Un sénateur du groupe Les Républicains. Et les casseurs !

M. Pierre Laurent. … et elles sont nombreuses ! Paris pourrait rapidement devenir le lieu d’une première grande conférence citoyenne européenne.

Quant à la France, nous proposons de mettre en place une instance inédite, une conférence citoyenne permanente (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), chargée d’élaborer ce nouveau projet européen et le mandat de la France en Europe. (Nouvelles exclamations et sourires sur les mêmes travées.) Il est certain que cela va vous changer, mes chers collègues !

M. Michel Raison. À quoi ça sert ?

Mme Éliane Assassi. C’est le peuple qui va désormais décider, voilà à quoi ça sert !

M. Pierre Laurent. Cette conférence citoyenne pourrait associer des représentants de toutes les forces politiques, des parlementaires et des élus locaux de tous les niveaux et de toutes les sensibilités, tous les syndicats, les ONG et le monde associatif. (M. Jacques Gautier s’exclame.) Toutes les décisions qui engagent la France à l’échelon européen doivent désormais être soumises au Parlement et la conférence citoyenne être associée au processus. Le moment venu, les propositions en faveur d’un nouveau traité européen pourraient également être soumises à un référendum.

Sans attendre, des décisions doivent être prises pour stopper le train fou de l’Europe libérale et du dumping social, cette Europe des traités autoritaires et imposés, qui jettent les peuples et les travailleurs les uns contre les autres !

Nous avons des propositions précises, notamment trois mesures immédiates contre le dumping social.

Premièrement, la France ne doit pas ratifier les traités de libre-échange que sont le TAFTA – Transatlantic Free Trade Agreement –, le CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement – et le TISA – Trade in Services Agreement. Elle doit exiger la reconnaissance du caractère mixte de ces accords, et donc l’obligation d’un vote conjoint au Parlement européen et dans chaque Parlement national. Cette décision vaudrait immédiatement pour le CETA car, je le rappelle, la Commission européenne examinera cet accord dès le début du mois de juillet et envisage de ne pas reconnaître le caractère mixte de ce traité. Aucune ratification de la France ne peut intervenir sans consultation du Parlement. Nous attendons des réponses précises sur ce point.

Deuxièmement, la France doit suspendre l’adoption et la mise en œuvre dans notre législation des recommandations européennes en matière de déréglementation sociale, à commencer par le projet de loi Travail ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Je pose la question à nos collègues de la majorité sénatoriale et au Gouvernement : cet après-midi, après avoir versé des larmes de crocodile sur le Brexit, allez-vous adopter ce texte contribuant à généraliser le dumping social, vous la droite, au Sénat (Oui ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), et vous le Gouvernement, demain, à l’Assemblée nationale, au moyen du 49.3 (Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), ce symbole du déni de la démocratie ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.) Je le dis aux uns et aux autres, c’est socialement irresponsable ! Politiquement, ce serait un nouvel acte de mépris à l’égard de notre peuple ! Ici comme au Royaume-Uni, la fracture n’est pas seulement sociale, elle est politique et démocratique ! (M. Francis Delattre s’exclame.)

Troisièmement, la France doit s’engager plus fortement pour obtenir la renégociation immédiate de la directive sur le travail détaché, et adopter les mesures qui contribueront ici, en France, à juguler l’usage scandaleux que l’on en fait aux dépens du droit du travail.

Nous appelons aussi à prendre des décisions fortes pour sortir de l’austérité.

Puisque nous allons bientôt entrer dans le débat budgétaire, nous souhaitons que la France demande la renégociation du traité budgétaire européen et que le Gouvernement annonce qu’il refuse dorénavant de conditionner son soutien aux services publics, à l’investissement public et aux collectivités locales au respect des critères idiots et contre-productifs du pacte de stabilité et de croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Pour financer ces dépenses, la France doit proposer la création d’un fonds européen alimenté par les 80 milliards d’euros que la Banque centrale européenne injecte chaque mois à fonds perdu dans les marchés financiers. L’argent doit aller à l’emploi, non plus aux banques et aux dividendes !

Enfin, la France doit agir sans tarder pour réunir une conférence européenne sur la dette, car celle-ci continue d’étrangler les budgets de nos États, et élaborer un plan de lutte draconien contre l’évasion fiscale et le dumping fiscal.

Voilà ce que nous proposons, mes chers collègues. Face à la faillite de votre projet européen, assez de mots, des actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères - cher Jean-Pierre Raffarin -, monsieur le président de la commission des affaires européennes - cher Jean Bizet -, mes chers collègues, les Anglais ont dit « non » et le Brexit apparaît d’abord comme une double amputation !

Il s’agit d’une amputation pour l’Europe tout entière, bien sûr, car le Royaume-Uni est une grande nation, celle de la Magna Carta, du parlementarisme, une nation qui, à plusieurs reprises, a mêlé son sang au nôtre au cours du siècle dernier.

M. Charles Revet. Tout à fait ! Il faut le rappeler !

M. Bruno Retailleau. Ce pays est sans doute le seul avec la France qui porte un regard global et stratégique sur le monde dans son ensemble. Ce pays dispose d’une armée et de la capacité de se défendre.

Il s’agit aussi d’une amputation pour nos amis Anglais, confrontés au risque d’un royaume désuni.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre des affaires étrangères, et c’est une évidence, le Brexit doit créer un choc, voire un électrochoc ! Pas pour punir nos amis Anglais, car on ne punit pas un peuple sous prétexte que son vote ne nous convient pas, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Il faut évidemment respecter le résultat de chaque référendum, comme vous le savez, monsieur Ayrault… (Rires et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Je le disais : il s’agit d’un électrochoc pour les Anglais, parce que le risque de désunion existe. Après tout, Douvres n’est jamais qu’à trente-cinq kilomètres de Calais. C’est également un électrochoc pour l’Europe, parce que le Brexit est la dernière chance pour notre continent. C’est une deuxième chance qui ne sera pas suivie d’une troisième ! On s’oriente soit vers la refondation de l’Europe, soit vers sa dislocation.

N’imaginez pas un seul instant que le résultat britannique soit l’expression d’un particularisme insulaire, mes chers collègues. L’euroscepticisme nous concerne aussi. Il y a quelques semaines seulement, un institut de sondage réalisait une étude qui montre que le peuple français est, après le peuple grec, l’un des peuples où l’euroscepticisme a le plus progressé. Ce résultat doit évidemment nous questionner et contribuer à refonder l’Europe, c’est-à-dire à redonner du sens à ce projet pour nos concitoyens, pour les peuples européens et les nations européennes.

Redonner du sens au projet européen, c’est avant tout redonner à l’Europe son histoire, sa géographie et une ambition.

Premièrement, son histoire : il y a une dizaine d’années, le nouveau théoricien du djihad, M. Abou Moussab al-Souri, avait jugé que l’Europe était sans doute le ventre mou de l’Occident. Pourtant, cette Europe ne doit pas être le continent de la « désidentification » ! Elle doit au contraire conserver son identité et ne peut pas faire éprouver à chaque peuple le regret d’être lui-même – il me semble que vous avez d’ailleurs employé à peu près la même phrase, monsieur le ministre.

Nos concitoyens, les peuples européens attendent que l’on reconnaisse une identité qui puise ses racines dans plusieurs sources : Athènes, bien sûr, Rome, Jérusalem, l’Épître aux Galates, la Renaissance, les Lumières. Ce sont autant d’origines et de valeurs qui ont défini et dessiné notre conception de l’homme, une conception d’être au monde, une égale dignité ontologique, qui font notre civilisation.

Dans les décennies précédentes, on a tenté de construire l’Europe par le commerce, par le marché ou par le droit, mais cela n’a pas fonctionné. Le philosophe allemand Jürgen Habermas avait proposé un « patriotisme constitutionnel ». En réalité, l’Europe doit aussi se construire par la civilisation.

L’Europe doit être un projet de civilisation, avec son histoire mais aussi sa géographie. En effet, ce qui définit une communauté politique, c’est un territoire. Aucune communauté politique au monde n’existe sans territoire, c’est-à-dire sans limites, sans frontières. Ces frontières nous disent tout autant ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas.

Vous savez parfaitement, mes chers collègues, que les critères de Copenhague n’ont jamais projeté les frontières du territoire européen sur la carte. Il faudrait bien autre chose, à la fois la carte et le territoire, d’une certaine façon, comme l’a écrit Michel Houellebecq !

Cette notion de géographie doit nous inspirer un certain nombre de réflexes : la Turquie n’est pas européenne ! Le général de Gaulle voulait une Europe européenne. Or la Turquie n’a que 5 % de son territoire en Europe. Nous devons cette clarification aussi bien aux Européens qu’à ce grand peuple et cet ami qu’est le peuple turc ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Bertrand et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

Il faut stabiliser nos frontières et dire stop à l’élargissement : de la mer Baltique à la mer Égée, les frontières de l’Europe ne doivent plus évoluer ! L’incertitude liée aux frontières a trop longtemps été pour l’Europe le symbole ou le signe de l’indéfinition de son propre projet politique.

L’Europe se définit par son histoire, par sa géographie, mais elle a également besoin d’une nouvelle ambition !

Il faut débuter par le diagnostic car, sans diagnostic, il est impossible de trouver le bon remède. Il faut donc partir d’un paradoxe cruel : jamais dans leur histoire, les peuples européens n’ont partagé une telle proximité ; pourtant, jamais dans son histoire, l’Union européenne n’a été aussi proche de son délitement !

À l’origine de ce paradoxe, on trouve une obsession, celle de délégitimer les États-nations, conjuguée à l’idée d’y substituer une construction sophistiquée dans laquelle on a cherché à créer à tout prix un État hyper centralisé de nature supranationale. Pourquoi ne pas le reconnaître ?

Cependant, ce type d’État ne peut perdurer qu’en imposant une discipline de fer, en produisant toujours plus de normes et de contraintes, et en tenant évidemment les peuples à l’écart de cette construction. Les peuples européens ont eu le sentiment d’être dépossédés. Je ferai miens les propos qu’a tenus le Premier ministre dimanche dernier à Belleville-sur-Mer, lorsqu’il a déclaré que l'Europe ne pouvait pas entraîner la disparition des États souverains.

Aujourd’hui, nous devons relever un défi, celui de remettre les souverainetés nationales, les démocraties nationales au cœur de l’Europe, au cœur du processus européen, afin que les peuples puissent se réapproprier cette belle idée européenne, dont nous avons davantage besoin aujourd’hui qu’hier et dont nous aurons sûrement encore davantage besoin demain !

Pour ce faire, il faut tirer toutes les conséquences de la situation actuelle.

La première de ces conséquences concerne l’architecture de l’Europe : il faut replacer nos démocraties nationales en son centre. Le droit européen ne doit plus primer sur la règle suprême que se sont donnée les peuples, à savoir les constitutions nationales. Cela signifie que la Cour de justice de l’Union européenne ne doit pas se prendre pour une Cour suprême. Cela signifie également, pour reprendre les termes employés par M. le Président, qu’il faut rétablir les parlements nationaux dans le processus de décision pour établir un continuum démocratique ! (Mme Catherine Morin-Desailly ainsi que M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.)

Aujourd’hui, il existe des procédures appelées communément des « cartons jaunes » ou des « cartons orange ». C’est insuffisant, il faudrait également un « carton vert » pour limiter les initiatives de la Commission européenne et faire en sorte que les Parlements puissent se réapproprier cette initiative législative. Il faudrait sans doute aussi un « carton rouge »…

M. Yves Pozzo di Borgo. Cela existe déjà !

M. Bruno Retailleau. … afin d’opposer des limites à ces initiatives, une forme de droit de veto.

La seconde conséquence tient à la nécessité de se réapproprier l’Europe que nous voulons, c’est-à-dire l’Europe que nous allons construire, non pas telle qu’elle a été construite – le projet européen a été bâti, à juste titre, pour mettre fin aux luttes fratricides, pour nous protéger de nous-mêmes d’une certaine façon – mais telle qu’elle devra affronter les défis qui viennent de l’extérieur.

C’est pourquoi il faudra relever trois défis.

Il faudra tout d’abord protéger nos emplois et notre économie en adoptant non seulement une stratégie offensive, consistant à investir notamment dans la recherche, dans le numérique et dans l’énergie, mais aussi une stratégie défensive, parce que l’on a fait du dogme de la concurrence libre et non faussée et du libre-échange à tout vent un horizon indépassable ! On a fait preuve à cet égard d’une naïveté coupable, mes chers collègues ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.) Souvenez-vous de Pechiney et d’Alcan… (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Ce n’est pas la première fois que j’en parle à cette tribune ! En outre, cher Jean Bizet, oui, il faudra un European Buy Act. Oui, il faudra réintroduire le principe de réciprocité et nous appuyer sur une véritable préférence européenne. Sinon, nos peuples refuseront l’Europe que nous voudrons construire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Il faudra ensuite élaborer une protection efficace en matière économique et en matière de défense. La défense restera une affaire nationale, mais nous devrons approfondir les coopérations industrielles et budgétaires. Il n’est pas normal que la France porte seule le fardeau de la défense européenne. Il faudra naturellement le partager. Les frontières devront être mieux défendues. Schengen a échoué, il faudra le refondre. L’agence FRONTEX devra également devenir une véritable agence avec ses gardes-côtes et ses gardes-frontières. Sinon, nous ne répondrons pas à la crise migratoire. Regardons la réalité en face, mes chers collègues !

Enfin, il faudra une Europe monétaire différenciée. L’euro nécessitera certes une gouvernance renforcée, mais son avenir passera moins par la mise en place d’un gouvernement de l’euro que par le fait que chaque pays européen s’en saisisse. Cela suppose que la France ait la capacité de tenir ses engagements (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx opine.), comme chaque pays évidemment.

Pour conclure, et après avoir entendu Jean-Pierre Raffarin parler de l’Europe mortelle, je voudrais rappeler qu’au soir de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry avait prédit que : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Oui, nous savons désormais que l’Europe aussi est mortelle !

Il convient donc de réagir : le monde d’aujourd’hui, ce monde menaçant et dangereux, en pleine transformation, exige de nous que nous construisions une Europe forte et dressée devant les défis qui l’attendent.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, l’Europe que nous devons bâtir, le cadre naturel de notre action collective, c’est l’Europe des peuples, l’Europe des nations ! Alors, seulement, nous retrouverons le fil de la confiance, et l’idéal européen brillera de nouveau sur notre continent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Bertrand. Allez Jean-Marc !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier de vos différentes interventions et saluer la qualité de ce débat. Vos propos ont montré l’importance que vous attachiez à la situation grave et préoccupante dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Vous n’avez pas hésité à avancer un certain nombre de propositions, parmi lesquelles je perçois, malgré les nuances, voire les divergences, votre attachement à l’Europe. Vous avez également exprimé le souhait que l’on fasse de cette crise et de ce choc une occasion de relancer le projet européen, de lui donner tout son sens et toute sa force, alors qu’il est aujourd’hui à la peine.

Presque tous les orateurs l’ont dit, il faut que les parlements nationaux, en particulier le nôtre, soient non seulement davantage associés au fonctionnement quotidien de l’Europe, mais aussi davantage consultés sur les propositions qu’ils pourraient formuler pour l’améliorer. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet : on constate des dysfonctionnements, des faiblesses et des lourdeurs, c’est évident, je n’y reviens pas.

Plusieurs propositions concrètes et précises ont été faites pour que le Parlement soit mieux associé à ce processus, monsieur le président du Sénat. Ces propositions se complètent et parfois s’opposent, puisque certaines visent à créer une commission sénatoriale, quand d’autres initiatives ont pour objet de créer une commission commune au Sénat et à l’Assemblée nationale. Il n’appartient pas au Gouvernement de trancher cette question, mais, ce que je peux vous dire, c’est que je souhaite que le Parlement soit davantage associé et que le plus tôt sera le mieux. Par ailleurs, je le répète, le Gouvernement est à votre entière disposition ! (M. Jean-Louis Carrère ainsi que Mmes Françoise Cartron et Hermeline Malherbe applaudissent.)

Il est en effet important que le Parlement puisse se projeter dans l’avenir, organiser des débats publics, et pourquoi pas citoyens. Cela ne me gêne pas que l’on organise une conférence citoyenne, si cela se fait au service d’une cause que nous pouvons partager et que cela redonne confiance et suscite davantage d’adhésion en faveur d’un projet qui correspond à l’intérêt fondamental de la Nation.

Cependant, il faut rappeler que le Parlement dispose lui-même de pouvoirs qu’il n’exerce pas toujours. Monsieur Retailleau, vous avez évoqué le « carton jaune ». Vous devez également savoir que le Parlement peut parfaitement se saisir des projets de directives européennes et juger si ces directives sont conformes au principe de subsidiarité. Le Parlement a donc un certain nombre de pouvoirs et de droits qu’il doit pouvoir utiliser.

J’ai également entendu dans l’intervention de M. Raffarin, comme dans celles d’un certain nombre d’orateurs sur les travées de gauche, du centre et de droite, que l’on ne peut pas faire de l’Europe le bouc émissaire de toutes les décisions que nous prenons. Lorsqu’une décision est impopulaire, il est facile de dire que c’est l’Europe qui nous l’impose ! Monsieur Pierre Laurent, ce n’est pas l’Europe qui exige de nous d’engager telle ou telle réforme. C’est la France ! Chaque pays décide souverainement de légiférer sur son droit du travail (MM. Alain Bertrand et Jean-Marc Gabouty applaudissent.) ou de réformer son régime de retraite. N’allons pas chercher les responsabilités là où elles ne sont pas et assumons nos propres responsabilités ! Cela n’empêche pas que le débat démocratique ait ensuite lieu au sein de nos instances, au Parlement et dans la société française.

En tenant un tel discours, le danger est de faire endosser à l’Europe toute la responsabilité des problèmes que les Français connaissent. Cela fait progresser l’euroscepticisme et, à mon avis, ce n’est pas rendre service à l’Europe. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)

Au-delà de ce sentiment que je tenais à vous livrer, deux questions essentielles restent en suspens.

Première question, comment allons-nous gérer la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons après le vote du peuple britannique ? Que faire et que doit faire l’Europe ? Plus l’incertitude demeurera, plus la confusion s’installera et plus le peuple britannique, comme l’ensemble des peuples européens, sera pénalisé. Nous en observons déjà les conséquences financières. Certains parlent au contraire d’aubaine, mais qu’ils attendent avant d’affirmer une telle chose ! (M. Henri de Raincourt opine.)

Quelles seront les conséquences de ce vote pour la croissance, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en France et en Europe ? L’ensemble des échanges que j’ai eus depuis vendredi matin me laissent penser que tout le monde est angoissé à cette idée et garde à l’esprit que les vingt-sept pays qui auront à discuter et à négocier avec la Grande-Bretagne doivent rester unis pour garder l’essentiel. Il faudra y veiller.

Il est important que les États mènent des concertations, en particulier la France et l’Allemagne, même si ce n’est pas exclusif. Cependant, il faut aussi veiller à préserver l’unité des vingt-sept pays européens, car celle-ci pourrait être fragilisée. Laisser durer les choses avec la Grande-Bretagne après le référendum de jeudi, comme certains le préconisent, c’est prendre une lourde responsabilité et prendre un risque en matière financière, économique et politique, tant pour l’Europe en tant que projet et en tant qu’avenir, que pour la Grande-Bretagne elle-même.

Il est vrai que l’on ne peut pas rester indifférent au débat public qui se déroule actuellement en Grande-Bretagne. Ce n’est pas faire preuve d’ingérence, c’est simplement faire deux constats.

En premier lieu, le référendum n’a été organisé que dans le but de régler un problème interne à une formation politique. (M. Robert del Picchia opine.) Les responsables ont donc pris la très lourde responsabilité de mettre non seulement le Royaume-Uni dans la difficulté, mais aussi l’Europe ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Le vote a eu lieu, il ne s’agit pas de le contester. Certains, ici ou là, proposent de revoter. On a déjà assisté à cela par le passé, mais ce serait insultant pour les peuples, pour la démocratie. La position de l’Union européenne et donc la nôtre doit être de respecter le vote populaire britannique. De leur côté, les Britanniques doivent respecter ce que nous sommes et ce que nous voulons bâtir ensemble. Plus vite l’article 50 – qui ne règle pas tout, mais constitue le seul cadre légal auquel nous pouvons nous référer – aura été mis en œuvre, mieux ce sera, dans l’intérêt de tous !

Il ne s’agit pas de punir le Royaume-Uni. Pourquoi parler de punir, monsieur Pierre Laurent ? Le peuple a décidé : il s’agit d’assumer et de respecter sa volonté, c’est-à-dire la sortie de l’Union européenne.

Une fois l’article 50 invoqué, il faudra organiser la sortie du Royaume-Uni de manière maîtrisée, responsable, sérieuse et honnête, car ce pays deviendra, en effet, un pays tiers. Cela étant, il reste à l’Union européenne et à ce pays tiers à construire des relations économiques, commerciales et financières, et ce avec des règles qui ne sont pas les mêmes que pour un pays membre ! La question de la libre circulation des personnes était justement au cœur des arguments soulevés par les partisans du Brexit. Il faut donc bien aller jusqu’au bout de la logique et vite !

En second lieu, je suis surpris de l’attitude manifestée par certains des dirigeants qui ont animé la campagne du Brexit : ils n’ont rien prévu, rien proposé, rien préparé, tout en prenant le risque d’entraîner le peuple britannique en dehors de l’Europe. Ils ont également affirmé des choses inexactes.

Je pense notamment à ce dirigeant d’un parti nationaliste et populiste, dont on trouve l’équivalent en France, M. Farage,…

M. Jean-François Husson. Il y en a d’autres !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … qui a avoué avoir menti au lendemain de l’élection. En effet, après avoir promis aux électeurs britanniques que la sortie de l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de ne plus payer sa cotisation et de réinvestir cet argent dans les hôpitaux, il a annoncé que ce qu’il avait dit n’était pas tout à fait exact. Face à des électeurs restés groggy, il a déclaré que le Royaume-Uni serait tout de même redevable d’une certaine somme en raison de l’accord qui sera immanquablement conclu avec l’Union européenne. Le montant de cet engagement financier est justement l’objet de la négociation à venir. Mais, en tout cas, ce que M. Farage a dit était faux et les électeurs ont été trompés !

Quoi qu’il en soit, le résultat du vote est là. Il faut aller jusqu’au bout de la logique et le faire de façon responsable et respectueuse. Cela souligne toute l’importance de la décision qui sera prise lors du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain et qui nécessitera la cohésion, la solidarité et le respect entre les vingt-sept pays de l’Union européenne.

Seconde question, que vous avez été presque unanimes à poser : quel sera l’avenir de l’Union européenne ? Je ne reprendrai pas vos arguments, je les ai moi-même présentés dans mon intervention liminaire.

Qu’allons-nous devenir dans ce nouveau monde dans lequel nous sommes entrés depuis déjà longtemps, qui dessine des changements de plus en plus profonds, qui trouble, et inquiète les peuples, ce monde d’une nouvelle donne globalisée, où les modèles de société et les modes de vie peuvent être mis en péril ? Que vont devenir nos emplois ? Quel avenir pour la jeunesse, nos modèles sociaux, notre culture ? C’est tout cela qui est en jeu et angoisse les peuples !

Pour autant, de grandes puissances et de grandes forces s’organisent : la Chine, l’Inde, les États-Unis qui demeurent la première puissance mondiale, la Russie aussi, qui veut redevenir cette puissance, l’Afrique qui avant de devenir une grande puissance reste confrontée au défi de sa sécurité et de son développement.

Qui peut répondre à toutes ces questions ? Qui peut faire partager aux peuples européens la conviction qu’ils auront un avenir dans ce monde globalisé et incertain ? Qui leur garantira la sécurité à l’intérieur des frontières européennes comme à l’extérieur de celles-ci et qui protégera leur mode de vie ?

Si nous voulons laisser tomber les peuples européens, alors nous pouvons soutenir le principe d’un retour aux frontières et aux seules nations ; mais si nous voulons les défendre et les entraîner avec nous, alors il nous faudra revenir à l’esprit des pères fondateurs ! Il faut, plutôt que de le dénigrer, se servir de tout ce qui a été réalisé depuis soixante ans – nous commémorerons, l’année prochaine, la fondation de la Communauté économique européenne –, en faire un levier pour retrouver la source, le sens et la force.

Voilà ce que nous avons à faire, maintenant, ensemble, et c’est une démarche qui se prépare, non qui s’improvise à coup de slogans !

Tels sont les propos que je voulais partager avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Le travail concernant les deux sujets que j’ai évoqués ne fait que commencer ; tâchons de le mener en responsabilité !

Plus nous agirons de façon responsable et sincère, et plus nous serons respectés par les citoyennes et les citoyens européens, qui, aujourd'hui, sont inquiets et angoissés.

Hier, comme je l’ai déjà dit, j’ai rencontré les représentants des pays du groupe de Visegrád. Parmi eux, se trouvait le ministre des affaires étrangères de Slovaquie, pays qui prendra, vendredi prochain, le 1er juillet, la présidence de l’Union européenne pour six mois. Je puis vous dire que ses propos étaient graves, car il mesure que quelque chose d’essentiel va se jouer et ressent déjà le poids sur ses épaules.

Pour autant, je me suis rendu compte, lors de ma visite à Varsovie, qu’en dépit de nos différences et de nos divergences, il est un point qui nous réunit, et qu’il faut sans cesse rappeler.

La déclaration de 1950 de Robert Schuman – que je croise chaque jour, car son portrait est accroché au mur du salon de l’Horloge du Quai d’Orsay –, a été suivie d’un acte historique, ayant permis d’entraîner l’Allemagne dans un début de construction européenne et, ainsi, de mettre un terme définitif à la guerre : la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

Puis, d’autres projets ont été lancés : la Communauté européenne de défense, ou CED, qui a échoué, la conférence de Messine, en effet, et, enfin, le traité de Rome, Jacques Mézard ayant cité, à raison, Maurice Faure.

Mais il y a aussi eu cette étape extraordinaire, que les peuples concernés n’oublient pas : c’est l’Europe qui a permis, à l’Espagne, de sortir du franquisme, au Portugal, de sortir de la dictature de Salazar et, aux Grecs, de sortir de la dictature des colonels. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Ensuite, après la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne, elle a accueilli tous ces pays qui, pendant si longtemps, avaient connu le joug de la dictature soviétique. (M. Francis Delattre s’exclame.)

Qu’ils soient d’Europe centrale ou de l’Est, ces pays, en dépit des positions critiquables qu’ils adoptent parfois, voient aujourd'hui dans l’Union européenne un territoire de liberté, de démocratie et de paix. Notre responsabilité est de construire, avec eux, la suite de l’histoire européenne. Nous le devons aux Françaises et aux Français, aux citoyennes et aux citoyens européens et, en tout premier lieu, mesdames, messieurs les sénateurs, à la jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)