Sommaire

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer, M. Victorin Lurel.

1. Procès-verbal

2. Communication relative à un groupe politique

3. Communication d’un avis sur un projet de nomination

4. Prestation de serment d'un juge à la Cour de justice de la République

5. Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux. – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique

Débat interactif

M. Joël Labbé ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.

M. Gérard Longuet ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État  ; M. Gérard Longuet.

M. André Gattolin ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Fabien Gay ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.

M. Franck Montaugé ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État ; M. Franck Montaugé.

M. Emmanuel Capus ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Jean-Noël Guérini ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Cédric Perrin ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Arnaud de Belenet ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Pierre Ouzoulias ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Olivier Cadic ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État ; M. Olivier Cadic.

M. Marc Daunis ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Michel Raison ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

Mme Michèle Vullien ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Ronan Le Gleut ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État ; M. Ronan Le Gleut.

M. Jean-Michel Houllegatte ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Jérôme Durain ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Jacques Grosperrin ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

M. Cédric Perrin ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État.

6. Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives. – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

M. Jean-Pierre Decool

Débat interactif

Mme Nathalie Delattre ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.

Mme Chantal Deseyne ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Dominique Théophile ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Dominique Watrin ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Michel Canevet ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Xavier Iacovelli ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Jean-Pierre Decool ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Jean-Claude Requier ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Pascale Gruny ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État ; Mme Pascale Gruny.

Mme Patricia Schillinger ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Laurence Cohen ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État ; Mme Laurence Cohen.

M. Jean-Claude Luche ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Florence Lassarade ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Catherine Fournier ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Nicole Duranton ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Mme Agnès Canayer ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

M. Marc Laménie ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État.

Suspension et reprise de la séance

7. Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité. – Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Débat interactif

M. Frédéric Marchand ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Guillaume Gontard ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Michel Dagbert ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Daniel Chasseing ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Raymond Vall ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Jean-François Husson ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. Jean-François Husson.

M. Jean-Claude Luche ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Rémy Pointereau ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Didier Rambaud ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Pierre-Yves Collombat. ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre Médevielle ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Claude Bérit-Débat ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. Claude Bérit-Débat.

M. Jean-Claude Requier ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Philippe Pemezec ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Pierre Louault ; M. Jacques Mézard, ministre.

M. Olivier Jacquin ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Paccaud ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. Olivier Paccaud.

Mme Angèle Préville ; M. Jacques Mézard, ministre ; Mme Angèle Préville.

M. René-Paul Savary ; M. Jacques Mézard, ministre ; M. René-Paul Savary.

M. Sébastien Leroux ; M. Jacques Mézard, ministre.

Mme Marie Mercier ; M. Jacques Mézard, ministre ; Mme Marie Mercier.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

M. Victorin Lurel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à un groupe politique

M. le président. Par courrier en date du mardi 24 octobre 2017, M. Claude Malhuret a informé M. le président du Sénat du changement de dénomination du groupe qu’il préside et qui s’appelle désormais : « Les Indépendants – République et Territoires ».

Acte est donné de cette communication.

3

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article 13 et de l’article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle avait émis, lors de sa réunion du mercredi 25 octobre 2017, un vote favorable – 39 voix pour, 1 voix contre et 1 bulletin blanc – à la nomination de Mme Dominique Lottin aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

4

Prestation de serment d'un juge à la cour de justice de la République

M. le président. Mme Agnès Canayer, élue juge titulaire à la Cour de justice de la République le 18 octobre dernier, va être appelée à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment. Je vous prie, madame Canayer, de bien vouloir vous lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(Mme Agnès Canayer se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)

M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.

5

Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux

Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat : « Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux », organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Dans le débat, la parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe auteur de la demande.

M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du numérique, mes chers collègues, la troisième révolution industrielle, celle des technologies NBIC – nano, bio, informatique et sciences cognitives – a commencé en même temps que ce siècle. Elle ne ressemblera pas aux deux précédentes, celle de la machine à vapeur au XIXe siècle et celle de l’électricité, du pétrole, des transports et des communications au XXe siècle.

En effet, son objet est non plus la maîtrise de la matière inanimée, mais la transformation de notre biologie, de notre génome et de notre intelligence, c’est-à-dire tout simplement de l’homme, tout en dotant les machines d’une intelligence et d’une autonomie propres. C’est le défi de l’intelligence artificielle.

Ce défi en entraîne beaucoup d’autres. Le premier est économique, et il est alarmant. Pour la première fois depuis deux siècles, la France et l’Europe non seulement ne sont pas à l’origine de cette révolution, mais sont tellement distancées que leur retard peut désormais paraître irrattrapable. Les États-Unis avec les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – et la Chine avec les BATX– Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – sont désormais en situation de duopole au niveau mondial. Pas un seul acteur européen ne s’en approche, même de très loin !

Au cours des six derniers mois, le Gouvernement a rappelé à plusieurs reprises son intention de redéfinir en profondeur nos politiques numériques. Vous avez vous-même, monsieur le secrétaire d'État, dressé une feuille de route en dix points, qui comporte notamment la couverture numérique complète du territoire et la création d’un fonds de soutien de 10 milliards d'euros dédié à l’innovation de rupture.

En juin dernier, au salon Viva Tech, le Président de la République a précisé ses ambitions en matière d’engagement de la France dans ces chantiers « d’innovation de rupture ». L’internet des objets, l’intelligence artificielle, le développement des clean techs et green techs sont autant de perspectives prometteuses pour l’industrie française. Ces initiatives sont de puissants gisements d’emplois et de richesses pour notre pays.

À l’heure où nous parlons, Angers accueille la 22e édition du World Electronics Forum, le Salon mondial de l’électronique, de retour en Europe pour la première fois depuis 2005. Je crois que vous y participerez dans deux jours, monsieur le secrétaire d'État. (M. le secrétaire d’État opine.)

Cette édition française du rendez-vous mondial des leaders de l’électronique pose la question de savoir si notre pays a encore un rôle à jouer dans l’aventure numérique, si nos territoires peuvent faire partie de la dynamique mondiale des nouvelles technologies et si nous pouvons rattraper notre retard. Elle nous invite aussi, en tant que décideurs politiques, à penser cette révolution numérique avant que le vide juridique entourant ces nouvelles technologies ne nous dépasse.

Le deuxième défi est social. Contrairement aux prédictions pessimistes qui ont accompagné les deux premières révolutions industrielles, celles-ci, loin d’avoir supprimé des emplois, en ont au contraire créé par millions.

De nombreux experts pensent qu’il risque de ne pas en être de même aujourd’hui et que l’automatisation est désormais susceptible de détruire plus d’emplois qu’elle n’en crée. Ils pensent surtout qu’elle est susceptible de créer un marché du travail à deux vitesses : une minorité d’emplois très qualifiés pour une élite surdiplômée, innovante et maîtrisant les nouveaux codes et une majorité de travailleurs précaires dont les compétences ne rapporteront pas assez pour vivre, sans parler du chômage créé par la substitution pure et simple des logiciels aux emplois les moins qualifiés.

Pas seulement aux moins qualifiés, d’ailleurs, puisque plusieurs spécialistes expliquent de façon crédible, par exemple, que les médecins, à commencer par les chirurgiens et les radiologues, sont sans doute à une échéance de trente ou quarante ans les plus menacés par la robotisation et l’intelligence artificielle. Les chauffeurs ne seront donc pas les seuls à voir leur travail remplacé partout par la voiture, le train ou le camion autopilotés.

Cela nous amène directement au troisième défi, qui est sans doute le plus redoutable, celui de l’éducation. Le plus redoutable notamment pour notre pays, car la naissance de l’intelligence artificielle coïncide avec une chute brutale depuis deux décennies de la France dans tous les classements internationaux, qu’il s’agisse de l’école primaire, de l’enseignement secondaire ou de l’université, qu’il s’agisse de l’enseignement des mathématiques, de la langue maternelle ou des langues étrangères ou encore qu’il s’agisse de la montée des inégalités dans l’accès à la connaissance.

C’est au moment où l’école va devoir affronter le rendez-vous d’une remise en cause et d’une adaptation drastique au monde nouveau des logiciels que notre pays s’y présente en situation d’extrême faiblesse. La question est simple : l’éducation nationale française est-elle aujourd’hui susceptible d’aborder dans de bonnes conditions la révolution du développement des compétences qui seront de plus en plus transmises par les nouvelles technologies ?

À première vue, la réponse paraît négative. Il semble bien que le nouveau ministre de l’éducation nationale soit fort conscient de ce problème, mais quel défi va-t-il lui falloir relever ! En 2017, selon les classifications et les études internationales, 17 % des jeunes Français de 15 à 29 ans sont des NEETs, des young people Not in Education, Employment or Training.

Cette éducation nationale qui n’est pas aujourd’hui en grande forme va devoir, en plus de son rôle actuel, former des enfants et des adolescents à vivre dans un monde où intelligences biologiques et artificielles devront cohabiter, et cela avec un corps enseignant qui, dans son immense majorité, et ce n’est un secret pour personne, ne maîtrise pas encore lui-même les nouvelles technologies.

Le quatrième défi est juridique et pose mille questions différentes, inédites et, la plupart du temps, contradictoires.

J’en donnerai quelques exemples seulement : quel statut pour ces machines qui, de simples exécutants informatiques, sont devenues des apprenants et même des créateurs ? À qui reviendront les droits d’auteur ? Seront-ils attribués à la machine autoapprenante et créatrice ? À moins qu’ils ne soient reconnus à son propriétaire ou au programmateur du logiciel ? À qui reviendra la propriété des milliards de données hébergées dans les data centers ? Comment se prononcer sur l’assignation de responsabilité en cas d’accident d’un véhicule autonome ? Il y a des milliers de questions comme celles-là !

La loi du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils nous a permis de nous engager dans ce débat de la responsabilité de l’intelligence artificielle et des robots. Elle a comblé un vide juridique, définissant clairement le rôle de chaque acteur, constructeur, vendeur, exploitant ou client. Elle nécessite d’être approfondie et étendue au champ des véhicules autonomes, afin d’accompagner le développement de ces technologies.

Enfin, le dernier défi que j’évoquerai, mais il y en a bien d’autres, est peut-être l’un des plus difficiles à relever : c’est celui de l’éthique et de la morale.

Il se pose dès aujourd’hui. Toutes les applications en faveur de la santé ou de la préservation de la vie interrogent très fortement sur le respect de la vie privée. Comment s’assurer que ces données de santé ne seront pas vendues à une compagnie privée ou à un futur employeur ? Comment conjuguer cette collecte massive de données de santé de chaque Français et le respect du « droit à l’oubli » ? Bref, comment s’assurer qu’intelligence artificielle et robotique riment avec traitement des données éthique ?

Ce défi se pose dès aujourd’hui, mais il sera encore plus sérieux demain. Franchirons-nous l’étape du transhumanisme, cette idée que l’homme peut être « augmenté » ou « amélioré » par la machine ? Et si nous la franchissons, ce qui est désormais probable et en cours de réalisation, notamment en Chine, un pays évidemment moins soucieux que le nôtre du respect des droits, comment accepter que cette « augmentation » ou cette « amélioration » de l’humain soit réservée à ceux qui pourront en payer les coûts extravagants ?

Cet enjeu de l’hybridation de l’homme et du robot ne peut s’envisager sans règles. De même que la recherche sur les cellules souches ou les embryons fait l’objet d’une réglementation forte, le couplage de l’intelligence artificielle et de l’homme doit être encadré par un texte précis. La transformation du corps humain sous l’effet de l’intelligence artificielle est un sujet radical, sur lequel un débat public doit être mené en y associant l’ensemble des parties prenantes.

Je parlais des défis éthiques d’aujourd’hui et de demain, mais ils ne sont rien par rapport aux défis d’après-demain, lorsqu’apparaîtra l’intelligence artificielle dite « forte » dotée de conscience, mais inscrite sur un support de silicone et non plus sur le support organique de notre ADN et de notre cerveau. Ce jour-là – il n’est heureusement pas encore à l’horizon, mais il arrivera –, nous devrons décider si nous permettons, pour reprendre la très belle phrase de Michel Foucault à la fin des Mots et les choses, que la figure de l’homme s’efface peu à peu, « comme à la limite de la mer un visage de sable ». Et même si cette décision est une affaire de plusieurs décennies, peut-être vaut-il mieux commencer à y réfléchir dès maintenant.

Il reste un dernier problème à aborder, celui de la dimension européenne du sujet. L’Europe est confrontée à un dilemme fondamental qui n’est pas résolu et qui la place dans une situation intenable face à ses concurrents américains et chinois. Elle a donné jusque-là la priorité à la protection des citoyens quant à l’utilisation qui peut être faite des données les concernant.

Cette position nous paraît une évidence, mais il faut bien comprendre qu’une de ses conséquences est le monopole américano-chinois sur l’intelligence artificielle. Peut-on trouver aujourd’hui, et dans le cadre d’une discussion toujours longue et difficile, car nous sommes vingt-sept, la juste mesure entre la protection des droits et l’utilisation des données permettant de faire naître chez nous l’équivalent des GAFAM et des BATX ? C’est l’un des enjeux fondamentaux de la place de l’Europe dans le monde de demain et, en fait, dans le monde d’aujourd’hui.

En janvier 2017, le Parlement européen a adopté un projet de résolution de la Commission européenne contenant des recommandations concernant les règles de droit civil sur la robotique. Le législateur européen a notamment mis en place un régime de responsabilité limitée pour les différents acteurs de la filière et un fonds de compensation. Ce sont des engagements forts, que la France doit accompagner.

Mes chers collègues, si nous avons choisi d’interpeller aujourd’hui le Gouvernement sur cette question de l’intelligence artificielle, c’est parce que nous estimons qu’elle suscite de formidables occasions, mais pose aussi de profondes questions économiques, sociales, juridiques et éthiques. Il est du devoir du politique d’anticiper ce genre de rupture et de ne pas seulement agir en réaction au quotidien.

C’est la dernière raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'État, le groupe Les Indépendants, soucieux de relever ce pari numérique, souhaite savoir quelles mesures le Gouvernement envisage pour accompagner le développement de l’intelligence artificielle et pour mettre en place un cadre juridique et légal national, et bien sûr européen, permettant à notre continent, tout en se protégeant d’éventuelles dérives, de garder son rang dans un monde où le changement ne cesse de s’accélérer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, en préambule, vous remercier vivement de l’intérêt que vous portez à ce sujet.

Secrétaire d'État au numérique et passionné par ma tâche, je suis toujours heureux de trouver dans les assemblées parlementaires et partout ailleurs des personnes qui s’intéressent au domaine dont j’ai la charge et qui savent placer à la bonne hauteur les enjeux de transformation numérique et scientifique. Les commissions du Sénat ayant été les premières instances à m’inviter, il n’est pas étonnant que l’initiative ait été prise ensuite de me convier à vous parler de l’intelligence artificielle dans cet hémicycle, ce dont je vous remercie vraiment.

Ce sujet largement commenté, dont on parle beaucoup et partout, est encore émergent, sur le plan tant économique que scientifique. Toutefois, nous sommes au moment où tout bascule et où il est essentiel que tous les Français, tous les Européens et tous les citoyens du monde s’engagent sur ce sujet et en comprennent les enjeux. Il est tout aussi essentiel que nous puissions, nous, les politiques, y porter un regard, afin d’être ainsi en mesure de décider.

En effet, si je souhaite vous convaincre de quelque chose, c’est que le Gouvernement souhaite faire de la France et de l’Europe un leader dans ce domaine, avec une seule conviction, celle que nous n’avons rien à subir.

Nous n’avons rien à subir de ces transformations, qu’elles soient économiques, technologiques ou scientifiques ! Nous avons tout à apporter et nous pouvons diriger ces évolutions. À Bruxelles, je siège au Conseil Télécoms, cette instance européenne où l’on parle des diverses transformations économiques et mutations scientifiques, et je peux vous assurer que, sur ce sujet aussi, la voix de la France est entendue et attendue.

Pour vous convaincre encore de l’importance essentielle que le Gouvernement prête à ces sujets, je vous dirai que c’est sans doute la première fois que l’expression « l’intelligence artificielle » a été citée dans le discours de politique générale d’un Premier ministre. Édouard Philippe avait souhaité, dès sa prise de fonctions, dès les premières semaines et premiers mois de travail de son gouvernement, accorder à ce sujet une place essentielle. Il m’a chargé de porter, de dessiner, de construire, avec les citoyens et le Parlement, une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle.

Aujourd'hui, j’interviens devant vous dans le cadre de ce format un peu nouveau, qui est celui du débat interactif. Si nous allons, comme il se doit au cours d’un débat, échanger des idées, en revanche, je n’apporterai pas toutes les réponses à l’ensemble de vos questions.

Comme vous le savez, nous avons souhaité saisir de ce dossier un parlementaire, Cédric Villani. Je lui ai posé des questions au nom du Gouvernement et du Premier ministre. Il est actuellement en train de travailler pour y répondre, procédant à près de 200 auditions. Je l’ai chargé de revenir vers nous d’ici au mois de décembre prochain, afin que le Gouvernement puisse définir une stratégie nationale au début de l’année 2018 – en janvier ou en février.

Je le répète, nous sommes à un moment particulier de cette transformation technologique. Je le dis souvent, ce que nous avons connu en termes numériques au cours des vingt-cinq dernières années est un brouillon de ce que nous allons connaître au cours des trois prochaines années. Il s’est passé ces derniers temps, plus précisément au cours de ces deux dernières années, une hyperaccélération des capacités de calcul et de la capacité pour les ordinateurs à interpréter les données sensibles.

Elle est là, la transformation majeure. Il est là, le tournant. Pendant longtemps, les ordinateurs n’étaient capables de traiter que des données simples – certes en quantités énormes, mais des données simples –, notamment des textes.

Depuis quelque temps, on arrive à traiter une masse de données que seuls les hommes étaient jusqu’à aujourd'hui capables de traiter : les images, le son, l’espace. C'est la raison pour laquelle nous voyons à présent des robots qui conduisent – la voiture autonome est conduite avant tout par une intelligence artificielle !

Nous allons aussi être capables de traiter tout ce qui était considéré comme relevant du domaine de l’intelligence humaine, comme l’analyse d’un espace, la compréhension des contextes et des comportements entre les personnes, fondée à la fois sur les images, les mots échangés et les concepts transformés.

Un troisième ingrédient de l’accélération est, quant à lui, purement humain. Il s’agit du niveau de recherche en algorithmes et en intelligence artificielle. La source de l’efficacité d’un dispositif d’intelligence artificielle, c’est la capacité de calcul, ce sont les données sensibles, mais c’est aussi l’intelligence des algorithmes. Et l’on observe partout dans le monde une accélération du niveau de recherche – la bonne nouvelle, c’est que les Français font partie de ceux qui recherchent le plus et qui trouvent le plus dans ce domaine.

C’est grâce à la recherche algorithmique que l’on trouve les tactiques et éléments mathématiques qui permettent l’interprétation. En effet, il ne sert à rien d’avoir un énorme jeu de données et une capacité massive de calculs si l’on n’y ajoute pas l’intelligence du scientifique pour les traiter et leur donner du sens. On a aussi besoin de l’intelligence de l’ingénieur pour les rendre pratiques.

Le moment majeur que nous nous apprêtons à traverser, c’est celui de la rencontre entre, d’une part, des jeux massifs de données, y compris sensibles, des capacités de calcul quasiment infinies et qui continuent d’accélérer, et, d’autre part, une intelligence inédite de traitement et de création d’algorithmes, laquelle se traduit par des usages dans la vie quotidienne. Le premier d’entre eux, je l’ai rappelé tout à l’heure, c’est la voiture autonome, mais vous en voyez déjà émerger d’autres, dans le domaine de la santé et partout ailleurs.

Je le répète, nous ne sommes pas là pour subir, nous n’avons rien à subir, nous avons tout à décider. Encore faut-il savoir quel chemin nous voulons tracer. Encore faut-il savoir où nous voulons aller. C’est tout l’enjeu de la mission que nous avons confiée à Cédric Villani.

Au premier trimestre de 2017, une mission avait déjà été lancée. Elle a rendu un premier rapport intitulé #FranceIA, pour France intelligence artificielle, qui a été essentiel dans la définition de la nouvelle commande que nous avons passée à Cédric Villani. Nous ne repartons pas de zéro !

Loin de penser que rien n’a été fait au cours des cinq dernières années, nous estimons que ce rapport #FranceIA a permis de dresser une cartographie de l’état de l’intelligence artificielle en France. Cette cartographie, si vous souhaitez en prendre connaissance rapidement, figure dans l’annexe finale de ce rapport. Je vous invite à la consulter, car elle est extrêmement riche. Elle montre où sont nos instituts de recherche, elle identifie les forces de la France, elle situe les entreprises françaises qui sont leaders dans le monde. Elle pointe aussi les endroits où nous avons des lacunes.

Ce que nous avons demandé à Cédric Villani – je veux remercier M. Malhuret d’avoir mentionné les grands enjeux en la matière –, c’est d’aborder certaines questions spécifiques. Nous lui avons demandé d’apporter des réponses à certaines d’entre elles, mais de ne pas tenter de répondre à d’autres. En effet, notre choix est d’inviter le Parlement à soumettre cette question aux Français.

Je pense notamment, monsieur le président Malhuret, à votre dernier paragraphe sur les enjeux éthiques : l’enjeu de ce rapport sera non pas d’apporter une réponse en la matière, mais de souligner les questions éthiques que nous devrons offrir aux Français et auxquelles nous nous donnons pour mission de répondre dans les prochains mois.

Il y va de la décision administrative, par exemple. Je pense aussi à la décision militaire et aux robots tueurs autonomes, auxquels la doctrine est aujourd’hui plutôt opposée. Cette question, il faut la poser aux Français.

La décision administrative autonome fait intervenir des algorithmes de décision et d’intelligence artificielle qui peuvent assister le fonctionnaire dans sa prise de décision. Aujourd'hui, la décision est encore prise, au bout du compte, par le fonctionnaire. Que va choisir la société à l’égard de ces algorithmes de décision ? Quelle place donner à l’intuition selon laquelle un algorithme serait parfois un peu plus juste qu’une commission ou qu’une décision décisionnaire ? Encore faut-il savoir sur quelles valeurs elle sera fondée.

Ce débat sur les algorithmes de décisions administratives fut l’un de ceux qui ont animé la discussion de la loi sur la République numérique. Il a été décidé de rendre ouvert le code de ces algorithmes. Est-ce suffisant ? Est-ce que ce sera toujours viable à l’heure du deep learning, celle où l’on ne connaîtra plus les critères d’origine des algorithmes ?

Nous avons voulu que Cédric Villani puisse identifier ces questions éthiques et techniques et les exposer devant le Gouvernement au mois de décembre prochain. Après quoi, en janvier, nous déciderons de présenter au Parlement et aux Français des décisions relatives, par exemple, à l’investissement, à la recherche et à l’avenir du travail.

Muriel Pénicaud et moi-même avons saisi parallèlement France Stratégie pour un exercice, lui aussi original, d’esquisse de scénarios. Nous sommes convaincus que, à l’heure de l’intelligence artificielle, aucun des chiffres que nous échangeons sur l’avenir des emplois transformés ou remplacés par la machine – évoquant tantôt 10 %, tantôt 50 %, tantôt 100 % – ne peut être affirmé avec certitude. La question n’est pas de savoir si ces chiffres sont exacts. La question qui nous préoccupe est celle de la maîtrise du rythme.

Oui, ces emplois seront transformés. Oui, certains sont destinés à disparaître. Oui, d’autres vont être créés. C’est une certitude. Combien, et quand ? Ces aspects relèvent du politique et de sa maîtrise. Il est de notre devoir à tous de créer dans la société cette capacité de résilience, en développant les compétences des Français, leur capacité et leur niveau technologique, pour être sûrs de conserver la maîtrise sur chacun des éléments que nous avons abordés préalablement.

Vous l’avez compris, dans les réponses que j’apporterai aujourd'hui à vos questions, ma philosophie sera de toujours expliquer quel est notre regard et quel choix nous avons fait pour avancer. Je vous apporterai des réponses, mais il m’arrivera de solliciter votre indulgence : peut-être vous proposerai-je de nous donner d’ores et déjà rendez-vous au début de l’année prochaine, à l’issue de la remise de ce rapport, qui définira cette stratégie officielle.

Nous avons beaucoup travaillé. J’ai des choses à partager avec vous. C’est vraiment avec un esprit ouvert que j’aborde ce débat au Sénat, dont le format est à mon sens particulièrement intéressant. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs des questions disposent chacun de deux minutes, y compris pour la réplique.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Joël Labbé. (M. Joël Labbé monte à la tribune.)

Monsieur Labbé, vous avez choisi, puisque vous êtes le premier orateur, de venir à la tribune.

M. David Assouline. Les écologistes sont très formels ! (Sourires.)

M. le président. Toutefois, les intervenants suivants pourront intervenir depuis leur place.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’intelligence artificielle, c’est a priori quelque chose qui me donne un grand vertige. (M. Gérard Longuet s’exclame.) J’y vois l’illustration des plus fantastiques progrès humains, mais aussi le risque de ce qui peut être le plus abominable pour notre espèce ! Ainsi, monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué des robots tueurs autonomes – pourquoi pas, mais jusqu’où allons-nous aller ?

Je veux saluer l’initiative prise par le groupe Les Indépendants – République et Territoires de lancer ce débat, ainsi que la présence de M. le secrétaire d'État. Aucun débat ne doit être tabou, surtout celui-là, parce que c’est maintenant ou jamais qu’il faut se poser les bonnes questions.

Je prendrai le simple exemple des modes de déplacement des personnes et des marchandises avec les véhicules autonomes, dont on prévoit l’arrivée des premiers exemplaires sur le marché au début de 2020, avec une généralisation à partir de 2030. Ces derniers vont remplacer progressivement plusieurs millions de travailleurs : les chauffeurs de poids lourds en premier, puis les chauffeurs de taxis et autres VTC, enfin les chauffeurs de bus et autres transports en commun.

Il s'agit d’une occasion extraordinaire en termes de sécurité, de confort, de productivité, de diminution des impacts environnementaux.

Toutefois, cela crée de profondes inquiétudes. Tout d’abord, dans un marché du travail qui va perdre plusieurs millions d’emplois, lesquels seront remplacés par seulement quelques centaines de milliers d’emplois hautement qualifiés dans les hautes technologies, quels mécanismes devons-nous mettre en place pour partager les richesses créées par cette intelligence artificielle et financer les nécessaires emplois dans les services publics, notamment ceux qui sont liés à l’aide à la personne, dont on sait que l’on va avoir un besoin croissant avec le vieillissement de la population française et européenne ?

Dernière interrogation, que vous avez vous aussi soulignée, sommes-nous en mesure d’impulser les dynamiques nécessaires au niveau national et international afin de traiter de l’ensemble des questions éthiques essentielles qui vont se poser de manière aigüe au fur et à mesure des développements de cette intelligence dite « artificielle » ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, comme je l’ai rappelé dans mon propos introductif, qu’il me faudra peut-être rendre un peu plus explicite, nous n’avons rien à subir : l’intelligence de l’homme devra toujours être supérieure à l’intelligence artificielle ; il faut simplement que nous tracions un chemin.

Notre intelligence est supérieure au sens où c’est à nous de décider où doit aller l’intelligence artificielle ; c’est en fonction de nos valeurs qu’il nous faut désigner quel chemin nous souhaitons emprunter.

Il existe plusieurs familles de valeurs et, partant, plusieurs chemins possibles pour l’innovation et l’évolution technologique. Plus je voyage et plus je rencontre mes collègues au Conseil des ministres de l’Union européenne, plus je constate qu’il existe une façon européenne et même une façon française de penser l’innovation et le numérique, qui consiste en un équilibre entre performance et humanité.

Performance, parce que nous sommes une nation d’ingénieurs : nous voulons faire plus avec moins, et ainsi créer plus de valeur pour les hommes. Humanité, parce que nous avons en permanence le souci des conséquences de nos actes et des évolutions technologiques sur l’emploi, sur nos vies et sur la transformation de notre société.

Il existe cependant d’autres familles de pensée, d’autres civilisations. Dans d’autres lieux dans le monde, on cherche l’innovation, l’avancée technologique, coûte que coûte ; il faut toujours aller plus loin et plus vite dans la performance, sans nécessairement raisonner avec le même système de valeurs que le nôtre. Eh bien, tout l’enjeu, pour l’Europe et pour la France au niveau européen, ce sera d’influencer ce schéma.

Certains parmi vous, mesdames, messieurs les sénateurs, voudront certainement évoquer le fonds d’investissement commun dont il est question en ce moment à l’échelle européenne. Il faut pourtant savoir au nom de quelles valeurs, vers quelles technologies et pour quel usage il sera créé. Notre rôle, que j’ai pris à cœur dans tous les échanges que j’ai pu avoir avec les représentants des autres pays, est de rappeler ces valeurs.

C’est pourquoi, quand on évoque les impacts, une question que vous avez soulevée et à laquelle je répondrai très certainement plus tard dans ce débat, je me pose toujours, en même temps, les deux questions suivantes : n’ai-je pas diminué la capacité de performance de notre pays ? Ai-je bien traité tous les sujets qui concernent l’homme ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Je tiens avant tout à remercier notre collègue Claude Malhuret, président d’un nouveau groupe, d’avoir pris l’initiative de ce débat important, la conférence des présidents de l’avoir retenu, M. le secrétaire d'État d’être présent et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, d’avoir très largement déblayé le terrain, par les interventions de M. Claude de Ganay et de notre ancienne collègue, Mme Dominique Gillot – soyez remercié, monsieur le secrétaire d'État, d’y avoir fait allusion. L’actuel président de l’OPECST, M. Cédric Villani, dont on connaît le talent, bénéficie d’un socle à partir duquel il pourra travailler.

Ma question a trait à l’automobile, plus précisément à la voiture partagée, qui constitue un objectif extrêmement raisonnable, dont l’échéance peut être prochaine. Je voudrais connaître les intentions du Gouvernement, s’il en a, quant à la coordination entre le calendrier du véhicule autonome et le cadre législatif et réglementaire qui en définira les modes d’usage.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Avant de vous répondre, monsieur le sénateur, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le véhicule autonome.

Il faut imaginer, par le biais de scénarios, ce qui peut se produire dans les prochaines années. Des chiffres ont été donnés tout à l’heure ; pour ma part, je ne m’engage jamais sur les dates d’arrivée de nouvelles technologies. Le véhicule autonome pourra être largement généralisé dès 2020 ou vers 2030 ; peut-être concernera-t-il les poids lourds, peut-être les transports du quotidien. En tout cas, il nous invite à réinterroger complètement les systèmes économiques.

Le véhicule autonome de demain restera-t-il une voiture que je possède et qui me transporte sans que je la conduise ? Peut-être.

M. Gérard Longuet. Peut-être, mais pas forcément !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Le louerai-je à un service ? Peut-être. Les villes décideront-elles d’être responsables de tous les déplacements et interdiront-elles la possession de tout véhicule individuel au profit d’une collectivisation de ces voitures autonomes interconnectées ? C’est un schéma que d’autres pays pourront souhaiter adopter.

De multiples systèmes sont possibles, mais il faudra de nouveau rappeler ce que nous souhaitons : des modes de transport doux, ouverts à tous et permettant à toutes les personnes, en fonction de leur situation géographique et de leur capacité physique, de se déplacer d’un point à un autre pour assurer tous les éléments de la vie. Il y a différentes façons d’atteindre cet objectif.

La question du transport en commun se posera elle aussi. Que sera le transport en commun en 2030, à l’heure où l’on disposera de ces véhicules autonomes ? Dans certains pays, des simulations scientifiques ont été menées pour déterminer ce qui se passerait si l’on interdisait toutes les voitures et que l’on arrêtait l’ensemble des transports en commun pour les remplacer par des minicars autonomes de huit places, qui viendraient, à la demande, assurer toutes les missions. Il en ressort qu’il en coûterait, sur dix ans, 2,5 milliards d’euros pour fournir 4 000 véhicules qui tourneraient 24 heures sur 24.

J’ai pris cet exemple pour vous montrer combien les scénarios sont multiples et de grande ampleur. C’est pourquoi, avec Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, nous avons décidé de nous pencher sur ce sujet : nous allons nommer une personne en charge de mener une réflexion au cours des prochains mois, parce que nous estimons que tous les scénarios sont possibles et qu’il faut être prêt à tous les assurer.

L’avenir ne correspond pas forcément aux scénarios annoncés ou préparés par nos grands industriels ! C’est pourquoi il est de notre responsabilité, au Sénat et à l’Assemblée nationale comme au Gouvernement, de nous préparer à penser toutes les possibilités ; tel sera l’enjeu de ce travail.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.

M. Gérard Longuet. Pour avoir vécu, dans un passé lointain, la coexistence brève et conflictuelle du minitel et d’internet, je souhaiterais que le pouvoir politique soit modeste et laisse une large place à la fois aux techniciens, aux scientifiques, aux investisseurs, aux consommateurs et aux citoyens.

Il ne faut pas que le mythe d’une intelligence artificielle généralisée nous conduise à créer un système trop encadrant qui nous priverait de toute liberté individuelle. L’initiative et l’innovation doivent être mises au service de la liberté et certainement pas d’un encadrement réglementaire de nos modes de vie et, par exemple, de nos conditions de transport. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires de ce débat, à mon sens essentiel, sur l’intelligence artificielle. On entend parler de celle-ci à longueur de journée, souvent par effet de réaction, très médiatique, à une innovation réelle ou annoncée, pour sa publicité, par de grandes entreprises ou des groupes internationaux.

Selon moi, derrière cette fragmentation du discours sur l’intelligence artificielle, le mérite du débat politique est précisément de poser le cadre d’une discussion globale, c’est-à-dire véritablement politique. Si nous voulons construire de bonnes politiques publiques dans le domaine de l’innovation et, en particulier, dans celui de l’intelligence artificielle, il faut se poser certaines questions.

Parmi celles-ci, au-delà de la question éthique et de celle des usages, qui a été évoquée, j’en retiens trois.

Premièrement, même si le secteur privé, comme vous l’avez justement rappelé, monsieur Longuet, est extrêmement important pour l’initiative, peut-il à lui seul financer et organiser le développement de l’intelligence artificielle ? On peut en douter du fait de sa fragmentation : il est en effet des efforts de recherche que même les plus grandes entreprises ne sont pas toujours à même de mener.

Deuxièmement, la France et l’Europe sont-elles en mesure de tenir une place dans la compétition internationale ? Cette question a été posée par M. Malhuret.

Troisièmement, comment peut-on envisager la régulation de ces développements pour qu’ils ne deviennent pas incontrôlés ? Il se trouve qu’un élément de réponse a été apporté par le Président de la République lors de son grand discours sur l’Europe, le 26 septembre dernier, à la Sorbonne, à savoir la création d’une agence de l’innovation de rupture.

Cette agence qui, dans la volonté de son initiateur, serait européenne et verrait le jour dans deux ans, constituerait un cadre selon moi absolument essentiel. En effet, elle ne se cantonnerait pas à l’intelligence artificielle, mais serait fondée sur l’ensemble des nouvelles technologies, des développements numériques aux green techs.

Mes questions, monsieur le secrétaire d'État, sont les suivantes : où en sommes-nous ? Comment comptons-nous aller de l’avant ? Pourrons-nous avancer immédiatement à l’échelle européenne, ou bien passerons-nous d’abord par une étape franco-allemande ? Quel sera le rôle, dans ce développement, de l’INRIA, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, cet institut français très en avance sur ces questions ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je répondrai à votre question, qui rejoint celle de M. Longuet, sur les rôles respectifs de l’État et du secteur privé.

La question n’est pas celle de l’intelligence artificielle, mais des nouveaux usages que celle-ci permet et qui vont profondément affecter les réseaux et les infrastructures, dans plusieurs secteurs. Cela conduira à des marchés forcément imparfaits : on frôle là la nécessité, sinon de biens communs et de services publics, du moins d’une pensée commune ou publique.

Dans un tel cas, nous avons plusieurs outils juridiques à notre disposition. Il y a, tout d’abord, la standardisation des protocoles, qui vise au moins à s’assurer que les différents véhicules autonomes parlent le même langage et que, dans notre ville connectée, ils puissent échanger les uns avec les autres.

Il y a, ensuite, la délégation de service public pour l’infrastructure et la partie profonde du réseau. Qu’est-ce qui fera fonctionner les voitures autonomes de demain ? À l’heure de l’intelligence artificielle et de l’autonomie énergétique, ces réseaux ne sont pas forcément physiques.

Cela pose une question très actuelle pour le Gouvernement : est-il du rôle des collectivités locales ou encore du Gouvernement de penser ces réseaux virtuels, ces plateformes qui permettent l’interconnexion entre acteurs privés ? Il serait particulièrement dangereux de laisser les acteurs privés sans accompagnement pour la maîtrise des effets de réseau. De fait, cela laisserait la victoire à un seul acteur : le plus gros.

En effet, mettre sur un marché des véhicules, ou des technologies, non compatibles entre eux revient à mettre en compétition des prisons pour attraper des prisonniers : une fois qu’elles ont attrapé un consommateur, elles le gardent chez elles pendant une quinzaine d’années et, si l’on veut parler à ce consommateur, il faut passer par la plateforme. Tel est aujourd’hui leur modèle économique !

C’est pourquoi notre rôle, si nous misons sur le secteur privé, choix que nous avons fait dans nos économies, est de penser notre intelligence artificielle dans cette régulation. Les données personnelles et industrielles, leur échange et leur standardisation, enfin la capacité à créer une véritable compétition et de la concurrence, voilà les grands enjeux à l’heure de cette transformation numérique.

Je lance d’ailleurs un appel, et même un SOS : sur ces sujets, on manque de réflexion, on manque de chercheurs, en France comme en Europe, et on manque d’un travail parlementaire. C’est pourquoi je nous invite à tous nous saisir de ce sujet et je m’engage à ce que le Gouvernement travaille plus en la matière.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. L’intelligence artificielle est un sujet dont les enjeux économiques sont proportionnels aux progrès spectaculaires obtenus par la recherche en la matière. L’accroissement rapide et imprévisible des tâches potentiellement automatisables nous amène à nous interroger sur les activités humaines futures.

On passe d’un système où les emplois très manuels et ceux qui sont fondés sur les talents semblaient préservés de l’automatisation à un scénario de transformation qui touche potentiellement beaucoup plus de monde.

Ainsi, selon le Conseil d’orientation pour l’emploi, ou COE, la destruction d’emplois pourrait être moins étendue que nous le pensons et se chiffrer à moins de 10 % des emplois. Néanmoins, l’automatisation entraînerait une transformation importante d’un emploi sur deux. En effet, d’après un rapport du Conseil national du numérique de mars 2017 visant à anticiper les impacts économiques et sociaux de l’intelligence artificielle, les conséquences seraient « moins destructrices que transformatrices du travail ».

Le but à atteindre est de créer de la valeur dans le travail pour toutes et tous, de donner plus de pouvoir et d’intelligence et non pas de mécaniser les humains. Les politiques publiques, nationales et régionales, doivent être mobilisées pour construire une vision positive de l’intelligence artificielle, ce qui nécessite de placer la formation au cœur du travail.

En cela, l’intelligence artificielle rejoint notre projet « sécurité emploi-formation », qui vise à permettre à chaque travailleuse et à chaque travailleur d’alterner emplois stables et correctement rémunérés et formations permettant d’accéder à de nouveaux emplois.

L’intelligence artificielle peut soit provoquer une hémorragie des emplois dans certains secteurs professionnels, soit, au travers d’une redistribution des gains de productivité, financer des formations évolutives et une montée en gamme des qualifications. Tout dépend de la volonté politique.

Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous d’accord pour que l’on utilise l’intelligence artificielle afin de libérer le salarié du travail fastidieux et répétitif, en réduisant la charge et le temps de travail ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous abordez plusieurs questions : la transformation du travail, les économies liées à l’intelligence artificielle et la capacité que nous aurons à la maîtriser.

Vous avez cité le rapport du COE et évoqué celui du Conseil national du numérique, qui a été rendu à l’époque où j’en étais le président. Je me permettrai donc de rappeler que, même dans ce cas, il ne faut pas s’engager sur les chiffres ; il ne faut compter que sur une chose : la résilience de notre société et notre capacité à maintenir et à nourrir notre modèle social.

Le pacte social français, ce qui fait la France en somme, est que nous ayons décidé de socialiser le risque de santé et celui de la perte d’emploi. Ce modèle fait partie du socle qui est commun à tous les membres des deux assemblées. Certes, ce qui différencie historiquement les uns des autres, c’est le niveau des cotisations et des paiements, le coût à assumer, mais nous avons tous la conviction qu’être Français, c’est ne laisser personne sur le côté. Voilà ce que le Gouvernement porte : encore une fois, un équilibre entre performance et humanité.

Qu’est-ce que cela signifiera quand on n’aura peut-être pas assez d’emplois pour tous, quand, peut-être, 50 % à 100 % les emplois seront transformés dans un temps très court ? Eh bien, il restera cette philosophie de la résilience et cette idée de l’équilibre ; il faudra offrir à chacun la capacité de rebondir, qui est essentielle.

Quand aura lieu cette transformation ? Nous avons eu, durant la campagne présidentielle, un débat sur le revenu universel. Néanmoins, nous avons estimé – message important – que ce n’était pas le moment de parler de ce sujet, car la question du revenu universel ne se pose pas maintenant. Le sujet, aujourd’hui, ce sont les compétences et la création d’une allocation chômage universelle pour toutes les personnes, quel que soit leur statut d’emploi actuel. Cela contribuera à nous préparer aux transformations à venir.

Le débat aura bientôt lieu ici sur ces sujets. Quand Mme Muriel Pénicaud évoque la transformation de la formation professionnelle, quand on parle de rendre accessibles les allocations chômage aux entrepreneurs ou aux démissionnaires, c’est bien dans l’idée que nous allons traverser, dans les cinq, dix ou quinze années à venir, un changement majeur dans la vie de chaque citoyen travailleur. Chacun va devoir se former à nouveau, chacun va peut-être passer quelques mois ou quelques années sans emploi, période durant laquelle il lui faudra pouvoir continuer à vivre dignement.

C’est pourquoi cette capacité à se transformer et à transformer notre outil de solidarité est essentielle au vu des changements que nous allons subir. Quinze milliards d’euros vont être engagés dans le plan d’investissement pour les compétences ; le débat sera long sur la transformation de l’assurance chômage, mais il sera essentiel et nécessaire : voilà les premières briques de la préparation sociale à cette transformation scientifique et sociétale !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Lors d’une audition sur l’intelligence artificielle, le directeur de l’INRIA nous a dit : « Pendant que la France fait des rapports, les autres pays investissent. » Nous devrions tous, mes chers collègues, en être alertés. Certes, à un certain stade, les rapports sont nécessaires, mais je vais être directe, monsieur le secrétaire d’État : pourquoi, alors même que, après le rapport France Intelligence artificielle, vient tout juste d’être rendu l’excellent rapport de l’OPECST, réalisé par un député et par notre collègue sénatrice Dominique Gillot, faudrait-il un énième rapport sur l’intelligence artificielle ?

Le constat sera le même. Ce sera celui qu’a fait notre collègue Claude Malhuret en introduction. On soulignera, avant tout, que, au niveau français comme à l’échelle européenne, nous n’avons, hélas, ni l’ambition ni la stratégie pour une véritable politique industrielle des nouvelles technologies.

Alors que nous devrions concentrer tous nos efforts sur le développement et l’ancrage européen de notre écosystème technologique, nous assistons à une hémorragie des talents et de nos start-up, rachetées par des groupes américains ou asiatiques. Soyons lucides : il s’agit bien d’une guerre d’intelligence économique. Le traitement en masse des données et les algorithmes de l’intelligence artificielle sont en effet devenus des enjeux stratégiques pour notre économie et notre défense.

Toutes les nations qui ont développé des écosystèmes technologiques puissants l’ont fait grâce à des politiques volontaristes. Les Américains ont orienté, dès 1953, leur commande publique vers les PME grâce au Small Business Act. Cela a permis aux PME américaines innovantes d’obtenir d’emblée des contrats fédéraux ou locaux. Ces mécanismes d’achats et d’aides publiques intelligentes sont à l’origine des plus grandes réussites américaines, comme celle d’Elon Musk avec Tesla.

Ces géants technologiques se sont aussi développés grâce à des exemptions fiscales et à des mesures d’aides gouvernementales. Il n’y a d’ailleurs pas une seule des technologies clefs de l’iPhone qui n’ait été, à un moment ou un autre, subventionnée par l’État américain.

Plutôt que d’établir de grands plans industriels souvent inefficaces et qui se résument trop fréquemment à du saupoudrage vers les grands groupes, l’État doit absolument innover et contribuer à faire évoluer la réglementation européenne de la concurrence. Celle-ci est en effet aujourd’hui contre-productive : elle ne permet pas à nos PME de devenir des entreprises de taille intermédiaire, puis des acteurs internationaux.

Tel est bien l’enjeu à ce moment clef où nous mesurons le potentiel, mais aussi les risques, que recèle l’intelligence artificielle.

Aussi ma question est-elle simple ; elle rejoint celle qu’a posée M. Gattolin, mais à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le secrétaire d’État. Pour que nous demeurions dans la compétition mondiale et que nous restions maîtres de notre destin numérique, comment comptez-vous avancer sur ce sujet ? Le Sénat, au travers de sa commission des affaires européennes, a souvent pointé du doigt cet enjeu majeur, et cela depuis 2013, date d’un premier rapport sur ce sujet ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Madame la sénatrice, je partage votre attitude critique envers les longs rapports qui se succèdent. La mission que nous avons confiée à M. Cédric Villani, comme celui-ci l’a régulièrement rappelé, n’est sûrement pas de nous rendre un nouveau rapport. Il s’agit plutôt de nous présenter des orientations pratiques sur les débats qu’il est urgent de mener, mais aussi sur les enjeux d’investissement industriel qu’il aura considéré, à la suite de ses auditions, comme majeurs.

Les deux rapports que vous avez bien voulu citer, et que j’ai beaucoup appréciés, photographient l’existant et font de nombreuses recommandations qui, si elles étaient toutes mises en place, consommeraient plusieurs fois notre budget annuel. Il est maintenant important d’arriver à une phase de décision stratégique qui soit à la hauteur de nos choix stratégiques et de nos capacités d’investissement.

Vous avez abordé plusieurs sujets : en premier lieu, comment augmenter la capacité de nos très petites entreprises, de nos start-up et de nos PME à développer ces nouvelles technologies, puis à les vendre sur le territoire européen, et même au-delà. Comment les identifier, comment les faire grandir, comment s’assurer de leur croissance ?

Un autre sujet est la relation de ces entreprises avec l’État. Vous avez évoqué l’achat public. On peut aussi mentionner la relation de l’État avec les grands groupes exportateurs, qui, quoiqu’ils aillent très loin et soient très compétitifs, n’amènent pourtant pas avec eux ces technologies, voire utilisent des technologies étrangères pour remporter d’autres appels d’offres, y compris sur ces sujets.

Vous avez aussi évoqué la question du financement. J’y reviendrai plus tard, parce que je sais que beaucoup d’entre vous l’ont mentionnée. Je veux parler de stratégie.

Aujourd’hui, il faut que nous soyons capables, à l’échelon national, d’identifier ces technologies de rupture ; en effet, on peut toujours appeler à la création d’un fonds pour l’investissement dans les technologies de rupture, mais encore faut-il les identifier. Les pays que vous avez cités, ceux qui ont réussi à avancer sur ces sujets, pilotent, au niveau régional ou national, l’existence de recherches et l’émergence de start-up sur un sujet donné. Quand on identifie qu’un sujet ne reçoit pas l’attention nécessaire, alors on est capable de diriger, d’investir et d’aller plus loin.

Ainsi, sur l’intelligence artificielle et sur la cybersécurité, sujets extrêmement porteurs et créateurs de valeur, nous n’avons pas encore de pilotage national, de regard ni d’observatoire européen. Un débat a eu lieu hier sur cette question. Aujourd’hui, nous manquons d’un regard stratégique. Je ne veux pas déflorer notre recommandation finale, mais il faudra que nous nous dotions de cette capacité. Je sais en tout cas que je pourrai compter sur vous, car vous en débattez depuis longtemps ; vous devez aussi être convaincus que vous pourrez compter sur moi pour le porter.

M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, je vous invite à mieux respecter le temps de parole de deux minutes par question qui vous a été accordé.

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. La démarche « France Intelligence Artificielle » a été lancée en janvier 2017 ; le rapport qui vient d’être remis au Gouvernement contient des orientations qui pourraient contribuer à la stratégie de la France en matière d’intelligence artificielle.

Parmi ces orientations, le groupe de travail « recherche amont » préconise un rapprochement entre industrie et recherche, en particulier par l’attribution d’un financement de recherche sur une longue période, de cinq ans, à un seul porteur et à son équipe, ainsi que par un soutien aux projets collaboratifs.

Le directeur du centre de recherche de l’INRIA, M. Braunschweig, estime quant à lui que l’effort financier nécessaire pour la recherche, par le public et le privé, serait de l’ordre de 100 millions d’euros par an sur dix ans.

Le groupe de travail « transfert de technologies » propose pour sa part de créer des plateformes d’intégration et de démonstration des innovations et de soutenir les transferts de technologies par la mise en place de fonds d’investissement en capital.

Comment, et à quel niveau financier, le Gouvernement prévoit-il d’accompagner la recherche et le développement de l’intelligence artificielle dès le projet de loi de finances pour 2018 et au cours des années suivantes ?

Je note par ailleurs que, dans ce rapport, l’agriculture n’est pas évoquée. L’intelligence artificielle se prêterait pourtant bien à l’assistance de nos agriculteurs en matière de pilotage et de stratégie d’exploitation. La constitution et l’exploitation d’un big data agricole auraient des vertus multiples, y compris en matière de simplification administrative pour les agriculteurs. Qu’est-ce que le Gouvernement se propose de faire ou d’impulser en la matière ?

Pour finir, comment le Gouvernement entend-il donner une chance aux territoires hors métropoles pour contribuer au développement de l’industrie de l’intelligence artificielle et en bénéficier ? Comment associer les villes moyennes aux écosystèmes créatifs en question ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Je concentrerai ma réponse sur les territoires.

L’activité de la French Tech s’est transformée ces dernières années et ces derniers mois, et j’ai souhaité développer et multiplier ces changements. Jusqu’à présent, d’un point de vue territorial, les moyens de la French Tech étaient massivement concentrés autour des métropoles. C’est le résultat d’une stratégie visant à faire émerger, au niveau français, des métropoles capables d’aller conquérir de nouveaux marchés internationaux.

On a ensuite vu la création des réseaux French Tech. Ces réseaux de technologies de pointe étaient quant à eux beaucoup plus ancrés dans les territoires, notamment autour des agritechs, dans des villes qui ne faisaient pas partie de ces grandes métropoles.

Je suis aujourd’hui convaincu, après quelques mois dans mes fonctions, que les territoires ont une capacité à produire des innovations majeures de rupture liées à la ruralité ou permises par l’espace que celle-ci offre. Ainsi des technologies liées aux drones, à leur régulation ou aux drones augmentés : plusieurs des leaders dans ce domaine sont des start-up françaises. J’en ai visité plusieurs près de Gardanne : elles profitent de ce lieu, où il y a à la fois des étudiants, de l’innovation et un territoire pour les accueillir.

Je serai à Angers vendredi et samedi prochains ; autour de la ville, de son socle périurbain et de son espace rural, Angers a réussi à développer, en près de trente ans, un véritable écosystème de l’électronique connectée, de l’électronique intelligente et de l’intelligence artificielle embarquée, pôle qui, aujourd’hui, est compétitif internationalement. Angers, c’est un peu le premier de la classe. Comment parvenir à développer cela ?

Après Angers, on peut citer Agen pour la Food Tech. Dans le domaine des technologies d’amélioration et de croissance des start-up sur le sujet de l’alimentation, Agen a réussi à créer une place particulièrement compétitive au niveau européen.

Sur ces sujets, l’enjeu pour la French Tech en 2018 et 2019 sera non seulement de célébrer et de laisser émerger ces grandes métropoles très performantes, mais aussi de s’engager très activement pour la diversité géographique. Tout comme je me suis engagé sur le sujet de la diversité de nos entrepreneurs, je m’engage pour qu’il y ait plus de start-up qui viennent de milieux ruraux ou de milieux populaires, ou qui soient portées par des femmes, car ce sont ces start-up qui proposent de nouveaux sujets.

J’ai récemment remis le prix StartHer, qui couronne la gagnante d’une compétition internationale de start-up dirigées par des femmes. La lauréate avait développé une technologie d’intelligence artificielle dans la personnalisation et l’identification de soins contre le cancer. Sa start-up était issue d’une ville de taille moyenne, avant qu’elle ne lève des fonds, n’aille à Paris et ne parte à la conquête du monde. Nous avons là réussi à raconter une belle histoire française liée à l’intelligence artificielle, issue de nos territoires. Certes, l’enjeu est de généraliser ces histoires, mais elles existent !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Merci de votre réponse à la partie territoriale de ma question, monsieur le secrétaire d'État ; c’était très intéressant.

Je regrette que vous n’ayez pu vous exprimer – vous le ferez peut-être plus tard – sur le financement public de ces démarches, notamment en prévision de l’examen du projet de loi de finances pour 2018. De fait, il n’y a sans doute pas lieu d’attendre, tant la question du financement se pose d’ores et déjà. D’ailleurs, ce financement s’effectuera peut-être dans le cadre des projets industriels d’avenir.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Notre débat permet de poser les limites économiques, juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle. Je vous remercie par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir mentionné les occasions qu’elle offre en termes de développement économique pour notre industrie française et, en particulier, d’avoir cité Angers, mon territoire, où se déroule, en ce moment même et toute cette semaine, le World Electronic Forum.

Ce Forum international de l’électronique constitue une occasion extraordinaire de faire valoir nos savoir-faire et de défendre la filière électronique française. L’ensemble des décideurs du monde entier, de l’Inde, de la Chine ou des États-Unis s’y réunit pour débattre des grandes questions qui nous intéressent aujourd’hui : la vie digitale, l’industrie 4.0 ou l’écosystème numérique français.

Vous y serez demain et après-demain, monsieur le secrétaire d’État, et le Premier ministre y viendra vendredi. Il aura fallu, vous l’avez dit, un combat de plusieurs années, sinon de plusieurs décennies, ainsi qu’une volonté politique forte, pour faire venir ces décideurs en Anjou, sur notre territoire, et mettre ainsi en valeur nos savoir-faire.

C’est aussi l’accompagnement et le développement des réseaux French Tech dans le monde entier. Nous devons continuer à développer ces nouvelles technologies en nous appuyant sur notre filière industrielle d’excellence.

Telle est l’ambition du label French Tech qui est développé en ce moment, notamment à travers les réseaux que vous avez cités, monsieur le secrétaire d’État.

Malheureusement, face aux géants américains et chinois, nous devons aujourd’hui être plus offensifs dans la protection de nos intérêts. Notre pays doit rapidement s’engager dans une stratégie de souveraineté numérique. Cette dynamique peut d’ailleurs trouver un écho à l’échelon européen, comme l’a rappelé Claude Malhuret.

Ma question est simple : quelle est la volonté du Gouvernement et quels sont les moyens accordés par l’État à la défense de notre souveraineté numérique et au développement d’une filière industrielle française de l’intelligence artificielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, votre question me donne l’occasion de répondre sur le volet financier et de souligner également le dynamisme de Dijon, avec la Food Tech, à la première édition de laquelle je me rendrai la semaine prochaine ; j’y retrouverai d'ailleurs François Patriat.

M. François Patriat. Très bien !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Il faut bien préciser qu’il n’y a pas qu’un seul territoire capable d’innover sur ces sujets.

Sur le financement, plusieurs annonces ont déjà été formulées. Je le répète encore une fois : je ne viens pas avec toutes les réponses. Dans la lettre de mission que nous avons adressée à M. Villani et dans les différents rapports qui ont été remis est affichée la volonté d’identifier les secteurs dans lesquels nous pensons qu’il faut mobiliser des moyens publics ou faciliter la mobilisation des moyens privés, et à quelle hauteur. Nous pouvons nous comparer aux Chinois ou aux Américains, mais nous devons le faire aussi avec nos amis européens et voir ce que nous sommes capables de faire ensemble.

Nous créons un fonds pour l’industrie et l’innovation. Ce sont les fameux 10 milliards d’euros que Bruno Le Maire a annoncés et que nous avons réussi à rassembler par la valorisation de titres déjà détenus dans d’autres entreprises. Cette somme, constituée en fonds, nous permettra de mobiliser plusieurs centaines de millions d’euros par an sur les fameuses technologies de rupture, qui ont aussi une composante d’intelligence artificielle.

En effet, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, les grandes innovations liées à l’intelligence artificielle sont surtout dans les usages finaux. J’ai évoqué la lauréate du prix StartHer, dont l’innovation consiste à personnaliser le traitement du cancer, à diviser par deux les quantités de soins à transmettre aux malades et à multiplier les capacités de survie des patients.

C’est sur de telles transformations qu’il nous faudra être capables de décider et de dire s’il faut d’urgence être compétitifs sur la santé ou au contraire sur l’agriculture. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas les mêmes retards ni les mêmes chances dans toutes les technologies. Si des pays sont déjà allés très loin dans certains domaines, il n’est peut-être pas pertinent – sans pour autant renoncer – de mobiliser tous nos moyens sur ces secteurs.

Le PIA 3, c'est-à-dire le troisième volet du programme d’investissements d’avenir, constitue un autre élément très important. Il n’est qu’à voir les différents appels à projets dont les résultats ont été rendus publics ces derniers jours : des programmes de recherche, de nouvelles formations, de nouveaux instituts de recherche, de nouvelles écoles de recherche ont été labellisés et financés sur les technologies de rupture. Quel plaisir de constater que, en France, on peut avoir des centres de recherche sur des sujets dont les termes mêmes nous semblent exotiques et lointains, tellement ils incarnent la complexité scientifique !

Oui, en matière de recherche, la France est entrée dans une dynamique. Oui, nous investissons déjà. Oui, nous finançons déjà. Reste que l’enjeu même de cette stratégie, c’est d’être capable, au début de l’année 2018, d’annoncer ce sur quoi nous nous mobiliserons de façon majeure.

J’aurai sans doute l’occasion d’aborder un peu plus tard un autre volet, celui du cofinancement européen. (MM. André Gattolin et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon tour, je souhaite remercier Claude Malhuret d’avoir engagé ce débat important pour l’avenir de notre pays.

Les technologies fondées sur l’intelligence artificielle, dont l’apparition remonte déjà au milieu du XXe siècle, monsieur le secrétaire d'État, ont des effets substantiels tant sur les individus que sur l’économie et la société. Porteuses d’innovations fascinantes, elles posent des problèmes résultant de leur intégration au sein des « systèmes institutionnels » et suscitent aussi de vives inquiétudes en matière d’éthique, mais aussi et surtout d’emploi.

Tous les pays ne jouent pas à armes égales. En Suède, près de 6 % des salariés travaillent dans le secteur de la communication électronique, contre seulement 1,2 % en Grèce. La France, quant à elle, est dans la moyenne européenne, avec 3,6 %.

Lancée à la fin du mois de janvier, l’opération « France IA » a mis en place dix-sept groupes de travail mobilisant quelque cinq cents experts, chercheurs et représentants du monde de l’entreprise chargés de définir une stratégie de mise en valeur et de développement de cette filière.

Le rapport de « France IA » et celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques intitulé Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée, publiés au mois de mars dernier, ont mis en exergue une cinquantaine de recommandations pertinentes afin de réguler les bouleversements sociaux. S’il est vrai que les recherches actuelles en sciences économiques ne permettent pas encore d’apprécier précisément les effets de l’IA, elles pointent néanmoins les risques de destruction d’emplois ou de dénaturation des emplois induits.

Permettez-moi dans ce cadre, monsieur le secrétaire d’État, de faire un parallèle avec le plan pour la formation professionnelle présenté récemment par le Président de la République. Ma question est simple : les politiques publiques envisagées sont-elles suffisamment attractives pour permettre à ceux qui en auront besoin de se former ou de se reconvertir grâce à la filière de formation nationale sur l’intelligence artificielle ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous posez la question de la transformation des compétences, des emplois et des outils de formation et m’interrogez sur la façon dont nous sommes capables de mettre en place le pilotage de cette transformation. Sur ce sujet, nous avons décidé d’avoir une vision très pragmatique, qui traite à tous les étages des différents niveaux de compétences.

Ce sont d’abord les compétences numériques universelles, ou « littératie numérique », qui doivent être accessibles à tous : fonctionnaires, salariés et même personnes qui ne sont pas dans l’emploi. Quinze, vingt, trente, voire quarante heures sont indispensables pour acquérir les premières compétences numériques, celles qui semblent une évidence pour nous tous, mais qui, aujourd’hui, ne sont pas maîtrisées par près de 13 millions de Français, soit quasiment 20 % de la population. C’est un enjeu dans l’emploi et hors de l’emploi, sur nos territoires.

Ce sont ensuite les compétences professionnelles d’emplois nouveaux à créer et d’emplois nouveaux à conquérir. Certains, qui savent déjà très bien lire, très bien écrire, utiliser un ordinateur, vont voir une partie de leur emploi se transformer en emploi du numérique. Il faudra que notre outil de formation professionnelle soit capable de les accompagner en quelques mois.

Pour tous ceux qui sont hors de l’emploi et qui vont aller vers des métiers complètement nouveaux, deux possibilités existent. Pour la très haute compétence, l’université, dans le cadre du LMD, licence-master-doctorat, proposera de nouvelles formations.

Le PIA 3 contient d’ailleurs un chapitre intitulé « nouvelles formations ». Tout à l’heure, j’ai évoqué les nouvelles écoles de recherche. Les nouvelles formations qui viennent d’être retenues sont intéressantes : elles concernent des métiers et proposent des contenus pédagogiques que nous ne connaissons pas et qui formeront nos ingénieurs et nos experts de demain.

Par ailleurs, plusieurs centaines de milliers de techniciens doivent être formés. Là, notre outil de formation n’est pas prêt. C’est un véritable enjeu pour le ministre de l’éducation nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, la ministre du travail et moi-même : nous travaillons à créer de la souplesse et de la capacité, avec des formations de type « Agile » ou d’un type nouveau, qui n’entrent pas forcément dans le cadre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur ou de la certification professionnelle.

Je pense ainsi à la Grande École du numérique, qui certifie plusieurs centaines de formations sur tout le territoire. Il en existe plusieurs près de chez vous, mesdames, messieurs les sénateurs : là, au sein de vos territoires, les gens sont formés sans discrimination de parcours préalable et obtiennent, dans des formations de six mois à deux ans – la durée est flexible –, non pas un diplôme, mais une certification et un ensemble de compétences sur des emplois nouveaux où il y a de la recherche d’emploi.

Aujourd’hui, la ministre du travail et moi-même menons une réflexion sur la façon de développer ce type de formation à une plus grande échelle. Nous avons en effet la conviction que, sur les emplois de techniciens et d’assistants-techniciens, dans la sécurité des réseaux, dans le e-commerce, dans l’assistance aux nouvelles technologies, nous aurons besoin de médiateurs entre les salariés, les clients et les technologies et qu’il est possible de former ces personnes.

C’est à nos yeux une occasion majeure ! Pour ma part, je crois très fortement aux techniciens. Je vous rappelle – c’est l’occasion de parler de soi de temps en temps ! (Sourires) – que j’ai été pendant neuf ans technicien réseau au sein d’une hotline : j’ai dépanné près de 9 000 Français au téléphone et je me fais une fierté d’avoir été de ceux qui accompagnent nos concitoyens à maîtriser les technologies. Je veux qu’il y en ait encore plus en France. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d'État, de bien vouloir faire des réponses plus courtes, afin que nous puissions mener cette après-midi les deux débats prévus par l’ordre du jour.

La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier Claude Malhuret de son initiative. C’est un sujet important, que l’on ne traite pas suffisamment, alors qu’il risque dans les années à l’avenir de bouleverser nos vies.

Je suis l’auteur, avec notre collègue Gilbert Roger, d’un rapport d’information intitulé Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté – le titre est important. Les drones sont en effet un enjeu de souveraineté, et je souhaite établir un parallèle avec l’intelligence artificielle, qui me semble également un enjeu de souveraineté de premier ordre.

Notre pays dispose d’importants atouts à faire valoir dans le domaine des technologies de l’intelligence artificielle. Certes, les États-Unis ou la Chine sont réputés être les pays les plus avancés, mais nous nous en sortons plutôt bien.

Les applications de l’intelligence artificielle peuvent concerner l’éducation, l’environnement, les transports, l’agriculture, mais ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont les applications pour l’aéronautique, la sécurité et surtout la défense : oui, de nouvelles perspectives s’ouvrent en matière de défense avec l’intelligence artificielle. Le rapport Gillot-de Ganay préconise d’encourager la constitution de champions européens en intelligence artificielle et en robotique, tout en poursuivant le soutien aux PME spécialisées, en particulier les start-ups.

J’aimerais prolonger ce point par ma question. Nous assistons à domination de quelques entreprises, le plus souvent américaines, parfois chinoises, concernant l’intelligence artificielle. Je pense aux GAFA, qui représentent la pointe de la recherche, mais la Chine, avec les BATX, veille au grain.

Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, quelle place existe pour l’Europe et pour la France ? Quelles initiatives ou mesures le Gouvernement entend-il prendre pour contribuer à l’émergence de champions européens en intelligence artificielle ?

J’en arrive à ma question sur la défense. Comment le Gouvernement conçoit-il le rôle que peut jouer l’intelligence artificielle dans le secteur de la défense ? Quels projets envisage-t-il par exemple de soutenir pour favoriser des applications d’intelligence artificielle dans ce secteur ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, permettez-moi de revenir sur les questions relatives à la défense, laquelle constitue l’un des piliers de la souveraineté.

Certes, la souveraineté dépasse les simples questions de défense, elle concerne aussi nos réseaux, nos infrastructures majeures. Prenons l’exemple des infrastructures télécoms : aujourd’hui, nous avons un déficit de fournisseurs européens d’éléments matériels centraux dans nos réseaux, ce qui entraîne notre dépendance à l’égard de fournisseurs venus d’autres continents.

Dans le domaine de la défense, c’est encore plus essentiel, puisque nous sommes l’une des grandes nations qui participent à la protection de l’Union européenne. Il y va de la capacité de la France à innover, à investir, à identifier les technologies dans lesquelles elle doit, tout comme l’Europe, être souveraine.

La ministre des armées a annoncé voilà deux semaines la création, avec la BPI, d’un fonds stratégique d’investissement de 50 millions d’euros dans les PME de défense. C’est le début, et c’est une première. Cela me permet de revenir à la question que j’ai soulevée au début de ce débat, celle du pilotage, de la maîtrise et de la capacité à observer l’écosystème et les dispositifs existants.

Monsieur le sénateur, vous évoquez les drones. J’ai visité plusieurs pays récemment. Pendant que nous parlons de ces technologies, eux ont une mappemonde sur laquelle figurent toutes les technologies et sous-technologies existantes en la matière, de la verticale, de l’horizontale, de ses usages pratiques, des softwares, des différents types de drones possibles. Ce faisant, ils identifient les domaines dans lesquels ils connaissent des faiblesses et partent activement à la recherche de start-up à la pointe dans ces secteurs pour le financer.

En France, nous n’avons jamais entrepris une telle démarche. Elle est en train d’émerger, et je souhaite la développer dans certains domaines, notamment la défense, avec la ministre des armées, mais aussi la cybersécurité. Sur ce sujet spécifique, l’une des forces d’Israël, c’est sa capacité à toujours savoir si elle peut en permanence s’appuyer sur un nombre suffisant de chercheurs, si ceux-ci sont bien financés, si des start-up peuvent se créer, qui elles-mêmes parviennent à vendre leurs services au public et aux grandes entreprises privées.

Telle est la démarche que je souhaite voir développer à l’échelon militaire pour nos armées. Certaines technologies peuvent être secrètes, mais d’autres ne le sont pas. Il revient à l’armée de participer à leur financement, parce qu’elles permettent de conserver nos PME en France. Cela participe de la réflexion sur les fonds stratégiques d’investissement, qui ne se réduit pas à la performance financière à moyen ou long termes, mais concerne la nécessité souveraine d’investir dans un secteur plutôt que dans un autre.

Voilà qui nous ramène à la fameuse question du DARPA, le Defense Advanced Research Projects Agency, qui n’est pas la même chose que le Fonds stratégique d’investissement PME, lequel investit tout de suite dans une technologie utilisable dès maintenant. Les fonds DARPA sont une prise de risque sur l’avenir : ce sont des fonds qui investissent dans des technologies dont on ignore si elles aboutiront, dont on ne peut préjuger l’usage futur.

Monsieur le président, pardonnez-moi d’avoir dépassé mon temps de parole…

M. François Patriat. Ce n’est pas grave : vous êtes très bon !

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le secrétaire d'État, j’apprécie votre enthousiasme et votre fougue, même si le chronomètre en est parfois contrarié.

Ma question ne sera pas très « tech ». Catherine Morin-Desailly a affirmé qu’il fallait s’armer pour la guerre. Je fais miennes les nombreuses interrogations qui ont été soulevées sur les défis à relever, les potentiels, les sujets relatifs à l’éducation, les risques de rupture d’égalité, les problèmes de souveraineté… J’ai d’ailleurs quelques questions juridiques dans ma besace, si vous voulez.

Nous débattons aujourd'hui sur l’initiative de Claude Malhuret, que moi aussi je salue. J’entends bien que le Gouvernement s’est saisi pleinement de ce sujet, que de nombreux dispositifs ont été lancés, sont en cours et visent à répondre aux enjeux.

Pour ma part, je souhaite revenir sur la question de la liberté qu’a évoquée Gérard longuet, car elle me semble essentielle. La première des libertés, c’est celle de s’aliéner. Mais encore faut-il savoir à quoi on souhaite s’aliéner et avec quelle conscience.

Il me semble alors que la question du contrat social se pose. Cette dimension-là a-t-elle vocation à prospérer dans nos débats, notamment dans nos échanges avec le Gouvernement ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, si vous préférez des questions juridiques ou techniques, j’en ai aussi ! Certaines sont évidemment pertinentes, notamment celle de la propriété intellectuelle quand la création émane de l’intelligence artificielle elle-même sans la moindre intervention de personnes physiques – voilà un problème intéressant ! –, celle de la transparence ou, sur le sujet qui nous préoccupe à plus court terme, celle de la responsabilité, par exemple pour les véhicules autonomes.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je répondrai à votre question sur le contrat ou le pacte social et sur la manière que nous avons d’envisager notre façon d’être des hommes et des femmes ensemble, des citoyens en France, en Europe et dans le monde, et d’appréhender le rapport que nous avons avec les nations.

L’hypothèse que nous avons posée et que j’ai rappelée au début de ce débat, celle qui doit nous habiter en permanence, est la suivante : nous ne devons rien subir. Notre façon de vivre ensemble, nous, citoyens, l’avenir de ces technologies et le traitement de leurs conséquences : tous ces choix relèvent du politique.

Le modèle de financement de nos politiques sociales et de la solidarité constitue l’un des éléments essentiels de notre contrat social en France et en Europe.

Plus philosophiquement encore se pose la question de notre rapport à la politique, au pouvoir, à la décision, à l’autorité au sein de l’entreprise, à l’autorité politique, à l’autorité avec la police.

Dubaï annonce des robots autonomes pour assurer la sécurité au quotidien. Quel rapport d’autorité dois-je avoir avec un robot ? Si je crache sur un robot, ai-je la même responsabilité que face à un policier ? Si j’insulte un robot, puis-je être poursuivi de la même manière ? (Murmures.) Ces questions peuvent faire rire, mais ces robots s’annoncent déjà à Dubaï, et il nous faut donc être capables d’y répondre. Si ce robot a été programmé par un homme, celui-ci est-il responsable du comportement de cette machine ou bien est-ce l’État qui en aura pris la décision première ?

De très nombreuses questions ouvertes vont se poser à nous dans les années à venir. C’est pourquoi j’ai mentionné tout à l’heure la méthode du scénario. Il importe que nous soyons capables d’envisager ensemble des scénarios extrêmes, d’autres plus probables, en tout cas des situations que nous n’imaginons pas encore.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Nos collègues Dominique Gillot et Claude de Ganay ont rendu au mois de mars dernier, sur l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un copieux rapport sur l’intelligence artificielle. Sans que le bilan qu’ils dressent et les perspectives qu’ils proposent aient été réellement discutés, le Gouvernement a demandé à M. Cédric Villani un nouveau rapport sur le sujet, moins de six mois après le dépôt du précédent.

M. Cédric Villani est par ailleurs président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : vous nous permettrez par conséquent de nous interroger sur le bien-fondé de ce cumul, qui nous semble déontologiquement discutable.

À l’occasion de ses nombreux entretiens avec la presse, M. Cédric Villani défend une approche globale de l’intelligence artificielle et, sur ce sujet, nous ne pouvons que partager son point de vue. Il nous semble, en effet, que ce dossier ne peut être dissocié des difficultés rencontrées par la culture mathématique, singulièrement par son apprentissage scolaire.

Pour n’en donner que quelques exemples, je rappelle qu’un quart des collégiens ont des difficultés en mathématiques. Pis, sur les 1 440 postes ouverts au CAPES de mathématiques, 375 sont restés vacants. De nouveau, cette année, depuis la rentrée, nous entendons dans nos départements la récurrente plainte des familles exaspérées par le non-remplacement des professeurs, qui touche principalement les disciplines scientifiques. Ne pensez-vous pas qu’une stratégie efficace en matière d’intelligence artificielle devrait en tout premier lieu renforcer la culture scientifique dans l’enseignement ?

Par ailleurs, le rapport de Dominique Gillot et Claude de Ganay faisait justement apparaître la nature essentiellement masculine de la recherche en intelligence artificielle. Environ 90 % des programmeurs et des développeurs sont des hommes. Pourquoi les femmes sont-elles exclues à ce point de ces disciplines ? Par quel processus mystérieux l’intelligence féminine ne pourrait-elle pas se développer dans le domaine de l’intelligence artificielle ? (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, j’aborderai deux points que votre question a soulevés et qui sont essentiels et conjoints : d’une part, la diversité des profils, qui passe par la culture et la sensibilisation, et, d’autre part, une pédagogie des sciences et des techniques, qui doit commencer très tôt en France.

En une dizaine d’années, on a quasiment vu disparaître 100 % des programmes audiovisuels consacrés à la pédagogie des sciences et du numérique, que ce soit sur les chaînes publiques ou sur les chaînes privées.

Voilà quinze, vingt, trente ou ans, quand j’étais moi-même un jeune enfant, plusieurs programmes de sensibilisation étaient proposés, qui trouvaient un écho à l’école, les professeurs pouvant les réutiliser. Au fur et à mesure, on n’a plus parlé de sciences, de mathématiques ; on a fait des exercices de mathématiques et de sciences et on a perdu ce goût heureux de la pratique sensible des sciences et des techniques. Résultat, ces sujets ont été réservés aux experts et à quelques-uns.

Vous avez rappelé les enjeux de la formation mathématique en France. Aujourd’hui, l’un de nos plus gros problèmes, c’est le nombre de candidats. Les professeurs de mathématiques ne demandent pas plus de nouvelles formations, ils demandent à les remplir !

Ce problème commence très tôt. Vous avez pris l’exemple des femmes : dès le début, on exclut, on ne cherche pas à inciter tout le monde à se diriger vers les sciences et à regarder avec amour cette discipline.

Il n’est qu’à voir la politique culturelle des sciences ! Paris compte le Palais de la découverte et, dans le XIXe arrondissement où j’ai été élu, la Cité des sciences et de l’industrie. Dans tous nos territoires, nous avons des musées des sciences. Pourtant, ils ne sont pas particulièrement remplis.

Quelques pays font un peu mieux que nous sur la place des femmes dans le numérique et dans les sciences. Ils ont traité cette question depuis le collège. Pour le ministre de l’éducation nationale et moi-même, l’enjeu consiste à faire très tôt la démonstration à nos jeunes que les sciences et techniques constituent un avenir potentiel pour eux.

Je vous invite à m’accompagner au prochain événement StartHer. Celui-ci ne rassemble que des femmes, mais nous y avons parlé non de femmes, mais de technologies et de la façon dont celles-ci sont en train de transformer le monde par la technologie. C’était un moment fabuleux ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quel sera l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché du travail ? La question est sans doute l’une des plus importantes du moment.

Deux visions s’affrontent aujourd’hui pour y répondre : une vision malthusienne et une vision schumpéterienne.

Selon la première, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il n’y aurait pas de destruction créatrice, ce qui semble attesté par certaines études. Par exemple, Frey et Osborne, deux chercheurs d’Oxford, ont estimé en 2013 que la moitié des emplois aux États-Unis seraient remplacés à terme par une machine, au sens large. C’est sur cette vision que se déploient toutes les théories du revenu universel garanti.

Cette vision, ce n’est pas la mienne. Certes, la révolution numérique sera aussi fatale aux cols blancs que l’automatisation industrielle l’a été aux cols bleus, mais les cols d’or arrivent, la Creative class, comme l’a appelée le professeur de Columbia Richard Florida. C’est aussi l’analyse du spécialiste de l’intelligence artificielle Laurent Alexandre, qui explique que les métiers de demain devront être complémentaires de l’intelligence artificielle.

De nouveaux métiers se profilent donc et constituent un fantastique gisement pour l’avenir. Le défi pour la puissance publique est de les identifier pour informer et former. Monsieur le secrétaire d’État, comment notre pays s’y prépare-t-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Voilà encore une question très large, qui pose peut-être même la question de la question… (Sourires.)

M. Jacques Grosperrin. Faites la réponse !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. 42 !... (Nouveaux sourires.)

Je répondrai tout d’abord sur la vision que nous avons de notre économie.

Nous devons choisir entre une vision schumpéterienne, qui accepte la destruction, et une autre, plus intéressante, qui suppose dans le même temps une transformation de nos entreprises existantes, l’arrivée de nouvelles entreprises et l’avènement d’un monde de l’équilibre, où chacun, avec ses propres compétences, parvient à émerger.

À cela s’oppose un autre modèle, dans lequel les champions gagnent tout, les entreprises championnes font émerger en elles-mêmes des semi-démocraties internes où ceux qui en seront à la tête seront ces fameux cols d’or, ou même cols de diamants. Regardez aujourd’hui les dirigeants de ces mégastructures : ils ne parlent parfois même pas d’égal à égal à nos dirigeants politiques, tellement ils se sentent les dirigeants d’un ordre ou d’un monde nouveau !

Sur ce sujet, la vision politique, publique, philosophique du Gouvernement, c’est plutôt celle d’un monde où l’on permet à chacun d’adapter ses compétences et de continuer à exister, où, sur tous les territoires, les entreprises continuent d’être compétitives, parce que l’on aura créé les conditions d’une concurrence juste – je reviens ainsi à la question de Gérard Longuet. Comment s’assurer que le monde qui nous attend ne crée pas de nouveaux mégamonopoles qui engendreront des monstres économiques, mais aussi des monstres démocratiques ?

Quand certaines entreprises dépasseront le million de salariés, ce qui sera possible dans un monde où les structures et les mégaplateformes s’intégreront de façon verticale ou horizontale dans toutes les strates de notre vie économique, ceux qui seront à leur tête poseront des questions sur notre propre pouvoir et sur notre légitimité à décider du sort de leurs citoyens-salariés, qui seront peut-être plus salariés que citoyens, eux qui iront vivre sur des îles flottantes dans les eaux territoriales internationales. On pourra alors se poser des questions.

Il y a trois ans, j’ai fait un exercice de prospective philosophique sur les avenirs possibles – je vous l’enverrai. Si nous investissons dans l’avenir avec nos valeurs, alors nous pourrons éviter ce monde des cols de diamants, où la moitié de l’humanité sera abandonnée et nous parviendrons à cette humanité complexe, variée, diverse, avec, d’un côté, ceux qui continueront à travailler le sol pour nourrir les autres, et, de l’autre, ceux qui développeront les super-technologies pour nous soigner. C’est à nous de décider cet avenir-là plutôt que l’autre. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.

M. Olivier Cadic. Monsieur le secrétaire d’État, ma question était : comment identifier ces nouveaux métiers ?

Pourquoi l’avoir posée ? Parce que, en 1995, le ministère de l’industrie avait fait paraître un livre intitulé Les 100 technologies clés pour l’industrie française à l’horizon 2000, dans lequel on ne trouvait jamais le mot « internet » ou la technologie liée à l’internet. Ce qui me préoccupe, c’est d’identifier ces nouveaux métiers : il faut s’y atteler de façon sérieuse. Car si on ne le fait pas, comment déterminer les formations à créer ?

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.

M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la nature de nos échanges montre à la fois la richesse et l’ampleur des questionnements qu’ont à se poser à la fois le législateur et l’exécutif. Ces champs sont énormes, d’autant plus que l’on touche à quelque chose de quasiment distinctif de l’humanité, lié à son essence même : l’intelligence.

Ma première question porte sur votre affirmation, monsieur le secrétaire d'État, selon laquelle il ne faut jamais subir. Parfait ! J’essaie de m’appliquer ce principe.

Toutefois, quand vous dites que l’intelligence artificielle ne sera jamais supérieure à l’intelligence humaine, je me permets de vous rappeler que, selon la plupart des scientifiques, d’ici à vingt-cinq ou trente ans – peu importe la date –, les capacités de la machine, au travers, notamment, des réseaux de neurones artificiels, pourront dépasser les capacités biologiques.

Ma deuxième question concerne l’éducation. Je pense à une expérience de terrain, menée au cœur de mon département des Alpes-Maritimes, sur la technopole de Sophia Antipolis, avec le réseau Educazur, une implication massive et un partenariat entre le privé et l’État. Une série de questions se posent très rapidement à propos de cette coproduction : que vont devenir les données d’apprentissage fournies par les élèves et les enseignants ? Quid de la notion de propriété intellectuelle, des plateformes coopératives, collaboratives ? Comment la notion même d’open source peut-elle être traitée ? Cela nous renvoie à la possibilité que des acteurs technologiques puissent, en forçant le trait, capter le cerveau des enfants.

Comment articuler de telles expérimentations avec, par exemple, le partenariat d’innovation lancé par le ministère avec la Caisse des dépôts et consignations, avec les territoires ?

Troisièmement, quel regard portez-vous sur cette complémentarité entre la machine et l’humain, qui peut être un levier extraordinaire en matière d’éducation, à la formation ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur.

Pour ce qui concerne, premièrement, la question de la supériorité des machines, cela fait déjà longtemps que celles-ci calculent plus vite que les hommes ! L’ordinateur fait des divisions plus vite que nous. Il sera aussi capable de traiter plus rapidement un très grand nombre de données.

En revanche, l’intelligence artificielle qui pourrait décider, dans cette enceinte, ce qui est le plus juste, n’est pas encore née. En effet, c’est le débat qui fait l’homme et son intelligence. De fait, dans cette assemblée, faite de personnes éminemment intelligentes (Sourires.), nous ne sommes jamais complètement d’accord, parce qu’il n’y a pas de vérité exacte, juste et nécessaire. Cette capacité à débattre, cette capacité créative à orienter le monde, cette capacité à décider ce qui est souhaitable pour les hommes et peut être aussi pour les machines restera le monopole des hommes et des femmes ; en tout cas, nous ferons toujours tout pour.

Votre deuxième question dépasse celle de l’intelligence artificielle et de l’éducation, pour toucher à la transformation numérique de l’éducation. Vous m’interrogez sur la manière de se doter des nouveaux outils numériques, qui permettent de repenser le moment éducatif, que ce soit dans la salle de classe ou en dehors de celle-ci, ce qui questionne le rôle du professeur et de l’établissement, mais aussi, dans le même temps, sur le sujet numérique : comment transmet-on davantage de compétences numériques à tous les âges et comment le numérique transcende-t-il les contenus des autres disciplines ?

Vous abordez aussi dans votre question un troisième élément : quel mode d’enseignement privilégier à l’heure d’une transformation numérique de nos sociétés et de nos emplois ? Il ne s’agit là ni de se doter d’outils, tablettes ou MOOC, ni de repenser les contenus – il ne s’agit pas de coder. Il s’agit d’appréhender ce monde nouveau.

Je pense, comme le ministre de l’éducation nationale, qu’il faut traiter les trois problèmes en même temps et se mettre au niveau à la fois sur les outils, sur le numérique comme sujet et sur notre capacité à adapter notre éducation dans les années à venir, compte tenu des transformations que nous allons subir tous ensemble. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si l’intelligence naturelle est dignement représentée dans cet hémicycle (Sourires.),…

M. Michel Raison. … nous côtoyons l’intelligence artificielle au quotidien. Le développement de celle-ci va forcément transformer en profondeur nos sociétés et nos économies.

Pour le moment, nous assistons au succès des algorithmes de Google et de Facebook, efficaces pour trouver des réponses à nos questions et pour hiérarchiser un certain nombre d’informations.

Les chercheurs réalisent des programmes informatiques qui surpassent l’homme dans certaines de ses capacités cognitives. Je pense notamment au jeu d’échecs, au jeu de go ou même au ping-pong ou au poker. Un bon progrès sera celui qui saura bien accompagner l’essor de ces technologies.

Il a déjà été rappelé que notre collègue député Claude de Ganay et notre ancienne collègue Dominique Gillot ont rendu, le 15 mars 2017, un rapport intitulé Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée. Ce rapport montre que l’intelligence artificielle fait naître des progrès incontestables, mais aussi, comme tout progrès, des risques.

Ma question portera sur les enjeux éthiques de l’intelligence artificielle. Comment assurer la bonne gouvernance de celle-ci ? Quels principes éthiques doivent, selon le Gouvernement, encadrer ces technologies ? Comment éviter que des contraintes juridiques trop fortes ne viennent freiner l’innovation ?

Dans leur rapport, Claude de Ganay et Dominique Gillot proposent, par exemple, d’élaborer une charte de l’intelligence artificielle et de la robotique et de confier à un institut national de l’éthique de l’intelligence artificielle et de la robotique un rôle d’animation du débat public sur les principes éthiques qui doivent encadrer ces technologies.

Monsieur le secrétaire d'État, au-delà de la mission confiée à notre collègue député Cédric Villani, dont l’intelligence est incontestable, quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux quinze recommandations précises issues du rapport ? Je souhaite que celui-ci soit utile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, ce rapport m’a été remis personnellement et j’ai pu en discuter avec Mme Gillot. La capacité des auteurs du rapport à problématiser une grande partie des sujets m’a paru remarquable.

Vous avez évoqué les quinze recommandations finales. Selon moi, ces dernières font partie de l’ensemble des sujets sur lesquels nous devrons répondre à l’issue de la mission qu’aura conduite M. Villani.

S’agissant du volet éthique, que vous avez abordé, la loi pour une République numérique, qui a été défendue par Axelle Lemaire, a confié à la CNIL la mission d’avancer sur le sujet global de l’éthique dans les technologies. Un rapport intermédiaire doit être rendu dans les prochaines semaines ; un rapport définitif le sera dans quelques mois.

La proposition de créer un institut s’entend. On l’a déjà fait sur quelques grands sujets, comme sur les questions de bioéthique, où la science va plus vite que notre capacité à analyser ses conséquences, ce qui oblige à se doter d’un outil capable de maîtriser cette vitesse. On a parfois tellement eu peur de cette vitesse que l’on a créé des moratoires, pour avoir le temps de nous arrêter et de réfléchir avant de continuer.

Sur l’intelligence artificielle, il ne s’agit pas aujourd'hui de fixer un moratoire, mais on voit que des inquiétudes se font jour. Dans le même temps, les interventions dans ce débat témoignent de l’océan infini des opportunités que l’intelligence artificielle représente pour un meilleur vivre ensemble.

Poser la question de l’existence d’un institut, c’est s’interroger sur le rôle que l’on voudra lui donner. Avant que cette instance puisse exister, c’est le Parlement qui représente le collectif.

À cet égard, le débat d’aujourd'hui invite à contrôler le Gouvernement, à savoir s’il a investi suffisamment d’argent et s’il maîtrise ces questions. Surtout, il permet que nous puissions nous demander collectivement si les représentants des Français que nous sommes tous sont certains que ces derniers se posent bien les questions au bon niveau.

J’espère que des questions seront présentées en séance plénière pour que nous puissions aborder le rapport de Cédric Villani en séance plénière. Je souhaite que nous puissions débattre longuement de certaines de ces questions et que ce débat fasse naître des oppositions. En effet, j’ai la certitude que le sujet du modèle numérique que l’on doit retenir – il en existe plusieurs dans le monde – mérite un débat politique. Je veux que l’on parvienne à une conclusion sur ce qui fait la France numérique, la France de l’intelligence artificielle.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien.

Mme Michèle Vullien. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n’est pas facile de passer en quinzième position, beaucoup de choses ayant déjà été dites… Pour ce qui me concerne, il me semble que l’intelligence artificielle doit être pensée en termes de chances pour l’organisation de notre territoire, mais qu’il faut remettre l’homme au cœur du débat.

De quoi nos concitoyens ont-ils besoin ? Quelle qualité d’usage l’intelligence artificielle peut-elle apporter ?

On a évoqué les voitures individuelles, mais je suis plus particulièrement attachée, pour ma part, aux transports publics. Les navettes autonomes peuvent transformer radicalement nos politiques de mobilité. Elles ouvrent des perspectives inédites pour garantir une meilleure continuité du service public des transports et permettre ainsi un maillage plus fin du territoire dans l’espace.

Notre assemblée ne peut bien évidemment qu’être sensible au potentiel de telles navettes pour desservir les centres-villes historiques et la ruralité. Des navettes de rabattement en zone rurale pour connecter un mode lourd sont d’une grande utilité. Actuellement, on sait très bien que les transports à la demande fonctionnent avec grande difficulté, mais la navette autonome peut aussi améliorer la continuité du service public dans le temps, avec des transports publics qui fonctionnent à des horaires atypiques, par exemple pour du personnel d’entretien qui travaille dans les parcs d’affaires.

Sur le territoire du Rhône, nous rencontrons des difficultés pour des métiers à horaires atypiques, qui pourraient très bien fonctionner avec des navettes autonomes. C’est aussi le cas des bouts de ligne en soirée. En effet, au-delà de la massification, on a besoin de régler les problèmes de façon beaucoup plus diffuse. C’est la règle du « 80-20 » : on a besoin de régler différemment 20 % des transports.

Déjà, aujourd’hui, des solutions de véhicules autonomes commencent à émerger. L’exemple lyonnais de la navette autonome Navly, qui, avec le Sytral et Keolis, fonctionne sur le quai dans le nouveau quartier de la Confluence, est tout à fait intéressant à suivre, mais la réglementation actuelle ne permet pas aux collectivités de mettre en œuvre librement ces expérimentations. Monsieur le secrétaire d'État, j’imagine que vous réfléchissez déjà à l’adaptation de ce cadre juridique avec votre collègue Élisabeth Borne.

Plus globalement, comment les Assises de la mobilité et le projet de loi d’orientation qui en découlera prendront-ils en compte cette évolution technologique majeure ? On nous permettra d’innover dans nos territoires, d’exercer le droit à l’expérimentation, ainsi que le droit à l’erreur.

J’imagine fort bien, en effet, que tout ne sera pas un long fleuve tranquille, mais, comme on se plaît à le dire à la métropole de Lyon – j’en ai un peu fait ma devise –, « aimons l’avenir ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Madame la sénatrice, je ne peux que soutenir une telle devise : aimons l’avenir, tous ensemble !

Vous soulevez la question du déplacement multimodal personnalisé partout sur les territoires, quelles que soient la condition et les possibilités des voyageurs.

Cette question de la personnalisation, du dernier kilomètre, de l’adaptabilité au territoire figure dans la politique de transport et de déplacements que nous discutons avec la ministre chargée des transports. En effet, les territoires ont tous des besoins différents, qu’il s’agisse des zones denses des villes, des zones non denses des grandes métropoles, des espaces périurbains ou ruraux. Les besoins dépendent aussi des personnes : la personne âgée, qui ne peut guère plus marcher que quelques mètres, n’a pas les mêmes besoins que le lycéen, qui fait tous les jours le même parcours.

Toute la politique de transports que nous devons penser, c’est cette multimodalité intelligente adaptative personnalisée jusqu’au dernier kilomètre et qui s’adapte à la géographie de notre territoire.

Vous avez parlé des navettes : je vous trouve un peu dure avec moi, puisque c’est l’exemple que j’ai bien voulu prendre tout à l’heure, en expliquant qu’on pouvait généraliser ces systèmes de navettes et qu’il fallait se poser la question de notre volonté sur le transport multimodal ! À cet égard, les navettes sont une des solutions.

On voit bien aujourd'hui que les modalités de transport que nous utilisons pour les personnes en situation de handicap, pour les personnes malades, les collégiens ou les lycéens sont des systèmes imparfaits, qui nous coûtent particulièrement cher et n’apportent pas tous le niveau de service attendu. Sur ce plan, l’innovation va apporter un mieux-être pour toutes les personnes en situation de handicap, malades, âgées ou qui vivent en milieu rural. On parle beaucoup du taxi médical, qui coûte beaucoup d’argent sans être le moyen le plus agréable pour une personne malade d’aller à l’hôpital et d’en revenir, mais c’est, aujourd'hui, le seul moyen qui existe.

Dans les années qui viennent, il faudra que nous nous interrogions intelligemment sur le transport multimodal adapté – pourquoi pas par le véhicule autonome, du moins sur une portion du trajet ?

Vous avez rappelé la nécessité de l’expérimentation. La capacité à créer des droits à l’expérimentation est une conviction de ce gouvernement. Donc oui, nous allons tout faire pour multiplier les capacités de création d’espaces d’expérimentation dans les territoires. Les technologies étant de plus en plus matures, nous pourrons autoriser des expérimentations de plus en plus larges.

Aujourd’hui, l’expérimentation est possible dans des espaces fermés non ouverts à la circulation habituelle. Cette limitation ne paraît pas très ambitieuse, mais elle était nécessaire compte tenu de la maturité de la technologie. La prochaine étape consistera à ouvrir l’expérimentation à des espaces sécurisés, mais ouverts au public, et la suivante à définir des territoires d’expérimentation. J’espère que le premier d’entre eux sera plutôt rural qu’urbain : cela permettra de voir ce que ces véhicules autonomes peuvent apporter aux citoyens au quotidien.

J’ai la conviction que cette technologie doit être utile aux Français, pour qu’ils la suivent sans méfiance. Sinon, nous prendrons dix à quinze ans de retard ! Si les premières technologies permettent que des cancers soient soignés plus rapidement, que des personnes se déplacent plus aisément et que la vie commune soit plus agréable, je vous assure que ce que nous disions tout à l'heure sur la pédagogie des sciences et des technologies sera une expérience concrète, et pas simplement un débat fictif.

M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut.

M. Ronan Le Gleut. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’intelligence artificielle va totalement révolutionner nos vies et encore davantage celle de nos enfants.

L’intelligence artificielle va, par ailleurs, totalement révolutionner le marché de l’emploi. Il se trouve que les leaders mondiaux sont les GAFA américains – Google, Amazon, Facebook, Apple – et les BATX chinois – Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi – et qu’il n’y a absolument aucun leader européen dans le domaine de l’intelligence artificielle, qui fournira pourtant les emplois de demain. Il est donc nécessaire et urgent de se réveiller et d’agir pour rattraper ce retard technologique.

L’intelligence artificielle peut permettre des progrès absolument considérables dans nos politiques publiques. Nous pouvons la mettre en œuvre dans pratiquement tous nos ministères, pour prendre des décisions qui concernent la sécurité, la politique des transports, la politique de l’agriculture et, au-delà, dans nos politiques locales, territoriales, pour que les politiques prennent des décisions encore plus affûtées. De fait, toutes les recherches menées actuellement montrent que ce qui produit les meilleures idées, ce n’est pas l’intelligence artificielle seule ; c’est la combinaison entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle.

Ma question est la suivante : la France a-t-elle pris conscience de la nécessité absolue de faire émerger des solutions d’intelligence artificielle dans nos politiques publiques, ce qui permettra par ailleurs de faire émerger une véritable industrie de l’intelligence artificielle française, avec des acteurs privés français, dans une combinaison avec le travail de l’action publique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question intéressante, qui me permet d’aborder un volet de mon secrétariat d’État que j’ai peu évoqué depuis le début de cette séance, à savoir la transformation numérique de l’État, dont je suis aussi chargé.

En tant que responsable de ce dossier, je suis en plein questionnement sur la manière dont l’État innove. Je parlais tout à l'heure du numérique et de l’éducation : le sujet de la transformation numérique de l’État est aussi celui des outils, des modes de fonctionnement, de la recherche de performance, de la plus grande utilité aux citoyens et aux entreprises, mais aussi de l’innovation et de l’hyper-innovation.

Pensez à la force que peut apporter l’intelligence artificielle aux juges, notamment dans les enquêtes pénales : dans une enquête criminelle, on peut recevoir plusieurs milliers ou dizaines de milliers de pièces ! Imaginez que l’intelligence artificielle puisse également assister la police, être capable de l’orienter, de lui désigner des pistes, de lui montrer des lieux…

Imaginons encore l’intelligence artificielle appliquée à nos hôpitaux : sans remplacer le médecin, elle le rendra encore plus capable d’agir.

Pensons à l’application de l’intelligence artificielle aux transports. Je posais tout à l’heure la question du rôle des collectivités et de l’État, quand nous évoquions le déplacement multimodal personnalisé et le dernier kilomètre. Où met-on cette intelligence ? Il faut bien qu’il y ait quelque part un centre de réflexion, un cerveau virtuel, artificiel, qui distribue et qui optimise ces flux, pour apporter ce service aux citoyens. Fait-on un appel d’offres pour qu’une entreprise nous livre ce service ? Est-ce l’État ou la collectivité qui doit créer le service, et des prestataires qui viennent l’assurer ? Nationalise-t-on un service ? Tous les scénarios sont possibles. Au final, ce sera un choix politique, une décision intellectuelle et humaine.

J’en ai fait un élément essentiel de la réorganisation de mon ministère. Nous avons maintenant, au cœur de l’État, une direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la DINSIC, qui est acteur de la transformation numérique de l’État, avec une équipe technologique que j’ai renforcée, qui va recruter, dans les prochains mois et les prochaines années, des profils de très haut niveau liés aux technologies et à l’innovation appliquées aux domaines d’intervention de l’État et qui travaillera en collaboration avec tous les ministères, pour apporter ces technologies dans le service que nous rendons aux citoyens, aux entreprises et aux agents.

M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique.

M. Ronan Le Gleut. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.

Je veux juste apporter un complément. N’oublions pas les collectivités territoriales, qui peuvent, elles aussi, mettre en œuvre l’intelligence artificielle dans leurs politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.

M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention va prolonger celle de Michel Raison. En effet, je vais, comme lui, prendre appui sur le rapport de Claude de Ganay et Dominique Gillot.

J’ai bien compris la volonté des auteurs de ce rapport de démystifier l’intelligence artificielle et de contrer tout fantasme et toute dérive qui consisterait à admettre que l’humain, au XXIe siècle, serait, à court ou moyen terme d'ailleurs, supplanté par une intelligence supérieure, un peu à l’image de ce que fut, pour l’homme de Neandertal, l’apparition d’Homo sapiens voilà 30 000 ans.

Néanmoins, ce rapport évoque des risques, dont la maîtrise ne semble pas complètement assurée. On évoque ainsi, sur le plan technologique, des questions liées à la sûreté, à la sécurité et à la robustesse des systèmes, au phénomène de boîtes noires des algorithmes, de deep learning. La régulation au niveau international, laquelle englobe la prévention et le contrôle, apparaît d’autant plus nécessaire que des pays comme la Chine, qui investissent massivement dans le secteur, ne semblent pas très proactifs sur la réponse à apporter aux questions d’éthique.

Les propositions du rapport insistent sur les termes « sensibiliser », « former », « accompagner », « encourager », « orienter » et s’y cantonnent. Dès lors, si l’on peut se féliciter de la mission confiée à Cédric Villani, de la concertation et du futur débat public, il n’y a pour l’instant rien de très coercitif.

Ma question, qui prend appui sur la proposition n° 4 du rapport, laquelle vise à confier à un institut national de l’éthique de l’intelligence artificielle et de la robotique un rôle d’animation du débat public, est la suivante : monsieur le secrétaire d'État, pourquoi ne pas promouvoir dès maintenant la création d’une autorité de sûreté dotée de pouvoirs étendus, comme celui de disposer de l’autorisation de commercialisation ou de mise sur le marché, mentionnée, d’ailleurs, à la page 144 du rapport, ainsi que cela existe dans d’autres domaines – l’alimentation, la pharmacie, le nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Celle-ci renvoie à l’équilibre, que nous avons déjà évoqué tout à l’heure, entre la liberté dont doivent disposer les entreprises pour développer ces technologies et la nécessité d’en contrôler les impacts.

Vous avez parlé des technologies de boîtes noires, de deep learning, qui peuvent avoir des conséquences importantes, en créant notamment des discriminations et des biais, et se révéler dangereuses si elles sont appliquées à certains secteurs.

Nous n’avons pas apporté de réponse précise à ce problème pour le moment. Cela fera partie des recommandations que l’État défendra dans le cadre de la stratégie qui sera définie. Cependant, dès aujourd’hui, dans les applications essentielles et dans les applications sensibles, nos régulateurs existants sont extrêmement actifs et nos capacités à réguler extrêmement fortes.

Ainsi, des procédures de certification et une protection des boîtes noires qui peuvent être utilisées, notamment dans les réseaux ou dans les infrastructures stratégiques, existent d'ores et déjà.

Des procédures de certification ont également été définies pour l’usage de cette technologie dans la santé : aujourd’hui, un algorithme d’assistance à la décision médicale ne peut être mis en œuvre dans un hôpital sans être piloté dans le cadre de la mise en place d’un outil ou d’un dispositif de santé.

Pour ce qui concerne les transports, aucun véhicule fonctionnant à l’intelligence artificielle n’est mis en circulation aujourd’hui s’il ne continue pas à se développer.

À titre personnel – cela peut être soumis à débat –, je ne crois pas qu’il faille une institution unique qui régulerait l’intégralité des dispositifs de l’intelligence artificielle, mais que tous les experts actuels de la certification et de la garantie de la sécurité de nos citoyens doivent intégrer celle-ci dans leurs domaines de compétence respectifs. Cela vaut pour le régulateur de santé comme pour celui des transports, du renseignement, de nos réseaux de télécommunications… Cet effort doit nécessairement déboucher sur une amélioration de l’expertise de nos fonctionnaires et de nos agents.

Cela pose une autre grande question : forme-t-on, recrute-t-on et parvient-on à garder sur notre territoire suffisamment d’experts pour porter ces sujets ? En effet, l’un des plus grands dangers est que nous n’arrivions pas à nous doter des experts dont nous avons besoin et que les institutions qui ont la responsabilité de contrôler n’en aient pas la compétence – au premier sens du terme, à savoir la compétence technique.

C’est aujourd'hui un véritable enjeu, que nous envisageons aussi comme une responsabilité.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la diversité des interventions de ce jour témoigne de l’utilité de ce débat. Elle atteste aussi de l’étendue des activités en mesure d’être changées par l’intelligence artificielle.

Ma question concerne plus précisément la justice. S’il faut sans doute se garder d’une vision prophétique telle que celle que l’on peut trouver dans l’univers de Philip K. Dick avec Minority Report, les legaltechs ont commencé à développer ce que l’on appelle communément un champ de « justice prédictive ».

Dans le débat public, les premiers échos ont résonné autour d’une étude universitaire britannique menée sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Un outil créé pour l’occasion a défini des modèles de jugement et a pris des décisions similaires à celles de la CEDH dans 79 % des cas qui lui ont été soumis. Certains y ont vu la possibilité que des robots remplacent un jour les juges ou les avocats. En réalité, il pourrait davantage s’agir d’un outil permettant de rationaliser certaines étapes de la saisine, un outil utile aux justiciables, aux avocats comme aux juges, et finalement pas si éloigné de nos anciennes bases de données.

Pour certains champs très engorgés de la justice, cette justice prédictive permettrait sans doute de favoriser des accords à l’amiable plutôt que des procédures longues et coûteuses dont l’intelligence artificielle prédirait qu’elles trouveraient une issue facile à deviner.

Partant de la même vision pragmatique, le législateur a voulu appliquer le principe d’ouverture des données publiques aux décisions de justice administrative et judiciaire dans la loi pour une République numérique. Puis, au printemps dernier, en partenariat avec le ministère de la justice, les cours d’appel de Rennes, en Ille-et-Vilaine, et de Douai, dans le Nord, avaient décidé d’expérimenter une solution de prévisibilité de la justice.

Cependant, la semaine dernière, des articles de presse se sont fait écho d’une réception très différenciée entre les cours d’appel de Rennes et de Douai sur ces expérimentations.

Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous éclairer la représentation nationale sur la manière dont ces expérimentations progressent et nous rassurer sur la volonté continue du Gouvernement de poursuivre l’ouverture des données publiques ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Je vous remercie, monsieur le sénateur. En réalité, vous nous interrogez sur ce vers quoi nous voulons aller. Dans le cas de Minority Report, nous sommes au-delà de la justice prédictive : il s’agit de police prédictive et, même, de condamnation prédictive, puisque la peine est appliquée avant même que les faits se soient réalisés.

Les exemples que vous évoquez relèvent de l’assistance à la décision de justice. Plus spécifiquement, dans les expérimentations que vous mentionnez, les dispositifs ne participaient pas à la décision : ils étaient lancés parallèlement. Le juge comparait ensuite sa décision, prise suivant un protocole collégial, avec celle que la machine était capable de proposer, pour voir si celui-ci participait, ou non, à une meilleure justice au quotidien.

Vers quoi nous dirigeons-nous aujourd’hui ? Mme Belloubet a annoncé une stratégie pour la transformation de la justice, la simplification de la procédure civile, la simplification de la procédure pénale et la numérisation. Aujourd’hui, l’enjeu est plutôt d’assister le citoyen, les professionnels de justice, les greffiers et les juges dans le transfert, l’analyse et le traitement de la masse d’informations, plutôt que dans la prise de décision.

Quand bien même on en arriverait à l’assistance à la prise de décision, ce qui fait notre justice en France, ce qui fait notre droit, c’est la capacité à interpréter, à avoir une jurisprudence qui s’adapte à son temps, à un contexte – celui d’une affaire, mais aussi celui d’une vie. Contrairement à la caricature que l’on peut faire du droit, les juges ne sont pas des machines qui appliquent la loi de façon automatique. Les décisions ne résultent pas de 1 et de 0 ; c’est toujours une somme qui permet l’interprétation. Tant que l’on décidera que notre justice fonctionne ainsi, les outils doivent aider à travailler de la sorte.

Aujourd’hui, nous continuons à vouloir une justice où les hommes sont jugés par des hommes, et non par des machines, qui analysent la réalité en on et en off… Imaginez sinon, mesdames, messieurs les sénateurs, les lois qu’il faudrait écrire, en langage « machine », c’est-à-dire avec un vocabulaire standardisé, normalisé… (Sourires.) Ce n’est pas la société que nous avons souhaitée ; ce n’est pas ce vers quoi nous nous dirigeons.

Toutefois, dans des enquêtes financières, comme celles de l’Autorité de la concurrence, les juges disposent souvent aujourd'hui de plusieurs téraoctets de données, d’informations collectées massivement dans les entreprises. Ils doivent utiliser des technologies d’intelligence artificielle encore naissantes pour identifier, dans toutes ces données, celles qui pourraient être intéressantes pour prendre une décision de justice.

Le ministère de la justice dispose aujourd'hui d’une équipe qui travaille sur toutes ces technologies, de manière à rendre la justice plus innovante et les outils plus performants et plus utiles au quotidien pour les agents de la justice, à savoir les juges, les greffiers et tous ceux qui travaillent autour d’eux.

Nous avons un second projet, qui sera le plus important de ce quinquennat en termes de numérique et d’administration. Il s’agit de « justice.fr », portail de la justice et des justiciables, qui facilitera le suivi des affaires et permettra des échanges. Ainsi, le juge pourra interagir plus aisément avec les citoyens. Il s’agit là aussi d’un enjeu véritable. Cependant, il n’y a pas ici d’intelligence artificielle : il y a surtout une confiance dans l’outil.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les nouvelles formes de technologies, permises par le développement de l’intelligence artificielle, agrémenteront demain le quotidien de chacun, en particulier celui de nos enfants. En effet, les jeunes générations vont grandir avec ces avancées technologiques et de nouveaux comportements et besoins vont apparaître.

Des informaticiens, ingénieurs, mathématiciens, voire philosophes vont être nécessaires pour répondre à cette demande.

La place de l’intelligence artificielle dans le système éducatif doit être anticipée, soit comme outil complémentaire pour les enseignants, soit comme matière d’enseignement ou de recherche. L’intelligence artificielle permettra donc un saut qualitatif pour aider les personnes en situation de handicap, en proposant des exercices de curiosité et de stratégie, mais aussi pour les élèves, en systématisant les chaînes d'apprentissage pour les exercices de mémoire.

Un professeur de mathématiques de ma belle ville de Besançon a mis en place un monitoring individuel d’apprentissage du calcul mental, le projet Mathador. L’intelligence artificielle est donc un outil formidable pour accompagner la dimension plus automatique ou systémique que celle, consciente, de l’éducation.

Il ne s'agit pas de céder aux sirènes d’un défi quantitatif, mais bien de s’attaquer au qualitatif. La pensée d’Edgar Morin résume cette problématique, car, pour lui, l’enjeu de l’éducation, eu égard à l’intelligence artificielle, n’est pas d’avoir un homme augmenté, mais un homme amélioré. Il y a donc un volet clé, c’est la question des algorithmes, de leur puissance et de leur périmètre d’action. On pourrait se demander quel algorithme en matière de formation ou quel algorithme éducatif se chargera d’éduquer les logiciels éducatifs… Bref, le plus puissant des algorithmes reste encore, pour longtemps j’espère, le cerveau animal et humain – je ne souscris pas à la notion de transhumanisme. Il y a un chaînon manquant, pour comprendre cette intelligence artificielle, c’est la pensée complexe.

Ma question portera sur la relation entre l’intelligence artificielle et l’éducation technologique et professionnelle, en particulier s’agissant de l’évolution des métiers répétitifs ou dont le périmètre des tâches peut être standardisé, qui aura bien évidemment des conséquences sur le marché du travail.

Quel est votre sentiment sur le devenir de ces métiers ? Enfin, comment promouvoir nos talents universitaires œuvrant dans cette exploration et les inciter à rester à l’université ? (MM. Jean-Paul Émorine, Jean-Claude Carle et Jackie Pierre applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous vous interrogez sur le pouvoir de l’intelligence artificielle au sein de l’éducation et sur la question plus spécifique des métiers manuels.

S’agissant de l’intelligence artificielle appliquée à l’éducation, vous avez raison, elle peut apporter, en termes purement et profondément qualitatifs, une adaptation et une personnalisation du contenu et des savoirs pédagogiques transmis à l’étudiant ou à l’élève, ce qui rejoint finalement la description de la mission du professeur ou de l’instituteur. Mais, aujourd'hui, celui-ci doit composer avec un monde de plus en plus ouvert et complexe, un nombre croissant d’enseignements à transmettre aux élèves et une grande hétérogénéité des niveaux. On démontre, aux États-Unis, mais aussi en Europe, comment certains dispositifs d’accompagnement permettent à l’enseignant d’identifier lui-même, pour chacun de ses élèves, les éléments sur lesquels il peut mieux l’accompagner ou aller plus loin.

Souvent, on oppose, d’un côté, un enseignement qui serait purement humain et, de l’autre, un enfant placé dans une bulle avec des lunettes connectées et un ordinateur qui adapterait ses savoirs et qui dirait à l’enfant tout ce qu’il doit faire. Entre les deux, il y a tout l’univers de ce que nous allons explorer dans les années à venir.

Vous avez ensuite abordé le sujet des métiers manuels, monsieur le sénateur. Comme je l’ai souligné en introduction, j’ai la conviction que tous ces métiers à tâches répétitives qui ne nécessitent pas un art de la main, un art créatif du geste, vont disparaître. Il reste à savoir quand.

La question de la robotisation n’est pas nouvelle. Nous avons constaté son développement dans nos territoires au cours des quinze dernières années. Comment prépare-t-on nos économies à ces nouveaux emplois ? Comment prépare-t-on nos citoyens à ces nouvelles compétences ?

La question du rythme, en particulier, anime en permanence la ministre de l’enseignement supérieur et le ministre de l’éducation nationale. Transforme-t-on assez vite nos formations pour les adapter à ces évolutions ? N’a-t-on pas pris un peu de retard et ne forme-t-on pas trop de personnes à des métiers dont on sait qu’ils sont déjà dépassés ? On attend parfois près d'une dizaine d'années avant de fermer une formation et de mobiliser des moyens pour en ouvrir de nouvelles. Cette capacité d’adaptation sera essentielle pour éviter ces décalages.

M. Jacques Grosperrin. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite tout d’abord revenir sur vos propos relatifs à la DARPA, un point absolument fondamental, mais qui nécessitera sans aucun doute que nous changions un certain nombre de mentalités, car le taux d’échec dans la DARPA aux États-Unis est plus proche de 70 % à 80 % que de 50 %.

J’en viens maintenant à ma question. Comme beaucoup de mes collègues, j’ai parcouru le rapport très intéressant de Claude de Ganay et Dominique Gillot, qui ont eu le souci de faire partager les connaissances sur l’état de ces technologies, dont on parle beaucoup, mais dont le grand public, malheureusement, ne sait souvent pas grand-chose.

J’ai appris notamment qu’il fallait, en matière d’intelligence artificielle, distinguer les approches symboliques des approches connexionnistes. Parmi ces dernières, assez proches des apprentissages statistiques, l’apprentissage profond ou deep learning, évoqué tout à l’heure, est devenu dominant au cours des dernières décennies, en particulier au cours des quatre dernières années. Or ce type d’algorithmes pose de sérieuses questions.

D’une part, la transparence des algorithmes de deep learning est scientifiquement impossible à ce stade ; elle reste donc à construire.

D’autre part, les biais ou erreurs représentent un autre problème de ce type d'algorithmes, la question concernant davantage les données que les algorithmes eux-mêmes. Ces algorithmes reproduisent en effet les biais des données qu’ils traitent, en particulier toutes les discriminations qui existent dans nos sociétés tant qu’elles ne sont pas corrigées.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives ou mesures le Gouvernement entend-il prendre pour prévenir et traiter ces deux difficultés ? La recherche fondamentale est concernée, mais pas seulement.

Plus largement, je m’interroge sur la gouvernance de notre politique publique en matière d’intelligence artificielle. Le précédent gouvernement avait annoncé, en mars 2017, une stratégie pour l’intelligence artificielle, appelée à l’époque « France IA », et vous avez récemment confié une mission à notre collègue député Cédric Villani.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles suites seront données à la stratégie « France IA » ? Et qu’attendez-vous du rapport de Cédric Villani ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Vous avez, monsieur le sénateur, évoqué un élément essentiel, le deep learning. Selon cette méthode mathématique, l’ordinateur et l’humain qui le programme ne savent pas à l’avance ce que la machine va trouver ni de quelle manière elle va créer les mécanismes lui permettant de comprendre.

L’ordinateur se comporte alors comme le cerveau d’un enfant : il va lui-même créer des liens symboliques entre les images et les données et tirer des conséquences entre les uns et les autres – par exemple, ces images me permettent de définir ce qu’est la couleur rouge, puis de comprendre in fine comment parvenir à ce type d’objets.

Toutefois, ce réseau, cette capacité à comprendre, cette intelligence artificielle que l’ordinateur va lui-même créer n’ont pas été codés « en dur », contrairement à un algorithme simple. Si la loi exigeait de rendre transparent un tel algorithme, il suffirait de dévoiler le code ayant permis de le construire. On sait quelles sont les données, quelles sont les règles, comment sont traitées les données et quelle est la sortie.

En revanche, si on demande de rendre transparent un algorithme de deep learning, on ne verra rien, ou peu de chose. En revanche, comme vous l’avez rappelé, on peut connaître les données qui ont été enseignées à l’ordinateur. L’un des grands dangers, c’est effectivement le biais. Si je communique l’intégralité des données de Twitter à un algorithme de ce type, et qu’ensuite je lui enseigne des concepts autour des personnes, des femmes, de l’homophobie ou de la haine, la machine va croire qu’il s’agit de sa nouvelle réalité, étant donné qu’il utilise les données d’un réseau dans lequel la parole haineuse ou biaisée est particulièrement surreprésentée.

Lorsque j’étais président du Conseil national du numérique, j’ai participé à une mission lancée par la précédente secrétaire d'État au numérique auprès de l’INRIA sur la transparence et la loyauté des plateformes et des algorithmes. Cette mission a débouché sur le dispositif TransAlgo, piloté par l’INRIA, qui propose des méthodes mathématiques et informatiques pour tester la loyauté des algorithmes sans avoir à examiner en détail l’intérieur du programme. On projette des données d’un côté, on regarde ce qui sort de l’autre, on le fait régulièrement dans le temps, on crée d’autres algorithmes qui absorbent les données entrantes et sortantes et on formule des hypothèses.

Si on souhaite exercer une surveillance politique de ces nouveaux algorithmes, il va falloir que l’on se dote de la capacité technologique et technique d’y parvenir.

La mission de l’INRIA constituait une première. Mais pour être de bons régulateurs dans les dix ans à venir, il va falloir être de sacrés bons techniciens et chercheurs. Il faudra donc que nous soyons tous, collectivement, élus, membres du gouvernement ou de l’administration, encore plus compétents.

En conclusion, nous devons nous mobiliser massivement autour de ces compétences. Nous devons amener les Français, dès leur plus jeune âge, à se poser la question de ces technologies, parce que nous n’avons rien à subir et que c’est nous qui devons décider de l’avenir de ces technologies.

Je vous donne rendez-vous dès le mois de janvier ou de février : l’État verbalisera une stratégie nationale autour de l’intelligence artificielle. Cédric Villani nous remettra ses recommandations. Nous pourrons nous appuyer aussi sur le rapport de Claude de Ganay et de Dominique Gillot et sur celui de la mission « France IA ».

Cette stratégie nationale sera ensuite présentée aux assemblées et je serais heureux de venir en débattre avec vous dans quelques mois. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux ».

6

Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives

Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires, sur le thème : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives ».

Je rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra.

Vont tout d’abord s’exprimer les orateurs du groupe qui a demandé ce débat.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative prise par le président Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants, d’aborder le sujet de la participation.

Ce sujet correspond parfaitement aux valeurs que nous défendons. Avec mon collègue Dany Wattebled, je vous présenterai une première approche de ce dispositif ancien, aujourd’hui remis au goût du jour.

Lors de son intervention télévisée du 15 octobre 2017, le Président de la République a souhaité remettre sur la table des négociations la question de l’intéressement et de la participation des employés aux entreprises françaises. À ce titre, le Président a évoqué une « belle invention gaulliste ».

Ce thème, porté par des gouvernements successifs, est entré partiellement dans notre droit, y compris dans le code du travail.

Toutefois, si la participation financière est bien une réalité, à travers les multiples dispositifs d’épargne salariale, il en va différemment de l’autre participation, celle, plus diffuse, plus sociale que Charles de Gaulle évoquait dans son discours devant les mineurs de Saint-Étienne en 1948 : « Dans un même groupe d’entreprises, tous ceux qui en font partie, les chefs, les cadres, les ouvriers fixeraient ensemble entre égaux, avec arbitrage organisé, les conditions de leur travail. »

L’ordonnance du 17 août 1967 sur la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises n’est qu’un succédané de la pensée gaulliste. C’est une simple étape vers un ordre social nouveau, marqué, lui, par la triple répartition aux bénéfices, au capital et aux responsabilités.

En 2015, 8 millions de salariés ont eu accès à au moins un dispositif de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale.

En effet, la participation est obligatoire pour les entreprises réalisant un bénéfice supérieur à 5 % de capitaux propres. Pour assurer son développement, les gouvernements précédents ont mis en place une exonération de certaines cotisations en cas de blocage des sommes. En contrepartie, à partir de 2008, certaines ont été soumises au forfait social.

La loi d’août 2005 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a permis des avancées notables : une simplification, avec un renouvellement des modalités de reconduction tacite des accords d’intéressement ; un élargissement, avec le recours à la négociation de branche et la mise en place d’accords d’épargne salariale « clés en main » ; une réforme du financement des PME, avec une modulation à la baisse du forfait social.

Affirmer toutefois qu’environ la moitié des salariés bénéficient d’un type de participation financière, c’est reconnaître que la moitié reste à l’écart. Le bilan est donc en demi-teinte.

Les déblocages exceptionnels pratiqués dans le passé, dont le dernier sous la présidence de François Hollande, n’ont pas atteint les objectifs de relance et sont perçus comme une menace pour la situation financière des entreprises. Il ne faut pas pour autant baisser les bras.

Les maux sont connus et analysés de longue date : la faible connaissance par les salariés des dispositifs, la forte suspicion de fraude ou de détournement.

Dès lors, quelles perspectives pour cette belle idée gaulliste ? Est-ce l’extension de la participation obligatoire à toutes les entreprises sans seuil minimal ?

Dans son intervention, le chef de l’État semble vouloir construire un nouveau compromis social et politique. Mais que deviendra cette idée dans le futur projet de loi « Entreprises » porté par le ministre de l’économie en 2018 ?

La participation est, et doit être la composante principale de la stratégie financière et économique, mais ce débat est aussi l’occasion de garder vivantes ses origines intellectuelles, de rappeler que la participation, « grande question du – XXe – siècle », c’est d’abord la sauvegarde de l’homme. Il s’agit bien d’« un idéal, un élan, un espoir » permettant à l’homme, « bien qu’il soit pris dans les engrenages de la pensée mécanique », de voir « sa condition assurée » afin qu’il garde sa dignité et qu’« il exerce – enfin – ses responsabilités ».

Je laisse maintenant la parole à mon collègue Dany Wattebled, qui va évoquer la question de l’actionnariat salarial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ainsi que mon estimé collègue vous l’a présenté, le principe de la participation financière des salariés à l’entreprise assure une convergence des intérêts entre patronat et salariat.

À l’heure de la réforme en profondeur de la gouvernance de l’entreprise, et à quelques jours des annonces du Président de la République, l’amélioration de ce type de dispositif est donc pleinement d’actualité.

Le principe de cette participation des salariés à la vie de l’entreprise à travers un mécanisme d’actionnariat salarial n’est pourtant pas une idée nouvelle.

Bien avant l’ordonnance gaullienne du 17 août 1967, la question de la participation financière des salariés au capital de l’entreprise avait été posée par une ordonnance du 7 janvier 1959.

Cette ordonnance est le premier texte législatif instituant, en France, une formule de participation financière. Elle incarnait parfaitement cette alliance du capital et du travail souhaitée par le général de Gaulle.

À partir des années soixante-dix, ce régime d’actionnariat salarial a connu une accélération par une série de lois plus ou moins complexes.

Ces lois ont mûri l’idée d’une participation actionnariale des salariés, tout en nourrissant un système complexe et pesant.

Les deux décennies suivantes ont d’ailleurs connu un véritable foisonnement de textes à ce sujet.

Dans une actualité politique plus récente et dans un souci de simplification de ces mécanismes, la loi Macron du 6 août 2015 a cherché à redynamiser ce dispositif à travers deux mesures : les attributions d’actions gratuites et les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise.

Il s’agit de revisiter le dispositif de l’actionnariat salarial avec des critères élargis et des méthodes remises à plat.

Toutes ces initiatives législatives ont conduit notre pays à devenir le champion européen de l’actionnariat salarial.

Ainsi, 76 % des entreprises françaises ont des plans d’actionnariat, contre une moyenne européenne de seulement 47 %. De même, 36 % des salariés français sont actionnaires de leur entreprise, contre une moyenne de 22 % en Europe.

Cette dynamique n’est pas seulement française ; elle s’observe également à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, sur 2 335 entreprises européennes représentant 99 % de la capitalisation boursière, un tiers placent les salariés en position stratégique ou déterminante dans le contrôle du capital de leur entreprise.

Cette situation redonne donc le pouvoir aux salariés de participer directement à la gouvernance de l’entreprise. Elle leur permet aussi de se protéger contre la réorientation des activités entrepreneuriales ou une possible délocalisation vers un pays étranger.

Pourtant, un certain nombre de freins à l’actionnariat salarial persistent encore. On peut citer la complexité du dispositif, en raison d’un empilement d’ordonnances et de lois, ou encore l’instabilité fiscale, véritable obstacle à l’appropriation de cet outil par l’ensemble des entreprises.

Depuis des années, les précédents gouvernements ont privilégié des politiques de soutien à la consommation, plutôt que des incitations à l’actionnariat salarial et à l’épargne.

La hausse du forfait social depuis 2012 est le témoin de ce choix du court terme plutôt que de l’avenir. Il faut revenir sur ces mesures. Cette situation invite en effet à la plus grande prudence quant à la pérennité de ces mécanismes.

Si nous voulons simplifier les dispositifs de participation et tenir la promesse d’une revalorisation du travail des Français, alors des mesures énergiques doivent être rapidement prises à ce sujet.

Tenons l’engagement de faire payer le travail, ajoutons une ligne supplémentaire au bulletin de paye de nos concitoyens récapitulant leur participation au capital des entreprises. Il faut qu’à la fin du mois le salarié puisse évaluer son effort au regard de son salaire, de ses cotisations sociales et de sa participation financière à l’entreprise.

J’en viens à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Le Président de la République a lancé un signal fort en évoquant la nécessité de repenser la participation financière des salariés à l’entreprise. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants souhaite savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre pour défendre l’actionnariat salarial et lever les derniers freins à la mobilisation de cet outil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être ici et je crois que Muriel Pénicaud, ministre du travail, aurait également aimé participer à ces travaux. Elle a sans doute beaucoup à nous apprendre de son expérience, et elle aura assurément un rôle important à jouer dans les débats que nous aurons, dans les semaines et les mois qui viennent, sur cette question centrale de la participation et de l’intéressement.

Dans son entretien télévisé du 15 octobre, le Président de la République a rappelé que cette question ferait l’objet d’une grande réflexion dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dont Bruno Le Maire et moi-même avons lancé les travaux lundi dernier, à l’hôtel des ministres de Bercy.

Pourquoi est-il utile de revisiter ces dispositifs ? Comme M. Decool l’a rappelé, quand un salarié sur deux seulement en bénéficie, seule la moitié du chemin a été parcourue, et il serait bon de couvrir la seconde moitié pour parvenir à l’objectif final.

Bien qu’elles aient un demi-siècle d’âge, ces mesures sont d’une étonnante modernité et correspondent, me semble-t-il, à la vision que nous avons de l’entreprise, sans doute même au-delà des diverses sensibilités politiques qui peuvent s’exprimer sur ces travées.

Nous sommes aujourd’hui dans une économie de l’innovation, de la compétence et du savoir qui ne coche plus les cases et n’épouse plus les codes de l’économie de rattrapage au sein de laquelle nous avons construit le rapport du capital au travail et la manière d’associer le plus efficacement possible les salariés à leur entreprise.

Selon moi, il y a trois enjeux importants dans ce débat.

Le premier, c’est celui de l’équité. Si l’on demande aux salariés d’accepter une plus grande part de risque dans un monde où les mutations économiques font qu’ils peuvent être soumis à des ruptures de carrière, et où la linéarité de l’exercice d’une profession dans un secteur d’activité ou dans une entreprise n’est plus la règle, il est équitable qu’ils puissent en même temps avoir leur part de la réussite de l’entreprise quand, par leur travail, ils font fructifier le capital de l’entreprise, que celle-ci se porte bien et que les résultats sont au rendez-vous. Cette part peut d’ailleurs être significative. En moyenne, elle s’élève autour de 2 500 euros par an, soit plus que l’équivalent d’un treizième mois pour de très nombreux salariés.

Le deuxième enjeu, c’est celui de l’efficacité économique. Efficacité pour l’entreprise tout d’abord, parce qu’il est évident que des salariés intéressés sont aussi des salariés plus motivés et plus productifs. Efficacité pour le pays ensuite, parce que l’épargne salariale, c’est un outil puissant pour le financement de l’économie, avec des encours qui s’élèvent aujourd’hui à 130 milliards d’euros, qui sont majoritairement investis en actions et qui viennent donc alimenter nos entreprises.

Le troisième enjeu, sans doute plus impalpable, et qui échappe peut-être au législateur, c’est celui de la bataille culturelle dans notre pays. Je considère qu’il est du rôle du législateur, du gouvernement, et peut-être même des formations politiques et du débat intellectuel de conduire cette bataille culturelle qui vise à réconcilier le capital et le travail.

Le projet présidentiel, dans sa dimension économique, porte cette réconciliation et c’est elle qui, je le crois sincèrement, a été engagée dans le cadre des ordonnances portant réforme du marché du travail et dans le projet de loi de finances dont nous allons débattre prochainement ici. En effet, si vous ne libérez pas le capital et les investissements, vous n’aurez pas de travail.

Cette bataille culturelle sera longue et difficile à conduire, parce que nous avons construit notre champ intellectuel sur cet antagonisme, dont je ne suis pas certain qu’il soit le plus profitable à notre économie. Il est donc heureux que ce débat puisse aussi nous permettre d’ouvrir un petit pan de cette bataille culturelle. Je me réjouis d’y participer à vos côtés aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de l’attention que vous portez à l’endroit de ce dispositif éminemment humaniste qu’est la participation. C’est effectivement un dispositif ancien, mais visionnaire et ô combien moderne, que le général de Gaulle avait initié avec beaucoup de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Bernard Fournier applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs des questions disposent chacun de deux minutes, y compris pour la réplique.

Étant donné que nous sommes dans un horaire contraint d’une heure trente, je demande aux uns et aux autres de bien vouloir respecter le temps qui leur est imparti afin que chaque orateur puisse intervenir dans ce débat, et je les remercie.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositifs de participation et d’intéressement, enrichis ultérieurement par les outils d’épargne salariale, datent maintenant d’un demi-siècle. Ils demeurent aujourd’hui un vecteur essentiel de justice sociale, en permettant l’affectation d’une partie des résultats des entreprises à un complément de rémunération pour les salariés. Ils sont aussi considérés comme un facteur important de motivation et contribuent à la compétitivité des entreprises.

Si les sommes distribuées ou épargnées, qui représentaient 16,9 milliards d’euros en 2015, avec un montant moyen par salarié bénéficiaire de 2 422 euros, progressent de manière significative – de 5 % à 7 % entre 2014 et 2015 –, le nombre de salariés concernés a tendance, en valeur absolue ou en pourcentage, à stagner et même à diminuer. En 2015, 8,6 millions de salariés, représentant 54,9 % du secteur marchand non agricole, étaient couverts par ces dispositifs et 7 millions d’entre eux ont bénéficié effectivement d’une prime.

Si la part de l’épargne salariale progresse, l’ensemble du dispositif semble s’essouffler. Cette situation est pour partie la conséquence de la très forte augmentation du forfait social : la contribution patronale est passée de 2 % en 2009 à 20 % en 2012, et ce malgré l’institution de taux dérogatoires pour certaines catégories dans la loi du 6 août 2015, dite loi Macron.

Pour relancer ces dispositifs participatifs, il semblerait opportun de poursuivre les efforts engagés par la loi d’août 2015, en ramenant à un niveau moins dissuasif le montant du forfait social, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à s’engager dans cette voie ? (MM. Joël Labbé, Jean-Claude Requier, Daniel Chasseing et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, vous le savez, la mise en place de la participation n’est obligatoire qu’à partir de 50 salariés, mais les autres entreprises peuvent parfaitement le faire de manière facultative. Par ailleurs, les entreprises de toute taille peuvent négocier des accords d’intéressement.

Aujourd’hui, 16,5 % des employés des entreprises de moins de 50 salariés bénéficient d’au moins un dispositif d’épargne salariale, que ce soit la participation, l’intéressement ou un autre instrument. Ce n’est pas rien, mais, comme vous l’indiquiez, ce n’est pas suffisant. Je crois d’ailleurs que ce point sera le fil rouge de l’ensemble des questions débattues cet après-midi et il animera la préparation du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le PACTE.

Je rappelle, en outre, que ce taux de couverture est beaucoup plus faible que pour les entreprises de 50 salariés et plus, qui atteint 87,4 %. Cela constitue manifestement une importante rupture d’équité, sujet que j’évoquais dans mon propos introductif.

Pour autant, des incitations sociales existent d’ores et déjà pour encourager les entreprises à recourir à ces dispositifs : ainsi, le forfait social, dont le taux normal est de 20 %, est réduit à 8 % pour les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés qui concluent, pour la première fois – c’est le caractère incitatif de la mesure –, un accord de participation ou d’intéressement.

J’ai bien entendu votre démarche, madame la sénatrice, mais il faut savoir que ces incitations fiscales représentent un coût significatif pour les finances publiques : cette niche est estimée à environ 1,7 milliard d’euros, ce qui représente un montant important. Or, nous sommes plutôt dans une phase d’attrition des deniers publics ou, en tout cas, de gestion plus précautionneuse, que dans une période d’expansion… Nous n’écartons pas d’emblée d’avoir recours à ce dispositif, mais il faut bien avoir en tête les montants qu’il représente en termes de dépenses.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale sont surtout présents dans les grandes ou moyennes entreprises. Seuls 17 % des salariés des entreprises de moins de 50 salariés sont concernés.

La volonté d’étendre cette « belle invention gaulliste », selon les termes mêmes du Président de la République, est un objectif louable. Ma question portera sur la méthode à employer.

Le Gouvernement semble vouloir donner un caractère obligatoire au mécanisme de la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés, comme cela existe aujourd’hui pour celles qui sont au-dessus de ce seuil. Je ne pense pas qu’il faille privilégier cette voie coercitive.

Tout d’abord, comme l’a souligné la Confédération des petites et moyennes entreprises la semaine dernière, certaines sociétés ont du mal à faire des bénéfices. Et lorsque tout va bien, leur priorité est d’investir.

Ensuite, il serait contradictoire de renforcer les contraintes des petites et moyennes entreprises, après avoir prôné leur allégement. Le calcul de la participation, qui est complexe, nécessite le concours d’un expert-comptable, ce que l’on ne peut pas exiger d’un petit entrepreneur.

Enfin, cette piste entre en contradiction avec les conclusions du conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS.

En 2014, son vice-président, Christophe Castaner, remettait un rapport au précédent gouvernement, comprenant 31 propositions pour une réforme de l’épargne salariale.

Il excluait précisément d’abaisser le seuil de 50 salariés, au-delà duquel la participation à l’épargne salariale est obligatoire.

Il privilégiait au contraire l’incitation, par exemple en exonérant de forfait social les petites et moyennes entreprises mettant en place, pour la première fois, un dispositif d’intéressement ou de participation. Si la loi dite Macron a bien réduit le taux de 20 % à 8 %, c’est une exonération totale que préconisait le COPIESAS.

Il envisageait aussi la création d’un nouveau support d’épargne pour ces entreprises, sous la forme d’un « livret E », leur permettant de conserver en trésorerie les sommes épargnées pendant cinq ans.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l’obligation qui serait faite aux petites et moyennes entreprises de recourir à la participation et nous dire ce que vous pensez de ces propositions ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, nous devrons en effet réfléchir à des moyens d’appropriation de ce sujet par les petites entreprises. Dans les grands groupes et les entreprises de taille importante, certes, la question n’est pas entièrement réglée, mais entre 80 % et 90 % de leurs salariés bénéficient aujourd’hui d’un mécanisme d’épargne salariale, participation, intéressement ou autre. La question se pose donc, au fond, pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Pour ma part, je ne crois pas à la coercition, qui constitue une impasse et est contraire à la philosophie du projet porté par le Président de la République. Ce projet s’appuie plutôt sur l’idée d’une liberté encadrée, si vous me permettez cette expression. Nous parlions tout à l’heure des anciens et des modernes et, pour Benjamin Constant, la liberté des anciens ne contredit pas celle des modernes, mais elle permet son encadrement.

Faire bénéficier des dispositifs d’épargne salariale les salariés des très petites structures, par exemple celles qui n’emploient que quelques personnes, amène à se poser la question de la simplification et nous devons étudier des mécanismes allant dans ce sens pour éviter d’alourdir les procédures administratives.

Vous avez mentionné les travaux du COPIESAS, ils pourront naturellement être réexaminés dans le cadre des discussions qui seront conduites pour préparer le projet de loi que j’ai évoqué.

Je cite aussi une autre idée : associer les branches professionnelles afin qu’elles proposent des accords « clés en main » aux petites et moyennes entreprises pour leur éviter de mettre en œuvre une ingénierie comptable et administrative complexe. Cette idée de prévoir des mesures spécifiques pour les très petites entreprises dans les accords de branche s’inscrirait dans la logique des ordonnances « travail ». Ces entreprises pourraient ainsi bénéficier d’une boîte à outils – je n’aime pas bien cette expression –, qui leur permettrait de mettre en place des dispositifs d’épargne salariale.

Dans tous les cas, je partage avec vous le même intérêt pour les travaux du COPIESAS, ils ont été utiles et nous saurons bien évidemment faire appel à Christophe Castaner, qui a été vice-président de cette instance, pour qu’il nous rappelle les meilleures propositions de son rapport.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise est une forme d’intéressement. Cette participation permet la redistribution d’une partie des bénéfices réalisés.

Selon la dernière étude de la direction de la recherche du ministère du travail, environ 8 millions de salariés sont concernés par ce dispositif. En 2015, seulement 55 % des salariés du privé avaient accès au système d’intéressement, de participation et d’épargne salariale. Près de 16 milliards d’euros leur ont été versés.

Le 15 octobre 2017, le chef de l’État a exprimé sa volonté d’améliorer cette belle invention gaulliste. Il souhaite lancer une grande réflexion sur l’entreprise, notamment en revisitant l’intéressement et la participation.

La philosophie que porte le projet économique et social d’Emmanuel Macron est maintenant bien connue. Le Président de la République veut transformer en profondeur le monde du travail et les relations entre salariés, entreprises et partenaires sociaux.

Sans attendre la future loi « entreprises », le Président a indiqué son cap. Je le cite : « L’entreprise, ça ne peut pas être simplement un rassemblement des actionnaires, notre code civil le définit comme cela. L’entreprise est un lieu, où des femmes et des hommes sont engagés. Certains mettent du capital, d’autres du travail. »

De son côté, le ministre de l’économie a expliqué que la participation, obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, pourrait être étendue aux petites et moyennes entreprises. « C’est une question de justice, une entreprise ne tourne pas toute seule », a-t-il indiqué.

Ma question est la suivante : pouvez-vous indiquer à la représentation nationale comment le Gouvernement pense mettre concrètement en œuvre la volonté du Président de la République ? Quels seront les grands axes de ce chantier, notamment pour les entreprises les plus fragiles ? Vous le savez, je viens d’une région où plus de 96 % des entreprises sont de très petite taille. Enfin, quel est le calendrier prévu pour cette réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je suis confronté à une difficulté réelle : Bruno Le Maire et moi-même avons lancé, lundi dernier, il y a quarante-huit heures donc, une grande concertation sur ce sujet et les débats, qui ne manqueront pas d’être passionnés et passionnants, doivent durer sept semaines. Si je vous annonce d’ores et déjà ses résultats, j’aurai quelques problèmes…

Je souhaite cependant vous apporter quelques éléments de réponse. De mes années étudiantes et de mes cours de droit du travail et de droit des affaires, je retiens qu’une entreprise, c’est d’abord de l’affectio societatis. En cela, je pense partager votre sentiment, comme celui du Président de la République. Une entreprise va donc bien au-delà de la simple recherche de la rentabilité pour ses actionnaires. Plus généralement, cette idée peut également s’appliquer à toute aventure collective, à toute organisation humaine.

Pendant les sept semaines de débat, six groupes de travail se réuniront, dont l’un, qui regroupe les questions dont nous débattons aujourd’hui, sera animé par Stanislas Guerini, député de Paris, et Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs, qui connaît bien ces sujets. D’ailleurs, je profite de cette occasion pour inviter chacune et chacun d’entre vous à prendre l’attache de ce groupe s’il souhaite contribuer aux travaux.

En ce qui concerne le calendrier, les groupes auditionneront, jusqu’au 10 décembre, des personnalités diverses : gens issus des entreprises, parlementaires, représentants syndicaux ou de fédérations professionnelles… À cette date, ils devront présenter à Bruno Le Maire et à moi-même des pistes de propositions. Durant un mois, nous formaliserons ces propositions, puis, à partir de mi-janvier, nous lancerons une consultation publique en ligne, qui durera trois semaines. Chaque citoyen pourra ainsi apporter sa propre contribution. À l’issue de cette consultation, nous serons amenés à retenir certaines propositions et je vous indique que nous justifierons le fait d’en avoir retenu certaines et pas d’autres. Le travail législatif plus classique commencera ensuite, au printemps, avec la présentation d’un projet de loi.

Voilà ce que je pouvais vous dire sur le calendrier, sans déflorer ce que vont faire les groupes de travail.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais non pas élargir le sujet, mais le prendre dans toute sa dimension. À tous ceux qui veulent réaffirmer, à juste titre, la place des salariés dans l’entreprise et, comme l’a réaffirmé le porte-parole du Gouvernement, changer la gouvernance, nous répondons : Chiche ! Démocratisons les entreprises, accordons de nouveaux pouvoirs aux travailleurs !

En effet, le MEDEF et de nombreux patrons confondent allégrement l’entreprise et ses actionnaires, l’entreprise et son chef. Or, l’entreprise, c’est avant tout l’ensemble des travailleurs qui la compose. Ce sont eux qui la font vivre, qui créent les richesses.

À l’heure où l’exigence de démocratie est une aspiration largement partagée, l’entreprise reste largement une institution monarchique. Dès qu’il s’agit de l’entreprise, la démocratie est – malheureusement – un mot tabou.

Il est donc temps de faire prévaloir d’autres choix que ceux qui ont été faits jusqu’à présent. Par exemple, plutôt que de fusionner les instances représentatives du personnel, créons des droits nouveaux d’intervention et de décision dans la gestion des entreprises pour les salariés et leurs représentants.

Au lieu de réduire, comme l’ont fait les lois Macron et El Khomri, les pouvoirs du comité d’entreprise en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, de licenciement et de restructuration économique, élargissons au contraire les droits d’intervention et de proposition des salariés et de leurs représentants. Pourquoi ne pas doter les comités d’entreprise d’un pouvoir effectif de contre-proposition économique ?

Et dans certains domaines, qui touchent directement à la vie des salariés, tels que le plan de formation, le recours aux emplois précaires et à la sous-traitance, les heures supplémentaires ou le temps partiel, pourquoi ne pas exiger un avis conforme du comité d’entreprise ?

Ces propos peuvent paraître un peu idéologiques, mais chaque fois que je me déplace dans mon département, par exemple dans une entreprise de la filière automobile ou de transformation des produits de la mer, je constate que le nombre d’intérimaires est supérieur à 50 % des effectifs. On touche là une question de dignité du salarié, qui affecte directement son projet de vie.

Plutôt que des mesures réglementaires, ne faudrait-il pas, pour régler ces questions, donner plus de pouvoirs aux représentants des salariés ? Qu’en pensez-vous ? (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, l’idéologie n’a évidemment pas sa place sur ces travées et l’on ne saurait vous en taxer… (Sourires sur plusieurs travées.)

Il est vrai que le terme de participation connaît une forme de polysémie et nous nous y intéressons plutôt aujourd’hui dans le sens de l’intéressement. Pour autant, la question que vous soulevez est une question importante.

La participation des salariés dans l’entreprise est reconnue de longue date en France. Des étapes ont été franchies et l’objectif général d’association des salariés à la création de valeur par l’entreprise prend aujourd’hui différentes formes : l’épargne salariale, via l’intéressement, la participation ou l’abondement, mais aussi le dialogue entre les salariés et les dirigeants. Ce dialogue aura lieu au sein des futurs comités sociaux et économiques, créés par les ordonnances « travail » et où les salariés seront associés à la création de valeur.

En ce qui concerne la représentation des salariés dans les organes de direction des entreprises, on peut citer plusieurs lois : la loi Fabius de février 2001 sur l’épargne salariale, la loi de modernisation sociale de janvier 2002, la loi de décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, ou encore la loi Rebsamen d’août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Elles ont renforcé de façon sensible les incitations à la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d’administration ou dans les conseils de surveillance, puis ont rendu cette mesure obligatoire dans certaines entreprises. Ainsi, depuis 2006 – donc bien avant la loi Rebsamen –, tous les grands groupes ont des administrateurs salariés représentant les actionnaires salariés.

Le sujet que vous ouvrez, monsieur le sénateur, ne fait pas partie des six chantiers identifiés dans le PACTE, ce qui ne veut pas dire qu’il est absent de la réflexion gouvernementale. Nous sommes tout à fait prêts à évoluer et, si vous souhaitez saisir le groupe de travail que j’évoquais tout à l’heure, vous en avez le loisir, mais cette question me semble hors du champ de ses réflexions à ce stade, car elle ne concerne pas uniquement la croissance et la transformation de l’entreprise, mais sa gouvernance elle-même.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir demandé l’organisation de ce débat sur la participation.

Pour le groupe Union Centriste, il s’agit d’un sujet extrêmement important, car nous sommes particulièrement attachés au partage, entre l’ensemble des parties prenantes, du fruit de l’expansion des entreprises et de la valeur ajoutée. Comme cela a été rappelé par plusieurs orateurs, cette question est ancienne, puisque de premières mesures ont été introduites dans une ordonnance prise en 1959. Depuis lors, le dispositif n’a cessé de s’enrichir, par exemple avec l’intéressement, le développement des annexes au salaire, des mesures de prévention, ou encore la distribution d’actions.

Selon les statistiques, l’ensemble de ces dispositifs est plutôt dans une dynamique positive, puisque la participation a augmenté de l’ordre de 25 % entre 2000 et 2015 et l’intéressement de plus de 200 %.

Comme l’indiquait tout à l’heure Chantal Deseyne, ces dispositifs sont obligatoires dans les entreprises de plus de 50 salariés. De notre côté, nous sommes attachés à ce que, pour les petites entreprises, les moins de 50 salariés, il n’y ait pas de système obligatoire. Monsieur le secrétaire d’État, nous partageons donc totalement votre point de vue.

Nous devons aussi réfléchir à des dispositifs d’allégement de charges : il faudrait, par exemple, que le forfait social, qui est encore à 8 % pour les entreprises la première année, soit le moins élevé possible pour les petites et que celles-ci ne subissent pas de contrôles fiscaux de l’URSSAF à ce titre. Pour les grandes entreprises, il faut trouver les moyens d’assouplir l’utilisation de la participation par l’ensemble des salariés, afin qu’elle participe effectivement au pouvoir d’achat. (Mme Sylvie Vermeillet et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je crois que nous sommes tous d’accord pour considérer que la participation est un dispositif très lourd pour les petites entreprises, plus fragiles d’un point de vue financier que de grands groupes établis ou des entreprises qui comptent plusieurs centaines de salariés. On ne doit donc pas traiter de la même manière une très petite entreprise artisanale, ne comptant que quelques salariés, établie par exemple dans mon département natal, la Saône-et-Loire, et un groupe coté ou une entreprise industrielle de plusieurs milliers de salariés.

La mise en place de la participation représente une hausse du coût du travail. Or, vous aurez noté que le Gouvernement cherche à le réduire, je pense par exemple au basculement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en un allégement pérenne de charges – vous aurez à débattre très prochainement de cette question. Nous ne nous situons donc pas dans une logique d’alourdir le coût du travail, en particulier pour les très petites entreprises.

Par ailleurs, la mise en place de ce dispositif peut s’avérer très complexe pour l’employeur, qui doit négocier avec les salariés ou leurs représentants, puis rédiger un accord. Bref, cela demande de l’ingénierie administrative et sociale, dont certaines entreprises ne disposent pas en interne, ce qui peut entraîner un coût si elles se font aider. C’est pourquoi nous pouvons certainement partager l’idée, que j’avançais tout à l’heure, de proposer aux petites et moyennes entreprises des outils afin de les accompagner et de leur faciliter la vie.

Enfin, doper la participation implique aussi de réfléchir à des solutions de fond, par exemple la modernisation de sa formule légale de calcul. L’ancien a parfois du bon, mais cette formule n’a que peu varié depuis plusieurs décennies et mérite peut-être un certain dépoussiérage. Je pense que le groupe de travail du PACTE n’écartera pas cette piste d’emblée.

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. « Je veux que tous les salariés aient leur juste part quand les choses vont mieux. » Ce ne sont pas mes mots, mais ceux qui ont été prononcés par le Président de la République lors de son intervention télévisée du 15 octobre dernier. Il a souhaité rappeler la nécessité de partager les fruits de la réussite des entreprises avec les salariés, en développant des dispositifs de participation et d’intéressement.

C’est un chemin vers lequel la majorité précédente, sous l’impulsion du président Hollande, s’était engagée en abaissant, par exemple, pour les entreprises de moins de 50 salariés, le taux du forfait social de 20 % à 8 % pendant les six premières années suivant la première mise en place d’un dispositif d’épargne salariale.

Le porte-parole du Gouvernement, M. Castaner, a même prolongé la pensée du Président, en indiquant que l’objectif était de faire entrer les salariés au conseil d’administration des entreprises afin d’en transformer la gouvernance et d’améliorer le dialogue social.

Mais, en même temps, le 18 octobre, le ministre de l’économie s’est montré, de son côté, très réservé sur ce point, en indiquant que l’octroi d’un pouvoir de décision aux salariés n’était pas une évidence.

C’est à n’en plus savoir quelle est la ligne politique du Gouvernement ! S’agit-il de s’orienter vers un dispositif de codécision à l’allemande ou de louper, encore une fois, le coche de la modernisation des relations sociales en France ? Je n’ose pas croire que l’admiration de l’exécutif pour le modèle allemand ne porte que sur le pire et jamais sur le meilleur.

Les salariés doivent avoir leur mot à dire sur les dispositifs de participation dans leur entreprise. Donner du pouvoir aux salariés dans les conseils d’administration, c’est répondre à un souci de justice et d’efficacité.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous clarifier la position du Gouvernement sur sa volonté d’avancer en faveur de la démocratie en entreprise dans le cadre du projet de loi que vous avez évoqué ? (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous aurez du mal à trouver un ministre qui, quelle que soit sa sensibilité politique, s’oppose à la démocratie sociale dans l’entreprise ! En tout cas, dans notre gouvernement !

Vous l’avez rappelé, la philosophie du Président de la République est très simple – c’est la raison pour laquelle les Français l’ont élu : il faut que le travail paye et il faut qu’il paye mieux qu’auparavant.

La question de la gouvernance et de la participation des salariés aux organes de décision des entreprises n’est pas une nouveauté, une terra incognita du droit français. De nombreux dispositifs sont déjà prévus : par exemple, une société employant, avec ses filiales, au moins 5 000 salariés en France ou au moins 10 000 au niveau mondial doit désigner au moins deux administrateurs salariés dans les sociétés dont le nombre d’administrateurs est supérieur à douze et au moins un dans les autres. Et en 2018 s’appliquera, de manière différée, la loi Rebsamen de 2015, qui améliore ce dispositif en abaissant les seuils : le mécanisme concernera les sociétés qui emploient au moins 1 000 salariés en France ou au moins 5 000 au niveau mondial.

Par ailleurs, la réalité de la participation des salariés ne réside pas uniquement dans leur présence dans les organes que sont les conseils d’administration ou les directoires des groupes. Les salariés seront associés à la création de valeur dans l’entreprise par le biais des comités sociaux et économiques mis en place par les ordonnances « travail ».

Et comme lors des consultations engagées par Muriel Pénicaud sur ces ordonnances, nous n’avions pas d’idée préconçue en lançant le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises. Nous ouvrons des discussions et ne rejetons pas d’emblée telle ou telle idée par principe.

Enfin, considérer que le modèle de codécision à l’allemande pourrait s’appliquer en France, c’est faire fi de la manière dont nos entreprises sont organisées et de leur culture propre, qui est très différente de leurs homologues d’outre-Rhin. Je suis favorable à la reprise des bonnes idées quand elles sont applicables, mais je ne crois pas au copier-coller… (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les débats de cet après-midi mettent en évidence l’importance d’apporter un regard neuf sur la question de la participation. Il faut repenser en profondeur les mécanismes d’intéressement et de l’actionnariat salarial pour augmenter le pouvoir d’achat des Français. Il faut aussi, et peut-être même surtout, en faire la publicité pour assurer leur développement rapide.

Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il faut que le travail paye et, pour matérialiser cette réforme, que la participation financière soit effectivement visible dans le salaire mensuel de nos compatriotes. Cela pourrait faire l’objet d’une ligne supplémentaire sur le bulletin de paye, ainsi que nous l’évoquions plus tôt dans l’après-midi, en introduction de nos débats. Cette idée aurait, en outre, le mérite de changer le regard des Français sur leur paye mensuelle.

La participation financière des salariés dans l’entreprise ne fait pas débat. Je crois que nous sommes tous favorables à ce que les employés aient une place consacrée au sein de l’entreprise et qu’ils soient capables de protéger leur activité contre les délocalisations ou les réorientations d’activité. Le bilan reste cependant en demi-teinte, comme je le disais précédemment. Aussi, nous devons redoubler d’efforts.

Pour accompagner le développement de ces outils, il faut donc communiquer auprès des Français, les convaincre de la dimension positive de ces dispositifs de participation financière. Des actions de communication doivent ainsi être entreprises pour mieux faire connaître ces dispositifs. Cette politique tient sur deux jambes : d’un côté, un renforcement de l’usage de la participation financière par les entreprises ; de l’autre, une sensibilisation des employés à la pertinence de ces outils et à leur rôle de levier dans l’augmentation du pouvoir d’achat.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte donc sur la valorisation de la participation financière : quelles mesures comptez-vous prendre pour améliorer la communication autour de ces dispositifs ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je suis prêt à ajouter une ligne sur le bulletin de salaire puisque nous en enlèverons deux avec les cotisations. (Sourires.) Or, comme vous le savez, nous avons fixé comme principe, avec le Premier ministre, qu’il fallait supprimer deux règles lorsqu’une nouvelle était créée. Si vous m’ajoutez une ligne, je suis donc tout disposé à y réfléchir, car, je suis d’accord avec vous, la question de l’identification, sur le bulletin de paie, de ce que représente la participation est un élément permettant à chaque salarié de se rendre compte très concrètement, à la fin de chaque mois, de ce que cela représente.

Toutes les propositions qui peuvent permettre d’identifier, de s’approprier, bref de gagner la bataille culturelle sur cette question, peuvent recevoir un accueil favorable si elles sont soumises, sous votre autorité, au groupe de travail conduit par Stanislas Guerini et Agnès Touraine.

Des campagnes de communication existent et ont vocation à être pérennisées. En 2017 s’est tenue la première édition de la semaine de l’épargne salariale. Ce n’est pas faire injure à cet événement que d’avouer qu’il m’a un peu échappé… Sans doute pouvons-nous améliorer ce mécanisme et amplifier le phénomène. Je suis certain que cette semaine de l’épargne salariale saura trouver son public.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger les réseaux sociaux, c’est-à-dire des médias un peu différents, dans la communication pouvant être faite autour des bienfaits des mécanismes de participation et d’intéressement. Ainsi, nous pourrons cibler des publics qui ne sont pas les lecteurs de la presse économique, des journaux spécialisés ou des différents prospectus que vous pouvez trouver dans des magazines spécialisés, afin d’en faire un sujet plus populaire.

Nous sommes très ouverts pour conduire une campagne de communication offensive, différente à la fois dans le message, dans la manière de le porter et dans le support pour le diffuser. Toute idée innovante et disruptive est évidemment la bienvenue sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur un thème cher à notre président de séance, Jean-Marc Gabouty.

L’accès des salariés aux dispositifs d’intéressement, de participation et d’épargne salariale est directement lié à la taille des entreprises. En effet, ceux-ci sont obligatoires dans les entreprises de plus de 50 salariés et demeurent facultatifs dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Dans les PME et TPE de moins de 50 salariés, seuls 16,5 % des salariés sont couverts par ces dispositifs et cette proportion a tendance à s’effriter.

Sur la totalité des sommes distribuées ou épargnées, les salariés de cette catégorie d’entreprises ne reçoivent qu’environ 500 millions sur un total de 16,9 milliards d’euros.

Pour inciter les PME et TPE à s’engager dans ces dispositifs, vous avez la possibilité soit de les rendre obligatoires, au moins pour l’intéressement, dans une nouvelle tranche d’effectif, par exemple pour les entreprises de 20 salariés à 50 salariés, soit de mettre en place des mesures plus incitatives en diminuant le niveau du forfait social ou en le rendant progressif.

Les entreprises de cette catégorie qui mettraient en place pour la première fois, et volontairement, un régime de participation ou d’intéressement pourraient être exonérées du forfait social pendant les trois premières années, puis bénéficier d’un taux de 8 % les trois années suivantes, enfin de 16 % au-delà.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement peut-il envisager pour permettre à un plus grand nombre de salariés des PME et TPE d’avoir accès au régime de participation, d’intéressement et d’épargne salariale ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question à maintes reprises, mais cela montre que ce sujet est probablement le plus central dans le cadre de la participation et de l’intéressement. Il s’agit d’en faire bénéficier un maximum de salariés de notre pays, quand seulement un sur deux en bénéficie aujourd’hui. Je ne reprendrai pas les chiffres que nous avons déjà égrenés, et qu’aucun parmi nous ne conteste.

S’agissant de la baisse du forfait social, donc du coût de cette mesure, je renvoie aux débats que nous aurons sur la maîtrise de la trajectoire de nos finances publiques. Vous le savez, c’est la stratégie économique qu’a retenue le Gouvernement dans la présentation du projet de loi de programmation des finances publiques. Il s’agit d’un engagement que le Président de la République a pris dans le cadre de la campagne présidentielle, et vis-à-vis de nos partenaires européens.

Lorsque le forfait social a été abaissé de 20 % à 8 %, des mécanismes incitatifs ont été prévus pour permettre à des entreprises d’entrer dans le dispositif. Nous sommes prêts, dans le cadre du groupe de travail et du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dans lequel nous sommes engagés avec Bruno Le Maire, à réfléchir de nouveau à ces sujets, qu’il faut néanmoins manier avec précaution pour ne pas perturber notre trajectoire de finances publiques. Celle-ci est non pas la mère de toutes les batailles, mais un sujet central en termes de crédibilité financière de notre pays à l’égard de nos partenaires et des marchés. En tout cas, ce sujet sera à l’évidence à l’ordre du jour de nos débats.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement envisage d’étendre le mécanisme obligatoire de la participation aux entreprises de moins de 50 salariés.

J’émets de fortes réserves sur ce projet. Vous parlez de simplification, mais ici, au contraire, vous créez des contraintes nouvelles, ce qui signifie encore moins de liberté au sein des TPE-PME.

Pourquoi ne pas plutôt revoir la taxation trop élevée de ce dispositif, principal obstacle à son développement ?

Ma question portera donc sur le forfait social.

Je rappelle que cette taxe est passée de 2 % en 2009 à 8 % en 2011, avant de faire un bond à 20 % en 2012, sous la présidence de François Hollande, décourageant les employeurs d’utiliser ce mode de rémunération complémentaire.

Avec la loi du 6 août 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, avait prévu le retour à un forfait social réduit à 8 %, mais uniquement pour les TPE et PME volontaires entrant pour la première fois dans le dispositif, et ce durant 6 ans. Pourquoi ne pas avoir été plus loin en exonérant totalement du forfait toutes les entreprises de moins de 50 salariés ? De plus, il a été créé une discrimination entre les sociétés ayant déjà signé un accord avant 2011 et celles qui l’on fait après 2011.

Monsieur le secrétaire d’État, si vous voulez donner de la liberté aux entreprises, si vous voulez développer l’épargne salariale, alors, chiche, allez jusqu’au bout : enlevez le forfait social pour toutes les entreprises !

Enfin, s’agissant des travailleurs indépendants, dont la rémunération est leur résultat net, allez-vous déterminer vous-même cette rémunération en ponctionnant sur le résultat une part réservée à la participation ?

Je vous remercie de bien vouloir m’apporter des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, j’ai eu l’occasion de dire, mais peut-être me suis-je mal fait comprendre, que je n’étais pas favorable à la coercition, donc au caractère obligatoire. Je crois à la liberté de l’entrepreneur, qu’il soit grand ou petit, d’organiser au sein de l’entreprise, avec les salariés et ses collaborateurs, la manière dont on peut répartir les fruits du travail et les bénéfices engendrés. Nous y sommes très attachés. En tout cas, c’est dans cet esprit que travailleront les deux rapporteurs sur ce sujet important de la participation et de l’intéressement. Il n’est pas question d’obliger ; nous croyons à la formule incitative.

Vous soulignez l’apport de la loi du 6 août 2015, et il faut effectivement se féliciter de la baisse du forfait de 20 % à 8 %, laquelle a permis à des petites entreprises ou des entreprises de taille moyenne d’entrer dans le dispositif. Mais cela a un coût, comme je le disais à l’instant, de l’ordre de 2 milliards d’euros pour nos finances sociales. C’est donc un coût important à prendre en considération dans une période où l’attaque sur les dépenses publiques est importante et où nous cherchons à faire des économies pour permettre de retrouver une trajectoire financière plus pérenne, en tout cas plus soutenable, compte tenu des engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos partenaires.

C’est toujours en respectant cette forme d’équilibre que se joueront les discussions sur le sujet, sachant que les dispositifs d’épargne salariale ne s’adressent pas aux indépendants, qui recueillent, eux, directement le bénéfice de leur travail à travers la valorisation de leur propre activité. Il s’agit d’un élément à prendre en considération.

La modulation du forfait social sera à l’évidence débattue dans le groupe de travail. Je crois que nous aurons besoin de tous les talents de la direction du budget, et je ne doute pas qu’ils seront au rendez-vous, pour nous dire dans quelle proportion et sur quels types de seuil et de modulation nous pouvons réfléchir et engager des travaux, avec toujours à l’esprit le maintien de l’équilibre des finances publiques.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le secrétaire d’État, si vous supprimez le forfait social, il s’agira d’un investissement, car vous rendrez du pouvoir d’achat aux salariés, qui vont donc consommer, au profit de notre économie.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, actuellement, le code du travail rend obligatoire la participation dans toutes les entreprises de 50 salariés et plus lorsqu’elles réalisent un bénéfice suffisant. Elle est un outil de partage des bénéfices, mais aussi d’épargne, qui bénéficie d’avantages fiscaux.

Le Président de la République a récemment annoncé un vaste chantier sur l’entreprise et un dialogue social redéfini, afin que tous les salariés puissent recevoir les fruits des bons résultats de l’entreprise. En effet, seuls 56 % des salariés du privé bénéficient des outils de la participation, de l’intéressement et d’épargne salariale.

Comment le Gouvernement compte-t-il prendre en compte la spécificité des très petites entreprises ?

Je voudrais rappeler les chiffres suivants : si, dans les entreprises de plus de 50 personnes, 83 % des salariés ont accès à au moins une formule d’épargne salariale, le chiffre tombe à 20 % dans les entreprises de 10 salariés à 49 salariés, et à 12 % dans les entreprises de moins de 10 salariés.

Nous connaissons les freins à ce développement : complexité de gestion des dispositifs, préférence donnée aux primes et, surtout, illisibilité des dispositions fiscales, qui sont par ailleurs imprévisibles.

Rendre le dispositif de participation obligatoire sans prendre en compte ces spécificités me paraît dangereux pour toutes ces petites entreprises qui ont le souci de développer leur activité, et où les salariés sont bien plus intéressés, si j’ose dire, que dans un grand groupe par les bons résultats de l’entreprise. (M. Dominique Théophile applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, la question que vous posez ne doit pas nous faire perdre de vue notre objectif, qui est la simplification, en particulier pour les très petites entreprises.

Le petit entrepreneur doit se concentrer sur son activité avant de se concentrer sur l’encadrement réglementaire, législatif, comptable de son activité. En effet, s’il consacre son temps à autre chose qu’à son activité, je crains qu’il ne la développe pas. Le mécanisme de participation que l’on doit trouver pour permettre à des entreprises de moins de 50 salariés d’en bénéficier doit donc être simple, fonctionnel, opérationnel immédiatement. Il doit avoir un côté « boîte à outils » à disposition des entreprises.

C’est vraiment dans cet état d’esprit que nous allons travailler, ce qui signifie que nous n’allons pas développer l’existant sans tenir compte, par ailleurs, des intérêts spécifiques de certaines entreprises, dans certains secteurs, d’une certaine taille. Nous allons donc faire du sur-mesure, en partant du réel, tout simplement, c’est-à-dire en partant des expériences vécues.

C’est aussi l’objet des auditions de ces groupes de travail. Certes, nous auditionnerons les traditionnels corps constitués, mais nous auditionnerons aussi ceux, qui, bien souvent, ne se sentent pas représentés, ont eu des parcours entrepreneuriaux qui les ont tenus à l’écart des instances délibératives ou de coconstruction autour de projets de loi. Nous nous adressons aussi à ceux-là, afin de les entendre. Nous ne pourrons pas inscrire toutes les spécificités dans la loi, car tel n’est pas son rôle. Ce plan d’action aura évidemment une dimension législative, qui en sera la partie essentielle, mais il y aura aussi, j’en suis certain, de petits verrous réglementaires pour rendre la vie de nos petites entreprises plus simple, et leur permettre, du coup, d’avoir accès à ce type de mécanisme. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

Mme Patricia Schillinger. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de notre jeu de questions-réponses, la participation dans l’entreprise est présentée comme un modèle vertueux qui permettrait de faire profiter les salariés des richesses créées par leur entreprise. Je voudrais m’associer à mon collègue Dominique Watrin pour regretter que l’on n’ait pas pu parler de la participation comme droit démocratique nouveau accordé aux salariés.

Je voudrais également soulever un paradoxe : aujourd’hui, le choix de cette participation justifie ou occulte pour une part le refus des employeurs de revaloriser les salaires de manière importante, tout comme, d’ailleurs, celui de l’État d’augmenter le montant du point d’indice pour les fonctionnaires.

Si la rémunération des salariés augmente par le truchement des primes liées à la participation aux résultats des entreprises, il n’est pas inutile de préciser qu’elles sont exemptes de cotisations sociales. À l’heure des saignées budgétaires dans le domaine de la santé, singulièrement au détriment des hôpitaux, on peut s’interroger sur cette exonération des entreprises concernant le financement de la sécurité sociale, d’autant que, contrairement aux salaires, les sommes versées au titre de la participation ne sont pas non plus prises en compte pour le calcul de la retraite des salariés. En réalité, la participation est une rémunération aléatoire, discrétionnaire, dont les résultats dépendent du bon vouloir des dirigeants des entreprises.

Par exemple, alors que les salariés participent au quotidien à la production des richesses, leurs salaires ne vont augmenter que de 1,8 % en 2017, tandis que les entreprises du CAC 40 ont réalisé 50 milliards d’euros de bénéfices au premier semestre 2017, soit une hausse de 24 % par rapport à 2016.

N’y a-t-il pas, monsieur le secrétaire d’État, une forme d’hypocrisie à geler les salaires des fonctionnaires et le SMIC tout en encourageant la participation dans l’entreprise ? (M. Dominique Watrin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Je constate qu’il y a encore des antagonismes entre, d’un côté, la fonction publique et, de l’autre, les salariés, comme si nous avions deux France qui ne se parlent pas, même si je pense que telle n’est pas réellement votre vision, madame la sénatrice.

J’assume parfaitement le fait que la participation permette à des salariés d’avoir des revenus importants. Dans certaines entreprises, des mécanismes de répartition et de participation originaux ont été mis en place tout en bas de l’échelle des salaires, avec une clé de répartition non pas égalitaire, mais quasiment. Ainsi, le cadre supérieur et une personne ayant une fonction support bénéficient à la fin de la même chose.

Plus largement se pose la question, déjà évoquée tout à l’heure, de la révision de la formule du calcul de la participation pour en faire un instrument plus juste et plus équitable de répartition des fruits du résultat de l’entreprise. À la fin, quand l’entreprise est bénéficiaire, qu’elle a des résultats importants, c’est grâce à la totalité des personnes qui la composent.

Nous sommes ouverts à une réflexion qui permettrait une répartition plus juste entre les différentes échelles de la grille salariale dans l’entreprise, les fonctions dites support devenant aussi bénéficiaires que les autres. Je dois vous dire que j’ai connu ce cas de figure, quand j’ai travaillé pour un fameux grand groupe du CAC 40 souvent pointé du doigt, où des mécanismes de participation conduisent à des montants relativement différents selon les fonctions occupées dans l’entreprise. Je pense que l’on peut travailler à y remédier, de manière sereine, sans opposer le monde de la fonction publique et celui du salariat.

Enfin, ouvrir la question de la participation et de l’intéressement dans la fonction publique est aussi, sans doute, un moyen de la faire évoluer, de la moderniser, d’y attirer des nouveaux talents, et de changer le rapport à leur métier de nos millions de fonctionnaires, dont chacun, j’en suis certain, salue ici le dévouement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique, en 10 secondes !

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, 10 secondes, c’est peu.

J’ai bien entendu M. le secrétaire d’État, mais je persiste à dire que cela n’occulte ni la nécessité de revaloriser les salaires, ni la nécessité d’une participation démocratique des salariés, ni la nécessité de réfléchir à l’élimination des temps partiels, qui sont le plus souvent imposés. Il s’agit d’un débat crucial que nous devons avoir ensemble dans cet hémicycle.

M. le président. Vous avez eu 10 secondes élargies. (Sourires.)

Mme Laurence Cohen. Merci, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation dans une entreprise peut avoir plusieurs origines. Elle peut parallèlement atteindre plusieurs objectifs. Il existe un véritable problème dans notre pays : la transmission des entreprises.

Quand on est chef d’entreprise et que l’on veut transmettre son entreprise pour cause de départ à la retraite ou pour raisons personnelles, cela relève parfois du parcours du combattant.

Dans certains cas, un ou plusieurs salariés, ou même un tiers, seraient intéressés pour reprendre une entreprise à laquelle ils sont très attachés. Pourtant, ces salariés se voient bien souvent refuser un crédit par les banques, faute d’apport suffisant.

La participation plus importante du salarié dans l’entreprise pourrait constituer une première ébauche de la reprise de cette même entreprise. Il s’agirait en quelque sorte de l’anticiper.

Or ce dispositif d’incitation manque dans notre législation. Ce mécanisme pourrait être une solution de reprise des entreprises par des acteurs qui limiteraient le risque de défaillance.

Cette solution pourrait être élargie à des tiers à l’entreprise. Le rachat progressif des capitaux par la participation dans le capital favoriserait l’entrée dans l’entreprise d’un repreneur qui augmenterait ses parts peu à peu.

Dans nos zones rurales, la transmission d’entreprise est difficile parce que les repreneurs locaux ne sont pas si nombreux. Alors, cette participation pourrait favoriser les acteurs locaux et limiter ainsi les risques de délocalisation et de fermeture.

Une autre solution réside dans la confiance des banques et l’existence d’outils spécialement adaptés pour la reprise d’entreprises. Les organismes bancaires proposaient voilà quelques années ce que l’on appelait des Codevi. Investir et soutenir nos entreprises peut intéresser un grand nombre de nos concitoyens qui souhaitent apporter leur épargne dans le tissu économique local. C’est certainement un concept à imaginer ou à réimaginer.

Vous comprenez, monsieur le secrétaire d’État, que cette question de la transmission d’entreprise me tient particulièrement à cœur. Il est toujours cruel de voir les entreprises de son territoire fermer ou partir, alors que des personnes locales auraient pu reprendre si l’on avait su anticiper cette cession. J’espère que vous tiendrez compte de cette contribution dans votre prochaine réflexion concernant la participation dans les entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je vous remercie de m’avoir posé cette question qui est très importante. Pour ne rien vous cacher, il y a deux groupes qui vont travailler sur ces questions : un premier, qui travaillera sur la participation, et un second, qui va se consacrer à la création, à la croissance, à la transmission, au rebond, à la reprise. Il traitera des reprises d’entreprises, problèmes que vous connaissez bien dans vos territoires et qui restent parfois sans solution.

Ce sujet sera traité de manière transversale, le chantier étant à cheval, si je puis dire, entre deux groupes de travail.

Il existe un précédent de fonds de reprise, avec un exemple unique, La Redoute, dont la reprise est intervenue en 2006. On n’est donc pas vraiment dans la PME de nos territoires, ni dans des enjeux très locaux. Néanmoins, ce mécanisme existe. Il est extrêmement contraignant – je vous fais grâce des différents éléments nécessaires pour sa mise en œuvre. Pour autant, c’est un dispositif intéressant dans le cas d’une reprise : jusqu’à 95 % de l’actif peut-être investi en titres de l’entreprise et la poche d’actifs liquides peut-être réduite à 5 % de la valeur de l’actif du fonds ; par dérogation au régime des autres FCPE, le conseil de surveillance du FCPE de reprise est composé uniquement de salariés élus par l’ensemble des salariés qui sont eux-mêmes porteurs de parts.

Ce mécanisme est à ce titre doublement intéressant.

Il existe des solutions et des dispositifs, qui devront donc être adaptés. Il faudra, d’ailleurs, voir dans lequel de ces deux groupes de travail viendront se loger le plus intelligemment possible les questions sur ce sujet.

Monsieur le sénateur, en tout cas, si vous souhaitez nous saisir de cette question dont vous semblez vous-même avoir fait l’expérience dans votre territoire, nous en serons très heureux. C’est en effet un des éléments indispensables, notamment sur le sujet de la reprise pour les très petites entreprises. Particulièrement dans certains départements où la pyramide des âges révèle des taux de vieillissement plus importants que dans d’autres, ce problème de la reprise des très petites entreprises se posera immanquablement dans les cinq ans. Plutôt que de prendre le problème en pleine face en arrivant au pied du mur, nous gagnerions tous à l’anticiper.

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.

Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé une grande discussion sur la « philosophie de l’entreprise ».

Ma question portera sur l’étendue de la réforme envisagée.

Comme nous venons de l’évoquer, il s’agirait tout d’abord de renforcer les mécanismes d’épargne salariale, « belle invention gaulliste », selon l’expression présidentielle, afin de mieux associer les salariés aux résultats de leur entreprise.

Mais il semble que le Gouvernement souhaiterait également associer davantage les salariés à la gestion de l’entreprise en modifiant la composition des instances de gouvernance. Il s’agit d’un sujet récurrent.

Deux lois ont été adoptées sous le gouvernement précédent.

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a imposé la présence d’un ou plusieurs administrateurs salariés dans les entreprises d’au moins 10 000 salariés ayant leur siège social à l’étranger, et à partir de 5 000 salariés en France. Depuis la loi Rebsamen du 17 août 2015, les seuils sont passés respectivement à 5 000 et 1 000 salariés.

Encore plus récemment, le projet de loi visant à autoriser le Gouvernement à prendre les ordonnances « travail » prévoyait une « amélioration des conditions de représentation et de participation » des salariés pour « un effectif dépassant un certain seuil », ce qui laissait augurer une nouvelle baisse des seuils. En CMP, le Sénat a obtenu la mention de l’impossibilité de revenir sur les seuils actuels afin d’éviter l’instabilité législative qui en découlerait, ainsi que de nouvelles contraintes pour les entreprises. Finalement, le Gouvernement a abandonné son projet : aucune mention de la participation des salariés aux conseils d’administration ne figure dans les ordonnances.

Cependant, le Président de la République semble souhaiter introduire de nouveau ce sujet dans une loi sur la transformation des entreprises, qui serait présentée au printemps 2018. Il faudrait que les intentions du Gouvernement en la matière soient plus claires, car il est inutile d’envoyer sans cesse des signaux négatifs aux investisseurs. Pourriez-vous nous préciser ce que souhaite faire le Gouvernement à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Je ne veux pas déflorer le sujet ou fermer le débat qui se tiendra dans le cadre du chantier dédié à la question de la participation et de la responsabilité sociétale des entreprises en vue de l’élaboration du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.

Nous avons ouvert avec Bruno Le Maire, voilà quarante-huit heures, des travaux qui vont durer sept semaines, avec notamment des auditions, ce qui implique de l’écoute, des échanges. Nous attendons de nous faire un peu bousculer sur ces sujets.

Comme le Président de la République l’a dit dans son intervention télévisée du 15 octobre, il faut mieux répartir les fruits et les bénéfices des entreprises. Si une entreprise va bien, les salariés doivent pouvoir en bénéficier plus largement, quand aujourd’hui seulement un salarié sur deux bénéficie des mécanismes de participation ou d’intéressement. C’est donc bien l’objectif qu’auront en tête Stanislas Guerini et Agnès Touraine lorsqu’ils détermineront la manière dont ils vont conduire ces travaux.

La question de la gouvernance et de la participation des salariés aux organes de direction des entreprises est un sujet qui peut être ouvert dans le cadre de ce groupe de travail.

Je le redis, il m’est aujourd'hui difficile de vous donner une position sur ce sujet ; je reviendrai vous voir dans sept semaines avec un immense plaisir non pas parce que nous aurons les idées plus claires, mais parce que beaucoup d’idées auront été mises sur la table et auront été débattues. D’ailleurs, peut-être pouvons-nous envisager un échange dans le cadre de ces groupes et des propositions qui seront formulées et livrées à la consultation publique début janvier, avant d’engager le processus législatif plus traditionnel de construction avec les différents services.

Sachez-le, si la participation devait s’étendre, il faudrait qu’elle soit adaptée à la spécificité de chacune des entreprises. Je le répète, il est question non pas de faire une loi pour chaque type d’entreprise, mais de trouver au plus près de la situation, des réalités de chacune des entreprises et de chacun des secteurs concernés le meilleur moyen d’associer les salariés aux fruits et aux bénéfices réalisés par les entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier.

Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme cela a déjà été souligné, les signes de croissance pour notre pays s’améliorent cette année, avec des perspectives favorables pour l’avenir. Nous ne pouvons que nous en réjouir, et notre rôle de responsables politiques est bien d’accompagner ce mouvement positif et, surtout, de ne pas l’entraver.

Pour ce faire, deux leviers sont pointés pour la relance de notre économie : favoriser la consommation en augmentant le pouvoir d’achat des Français et réinciter les Français à investir dans leurs entreprises pour créer de la richesse sur notre territoire.

L’annonce du Président de la République de développer la participation dans les entreprises accompagne ce mouvement. La réforme proposée pourrait passer par de nouvelles dispositions, des exonérations fiscales et sociales, mais sans pour autant, veillons-y, rigidifier le dispositif existant, notamment pour les petites entreprises.

Profiter de développer la participation pour favoriser l’accès des salariés au capital des entreprises serait un signe positif afin, d’une part, de valoriser leur travail et, d’autre part, de recréer du lien, de la communauté d’intérêts entre le salarié et la structure pour laquelle il travaille.

Dans le cadre de ces réformes, il me semble important de développer un axe, celui de l’ouverture du capital des entreprises et de la facilitation d’achat de parts nouvelles de celles-ci par les salariés, comme on l’a dit tout à l’heure, mais aussi, plus généralement, par d’autres acteurs privés et associés d’un même territoire, afin de renforcer la notion de coopération et de solidarité de territoire.

Augmenter le capital, c’est redonner à l’entreprise une capacité d’investir, c’est favoriser sa recherche et développement pour mieux se projeter sur de nouveaux marchés.

Néanmoins, je m’interroge et j’attire votre attention sur le fait de ne pas confondre l’accès au capital d’une entreprise par l’augmentation de ses fonds propres avec ce qui ne pourrait être, sans cette augmentation de capital, que de simples transactions spéculatives sur des opérations d’achat-vente de parts sociales existantes. Ce dernier cas ne favoriserait que la rente, et non pas le développement ou la croissance de l’entreprise.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : avez-vous prévu de telles mesures dans le cadre de la future réforme que le Gouvernement présentera ? Si oui, pouvez-vous nous les exposer ou nous en donner le contour ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, il n’est évidemment pas question au travers de ce projet de loi d’encourager un quelconque phénomène de spéculation, dans le cadre de l’amélioration de la participation ou de l’intéressement des salariés, objectif que nous poursuivons.

Vous avez évoqué deux sujets, démontrant que l’on peut faire les choses en même temps, à savoir augmenter le pouvoir d’achat et permettre à nos entreprises de se financer. C’est ce phénomène que nous souhaitons amplifier, en favorisant l’investissement des Français dans notre économie, dans nos entreprises, plutôt qu’ailleurs.

À ce titre, deux dispositions ont été discutées dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances et le seront aussi ici dans cette enceinte : le prélèvement forfaitaire unique et l’impôt sur la fortune immobilière, qui permettent différemment – ces deux mécanismes ne sont pas de même nature – de reflécher, de réorienter le capital productif vers nos entreprises et vers le financement de nos entreprises.

Pour ce faire, l’une des pistes consiste à identifier des investissements qui donnent du sens, afin d’éviter les phénomènes spéculatifs ; c’est ce que l’on appelle « les investissements socialement responsables ». Ce sont des mécanismes que l’on retrouve dans les entreprises que sont les Fintech de crowdfunding, où la France a d’ailleurs une vraie signature à l’étranger, avec des entreprises qui connaissent de grands succès. Je pense, par exemple, à KissKissBankBank, qui vient de nouer un partenariat avec une entreprise bien connue de nos concitoyens, une grande banque française, la Banque Postale. Il y a là des éléments intéressants en termes d’investissements socialement responsables.

Notre vision est, me semble-t-il, partagée : c’est celle d’une France où les Français sont incités à prendre des risques, à orienter leur épargne plutôt vers les entreprises françaises qu’ailleurs, en évitant à tout prix les mécanismes spéculatifs. Tous ces éléments seront de nouveau discutés dans le cadre du groupe de travail dont j’ai parlé.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez compter sur notre vigilance. Il n’est pas question de faire la part belle aux phénomènes qui ont parfois coûté cher en termes d’image pour le modèle financier. Pour ce qui me concerne, je ne fais pas partie des ennemis de la finance. Je pense que la finance est au service de l’entreprise, de l’économie réelle et des emplois. Le pire service à lui rendre est de l’autoriser à faire n’importe quoi, ce qui ne sera pas le cas dans ce cadre de ce projet.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le secrétaire d'État, notre pays a un problème avec la réussite. Notre pays a un problème avec l’entreprise. C’est le constat qu’une grande partie de la classe politique et des experts en tout genre tire depuis de nombreuses années, sans trop savoir comment régler cette épineuse question et engager un profond changement des mentalités.

Ce débat n’est pas purement technique. Il est tout aussi philosophique, ce qui lui donne un caractère particulièrement complexe.

Le Président de la République, lors de son entretien télévisé, a laissé entendre qu’il comptait ouvrir un nouveau chapitre de la participation dans l’entreprise. Sans en préciser la philosophie, il a néanmoins insisté sur la nécessité d’intégrer plus et mieux les salariés à la vie de l’entreprise. Je le rejoins sur ce point et partage la volonté d’engager une indispensable évolution de l’entreprise : le regard qu’elle porte sur ses salariés et la manière dont elle doit les associer à sa réussite.

Peut-on et doit-on aller plus loin ? Je le crois.

Ce qui est en jeu, c’est beaucoup plus que de créer un simple mécanisme à l’endroit des salariés, c’est définir une nouvelle relation dans l’entreprise : une relation de confiance, de respect mutuel, d’évolution commune et de réussite partagée.

L’investissement de tous, à des degrés divers, doit être récompensé.

Encourager la participation, c’est mieux associer les salariés de l’entreprise aux réussites et aux échecs ; c’est les sensibiliser, au-delà de leur carrière, aux enjeux globaux de l’entreprise, aux enjeux du marché sur lequel elles évoluent, aux perspectives d’avenir et de développement.

Toutes ces questions sont complexes. Elles méritent un véritable débat, apaisé et dépassionné pour tenter d’apporter des réponses aux Français qui attendent une meilleure redistribution et un meilleur partage de la réussite.

Il est temps de montrer que les entreprises ne servent pas exclusivement des intérêts particuliers et qu’elles contribuent à la réussite économique de tout un pays. Et je crois que ce principe doit être inscrit dans la loi.

Aussi, que compte faire le Gouvernement, de manière très concrète, pour développer la participation au sein de l’entreprise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Je vous remercie, madame la sénatrice, d’avoir fait un peu de philosophie à cette heure avancée de notre débat ; cela ne fait jamais de mal…

Dans notre pays, on n’aime pas la réussite, ce qui est doublement problématique. Quand vous avez monté une boîte, que vous vous plantez – cela peut arriver ! – et que vous allez voir une banque pour en monter une deuxième – on peut se tromper ! –, vous avez beaucoup de mal à vous faire entendre : vous n’avez pas le droit d’échouer.

À l’inverse, quand vous réussissez, cela crée une petite suspicion : certains se disent que vous n’avez pas dû prendre les bons chemins et que c’est un peu suspect. Il y a donc dans ce pays incroyable une forme de schizophrénie : on n’a pas le droit de réussir ni d’échouer. Et cela limite évidemment un peu les perspectives…

La philosophie que le Gouvernement compte déployer dans ce projet de loi important pour l’entreprise, la création, la croissance, la transformation de l’entreprise, est d’accepter que des personnes échouent, car ce n’est pas grave. Steve Jobs était connu pour s’être fait virer d’Apple. Il est revenu, il a fait autre chose et il a eu le succès que l’on sait.

Soyez donc rassurée, telle est la philosophie qui est la nôtre.

Par ailleurs, vous avez évoqué un second point important : la question de la confiance entre les salariés et le chef d’entreprise.

Pour avoir dirigé deux petites entreprises que j’avais créées avec quelques salariés, je ne me reconnais pas dans les caricatures de chefs d’entreprise qu’on présente parfois comme avides, intéressés par le profit et ne pensant qu’à cela. Quand vous êtes dans des structures de moins de dix ou vingt personnes, vous appelez chacun des salariés par leur prénom et vous connaissez même les prénoms de leurs enfants parce qu’ils vont souvent dans la même école que les vôtres, dans la même rue ou le même quartier. La relation est donc différente. C’est l’un des éléments essentiels qui fait partie, me semble-t-il, de la bataille culturelle que j’ai longuement évoquée au début de mon propos.

En effet, si l’on considère que la relation dans l’entreprise ne peut se construire, s’imaginer ou se penser que dans le cadre de très grandes entreprises avec des logiques très verticales puisque les personnes ne se connaissent pas forcément – il est impossible de connaître les milliers de collaborateurs d’un même groupe –, on se trompe. Tout l’objet de ce projet est de se tourner vers les petites entreprises et nos PME pour leur permettre de grandir et de faire tomber les barrières concernant la confiance, la redistribution des fruits de la croissance de l’entreprise – la croissance ne sera juste que si elle est partagée – et la gouvernance, avec une meilleure association des salariés à la décision.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Monsieur le secrétaire d'État, je ne serai pas très innovante : intervenant en avant-dernière position, beaucoup de choses ont déjà été dites dans ce débat. Certains ont même loué la philosophie de la participation, en la présentant comme un excellent outil de dialogue social, de constitution d’épargne retraite, de fidélisation des salariés.

L’association directe des salariés à l’entreprise est porteuse de réussite et favorise la compétitivité des entreprises, comme cela a été dit à de nombreuses reprises. Néanmoins, j’aimerais insister sur deux points.

Premier point : la nécessaire simplification des dispositifs de participation et d’intéressement, notamment pour les TPE et les PME.

Je suis certaine que le Premier ministre tiendra ses engagements en matière de réduction des normes. Mais le souci de pragmatisme du Gouvernement doit se traduire surtout et avant tout par plus de lisibilité dans les dispositifs. En effet, les freins techniques et juridiques sont encore trop nombreux, singulièrement pour les petites entreprises.

Deuxième point : la stabilité de la fiscalité applicable à la participation.

Entre sa création en 2009 et aujourd’hui, le taux du forfait social unique n’a fait qu’augmenter, passant de 2 % à 20 %, ce qui entraîne une véritable frilosité de la part des entreprises.

De plus, alors que l’article 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est consacré à l’augmentation du pouvoir d’achat des actifs, le Gouvernement souhaite supprimer le mécanisme des « taux historiques » des prélèvements sociaux pour les gains acquis à compter du 1er janvier prochain. Avec cette mesure législative, on inscrit dans le marbre une instabilité fiscale qui fragilise les mécanismes de participation.

Ma question est simple : pourquoi adopter une telle mesure, qui brouille les messages adressés aux employeurs et aux salariés, alors que des projets phares de la réforme de la participation sont en cours, notamment avec la grande concertation que vous organisez ? Comment voulez-vous favoriser une épargne longue pour soutenir l’investissement, en particulier dans les PME et les TPE ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Médevielle et Mme Élisabeth Doineau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, nous arrivons bientôt au terme de ce débat. Aussi, à l’instar des questions, il est probable qu’il y ait aussi des redites dans les réponses que j’apporterai. (Sourires.)

Vous avez soulevé deux points importants.

La lisibilité de la norme est un mal que nous traînons depuis de nombreuses années. Un premier projet de loi relatif à la simplification sera porté par Gérald Darmanin. Des choses ont été faites auparavant, quelles que soient les sensibilités politiques, avec le Conseil de la simplification, au sein duquel a officié le duo Guillaume Poitrinal-Thierry Mandon.

Tout ce que l’on peut faire pour avoir des lois moins bavardes, des textes plus clairs, une réglementation plus compréhensible pour nos citoyens et les entreprises va dans le bon sens. Sur ce point, nous serons évidemment à vos côtés.

Un des chantiers du projet de loi que nous porterons avec Bruno Le Maire est dédié à la simplification non pas de la norme, mais de la relation entre l’administration et l’entreprise.

Pour avoir été moi-même bénéficiaire du RSI, je pourrais vous en parler des heures, mais il ne me reste que cinquante-trois secondes… Aussi, j’irai droit au but en répondant au second sujet que vous avez évoqué, à savoir la question de la stabilité fiscale et sociale.

Dans mon portefeuille, j’ai la responsabilité de l’attractivité financière de la Place de Paris. Lorsque je vais à l’étranger – je me rendrai tout à l’heure à l’Élysée où le Président de la République reçoit de très nombreux investisseurs étrangers prêts à venir voir ou, en tout cas, à regarder avec un œil attentif ce que nous portons –, la question de la stabilité fiscale et sociale de nos mécanismes est assez centrale.

Dans le cadre des engagements qui ont été pris et au regard de la philosophie qui nous anime, nous voulons que, dans la mesure du possible, durant le quinquennat, les textes ne soient pas modifiés une fois qu’ils l’auront été.

Vous avez évoqué un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’avoue ne pas avoir la réponse technique à la question que vous m’avez posée. Aussi, je vous propose de m’adresser une question écrite, à laquelle nos services vous apporteront une réponse très précise. Sur cet élément, j’avoue humblement mon ignorance, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à remercier mes collègues pour l’organisation de ce débat fondamental concernant la « participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives ». C’est un thème particulièrement important pour l’emploi et l’activité économique.

Nous le vivons au quotidien dans nos départements respectifs, nous sommes toutes et tous attachés à l’activité économique sous toutes les formes, en particulier dans le monde rural, qu’il convient aussi de soutenir.

Le mérite revient naturellement aux chefs d’entreprise, quelle que soit la taille des entreprises, qu’il s’agisse des petites entreprises, des moyennes ou des plus grandes. Les chefs d’entreprise ont beaucoup de mérites : ils travaillent sept jours sur sept, ils font vivre leur activité grâce à leur savoir-faire, à l’expérience, leur engagement par respect de l’ensemble du personnel. On a souvent parlé du lien de confiance ; c’est une notion que je partage également.

L’implication des salariés est fondamentale : le lien de confiance, leur travail, leur implication, leurs motivations constituent le rattachement à l’outil de travail et à la réussite. C’est un combat permanent, où tous ont un rôle à jouer.

Cependant, il existe des limites, des embûches. Les chefs d’entreprise s’ouvrent souvent à nous au sujet de la complexité dans les démarches : code du travail, sécurité, bien-être au travail, difficultés à recruter, à embaucher, charges sociales et fiscales, concurrence déloyale, complexité dans les démarches administratives, dialogue social et préoccupation de savoir vers qui se tourner pour investir, car c’est aussi malheureusement souvent un labyrinthe.

Ma question est la suivante : comment réduire ces embûches, en particulier eu égard aux organismes financiers et bancaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je suis souvent présenté comme un Parisien, ce qui, pour un enfant du Morvan et de la Bresse, est un compliment. Je ne sais pas si je finirai par être plus parisien que je ne suis bourguignon… Ayant passé la moitié de ma vie en Bourgogne et l’autre à Paris, je suis sans doute à mi-chemin. (Sourires.) Aussi, les enjeux que vous avez évoqués pour les territoires ruraux me tiennent à cœur. Je les connais bien pour les avoir éprouvés dans le cadre des mandats locaux que j’ai exercés il y a quelques années.

Le meilleur moyen de répondre à la question de la simplification est de partir à nouveau du réel. Pourquoi montons-nous ces groupes de travail ? Pourquoi allons-nous auditionner des personnes à qui, je le redis, on n’a pas parfois donné la parole, que l’on n’a pas su écouter, que l’on n’a pas su entendre, ou que vous avez entendues dans vos territoires, mais dont vous avez du mal à être le relais auprès de notre administration ?

Nous assumons totalement d’avoir dans ces groupes – c’est unique, c’est une première, c’est assez inédit ! – des start-up, des hauts fonctionnaires des différentes directions de nos administrations respectives, des parlementaires et des corps constitués. Nous allons partir du réel, de cas très concrets de simplification, d’embûches administratives, d’embûches bancaires, de difficultés à avoir des relais de croissance, en vue de trouver des solutions très concrètes.

Je le redis, je ne crois pas que la loi règle tous les problèmes. Je suis même intimement convaincu que certains problèmes peuvent être levés très rapidement par des petits verrous réglementaires, parfois même en engageant une action publique plus intelligemment concentrée sur certains éléments. C’est dans cet esprit que nous abordons le travail que nous venons d’engager sur ce projet important pour la création et la transformation de nos entreprises.

Permettez-moi de profiter des quelques secondes qui me restent pour remercier à mon tour le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir demandé l’organisation de ce débat. C’est un moment important parce que nous sommes au début d’un travail de réflexion. Les différentes questions qui ont été abordées viennent teinter la manière dont on va travailler. Je vous invite le plus sincèrement du monde à apporter votre contribution, vos idées, votre expertise des territoires. Je ne veux pas que l’on nous explique que c’est un truc de start-uppers parisiens, car ce n’est pas le cas. Des dirigeants d’entreprise en province – en Bretagne, en Haute-Savoie –, d’entreprises industrielles pilotent ces groupes de travail. Bénéficions du temps qu’ils nous donnent pour les alimenter, les bousculer aussi, afin que le texte permette à nos entreprises petites et moyennes de grandir et aux salariés qui y travaillent de bénéficier à plein des fruits de la croissance.

Je vous remercie de la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d’État.

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives ». Et nous avons tenu les délais !

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité

Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur le thème : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ».

Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra.

Vont tout d’abord s’exprimer les orateurs de la commission qui a demandé ce débat.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous organisons ce soir à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable fait suite au rapport du groupe de travail que nous avons créé, avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, au sein de notre commission.

Ce groupe de travail, nous l’avons mis en place en partant d’un constat que nous partageons tous, je crois : l’aménagement du territoire est, depuis maintenant un certain nombre d’années, le parent pauvre des politiques publiques.

Cette situation a des conséquences qui se répercutent, nous le voyons bien, lors des différents scrutins politiques.

Le constat que nous avons fait est clair : la fracture territoriale s’amplifie ; la croissance des métropoles, qui étaient censées irriguer l’ensemble du territoire, a plutôt un effet d’appauvrissement des zones les plus fragiles ; de nombreux territoires, qu’ils soient ruraux, urbains ou périurbains, connaissent un recul, en termes d’activité, d’emploi, de services publics et de dynamisme démographique.

Nous regrettons que, face à cette situation, l’État soit plus un spectateur qu’un acteur. Il nous paraît donc urgent de refonder la politique de l’aménagement du territoire.

Pour ce faire, nous avons élaboré vingt-six propositions, que le temps qui nous est imparti ne me permet pas de rappeler. Je voudrais néanmoins évoquer certaines d’entre elles.

Si nous considérons que le principal acteur en matière d’aménagement du territoire doit être le binôme région-EPCI, il n’en demeure pas moins que nous pensons indispensable que l’État redevienne stratège, qu’il ait une véritable vision, qu’on ait le souci de mesurer l’impact sur l’aménagement du territoire des politiques publiques mises en place – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui –, que les critères d’investissement de l’État soient liés à la question de l’aménagement du territoire.

Nous souhaitons également – et je regarde spontanément Rémy Pointereau – que l’on avance dans la simplification des normes, comme le demande notre collègue.

Par ailleurs, la politique d’aménagement du territoire doit essentiellement être basée sur la contractualisation.

En outre, il nous paraît nécessaire que les dotations et subventions aux collectivités territoriales soient plus transparentes et équitables, et qu’elles comportent un aspect incitatif au regard de l’aménagement du territoire.

Enfin et surtout, nous pensons indispensable de s’attaquer enfin, prioritairement et énergiquement, aux grandes fractures subies par les territoires – couverture mobile, aménagement numérique du territoire, lutte contre les déserts médicaux, accès aux services publics de proximité, existence d’infrastructures de qualité. Il y va réellement de l’intérêt des territoires et de notre pays.

Je laisse maintenant la parole à Louis-Jean de Nicolaÿ, qui va préciser un certain nombre de points de notre rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vient de le dire parfaitement le président Maurey, au fil des années, l’aménagement du territoire est devenu le « parent pauvre » des politiques publiques.

Malgré le constat objectif d’une disparition progressive des services publics, notamment dans le monde rural, malgré le sentiment d’abandon d’un nombre important de nos concitoyens et malgré le cri d’alarme des élus locaux, rien – ou presque rien – ne change, monsieur le ministre !

Hervé Maurey vous a fait part des grands axes de propositions de notre groupe de travail.

Depuis des années, et quels que soient les gouvernements concernés, nos territoires fragiles ont été oubliés. Il est donc grand temps de s’emparer pleinement de ces propositions et d’agir !

Je vais prendre un premier exemple : celui de la désertification médicale. C’est une réalité désormais bien connue, durement subie par une part toujours croissante de la population de notre pays – plus de 5 millions d’habitants vivent dans ces zones.

Or, que font les pouvoirs publics pour y remédier ? Des plans ! Les mêmes plans depuis quinze ans ! C’est-à-dire un ensemble de mesures d’affichage ou à caractère incitatif qui ont fait la preuve de leur inefficacité et qui, aujourd’hui, ne sont clairement plus à la hauteur des enjeux.

Nous sommes persuadés, au sein de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qu’il faut franchir une nouvelle étape et mettre en place une régulation de l’installation des médecins, comme cela existe pour les autres professions de santé. Cette mesure a été adoptée à plusieurs reprises par notre commission, mais a toujours été écartée des textes législatifs définitifs, alors qu’il s’agit d’une attente très forte des populations.

Or il y a urgence. Il faut de vraies mesures.

Deuxième exemple : la couverture mobile et numérique du territoire. Des objectifs ambitieux ont été fixés et réaffirmés voilà à peine un mois : il s’agit, d’une part, du déploiement du « bon haut débit pour tous » dès 2020, d’autre part, d’« une disponibilité généralisée de la 4G », toujours d’ici à 2020.

Mais que mettez-vous précisément, monsieur le ministre, derrière ces slogans, il est vrai séduisants ? Et quels sont les moyens que vous avez prévu d’y consacrer ? Nous étions déjà inquiets sur le respect des objectifs fixés pour 2022 ; comment allez-vous parvenir à les avancer, du moins pour partie, à 2020 ?

Troisième exemple : le développement des infrastructures. Que ce soit pour l’entretien des infrastructures existantes ou pour les projets de nouvelles infrastructures, il est grand temps, selon nous, que le critère de l’aménagement du territoire prenne le pas sur celui de la rentabilité économique. Il n’est plus possible de tout analyser sous le seul prisme de l’intérêt économique à plus ou moins court terme.

Ce calcul est de plus un mauvais calcul, car les choix que nous évitons ou reportons deviendront un jour ou l’autre nécessaires et infiniment plus coûteux.

Monsieur le ministre, nos préconisations ne sont clairement pas entendues pour l’instant. Or, je le redis, aux yeux de tous les membres du groupe de travail de notre commission, la prise en compte de l’aménagement du territoire dans l’ensemble des politiques publiques est une priorité qui ne peut plus attendre.

Pourriez-vous donc nous donner quelques éléments de nature à nous rassurer ? En effet, au-delà de nos propres interrogations, l’aménagement du territoire, l’égalité des territoires, la cohésion des territoires – peu importe comment on l’appelle, les problèmes se posent toujours dans les mêmes termes –, est bien le souci majeur des élus locaux et de nombre de nos concitoyens présents sur les territoires que nous représentons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Daniel Chasseing, Alain Marc et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien sûr plaisir à m’exprimer ici, du haut de cette tribune, dont j’ai un peu l’habitude.

J’ai écouté avec intérêt mes anciens collègues, qui ont présenté en commission, le 31 mai 2017, un excellent rapport, c’est-à-dire à un moment où ils ne pouvaient guère faire le bilan de l’action du nouveau gouvernement.

Ce que je souhaite dire de manière liminaire, c’est que vous avez fait le bilan de ce qui n’a pas été fait pendant une quinzaine d’années par les uns, par les autres, par nous tous ensemble. (M. le président de la commission opine.)

Vous conviendrez qu’en trois mois et demi – puisque j’ai fait un bref passage au ministère de l’agriculture –, il m’aurait été difficile de mettre en place une politique d’aménagement du territoire de nature à réparer les nombreuses fractures donc vous avez relevé l’existence.

Je vous remercie d’avoir rédigé ce rapport, dont je partage l’essentiel du bilan qu’il dresse, ainsi qu’un certain nombre des objectifs qu’il définit.

Le titre de votre rapport sonne comme un manifeste : Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité. Vous avez indiqué voilà quelques instants que l’aménagement du territoire avait été le parent pauvre des politiques publiques. Mais c’est que le fonctionnement de la République a évolué ces dernières décennies : la décentralisation a été mise en place et l’on constate que la politique d’aménagement du territoire s’est réduite au fil des années. Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, qu’il ne faudrait point, par exemple, que les régions – et elles se lancent – ne s’occupent pas de l’aménagement de leur territoire. Et je sais qu’elles en ont bien la volonté.

Les dynamiques territoriales ne se réduisent pas à l’image simpliste, trop souvent relayée, qui conduit à opposer les territoires les uns aux autres. Je n’utilise jamais l’opposition urbain-rural, parce que la situation des territoires est très différente à l’intérieur des territoires urbains. Je le dis souvent : il y a des territoires urbains qui vont bien, il y en a qui vont mal, très mal – je pense à certains quartiers prioritaires de politique de la ville. Quant à nos territoires ruraux, nous le savons, il existe des distorsions considérables et une grande diversité. C’est d’ailleurs là aussi que s’aggrave ce que l’on appelle la fracture territoriale.

Dans votre rapport, vous citez le géographe Roger Brunet, pour qui nous serions passés d’un territoire « à aménager » à un territoire « à ménager ». Le mot est d’ailleurs intéressant. Pour lui, « aménager » renvoie à la fois à la protection, à l’équipement, aux actions curatives et à l’incitation. Ces divers sens du mot « aménager » répondent à la diversité des territoires en France.

Il faut aussi répondre à la plus grande variété de nos modes de vie. Le rythme des mutations technologiques et sociales est inégalé, lequel s’est accéléré. Ce que nous disons aujourd’hui en particulier sur ces mutations technologiques et sociales ne sera pas forcément vrai dans trois ou cinq ans.

Nous avons à revoir nos manières de communiquer, de consommer, de travailler.

Même s’il est difficile de faire un point complet en une dizaine de minutes, je n’oublie pas les questions liées à la programmation européenne, dont vous vous êtes préoccupés dans votre rapport, avec raison. La France doit y accorder un attachement particulier. Dès mon arrivée au ministère, j’ai rencontré la commissaire européenne roumaine chargée du dossier de la cohésion des territoires et des fonds.

En outre, lorsqu’on se déplace, on voit toute la nécessité de la coopération transfrontalière, sujet important.

Avec les transitions numériques et écologiques, l’évolution des mobilités – et on va connaître une accélération de ce mouvement –, nos territoires sont en pleine transformation et nous obligent à changer nos grilles de lecture habituelles. Vous avez raison de souligner « qu’il n’est plus possible, aux niveaux démographique et géographique, de considérer l’urbain et le rural comme deux entités bien définies qui s’opposeraient l’une à l’autre ». Nous sommes totalement d’accord.

Les visions sur la « France périphérique » sont une grille de lecture. Des éléments de constat nécessitent une action. Bien sûr, je sais qu’il ne faut pas être trop schématique, que ces visions englobent des espaces qui ne vivent pas la même réalité économique et politique, au sens premier du terme.

Et je ne veux pas non plus opposer les territoires. Je ne reviens pas sur le rapport de France Stratégie, que nous avons tous lu et relu, et, pour beaucoup d’entre nous, critiqué.

La France des métropoles serait la gagnante égoïste de la mondialisation et la France périphérique aurait tout perdu et n’aurait pas d’avenir. Or il est essentiel que cette France-là ait un avenir et que nous le construisions ensemble.

Nous devons aussi nous garder de cette vision théorique qui résumerait notre pays à des espaces dynamiques, en reléguant une partie du territoire au rang de zones interstitielles – mot que je n’aime pas du tout. Représentant d’un territoire dit « interstitiel », je considère que nous devrions bannir ce mot, car tous ces territoires ont vocation bien sûr à vivre, à se développer. C’est l’enjeu de ces prochaines années.

J’adhère en revanche à la vision que vous développez dans votre rapport à propos de la ruralité, en distinguant la campagne des villes, du littoral et des vallées urbanisées, où vivent 16 millions d’habitants dans plus de 10 000 communes.

Si l’on ne peut construire une politique de cohésion du territoire sur l’opposition entre les territoires favorisés et les autres, il ne s’agit pourtant pas de nier – ce que je ne ferai pas – que certains territoires connaissent des difficultés considérables, qui se sont aggravées ces quinze dernières années – vous avez raison.

Malheureusement – j’indique en toute loyauté que c’est une responsabilité collective –, c’est au moment où la France s’est le plus endettée pendant dix ans que nous avons le moins fait pour ces territoires. Cela doit aussi nous interpeller, et je ne fais de procès à quiconque.

Je pense à ce qui se passe au sein des villes, y compris les métropoles, qui comptent un certain nombre de quartiers en grande difficulté. Beaucoup a été fait pour les quartiers prioritaires, mais beaucoup reste à faire : le taux de chômage y est deux fois et demie supérieur à la moyenne nationale, le taux de pauvreté, deux à trois fois supérieur.

Je pense aussi à certains centres-bourgs et à certains centres de villes moyennes dévitalisés, qui sont aujourd’hui un enjeu considérable parce que si nous n’intervenons pas rapidement, ces villes moyennes – même si elles ne sont pas toutes, heureusement, dans cette situation-là – connaîtront des difficultés encore plus importantes, avec la fermeture de commerces, l’absence d’emplois ou de formations, la dégradation du bâti, enjeu important.

Dans les territoires peu denses, l’accès aux services est un problème primordial. Je connais les difficultés très concrètes liées à la fermeture progressive des services publics – pratiquement tous ici, nous l’avons vécue d’une manière ou d’une autre –, à la désertification de nombre de centres-villes, à la dégradation de l’habitat. C’est un constat, et face à cela, il nous faut agir.

Je veux revenir ici sur certains axes concrets d’intervention avant de partager avec vous ma vision de la méthode d’ensemble dont j’ai la charge comme ministre de la cohésion des territoires.

Pour nos quartiers, nous avons obtenu au plus haut niveau la reconduction des crédits d’intervention dédiés à la politique de la ville en 2018, soit 430 millions d’euros, avec une sanctuarisation pour l’ensemble du quinquennat. Sans compter le milliard d’euros supplémentaire attendu en faveur du nouveau programme de renouvellement urbain.

Nous allons également lancer une importante opération à destination des villes moyennes, qui en ont bien besoin, avec un plan spécifique que nous pourrons annoncer d’ici à la fin de l’année ou tout au début de l’année 2018, opération visant à favoriser la reconquête des centres. Nous agirons, bien sûr au côté des communes et des intercommunalités, sur le commerce, l’habitat, les services. Nous sommes en train de finaliser une convention avec Action logement, qui devrait normalement consacrer 1,5 milliard d’euros au logement et à la revitalisation de ces villes moyennes et de ces centres-bourgs, avec une concentration sur les opérations de restructuration d’immeubles ou d’îlots.

Par ailleurs, le prêt à taux zéro sera maintenu pendant deux ans dans le neuf, et pendant quatre ans dans l’ancien, afin d’assurer une visibilité sur plusieurs années et non pas année par année.

Je suis aussi attaché à ce que l’État se préoccupe de l’accessibilité de certains territoires enclavés, que je connais peut-être mieux que d’autres pour subir cet enclavement plus que d’autres. Et s’il a été annoncé qu’on mettrait un frein à certaines grandes opérations, en particulier la réalisation de lignes à grande vitesse, il est nécessaire d’entretenir nos routes nationales, il est nécessaire d’entretenir certaines voies ferrées qualifiées de « secondaires », car beaucoup de travaux n’ont pas été réalisés depuis longtemps.

Il est nécessaire aussi de lutter pour le maintien des services publics. Nous avons pris la décision d’accélérer le déploiement des maisons de services au public, d’en doubler le nombre. J’ai reçu le président-directeur général de La Poste, Philippe Wahl, pour mener une opération lourde en la matière, en coopération bien sûr avec les collectivités.

Comme vous l’écrivez, « la question n’est pas tant que le service soit rendu par l’État, un opérateur public ou une entreprise, mais qu’il soit répondu de la manière la plus efficace aux besoins exprimés ». Nous sommes totalement d’accord et c’est vers cela que nous travaillons avec l’accélération de ce plan de déploiement de maisons de services au public.

Vous avez parlé des déserts médicaux. Nous avons souvent échangé sur ce point dans cet hémicycle. Le plan qu’a présenté la ministre de la santé, au-delà du bilan qu’il dresse, prévoit un certain nombre d’actions, par exemple permettre à des médecins retraités de mener des interventions moyennant rémunération.

L’objectif est aussi de doubler le nombre de maisons pluridisciplinaires, sans compter les évolutions qui devront se faire jour. Vous avez évoqué une piste concernant la densité médicale. Mais ce que nous constatons aujourd’hui, c’est qu’il existe une surdensité dans certains territoires, et une sous-densité dans d’autres. Avant d’aborder la question du numerus clausus – ce que je n’ai pas le temps de faire –, nous devons d’abord nous interroger sur cette réalité-là.

Une des priorités de notre action, c’est le déploiement du numérique. Vous y avez insisté dans votre rapport : c’est essentiel pour réparer les fractures territoriales. Parce que nous ne pouvons pas prendre le risque, ni les uns ni les autres, d’aggraver la fracture territoriale numérique, nous avons pris la décision d’avoir comme objectif le bon débit pour tous d’ici à 2020, le très haut débit d’ici à 2022. J’ai réuni à deux reprises au ministère les opérateurs, pour leur demander de prendre des engagements contraignants, conformément à la dernière loi Montagne. Les discussions sont toujours en cours, mais je suis assez optimiste au regard des réponses qui commencent à nous être faites. C’est comme cela qu’on pourra avancer. Vous le savez aussi, l’État, dans son rôle d’État stratège auquel vous tenez, dispose de quelques moyens de négociation avec les opérateurs, et ces moyens seront utilisés si nécessaire.

Il est indispensable d’accélérer la couverture numérique par l’installation en particulier de plusieurs milliers de pylônes supplémentaires pour avoir le bon débit – la 4G d’ici à 2020 –, mais aussi d’utiliser des technologies alternatives, que ce soit la montée en débit, la 4G fixe, le satellite. Je l’ai dit, nous avons une position claire et ferme vis-à-vis des opérateurs, avec aussi la protection des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités et qu’il ne faut pas mettre en danger.

Voilà des réponses précises à des questions précises.

Bien sûr, nous ne savons pas encore quels seront tous les impacts de cette révolution numérique sur nos territoires, mais ils seront considérables et ils vont s’amplifier. En particulier, en matière de domotique ou en matière de nouvelles mobilités, les choses vont avancer considérablement dans les quelques années qui viennent et beaucoup plus que nous ne l’imaginons.

Il est normal d’aborder la question du volontarisme politique lorsqu’on évoque l’aménagement du territoire. On ne peut pas dire que depuis quinze ou vingt ans, celui-ci ait été considérable. L’après-guerre a été une période d’aménagement du territoire et de planification, qui ont été poursuivis dans les premières années de la Ve République, mais qui petit à petit, malheureusement, ont été abandonnés.

Nous considérons aussi que les réformes territoriales ont entraîné un certain nombre de bouleversements. Je ne reviendrai pas sur la fusion des régions, sur ce que nous avons vécu. Nous n’allons pas refaire un « big-bang » territorial.

M. Roger Karoutchi. Même en Île-de-France ? (Sourires.)

M. Jacques Mézard, ministre. Non, monsieur le sénateur Karoutchi, il peut y avoir des exceptions heureuses. (Même mouvement.) Sans vouloir faire un aparté, je pense que la situation actuelle n’est pas forcément la meilleure à laquelle il aurait été possible d’aboutir, mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

M. Roger Karoutchi. C’est clair !

M. Jacques Mézard, ministre. Je n’oublie pas le rôle d’aménageur du territoire de certaines collectivités – j’ai parlé des régions.

Le Président de la République a annoncé, ici au Sénat, le 17 juillet dernier, une pause dans ces réformes institutionnelles et que l’heure n’était plus au lancement de grands programmes publics d’aménagement.

Je note, pour m’en réjouir, que votre rapport exprime des réserves sur le rôle de facilitateur de l’État, parce que ce rôle est venu remplacer celui d’organisateur.

Ces craintes sont compréhensibles, mais tout de même, il vaut mieux que l’État soit facilitateur qu’empêcheur de conduire des projets sur les territoires !

Chaque fois que nous nous exprimons en particulier devant les services déconcentrés de l’État, le message que je transmets, c’est que l’État doit être facilitateur et qu’il faut faire le ménage dans les normes. J’y suis personnellement très attaché et je sais les efforts du sénateur Rémy Pointereau dans ce domaine. Nous devons travailler ensemble à cette fin.

L’État facilitateur n’est pas un État low cost ou diminué ; c’est un État qui prend ses responsabilités dans la conduite des politiques régaliennes. Sachez que nous nous y emploierons.

C’est un partenaire qui occupe une place particulière et qui doit mobiliser ses bras armés pour retrouver son rôle de stratège.

Je conclurai sur deux points.

La politique contractuelle est indispensable. Néanmoins, nous sommes en train de faire le bilan des différents contrats qui existent entre l’État et les collectivités. Nous en sommes à plus de 1 100 contrats différents, le ministère de la culture semblant même être en première position. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut de la contractualisation, mais qu’il faut la simplifier pour y voir clair. Parce que la multiplication de centaines et de centaines – plus de 1 000 ! – de types de contrat n’est quand même pas un très bon exemple.

Contrats de plan, contrats de ruralité, demain contrats de ville moyenne : nous allons poursuivre cette politique de contractualisation, mais en essayant de la simplifier, avec bien sûr le concours des collectivités locales.

Le Président de la République a également annoncé la création d’une agence nationale de cohésion des territoires. Nous y travaillons. Mais il n’est pas question de créer une usine à gaz supplémentaire.

Il existe deux sortes d’usines à gaz : celles qui fabriquent du gaz et celles qui n’en fabriquent pas ! (Sourires.) Essayons de faire des choses simples, qui permettent de déboucher sur des actions. Nous y travaillons et nous aurons l’occasion, dans les prochaines semaines et les prochains mois, de vous faire des propositions dans ce domaine. L’enjeu est d’importance. C’est une nécessité d’avoir des instruments qui permettent d’agir.

Dans votre rapport, vous avez réfléchi et l’État, je vous l’assure, a la volonté d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, pour la réplique.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je dispose d’un temps de réplique théorique de trois minutes, mais le ministre ayant dépassé de dix minutes le temps de parole qui lui avait été attribué par la conférence des présidents, j’imagine que la commission pourrait bénéficier de la même mansuétude… (Sourires.)

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce rapport n’a pas pour objet de dresser un bilan de l’action du Gouvernement, puisque nous l’avons présenté au moment même où ce dernier prenait ses fonctions. Naturellement, il ne pouvait être question d’un bilan !

Il s’agissait bien davantage, en ce début de quinquennat, d’établir un état des lieux et de formuler des propositions pour que la politique d’aménagement du territoire retrouve son importance, en France, et la place qu’elle a perdue depuis un certain nombre d’années.

Parce que nous vous connaissons tous, nous vous savons, à titre personnel, très sensible à ces questions d’aménagement du territoire. Notre objectif n’est donc pas de vous faire des procès d’intention.

Une observation toutefois : dans les propos que vous venez de tenir, je n’ai à un aucun moment entendu que le Gouvernement envisageait de reprendre tout ou partie de nos vingt-six propositions. Je n’ai même pas entendu qu’une seule de nos propositions pourrait susciter, chez lui, un quelconque intérêt.

Il en existe pourtant une – je l’ai citée tout à l’heure à la tribune – qui ne coûterait rien et qui, à mon sens, serait tout à fait pertinente, tant sur le plan des symboles que sur celui de l’efficience. Elle consisterait, lors de la mise en place d’une politique publique ou du vote d’une loi, à systématiquement s’intéresser à l’impact sur l’aménagement du territoire, ce que nous ne faisons absolument jamais.

Je cite un exemple, sur lequel je reviendrai d’ailleurs plus tard : les questions de santé.

Je suis parlementaire depuis bientôt dix ans. Durant cette période, nous avons adopté deux lois sur la santé, l’une à l’époque de Mme Roselyne Bachelot, l’autre à l’époque de Mme Marisol Touraine. Jamais nous ne nous sommes interrogés quant à l’impact de ces mesures sur l’aménagement du territoire, alors que l’accès aux soins, on le sait très bien, est aujourd’hui l’une des principales priorités de nos territoires.

Qu’observe-t-on si l’on regarde les premières mesures du Gouvernement ? Des décisions ont été prises en matière d’accès aux soins, avec un plan censé s’attaquer à la question des déserts médicaux.

Je suis obligé, à cet instant, d’exprimer la déception qui est non seulement la mienne, mais aussi celle d’un grand nombre de mes collègues.

Comme Louis-Jean de Nicolaÿ l’a rappelé, la commission que j’ai l’honneur de présider a manifesté, à plusieurs reprises, sa volonté de voir prendre, dans ce pays, des mesures courageuses et, surtout, efficaces pour lutter contre les déserts médicaux. Or le Gouvernement n’a rien proposé d’autre que ce qui se fait depuis vingt-cinq ans, sans succès : des mesures incitatives !

Vous avez expliqué que les médecins retraités pourraient continuer à exercer. C’est formidable ! C’est déjà le cas !

Vous avez expliqué qu’on allait créer plus de maisons de santé. C’est formidable ! Mais qu’obtient-on lorsqu’on se retrouve avec des maisons de santé vides de médecin, si ce n’est une immense déception et de l’argent public gâché ?

En revanche, vous avez parfaitement raison d’évoquer des difficultés de répartition sur le territoire, monsieur le ministre. Je suis d’accord avec vous : il y a assez de médecins en France ; on n’en a jamais eu autant ! Le problème réside bien dans leur répartition sur le territoire, et le Gouvernement n’ose pas s’y attaquer.

Il ne s’attaque pas non plus à la question de la formation des médecins, lesquels sont formés pour être des praticiens hospitaliers, non des médecins de ville et, encore moins, des médecins de campagne.

Donc on ne peut qu’être déçu, force est de le constater, par cette première politique mise en place par le Gouvernement.

S’agissant du numérique – un sujet que vous avez également évoqué, monsieur le ministre –, le Président de la République a annoncé un objectif de développement d’une couverture haut débit pour tous à l’horizon de 2020. Nous sommes tous assez préoccupés par l’idée que cet objectif viendrait remettre en cause celui d’une couverture très haut débit à l’horizon de 2022 ! Sur cette question, nous n’avons aucune indication.

S’agissant de la téléphonie mobile – nous avons pu constater tout à l’heure, à l’occasion de l’audition du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, menée conjointement avec la commission des affaires économiques que cette problématique était également un sujet de préoccupation sur toutes les travées de cet hémicycle –, le Président de la République s’est engagé à ce que nous ayons tous la 4G en 2020.

Après l’audition de cet après-midi, je suis malheureusement prêt à prendre les paris que, une fois de plus, la désillusion sera grande. Les annonces du Président de la République ne seront pas tenues. En tout cas, non seulement on ne nous donne aucune assurance qu’elles le seront, mais on ne nous dit rien non plus des méthodes que l’on compte mettre en œuvre pour qu’elles le soient.

Tels sont les quelques points sur lesquels je voulais insister, sans être trop long.

Vous avez conclu votre propos en évoquant la nécessité de simplifier les contrats. C’est une bonne idée ! Mais je crois qu’il faut aussi, peut-être même avant tout, simplifier les multiples zonages et schémas qui empoisonnent la vie des élus. Il y en a tellement que, parfois, on ne sait même plus dans quelle situation on se trouve et à quoi on peut prétendre !

Si vous vous attaquez au problème des contrats, examinez aussi cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs des questions disposeront chacun de deux minutes, y compris pour la réplique.

Je rappelle que vingt et un orateurs sont inscrits. Afin de pouvoir lever la séance autour de vingt heures trente, je remercie tous les intervenants de respecter leur temps de parole.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Comptez sur moi pour être bref, monsieur le président. Il faut aller à l’essentiel !

Dans vos propos, monsieur le ministre, vous avez évoqué la première Conférence nationale des territoires, qui s’est tenue, ici même, au Sénat. Le Président de la République y déclarait : « Vous l’avez compris, je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s’organiser mieux, en vue d’une action publique plus efficace. Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l’État aussi, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et pour définir notre territoire de demain. »

Avec ces termes « aménagement du territoire », tout est dit ! Voilà sans conteste, monsieur le ministre, des propos qui donnent le tempo pour un nouvel âge de la politique d’aménagement du territoire et pour le fameux droit d’expérimentation.

Plus près de nous, toujours au Sénat, ce lundi 23 octobre se tenait la Conférence nationale des pôles d’équilibres territoriaux et ruraux et des pays, l’occasion, pour les nombreux participants, de mesurer à quel point notre pays est riche de son unité, mais aussi, et surtout, de sa diversité.

À cette occasion, Mme la ministre Jacqueline Gourault est revenue sur le droit à l’expérimentation, aujourd’hui trop peu utilisé par les collectivités. Elle a rappelé, répondant en cela à l’engagement du Président de la République, combien il était nécessaire de le simplifier, alors même qu’il existe aujourd’hui l’obligation d’une généralisation de ces expérimentations sur tout le territoire au bout de deux ans ou d’un arrêt pur et simple.

Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur les intentions du Gouvernement en la matière et peut-on imaginer que ce droit à l’expérimentation simplifié se transforme, à terme, en droit à la différenciation de l’action publique au regard des spécificités de nos territoires ? (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Effectivement, le Président de la République a annoncé, le 17 juillet, ici même, la volonté de renforcer le droit à l’expérimentation.

Vous connaissez la situation actuelle, mesdames, messieurs les sénateurs. Le dispositif d’expérimentation existe, mais il débouche soit sur un arrêt, soit sur une généralisation à tout le territoire.

Pour mettre en place un cadre institutionnel plus adapté à la diversité de nos territoires – c’est le souhait du Gouvernement –, nous avons saisi le Conseil d’État d’un avis portant sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives à l’exercice de ces compétences. Nous attendons cet avis d’ici à la fin de l’année.

En fonction de cet avis, nous pourrons inclure, dans un projet de révision constitutionnelle – je pense qu’il y en aura une –, cette question qui, jusqu’à présent, a bloqué le développement du droit à l’expérimentation. Bien sûr, dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, nous avons invité les collectivités à exprimer les besoins de différenciation qui sont nombreux et auxquels nous sommes tout à fait attentifs.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte créait les territoires à énergie positive pour la croissance verte – ou TEPCV –, permettant aux territoires à énergie positive – ou TEPOS –, ces initiatives associatives et régionales, de signer une convention avec l’État et de bénéficier de financements publics.

Avec le volontarisme qu’on lui connaît, la précédente ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a signé plusieurs dizaines de conventions depuis 2015, engageant l’État pour un montant prévisionnel de 750 millions d’euros. Cette dynamique est extrêmement positive pour le développement et l’aménagement durable de nos territoires et s’inscrit pleinement dans le cadre du respect des engagements pris lors de l’accord de Paris.

Cependant, une circulaire du ministère de la transition écologique et solidaire du 26 septembre dernier est venue jeter un froid. L’actuel ministre a admis ne disposer que de 400 millions d’euros pour les TEPCV. Plutôt que de négocier une rallonge budgétaire avec Bercy, il a donné des instructions particulièrement strictes aux préfets, le but à peine voilé étant de faire tomber un certain nombre de projets pour vice de procédure et, ainsi, défaire l’État de ses engagements.

Dans mon département, l’Isère, nous estimons que la moitié des projets pourraient ainsi perdre leurs financements.

Ces mesures contraignent, au-delà du raisonnable, même les projets les plus aboutis. C’est d’autant plus regrettable que la plupart des irrégularités aujourd’hui sanctionnées sont dues aux délais imposés par l’État.

Non, les collectivités ne peuvent pas délibérer en quelques jours, entre l’accord de l’État sur leur programme d’actions et l’injonction de monter à Paris pour signer la convention !

Vous parliez d’État facilitateur, monsieur le ministre… Je pose la question : l’État va-t-il une nouvelle fois accroître le ressentiment des collectivités locales à son égard, en réalisant des économies de courte vue, et ce dans un domaine aussi essentiel que la transition énergétique et l’aménagement du territoire, dont votre gouvernement a pourtant fait une priorité absolue ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous faites état d’une circulaire datant de la fin du mois de septembre, monsieur le sénateur. Ce matin encore, je me suis entretenu de ce dossier avec le ministre d’État, M. Nicolas Hulot. Ce dernier m’a indiqué qu’il examinait la situation, département par département.

Vous avez évoqué un respect, peut-être strict, des obligations. Je crois qu’il ne faut pas confondre État facilitateur et non-respect des dispositions prévues.

Je suis donc intervenu personnellement auprès du ministre d’État pour lui signaler les difficultés qui remontaient des territoires. À cet égard, j’examinerai bien sûr avec intérêt la situation du département de l’Isère.

Sachez, monsieur le sénateur, que j’ai parfaitement conscience du problème, mais les règles fixées seront appliquées, ce qui, me semble-t-il, ne nous empêchera pas de trouver des solutions qui vous donneront satisfaction.

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.

M. Michel Dagbert. Le 7 mars dernier, monsieur le ministre, l’État signait en présence de Bernard Cazeneuve, alors Premier ministre, l’Engagement pour le renouveau du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais.

On dénombre onze collectivités, dont la région des Hauts-de-France, les départements du Nord et du Pas-de-Calais, et huit EPCI signataires de ce contrat de développement, qui les engage pour dix ans.

Ce contrat partenarial d’intérêt national trouve sa légitimité dans les caractéristiques sociales et économiques de ce territoire, caractéristiques découlant directement de l’arrêt de la production des houillères en 1990.

Le taux de pauvreté sur ce territoire de 1,2 million d’habitants est supérieur de 60 % à la moyenne nationale. Le taux de chômage oscille entre 15 % et 16 %. L’espérance de vie est inférieure de six ans à la moyenne de l’Île-de-France. Ces quelques chiffres parlent d’eux-mêmes !

La solidarité nationale à l’égard du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais est un impératif, une condition nécessaire pour que celui-ci puisse se projeter dans l’avenir et pour que ses habitants reprennent espoir. Ce n’est rien de moins que la question de la cohésion territoriale qui se joue là, pour 20 % de la population des Hauts-de-France.

Aussi, monsieur le ministre, il est temps pour l’État de revenir vers les onze collectivités signataires du contrat et de confirmer ses engagements, de les « affermir », pour reprendre l’euphémisme administratif récemment entendu.

Qu’en est-il des 100 millions d’euros promis par l’État pour doubler le rythme de rénovation des passoires énergétiques que sont les logements miniers ?

Qu’en est-il des 200 millions d’euros du fonds d’investissement en faveur de l’équipement du territoire ?

Qu’en est-il, enfin, de la création de zones d’attractivité économique sur 90 % des communes du bassin minier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Je tiens à vous dire, monsieur le sénateur, que l’État respectera ses engagements.

C’est en tenant compte des problèmes spécifiques que vous avez rappelés que le Premier ministre Bernard Cazeneuve – vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’estime que j’ai toujours eue pour lui – a cru devoir signer ce contrat. Mais aucun financement n’était prévu en face !

Néanmoins, j’étais présent à Amiens quand le Président de la République est revenu sur le dossier Whirpool. Il s’est exprimé devant les élus de la région, en indiquant très clairement que l’État respecterait les engagements pris sur le bassin minier. Cela inclut la désignation du délégué interministériel, les 23 000 logements à réhabiliter et les projets de zones franches.

J’y insiste, les engagements seront tenus, dans la limite des dotations dont nous disposons, comme cela a été réaffirmé lors de la récente visite du Président de la République à Amiens.

Je tiens à rappeler ce fait, qui concerne de nombreux dossiers : les signatures sont une chose, mais l’exécution n’est pas forcément simple quand aucun financement n’a été prévu ! Dans le cas présent, nous trouverons une solution, car nous tenons à respecter l’engagement pris.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. L’aménagement du territoire est plus que jamais une nécessité pour les territoires ruraux, dont l’avenir est très inquiétant.

Premier point, l’agriculture – notamment d’élevage – a perdu les deux tiers de ses emplois en vingt ans et se trouve en grande difficulté.

Je souhaite que les états généraux de l’alimentation aboutissent à des solutions concrètes pour que les agriculteurs ne vendent plus leurs productions au-dessous du prix de revient. Je souhaite, outre les aides existantes, une intervention au niveau assurantiel de la politique agricole commune, la PAC, lorsque les prix sont trop bas.

Deuxième point, les territoires ruraux sont confrontés au défi majeur des déserts médicaux.

L’absence de médecins condamne les territoires à la désertification, compromet le retour des retraités et l’implantation des jeunes, condamne le tourisme, l’économie, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD – et les pharmacies.

Même si des mesures sont déjà prises, comme le développement des maisons de santé, l’instauration d’incitations financières – pour l’instant sans succès – ou la mise en œuvre, par Mme le ministre des solidarités et de la santé, de nouvelles actions pragmatiques, comme la collaboration entre secteur public et secteur privé, l’alternance entre emploi et retraite, le temps médical ou les consultations avancées, je pense qu’il faudra aller plus loin.

Il faudra par exemple envisager un non-conventionnement des médecins s’installant dans les zones hyperdenses et une augmentation du numerus clausus.

À l’avenir, l’État devra s’engager pour assurer sur tout le territoire, donc en milieu rural, les soins de premier recours, avec, notamment, l’objectif d’un médecin dans chaque maison de santé.

Troisième point, nous devons mieux soutenir l’économie en milieu rural. C’est une urgence !

Il existe actuellement des zones de revitalisation rurale, mais elles n’ouvrent droit à des exonérations que sur les cinq premières années d’installation.

Il serait pertinent, pour aménager les territoires ruraux, d’instaurer de véritables zones franches et un principe d’« emplois francs », comme le Gouvernement l’a prévu dans certains secteurs, avec un sous-préfet « développeur » qui participerait et suivrait les dossiers viables avec le département et la région.

Quatrième point, la question du service public – cela a été souligné pour le cas particulier du numérique – est absolument capitale, et ce dans tous les domaines, à commencer par la médecine.

Il convient de développer la téléphonie mobile, les maisons de service public et, de manière générale, tous les services publics, ainsi que de renforcer les bourgs-centres.

Cinquième point, il faut développer les centrales hydroélectriques sur plusieurs rivières, avec, notamment, une prorogation des concessions EDF, qui peuvent apporter une production complémentaire importante. Je pense à un projet comme celui de Redenat, en Corrèze, qui est équivalent à un projet de centrale nucléaire.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous faire part des propositions, je l’espère volontaires, que le Gouvernement entend formuler pour œuvrer au maintien de la vie en milieu rural et enrayer la désertification.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. En à peine deux minutes trente, monsieur le sénateur Chasseing, vous avez formulé cinq propositions. Je salue cet exploit, même si je vous sais toujours constructif ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Cela démarre mal !

M. Jacques Mézard, ministre. Dans mon intervention liminaire, j’ai déjà donné un certain nombre de réponses à vos questions – vous êtes d’ailleurs souvent intervenu en ce sens dans cette assemblée.

Votre question sur les déserts médicaux me permettra, d’une certaine façon, de répliquer à la réplique, qui était préparée…

Je dirai donc que les décisions prises par Mme le ministre des solidarités et de la santé représentent, pour une bonne partie d’entre elles, un réel progrès, que ce soit le développement des consultations avancées, l’accélération du recours à la télémédecine, la multiplication, avec financement, des stages chez les médecins libéraux, l’encouragement du cumul emploi et retraite des médecins libéraux, la question des exercices partagés, sur laquelle le Gouvernement a formulé des propositions nouvelles, ou encore la généralisation du contrat de médecin adjoint.

J’ai déjà répondu à une question d’actualité au Gouvernement sur le sujet. Vous considérez qu’il faut aller plus loin ; je l’entends et le Gouvernement y réfléchit. La désertification médicale dans les territoires constitue effectivement un dossier extrêmement important.

Le temps me manque pour répondre aux quatre autres questions, y compris à votre interrogation sur l’hydroélectricité. Celle-ci présente un intérêt certain en tant qu’énergie renouvelable, mais vous savez que de tels projets engendrent de très nombreux recours juridiques. C’est d’ailleurs systématiquement le cas lorsqu’on lance un projet d’énergie renouvelable dans ce pays, où la question est avant tout de diminuer le nombre des recours et, à tout le moins, d’en accélérer le traitement juridique.

Je ne pourrai pas m’exprimer sur les propositions restantes, mais je ne résisterai pas au plaisir de vous répondre, monsieur le sénateur, par écrit.

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Lors de la Conférence nationale des territoires, le Président de la République a souligné que la France rurale, la France des villes moyennes qui veut aujourd'hui réussir porte une logique de projets, exigeant une logique d’agence.

Les territoires ruraux, mais aussi périurbains et urbains, sont effectivement des territoires de projet dynamiques et pleins d’initiatives, en demande de financements et, surtout, d’ingénierie.

Monsieur le ministre, la préfiguration de la future agence nationale de la cohésion des territoires est-elle arrêtée ? Quelle forme aura cette structure ? Quelle sera sa composition ? Quelles seront ses missions ? Quel maillage territorial assurera-t-elle ? Surtout, quels seront ses moyens ? Aura-t-elle autorité sur les comités interministériels et sur la préparation de l’ordre du jour ? Sera-t-elle constituée sur le modèle de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, pour la politique de la ville ? Ou tout simplement, sera-t-elle une nouvelle délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, une nouvelle DATAR ?

Vous affirmez votre volonté de renouer avec un État stratège, ce que souhaite également la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, de redonner son sens à la politique d’aménagement du territoire et de mettre en place une politique de rééquilibrage des territoires. Ce sont autant de questions qui préoccupent les territoires ruraux, en particulier face au phénomène de métropolisation de notre pays et à ses conséquences en termes de fractures territoriales. Bien entendu, ceux-ci comptent sur votre détermination.

En résumé, pouvez-vous nous parler de cette future agence chargée de l’aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous connaissez bien les territoires ruraux, monsieur le sénateur Vall, pour y exercer des fonctions d’élu local, et je salue, au passage, les efforts que vous avez fournis pour mettre en place un contrat de réciprocité utile avec la métropole de Toulouse.

Votre question porte sur l’agence nationale de la cohésion des territoires, sur laquelle nous travaillons actuellement. Je l’ai dit tout à l’heure, le dossier n’est pas définitivement bouclé. Nous devons trouver un système simple – nous y travaillons ; il s’agit non pas de recréer une structure lourde, mais de disposer d’un instrument facilitant l’action de nos collectivités locales, en particulier dans les secteurs ruraux, les petites villes et les villes moyennes, qui manquent souvent d’ingénierie.

Certaines collectivités ont évidemment les moyens d’avoir une ingénierie lourde. Mais il émane d’un nombre important de collectivités une demande portant sur une ingénierie que l’État peut mettre à leur disposition, en regroupant ses moyens. Nous travaillons dans ce sens.

Nous sommes également en pleine réflexion avec la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, pour une mobilisation plus importante de ses moyens sur ces sujets. Les moyens humains existent, mais les moyens financiers peuvent être bien davantage mobilisés. Dans ce domaine, je pense pouvoir délivrer des annonces très positives d’ici à la fin de l’année.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Notre débat sur le thème : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » arrive à point nommé !

Doucement, mais sûrement, s’est insinuée l’idée que les compétences, les énergies, les forces vives de certains territoires pouvaient partir vers d’autres territoires, faute d’un aménagement suffisant en termes d’infrastructures, d’équipements ou de services publics ou privés.

Nous avons vu grandir, s’affirmer le sentiment de déclassement et prospérer l’idée d’une France à plusieurs vitesses, se traduisant par autant de fractures territoriales, avec une myriade de territoires dont les habitants et les élus ont de plus en plus de mal à ne pas céder au découragement ou à la résignation, quand ce n’est pas à l’exaspération.

L’aménagement du territoire relève pourtant prioritairement de la responsabilité de l’État, qui doit organiser, dans le cadre de la République décentralisée, des relations confiantes et bien articulées avec et entre les collectivités.

La décentralisation doit signifier non pas désengagement progressif de l’État, mais « mieux d’État » !

En se désengageant toujours plus de sa mission d’aménagement du territoire, en termes tout autant de vision que d’ingénierie, l’État a fini par laisser de nombreux territoires démunis. Or nous nous noyons encore beaucoup trop souvent sous un foisonnement de dispositifs et de politiques qui s’additionnent et se multiplient, finissant par créer de la division entre les territoires, là où il y a besoin de fluidité et d’efficacité.

Ma question, monsieur le monsieur, est double. Quels sont les défis auxquels la politique d’aménagement du territoire du Gouvernement entend répondre ? Pensez-vous pouvoir conduire une politique publique efficace et cohérente dans ce labyrinthe d’acteurs et d’outils ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur Husson ! Je partage totalement votre analyse : les dispositifs sont beaucoup trop nombreux ; c’est beaucoup trop compliqué !

D’ailleurs, vous ne m’empêcherez pas de sourire quand, parfois, j’entends ceux qui ont voté un certain nombre de lois de complexification considérer, aujourd’hui, qu’une simplification s’impose !

Mais il faut être efficace et, donc, nous travaillons à simplifier les dispositifs.

Je l’ai souligné tout à l’heure, nous avons déjà répertorié plus de 1 100 dispositifs de contractualisation. Ce n’est pas raisonnable !

Simplifier et fluidifier, c’est déjà un rôle essentiel pour un État stratège, et je vous assure que nous nous attaquons au sujet.

Il ne s’agit pas de créer constamment, à la fois, de nouveaux dispositifs et de multiples instruments, pour aboutir, in fine, à une trop grande complexité.

Nous avons vécu, au cours des dernières années, la création de nombreux schémas, certains prescriptifs, d’autres non prescriptifs. Ils consomment un temps considérable. Je ne nie pas l’utilité de certains d’entre eux – ceux qui fixent de réels objectifs –, mais je ne suis pas sûr que le temps consacré par nos élus et les agents de nos collectivités à ces schémas soit toujours parfaitement employé.

Simplifier, c’est d’ailleurs aussi simplifier la mise en place de schémas, tels que les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, ou la construction des différents contrats.

En tout cas, monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre observation et sachez que nous travaillons et continuerons de travailler en ce sens. Tout cela n’est plus lisible pour nos concitoyens ; souvent, cela ne l’est même plus pour les élus locaux, qu’il s’agisse de dispositifs engageant l’État et les collectivités ou les collectivités entre elles !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, le chamboulement territorial ininterrompu intervenu depuis 2010 laisse parfois penser que les gouvernants passaient plus de temps à organiser le déménagement de et dans nos territoires que l’aménagement de ceux-ci… Le défi, aujourd’hui, est de changer de braquet pour redonner force, vitalité, confiance et fierté à tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez comme moi, dans nos départements ruraux, le service public tient une place essentielle dans l’aménagement des territoires et son équilibre. Il contribue à structurer le territoire par une présence visible.

Or, depuis quelques années, entre les réformes territoriales, les transferts de compétences, les regroupements de collectivités territoriales et, surtout, les baisses budgétaires, le service public disparaît peu à peu de nos communes et de nos cantons : tribunaux, maternités, gendarmeries, trésoreries, centres de secours, services territoriaux, médicaux, postaux, bancaires, entre autres. On centralise des services qui étaient présents sur les territoires sans anticiper les fermetures et, surtout, sans concertation avec les élus.

Ce mouvement engendre deux conséquences principales. D’abord, un éloignement du service public pour les citoyens. Ensuite, à moyen terme, un exode des employés des différentes structures.

Ce déplacement de personnels vers des zones plus denses aboutit à des pertes indirectes pour nos territoires. Ces agents, en effet, ne partent pas tous seuls ; ce sont aussi leur famille et leur pouvoir d’achat qui migrent. Résultat : les élèves sont moins nombreux dans les écoles, les commerces perdent des clients et c’est toute une vie locale qui s’essouffle, ce qui anéantit bien souvent les efforts mis en œuvre localement pour dynamiser les communes rurales. C’est une véritable fuite en avant : la moyenne d’âge des populations concernées ne cesse de progresser, tandis que, parallèlement, le potentiel fiscal ne cesse de diminuer.

Cet engrenage contribue donc à rendre certains territoires moins attractifs. Aider les entreprises et soutenir les investissements économiques devient alors plus complexe.

Pour toutes ces raisons, il me semble indispensable de maintenir le service public dans tous nos territoires ; et, surtout, d’intégrer que notre pays n’est pas uniforme : la France est diverse ! Il convient que l’État apporte sa contribution à cette diversité, qui ne peut pas fonctionner uniquement avec des statistiques.

Il est urgent d’imaginer des règles fiscales et sociales pour ceux qui animent nos territoires ruraux, comme, il y a quelques années, les zones de revitalisation rurale, qu’il convient de reconduire, voire de réactualiser.

Avec des critères bien déterminés, une solution pourrait résider dans la création de zones franches rurales garantissant une défiscalisation totale ou partielle aux entreprises s’installant dans nos territoires défavorisés. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Luche, vous n’avez pas eu le temps de poser précisément votre question… Vous avez fait une déclaration programmatique à laquelle je peux souscrire, mais qui découle d’une constatation : les services publics se sont beaucoup retirés des territoires ruraux. Là aussi, chacun pourrait en prendre pour son grade si l’on considère les quinze dernières années…

Nous connaissons bien la situation des services publics de l’État, y compris dans les préfectures des départements ruraux. Nombre d’agents leur ont été retirés, au point que le fonctionnement même des services déconcentrés de l’État est parfois compromis par l’insuffisance des agents. Dans un département petit ou moyen, retirer deux ou trois agents à un service qui en compte quatre pose de réels problèmes…

Nous sommes sensibles à ces questions, par exemple dans le domaine de l’éducation : je crois en effet que la rentrée scolaire s’est passée dans de bonnes conditions, après des années où, dans nos territoires ruraux, nous avons vécu le drame de la carte scolaire. Les choix du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont paru frappés au coin du bon sens pour les territoires ruraux.

Vous avez parlé, monsieur le sénateur, des zones de revitalisation rurale – un sujet sur lequel, je pense, d’autres orateurs m’interrogeront également. Ce dispositif a fait la preuve de son utilité, mais devra être revu ; nous allons y travailler dans les mois qui viennent. Je répondrai plus précisément aux orateurs qui m’interrogeront après vous, mais sachez que je suis tout à fait d’accord avec les propos que vous avez tenus.

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ de leur travail, qui rappelle l’urgence de retrouver le chemin d’une politique volontariste, comme l’a dit M. le ministre, pour la constitution d’un État aménageur. Le législateur doit travailler pour que l’aménagement du territoire cesse d’être le parent pauvre des politiques publiques !

Il y a un chantier auquel je tiens et sur lequel le Sénat entend bien apporter des réponses : la revitalisation de nos centres-villes et centres-bourgs.

Nos territoires connaissent un affaiblissement croissant en matière d’attractivité économique, caractérisé principalement par une importante désertification commerciale et une forte augmentation des locaux commerciaux et des logements vacants. Ce problème est devenu une question de société de première importance, car il est perceptible dans la quasi-totalité des villes moyennes et des bourgs de France.

C’est pourquoi, sous l’égide du président Gérard Larcher, nous nous sommes saisis du sujet au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de la délégation sénatoriale aux entreprises. Depuis mai dernier, nous avons déjà formulé plusieurs pistes de réflexion, que nous allons approfondir et que le Gouvernement, j’espère, prendra en compte.

Ainsi, nous avons suggéré, dans notre rapport publié en juillet dernier, d’envisager un moratoire national sur les implantations commerciales en périphérie, ou des moratoires locaux, ou encore des seuils d’alerte, puis de blocage en cas d’implantations trop nombreuses sur des aires géographiques données. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à réfléchir avec le Sénat sur ces pistes ?

Par ailleurs, sur le plan financier ou sur le plan de l’équilibre territorial, comment imaginez-vous des compensations financières ou fiscales au profit des centres-villes pour enrayer ce phénomène ? Seriez-vous prêt, par exemple, à mettre en place des zones franches en centre-ville ?

Enfin, comment envisagez-vous l’agence nationale de la cohésion des territoires annoncée par M. le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Pointereau, j’ai bien entendu vos questions et vos souhaits.

Je le répète, nous présenterons un plan spécifique pour les villes moyennes, en vue de mener une action forte dans le cadre d’un plan sur cinq ans ; nous ne pourrons pas retenir toutes les villes moyennes dès la première année, mais nous en prendrons un certain nombre chaque année. Des moyens financiers seront prévus pour aider ces villes à revitaliser leur centre et à intervenir massivement sur le logement en centre-ville.

Je suis sensible aussi à la question, que vous avez soulevée, de la vitalité commerciale. L’idée d’un moratoire sur les équipements commerciaux revient périodiquement. Je n’ai pas d’a priori sur la question, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à un média quotidien, mais je crois, comme nombre d’entre vous, à l’intelligence territoriale et à la nécessité de faire évoluer le système en laissant la responsabilité aux élus et aux exécutifs locaux. Il y a là un réel problème, auquel nous allons réfléchir avec vous, sans aucun a priori contre les propositions que vous avancez.

En cohérence avec cette action en faveur des villes moyennes et, surtout, des centres des villes anciennes, 1,2 milliard d’euros du grand plan d’investissement seront alloués à l’Agence nationale de l’habitat pour des opérations de rénovation.

Vous ne m’avez pas posé la question de l’avis conforme des architectes des bâtiments de France ; c’est un autre débat, que les élus locaux connaissent bien. Je pense que nous laisserons les choses en l’état, mais il faudra faciliter tous les projets de reconstruction dans les villes moyennes pour relancer ensemble une dynamique.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement travaillera en concertation avec le Sénat ; je crois que nous avons la même approche en ce qui concerne la nécessité de consacrer rapidement des moyens aux villes moyennes. J’ajoute, même si vous ne m’avez pas interrogé à ce sujet, que les crédits du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, seront maintenus et davantage fléchés dans cette direction.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur les mobilités dans les zones périurbaines, dans cette France périphérique dont parle souvent le géographe Christophe Guilluy.

Plusieurs rapports ont fait état de la dépendance réelle à l’automobile dans ces territoires périurbains et de ses conséquences sur l’exclusion de certains groupes : les handicapés, les personnes âgées, les jeunes et les ménages les plus défavorisés.

Cette dépendance accentue les inégalités sociales ; elle freine les parcours professionnels et notre économie. En effet, certaines entreprises peinent à recruter pour cette raison. D’autre part, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental, un jeune sur trois en campagne n’a pas assisté à un entretien d’embauche faute de moyen de transport, et l’on estime à 7 millions le nombre de personnes en âge de travailler touchées par des problèmes de mobilité.

Bien sûr, les innovations se font souvent dans les métropoles ou les agglomérations, où le marché est pertinent, avec une population dense, aux comportements souples et une gouvernance mieux adaptée. Pourtant, les alternatives à la voiture dans les territoires périurbains sont une véritable urgence : elles doivent être accessibles à tous, à tout moment et à moindre coût. Je pense notamment à l’autopartage, au covoiturage et au transport à la demande.

Ce débat se double aussi de l’urgence environnementale, qui doit nous amener à conduire une réflexion globale sur la question des déplacements dans les zones périurbaines et rurales.

Aujourd’hui, les infrastructures n’existent pas dans les territoires périurbains pour répondre à tous ces défis. Bien sûr, ce ne sont pas forcément de grandes infrastructures, coûteuses, dont nous avons besoin ; nous savons pertinemment que nous n’aurons pas de lignes de tramway, de lignes express ou de TER.

Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour accompagner les collectivités territoriales dans ces chantiers, qui concernent à la fois la coordination entre différentes autorités décisionnaires et la création d’infrastructures adaptées à nos territoires ? (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Rambaud, vous soulevez un véritable enjeu de société. Aujourd’hui, en effet, la question des nouvelles mobilités est fondamentale. Au reste, elle ne se pose pas forcément de la même manière dans les territoires très ruraux et dans les territoires périurbains dont vous avez parlé.

Je suis de ceux qui pensent que les mutations technologiques vont permettre des évolutions considérables dans les années qui viennent. Ainsi, on ne parle pas assez aujourd’hui de voitures autonomes, mais nous y sommes ! D’ici à la fin de ce quinquennat, des mutations technologiques seront apparues qui faciliteront notre travail pour adapter la mobilité dans ces territoires.

Vous avez parlé de covoiturage et de la nécessité de relier les territoires sans faire de gros investissements.

Nous constatons dans certains territoires, à commencer par la périphérie parisienne, qu’entre des communes mitoyennes, mais très différentes sur le plan sociologique, les demandeurs d’emploi rencontrent des difficultés pour se déplacer. Il y a là un véritable enjeu de société, d’autant que 40 % de nos concitoyens vivent en dehors des périmètres de transport urbain. Cette question est d’ailleurs au cœur des débats des assises de la mobilité lancées par le Gouvernement.

En concertation avec les collectivités territoriales, nous devons changer de paradigme pour mettre en place de nouvelles mobilités ; nos concitoyens en sont tout à fait conscients, et le demandent.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, il y a quelque temps, dans cet hémicycle, un sénateur du Cantal que vous devez connaître rappelait que « le trajet Aurillac-Paris dure, selon les jours, entre six heures deux minutes et dix heures trente »… (Sourires.) « Parfois – poursuivait-il –, une partie du trajet s’effectue en bus : c’est le progrès ! » Et de constater : « C’est en tout état de cause une demi-heure de plus, dans le meilleur des cas, que voilà vingt-cinq ans ».

Pour être sûr qu’on ait bien compris, le même ajoutait que, en 1905, un train de nuit direct reliait Aurillac à Paris, alors que, en 2013, il fallait aller chercher un train de nuit en autocar jusqu’à Figeac pour espérer rejoindre Paris neuf heures quarante plus tard. « Magnifique progrès en deux Républiques et 105 ans », concluait-il, avant d’ajouter : « Je ne doute pas que, le changement étant maintenant, nous allons réduire ce temps de trajet »…

Le changement n’étant plus maintenant, et néanmoins en marche (Nouveaux sourires.), et le cas d’Aurillac résumant bien la situation de pans entiers du territoire et de nombreuses villes moyennes, comment comptez-vous redresser cette situation calamiteuse, pour ne pas dire scandaleuse ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Collombat, je reconnais bien là votre sens de l’humour… Contrairement à beaucoup d’autres, je ne renie jamais mes déclarations et je reste fidèle à mon engagement politique. Ce que j’ai dit ici même à plusieurs reprises, je le maintiens : il y a dans notre République des territoires qui ont été complètement oubliés !

Les chiffres que vous avez cités, et que j’avais plusieurs fois indiqués, correspondent à la réalité ; je la subis chaque semaine quand je rentre dans mon département.

Remarquez que le Gouvernement n’a pas fondé sa politique sur le mot « changement » : nous sommes en marche. Je souhaite néanmoins qu’on ne relie pas Aurillac à Paris à pied… (Sourires.)

Voyez-vous, la ministre des transports sera à Aurillac le 6 novembre, parce que j’ai attiré son attention sur les difficultés, non pas seulement de mon territoire, mais de tous les territoires excentrés et oubliés.

Dans le Massif central, trois départements qui se touchent ont donné quatre chefs de l’État à la Ve République. Je ne peux pas dire que le désenclavement de nos territoires en ait beaucoup profité ! C’est un constat qui concerne toutes les travées de cet hémicycle…

M. Pierre-Yves Collombat. À quelques exceptions près !

M. Jacques Mézard, ministre. Pas beaucoup ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Très concrètement, on ne peut pas tout avoir ni tout développer, mais il faut que nous opérions des choix qui assurent aux habitants de ces territoires au moins un bon moyen de désenclavement, qu’il s’agisse du train, de la route ou de l’avion. Nous n’y sommes pas, mais sachez que, pour bien connaître le sujet, j’attire régulièrement l’attention de Mme le ministre des transports sur la nécessité de ne pas penser seulement à la desserte des métropoles, comme on l’a fait pendant une vingtaine d’années.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la réplique.

M. Pierre-Yves Collombat. Le problème, monsieur le ministre, ce n’est pas vous ! À entendre, notamment, la ministre des transports, qui entend ouvrir les TER à la concurrence et supprimer les arrêts TGV dont bénéficient actuellement un certain nombre de villes moyennes, je crains que vous ne manquiez de soutien au sein du Gouvernement…

« Pour faire un parallèle avec l’aérien, on ne dessert pas Brive avec un A380 » : voilà ce que vient de déclarer votre collègue, dans un résumé méprisant d’une certaine philosophie de l’aménagement du territoire.

Vous, monsieur le ministre, répétez qu’il ne faut pas opposer le rural et l’urbain. Dont acte. Mais je constate que d’autres le font !

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, en matière de téléphonie mobile, la définition des zones blanches semble totalement erronée et inappropriée.

À titre d’exemple, en 2018, une seule commune de la Haute-Garonne sera définie comme une zone blanche au sens de l’ARCEP, c’est-à-dire une commune « dont le centre-bourg n’est couvert par aucun opérateur de réseau mobile ». Or de gros problèmes de téléphonie se posent dans les deux tiers du département, où il est difficile, voire impossible, de passer un coup de fil dans des conditions normales…

Le groupe Union Centriste avait d’ailleurs fait adopter un amendement à cet égard dans le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Il s’agissait de qualifier à l’échelon de zone blanche les communes dont le territoire n’était couvert par aucun opérateur à plus de 25 % ni la population couverte par aucun opérateur à plus de 10 %. Cette disposition n’a pas survécu à la commission mixte paritaire, ce que nous regrettons vivement.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a auditionné ce matin M. Soriano, président de l’ARCEP, au cours d’une séance de doléances collectives. J’espère que notre interlocuteur a entendu la grogne qui monte des territoires, car nous en avons assez de nous faire promener !

Si les opérateurs semblent toujours très satisfaits, et même plus encore, la réalité du terrain est bien différente, parfois insupportable. Il va sans dire que c’est un obstacle immense au développement de nos territoires en matière d’implantation d’entreprises et d’habitat en zone rurale.

Monsieur le ministre, il est impératif de modifier les critères et les méthodes de mesure de la couverture pour disposer enfin d’un recensement conforme à la réalité du terrain. L’incitation et les supplications ayant échoué, il est nécessaire que l’État fasse preuve de beaucoup plus de fermeté pour imposer aux opérateurs privés la couverture en 3G ou 4G de l00 % de la population.

Pour cela, il faut revoir les contrats d’exploitation des licences avec les opérateurs. Nous savons que vous êtes isolé au milieu de technocrates qui planchent sur la cohésion de territoires si lointains pour eux, mais cette révision se fondera-t-elle enfin sur des engagements opposables et sanctionnables, seuls susceptibles de concrétiser cette promesse du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Médevielle, mon isolement est relatif : je vous confirme que le Gouvernement a demandé officiellement à l’ARCEP de définir un nouveau référentiel de couverture mobile.

En effet, nous en avons tous assez d’entendre parler des zones blanches ou des zones grises en sachant que des communes sont considérées comme desservies quand le réseau passe devant la mairie, mais que tout autour le portable ne passe pas… Tous ceux qui viennent de ces territoires connaissent la situation. Il était donc indispensable de remettre les pendules à l’heure – vous me passerez l’expression.

Le travail que nous avons demandé à l’ARCEP sur la desserte réelle de nos concitoyens est en cours ; vous trouverez déjà de nombreuses informations sur le site internet de cette institution. Pour pouvoir avancer, il faut impérativement que nous sachions exactement, dans chaque commune, qui est desservi et qui ne l’est pas.

Notre objectif, je l’ai déjà rappelé : le bon débit pour tous en 2020, avec la 4G partout et pour tous. On peut, bien sûr, dire que nous n’y arriverons pas. Qu’on nous laisse au moins le temps d’essayer ! Je vous assure en tout cas que c’est un objectif prioritaire. Il peut peut-être arriver qu’un gouvernement réussisse là où d’autres n’ont pas réussi…

La situation que vous avez décrite, monsieur le sénateur, résulte de tout ce qui n’a pas été fait depuis dix ans, par les uns et par les autres, par nous tous. Nous allons, nous, essayer d’atteindre notre objectif : je vois le sourire dubitatif du président de la commission, mais peut-être le Gouvernement réussira-t-il sur des dossiers où d’autres ont échoué dans les années précédentes ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Hervé Maurey, président de la commission. Nous ne souhaitons pas autre chose !

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le ministre, ma question concerne le logement social en milieu rural.

Je ne vous interrogerai pas sur la baisse des APL et ses incidences sur les bailleurs sociaux intercommunaux ou départementaux dans les départements ruraux que vous connaissez comme moi. Je ne vous interrogerai pas non plus sur la disparition du prêt à taux zéro. Je parlerai des conséquences des fusions de communes en matière de logement social.

Depuis un peu plus d’un an, la fusion de communes est encouragée, ce qui est très bien. Or, dans un certain nombre de départements ruraux – le mien, la Dordogne, est particulièrement rural –, des communes nouvelles voient le jour qui, regroupant dix communes de 1 000 habitants ou six de 1 500 habitants, atteignent 8 000 à 10 000 habitants, ce qui les soumet à l’obligation de satisfaire aux exigences de l’article 50 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, c’est-à-dire de construire 20 % de logements à caractère social.

Le problème, c’est que ces communes gardent des caractéristiques très rurales et qu’il n’y a pas de bourg-centre. Dès lors, comment fait-on ? Je vous ai déjà interrogé sur ce sujet, monsieur le ministre, et vous m’avez répondu que vous y réfléchissiez. J’espère que cette réflexion avance et qu’elle est partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Sans entrer dans la polémique, monsieur le sénateur Bérit-Débat, c’est la conséquence des lois que vous avez votées…

M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait ! D’ailleurs, vous aussi !

M. Jacques Mézard, ministre. Ce n’est du reste pas une critique, mais une constatation.

Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il faut détricoter la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Alors que de nombreuses communes ont réalisé des efforts considérables, remettre en cause le principe fixé par la loi sur le pourcentage de logements sociaux serait un très mauvais signal.

Nous allons essayer de résoudre la difficulté que vous soulevez en liaison avec les préfets, qui se prononcent sur les éventuelles constatations de carence au terme d’une procédure qui fait intervenir une commission régionale et une commission nationale. J’y suis personnellement sensible, parce que cette conséquence des fusions n’avait pas forcément été prévue au départ.

L’échéance fixée est 2025. Aujourd’hui, on est sur le bilan pour la période 2014-2016. Ensuite viendra le bilan pour la période 2017-2019. Je pense que c’est à ce moment-là qu’il faudra apprécier la possibilité d’un rattrapage. En tout cas, nous donnons instruction aux préfets de tenir compte de cette difficulté.

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour la réplique.

M. Claude Bérit-Débat. Je ne remets en cause ni le dispositif sur la fusion de communes, voulu par l’Association des maires de France et défendu par l’ancien président de celle-ci, ni la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Simplement, je soulève la difficulté qui se pose dans certaines communes récemment fusionnées qui conservent des caractéristiques très rurales. Il faut en tenir compte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule à ma question, je souhaite évoquer l’adoption, en 2012, d’une proposition de résolution du groupe du RDSE relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires.

Monsieur le ministre, lorsque vous présidiez ce groupe et que vous siégiez parmi nous au sein de la Haute Assemblée, vous aviez alors déclaré qu’il fallait revenir à une certaine planification nationale, car « seul l’État peut avoir une vision globale et stratégique, ainsi que les moyens nécessaires pour mettre en œuvre l’égalité des territoires de manière concertée avec les collectivités locales ». Je partage tout à fait votre point de vue.

C’est en partie la logique poursuivie par les contrats de ruralité – pendant des contrats de la politique de la ville –, dont la création par votre prédécesseur répondait à un besoin de coordination et de lisibilité des actions mises en œuvre dans les territoires ruraux.

L’Assemblée des communautés de France constate une hétérogénéité des contenus et de la qualité des contrats. Certaines collectivités qui s’attellent à élaborer une stratégie approfondie pour leur territoire et prennent le temps de la réflexion craignent de ne pas pouvoir bénéficier de ces fonds.

Si la dotation de soutien à l’investissement local a été pérennisée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 – je vous en remercie, monsieur le ministre, c’est une très bonne chose –, un décret d’avance du 20 juillet dernier a procédé à la suppression de 106 millions d’euros en autorisations d’engagement du programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire ». Cela constitue une source d’inquiétude pour les élus locaux. Aussi, je m’interroge sur la pérennité à long terme des moyens octroyés aux contrats de ruralité et sur l’avenir de ce dispositif. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur Requier, votre question est intéressante. À ce propos, je vous remercie d’avoir cité les excellents propos que j’ai tenus ici. (Sourires.)

M. Claude Bérit-Débat. Comme d’habitude !

M. Jacques Mézard, ministre. Au 1er octobre, 480 contrats de ruralité ont été signés. Nous avons tenu à ce que les engagements de l’État puissent être honorés. C’est important pour la poursuite de ces contrats. Nous avons aussi tenu, je tiens à le rappeler, au maintien des enveloppes DSIL et DETR au niveau de 2017, qui était le plus élevé. C’est sur ces enveloppes que pourront continuer à être financés les contrats de ruralité. Je ne reviendrai pas sur l’approche qu’une association d’élus a retenue de leur contenu. Ce qui importe, c’est que ces contrats continuent à être financés dans de bonnes conditions. Tel sera le cas.

Vous avez parlé d’annulation de crédits. Tout gouvernement y recourt tous les ans. Cette année, ce fait a donné lieu à des débats plus nourris. Et nous nous y sommes engagés, en 2018, aucune annulation de crédits n’aura lieu, les choses seront claires de manière définitive, et le budget de 2018 sera respecté.

Je le redis, dans nombre de départements, il arrive tous les ans que l’enveloppe de DETR ne soit pas totalement consommée, ce qui peut paraître logique compte tenu du retard pris dans l’avancement de certains dossiers. C’est une réalité. D’aucuns ont demandé l’application d’un bonus-malus, c’est-à-dire que des fonds soient affectés aux départements qui en ont le plus besoin. Mais ce n’est pas conforme aux règles budgétaires.

L’enveloppe DETR est maintenue quasiment à 1 milliard d’euros, c’est-à-dire au plus haut niveau, la DSIL à 665 millions d’euros, et la dotation politique de la ville à 150 millions d’euros. La dotation de solidarité urbaine sera, quant à elle, augmentée de 90 millions d’euros, sous réserve d’un montant supplémentaire que le Parlement pourrait voter. C’est tout de même, me semble-t-il, une bonne nouvelle pour nos collectivités locales : pas de baisses de dotations ; au contraire, leur maintien au plus haut niveau.

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec.

M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment soixante-dix ans après la publication de Paris et le désert français, en sommes-nous arrivés à une telle situation ? Parce que l’appareil d’État, cherchant à remettre en cause en permanence les lois de 1982, s’est engagé dans un processus de recentralisation forcené, et ce au mépris des libertés locales et des élus du peuple. Et parce que l’État, pour reprendre le contrôle de la région-capitale, a créé une superstructure technocratique baptisée métropole – mot très à la mode –, un monstre qui va, si nous le laissons faire, absorber demain la région, puis les départements, et sans doute après-demain nos communes.

En effet, la métropolisation à marche forcée, imposée par la technostructure, est en train d’assécher totalement nos territoires et de tuer nos communes, qui sont, ne l’oublions pas, le cœur vivant de notre démocratie.

C’est le cas presque partout en France : dans les communes, en région, les gares ferment, les boutiques sont moribondes, les services publics à l’abandon. Mais c’est aussi vrai dans la région d’Île-de-France, y compris dans le périmètre de la métropole, où l’on constate un désengagement de l’État et la suppression de ressources qui nous sont essentielles pour exercer nos missions, telles que la taxe d’habitation tout récemment, la baisse de la DGF, l’augmentation des péréquations, sans parler des charges transférées sans compensation.

Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions.

La première concerne la métropole. Considérez-vous, à l’instar du Président de la République, que le périmètre actuel est la solution adéquate pour éviter que, après Paris et le désert français, on ne parle demain de Paris et du désert régional ?

J’en viens à ma seconde question. Quelle place comptez-vous réserver au bloc communal dans la nouvelle organisation territoriale pour que la commune puisse continuer à répondre à l’ensemble des demandes de nos concitoyens et qu’elle demeure le lieu d’expression de cette démocratie la plus aboutie qu’est la démocratie de proximité communale ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous avez d’abord parlé du phénomène de métropolisation et de la multiplication des métropoles. Puisqu’il est souvent fait référence aux propos que j’ai pu tenir ici, j’entends encore un certain nombre d’élus présents sur ces travées se battre pour que leur ville devienne métropole. C’est ainsi que, récemment, on est passé de quinze à vingt-deux métropoles.

M. Philippe Pemezec. Je n’étais pas là !

M. Jacques Mézard, ministre. Moi, j’y étais, et j’ai voté contre, car je considérais – et je considère toujours – que, conformément aux propositions du Sénat à la suite du rapport Raffarin-Krattinger, il eût été opportun de s’en tenir à sept, huit ou neuf métropoles locomotives. (Marques d’approbation sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Cela n’a pas été le cas. En raison de la volonté de certains – je peux citer le nom de certaines villes qui étaient très bien représentées ici –, on a abouti in fine à vingt-deux métropoles. C’est la réalité !

J’avais même déposé un amendement pour que l’agglomération d’Aurillac devienne métropole. (M. Roger Karoutchi rit.) C’était un signal amical au ministre de l’époque présent dans cet hémicycle.

Sur la métropole du Grand Paris, j’ai reçu personnellement tous les intervenants, lesquels m’ont tous expliqué que le système actuel était absolument nul et qu’il fallait en changer. En revanche, sur les propositions, il existe de grandes différences en fonction des représentants des diverses strates, et non des sensibilités politiques.

Une conférence nationale sur le Grand Paris va avoir lieu. Un travail technique est réalisé par le préfet de l’Île-de-France. Différentes possibilités existent. Nous allons entendre officiellement les positions des uns et des autres.

Vous m’interrogez, monsieur le sénateur, sur le rôle de la commune. Personnellement, je suis convaincu que l’échelon de proximité est bien la commune. D’ailleurs, nos concitoyens ne s’y trompent pas, car ils connaissent le maire et les équipes municipales qui se trouvent dans leur périmètre de vie. Il est essentiel de conserver cet échelon de proximité, sauf volonté contraire des communes de fusionner. Je suis pour le respect de la liberté de choix des collectivités.

Sachez que je comprends parfaitement votre interrogation sur les métropoles. Je ne sais pas si j’y réponds précisément, mais dans tous les cas de figure, aucun territoire ne doit se considérer comme marginalisé. Il faut éviter l’existence d’un double périphérique.

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous : depuis plus de quinze ans, l’aménagement du territoire est devenu le parent pauvre des politiques publiques ; cela ne date donc pas d’aujourd'hui.

Le développement économique se concentre autour des pôles métropolitains aux dépens des pôles d’équilibre plus modestes. C’est la réalité dans toute la France.

Nos territoires ruraux sont, de fait, devenus le tiers-monde de la France, avec un flux migratoire vers les villes – ce n’étaient pas des sans-papiers, mais ils sont partis –, qui sera bientôt épuisé par manque d’habitants.

Les derniers indigènes n’en peuvent plus des contraintes sans contrepartie. Ils attendent plus de souplesse ; ils attendent l’engagement du Président de la République leur permettant de prendre des initiatives. Il faut redonner de l’espoir et la possibilité de travailler aux élus ruraux.

Beaucoup a été dit sur les territoires ruraux ; je n’y reviendrai pas. Néanmoins, on paie un abonnement de mobile 39 euros, quand il s’élève à 19 euros en ville, alors que l’utilisateur doit monter sur la colline pour bénéficier de la téléphonie mobile ! Le haut débit n’est toujours pas là, et ce n’est pas le discours prononcé cet après-midi par le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, qui va nous rassurer.

Pourtant, une politique ambitieuse d’aménagement des territoires est possible. Elle est indispensable pour notre pays et requiert une volonté des élus. Mais il convient de ne pas les désespérer et de leur laisser de la liberté et de l’initiative. Il faut mettre en place des outils et trouver des moyens financiers. En l’espèce, nous avons des marges de manœuvre. Selon la Cour des comptes, les territoires ruraux ont trois à quatre fois moins de dotations que les pôles urbains.

Il faut créer des dotations spécifiques, ajouter de la péréquation, se doter d’une politique d’aménagement du territoire qui mobilise les moyens de l’Europe, de l’État et des régions. C’est le prix à payer, car une politique sans financement ne vaudra rien !

Quels sont les moyens financiers que vous envisagez de mobiliser pour faire avancer une politique d’aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, il ne s’agit pas, en tout cas, d’engager moins de moyens que le Gouvernement précédent. La situation, vous l’avez rappelé, est très diverse. Pour ma part, je ne peux pas considérer que tous les territoires ruraux sont en situation d’abandon, car ce n’est pas la réalité.

Certains connaissent une forte progression démographique, notamment ceux qui bénéficient d’un afflux de population résultant du retour de nombre de nos concitoyens confrontés aux difficultés de la vie quotidienne dans les métropoles.

D’autres vivent la situation comme un abandon, car ils sont enclavés, éloignés des métropoles, et rencontrent des problèmes particuliers. Ils vivent aussi une mutation considérable de l’agriculture, qui génère la disparition – ce phénomène s’accentue avec les problèmes laitiers – de très nombreuses exploitations agricoles. Un certain nombre de villes moyennes se trouvent dans une situation délicate, du fait d’une perte de population : leurs concitoyens partent s’installer non pas seulement dans la métropole, mais souvent aussi dans leur périphérie immédiate, créant de nouvelles difficultés.

Quelles sont les réponses ? Du côté de l’État, avec les dotations dont je viens de parler, mais également avec des contrats spécifiques pour les villes moyennes, les petites villes et la revitalisation des centres-bourgs. Il faut aussi revoir les dispositifs concernant les zones de revitalisation rurale. Si je suis interrogé sur ce point, j’apporterai un certain nombre de précisions.

Je citerai également la péréquation, comme vous l’avez fait, car il ne faut pas se voiler la face. En effet, à côté de la péréquation verticale, il existe la péréquation horizontale. Je peux entendre par exemple que les conseils départementaux reprochent à l’État de devoir prendre à leur charge un certain nombre de difficultés propres aux mineurs ou aux allocations de solidarité. Néanmoins, leurs ressources connaissent une grande diversité. Quand on voit l’augmentation considérable des DMTO, les droits de mutation à titre onéreux, dans certains départements, des efforts de péréquation horizontale, outre ceux de l’État, doivent être développés. Or là, souvent, on est beaucoup plus discret,…

M. Jacques Mézard, ministre. … car les territoires riches n’ont pas souvent envie de contribuer davantage aux besoins des territoires pauvres ; nous l’avons fréquemment constaté lors des discussions budgétaires.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le ministre, je reviens sur la question des territoires à énergie positive pour la croissance verte, car la réponse que vous avez apportée à mon collègue Guillaume Gontard me semble insuffisante.

Vous n’êtes pas sans connaître l’engouement de nos collectivités pour ce pertinent et structurant dispositif que l’on ne peut pas considérer comme étant une usine à gaz, pour reprendre votre propre expression.

La très récente circulaire adressée aux préfets par M. le ministre d’État Nicolas Hulot prévoit en effet de réduire de 46 % les crédits de paiement du programme TEPCV, soit 350 millions d’euros des engagements pris, sur les 750 millions d’euros contractualisés sur trois ans.

Première question : s’agissant de conventions pluriannuelles, il suffirait, dans les deux années à venir, de prévoir deux fois 175 millions d’euros. Les crédits inscrits à ce jour permettent d’honorer la première année d’exécution de ces conventions.

Deuxième question : ne pouvant heureusement remettre en cause la signature de l’État, votre collègue propose quatre règles de gestion très contraignantes, voire dissuasives et décourageantes pour les collectivités. Il s’agit d’une remise en cause a posteriori des règles du jeu. Je cite, par exemple, l’idée d’une règle de dégressivité et de pénalités de retard pour des projets engagés au-delà du 31 décembre 2017, alors que les conventions courent sur trois années. Malheureusement, ce n’est pas qu’une idée, puisque c’est écrit dans la circulaire.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous revenir sur ces décisions et inscrire au budget les sommes correspondantes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous faire une réponse différente de celle que je viens d’apporter à votre collègue.

M. Olivier Jacquin. Je suis déçu !

M. Jacques Mézard, ministre. Moi aussi, je peux être déçu, sans entrer dans une polémique stérile, par cette situation : nombre de signatures ont été données sans le moindre financement pour les honorer. Cela représente, sur le budget 2017, plusieurs milliards d’euros.

Effectivement, nous nous trouvons face à nombre d’engagements qui n’ont pas été financés ; c’est la réalité budgétaire. Mais je n’ai pas l’habitude, et je ne commencerai pas aujourd’hui, de faire le procès systématique des uns ou des autres, car je considère que, sur tous ces dossiers, la responsabilité est collective.

Aucun gouvernement passé n’a de leçon budgétaire à donner à l’actuel gouvernement. Nous assistons effectivement depuis dix ans à l’augmentation du déficit, quasiment à son doublement, et au recours systématique à l’endettement pour gérer les problèmes du quotidien au niveau budgétaire. Je ne pense pas que cette solution ait été la meilleure pour l’équilibre de la République et pour construire un budget qui puisse être considéré comme satisfaisant par les uns et les autres.

Certaines règles ont été rappelées par le ministre d’État Nicolas Hulot, dont vous savez l’attachement qu’il accorde à la transition écologique. Je lui ai fait part des remontées du terrain. Nous réfléchirons à la façon d’adapter les choses, mais je ne mettrai pas en cause la politique qu’il mène.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.

M. Olivier Jacquin. J’ai envie de réagir en deux mots : cohérence et confiance.

Vous me parlez finances, moi aussi : aucun euro n’est mieux investi que dans la transition énergétique et les économies intelligentes qu’elle procure.

Je vous parle de confiance, celle qu’a évoquée le Président de la République envers les collectivités. La remise en cause a posteriori des règles du jeu, cette méthode, je la trouve sournoise. Ce n’est rien moins que la parole de l’État qui est en question. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Selon l’article 1er de la Constitution, la République française est indivisible. Et pourtant, il existe aujourd’hui plusieurs France. Les sociologues, les politologues, les géographes et surtout les électeurs le disent.

Oui, la France est rongée par une fracture territoriale qui se révèle un des défis les plus compliqués et les plus urgents à relever : d’un côté, on l’a dit, une France dynamique, moderne, ouverte, connectée, celle des métropoles et des grandes villes, une France 2.0 qui n’a pas peur de la mondialisation et qui est armée pour l’affronter ; de l’autre, une France en souffrance, celle des ruralités et des périphéries, une France enracinée qui ne veut pas mourir et qui se sent déclassée, délaissée, notamment par l’État. Car quand une classe, une poste, une perception, une usine ferment, neuf cas sur dix frappent cette France profonde.

Certes, vous l’avez dit, monsieur le ministre, cette situation n’est pas nouvelle. À cet égard, vous avez pointé avec une grande énergie les responsabilités de vos prédécesseurs. Mais plusieurs décisions très récentes du Gouvernement laissent sceptiques quant à sa réelle volonté de rétablir un minimum d’équité territoriale, sans parler des annulations de crédits aux collectivités : pourquoi donc avoir mis en pause le canal Seine-Nord, le barreau Picardie-Roissy et tant d’autres grands chantiers structurants et porteurs d’espoir pour nos territoires ?

Par ailleurs, n’est-il pas incohérent, et même indécent, de se glorifier du dédoublement des classes de CP dans les réseaux d’éducation prioritaire alors qu’on a souvent des double ou triple niveaux à plus de vingt élèves en zone rurale ? On ne peut se satisfaire de voir des discriminations positives aggraver des discriminations négatives.

Monsieur le ministre, avez-vous réellement un cap en matière d’aménagement du territoire ? Avez-vous tout simplement une boussole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, la polémique à ce niveau ne justifie pas une réponse de fond, car nous sommes tous responsables, nous avons tous la volonté de faire avancer ce pays, que l’on appartienne au Gouvernement ou que l’on se trouve dans l’opposition. Il n’est pas constructif, au sens premier du terme, de me demander si j’ai une boussole ; je me demande moi si vous savez regarder vers le Nord…

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. J’ai une certaine idée de la France, mais aussi de la République. La République, c’est non seulement l’égalité des droits, mais aussi l’égalité des chances, et donc un idéal d’équité territoriale. À ce titre, j’espère sincèrement que la devise qui orne les 36 000 frontons de nos mairies ne sera pas, au cours des années qui viennent, vide de sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, le désert médical avance, inexorablement et depuis des années déjà. Les élus locaux ont investi du temps, de l’énergie et de l’argent, en l’occurrence de l’argent public. Or les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, parce que les élus de bonne volonté se sont heurtés à la dure réalité : les médecins ne veulent pas venir, tout simplement !

Les fortes incitations financières ont créé une dérive insupportable. Certains effets sont désastreux. Ils aboutissent à une mise en concurrence des territoires, à ce qui pourrait s’apparenter à une perversion de l’engagement sincère au service des autres : quid du serment d’Hippocrate ?

On baisse l’aide personnalisée au logement, l’APL, pour les personnes aux revenus modestes ; on va ponctionner les retraites au nom des économies à faire ; et on continuerait à verser des primes d’installation de 50 000 euros, à exonérer d’impôt pendant cinq ans des professionnels aux revenus plus que confortables, ayant leur patientèle toute faite dès lors qu’ils s’installent ?

Nos concitoyens sont excédés. Ils demandent une solution rapide, efficace et durable.

Rappelons que les études de médecine sont gratuites et que notre système repose sur la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à agir vraiment, à déconventionner les médecins s’installant en zone de surdensité et même, de manière plus radicale, à instaurer comme il le faudrait un service médical obligatoire de cinq ans pour tout nouveau médecin ? C’est une question de citoyenneté, une leçon d’humanité, voire d’humilité pour les nouveaux praticiens. Ne sont-ils pas censés avoir la vocation ?

Nous sommes face à une situation d’urgence absolue, qui exige du courage et de la détermination. Le problème est national. La prise en charge doit être assurée par l’État, car il s’agit de santé publique. L’État doit protéger les citoyens et donc faire en sorte qu’il y ait des médecins et des spécialistes en nombre suffisant sur tout le territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je ne ferai pas le procès des médecins dans leur ensemble. Au cours de ma vie familiale, j’ai été entouré de médecins généralistes, installés, en particulier, dans le département du Lot. Je crois donc connaître cette problématique et le dévouement dont ceux qui y sont confrontés font souvent preuve au service de leurs concitoyens.

Bien sûr, je ne prétends pas que tout va bien ! Mais, en imposant aux praticiens un service médical de cinq ans, c’est-à-dire en procédant par la contrainte, je ne crois pas que l’on puisse résoudre le problème juste que vous soulevez.

Des efforts sont accomplis et vont être entrepris pour rétablir un équilibre – c’est bien ce dont il s’agit – entre, d’une part, des zones où la surdensité médicale est réelle et où il y a d’ailleurs souvent beaucoup de soleil, et, de l’autre, un certain nombre de territoires où les installations sont manifestement plus rares.

Dans ce cadre, il importe que nous trouvions des solutions actives. Mais je doute que les déconventionnements systématiques et, plus largement, les mesures contraignantes encouragent nombre de médecins à choisir cette voie.

M. Hervé Maurey, président de la commission. Essayons !

M. Jacques Mézard, ministre. Vous l’avez dit, nous avons besoin de spécialistes. Nous avons également besoin que, dans les départements ruraux, nos hôpitaux régionaux et nos centres hospitaliers puissent rayonner. Telle est l’une des propositions faites par Mme la ministre des solidarités et de la santé, afin d’éviter la désertification médicale. Je précise que cette dernière ne prend pas la même forme dans tous les territoires ruraux.

On peut également parler du numerus clausus : à ce titre, si des mesures sont prises aujourd’hui, elles feront effet dans dix ans. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas agir à ce titre, mais c’est une réalité ! Si, pendant cinq ans, le gouvernement précédent ne l’a pas fait, cela ne signifie pas qu’il n’a rien fait. Simplement, il n’a pas choisi cette voie-là. Il en a été de même pendant les cinq années précédentes. Personnellement, je ne crois pas qu’en la matière la contrainte systématique soit la bonne solution.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.

Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, la solution que je propose est économe et véritablement durable : il s’agit de rendre tout son sens à ce que nous avons en partage, c’est-à-dire la santé. Globalement, nos concitoyens se soignent moins. Or personne ne doit être laissé de côté !

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos propos introductifs concernant les négociations avec les opérateurs, notamment vos projets de très haut débit fixe, qui vont de pair avec le chantier du très haut débit mobile : il s’agit là de deux technologies complémentaires.

Vous le savez, dans la région Grand Est, nous avons mis sur pied un nouveau modèle : le modèle du XXIe siècle, lequel permet de déployer un réseau d’initiative publique pour un ensemble de 900 000 prises et pour un montant total d’environ 1,3 milliard d’euros. Plusieurs opérateurs ont répondu à ce projet : l’investissement sera assuré à hauteur de 85 % par le privé.

En conséquence, le différentiel sera moindre entre, d’une part, les villes, qui sont couvertes à 100 % par les opérateurs, donc par l’argent privé – c’est normal : ces territoires comptent de nombreux usagers, donc des recettes – et, d’autre part, les campagnes, qui auparavant, au titre du très haut débit fixe, étaient couvertes à 100 % par de l’argent public.

Jusqu’à présent, on observait une rupture entre les territoires. Désormais, je le répète, on dispose d’un modèle garantissant, pour l’investissement dans les campagnes, 85 % d’argent privé : ainsi, on assure véritablement un meilleur équilibre. Il n’est pas non plus illogique que les collectivités territoriales interviennent, étant donné les dépenses supplémentaires qu’impliquent les distances à couvrir.

Monsieur le ministre, ma question est très précise. À présent que ce projet est réalisé, un opérateur privé entend faire concurrence au réseau d’initiative publique, lequel a été mis sur pied par suite des carences du privé. Allez-vous faire en sorte qu’en pareil cas il ne soit pas possible, pour le privé, de concurrencer les actions déployées par le public ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Leroux. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur Savary, vous avez parfaitement raison, et j’ai moi-même été conduit à adresser un message précis aux opérateurs : il n’est pas question de laisser ces derniers remettre en cause, à travers les réseaux d’initiative publique, le travail accompli par les collectivités territoriales.

Je connais le projet mené dans le Grand Est, et nous ferons en sorte qu’il ne soit pas mis en danger par un autre opérateur.

M. Hervé Maurey, président de la commission. Très bien !

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette précision et de l’appui que vous exprimez. J’insiste, il faut véritablement clarifier les choses, faute de quoi l’on risque d’aboutir à une situation ubuesque. Dans certains territoires, nos concitoyens n’ont toujours pas accès à la téléphonie mobile, donc au très haut débit mobile : et ils verraient deux réseaux de fibre se déployer devant chez eux !

Merci de prendre à cœur cette affaire : il y va de l’équilibre des territoires et de la pérennité de ce modèle novateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Nadia Sollogoub et Michèle Vullien applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Leroux.

M. Sébastien Leroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le département de l’Orne, territoire rural, la moitié des médecins généralistes vont partir avant la fin du quinquennat. Certains espaces sont déjà totalement démunis.

Nous ne sommes plus devant une situation d’inquiétude, mais face à une mise en danger de notre population. Le traitement classique du problème de la démographie médicale n’est plus à la hauteur de l’enjeu, et des mesures d’urgence doivent être prises pour faire face aux nécessités de l’heure.

En tant que juriste, monsieur le ministre, vous savez que les pouvoirs publics peuvent, si nécessaire, s’affranchir momentanément de la réglementation ordinaire, surtout quand cette dernière se révèle contre-productive. Ne pensez-vous pas que le moment est venu de le faire ?

Nous avons tous déjà mis en place ces financements de structures, notamment de maisons pluridisciplinaires, annoncés dans le plan gouvernemental. S’ils sont indispensables, ces outils ne peuvent, à eux seuls, répondre au défi auquel nous sommes confrontés : un cabinet neuf sans praticien ne permet pas de soigner la population.

Le plan du Gouvernement prévoit une possibilité accrue de cumul emploi-retraite pour les médecins libéraux. Cette solution en forme de compagnonnage entre générations peut permettre, à l’échelle d’un département, en synergie avec les médecins en exercice, de pallier l’urgence.

Toutefois, pouvez-vous me confirmer que ces médecins retraités ne subiront aucun effet négatif administratif et financier ? Autoriserez-vous les conseils départementaux à créer des organisations de cette nature, avec l’Ordre des médecins, en veillant eux-mêmes à ce qu’aucune tracasserie administrative ou financière ne vienne frapper ces médecins de bonne volonté ?

Enfin, une autre piste semble possible : mettre en place un service sanitaire, non pas de trois mois, comme nous avons pu l’entendre, mais d’une année, afin que les jeunes médecins puissent apporter leurs forces vives à une population aujourd’hui en abandon de soins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je vous le confirme : le cumul emploi-retraite, qui existe déjà, sera non seulement encouragé, mais développé dans le cadre du plan proposé par Mme la ministre des solidarités et de la santé. Le dispositif actuel concerne environ 15 000 médecins. Nous prévoyons de doubler ce chiffre.

De plus, je tiens à vous rassurer quant aux conséquences pour ceux qui choisiraient cette voie : le plan présenté par Agnès Buzyn prévoit le rehaussement du plafond d’exonération des cotisations de retraite de 11 500 à 40 000 euros, ce qui devrait faciliter considérablement les choses.

Dans ce cadre, le partenariat de l’Ordre des médecins est tout à fait essentiel à l’échelle locale. Nous avons d’ores et déjà lancé des travaux afin de faciliter les démarches des praticiens auprès du conseil de l’Ordre, notamment en cas d’exercice d’un professionnel de santé dans une zone sous-dense, en dehors de son cabinet principal.

Tel est l’objet de concertations que la ministre des solidarités et de la santé mène, à l’heure actuelle, avec les représentants du conseil de l’Ordre des médecins. Les réponses apportées à ce titre vont tout à fait dans le sens de la question que vous avez posée.

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier.

Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le Premier ministre a déclaré que chaque citoyen devait avoir accès à une médecine de qualité, quel que soit l’endroit où il vit. À cet égard, l’enjeu de santé publique rejoint clairement celui de l’aménagement de notre territoire.

En géographie de la santé, la question de l’inégalité dans l’accès à l’offre de soins est au cœur des débats. Mme la ministre des solidarités et de la santé a tracé les grandes lignes de sa politique qui sont de bon augure : campagnes de vaccination, lutte contre les déserts médicaux, usage de la télémédecine, etc.

S’il est un autre sujet sensible, c’est ce que l’on appelle les grandes urgences vitales, notamment cardiovasculaires. Ces dernières exigent une prise en charge rapide. À ce titre, les experts ont énoncé des recommandations sur la base des délais au-delà desquels se réduisent les chances de survie.

Or, en la matière, l’inégalité territoriale existe bel et bien dans notre pays. Pour y remédier, il faut soutenir les unités de soins intensifs, investir dans des plateaux techniques appropriés et permettre aux équipes médicales spécialisées d’offrir des soins de qualité à toutes les populations. Le projet de plateau technique d’angioplastie du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, qui concerne 350 000 habitants, en est un exemple concret.

Mme la ministre des solidarités et de la santé veut, avec raison, « faire confiance aux acteurs des territoires pour construire des projets et innover dans le cadre d’une responsabilité territoriale. » Cette responsabilité passe par le respect des recommandations médicales, la vie des hommes restant la première des priorités.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaite connaître les moyens que vous comptez mobiliser, face à ces situations d’urgence vitale, pour répertorier les inégalités territoriales et surtout favoriser les projets en mesure d’y mettre fin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je réponds avec d’autant plus de conviction à votre interrogation que je suis conscient de cette réalité : les questions de grande urgence ne sont pas traitées de la même manière selon les territoires, ne serait-ce que pour conduire un malade dans un service de soins intensifs.

On l’observe notamment, à l’échelle régionale, pour la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux, les AVC. On le sait, une réponse rapide est indispensable pour sauver les personnes ainsi frappées. En la matière, nous avons demandé aux agences régionales de santé, les ARS, de faire davantage, en lien avec le 15, pour coordonner l’action des professionnels de santé. Plusieurs améliorations doivent être apportées. Elles ont été visées par Mme la ministre des solidarités et de la santé. L’enjeu, c’est de différencier les niveaux d’urgence.

La question que vous posez, à savoir celle de la grande urgence, est une priorité : il faut y répondre avec les moyens adaptés.

Vous avez rappelé un certain nombre de mesures que Mme la ministre des solidarités et de la santé a lancées. Je les considère comme des initiatives courageuses, qu’il s’agisse de la vaccination ou de la lutte contre le tabagisme. (Mme Marie Mercier opine.)

Il est également nécessaire de continuer à former nos concitoyens, pour qu’ils soient à même de reconnaître les situations d’urgence. À ce titre, nous avons encore beaucoup de travail à accomplir. M. le ministre de l’intérieur a d’ailleurs annoncé hier le lancement d’une nouvelle campagne, en lien avec les sapeurs-pompiers. Le but est de faciliter la détection de ces situations et, ainsi, de permettre une réponse plus rapide.

Comme vous l’avez signalé, il est impératif de réagir dans les meilleurs délais : tout se joue, sinon en quelques minutes, du moins en quelques heures, pour sauver celles et ceux qui se trouvent dans des situations de grande urgence. Sachez que le travail engagé par Mme la ministre des solidarités et de la santé va tout à fait dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. Yvon Collin. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, que j’ai parfaitement comprise. Pour clore ce débat, permettez-moi de citer cette phrase, glaçante, mais pertinente, du psychologue Lazarus : « Chaque pays, en fonction de son système de soins, choisit ses morts. » Faisons tout pour éviter d’avoir à choisir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ».

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 26 octobre 2017 :

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures quinze à vingt heures quinze :

(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)

Débat : « Logement social : sur quels territoires, comment et pour qui demain ? »

Proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d'eau potable (n° 703, 2016-2017) ;

Rapport de M. Pierre Médevielle, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 31, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 32, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD