Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Ce dispositif n’est pas tabou !

M. Éric Jeansannetas. En effet, cette question n’est ni un tabou ni un totem. J’en profite pour saluer la qualité des travaux de Mmes les rapporteurs sur ce texte.

La communication avec les représentants des salariés nous semble essentielle, afin d’ouvrir à ces derniers la possibilité de proposer un projet de reprise sérieux, s’ils en ont la volonté et les moyens. Le groupe socialiste et républicain défendra par conséquent un amendement de suppression de l’article 14, qu’il considère comme un recul.

En conclusion, nous saluons la démarche consistant à se saisir du thème de la transmission d’entreprise, car il s’agit d’un vrai sujet. Finalement, le Gouvernement nous suit, et c’est tant mieux. Nous déplorons toutefois l’absence de chiffrage des différentes mesures. Si celle-ci s’explique bien sûr en partie par le manque de données sur le sujet, il n’en demeure pas moins qu’elle fragilise le texte.

Nous considérons que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une excellente base de travail pour l’élaboration d’un texte plus équilibré et ambitieux, mais nous ne pouvons la voter en l’état. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus. (M. Daniel Chasseing applaudit.)

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart, ainsi que Mme la rapporteur, Christine Lavarde, pour leur travail au service de nos entreprises. Au fil des mois, au nom de la délégation aux entreprises, puis au sein de la commission des finances, ils ont pris la mesure d’un enjeu majeur pour notre économie, pour l’emploi local et pour le dynamisme de nos territoires.

La transmission d’entreprise est en effet une composante essentielle de la vitalité d’un tissu économique. Il n’y a qu’à regarder de l’autre côté du Rhin, en Allemagne, où la vigueur du « capitalisme rhénan » repose sur de grandes entreprises familiales, gérées dans une optique de long terme.

On ne le dira jamais assez, le succès économique allemand repose sur le dynamisme de ses PME familiales. À titre d’exemple, 99 % des entreprises allemandes sont des PME et 95 % d’entre elles sont des entreprises familiales. Cette structure particulière du Mittelstand allemand permet de créer des entreprises robustes, solides, aptes à affronter la mondialisation.

En Allemagne, quelque 300 000 entreprises exportent, contre trois fois moins en France. Je n’hésite pas à faire un lien entre notre déficit commercial abyssal et le poids normatif et fiscal qui pèse sur nos PME et ETI.

M. Michel Vaspart. Très bien !

M. Emmanuel Capus. Notre déficit commercial s’est creusé de près de 29 % en 2017, à plus de 62 milliards d’euros. Nous aurons beau rétablir la soutenabilité des finances publiques, si nous ne restaurons pas notre compétitivité, nous sommes condamnés au déclin économique. Face à cette urgence, madame la secrétaire d’État, nous devons enfin créer un Mittelstand à la française !

Nous devons soutenir les PME et ETI françaises, qui représentaient 83 % des créations d’emploi l’année dernière et qui jouent un rôle majeur d’animation de nos territoires. Nous devons en finir avec la logique des « champions nationaux », qui ne suffit pas à rendre notre économie compétitive malgré la qualité de nos fleurons industriels.

Pour contribuer à la création d’un tissu robuste de PME et d’ETI, il nous faudra transformer en profondeur notre système économique : dialogue social, fardeau normatif et fiscal, réforme de l’apprentissage, financement de l’économie, coopération et accompagnement à l’export…

Tous ces éléments devront être pensés dans une vision d’ensemble. Vous l’avez compris, je suis assez libéral, mais je crois que l’État stratège ne doit pas abdiquer son rôle d’animateur pour fixer les meilleures conditions de travail aux acteurs économiques.

Plusieurs initiatives, parlementaire ou gouvernementale, nous sont présentées cette année dans ce sens. Cette proposition de loi en est une. Elle est le fruit d’un long travail, je l’ai dit, et elle va dans le bon sens. Le projet de loi PACTE en sera une autre et reprendra – vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État – la question de la transmission d’entreprise. J’ai également noté que cela constituerait un volet du prochain projet de loi de finances.

Dans quelle situation sommes-nous aujourd’hui ? Nous connaissons très peu la réalité statistique des transmissions d’entreprises, ce qui empêche la puissance publique de mettre en place des mécanismes adaptés à la réalité.

Nous sommes dans une situation où la phase de préparation des transmissions est trop peu valorisée, ce qui conduit à des démarches précipitées et parfois bâclées, au détriment de l’emploi et de l’activité.

Nous sommes dans une situation où les dispositifs fiscaux et sociaux de la transmission, dont le pacte Dutreil, ne sont plus adaptés aux réalités du terrain. À la fois trop rigides et trop peu incitatifs pour les petites entreprises, ils doivent être modernisés.

Cette proposition de loi remédie en grande partie à ces difficultés, notamment grâce au travail précis de la commission des finances. Elle permet d’encadrer et de fluidifier la transmission au service de la pérennité de l’entreprise. Pour autant, elle n’oublie pas les salariés : plusieurs dispositifs, notamment relatifs à la reprise interne et familiale, me semblent aller dans le sens d’une meilleure participation des salariés au destin de leur entreprise.

Cette vision est conforme au vœu formulé par le général de Gaulle dans son fameux discours de Strasbourg sur la participation, où il exposait sa vision, étonnamment moderne, d’une entreprise qui trouverait son efficacité et sa justice « dans l’association, digne et féconde, et dans le partage, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, des bénéfices et des risques ».

Cette vision est étonnamment moderne, disais-je, car elle fait écho aux réflexions actuelles du Gouvernement sur l’objet social de l’entreprise, sans bien sûr nier que le but premier d’une entreprise est la recherche du profit, mais en prenant mieux en compte la dignité de ses salariés et la juste part d’intérêt général qui doit éclairer son action.

Cette proposition de loi a une approche équilibrée de la question de la transmission d’entreprise, qui est un sujet tout à la fois économique et social. Nous souhaitons que cette approche éclaire également la construction du projet de loi PACTE.

Parce que nous avons à cœur l’intérêt des chefs d’entreprise et des salariés, et, plus largement, parce que nous voulons transformer le tissu économique de notre pays en faveur des PME et des ETI, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise est l’aboutissement de deux ans de réflexions et d’auditions menées au sein de la délégation aux entreprises par Claude Nougein et Michel Vaspart. Il convient de les féliciter pour leur travail approfondi et méticuleux, ainsi, d’ailleurs, qu’Olivier Cadic pour son rapport d’information relatif à l’accompagnement du cycle de vie des entreprises.

Je remercie également Mme la rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de leur travail d’analyse, qui nous a permis d’examiner de façon pertinente et approfondie ce texte en commission.

La transmission d’entreprise, et surtout sa réussite, est un facteur essentiel de la vitalité de notre tissu économique, en particulier dans les territoires ruraux, où l’empreinte de ces entreprises est encore plus forte. En effet, elle ne peut dépendre uniquement du flux naturel – création ex nihilo, disparition –, mais doit intégrer les notions de croissance, de restructuration, de fusion, d’absorption et de transmission. C’est tout un cycle de vie dont la durée est très variable, de quelques mois à plusieurs siècles.

Cette difficulté d’appréhension se retrouve même en termes statistiques, comme cela a été souligné avant moi. Certes, l’on arrive facilement à quantifier les créations et les cessations d’activité. Pour ces dernières, d’ailleurs, avec un décalage, dû à notre formalisme juridique, fait que l’on peut retrouver dans les registres des chambres de commerce des entreprises ayant disparu depuis deux ans, voire davantage –des améliorations, qui ne relèvent pas de la loi, sont donc à attendre dans ce domaine.

Néanmoins, il est très difficile d’évaluer et de qualifier les transmissions d’entreprise. En effet, ces transmissions s’opèrent sous de multiples formes : elles peuvent être progressives ou immédiates – une reprise au tribunal, par exemple –, partielles ou totales – avec toutes les combinaisons imaginables –, avec des démarches très différentes dès lors qu’il s’agit d’une succession familiale – là encore, les cas de figure sont multiples : un repreneur, des héritiers, des membres de la fratrie à indemniser… –, d’une cession à des salariés, d’une vente à un tiers – fournisseur, concurrent ou autre –, d’une reprise dans le cadre d’une procédure judiciaire. Interviennent également la taille et la nature de l’activité.

Je crois par conséquent que l’établissement de statistiques est appelé à se heurter à un certain nombre de difficultés, car il faut aussi tenir compte de la nature même de l’entreprise et du type de transaction, lequel ne peut pas toujours être constaté à un moment donné.

Même si, pour les transmissions et les reprises d’entreprise, on peut relever un certain nombre de points communs dans les démarches en termes d’informations, de procédures, de règles comptables juridiques et fiscales, il n’est pas possible de modéliser la transmission d’entreprise.

Le texte qui nous est proposé contient un certain nombre de dispositions qui peuvent contribuer à un taux de transmissions et à un taux de réussite de celles-ci plus élevé ; c’est d’ailleurs bien là son objectif. À mon sens, il eût été préférable que son titre proposât de « faciliter » cette transmission, plutôt que de la « moderniser », un verbe banal et qui ne traduit pas toujours une forte volonté. Or la volonté des auteurs de ce texte est manifeste.

Cette proposition de loi n’épuise pas le sujet de la transmission d’entreprise, notamment du côté du repreneur : s’il est beaucoup question du cédant, sans doute faut-il proposer aux repreneurs des accompagnements, voire des garanties – ce sujet mériterait d’être encore approfondi. Elle contient toutefois un certain nombre de dispositions facilitant la transmission non seulement dans le domaine fiscal, mais aussi en termes d’informations, d’éducation, de simplification et de sécurisation.

Parmi les mesures très concrètes, on retiendra en particulier l’amélioration du pacte Dutreil, même si elle reste insuffisante. Je formulerai toutefois une réserve concernant l’introduction d’une discrimination portant sur l’âge du cédant, discrimination peu importante sur le plan financier, mais inopportune au regard de la diversité des situations personnelles.

On retiendra également les allégements ou reports d’imposition et, de manière générale, l’assouplissement soit sur le fonds soit en termes de délais d’un certain nombre de contraintes ; la mise en cohérence de certains dispositifs, comme le taux unique pour les droits d’enregistrement, qui s’élèvent à 3 % pour une SARL, contre 0,1 % une SA ou une SAS à l’heure actuelle, sans que l’on sache vraiment pourquoi.

On retiendra encore l’abaissement du nombre de salariés impliqués dans le rachat de l’entreprise permettant à ceux-ci de bénéficier d’un crédit d’impôt. Cette mesure est très positive : si seulement cinq ou sept salariés sur vingt veulent reprendre l’entreprise, il s’agit tout de même d’une reprise par les salariés, et il faut faciliter leur démarche.

On retiendra enfin la clarification de la définition de la holding animatrice et le retour sur les dispositions de la loi Hamon, dont je souligne les bonnes intentions, mais qui étaient catastrophiques en ce qu’elles fragilisaient un certain nombre de transmissions d’entreprises.

M. Jean-Marc Gabouty. En effet, toutes les informations étaient portées sur la place publique, avec toutes les pressions imaginables des fournisseurs, des clients, des banquiers, voire de ceux qui voulaient faire échouer cette transaction.

L’entreprise est un corps vivant fragile, et la transmission est une opération délicate, dont l’issue à terme n’est pas garantie. La réussite de cette opération conditionne sa pérennité. Le texte apporte un certain nombre d’améliorations pour faciliter la transmission d’entreprise. C’est positif, mais il ne s’agit là que de mesures d’accompagnement. Au-delà de la transmission, ce texte doit s’insérer dans une démarche volontariste d’encouragement à l’entreprenariat qui se caractérise aussi par l’initiative et la prise de risques.

Madame la secrétaire d’État, je souhaite que l’examen de ce texte soit l’occasion d’un échange utile en vue de la discussion du projet de loi PACTE, au sein duquel un certain nombre de dispositions mériteraient d’être intégrées.

Notre groupe apporte bien entendu son soutien à ce texte. Et, dans son immense majorité – si je puis m’exprimer ainsi compte tenu de notre effectif… (Sourires.) –, il le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par MM. Nougein et Vaspart et plusieurs de nos collègues, nous donne l’occasion de débattre aujourd’hui de la transmission des entreprises, un sujet central quand on sait que, chaque année, 60 000 entreprises sont potentiellement concernées par une cession et que, à moyen terme, 600 000 entreprises feront l’objet d’une transmission.

La question de la transmission mérite donc toute notre attention et je veux saluer le travail de la délégation aux entreprises dont le rapport d’information, Moderniser la transmission dentreprise en France : une urgence pour lemploi de nos territoires, a servi de base à la proposition de loi en discussion ce jour.

À partir du constat qui y est dressé et des propositions qui en émanent, les auteurs de la proposition de loi ont proposé dix-huit articles pour « simplifier, moderniser et sécuriser la transmission d’entreprises dans nos territoires ». Si je puis partager l’esprit de cette proposition de loi et certains constats, j’y vois des manquements, et certaines dispositions suscitent chez moi des interrogations.

Je pense ainsi au défaut d’anticipation des entrepreneurs, qui, à mon avis, n’est pas lié seulement au cadre fiscal. En effet, les études microéconomiques montrent qu’il est avant tout lié à des difficultés pour identifier un repreneur. Aussi faut-il prendre en compte d’autres facteurs, tels que la formation ou la confiance dans l’entrepreneuriat.

Une autre cause me semble mal identifiée par les auteurs de ce texte, à savoir la réalité de l’économie contemporaine avec l’innovation technologique et la modification de la concurrence, que certaines entreprises peinent à appréhender.

En outre, en tant qu’Ultramarin, je suis surpris qu’il ne soit fait nullement mention des cessions et transmissions des PME dans les outre-mer. Celles-ci connaissent pourtant un taux de cession beaucoup plus faible que leurs homologues de métropole : 2,6 % contre 5,5 %, soit deux fois moins.

Très surprenant aussi est le calibrage juridique et financier de cette proposition de loi. Pas moins de dix amendements ont été déposés par Mme Lavarde, rapporteur au nom de la commission des finances, sur l’article 8, qui est relatif à une seule disposition, le pacte Dutreil. Voilà la preuve d’une prise en considération insuffisante des conséquences juridiques et financières des mesures prévues par ce texte, à moins qu’il ne s’agisse d’un problème lié au temps. Je penche davantage pour la seconde explication…

Mes chers collègues, le Parlement débattra à la rentrée prochaine d’un projet de loi qui se veut plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit « PACTE ». Le Gouvernement annonce qu’il sera dense. Une excellente occasion nous sera alors donnée de conduire une véritable réflexion sur le tissu économique français, sur les aides aux PME liées notamment à la question des seuils sociaux, la réforme de l’épargne retraite, la modernisation de l’épargne salariale.

Madame la secrétaire d’État, le groupe La République En Marche soutient la démarche du Gouvernement. D’ici à la présentation de ce projet de loi au Parlement, nous continuerons à réfléchir aux problèmes que rencontrent les entreprises. Pour ma part, je travaillerai à des propositions pour les entreprises d’outre-mer, qui connaissent des problèmes souvent bien spécifiques.

En attendant, sur cette proposition de loi, le groupe La République En Marche s’abstiendra. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, je salue tout d’abord les auteurs de cette proposition de loi, Claude Nougein et Michel Vaspart. Je tiens également à souligner le travail remarquable réalisé par la délégation aux entreprises du Sénat, présidée par Élisabeth Lamure, que je remercie particulièrement.

M. Guillaume Chevrollier. L’économie française a longtemps souffert d’une hypertrophie de l’État, d’un colbertisme à la française, d’une tentation protectionniste, qui a surencadré l’entreprise, ses dirigeants et ses salariés. Pour autant, je considère que le dialogue entre élus et entrepreneurs doit être maintenu et entretenu avec un objectif commun, libérer l’entreprise.

Le Sénat a particulièrement à cœur de jouer ce rôle de facilitateur pour créer un environnement propice au développement de l’entreprise et alléger les contraintes qui brisent tant les initiatives dans notre pays. Il faut lever les obstacles !

La transmission d’entreprise constitue, tout autant que la création d’entreprises, un enjeu économique majeur pour la croissance, mais aussi pour la vitalité de nos territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux. Dans mon département de la Mayenne, les entreprises familiales structurent le tissu économique. Je pense à des fleurons, créés voilà des générations et spécialisés dans différents domaines : l’agroalimentaire, l’industrie, le commerce, l’artisanat… Il faut pérenniser et développer ce capitalisme patrimonial.

Ces entreprises familiales, dont l’ancrage territorial est fort, se battent pour préserver l’emploi. Elles reposent le plus souvent sur des bases saines, à savoir un pragmatisme économique, une recherche de l’intérêt commun et un dialogue social sain, équilibré et permanent entre le dirigeant et les collaborateurs. Elles ont une souplesse et une réactivité qui leur permettent de s’adapter et de rester performantes.

Cependant, aujourd’hui, en France, chaque année, près de 60 000 entreprises changent de main et environ 30 000 d’entre elles ne trouvent pas de repreneurs et disparaissent, bien souvent en raison d’un système fiscal lourd et complexe. On le constate sur le terrain, au contact des acteurs économiques.

Le taux de transmission familiale est très faible en France. Il est estimé à 14 % des cessions de PME-ETI. Quel gâchis ! Faciliter la transmission des entreprises pour assurer leur pérennité, gage du développement économique et de la création d’emploi, est un impératif pour notre pays.

En ce sens, cette proposition de loi vise quatre objectifs : améliorer l’accès à l’information et l’anticipation des chefs d’entreprise dans le cadre du processus de transmission ; dynamiser le financement de la transmission ; simplifier et moderniser le cadre fiscal et économique de la transmission ; favoriser les reprises internes.

J’insiste sur la nécessaire simplification et modernisation du cadre fiscal et économique, qui est prévue à l’article 8. Le pacte Dutreil permet, sous certaines conditions, notamment un engagement de conservation, un abattement de 75 % de la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit, succession ou donation. Depuis 2003, il est un outil très efficace pour faciliter cette transmission, mais reste complexe dans son fonctionnement.

L’assouplissement et la sécurisation du pacte Dutreil suscitent de fortes attentes. De nombreuses propositions techniques ont été formulées en ce sens ces dernières années, qu’il conviendrait de mettre enfin en œuvre. Il s’agirait notamment de permettre la circulation des titres entre membres du pacte, sans remise en cause de l’avantage fiscal, et d’alléger les obligations déclaratives.

La modification essentielle de la proposition de loi est l’augmentation de 75 % à 90 % du taux d’exonération de l’assiette soumise à la fiscalité patrimoniale. En contrepartie de cette exonération beaucoup plus importante, la durée totale d’engagement serait portée de quatre à cinq ans, afin de sécuriser juridiquement le dispositif et d’éviter une censure du Conseil constitutionnel. Tel est le sens de l’amendement de Mme Lamure, que j’ai cosigné.

Madame la secrétaire d’État, le pacte Dutreil est un bon outil pour organiser les transmissions. Simplifions-le ! Essayons de développer son utilisation. Offrons aux entrepreneurs de notre pays une fiscalité adaptée à leurs besoins. Favorisons le maintien des entreprises dans nos territoires. Accompagnons particulièrement nos entreprises familiales, qu’il s’agisse des TPE, des PME ou des ETI. C’est ainsi que nous bâtirons une France forte et compétitive.

Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai cette proposition de loi, que je vous invite également à soutenir, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Michel Canevet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, notre pays compte 4 millions d’entreprises, qui sont autant d’espaces de prospérité et de création de valeurs absolument nécessaires pour l’emploi et l’avenir de notre pays. En Bretagne, quelque 30 000 chefs d’entreprise sont âgés de plus de cinquante-cinq ans et sont donc appelés à devoir assurer l’avenir de leur entreprise. Ces 30 000 chefs d’entreprise représentent 200 000 emplois, soit un nombre très important.

Depuis 2014, année de sa création, la délégation sénatoriale aux entreprises, sous la conduite d’Élisabeth Lamure, sa présidente, a eu l’occasion de rencontrer de nombreux chefs d’entreprise et d’identifier leurs problèmes.

Je tiens d’ailleurs à remercier nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein d’avoir souhaité approfondir la réflexion sur la question de la reprise et de la transmission d’entreprise, car ces sujets sont extrêmement importants pour l’avenir, comme en attestent les chiffres que j’ai indiqués concernant ma région. Leur réflexion a porté plus particulièrement sur les PME et leur évolution vers des entreprises de taille intermédiaire. Notre pays compte en effet moins d’entreprises de taille intermédiaire que des pays voisins, telles l’Allemagne ou l’Italie.

Or ces entreprises sont absolument nécessaires, madame la secrétaire d’État, sachant que nous devons réduire le plus possible le déficit de notre balance commerciale, lequel s’élève à 60 milliards d’euros chaque année. Nous n’y parviendrons pas, nous le savons bien, avec les seules grandes entreprises. Nous devons aussi compter sur les entreprises de taille plus modeste et les entreprises de taille intermédiaire.

Il est important de faciliter la reprise et la transmission d’entreprise, gage de succès, davantage d’ailleurs que la création d’entreprises, qu’il ne faut pas pour autant négliger, bien sûr. La meilleure façon de pérenniser les entreprises, c’est d’assurer leur reprise et leur transmission. En outre, c’est un facteur de maintien des emplois, ce qui est absolument essentiel, mais aussi d’aménagement du territoire.

Il y a quelques jours, Éric Jeansannetas et moi nous sommes rendus dans la Creuse, où nous avons rencontré des chefs d’entreprise. Leurs entreprises sont bien ancrées dans le département. Le maintien de l’emploi y est conditionné au fait que les entreprises existantes, qui sont performantes, il faut le dire, puissent continuer. Il est donc important d’aborder la question des transmissions et de soutenir les entreprises.

Le texte que nous examinons prévoit un certain nombre de dispositions fiscales. Toutefois, comme l’ont indiqué les rapporteurs dans leur rapport, la fiscalité n’est pas le seul levier pour faciliter la reprise et la transmission d’entreprises. Nous devons également avoir une meilleure connaissance de la création et de la reprise d’entreprise dans notre pays : un travail extrêmement important doit être fait à cet égard. Même si cette question n’a pas été prise en compte dans le texte, nous considérons qu’il est nécessaire de l’approfondir.

Par ailleurs, il faut prendre un certain nombre de mesures afin de sensibiliser un peu plus les jeunes à l’entreprise. Nous n’en faisons pas suffisamment dans ce domaine. Même si des efforts sont réalisés depuis quelques années, nous avons encore beaucoup à faire en la matière. Il convient d’accentuer nos efforts.

Enfin, compte tenu de sa situation, l’agriculture nécessitera une attention particulière. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Élisabeth Lamure. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, c’est en juillet 2016, c’est-à-dire il y a bientôt deux ans, que le bureau de la délégation aux entreprises a décidé d’orienter les travaux de la délégation sur la reprise et la transmission d’entreprise.

Au cours de ses déplacements sur le terrain durant un an et demi, la délégation a maintes fois été interpellée sur le sujet : nombre des chefs d’entreprise que nous avons rencontrés, qu’ils soient à la tête d’entreprises de taille petite, moyenne ou intermédiaire, nous ont dit en effet combien il était compliqué de transmettre ou de trouver un repreneur et combien le coût de la transmission, même sous le régime Dutreil, mettait en péril la survie des entreprises.

Nous envions la force du tissu industriel allemand, mais il faut savoir qu’il repose sur des entreprises familiales, qui ont été transmises de génération en génération et qui ont grandi au fil du temps. La France compte 83 % d’entreprises familiales, mais l’Allemagne, comme l’a rappelé Emmanuel Capus, en compte 95 % et l’Italie 93 %. Les entreprises familiales françaises n’arrivent pas à passer les générations. Un tiers d’entre elles n’arrive pas à passer à la deuxième génération. Seulement 10 % d’entre elles réussissent à passer à la troisième. Enfin, seulement 3 % passent à la quatrième et au-delà !

Pourtant, ces entreprises ont fait la preuve de leur particulière robustesse économique. D’après une étude de PwC France, en 2016, quelque 83 % des entreprises familiales françaises interrogées avaient vu leur chiffre d’affaires augmenter, contre 64 % en moyenne. Seuls 10 % d’entre elles avaient enregistré un recul de leurs résultats.

Ces entreprises disposent en effet de nombreux atouts : réactivité, capacité d’investissement, prise de décision à long terme. Elles sont un moteur essentiel de l’activité économique. Les entreprises de taille intermédiaire se distinguent en outre par leurs performances à l’export. Comme le soulignait déjà en 2010 notre collègue Bruno Retailleau, dans son rapport au Premier ministre, elles sont capables d’articuler harmonieusement le local et le global.

Dès la rentrée parlementaire de septembre 2016, la délégation a donc nommé deux rapporteurs – nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein – pour poser un diagnostic précis sur le mal et proposer des remèdes. Après avoir entendu tous les acteurs concernés, ils ont soumis à la délégation un rapport d’information, que celle-ci a salué et adopté en février 2017. Ils concluaient à la nécessité urgente de moderniser la transmission pour sauver des emplois dans les territoires.

Ce sont les préconisations de ce rapport qui sont déclinées dans la proposition de loi déposée en mars dernier. Je me félicite que ce texte soit aujourd’hui soumis au Sénat, car il vient consacrer un long travail mené au sein de notre assemblée. Surtout, il vient répondre à une urgence : sauver la vie de milliers d’entreprises qui font vivre nos territoires. Une entreprise de taille intermédiaire sur deux sera transmise dans les dix prochaines années. Un peu plus de 1,5 million d’emplois sont en jeu !

La presse économique s’en est fait l’écho ces derniers jours : la transmission d’entreprise reste trop compliquée et trop risquée. Les critères du dispositif Dutreil demeurent incertains, fragilisant les pactes conclus. Les formalités à respecter sont trop contraignantes, et leur oubli peut tout invalider. Le pacte peut donc être remis en cause longtemps après la transmission, parfois douze ans après, ce qui peut avoir des conséquences financières dramatiques. Dans ce contexte, on comprend que les dirigeants hésitent à transmettre.

Au-delà des questions fiscales, les dirigeants peinent à anticiper la transmission et à élaborer une vision stratégique d’avenir pour leur entreprise, afin de passer le flambeau au mieux. En interne, la reprise de l’entreprise par les salariés, qui peut être une bonne solution, n’est pas suffisamment accompagnée.

C’est pour répondre à l’ensemble de ces défis que Claude Nougein et Michel Vaspart, soutenus par la majorité des membres de la délégation aux entreprises, soumettent cette proposition de loi au Sénat. Je forme le vœu que le texte voté par le Sénat retienne l’attention du Gouvernement, qui semble avoir identifié le problème, et persuade les députés.

D’après ce que l’on croit savoir, le projet de loi PACTE, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, pourrait décevoir ceux qui espèrent un véritable progrès en matière de transmission d’entreprise. Or nous ne pouvons plus reporter sans cesse les avancées nécessaires.

Je souhaite donc que le Sénat se positionne aujourd’hui comme force de proposition sur ce sujet vital, afin de répondre aux attentes de milliers d’entreprises, d’un nombre plus grand encore de salariés, mais aussi de nombreux territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)