Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Madame la présidente, madame la rapporteur, Catherine Di Folco, monsieur le président de la commission des lois, cher Philippe Bas, mesdames, messieurs les sénateurs, nous célébrerons dans quelques mois le vingt-cinquième anniversaire de la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, dite ATR. Je me souviens des difficultés, lorsque j’étais secrétaire d’État aux collectivités locales – Jean-Pierre Sueur, ici présent, qui m’a succédé à ce poste, s’en souvient aussi –, à faire aboutir ce texte, qui marqua pourtant le début de la dynamique intercommunale et qui a, sans conteste, été un puissant levier de la modernisation de notre organisation territoriale.

Au cours de ce quinquennat, le Gouvernement a de nouveau conduit une réforme d’envergure, qui a conforté et renforcé cet échelon, auquel, je le sais, nous sommes tous désormais attachés.

Une nouvelle carte intercommunale verra le jour dès le 1er janvier prochain. Les seuils démographiques adoptés par le Parlement contribueront à bâtir des ensembles intercommunaux disposant de capacités accrues d’action et d’ingénierie.

Partout, le travail de mise en place de ces nouvelles intercommunalités a commencé et un mouvement d’une telle ampleur nécessite bien sûr des ajustements, d’où notre débat de ce soir. Le Gouvernement en a, lui aussi, pleinement conscience et je mesure bien les évolutions importantes que peuvent entraîner une fusion ou une extension d’EPCI, que ce soit en matière de compétences, de budget, de fiscalité ou de ressources humaines.

Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux élus et aux agents des collectivités engagés dans ce délicat travail de mise en place des nouvelles communautés. Pour les accompagner, nous avons transmis aux préfets, depuis le mois de juin dernier, différentes circulaires.

D’autres adaptations viendront bien évidemment – dans le projet de loi de finances, dans le projet de loi de finances rectificative ou dans le cadre du projet de loi « Égalité et Citoyenneté » – afin d’apporter, partout où cela est nécessaire, encore plus de souplesse sur les questions d’urbanisme.

La proposition de loi que nous examinons ce soir aborde une autre question fondamentale pour les élus, celle de la gouvernance. À l’heure des recompositions de périmètre, les conseils communautaires vont nécessairement devoir évoluer, de même que, parfois, leurs exécutifs.

Certaines communes vont bénéficier de sièges supplémentaires tandis que d’autres verront leur nombre de représentants diminuer. Ces évolutions posent bien sûr de nombreuses difficultés. J’en sais moi-même quelque chose, étant en ce moment confronté, dans ma propre communauté de communes, à une recomposition du conseil communautaire en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel Commune de Salbris.

En effet à l’occasion de cette décision, le Conseil a affirmé que la répartition des sièges entre les communes devait refléter au mieux leur poids démographique tout en permettant de s’en écarter, mais de façon très limitée et très encadrée. Vos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, dont je veux souligner l’engagement sur ces sujets complexes, ont alors traduit cette jurisprudence dans le droit positif.

Toutefois, certaines intercommunalités sont aujourd’hui, en application des textes, dans l’incapacité de recourir à un accord local. Cette inégalité de traitement doit donc être combattue en redonnant des capacités d’initiative aux élus. C’est précisément l’objet de la proposition de loi déposée par vos collègues Jacqueline Gourault et Mathieu Darnaud, et je tiens à les en remercier.

Je veux également saluer le travail de réécriture de l’article 1er réalisé par Mme la rapporteur et les membres de la commission des lois. Le système de double plafonnement va dans le bon sens et permet de ne pas modifier les règles de calcul du nombre de sièges. C’est en effet la pierre angulaire de la jurisprudence constitutionnelle.

Votre rapporteur proposera un amendement visant à préciser explicitement que les nouvelles modalités de répartition des sièges sont réservées aux intercommunalités ne pouvant faire jouer les dispositions actuellement en vigueur. La rédaction de cet amendement respecte bien l’esprit de la proposition de loi ; dès lors, le Gouvernement y sera favorable.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite profiter de ce texte pour tirer les conséquences de la décision récente du Conseil constitutionnel Communauté de communes des sources du lac d’Annecy et autre, qui censure la procédure aujourd’hui en vigueur pour déterminer à quelle intercommunalité à fiscalité propre doit être rattachée une commune nouvelle formée de communes historiques appartenant à des communautés différentes. Un amendement de Mme la rapporteur tend à répondre à cette difficulté.

Toutefois, je vous proposerai quelques améliorations destinées à sécuriser davantage le dispositif pour ne pas subir de nouveau les difficultés constitutionnelles qui nous occupent – nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de nos débats.

Au-delà, votre commission a adopté différents amendements afin de mieux accompagner la mise en œuvre de la réforme intercommunale ; je note d’ailleurs que le texte s’intitule désormais « proposition de loi tendant à faciliter la mise en place et le fonctionnement des intercommunalités ».

Nous aurons l’occasion tout à l’heure d’aborder dans le détail les nouvelles dispositions votées en commission ainsi que les amendements complémentaires déposés en vue de l’examen du texte en séance, mais sachez d'ores et déjà, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement veut se montrer ouvert aux mesures tendant à simplifier le fonctionnement des collectivités. La commission des lois a d’ailleurs adopté plusieurs dispositions qui me paraissent pertinentes.

Il en est ainsi du report d’un mois du vote du budget ou des précisions utiles apportées aux conditions de majorité qualifiée pour déterminer l’intérêt communautaire. Il serait désormais explicitement indiqué que le vote doit recueillir les deux tiers des suffrages exprimés, et non les deux tiers des voix des membres du conseil communautaire.

De même, le Gouvernement ne s’opposera pas à la possibilité de désigner un conseiller suppléant qui serait désormais offerte aux communes membres d’une communauté urbaine ou d’une métropole et ne disposant que d’un seul siège.

Enfin, votre commission des lois a adopté sans modification l’article 2, relatif à l’indemnisation des conseillers communautaires délégués. Cet article prévoit de faire bénéficier les communautés de communes des mêmes dispositions que celles qui sont en vigueur dans les autres catégories d’établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cette mesure me semble opportune, sous réserve explicite de rester dans l’enveloppe globale indemnitaire, en particulier pour les vice-présidents qui perdraient leur fonction et l’indemnité afférente.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais, pour connaître un peu l’institution sénatoriale, que les débats seront de qualité. Peut-être seront-ils rapides… En tout état de cause, le texte qui en découlera est attendu par les élus de terrain, notamment s’agissant de la question des accords locaux.

Ainsi, sous réserve de l’adoption de l’amendement de Mme la rapporteur à l’article 1er et de l’amendement gouvernemental relatif au rattachement d’une commune nouvelle, le Gouvernement est ouvert à la discussion de toutes les propositions qui permettront de faciliter le fonctionnement des nouvelles intercommunalités et, ce faisant, la vie des élus. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Jacqueline Gourault et M. Mathieu Darnaud applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Alexis de Tocqueville voyait dans la liberté communale la garantie la plus solide de la liberté politique. « Les institutions communales », écrivait-il dans De la démocratie en Amérique, « sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. »

Hélas, la rationalisation « à marche forcée » des périmètres de l’intercommunalité ainsi que le manque de confiance témoigné à l’égard des élus locaux nous éloignent quelque peu de cette perspective. Face au nombre d’incohérences, de difficultés et d’obstacles pratiques qui émergent de l’application de la loi NOTRe – pas la nôtre, celle que les membres du RDSE appellent, entre eux, la « loi Leur », devenue la « loi leurre »… (Sourires.) –,…

M. Jean-Claude Luche. Elle est très bonne ! Une autre !

M. Jean-Claude Requier. … le législateur n’en finit pas de corriger cette loi et de poser des rustines.

Ainsi, dans nombre de départements, l’inquiétude sur le futur des nouvelles intercommunalités a joué sur le rejet des schémas : calendrier de mise en œuvre trop contraint ; absence d’accord sur la gouvernance future de l’EPCI, en raison des règles strictes organisant la recomposition du conseil ; budget à adopter dans des délais trop courts pour permettre de régler sereinement les questions complexes de fiscalité ou de mécanique budgétaire.

Nous avons été un certain nombre, particulièrement ici, au Sénat, à pointer ces difficultés lors des débats, mais le gouvernement d’alors – vous n’en faisiez pas partie, monsieur le ministre – n’en a pas tenu compte, se réservant une procédure de passage en force pour assurer la mise en place de la réforme.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Jean-Claude Requier. Je rappelle que, afin de redonner de la souplesse aux élus pour la mise en œuvre de la réforme de l’intercommunalité, le groupe du RDSE a fait adopter par le Sénat, le 7 avril dernier, sa proposition de loi permettant de rallonger d’un an le délai d’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités. Qu’attendent nos collègues députés pour adopter ce texte ?

M. Jean-Claude Requier. Dans le même esprit, la présente proposition de loi, déposée par nos collègues Jacqueline Gourault et Mathieu Darnaud pour « faciliter la recomposition de la carte intercommunale », a pour objet de redonner de la souplesse au cadre juridique de l’accord local permettant la recomposition des assemblées communautaires, pour assurer son effectivité pratique.

L’incohérence dont il est question aujourd’hui est liée à la règle de l’accord local, encadrée si strictement par la jurisprudence constitutionnelle et la loi qu’elle engendre une quasi-impossibilité mathématique d’obtenir un accord local sur le nombre et la composition du conseil communautaire.

Ce texte, qui permet d’augmenter, tout en le plafonnant, le nombre de sièges de conseillers communautaires pouvant être répartis et destinés à permettre la conclusion d’un accord local, va dans le bon sens. En rendant le recours à l’accord local effectif, la proposition de loi redonne une marge de décision aux communes membres, ce qui leur permet de s’écarter de la méthode légale stricte.

Cependant, on voit déjà se dessiner de nombreux autres cas d’incohérences, qui impactent la gouvernance des intercommunalités nouvellement créées et leur légitimité.

La deuxième incohérence majeure provient de l’interruption des mandats de représentants élus régulièrement en mars 2014 en cas de fusion d’EPCI entre deux renouvellements municipaux. De nombreux conseillers communautaires, régulièrement élus, depuis la loi dite Valls du 17 mai 2013, au scrutin universel direct – par les électeurs – en 2014 pour une durée de six ans, perdront leur siège en 2017, au mépris du choix des électeurs et de la sincérité du scrutin.

Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard. C’est vrai !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Hélas !

M. Jean-Claude Requier. Cela aurait pu être évité, en faisant concorder les prochaines élections municipales et communautaires avec l’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités. Une fois de plus, le Gouvernement a confondu vitesse et précipitation.

La troisième incohérence résulte de la règle qui s’applique lors de la démission ou du décès d’élus communaux, nécessitant d’organiser des élections partielles ou totales et remettant en cause l’accord local de répartition des sièges au conseil communautaire qui existait à la suite des élections de 2014 – il semble que cette situation soit celle de votre communauté de communes, monsieur le ministre. (M. le ministre opine.) Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel Commune de Salbris prévoit explicitement l’impossibilité de maintenir des accords locaux intervenus antérieurement à cette décision. Cela a abouti à ce que des conseillers communautaires régulièrement élus en mars 2014 soient démis de leurs fonctions, ce qui méconnaît encore une fois le choix des électeurs. Une solution doit être trouvée pour garantir la stabilité juridique.

Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. La quatrième incohérence résulte du choix du critère démographique pour désigner le nombre de représentants au sein du conseil communautaire, ce qui a nécessairement pour corollaire un déficit de représentation des communes rurales. C’est ainsi au détriment de ces communes, dont le poids démocratique est plus faible, que s’opère peu à peu la refonte de la carte intercommunale.

D’évidence, l’objectif affiché par le Gouvernement d’une plus grande représentation démocratique au sein des intercommunalités est encore loin d’être atteint. Si l’on veut que la démocratie soit pleinement démocratique, il faut qu’elle s’accompagne de bon sens, de simplicité et d’imagination.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Jean-Claude Requier. Aussi, le groupe du RDSE votera à l’unanimité en faveur de cette proposition de loi, et ne doute pas que d’autres textes de précision, voire de rafistolage, seront encore nécessaires dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Poher et Joël Labbé applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Claude Luche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Jacqueline Gourault et Mathieu Darnaud de cette proposition de loi, qui, il est important de le rappeler, ne doit pas être envisagée comme un énième texte modifiant encore les règles applicables aux intercommunalités.

Cette proposition de loi constitue au contraire une réponse nécessaire et attendue par les acteurs locaux aux problèmes rencontrés sur le terrain dans la mise en œuvre de l’accord local tel qu’il est conçu aujourd’hui.

Pour vous en convaincre, je vais prendre l’exemple de mon département de l’Aveyron, parce que je le connais particulièrement bien, mais aussi parce qu’il illustre tant la difficulté à parvenir à un accord local dans de nombreuses configurations que la nécessité de permettre autant que possible cet accord dans nos territoires.

S’agissant d’abord des difficultés à parvenir, dans la pratique, à un accord local sur la composition du conseil communautaire, en Aveyron, comme certainement dans beaucoup d’autres départements, particulièrement ruraux, les écarts de population sont souvent très importants. Nombreuses sont les communautés de communes qui se structurent autour d’un bourg-centre dont la population est bien supérieure à celle des autres communes membres. Or, dans ce cas comme dans celui des intercommunalités dites XXL, un accord local s’avère souvent impossible à trouver.

Je veux citer l’exemple, dans mon département, de la communauté de communes de Millau-Grands Causses. Structurée autour de la ville de Millau, que tout le monde connaît,…

M. Jean-Claude Luche. … qui compte 22 000 habitants, la communauté de communes a une population de 29 000 habitants. La commune-centre représente donc plus de 75 % de la population totale de la communauté de communes.

Il faut par ailleurs ajouter un siège de droit pour chaque commune membre, dans la limite du nombre de sièges à répartir selon la loi, sans s’écarter excessivement de l’équilibre démographique et de la proportionnalité, qui doivent primer. Voilà une équation mathématiquement insoluble.

Face à cette situation problématique au regard de l’égalité des territoires et qui est amenée à se multiplier avec l’adoption de la nouvelle carte intercommunale, le présent texte apporte une solution satisfaisante, efficace et bienvenue, tout en respectant les exigences constitutionnelles.

Dans mon département, cette solution permettrait de résoudre au moins trois cas de communautés de communes pour lesquelles un accord local paraît aujourd’hui très difficile à obtenir.

De nouveau envisageable, l’accord local, et c’est le second point qui me paraît important, permet une meilleure acceptation du regroupement intercommunal par les élus et les citoyens. C’est, en cela, un enjeu majeur sur le territoire. Il est en effet essentiel que la recomposition de la carte intercommunale et la mise en place des nouveaux périmètres qui en résulte se fassent dans les meilleures conditions possible et soient accompagnées de façon volontaire et bienveillante par les maires.

Certes, ce texte n’exclura pas les désaccords que je qualifierai de « politiques », qui empêchent parfois de se mettre d’accord au niveau local. Mais, lorsque la volonté de déterminer ensemble la composition du conseil communautaire existe, nous devons permettre cet accord le plus largement possible.

Impliquer les maires est une exigence d’autant plus primordiale que les candidats à ces fonctions se font de plus en plus rares dans nos milieux ruraux, comme on l’a vu lors des dernières élections municipales de 2014. La charge fait peur, nous le savons, et les intercommunalités, amenées à occuper une part croissante dans la vie des communes, vont peser dans les choix à venir.

Le mandat de maire est, dans les faits, intimement lié aux fonctions de conseiller communautaire. C’est particulièrement vrai dans les communes de moins de 1 000 habitants, où le maire est, d’office, suivant l’ordre du tableau, membre du conseil communautaire. Même dans le cadre de l’élection par fléchage, dans les communes de plus de 1 000 habitants, le maire est, en pratique, très souvent conseiller communautaire.

N’oublions pas que, sur le terrain, ce sont les maires qui, au premier chef, font vivre les intercommunalités et en sont l’intermédiaire pour nos concitoyens. Ils doivent véritablement être au cœur de leur constitution, dès le début, lors de la composition du conseil communautaire.

C’est pour ces raisons que le groupe UDI-UC votera ce texte, qui améliore sensiblement la mise en œuvre de l’accord local dans les intercommunalités et, plus généralement, l’organisation du travail sur le territoire dans le cadre de celles-ci. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Daniel Chasseing et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Poher.

M. Hervé Poher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez que j’aborde le sujet d’une façon un peu spécifique, sans me focaliser véritablement sur le problème de la représentativité ni sur l’aspect formel de la proposition de loi, d’autant que d’autres le feront bien mieux que je ne pourrais le faire.

Je voudrais m’attacher à la symbolique de ce texte et au contexte dans lequel il survient.

Ce qui m’amène à cette attitude, c’est une discussion que j’ai eue la semaine dernière, alors que j’avais soumis le texte de la proposition de loi et de ses amendements à des élus d’une petite communauté de communes, qui s’est déjà mariée deux fois en trois ans. Ces élus intercommunaux m’ont répondu en souriant, un tantinet moqueurs : « On est ravis de voir que Mmes et MM. les sénateurs s’intéressent à notre représentativité… Cela veut peut-être dire qu’ils vont enfin s’intéresser à nos finances… (M. Joël Labbé sourit.) Cela veut peut-être dire qu’on va enfin arrêter, pour un moment, cette cascade de réformes territoriales ! Vous, vous réformez ; nous, on assume ! » Pour être franc avec vous, je n’étais pas très à l’aise.

Quand on se renseigne un peu sur le sujet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, proposition dont la commission a très intelligemment modifié l’intitulé lors de ses travaux, on tombe immanquablement sur des notions très juridiques – critères, représentativité, distorsion, conformité à la Constitution –, le tout mâtiné de notions indigestes de mathématiques.

Or une intercommunalité, ce n’est pas que cela ; ce n’est surtout pas que cela.

Je veux vous parler de ce que je connais le mieux : les communautés de communes, ces structures qui sont souvent restées à taille humaine et qui représentent la grande majorité des EPCI. Force est de constater que, dans ces communautés de communes, on ne fait pas souvent de juridisme et on n’a pas toujours l’obsession de la règle à calcul.

Non, pour les élus de ces intercommunalités, être membre d’un EPCI, c’est avant tout un état d’esprit, une envie de construire et un besoin de solidarité territoriale. Comme je me plais à le rappeler, une communauté de communes, ce n’est pas uniquement un trait de Stabilo sur une carte au 1/50 000e !

Dans beaucoup de ces EPCI, vous le savez bien, le rapport de force n’a que peu d’intérêt : pour bâtir une dynamique collective, il faut avant tout de la discussion, des explications, de la persuasion et, parfois, des concessions.

L’adhésion à un projet ne s’acquiert pas à coups de mentons, mais à coups de clins d’œil. On n’est pas dans une communauté d’agglomération, une communauté urbaine, ni une métropole ! On est en communauté de communes.

Pourtant, malgré des décennies d’évolution, de lois multiples et variées, malgré les efforts des gouvernements, quels qu’ils soient, la plupart du temps, la population ne s’approprie pas l’intercommunalité. Les individus restent viscéralement attachés à leur commune et à leur maire.

L’intercommunalité ? Au pire, les habitants ne savent pas ce que c’est. Au mieux, ils évoquent un truc informe, un bidule administratif ou une invention machiavélique pour pomper encore plus d’impôts.

Ce « non-amour » à l’égard des intercommunalités est sans doute dû à de nombreuses raisons, qu’il serait trop long de développer, mais les responsabilités sont multiples, et le législateur n’en est pas exempt.

Or nous sommes nombreux à subodorer que la loi NOTRe n’est qu’une étape – ce qui implique qu’il y en aura d’autres…

Mais, avant d’aller plus loin, il faut savoir faire le bilan de nos fautes de frappe,…

M. Jacques Mézard. Vous les avez votées !

M. Hervé Poher. … pour redonner du sens à ces réformes, pour redonner confiance aux collectivités et, avouons-le, pour les laisser souffler un peu. En effet, quand on verse trop dans le juridisme et le réglementaire, on finit par oublier d’inventer, ce qui est bien dommage, car un EPCI, ce n’est pas qu’une structure de gestion !

En ce moment, les EPCI sont en train de se préparer à l’application de la loi NOTRe, à partir du 1er janvier 2017.

Comme on le lit dans les journaux, les recompositions des conseils communautaires se font dans la douleur et, souvent, avec de la rancœur. Un représentant, ce n’est qu’un représentant, certes ! Mais, souvent, pour les petites communes, c’est symboliquement très important.

Si l’on veut que les EPCI ne soient plus, pour la population, des « trucs informes », il faut redonner aux élus une envie de construire, et non l’impression de subir. Et c’est à nous, législateur, d’effacer de nos textes les erreurs de frappe et de nos têtes la tentation de trop et de tout cadrer.

Si cette proposition de loi oublie sans doute certains points, elle tend à réparer quelques erreurs. C’est déjà ça, mais il faudra sans doute remettre encore l’ouvrage sur le métier, à l’aune des expériences locales.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Encore ?

M. Hervé Poher. En effet, mes chers collègues, j’ai la faiblesse de croire que la force de la loi, c’est aussi de savoir s’adapter au vécu. Je me trompe peut-être, mais personne ne nous reprochera d’instiller un peu de vécu ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC. – M. Bernard Fournier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous franchissons une nouvelle étape – la plus importante – de la mise au point de nos structures intercommunales. Cette étape succède à beaucoup d’autres : celle de 1992, que M. le ministre a rappelée, celle de 1999, bien entendu, mais aussi la réforme de 2010, qui, au fond, a marqué une nouvelle phase, en décidant de rendre l’intercommunalité obligatoire, quand elle n’était jusqu’alors que volontaire, sur la base d’incitations. Cette réforme a logiquement engendré des situations d’une complexité inédite, là où il y avait eu le plus de réserves. Enfin, nous avons vu la fixation d’un seuil accru de population pour entrer en intercommunalité.

Nous avons alors constaté, dans les territoires, un mouvement global d’acceptation de la coopération intercommunale et de volontariat pour s’y engager, la recherche de cadres efficients, d’unités de vie, qui fassent vivre des intercommunalités pertinentes. Ce mouvement fait souvent débat dans cet hémicycle, mais c’est une réalité qu’il ne faudrait pas occulter ; de nombreux collègues l’ont d'ailleurs évoqué. Nous avons ensuite vu des obstacles de terrain, qui n’ont pas toujours été bien traités, puis un risque, qui a diverses origines, mais dont nous devons prendre conscience, de basculement vers un schéma de supracommunalité.

Il faut que nous gardions bien en tête, même à l’occasion d’une modeste discussion législative comme celle, très pragmatique, que nous avons aujourd'hui, qu’il n’existe pas de volonté majoritaire, ni au Parlement ni a fortiori dans le pays, pour que l’intercommunalité, sous ses différentes formes, remplace et dépasse les communes. Il me semble que cette réalité doive être rediscutée avec les gouvernements successifs.

Nous sommes dans le cadre fixé par le Conseil constitutionnel, dont nous avons eu maintes occasions de discuter. Si les EPCI sont, comme leur nom l’indique, des établissements publics et n’ont donc, à ce titre, pas de responsabilité immédiate à l’égard des électeurs, il est logique, comme l’a expliqué le Conseil constitutionnel dans son considérant de base, que le principe « un homme, une voix », qui joue à l’intérieur de la commune, se retrouve au niveau de l’intercommunalité puisqu’elle exerce des compétences communales. Telle est la contrainte qui nous a été fixée, et nous la respectons.

Comme cela a déjà été évoqué par Jacqueline Gourault et par plusieurs orateurs, de nombreux regroupements et de nombreuses fusions d’intercommunalités sont en train de se nouer en cette fin d’année. De ce point de vue, la question du calendrier est délicate : il ne faut pas nourrir l’illusion que la proposition de loi – je fais confiance au Gouvernement, qui a été très positif, pour faire en sorte qu’elle entre en vigueur rapidement – offrira des solutions immédiates à des difficultés qui se poseront, pour les plus importantes fusions, au cours du prochain mois ou, au plus tard, au début du mois de décembre.

Il n’empêche que le présent texte comporte de bonnes mesures, sur lesquelles nous convergerons facilement. Je pense à l’extension de la taille des conseils, notamment dans les zones rurales, où les conseils, loin d’être pléthoriques, restent de dimension raisonnable.

Avec Jacqueline Gourault, nous avions réfléchi à une amélioration supplémentaire, qui aurait consisté à appliquer autrement le barème permettant de comparer la représentativité des différentes communes, en écartant les communes bénéficiant du minimum en la matière. Le Gouvernement nous a fait observer que cette solution était risquée en termes d’égalité des suffrages, raison pour laquelle nous ne sommes pas allés plus loin. L’amélioration sera donc limitée.

Je veux tout de même souligner que, comme le calcul s’opère sur la base d’un système de proportionnelle à la plus forte moyenne, la création de sièges supplémentaires et leur répartition suivant un barème qui tient compte de la population bénéficie souvent aux communes les plus peuplées. Ce n’est d'ailleurs pas du tout illégitime lorsque la ville-centre s’est trouvée largement mise en minorité du fait de l’élargissement de l’intercommunalité à de nombreuses communes rurales. Cependant, il faut savoir que le système ne va pas bénéficier qu’aux plus petites communes : il profitera souvent à celles qui sont situées dans les tranches intermédiaires ou supérieures de population.

La proposition de loi comporte d’autres améliorations utiles. Nous devons donc, me semble-t-il, la saluer.

Pour conclure, je veux revenir sur le mouvement de regroupement auquel nous venons d’assister. Il a dépassé, dans certains départements, l’objectif fixé par le Parlement. Je rappelle que, après de longues discussions, nous nous étions mis d’accord sur un seuil de population à 15 000 habitants, un peu au-delà – mes propos sont mesurés – de la volonté exprimée du législateur, laquelle résultait d’un compromis trouvé dans un certain nombre de départements, souvent sur l’initiative des préfets, mais aussi, parfois, sur l’initiative de certains leaders locaux. Or on voit aujourd'hui des regroupements si grands que les intercommunalités qui en découlent ne sont plus guère visibles pour les communes qui en sont membres. De tels regroupements peuvent s’avérer heureux, mais ils ne manqueront pas, dans certains cas, de poser des problèmes de sentiment d’appartenance et de viabilité des intercommunalités concernées.

Il me semble donc que nous devons déjà penser à fixer des rendez-vous afin de trouver des correctifs, compte tenu du caractère parfois excessif et déroutant, pour les communes – qui, par définition, sont la base de l’intercommunalité –, de certains regroupements, probablement un peu trop larges. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Jacqueline Gourault ainsi que MM. Vincent Capo-Canellas et Jean-Claude Requier applaudissent également.)