compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Agnès Canayer,

M. Yves Daudigny.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 31 mai 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Intitulé du projet de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Nouveau pacte ferroviaire

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire (projet n° 435, texte de la commission n° 495, rapport n° 494).

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les masques sont finalement tombés. Malgré un semblant de rébellion avec la proposition de loi Maurey-Nègre, la majorité sénatoriale et le Gouvernement sont en fait au diapason.

Vous êtes d’accord pour changer le statut de la SNCF, pour casser le statut des cheminots et pour ouvrir à la concurrence les transports ferroviaires sans aucune étude d’impact.

Mon groupe a été le seul à voter un amendement de suppression de l’article 1er A, qui transforme la SNCF en une myriade de sociétés anonymes soumises au code du commerce.

Ainsi, il n’aura fallu que trois jours à la Haute Assemblée pour mettre fin à quatre-vingts ans de service public ferroviaire, livrant aux appétits privés un secteur d’intérêt général.

Pourtant, ni le Président de la République ni le Gouvernement n’ont reçu de mandat populaire pour cela.

Le président Macron nous apporte la preuve que, loin d’emmener le pays vers la modernité, il en revient, en réalité, aux très vieilles sirènes libérales.

Votre légitimité est extrêmement fragile. Elle est même d’autant plus fragile que le résultat du « vot’action » démontre qu’une majorité de cheminots refuse cette réforme, alors qu’ils sont les premiers acteurs du système ferroviaire.

M. Jacques Grosperrin. Mais ce ne sont pas eux qui font les lois !

Mme Éliane Assassi. Malgré votre volonté de faire de cet examen une simple formalité, nous avons voulu débattre sur le fond, combattant pied à pied vos arguments et en étant aussi force de proposition.

Nous sommes fiers d’avoir bousculé le scénario par la force de nos interventions et par nos amendements.

Nous sommes fiers d’avoir porté au Sénat la voix des cheminots, mais aussi celle des usagers, des citoyens et de tous ceux qui refusent une société dans laquelle l’accès au droit à la mobilité sera différent selon que l’on réside en ville ou à la campagne. Un droit dont l’exercice sera lié, demain, au niveau de rentabilité qui en résultera pour les entreprises auxquelles on confiera sa réalisation.

Sur la forme, l’adoption de ce texte va témoigner d’un double mépris : un mépris politique, à l’égard des parlementaires, avec le recours aux ordonnances, et un mépris social dont fait preuve l’absence de négociation avec les organisations syndicales. Concertation n’est pas négociation.

Aujourd’hui, c’est bien le Gouvernement qui porte la responsabilité morale et politique d’un conflit social majeur.

Sur le fond, ce projet de loi est dogmatique et technocratique. Il est déconnecté du quotidien de nos concitoyens et ne traduit qu’une obsession pour un libéralisme exacerbé.

Ce texte organise l’arrivée de nouveaux entrants en livrant clef en main les moyens et les savoir-faire de l’opérateur public et des cheminots aux intérêts privés : transfert de salariés formés, transfert des matériels roulants et des ateliers de maintenance, filialisation des gares… Autant de « facilités » permettant aux nouveaux entrants de bénéficier de l’investissement conjoint de la SNCF et des autorités organisatrices. C’est une véritable distorsion de concurrence !

Vous vous entêtez, alors que les expériences européennes sont édifiantes : dégradation du service et du coût pour les usagers et dégradation des conditions de travail en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Suède…

Au final, nous ne savons toujours pas pourquoi il est nécessaire de changer le statut de la SNCF. Pourquoi, au lieu des trois établissements publics, est-il urgent de créer quatre ou cinq sociétés anonymes ? L’Europe ne le demandait pas.

Pis, ce changement va entraîner une augmentation des taux d’intérêt du fait de la dégradation des notes des agences de notation liée à la suppression de la garantie illimitée de l’État…

Pour aller au bout de son projet de libéralisation, le Gouvernement est même prêt à reprendre une partie de la dette à hauteur de 35 milliards d’euros. Vous vous gardez bien, toutefois, d’expliciter à la représentation nationale le scénario envisagé et la structure de la dette reprise, et ce malgré nos multiples interventions.

Finalement, il s’agit d’une stricte obligation comptable liée aux règles sur l’endettement des sociétés anonymes. Et c’est cela que vous érigez en symbole de l’engagement de l’État.

Soyons clairs : il ne s’agit en aucune manière de donner plus de marges de manœuvre à SNCF Réseau, puisque, dans le même temps, vous avez fait adopter une nouvelle règle d’or qui contraint drastiquement les investissements, notamment dans le réseau secondaire.

Le président Macron est en quelque sorte entré dans cette réforme, au nom de l’équité, par la dénonciation du statut des cheminots, jetant ceux-ci à la vindicte populaire, organisant le « tous contre tous ». Pour cela, il n’a pas hésité à déclarer que le coût de ce statut s’élevait à 700 millions d’euros, alors qu’il est de 15 millions, soit un montant vingt fois inférieur au budget de communication du groupe.

Au final, le changement de statut risque de coûter plus cher puisque les conditions de travail des cheminots sont moins favorables que les dispositions du code du travail, notamment en ce qui concerne le travail de nuit ou du dimanche. En agitant ce chiffon rouge, le Président de la République a détourné l’attention des véritables maux du ferroviaire : désengagement de l’État et sous-financement.

La presse du week-end ne tarit pas sur les concessions faites au Sénat. Franchement, nous ne voyons pas de quoi il s’agit puisque tous les principes directeurs ont été confirmés. L’incessibilité a été inscrite dans le texte, mais cela n’engage que ceux qui croient aux promesses d’un gouvernement aux ordres de la finance. Les conditions de transfert ont été légèrement assouplies, le volontariat étant favorisé et la réintégration étant exceptionnellement permise.

Il faut tout de même avoir à l’esprit que nous assistons à une grande première : le transfert de salariés statutaires d’une entreprise publique vers une entreprise privée.

Au-delà du profond désaccord sur l’ouverture à la concurrence et le changement de statut de la SNCF, vous avez refusé toutes les assurances que nous proposions en repli : un transfert fondé exclusivement sur le volontariat et un véritable droit de réintégration au statut sans limitation dans le temps.

Enfin, moins de trains, puisque c’est à cela que va conduire la concurrence, c’est plus de cars, plus de camions, plus d’avions pour un coût environnemental que nous n’avons pas le luxe de nous payer.

C’est notamment pour cette raison, madame la ministre, que nous aurions souhaité que le Gouvernement se saisisse du règlement sur les obligations de service public, ou règlement OSP, pour préserver le modèle français – intégré et permettant une péréquation à l’échelon national et entre les différentes activités –, son haut niveau de sécurité et la compétence des agents. Autrement dit, une maîtrise publique qui garantisse l’égalité des territoires et une réelle priorité au rail.

Nous le répétons, cette réforme est avant tout idéologique. Elle montre combien le président des riches et son gouvernement ont décidé de s’attaquer aux citoyens et aux salariés.

Après les APL cet hiver et les pseudo-privilèges des cheminots aujourd’hui, viendront demain des aides sociales et les retraites. C’est cela votre projet de société : détruire les acquis sociaux et les garanties collectives en laissant les individus démunis devant la mondialisation capitaliste.

La réforme de la SNCF est un symbole, madame la ministre ; c’est un repère social que le Gouvernement et le Président de la République veulent faire sauter.

Nous voterons contre ce projet de loi dont nous continuons à demander le retrait. Il va à l’opposé d’une réforme ambitieuse pour construire le service public ferroviaire du XXIe siècle, écologiquement responsable et répondant aux besoins de la Nation. Avec ce texte, vous ne préparez pas l’avenir, madame la ministre, vous nous engagez dans une voie de garage. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour le groupe Union Centriste.

Je tiens à remercier notre collègue du travail accompli par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qu’il préside.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans quelques instants, au terme de vingt-cinq heures de débat, nous aurons à nous prononcer sur un texte très important : le projet de loi portant réforme du système ferroviaire.

Dans cette affaire, tout avait pourtant assez mal commencé. Le Premier ministre, sans aucune concertation avec les parlementaires, avait annoncé, le 26 février dernier, que la réforme se ferait par ordonnances.

Le Sénat, au premier rang son président, avait alors réagi fermement pour dénoncer cette procédure. Un peu plus de trois mois plus tard, la situation a évolué positivement.

Le Gouvernement a accepté de limiter le recours aux ordonnances en introduisant, au fur et à mesure des débats, des dispositions législatives.

La ministre des transports a eu l’intelligence de comprendre que le Sénat n’était pas dans une posture politicienne qui le conduirait à s’opposer par principe à ce texte. De ce fait, elle a choisi de travailler avec nous dans un esprit constructif et ouvert pour mener à bien cette réforme.

L’Assemblée nationale, pour une fois, n’a pas prétendu tout régler. Et le Sénat, comme toujours, a eu à cœur de privilégier l’intérêt général sur toute autre considération.

Il convient, à cet égard, de saluer le travail de la Haute Assemblée et l’implication personnelle et très active de son président, Gérard Larcher.

Dès l’origine, nous avons manifesté notre soutien à cette réforme courageuse, tout en ayant à cœur de l’améliorer. Je crois pouvoir dire que nous y sommes parvenus. En commission, tout d’abord, grâce au travail remarquable de notre rapporteur, que je tiens à féliciter et à remercier vivement, puis en séance publique, guidés par quatre objectifs : renforcer le volet « aménagement du territoire » de ce texte ; offrir aux salariés de réelles garanties en cas de transfert ; poser les conditions nécessaires à la réussite de l’ouverture à la concurrence ; maintenir un haut niveau de sécurité et de sûreté au sein du système ferroviaire.

Il revenait naturellement au Sénat, et à notre commission, de défendre la question de l’aménagement du territoire.

L’ouverture à la concurrence à laquelle nous sommes attachés – elle doit renforcer notre système ferroviaire et la SNCF – ne doit pas se faire au détriment des territoires ni des clients. Or nous savons que le système de modulation des péages proposé par le Gouvernement ne suffira pas à éviter que des dessertes TGV disparaissent au nom de la rentabilité. Bernard Roman, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ou ARAFER, qui est à l’origine de ce dispositif, nous l’a confirmé lors d’une récente audition devant la commission.

Pour garantir la pérennité des dessertes menacées, il faut aller au-delà. Il faut que l’État conclue, si cela s’avère nécessaire, des contrats de service public comme nous l’avions déjà prévu dans notre proposition de loi, adoptée par le Sénat le 29 mars dernier. Nous avons donc réintroduit ce dispositif.

Sur le volet social, la commission a complété le texte de l’Assemblée nationale. Le rapporteur et moi-même avons reçu les syndicats et recherché, avec le soutien du président du Sénat, les voies et moyens de lever les inquiétudes légitimes des salariés.

Nous avons voulu être pragmatiques et humains. Nous avons donc précisé les conditions du transfert en favorisant le volontariat.

Nous avons également proposé un dispositif de retour permettant aux salariés transférés, dans un délai de trois à six ans, de réintégrer le statut en cas de réembauche par le groupe SNCF. En séance, à l’unanimité et avec le soutien du Gouvernement, nous avons décidé d’aller plus loin et de prolonger ce délai de deux ans. Ce dispositif, qui répond à une préoccupation forte des cheminots, devrait contribuer à rassurer ceux-ci.

En ce qui concerne les conditions d’une ouverture réussie à la concurrence, nous avons tenu à conforter l’autonomie de Gares & Connexions en tant que filiale de SNCF Réseau pour préserver ses capacités d’investissement, ce qui est tout à fait essentiel.

Nous avons aussi soumis la mise en œuvre de deux dérogations à l’obligation de mise en concurrence – la dérogation pour circonstances exceptionnelles et la dérogation dite de compétence, deux notions un peu floues – à l’avis conforme de l’ARAFER pour éviter des interprétations excessives et, surtout, pour sécuriser le choix des autorités organisatrices qui souhaitent y avoir recours

En matière de sécurité, nous avons voulu renforcer la coordination entre les acteurs en autorisant la création d’un groupement d’intérêt public pour assurer des missions transversales utiles au bon fonctionnement du système ferroviaire.

Le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, constitue donc, comme l’a dit Mme la ministre, un point équilibre. J’espère que son adoption ainsi que les annonces du Gouvernement sur la dette permettront enfin de sortir d’un conflit social qui n’a que trop duré.

Je dois à cet égard me réjouir que le Gouvernement et le Président de la République, malgré la pression des syndicats, n’aient pas fléchi. Je tiens à les en féliciter.

Toutefois, des inquiétudes demeurent. Le Gouvernement a souhaité revenir sur plusieurs apports de notre commission à travers des amendements, qui, s’ils n’ont pas été adoptés, démontrent une volonté de revenir sur certains points.

Certains amendements tendaient à réduire le rôle de l’ARAFER, alors que notre commission et, au-delà, le Sénat ont toujours veillé à préserver, et même à renforcer, le rôle de cette autorité et des régulateurs en général.

D’autres visaient à diminuer l’autonomie financière de Gares & Connexions, ce qui aurait mis en cause sa capacité d’investissement, et à revenir sur l’incompatibilité des fonctions de dirigeant de SNCF Réseau avec celles de dirigeant de la holding de tête, autrement dit sur l’indépendance des sociétés anonymes entre elles.

Tous ces amendements, je le répète, ont été rejetés. Toutefois, nous serons particulièrement attentifs à ces questions lors de la réunion de la commission mixte paritaire au cours de laquelle, je le pense, nous pourrons parvenir à un accord, sous réserve que ces points soient pris en compte.

Mes chers collègues, sur ce texte, le Sénat a, comme toujours, prouvé son sens des responsabilités et de l’intérêt général. Il a eu à cœur non pas de faire de la politique politicienne, mais d’agir dans le seul souci de l’intérêt général.

Le rôle qu’il a joué dans cette réforme majeure a démontré, s’il en était besoin, la nécessité d’un bicamérisme équilibré. À toutes celles et à tous ceux qui s’interrogent parfois sur le rôle du Sénat, dans l’opinion publique ou même au sein des instances gouvernementales, je crois que nous avons apporté une réponse claire et nette.

Il faudra, madame la ministre, que le Gouvernement s’en souvienne lors des discussions à venir sur la révision constitutionnelle : l’exécutif et, surtout, la France ont besoin d’un Parlement fort et responsable pour mener à bien des réformes d’ampleur. L’examen du présent texte l’a confirmé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Olivier Jacquin. Mes chers collègues, nous tous, les 348 sénateurs et sénatrices de France, par notre travail, venons de démontrer que le Sénat, lorsqu’il est pris en considération, est un élément déterminant du bicamérisme et de la démocratie parlementaire. Vive la République, vive le Sénat ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis ce débat, les membres de la commission, le rapporteur et Mme la ministre.

Pour autant, nous sommes loin d’être satisfaits de la version du texte sur laquelle nous serons amenés à nous prononcer dans quelques instants.

Madame la ministre, nous vous l’avons répété plusieurs fois ces dernières semaines, votre réforme est une réforme à l’envers. Sans doute le projet de loi d’orientation sur les mobilités nous sera-t-il soumis un jour, mais nous ne pouvons que regretter cette inversion de calendrier, car c’est bien ce texte qui aurait dû déterminer une trajectoire pour le ferroviaire.

Mais rappelons-nous tout de même, chers collègues, l’historique du présent projet de loi. Le Président de la République et le Premier ministre avaient annoncé une loi rapide, par ordonnances, et avaient chacun tenu des propos qui n’avaient d’autre but que de stigmatiser et provoquer les cheminots. Résultat des courses : des ordonnances et une grève longue qui dure encore…

Lorsqu’il est arrivé à l’Assemblée nationale, votre projet de loi, madame la ministre, n’était composé que de 8 ordonnances ; il ressort du Sénat fort de 37 articles.

L’ensemble des progrès législatifs n’a été obtenu qu’en raison de la mobilisation syndicale et parlementaire forte, preuve de la nécessité de respecter les corps intermédiaires. On ne dirige pas la France comme on dirige une start-up. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – MM. René Danesi et Sébastien Meurant applaudissent également.)

Néanmoins, madame la ministre, je continue de m’interroger sur cette méthode singulière de légiférer au doigt mouillé, c’est-à-dire sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État. De nombreuses questions importantes restent en suspens.

Qu’en est-il vraiment de l’avenir des petites lignes, de la capacité financière des régions, ou encore de la modulation des péages et de leur impact ? Qu’en est-il de la nouvelle trajectoire financière de la SNCF après l’annonce très récente du désendettement ?

Je tiens d’ailleurs à rappeler dans cet hémicycle que ce désendettement a été rendu possible grâce aux efforts du précédent gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union centriste et du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) pour ramener l’endettement sous la barre fatidique des 3 % du PIB en 2017, alors qu’il était de 5,2 % en 2012…

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous aviez pourtant bien commencé ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Jacquin. Enfin, qu’en est-il de la convention collective de la branche ferroviaire ?

Nous avons précisé les ordonnances, notamment sur les conditions de transfert et sur la réintégration possible chez l’opérateur historique par le biais de notre amendement rectifié, voté à l’unanimité. Mais nous ne savons pour l’instant rien de plus que la tenue d’une réunion tripartite État-patronat-syndicats. Nous sommes en droit d’obtenir des précisions sur le rôle que vous comptez jouer dans ces négociations et sur ce que vous comptez y défendre.

Certes, ces trois éléments sont dans votre texte, mais je ne suis toujours pas convaincu de la pertinence du titre de votre projet de loi – Nouveau pacte ferroviaire –, tant ce texte reste incomplet pour mériter un tel intitulé.

En effet, vous ne proposez rien pour discriminer positivement le rail face à la route et à l’avion : dans un cas, l’usager paye une partie de l’infrastructure, pas dans les autres. À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique et de la transition énergétique, c’est insuffisant. Il conviendrait de valoriser les externalités positives du rail pour permettre un report modal.

De plus, un pacte ferroviaire digne de ce nom devrait concerner tout le rail. Or que constate-t-on ? Quasiment rien n’est dit sur le fret. Quant aux petites lignes et à l’aménagement du territoire, aux éventuels nouveaux développements, les imprécisions et incertitudes sont nombreuses, ce qui peut nous conduire à douter.

Il ne s’agit donc pas d’un nouveau pacte ferroviaire.

Par ailleurs, la nouvelle organisation de la SNCF que vous proposez risque, paradoxalement, d’affaiblir celle-ci, notamment en raison de cette règle d’or très stricte qui inquiète quant aux nouveaux projets de développement du rail, ou encore de la transformation en société anonyme qui va renchérir le coût du financement par une augmentation mécanique des taux d’intérêt.

La règle d’or, inventée en 2014, est une bonne chose ; son renforcement inquiète.

Rien ne nous permet d’imaginer que nous allons pouvoir sortir de la logique malthusienne qui prévaut depuis maintenant bien trop longtemps selon laquelle, régulièrement, on coupe des petites lignes et des services sur les tronçons moins fréquentés, atténuant ainsi l’effet réseau du rail.

Loin d’une opposition et d’une obstruction systématiques, nous avons soutenu de nombreuses idées nouvelles lors de ce débat : place croissante de l’intermodalité et des mobilités douces dans nos modes de déplacement, rôle des gares dans les territoires et nouvelles interactions à créer avec les collectivités, mise en œuvre d’un schéma de desserte d’intérêt national validé par le Parlement – garantie d’égalité entre les territoires –, nécessité de mettre plus de démocratie dans la gouvernance SNCF et d’affirmer le rôle du Haut Comité du système de transport ferroviaire, créé en 2014, pour un fonctionnement plus transparent… Certaines de ces propositions ont été partiellement reprises par notre assemblée.

Chers collègues, ce mardi, nous sommes toujours sous un régime d’ordonnances et le conflit social, très dur, se poursuit. Si la grève ne s’est malheureusement pas arrêtée au soir du débat au Sénat, c’est que des sources d’inquiétude persistent. Cependant, madame la ministre, vous nous avez annoncé une réunion tripartite, ce que nous apprécions.

Le calendrier initial nécessitait de finaliser l’ouverture à la concurrence. Pour ce faire, il n’était pas nécessaire de provoquer un tel conflit et d’aboutir à un texte qui n’est pas véritablement le nouveau pacte ferroviaire annoncé.

Dans ce contexte aussi incertain, madame la ministre, nous ne vous donnerons pas un chèque en blanc pour une destination inconnue et voterons contre ce projet de loi. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Il s’agit non pas d’un vote protestataire, …

M. Olivier Jacquin. … mais de vigilance avant la réunion de la commission mixte paritaire et les dernières discussions avec les syndicats.

Rendez-vous est donc pris pour les prochains textes, sur lesquels nous soutiendrons encore des propositions ambitieuses et nouvelles, comme cela a été le cas ces dernières semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme du transport ferroviaire que nous allons voter est une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent l’ouverture à la concurrence, la transformation de la société nationale et la fin de statuts professionnels exorbitants du droit commun.

C’est surtout une bonne nouvelle pour tous les Français qui subissent chaque année un peu plus les conséquences du retard à réaliser cette réforme.

Mais c’est une défaite cuisante pour ceux qui ont organisé la pire des formes de grève, la grève à répétition destinée à pourrir au maximum et le plus longtemps possible la vie de nos concitoyens ; une défaite pour ceux qui prétendent défendre le service public en cassant, depuis des semaines, ce dernier.

Ils prétendent défendre un service public qui marche. Nous savons tous qu’il fonctionne mal. Un réseau à deux vitesses avec, d’un côté, les privilégiés des lignes à grande vitesse et, de l’autre, les roturiers des lignes classiques qui accusent un retard d’investissement de plusieurs décennies.

Tous les élus de cette assemblée peuvent donner des exemples édifiants de cette décrépitude. Les élus des territoires ruraux comme le mien autant que ceux des banlieues de l’Île-de-France ou des grandes métropoles. Le système est usé jusqu’à la corde et tout le monde le sait. Comme est usé jusqu’à la corde le mythe de l’intouchabilité des structures et des statuts publics, alors que, en France – son taux de dépenses publiques est le plus fort au monde –, le transport ferroviaire, mais aussi l’hôpital, les prisons, l’université sont au bord du collapsus. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Raisons pour lesquelles la stratégie des jusqu’au-boutistes de la grève est un échec : absence de soutien populaire, fissure du front syndical, érosion du taux de grévistes, détermination du Gouvernement, soutien du Parlement… Non, 2018 ne sera pas 1995. Et la litanie de l’appel à la convergence des luttes ne fera pas plus advenir un nouveau Mai 68 que la danse d’un sorcier vaudou n’amène la pluie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Ce n’est pas non plus en annonçant chaque semaine des chiffres concernant le nombre de manifestants plus irréalistes que ces jusqu’au-boutistes parviendront à masquer la dure réalité : la marée populaire était une marée basse. La France insoumise, le PCF, le NPA, des dizaines de groupuscules et en plus la CGT, SUD, la FSU… (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)