est pas gouvernable de cette façon.

On a assisté, la semaine dernière, à une scène curieuse : un gouvernement qui tient meeting pour dénoncer son opposition. Habituellement, le mouvement social et politique réagit par rapport à ce que propose ou met en œuvre le Gouvernement. En l’occurrence, vous êtes tellement en difficulté que vous tentez de faire diversion.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est vrai !

M. Vincent Capo-Canellas. Le monde a changé ; il se caractérise par l’interdépendance, l’ouverture. À qui ferez-vous croire, madame la ministre, que la caricature de débat gauche-droite à laquelle vous vous êtes livrée en ouvrant la discussion générale répond aux attentes des demandeurs d’emploi ? (M. Roger Karoutchi applaudit.)

Mme Catherine Procaccia. Oui, c’est une caricature !

M. Vincent Capo-Canellas. Une autre réforme du droit du travail est possible. L’engagement d’une vraie réforme n’est pas condamné par votre maladresse. Nous voulons offrir des droits réels, déverrouiller la société française, qui est inégalitaire au regard du chômage et du manque d’accès à l’emploi.

Ouvrons ce débat ici au Sénat en repoussant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. J’informe le Sénat que je suis saisi par le groupe CRC d’une demande de scrutin public sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Les auteurs de la motion se fondent sur le Préambule de la Constitution de 1946 et le respect des règles législatives du dialogue social.

Relisons le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». La majorité sénatoriale a précisément à cœur de faire en sorte que ce droit d’obtenir un emploi ne soit pas un droit formel, mais bien un droit réel. Dans ce cadre, il y a urgence à débattre, à prendre un certain nombre de mesures contenues dans le texte de la commission. Je pense donc que nous sommes fidèles à l’esprit du Préambule de la Constitution de 1946 en levant un certain nombre de freins, en vue de permettre à des personnes en CDD, en intérim, de trouver plus facilement un emploi en CDI, par exemple.

En ce qui concerne le respect des règles législatives du dialogue social, il est vrai que nous faisons un peu le même constat que les auteurs de la motion. Il rejoint ce que nous ont dit nombre de représentants des partenaires sociaux que nous avons auditionnés : « Nous n’avons été convoqués à aucun moment, sur la base de l’article L. 1 du code du travail, pour travailler à un accord national interprofessionnel » ; « On a été concertés à trois reprises. Une fois on nous a montré le texte dans son intégralité, mais on nous l’a repris »… Bref, la méthode suivie n’a pas été exemplaire de ce point de vue. Néanmoins, cela ne doit pas nous empêcher de débattre maintenant du projet de loi.

La commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion.

À propos de l’article L. 1, je rappelle que j’ai adressé le rapport Combrexelle aux partenaires sociaux, en leur demandant s’ils souhaitaient l’ouverture d’une négociation. Ils ont refusé. Dès lors, nous avons procédé à des concertations bilatérales. Je tiens à votre disposition la liste des rendez-vous que j’ai eus avec certaines organisations syndicales et patronales. L’une d’elles, la CGT, a refusé de me rencontrer.

Par ailleurs, sur le compte personnel d’activité, l’ouverture d’une négociation a été acceptée et nous sommes parvenus à une position commune. Il y a eu application intégrale du dispositif de l’article L. 1 du code du travail.

Seul l’article relatif aux licenciements économiques, parce que l’arbitrage a été tardif, ne faisait pas l’objet des concertations. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu quinze jours supplémentaires pour rouvrir les concertations avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales.