M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 748 ?

M. Patrick Kanner, ministre. Sur le fond, madame la rapporteur, il est excessif de dire que le justiciable sera privé d’une réparation possible en cas de procès pénal.

Sur la forme, si vous êtes amenée à présenter un amendement que l’on pourrait qualifier de correctif, c’est que vous avez manifestement pris conscience que le texte élaboré par la commission spéciale présentait une difficulté.

Je voudrais insister sur le fait que les journalistes n’ont été reçus par celle-ci que très récemment.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Nous les avons reçus quand ils l’ont demandé !

M. Patrick Kanner, ministre. Certes, monsieur le président, mais peut-être aurait-il fallu qu’ils le soient en amont des travaux de la commission spéciale. Il semblerait, madame la rapporteur, que les représentants des grandes plateformes, des réseaux sociaux, des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à internet n’aient pas été consultés du tout. Sur un sujet aussi délicat, il aurait été utile de réunir autour de la table l’ensemble des partenaires concernés.

Les dérives que vous pointez en parlant de « corbeaux numériques » sont réelles. Le Gouvernement partage votre diagnostic, mais il estime que la réponse apportée par la commission spéciale n’est pas adaptée.

Si je salue votre volonté de traiter la difficulté présentée par le texte de la commission spéciale, je crains que la démarche ne soit mal engagée. Compte tenu de l’émoi suscité par les amendements adoptés en commission, vous avez souhaité consulter les représentants des journalistes. C’est toutefois presque de manière impropre que la loi de 1881 est intitulée « sur la liberté de la presse » : il s’agit, plus largement, d’une loi sur la communication publique. Par le biais de votre amendement, vous tentez d’éteindre l’incendie allumé dans la presse, mais je crains que, ce faisant, vous n’en allumiez un autre au sein du monde des internautes, dont la liberté d’expression doit aussi être protégée. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Éric Doligé. La liberté d’injurier !

M. François-Noël Buffet. Vous instaurez la liberté d’insulter !

M. Patrick Kanner, ministre. La liberté d’expression n’est pas la liberté d’injurier !

M. Éric Doligé. Pour que cela soit vrai, il faudrait avoir un peu d’autorité !

M. Patrick Kanner, ministre. Cette liberté d’expression liée à un nouveau mode d’expression doit être aussi protégée. Il faut donc, comme vous l’avez fait, consulter les journalistes, mais aussi tous ceux qui sont concernés par la modification que vous proposez. L’adoption de ce seul amendement déclencherait des milliers d’actions en réparation contournant les exigences procédurales de la loi de 1881.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Patrick Kanner, ministre. Ce serait un bouleversement considérable. Une étude d’impact aurait d’ailleurs été utile pour évaluer les conséquences de la mise en œuvre de votre proposition sur l’institution judiciaire, qui serait incapable de faire face à autant de recours.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes devant un changement de paradigme, que je vous demande d’envisager avec un peu d’humilité. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Internet est le lieu où des litiges qui demeuraient auparavant dans la sphère privée et, de ce fait, en dehors du champ de la loi de 1881 se retrouvent désormais sur la place publique, et relèvent donc de cette loi. Il faut bien sûr sanctionner les abus, mais il faut aussi avoir le courage de dire que le traitement judiciaire ne sera pas suffisant, et même pour partie inopérant.

J’ajoute que si la profession de journaliste est bien définie à l’article 2 de la loi de 1881, les pigistes et autres correspondants de presse ne sont pas visés par celui-ci.

Madame la rapporteur, le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement de la commission spéciale. Je demande instamment au Sénat de voter l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je voudrais éclairer M. le ministre sur la définition de la profession de pigiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. André Reichardt. Il en a besoin !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. L’article L.7111-3 du code du travail donne une définition du journaliste professionnel. Le correspondant de presse qui travaille sur le territoire français ou à l’étranger est considéré comme un journaliste professionnel s’il perçoit une rémunération fixe et remplit les conditions prévues au premier alinéa de l’article L.7111-3 du code du travail.

Cette définition s’applique également au pigiste, terme non juridique qui a été introduit à la demande du président Bas, dès lors qu’il remplit les conditions de l’article L.7111-3 du code du travail, selon un arrêt du 1er février 2000 de la chambre sociale de la Cour de cassation. En outre, aux termes de la loi Cressard du 4 juillet 1974, qui visait expressément les correspondants régionaux de presse, l’article L.7112 – auparavant L.761-2 – du code du travail assimile les pigistes aux journalistes professionnels.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je respecte tout à fait le travail et la rigueur de Mme la rapporteur. En disant tout à l’heure que la commission spéciale avait œuvré en catimini, je ne mettais pas en doute le fait que sa position résultait d’une évaluation suffisante. Toutefois, quand on rédige un texte visant à modifier une loi fondatrice de la liberté d’expression, il faut rencontrer les parties concernées, en l’occurrence les journalistes, les organes de presse dans toute leur diversité. Sur un tel sujet, il était indispensable de les consulter.

M. le ministre a justement souligné que la loi de 1881 sur la liberté de la presse est, plus largement, fondatrice de la liberté d’expression : dans notre pays, la législation relative à la liberté d’expression a été fondée sur la législation relative à la liberté de la presse. La loi de 1881 concerne donc l’ensemble des citoyens.

Madame la rapporteur, au travers d’un amendement élaboré quasiment à la veille de ce débat, vous souhaitez modifier la rédaction adoptée par la commission spéciale, mais vous n’allez pas jusqu’au bout. Je salue les modifications que vous proposez, mais elles demeurent insuffisantes. Alors même que vous prétendiez que le dispositif de la commission spéciale ne concernait nullement les journalistes, vous présentez dans la précipitation un amendement qui vise à les exclure de son champ, reconnaissant ainsi, de fait, que celui-ci les englobait bel et bien !

Comme beaucoup de personnalités publiques, de sénateurs et de sénatrices, je fais l’objet d’injures d’une violence inouïe sur internet. Je souhaite moi aussi, bien sûr, que les victimes de propos injurieux ou diffamatoires soient protégées. Une piste serait d’obliger les plateformes à supprimer les contenus en cause. Nous devons mener ce combat, mais il ne faut pas légiférer dans la précipitation. Il est nécessaire d’avoir auparavant un grand débat sur la liberté d’expression à l’heure du numérique !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Assouline.

M. David Assouline. Notre groupe votera donc en faveur de l’adoption de l’amendement du Gouvernement, et contre celui de la commission.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. Je vous invite à relire le rapport que Thani Mohamed Soilihi et moi-même avons rédigé. Vous y trouverez, en annexe, la liste des personnes que nous avons auditionnées. Cela mettra un terme au débat !

En effet, nous avons interrogé l’ensemble des acteurs, qu’ils soient favorables ou opposés à nos propositions. Nous avons en particulier auditionné le principal avocat de tous les groupes de presse. Il me semble donc que nous avons fait notre travail en matière d’auditions. De plus, le rapport datant de juillet, ceux que nous n’aurions pas entendus ont eu le temps de se manifester.

Mme la rapporteur, dans le cadre du travail remarquable qu’elle a accompli, a pris la précaution de recevoir de nouveau un certain nombre d’organes de presse, ce qui l’a amenée à rédiger un amendement que je qualifierai de compromis.

Sur le fond, nous voulons revenir à la jurisprudence antérieure à un arrêt de la Cour de cassation datant de 2000, jurisprudence qui ne faisait pas débat. Que je sache, c’est au législateur, et non à la Cour de cassation, de faire la loi ! L’arrêt en question de la Cour de cassation a d’ailleurs fait l’objet d’une critique quasiment unanime, au motif essentiel que certaines victimes ne pourraient plus obtenir réparation d’une faute commise à leur endroit.

Mme la rapporteur nous a livré une analyse juridique absolument remarquable. Parmi ses sources figure la Chancellerie elle-même, qui nous avait guidés, Thani Mohamed Soilihi et moi-même, dans l’élaboration des préconisations que nous avons formulées. Je voterai des deux mains l’amendement de la commission spéciale !

Monsieur le ministre, je suis effaré de lire la phrase suivante dans l’objet de l’amendement du Gouvernement : « Les juridictions civiles sont en effet celles qui peuvent potentiellement porter les plus graves atteintes à la liberté de la presse, en imposant notamment des interdictions ou des retraits. »

Monsieur le ministre, c’est l’autorité judiciaire qui, en France, est chargée d’assurer la défense des libertés individuelles ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est minuit ; je vous propose de prolonger nos travaux pour achever l’examen de l’article 37.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.

M. André Gattolin. Il faut savoir raison garder : une commission spéciale ne représente pas l’ensemble de la société. Entre les journalistes, écartés du champ du dispositif, et les corbeaux numériques, il y a des internautes, des personnes réelles qui ne se retranchent pas derrière l’anonymat et ont le droit de s’exprimer !

M. Pillet nous parle de la loi de 1881, qu’il semble très bien connaître, mais, à l’époque, le statut de journaliste n’existait pas. La loi en a créé un en 1935 parce que les injures étaient devenues monnaie courante dans la presse : il fallait réguler les choses.

Je veux bien que l’on essaie de réprimer les agissements des corbeaux numériques, mais il ne faut pas faire d’amalgame avec l’ensemble des internautes. Un blogueur professionnel n’est pas un journaliste. Votre proposition est bancale, car elle ne tient pas compte de la réalité économique et technologique. Les contenus que vous entendez interdire seront hébergés sur des serveurs situés à l’étranger, et la situation sera encore pire !

Je peux vous dire d’expérience que, pour faire retirer un paragraphe sur Wikipédia, il faut en passer par le droit du commerce californien…

M. David Assouline. C’est un problème !

M. André Gattolin. Cela prend trois ans, et on est confronté à des problèmes techniques monstrueux !

Madame la rapporteur, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui détiennent un savoir juridique, et, de l’autre, des parlementaires à qui l’on doit demander de corriger leurs amendements : veillons à maintenir une certaine courtoisie entre nous ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Sur le fond, il faut traiter le sujet en prenant en compte les évolutions technologiques d’internet.

En conclusion, le groupe écologiste soutiendra l’amendement du Gouvernement et votera contre l’amendement de la commission spéciale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Monsieur Pillet, je viens de relire la liste des personnes auditionnées figurant en annexe du très bon rapport d’information que vous avez rédigé avec M. Mohamed Soilihi : on y trouve des représentants du ministère de la justice, du ministère de l’intérieur, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et, au titre des personnes qualifiées, un expert près la Cour de cassation et M. Christophe Bigot, avocat, ainsi que des universitaires et des membres de la direction des systèmes d’information du Sénat – on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! (M. Jean-Claude Carle s’exclame.)

J’aurais aimé que le ministère de la culture et le secrétariat d’État chargé du numérique soient également consultés, de même que le Conseil national du numérique et, surtout, les hébergeurs de sites internet. Cela n’a pas été le cas. Je ne cherche nullement à minimiser la qualité du travail réalisé, mais vous ne pouvez affirmer que toutes les personnes susceptibles de nourrir la réflexion ont été consultées : ce n’est pas vrai ! (M. François Pillet s’exclame.)

M. David Assouline. Ce n’est pas vrai du tout !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Personnellement, je ne voterai pas l’amendement du Gouvernement et je me rallierai à l’avis de la commission spéciale.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que nous devions nous caler sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Or, que je sache, nous ne sommes pas dans un régime anglo-saxon : en France, la loi prime sur la jurisprudence, qui ne donne qu’une indication. De plus, je trouve un peu fort de café de vous référer à un unique arrêt de la Cour de cassation, alors que, au travers de certains articles que nous examinerons ultérieurement, vous marchez sur les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme !

Par ailleurs, vous venez d’affirmer que nos collègues auteurs de l’excellent rapport d’information, qui a d’ailleurs donné lieu à une proposition d’amendement transpartisane, n’avaient pas assez consulté. Faut-il que je vous rappelle le nombre de consultations auxquelles vous avez procédé dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif aux fusions de régions ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.) Vous n’avez alors pas hésité à passer outre l’avis des élus, à leur marcher dessus ! Vous ne pouvez donc pas faire valoir cet argument, car vous prônez la consultation seulement quand cela vous arrange ; dans le cas contraire, vous passez outre ! Voilà quelle est votre méthode ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Philippe Dallier. Ça se fait sur un coin de table !

M. Patrick Kanner, ministre. Ce n’est pas brillant…

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, ne nous avez-vous pas invités à l’humilité tout à l'heure ? Eh bien, je vous renvoie à vos propos ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il faut raison garder. Vous donnez des leçons à longueur de journée, mais nous parlementaires avons le droit de nous exprimer…

M. Patrick Kanner, ministre. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. … et de vous dire ce que nous pensons, même si cela ne vous fait pas plaisir ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Il ne faudrait pas que notre débat laisse à penser qu’internet n’est pas un formidable outil pour renforcer la citoyenneté et que nous ne l’envisageons que comme un risque, une source d’abus, notre première préoccupation étant non pas d’affirmer la liberté d’expression de chacun, mais de l’encadrer.

Voilà plus de cent ans, une loi a encadré la liberté de la presse pour la protéger. Je ne crois que nous puissions, aujourd’hui, faire évoluer aussi rapidement cette loi pour encadrer internet, car les dispositions qui seront adoptées s’appliqueront à tout le monde, et pas seulement aux journalistes.

Madame la rapporteur, je ne pense pas non plus que l’on puisse établir des droits différents selon le statut et la profession des personnes : distinguer entre les journalistes et les simples citoyens en matière de répression des abus de la liberté d’expression me semble dangereux pour l’exercice même de la citoyenneté dans notre pays. La liberté est pour tous, et internet renforce la liberté pour tous !

Dès lors, il me paraîtrait plus raisonnable aujourd'hui d’approfondir la réflexion que le Sénat a engagée sur la liberté d’expression à l’heure d’internet.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. L’amendement de la commission spéciale vise à exonérer les journalistes professionnels, y compris les pigistes et les correspondants de presse, de toute responsabilité civile. Mais quid des directeurs de publication et des éditeurs ? En effet, dans la chaîne de responsabilité pénale, ce sont eux qui sont en première ligne.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il faut distinguer la responsabilité civile de la responsabilité pénale. En matière civile, seul celui qui a commis la faute est concerné.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 677.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une de la commission spéciale, l'autre du groupe socialiste et républicain.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 24 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 148
Contre 190

Le Sénat n'a pas adopté. (M. Guy-Dominique Kennel applaudit.)

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 748.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 25 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 197
Contre 140

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

L'amendement n° 676, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 15 et 19

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 22

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. 54-1. – En cas de poursuites engagées en application des articles 50 ou 53 sous la qualification prévue soit au septième alinéa de l’article 24, soit au deuxième alinéa de l’article 32, soit au troisième alinéa de l’article 33, la juridiction de jugement peut, dans le respect du principe du contradictoire, requalifier l’infraction sur le fondement de l’une de ces dispositions.

« En cas de poursuites engagées en application des articles 50 ou 53 sous la qualification prévue soit au huitième alinéa de l’article 24, soit au troisième alinéa de l’article 32, soit au quatrième alinéa de l’article 33, la juridiction de jugement peut, dans le respect du principe du contradictoire, requalifier l’infraction sur le fondement de l’une de ces dispositions. » ;

III. – Alinéa 24

Rédiger ainsi cet alinéa :

« En cas de poursuites engagées sous la qualification prévues aux septième ou huitième alinéas de l’article 24 ou aux troisième ou quatrième alinéas de l’article 33, le présent article est également applicable devant la juridiction de jugement si celle-ci requalifie l’infraction sous la qualification prévue aux deuxième et troisième alinéas de l’article 32. » ;

La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Cet amendement procède de la même philosophie que le précédent.

La commission spéciale a modifié l’article 37 afin de généraliser la possibilité de requalification des délits de presse à l’audience. Là encore, le Gouvernement ne peut que s’opposer à une telle mesure.

La loi de 1881 assure un équilibre entre la liberté d’expression et la répression des abus de cette liberté. Or l’interdiction de requalifier constitue un élément essentiel de cet équilibre, qui demeure précaire et qu’il faut donc défendre.

Il ne paraît possible d’y déroger, comme le prévoyait le projet de loi, que pour les diffamations et injures racistes ou discriminatoires, car celles-ci peuvent concerner des groupes de personnes. La distinction entre l’injure et la diffamation est plus difficile à établir que pour les diffamations et injures de droit commun concernant des personnes individuellement identifiées.

Je vous renvoie à l’avis du Conseil d’État, qui a été rendu public : le Conseil d’État a choisi de disjoindre une partie des ajouts que propose désormais la commission spéciale, notamment la possibilité de requalifier toutes les infractions de presse entre elles – injures, provocations à la haine, à la violence et à la diffamation.

En conséquence, le Gouvernement vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir adopter cet amendement, qui vise à rétablir les dispositions retenues en première lecture par l'Assemblée nationale et, surtout, à limiter la possibilité de requalification aux seuls délits à caractère discriminatoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. L’amendement du Gouvernement, qui porte sur la suppression de l’extension de la possibilité de requalifier les délits de presse, revient sur l’adoption par la commission spéciale des amendements de MM. Pillet, Mohamed Soihili et Richard.

En effet, l’impossibilité pour le juge de requalifier les faits dont il est saisi ne se justifie plus aujourd’hui et contribue à affaiblir très substantiellement les mécanismes répressifs de la loi de juillet 1881. Même s’il est mal qualifié, l’abus de la liberté d’expression existe bien.

Limiter ce retour au droit commun de la procédure pénale à un nombre restreint d’infractions de presse, comme le propose le Gouvernement, en fonction de certains délits, entraînerait un risque d’incohérence et de rupture d’égalité manifeste devant la loi de 1881. Il nous semble donc préférable de permettre au juge de requalifier tous les délits de presse dont il est saisi.

Le dispositif proposé par le Gouvernement nous semble s’arrêter au milieu du gué : ou bien la requalification est possible en vertu de la loi de 1881, et il convient alors de la permettre pour tous les délits; ou bien la requalification n’est pas permise. Le texte de la commission spéciale me paraît présenter l’avantage de la cohérence.

En conséquence, la commission spéciale émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. Une fois encore, Mme la rapporteur a été particulièrement claire sur la motivation en droit et en fait du rejet de l’amendement du Gouvernement.

Je suis quelque peu stupéfait de la défiance à l’égard du juge qui s’exprime en cette fin de soirée. En l’espèce, qui va décider de requalifier les délits de presse ? C’est le juge. Pourquoi tant de défiance à l’égard de l’autorité judiciaire, dont on ne doute ni de l’indépendance, ni de l’objectivité, ni de la transparence ? Je ressens, en filigrane de ce débat, une mise en cause de l’autorité judiciaire.

M. David Assouline. Ne surjouez pas dans ce registre ! Vous passez votre temps à attaquer les juges ! (M. le président de la commission spéciale s’exclame.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Je voudrais insister sur le fait que le Conseil d’État, dans son avis, considère que l’impossibilité de requalifier est consubstantielle à l’équilibre de la loi de 1881. Il convient de préserver cette garantie essentielle. Vous passez outre : c’est votre responsabilité. Pour ma part, je m’en tiens à l’avis du Conseil d’État, qui me paraît fondé mais n’est pas non plus pris en compte dans l’analyse de Mme la rapporteur.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. L’impossibilité de la requalification est au cœur même de la loi de 1881.

Là encore, aucune étude d’impact n’est fournie. Les juges procéderont à des requalifications par milliers : cela ne pose pas de problème, on sait bien qu’ils n’ont que cela à faire, qu’ils ne sont pas débordés !

Aujourd’hui, votre camp politique propose d’augmenter les effectifs des personnels de justice, après avoir supprimé des postes quand il était au pouvoir ! Tout cela est d’une incohérence totale !

Vous voulez régler de façon précipitée un problème tout à fait sérieux, que nous devons étudier avec précision, y compris avec les magistrats.

Le rapport d’information est intéressant quant au constat, mais peu disert quant aux remèdes à apporter et aux préconisations concrètes susceptibles d’être inscrites dans une loi. Ne prétendez donc pas que tout y est déjà écrit, car ce n’est pas vrai ! Il comporte des éléments essentiels, mais un travail de dentelle juridique reste à faire pour ne pas déstabiliser un dispositif en vigueur depuis 1881. Il convient de prendre le temps d’approfondir la réflexion et la concertation avec ceux qui, sur le terrain, devront faire appliquer la loi.

À cet égard, le Gouvernement ne clôt pas le débat : il propose de revenir au dispositif adopté par l'Assemblée nationale et de se donner du temps.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 676.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 26 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 146
Contre 191

Le Sénat n'a pas adopté.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 678, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 25 et 26

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le ministre.