compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

M. Jackie Pierre.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 12 janvier 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Retour à la procédure normale pour l'examen d'un projet de loi

M. le président. Par lettres en date des 10 et 11 janvier 2017, M. Jean Desessard, président du groupe écologiste, et M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont demandé que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, inscrit à l’ordre du jour du jeudi 26 janvier 2017, soit examiné selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.

Acte est donné de cette demande.

Dans la discussion générale, le temps attribué aux orateurs des groupes sera d’une demi-heure. Le délai limite pour les inscriptions de parole est fixé au mercredi 25 janvier, à dix-sept heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Demande d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution

M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a demandé, le 10 janvier 2017, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 247, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à agir avec pragmatisme et discernement dans la gestion de l’eau, et déposée le 20 décembre 2016.

Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de la conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 18 janvier.

4

Dépôt d'un avis de l'Assemblée de la Polynésie française

M. le président. J’ai reçu de Mme la Première vice-présidente de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 10 janvier 2017, un avis sur le projet de décret fixant pour les années 2014 et 2016 la quote-part des ressources du budget de la Polynésie française destinée à alimenter le Fonds intercommunal de péréquation.

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
Discussion générale (suite)

Égalité réelle outre-mer

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (projet n° 19, texte de la commission n° 288, rapport n° 287, avis nos 279, 280, 281, 283 et 284).

Madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, en ouvrant cette séance consacrée à la discussion générale du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer, je veux rappeler le profond attachement du Sénat à nos outre-mer et l’attention particulière que nous portons non seulement aux atouts des territoires ultramarins, mais aussi à leurs difficultés et à la prise en compte de leurs spécificités.

Dès 2011, notre assemblée a créé une délégation à l’outre-mer, dont la qualité des travaux est reconnue par tous, sous la conduite de ses deux présidents successifs : nos collègues Serge Larcher, puis, depuis octobre 2014, Michel Magras.

Afin de nous permettre de délibérer en toute connaissance de cause, la conférence des présidents a voulu, sur ma proposition, que le Sénat puisse recueillir l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur ce projet de loi de programmation, conformément à notre souhait de renforcer nos liens avec cette institution. Nous entendrons donc dans quelques instants M. Christian Vernaudon, rapporteur du CESE sur ce texte.

Madame la ministre, le Sénat examinera avec la plus grande attention le projet de loi qui lui est soumis, en gardant toujours à l’esprit que les outre-mer constituent, comme le rappelaient dans leur rapport de 2009 Serge Larcher et Éric Doligé, un « défi pour la République » et une « chance pour la France ».

Conformément à l’article 69 de la Constitution et à l’article 42 de notre règlement, huissiers, veuillez faire entrer M. Christian Vernaudon.

(M. le rapporteur de la section de l’aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental est introduit dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)

M. le président. Monsieur le rapporteur de la section de l’aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental, je vous souhaite la bienvenue dans cet hémicycle.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Je vous remercie, monsieur le président, de vos propos en faveur des outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le rapporteur du Conseil économique, social et environnemental, il y a plus de soixante-dix ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès défendaient ici, au sein du Parlement, avec panache et passion, l’inscription des outre-mer au cœur de la République. Le 19 mars 1946, les « quatre vieilles colonies » – la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane – devenaient officiellement des départements. Au-delà de ces territoires, cette avancée venait confirmer la pleine participation de l’ensemble des outre-mer au roman national.

Les outre-mer s’inscrivent fièrement dans la communauté de valeurs et d’idéaux qui définissent la France. En effet, notre pays n’est pas seulement un territoire, c’est avant tout un principe. Être Français, c’est vouloir participer aux destinées de ce pays ; c’est faire siennes les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ; c’est défendre une certaine idée de l’homme, attachée à sa dignité et à ses droits fondamentaux. Être français, c’est désirer vivre ensemble, tous, autant que nous sommes, par-delà les différences. Être Français, c’est continuer à construire la France, chaque jour, une France ouverte à tous, qui rayonne magnifiquement dans les trois océans.

Voilà notre vision de la Nation ! Voilà pourquoi il est possible d’être Français, tout en vivant dans l’océan Pacifique, Atlantique ou Indien ! Voilà pourquoi notre nation porte en son cœur même les valeurs de l’universel !

À l’heure où nous parlons, malheureusement, les promesses de la République ne sont encore que partiellement honorées. Permettez-moi de citer quelques chiffres.

Malgré une augmentation de l’emploi privé neuf fois supérieure à celle constatée dans l’Hexagone depuis 2012, le taux de chômage demeure deux fois plus élevé dans les outre-mer. Il y est même jusqu’à trois fois supérieur à Mayotte. Le taux de décrochage scolaire est également deux fois plus élevé dans les outre-mer. Quant au taux de mortalité infantile, il est actuellement, dans les DOM, égal à celui qui était observé dans l’Hexagone il y a vingt-trois ans. Ces statistiques officielles sont très alarmantes.

Ici, au sein de la Haute Assemblée, j’aimerais que chacune et chacun d’entre vous réalisent que près de 3 millions de nos concitoyens sont davantage exposés à l’échec scolaire, à la pauvreté ou au chômage. Pouvons-nous tolérer plus longtemps de telles inégalités ?

Je regrette que certains considèrent encore le sort des outre-mer avec désinvolture, jugeant l’examen de ce projet de loi « amusant », « léger ». Une telle attitude est vexante non seulement pour les parlementaires, notamment l’ensemble des députés et sénateurs ayant déployé une détermination qui mérite d'être saluée, mais aussi pour les populations ultramarines. La situation des outre-mer n’est-elle pas un motif de mobilisation pour nous tous, quelle que soit notre appartenance politique, nous, les enfants de la République ? Comment ne pas unir nos forces pour agir contre ces écarts insensés au sein même de notre pays ? Je le dis avec gravité, car je sais que nombreux sont nos concitoyens ultramarins qui nous observent aujourd’hui et attendent de nous des actes.

Quel que soit le territoire où ils vivent, nos compatriotes doivent disposer des mêmes droits et, au-delà, des mêmes opportunités de développement et d’épanouissement. C’est cela l’égalité réelle !

Je le dis à tous ceux qui ne connaissent pas les outre-mer : ces territoires sont riches d’atouts et de talents. Il nous faut dépasser les clichés et représentations erronées et renouveler en profondeur nos politiques publiques, afin de les adapter réellement aux spécificités des territoires. La dynamique que nous initions aujourd’hui s’inscrit dans une logique de long terme.

Je me félicite que notre ambition pour les outre-mer nous ait tous rassemblés : Parlement, Gouvernement et société civile. Nous avons tous exprimé fortement la volonté de créer les conditions de l’égalité réelle.

Le Président de la République, François Hollande, a initié cette dynamique en faveur de l’égalité réelle des outre-mer, en s’engageant en 2015 à l’impulser. Le chef de l’État a demandé à Victorin Lurel d’écrire un rapport à ce sujet. Ses travaux, remis en mars 2016 à l’issue d’une large concertation, ont constitué une solide base de travail pour ce projet de loi.

Je tiens également à saluer l’engagement constant du Premier ministre, Bernard Cazeneuve, ainsi que de son prédécesseur, Manuel Valls, en faveur de ce texte. Je souhaite bien évidemment remercier George Pau-Langevin, avec qui j’ai travaillé sur ce projet de loi.

Ce texte a également été largement enrichi par les contributions des assemblées locales, ainsi que du CESE, dont je salue le travail sur la notion d’égalité réelle.

Je me dois également de souligner les apports des nombreux citoyens, hexagonaux ou ultramarins, ayant contribué à la construction de ce texte. Près de 2 000 internautes nous ont fait part, grâce à la consultation numérique, de leurs préoccupations pour leur quotidien et leur territoire. Nous avons écouté chacun avec la plus grande attention.

Enfin, je souhaite sincèrement rendre hommage au travail des membres du Parlement. Comme je l’avais annoncé en commission et comme cela a été réalisé avec vos collègues députés, j’ai souhaité mener avec vous un véritable travail de coconstruction. Au sein de vos commissions, il fut particulièrement dense, ce dont je me félicite. Voilà la preuve de notre volonté partagée de travailler pour l’intérêt général et pour la République ! Plusieurs membres de votre assemblée ont plus particulièrement animé cette réflexion commune et méritent à ce titre mes remerciements.

Le travail que nous avons réalisé, sérieux, basé sur des évaluations précises et une très bonne connaissance des dossiers, est à l’écoute de la société civile.

Je salue le travail important mené par les rapporteurs, que j’ai lu avec le plus grand intérêt. Je remercie M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Auteur d’un excellent rapport !

Mme Ericka Bareigts, ministre. … de son écoute constructive et son implication, et M. Michel Magras, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et président de la délégation à l’outre-mer, de ses connaissances pointues et de son intérêt constant. Je n’oublie pas non plus Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Mme Vivette Lopez, rapporteur pour avis de la commission de la culture, M. Jean-François Mayet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, et M. Michel Canevet, rapporteur pour avis de la commission des finances.

C’est avec honneur que le Gouvernement, comme cette assemblée, initie une nouvelle dynamique pour les outre-mer, qui nous mobilisera au cours des prochaines années. Elle structurera les politiques publiques en faveur de nos territoires.

Je l’ai dit, il faut renouveler nos politiques pour créer les conditions de l’égalité réelle au sein des outre-mer. Il s’agit tout d’abord de les concevoir en partant des réalités locales. C’est toute l’ambition de ce projet de loi : les politiques publiques seront adaptées aux réalités et aux atouts de chaque territoire.

Il est nécessaire de porter une logique nouvelle pour les outre-mer, grâce à l’outil particulier que constituent les plans de convergence. Ils seront déterminés en partenariat entre l’État et les territoires, afin de définir des stratégies de développement au plus près du terrain. En effet, les priorités de Mayotte, de la Polynésie française ou de la Guadeloupe ne sont pas nécessairement les mêmes.

Ces plans de convergence permettront de rompre avec la logique assimilationniste pour s’adapter aux besoins réels des territoires. Le projet de loi incarne un véritable changement de méthode et de vision. Cette logique innovante et participative permettra à tous les acteurs d’avancer ensemble au service du progrès et du développement durable de leurs territoires. C’est ainsi que nous allons créer les conditions à même d’amplifier l’essor économique des outre-mer, pour répondre aux besoins de dignité par le travail.

Les stratégies différenciées et coconstruites qui seront mises en place projetteront ces territoires vers l’émancipation économique, culturelle et éducative dans le cadre de la République. C’est une grande avancée que nous portons ensemble !

Renouveler nos politiques, c’est également créer les conditions de l’égalité réelle. La convergence entre les outre-mer et l’Hexagone suscite toujours de nombreuses attentes de la part de nos concitoyens ultramarins. Bien sûr, cette longue marche vers le respect et la dignité est déjà entamée.

Je veux ici rendre hommage au Président François Mitterrand, qui avait obtenu l’alignement des allocations familiales sur les montants hexagonaux en 1993 (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), mais également au Président Jacques Chirac, qui avait porté le SMIC ultramarin au niveau hexagonal en 1996. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Au-delà des clivages politiques, l’amélioration du sort des outre-mer fut un objectif unanimement partagé. Il le demeure, et je m’en réjouis.

Cependant, il reste encore aujourd’hui à parachever l’égalité sociale. Les montants ou les conditions d’accès à certaines prestations sociales diffèrent toujours entre l’Hexagone et les outre-mer. Certaines prestations n’y existent tout simplement pas, en dépit de besoins importants. Ces écarts ne peuvent pas être acceptés au sein de notre République. Imagine-t-on les Vosges bénéficier d’une prestation sociale, alors que la Haute-Vienne en serait exclue ?

M. Hubert Falco. Ou le Var !

M. Alain Bertrand. Ou la Lozère !

Mme Ericka Bareigts, ministre. Les outre-mer ne quémandent rien ; ils n’exigent que l’égalité. Grâce au soutien résolu du Président de la République, qui s’est engagé à mettre en œuvre ce projet de loi en 2017, et à celui du Premier ministre, les montants de nombreuses prestations sociales seront harmonisés à terme avec ceux de l’Hexagone, afin de lutter contre la pauvreté qui frappe encore sévèrement les familles ultramarines.

Dès avril 2017, les plafonds de ressources du complément familial seront augmentés : 2 400 familles modestes supplémentaires pourront ainsi en bénéficier.

L’alignement progressif de l’assurance vieillesse pour les parents au foyer garantira à 5 000 personnes supplémentaires une continuité dans leurs droits à la retraite.

Enfin, un effort accru a été entrepris concernant Mayotte, département le plus pauvre de France, qui a grandement besoin de bénéficier pleinement de la solidarité nationale. Le rythme de convergence des allocations familiales sera significativement accéléré.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Ericka Bareigts, ministre. Voilà plus d’un siècle et demi, votre prédécesseur Victor Schœlcher, affirmait : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle n’exclut personne de son immortelle devise : Liberté – Égalité - Fraternité. » À nous, héritiers de Schœlcher, de respecter et réaliser pleinement ce vœu !

Renouveler nos politiques, c’est aussi élargir notre conception de la mobilité. Plus de 15 000 jeunes Ultramarins partent tous les ans dans l’Hexagone pour leurs études supérieures. Plus de la moitié d’entre eux sont toujours dans l’Hexagone six mois après la fin de leur formation. Ce phénomène est d’autant plus regrettable que les territoires ont besoin du retour des talents pour nourrir leur vitalité économique et sociale.

Notre soutien à la mobilité porte aujourd’hui principalement sur les trajets des outre-mer vers l’Hexagone. C’est important, mais je propose également que la mobilité soit désormais conçue comme allant dans le sens inverse, celui du retour. J’ai ainsi souhaité que les jeunes ayant suivi leurs études ou leur stage dans l’Hexagone puissent bénéficier d’aides jusqu’à cinq ans après la fin de leur formation pour revenir dans leur territoire d’origine s’ils le souhaitent. Ces mesures s’inscrivent dans une politique globale de mobilité qui profitera pleinement aux outre-mer et valorisera l’embauche de talents locaux. C’est un véritable progrès pour nos territoires ; c’est même un changement structurant pour les outre-mer.

D’autres progrès sont à noter en matière de lutte contre la vie chère.

Ce texte permettra également de lutter contre les discriminations. Il est ainsi rappelé que le refus d’une personne à raison de sa domiciliation bancaire hors de l’Hexagone constitue bien une discrimination.

Enfin, le dispositif « cadres d’avenir » à Mayotte aidera des personnes à se former dans l’Hexagone ou à La Réunion, à condition qu’elles reviennent ensuite au sein de leur département d’origine. Cette mesure, inspirée par le dispositif porté par Michel Rocard en Nouvelle-Calédonie, permettra d’élever le niveau de compétences local.

Je ne doute pas que le travail intense qui aura lieu dans le cadre du projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer permettra de nouvelles avancées. Nous pourrons évoquer ces points au cours de nos échanges.

Ce projet de loi appellera sans doute d’autres mesures dans les mois ou les années qui viennent : le combat pour l’égalité ne s’achève pas ici et maintenant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, parce que je suis ministre des outre-mer, parce que je suis ultramarine et que mon histoire personnelle, comme nombre de nos concitoyens, et mon engagement politique sont marqués par ce combat pour l’égalité, c’est avec une émotion particulière que je vous présente ce projet de loi. Pour moi, pour les Ultramarins, la solidarité nationale a un sens profond.

Ceux qui croient que les outre-mer peuvent encore attendre se trompent lourdement. Il est urgent d’agir ; il est crucial de changer radicalement notre stratégie.

Le général de Gaulle, dans le discours qu’il prononça à Basse-Terre, en Guadeloupe, affirmait : « La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit… » N’ayons pas peur de la grandeur pour nos outre-mer ! Portons-nous à la hauteur des espoirs et des attentes légitimes de nos compatriotes. Soyons fiers, tous, autant que nous sommes, de ce que nous allons accomplir pour rétablir la fierté des Ultramarins !

Le progrès que nous portons n’est pas uniquement destiné aux outre-mer : il concerne la République tout entière. Il honore notre pays, ses principes et ses valeurs. Car la France n’est la France que lorsqu’elle lutte pour l’égalité. La France n’est la France que lorsqu’elle s’accepte telle qu’elle est, océanique, riche de sa diversité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la section de l’aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental.

M. Christian Vernaudon, rapporteur de la section de l’aménagement durable des territoires du Conseil économique, social et environnemental. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi, au nom de l’institution que je représente ici, de saluer l’initiative du président du Sénat de convier le Conseil économique, social et environnemental à exposer devant cette assemblée son avis sur le projet de loi qui lui est soumis aujourd’hui.

Je rappelle que, conformément à l’article 70 de la Constitution, le Premier ministre a saisi, le 14 juin 2016, le CESE pour avis sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer. Dans le respect de la lettre de saisine, nos travaux n’ont porté que sur le titre Ier du projet de loi et sur son étude d’impact. Les membres du CESE ont adopté le 12 juillet 2016 en séance plénière l’avis qu’en tant que rapporteur je suis chargé de vous présenter.

Depuis lors, ce projet de loi a significativement évolué et s’est considérablement étoffé. Pour autant, nos constats et recommandations restent, je le crois, d’actualité pour éclairer vos débats.

Dans son avis, le CESE a tout d’abord rappelé l’extrême hétérogénéité des onze collectivités ultramarines françaises. Cette diversité sans égale se manifeste tant par la géographie et l’histoire que par des situations démographiques, environnementales, économiques, sociales, culturelles et sociétales singulières. Elle existe, nous l’avons souligné, au sein même de plusieurs de ces collectivités.

Nous avons en outre constaté qu’il y avait aujourd’hui autant de statuts différents que de collectivités ultramarines, conséquence d’évolutions institutionnelles allant dans le sens d’une logique décentralisatrice et témoignant de la volonté du législateur de prendre en compte toute la diversité des outre-mer. C’est pourquoi il est question non plus de l’outre-mer, mais des outre-mer. Malgré l’éloignement avec l’Hexagone, le lien qui les unit est bien leur appartenance commune à la Nation et leur attachement aux valeurs de la République et à la France, qu’ils contribuent à faire rayonner dans le monde entier. C’est l’esprit même de l’article 72-3 de la Constitution, qui dispose que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».

Dans un deuxième temps, le CESE s’est attaché à répondre à la question de la justification d’une nouvelle loi de programmation pour les outre-mer.

Comme le fait le Gouvernement dans son étude d’impact, comme vous l’avez fait, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer avec le rapport d’information des sénateurs Éric Doligé et Michel Vergoz du 9 juillet 2014 intitulé Les niveaux de vie dans les outre-mer : un rattrapage en panne ?, le CESE constate dans plusieurs de ces territoires des écarts de développement encore majeurs avec l’Hexagone, mais aussi en leur sein.

Au cours de nos travaux, nous avons établi que les écarts de développement les plus criants relèvent de problématiques d’accès à l’éducation, d’accès aux services publics et de la vie courante, d’accès aux soins, ainsi que d’accès à l’activité et à l’emploi.

Les indicateurs qui, par l’ampleur de leur écart avec la norme nationale, nous ont le plus interpellés sont les taux d’illettrisme, les taux de jeunes sans diplômes, les taux de chômage tant de l’ensemble de la population que des jeunes, ainsi que les taux de pauvreté. Tous se situent à des niveaux extrêmement préoccupants dans une grande partie des outre-mer.

Par conséquent, pour le CESE, ces cinq domaines – l’accès aux principaux services de la vie courante, l’accès à l’éducation, l’accès au travail, la pauvreté et la précarité des jeunes – justifient à eux seuls le projet de loi de programmation en faveur des Ultramarins.

Par ailleurs, le CESE s’est interrogé sur le concept d’« égalité réelle » et sur les conditions de son application à la pluralité des situations ultramarines. Nous avons à cet effet réuni en séminaire des personnes-ressources issues de nos territoires et des spécialistes des questions ultramarines. Lors de ces débats, plusieurs intervenants, dont Alain Christnacht et Pierre Steinmetz, ont rappelé qu’appliquer les mêmes moyens à des situations inégalitaires aux causes différentes ne permettait pas nécessairement d’atteindre réellement l’égalité et qu’il pouvait arriver un moment où l’égalité formelle devenait contraire à l’égalité réelle.

Le CESE a conclu que, eu égard à la diversité des situations des collectivités ultramarines, le principe d’égalité édicté par la Constitution ne peut pas être entendu et appliqué comme devant conduire à une égalité formelle en toutes circonstances, en toutes matières et en tous lieux de la République, et que c’est la conciliation du principe d’égalité avec ceux de liberté, de libre administration des collectivités territoriales, d’autonomie de gestion renforcée pour certaines d’entre elles, qui doit permettre de tendre vers un objectif d’égalité dans le respect de la diversité. Aussi, nous nous félicitons que le projet de loi, par application du principe de subsidiarité, valorise les possibilités d’habilitations législatives et d’expérimentations, ainsi que les propositions de modification ou d’adaptation de la réglementation.

Le CESE appelle à favoriser l’utilisation de ce type d’instruments, qui doit notamment permettre de lutter contre une prolifération de normes inadaptées à l’échelle territoriale, source à la fois de gaspillage de moyens financiers et d’obstacle au développement.

Les objectifs de la méthode, tels qu’exposés dans l’étude d’impact, à savoir une « intervention transverse de long terme et au plus près des réalités locales se traduisant par l’élaboration de plans de convergence élaborés et contractualisés à l’échelle de chaque territoire », nous semblent pertinents.

Dans cet esprit, le CESE recommande de retenir une méthode en quatre étapes, à respecter pour chacune des onze collectivités, dans le strict respect de leurs statuts, comprenant l’établissement d’un diagnostic partagé, l’élaboration d’un projet stratégique de développement durable, l’élaboration d’un plan de convergence et la négociation de contrats de convergence, ainsi que le suivi et l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre pour les contrats de convergence.

Pour l’ensemble du processus, nous préconisons le recours à des démarches de démocratie participative associant l’ensemble des acteurs locaux concernés : l’État, tous les niveaux de collectivités territoriales, la société civile organisée.

L’ensemble de la démarche doit intégrer les dimensions économiques, sociales, environnementales et culturelles, dans le respect des objectifs de développement durable et des engagements internationaux pris par la France, lors de la COP 21 notamment. Il faut aussi impérativement intégrer un objectif de réduction des inégalités non seulement externes, entre chaque collectivité et l’Hexagone, mais aussi internes, au sein de chaque collectivité.

Enfin, le CESE préconise fortement que la loi précise les modalités d’articulation des plans et contrats de convergence avec les divers outils de programmation existants, notamment avec les contrats de plan État-régions pour les DROM et les contrats de développement pour les COM.

Le CESE a souligné la nécessité d’avoir deux niveaux d’indicateurs de suivi : d’une part, des indicateurs communs pour la mesure de la convergence comprenant notamment les dix nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi du 13 avril 2015, mais aussi quelques indicateurs communs, déjà disponibles, qui permettent de se comparer à l’échelle régionale et internationale ; d’autre part, des indicateurs de suivi et d’évaluation de chaque politique publique mise en œuvre dans chaque territoire.

Pour le CESE, les constats interpellent sur la nécessité de revisiter dans tous les outre-mer le modèle de développement durable apte à créer suffisamment de richesses supplémentaires et suffisamment d’occasions de travail pour réduire les taux de chômage.

Dans ce monde en plein bouleversement, les défis à relever sont immenses, mais les possibilités le sont également. Chaque collectivité ultramarine dispose d’une richesse patrimoniale naturelle et humaine exceptionnelle, qu’il convient non seulement de préserver, mais aussi de valoriser.

Le CESE a approuvé l’esprit de la méthode d’élaboration du projet de loi, consistant à définir à l’échelle de chaque collectivité ultramarine un projet de société à long terme, dans le cadre d’une démarche de démocratie participative, et en application du principe de subsidiarité. Aussi, l’enjeu principal pour la présente loi de programmation est non seulement de rappeler que les populations des outre-mer ont droit à l’égalité réelle au sein du peuple français, mais aussi de définir avec la plus grande clarté la bonne méthode et les bons outils pour que ce droit devienne demain plus réalité qu’aujourd’hui.

Je terminerai en reprenant cette citation concluant le rapport sur l’état de la France 2016 du CESE : « Le pays doit assumer ses contradictions, développer ses atouts pour les transformer en richesses futures, croire toujours en la France et l’aimer. »

Je vous remercie de nouveau d’avoir permis au Conseil économique, social et environnemental d’exposer devant vous son avis. (Applaudissements.)