compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Michel Raison.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi (n° 349) ratifiant l’ordonnance du 9 août 2017 portant transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Quel dommage !

3

Conventions internationales

Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république fédérale du nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Paris le 16 juin 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (projet n° 468 [2016-2017], texte de la commission n° 414, rapport n° 413).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces
 

projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l’organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l’agriculture

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l'Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l'agriculture
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification de la convention n° 184 de l’Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l’agriculture, adoptée à Genève le 21 juin 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l’Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l’agriculture (projet n° 597 [2016-2017], texte de la commission n° 416, rapport n° 415).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l'Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l'agriculture
 

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté d’andorre concernant l’amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre tarascon-sur-ariège et la frontière franco-andorrane

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre concernant l'amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant l’amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane, signé à Paris le 22 mars 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d’Andorre concernant l’amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane (projet n° 303, texte de la commission n° 418, rapport n° 417).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre concernant l'amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane
 

4

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices
Discussion générale (suite)

Prévention de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices

Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices
Article unique (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (projet n° 227, texte de la commission n° 411, rapport n° 410).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Signée le 7 juin 2017 par la France et par soixante-sept autres États et territoires, cette convention constitue une innovation majeure en matière de fiscalité internationale en ce qu’elle s’imposera dans les relations entre États sans qu’il soit besoin de modifier les conventions fiscales bilatérales existantes.

Ce tournant décisif dans la coopération fiscale internationale a été imaginé pour gagner un temps précieux en matière de lutte contre les pratiques d’évasion fiscale des entreprises qui cherchent à réduire, voire à annuler leurs impôts en tirant avantage des conventions fiscales bilatérales.

La ratification de la convention multilatérale s’inscrit donc pleinement dans les objectifs portés par le Président de la République et par le Gouvernement en matière de lutte contre la fraude fiscale.

La convention multilatérale permettra de traduire dans nos relations avec nos partenaires les avancées du projet mené par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « projet BEPS », pour Base Erosion and Profit Shifting. Elle parera ou rendra plus difficile l’évasion fiscale pratiquée par certaines entreprises qui cherchent à réduire leur impôt dû en France en transférant leurs bénéfices dans des États ou territoires à fiscalité plus faible, voire nulle.

Comme vous le savez, le projet BEPS a été amorcé par le G20, notamment sur l’initiative de la France, dans un contexte de mobilité croissante des activités économiques, à l’occasion du sommet de Los Cabos de 2012. Il a conduit l’OCDE à élaborer un ensemble de mesures structurées autour de quinze actions.

Ces mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales nécessitent, pour une partie d’entre elles, de modifier les conventions fiscales bilatérales.

Très novatrice, cette convention multilatérale permettra de mettre à jour les 1 100 conventions fiscales conclues entre ses signataires sans nécessiter l’ouverture de longues négociations bilatérales. De telles négociations auraient constitué un chantier à l’issue incertaine et susceptible de durer plusieurs années pour les États concernés. La France, du fait d’un réseau conventionnel très étendu, devait modifier l’ensemble de ses 121 conventions fiscales bilatérales.

Les dispositions de la convention multilatérale visent principalement à s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et le contournement artificiel du statut d’établissement stable tout en améliorant les modalités de règlement des différends entre États en cas de double imposition.

À cet effet, la convention multilatérale contient tout d’abord des mesures obligatoires pour les États signataires, à savoir les standards minimums.

D’une part, ces standards minimums visent à modifier le préambule des conventions fiscales et à insérer une clause anti-abus de portée générale permettant de refuser le bénéfice de la convention en présence de montages dont le principal objet est l’obtention des avantages fiscaux prévus par les conventions bilatérales.

D’autre part, ces normes minimales visent à moderniser la procédure de règlement des différends pour résoudre les cas de double imposition. Il s’agit de dispositions protectrices pour les entreprises et les acteurs économiques.

À titre d’exemple, la règle anti-abus du critère des objets principaux de la convention multilatérale permettra de refuser un avantage conféré par une convention fiscale lorsque l’un des principaux objets d’un montage ou d’une transaction est l’octroi d’un avantage prévu par la convention. Le but est de contrer les opérations sans réalité économique et motivées par le bénéfice d’un avantage fiscal.

Par ailleurs, afin d’associer le maximum d’États tout en s’assurant d’une large application de certaines dispositions anti-abus, la convention multilatérale contient d’autres stipulations qui sont optionnelles et dont les parties peuvent faire usage selon leur politique conventionnelle.

Le Gouvernement a fait le choix de ne retenir les stipulations optionnelles que dans la mesure où elles renforcent les dispositifs de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et où elles correspondent à la pratique conventionnelle de la France. En conséquence, les options qui n’étaient pas considérées comme essentielles pour remédier à l’évasion fiscale ou dont les effets étaient trop incertains, notamment pour nos entreprises, n’ont pas été retenues.

Plusieurs stipulations optionnelles constituent de réelles avancées. Certaines d’entre elles sont destinées à empêcher les pratiques de contournement artificiel du statut d’établissement stable ayant pour objectif de ne pas être assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre d’une activité conduite sur un territoire donné. D’autres dispositions concernent l’insertion d’une clause sur l’arbitrage interétatique dont l’objet est de résoudre les conflits de double imposition dans le cadre des conventions fiscales.

Ainsi, la convention multilatérale permettra de déjouer les schémas dits « de commissionnaire », qui consistent à localiser artificiellement à l’étranger des activités commerciales pour ne pas payer l’impôt sur les sociétés lié à une activité conduite sur un territoire donné.

Avant les modifications proposées, échappait à la détermination d’établissement stable en France l’activité d’une entreprise française agissant pour le compte d’une entreprise étrangère et engageant, dans les faits, cette entreprise dans une relation commerciale avec des clients français, au seul motif que les contrats étaient in fine signés par la société étrangère.

Vous le savez, de tels schémas s’observent notamment dans le secteur du numérique.

La France a également choisi l’option consistant à empêcher que les entreprises ne contournent la définition d’un établissement stable en cas de fractionnement des contrats. Là encore, il s’agit de mieux faire coïncider le droit et la réalité économique quant à l’activité d’une entreprise sur un territoire.

Lors de la signature de la convention multilatérale, la France a communiqué la liste des conventions fiscales bilatérales qu’elle souhaite couvrir, lesquelles sont au nombre de 88. Elles correspondent aux États ayant participé aux travaux d’élaboration de la convention multilatérale qui ont conclu avec la France une convention fiscale.

Au 22 mars 2018, date de la dernière mise à jour effectuée par l’OCDE, 78 États et territoires étaient signataires de l’accord. Parmi ces parties, l’Autriche, l’île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie ont d’ores et déjà achevé le processus de ratification de la convention multilatérale et constitué le socle minimal d’États signataires.

Pour ces États, la convention multilatérale entrera donc en vigueur le 1er juillet 2018. Pour la France, comme pour chaque autre État signataire, elle entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois calendaires à compter de la date de dépôt de son instrument de ratification.

Le Gouvernement est pleinement conscient du caractère novateur de cet instrument, qu’il s’agisse de ses relations avec le Parlement ou des relations de l’administration fiscale avec les contribuables. C’est pourquoi il s’engage à informer le Parlement chaque année des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l’égard de nos conventions fiscales bilatérales dans le rapport annuel relatif au réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances.

Par ailleurs, l’administration assurera la lisibilité des conventions fiscales bilatérales affectées par la convention multilatérale via la publication de versions consolidées qui permettront d’assurer la bonne information des usagers. Elle garantira de surcroît, comme c’est le cas aujourd’hui, la sécurité juridique des opérateurs économiques par la production de rescrits.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales observations qu’appelle la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui autorise la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Cette convention a été signée à Paris le 7 juin 2017 et réunit en tout 78 États. Résultant d’un travail conduit par l’OCDE, elle vise à intégrer certaines recommandations du projet communément connu sous le nom de BEPS, relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices.

Madame la secrétaire d’État, vous l’avez dit à l’instant : cette convention a déjà été ratifiée par cinq États, et elle devrait entrer en vigueur au 1er juillet 2018.

Engagé par le G20, qui en a endossé les recommandations, le projet BEPS vise utilement à actualiser les règles du système fiscal international en supprimant, en quelque sorte, les interstices laissés aux acteurs par la législation et exploités par certains d’entre eux pour réduire leur niveau d’imposition.

Il convient toutefois de noter que ce texte ne traite pas la question de la fiscalité du secteur de l’économie numérique, dont nous serons appelés à débattre prochainement. Seule la remise d’un rapport est, en effet, prévue sur ce sujet. L’OCDE mène certes des travaux à ce titre, mais leurs premiers résultats ne sont pas attendus avant 2020.

C’est sans doute ce vide observé dans la réglementation internationale qui a conduit la Commission européenne, sous l’impulsion notamment de la France, à présenter deux projets de directive à propos desquelles j’ai déposé une proposition de résolution européenne hier, au nom la commission des finances du Sénat.

La convention multilatérale doit permettre la mise en œuvre effective de quatre actions du « paquet BEPS » qui nécessitaient une modification des conventions bilatérales régissant les relations entre deux États.

Pour être souvent appelés à ratifier, ici même, des conventions fiscales – nous en traitons, en moyenne, six ou sept par an –, nous savons que tirer les conséquences de BEPS dans le réseau conventionnel selon la méthode traditionnelle de négociation, pays par pays, convention par convention, aurait nécessité plusieurs années, voire plusieurs décennies. Pendant ce temps, la lutte contre les phénomènes d’évitement de l’impôt s’en serait sans doute trouvée fragilisée.

Cet instrument multilatéral, dont nous allons autoriser la ratification, répond à cette difficulté, notamment en offrant aux États un moyen d’intégrer d’un coup les recommandations du « paquet BEPS » ayant un impact sur leur réseau conventionnel.

Pour autant – c’est là que l’architecture est assez nouvelle - cet instrument ne se substitue pas aux conventions fiscales bilatérales : en quelque sorte, il se superpose à elles, lorsque les États l’ont conjointement décidé. Ce n’est donc qu’un outil que les parties peuvent utiliser, même de manière partielle – elles conservent, à cet égard, une certaine liberté conventionnelle.

Pour qu’une disposition d’une convention fiscale soit modifiée, trois conditions doivent être réunies : premièrement, qu’elle ait été notifiée par les deux parties comme entrant dans le champ de l’instrument multilatéral ; deuxièmement, que la disposition de cette convention ait été effectivement visée par les deux parties ; troisièmement, que les réserves ou options formulées par les deux parties sur cette disposition correspondent.

La spécificité de cette convention multilatérale tient au nombre de réserves et d’options qu’elle prévoit. Mais là est peut-être le prix à payer pour obtenir l’accord du plus grand nombre… Seuls trois des trente-neuf articles relèvent de normes minimales ne pouvant faire l’objet de réserves. D’ailleurs, parmi les États cités par Mme la secrétaire d’État qui ont ratifié ce texte, plusieurs, j’imagine, ont émis de nombreuses réserves.

Ces trois articles mis à part, les réserves sont possibles, de même que des options sont prévues dans certains articles. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une convention « à la carte ». Cette convention multilatérale prolonge donc la conception bilatérale des relations fiscales et s’inscrit dans les stratégies fiscales mises en œuvre par les États.

De ces caractéristiques découle le fait que la convention multilatérale est à la fois totalement inédite dans sa forme et complexe dans ses implications concrètes.

Ce constat me conduit également à attirer votre attention sur deux points de vigilance quant à la mise en œuvre de la convention.

Le premier point de vigilance porte sur le fait que les conséquences concrètes de la convention multilatérale, y compris pour chacune des conventions fiscales bilatérales existantes, restent encore incertaines, compte tenu de la grande flexibilité qu’offre l’instrument multilatéral. Sa portée réelle est en effet susceptible d’évoluer, y compris sous l’effet des réserves et options formulées tant par la France que par ses partenaires conventionnels.

Ainsi, sur les 88 conventions fiscales notifiées par la France, une cinquantaine seulement seraient, en l’état des signatures, effectivement modifiées. Ces modifications seraient, en outre, d’une ampleur très variable et susceptibles d’évoluer.

En résulte une double difficulté : tout d’abord, pour les acteurs économiques, pour connaître précisément les dispositions conventionnelles que les administrations fiscales seraient susceptibles de retenir ; ensuite, pour le Parlement, qui autorise la ratification d’un instrument dont l’impact peut encore largement évoluer.

Le second point de vigilance a trait au risque d’une conception initiale trop large de la convention multilatérale.

Les choix prénotifiés par la France lors de la signature de la convention multilatérale, qu’il s’agisse des réserves, des options ou des notifications, traduisent la conception très large de la convention retenue par notre pays.

La France se distingue particulièrement à propos des articles relatifs aux établissements stables, sujet des plus complexes, mais sur lequel elle n’a formulé aucune réserve.

Cette partie de la convention modifie le seuil de qualification d’un établissement stable. Cependant, les conséquences qui en seront tirées pour l’attribution de profits aux nouveaux établissements stables ainsi qualifiés demeurent en négociation à l’OCDE, faute d’accord entre États.

Or il s’agit d’un élément essentiel dans la répartition du pouvoir d’imposition entre États, pouvoir ô combien important, et qui concerne des cas très concrets. Je songe notamment au fractionnement des contrats par lots retenu dans des opérations de chantiers à l’étranger.

Vous le savez, peu de pays comparables à la France ont activé ces articles. Dès lors, on aboutirait à une asymétrie dans l’utilisation de leurs dispositions.

Il importe donc de rester vigilant, compte tenu des conséquences lourdes que pourrait entraîner l’absence de réserve sur la qualification de l’établissement stable, tant pour les entreprises françaises, qui pourraient ainsi être exposées à une utilisation accrue de ces dispositions dans les pays où elles opèrent, que pour la France, qui pourrait voir ses recettes plus ou moins réduites.

Il convient d’être d’autant plus prudent quant aux choix opérés lors du dépôt de l’instrument de ratification qu’un effet de cliquet est prévu : il faut bien le comprendre, une fois définitives, les réserves ne peuvent plus être modifiées que dans un sens moins restrictif.

Mes chers collègues, dans ces conditions, que pouvaient préconiser la commission des finances et votre rapporteur ?

Pour ce qui concerne les conventions fiscales, c’est – on peut le déplorer – un choix binaire qui s’impose à nous : autoriser ou refuser leur ratification. Les termes de l’alternative sont donc simples.

Compte tenu des nombreuses avancées dans la lutte contre l’évitement de l’impôt que permet le « paquet BEPS », je vous propose évidemment d’autoriser la ratification de cette convention, qui en assure la mise en œuvre.

Néanmoins, étant donné les questions qui se posent – j’en ai soulevé quelques-unes –, j’invite le Gouvernement à s’engager sur trois sujets au moins.

En premier lieu, je pense à l’absence de consensus, à l’heure d’autoriser la ratification de la convention multilatérale, quant aux conséquences susceptibles d’être tirées des nouveaux critères de qualification d’un établissement stable. À mes yeux, nous devons faire preuve de prudence à propos des articles en question.

Madame la secrétaire d’État, ne considérez-vous pas qu’à ce stade il existe un risque de se lier définitivement les mains sur ce sujet ?

Cette prudence est inspirée par le fait que d’autres États n’ont pas fait les mêmes choix que la France. À mon sens, notre pays doit utiliser la flexibilité offerte par la convention multilatérale pour privilégier une démarche, certes volontariste, mais aussi progressive et nuancée.

En deuxième lieu, la sécurité juridique pour les acteurs économiques doit être assurée.

Concrètement, la question est la suivante : de quel niveau d’information disposeront les acteurs économiques ?

Le Gouvernement a annoncé que deux documents d’information seraient publiés : d’une part, une fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale ; d’autre part, une version consolidée permettant la lecture en un document unique des dispositions résultant de l’articulation des deux conventions.

J’insiste sur ce point : les conventions bilatérales subsisteront, et l’instrument multilatéral s’y superposera. Les acteurs économiques doivent donc savoir clairement quel est le droit applicable et être prévenus d’éventuelles contradictions entre les textes.

On nous annonce une consolidation. Elle est sans doute bienvenue. Mais, à ce stade, et de manière très étrange, l’administration, que nous avons interrogée, considère apparemment que ces documents ne lui seraient pas opposables. Dans le même temps, on nous a fait savoir que diverses instructions fiscales seraient, elles, opposables… (M. Richard Yung manifeste son incompréhension.)

On aboutirait à un ensemble assez difficile à comprendre : une fiche pays par pays quant aux effets de l’instrument multilatéral et une version consolidée, dont on peut bel et bien se réjouir, qui permettrait une lecture unique des deux textes, mais, en même temps, nous dit-on, qui ne serait pas opposable à l’administration.

Sans doute la doctrine permettra-t-elle d’éclaircir la situation.

Certes, l’OCDE n’impose pas de publier une version consolidée ; mais il est assez paradoxal de mener à bien ce travail, puis de considérer que le document élaboré n’est pas opposable à l’administration.

Mme la secrétaire d’État pourra peut-être nous éclairer sur ce point : pourquoi procéder à la consolidation sans consacrer la valeur juridique de cette version ? Prenons garde : en pareil cas, on risque fort d’ouvrir la voie à de nombreux contentieux, les entreprises ne sachant pas nécessairement quel est le droit applicable. Soyons très vigilants sur ce point.

En troisième et dernier lieu, il importe d’assurer une bonne information du Parlement. En effet, cet instrument inédit est susceptible d’avoir des effets multiples et variables en fonction des options et des réserves qui seront effectivement retenues, non seulement par la France, mais aussi par ses partenaires.

Pour l’heure, nous devons nous prononcer alors que la portée réelle de ces dispositions nous échappe en partie aujourd’hui.

Si, dans l’étude d’impact annexée au projet de loi, le Gouvernement indique qu’il procédera à cette information, il vise un rapport annexé au projet de loi de finances initial qui n’est plus remis depuis 2014… C’est un peu léger ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Madame la secrétaire d’État, vous engagez-vous à remettre effectivement ce rapport à l’occasion des prochains projets de loi de finances, et à le compléter ?

J’aurais pu déposer un amendement tendant à garantir, en la matière, une meilleure information du Parlement par le Gouvernement ; la ratification n’aurait pas été mise en cause pour autant. Mais, si vous vous engagez à publier le rapport en question, un tel ajout ne sera pas nécessaire. J’attends votre engagement sur ce point.

Mes chers collègues, à ce titre, trois éléments d’information nous paraissent indispensables : premièrement, un état des réserves, options et notifications formulées par la France ; deuxièmement, un état des conventions fiscales bilatérales couvertes ; troisièmement, un état des dispositions des conventions fiscales bilatérales effectivement modifiées en fonction des réserves, options et notifications formulées par les partenaires conventionnels de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Yannick Botrel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nos concitoyens – chacun le sait ici – sont attentifs et très concernés par ce qui touche à l’évasion et l’optimisation fiscales agressives. Le sujet dont nous débattons se trouve donc au cœur des préoccupations et des attentes citoyennes.

Après un examen en commission des finances, nous sommes réunis ce matin pour débattre du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales entre pays dans le but de prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Ce texte, technique au fond, est au croisement de deux sujets d’actualité marquants, sur lesquels il me semble nécessaire de revenir avant d’aborder le cœur du sujet.

C’est tout d’abord l’évolution de l’économie, qui se mondialise encore davantage sous l’influence de la numérisation de nos sociétés. La progression de cette tendance sur une dizaine d’années est impressionnante.

Récemment, Marck Zuckerberg, créateur et président-directeur général de Facebook, en a été l’illustration, comme on l’a vu à l’occasion de son audition par le Parlement américain dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.

Si cela peut sembler, de prime abord, un peu loin du sujet, je crois au contraire qu’il s’agit du fondement même de la problématique. Ce scandale récent concerne 87 millions d’utilisateurs de ce réseau social à travers le monde, dont 200 000 Françaises et Français.

En second lieu, une autre donnée chiffrée est intéressante : la société Facebook revendiquait, à la fin de l’année dernière, 2,13 milliards de comptes utilisateurs actifs. Or, chacun a en mémoire le débat créé par la localisation fiscale des activités de cette entreprise.

Si j’évoque cela, mes chers collègues, c’est pour mettre en lumière brièvement, même si ce sujet mériterait des développements plus importants, le poids économique et sociétal des géants de l’internet, les « GAFA » – Google, Apple, Facebook, Amazon… –, dans le monde et dans nos économies en particulier. Leur émergence a considérablement renforcé la prégnance des firmes multinationales, ce qui a entraîné – d’aucuns s’accordent à le reconnaître – des pratiques de fraude et d’optimisation fiscales extrêmement agressives.

Je ne reviendrai pas sur l’absolue nécessité qu’il y a de lutter contre la fraude fiscale ; nous en sommes, j’en suis certain, toutes et tous intimement convaincus dans cet hémicycle.

Nous sommes cependant aujourd’hui dans une situation improbable, une sorte d’entre-deux. Des initiatives concrètes ont pu être élaborées pour réguler ces comportements. Je pense notamment à la taxe Google encore défendue récemment ici même, notamment par le groupe des sénateurs socialistes. Je pense aussi à la proposition de loi du groupe socialiste et républicain visant à la suppression du « verrou de Bercy », qui sera prochainement examinée par notre Haute Assemblée.

Les opinions publiques ont été choquées et ulcérées par la révélation des récents scandales de fraude fiscale révélés par les « Panama papers » et les « Paradise papers », qui ont défrayé, à juste raison, la chronique.

La réalité en la matière, même si cela est déplaisant, c’est que, malgré des avancées, nous sommes aujourd’hui loin du compte et qu’il nous faut encore progresser.

C’est dans ce contexte que nous examinons ce projet de loi de ratification, qui découle de l’initiative dite BEPS, portée par l’OCDE, dont l’action 15 est ainsi traduite en droit positif.

En quoi ce projet est-il opportun et bienvenu ? Il s’agit en premier lieu d’une question de méthode. Nous le savons, la lutte contre la fraude fiscale est un domaine dans lequel la coopération internationale peut être difficile et où les comportements opportunistes, égoïstes, de certains États sont une difficulté qu’il faut dépasser.

À cet égard, la perspective d’une convention multilatérale apparaît parfaitement intéressante.

Concrètement, la signature de cette convention multilatérale procédera à la modification d’un nombre important de conventions bilatérales. Cela nous épargnera une procédure classique, qui durerait, selon les estimations disponibles, au moins une vingtaine d’années, si du moins il fallait examiner séparément ces conventions. En ces temps d’engorgement de l’ordre du jour du Parlement, il s’agit d’un point qu’il convient de souligner.

S’agissant du fond, ce texte s’appliquera aux conventions conclues entre les parties signataires et modifiera le contenu et la portée de certaines stipulations des conventions bilatérales.

La convention contient des mesures obligatoires – des standards minimums – visant à modifier le préambule des conventions fiscales, à insérer une clause anti-abus de portée générale et à moderniser la procédure de règlement des différends.

Plus explicitement, ce texte permet de s’assurer que les bénéfices sont imposés là où s’exercent réellement les activités économiques qui les engendrent et là où la valeur est créée, en luttant notamment contre l’utilisation abusive des conventions fiscales bilatérales. Il permettra l’évitement artificiel du statut d’établissement stable, tout en améliorant les règles fixant le cadre du règlement des différends en cas de double imposition.

Tout au plus, je ne peux que regretter qu’à ce stade les États-Unis refusent d’intégrer la démarche, confirmant de la sorte une forme d’unilatéralisme très contestable.

Le Gouvernement nous demande d’autoriser la ratification de cette convention multilatérale, sur laquelle la France souhaite, par ailleurs, exercer sur plusieurs points son droit de réserve afin de préserver ses intérêts légitimes.

Sur le fond je ne vois pas d’argument qui pourrait conduire à ne pas voter le présent projet de loi visant à autoriser le Gouvernement à ratifier cette convention, que le groupe socialiste et républicain juge nécessaire dans le contexte actuel, pour ne pas dire plus… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions. – MM. Didier Rambaud, Richard Yung, Éric Gold et Jean-Claude Requier applaudissent également.)