Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’en passer par la loi !

M. François Patriat. Nous avons réussi notre pari. Pourquoi ne pas tenter aujourd’hui d’en faire autant sur tout le territoire ?

Je parle enfin de l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente des produits phytopharmaceutiques et de la fin de la séparation du conseil et de la vente. Si l’on veut sortir à terme des intrants, il importe de fixer des objectifs ambitieux.

Mes chers collègues, la question qui se pose à nous ce soir est simple : que voulons-nous pour nos agriculteurs ? Souhaitons-nous leur donner l’occasion de reprendre la main dans les négociations commerciales, ou voulons-nous une loi timorée, qui ne permettrait pas cette remise à plat de notre modèle dont nous avons pourtant tant besoin ?

Si nous ne persévérons pas dans les engagements que vous avez pris, monsieur le ministre, et dans le travail entamé par nos collègues députés, on ne retiendra de ce projet de loi que des débats enflammés, qui auront nourri les colonnes des quotidiens sans faire avancer les choses, comme cela a été le cas à l’issue du débat à l’Assemblée nationale.

Non, mes chers collègues, la première mission de ce projet de loi est bien d’équilibrer les relations commerciales et de rendre un revenu digne à nos agriculteurs. Ce texte doit nous permettre de revenir à ce pacte de confiance fondé sur une responsabilité partagée de la fourche à la fourchette, dans la droite ligne des États généraux de l’alimentation et des engagements pris par le chef de l’État.

L’esprit de la loi ne fera pas tout, nous en avons conscience ; il faudra que celle-ci soit accompagnée d’autres mesures pour atteindre nos objectifs. Vous avez cité, monsieur le ministre, le Plan « ambition bio », publié il y a quelques jours, et la feuille de route 2018-2022 pour une politique de l’alimentation, en concertation avec les filières. Mais la réforme doit offrir au monde agricole des opportunités de court, moyen et long termes, afin qu’il puisse s’organiser et prendre en main son destin collectivement et en bonne intelligence. Cette réforme doit permettre à chaque citoyen de devenir un consommateur responsable et éclairé.

Enfin, je souhaite que nos échanges permettent d’enrichir le projet de loi et de revenir à un texte équilibré, répondant à ces objectifs.

Monsieur le ministre, nous vous soutenons de toutes nos forces dans le débat qui s’est engagé sur la réforme de la PAC. Vous avez déjà réussi à réunir autour de vous un certain nombre d’États, qui n’approuvent pas une diminution de la PAC. J’espère que vous aurez suffisamment de soutien, non seulement pour que ce budget ne baisse pas, mais aussi pour que, dans certains domaines, la PAC puisse apporter de nouvelles réponses.

Par ailleurs, en raison des calamités climatiques qui touchent l’agriculture, il serait utile que nous puissions aller réellement vers un régime assuranciel obligatoire. Ce pourrait être, demain, une formule contre les aléas et contre les pertes de revenus. Il faut, pour cela, que l’Europe nous aide, afin de généraliser cette solution, pour qu’elle soit moins chère, donc efficace.

Dans ce domaine, même si ce n’est pas l’objet du texte de loi, il serait bon d’assouplir quelque peu les règles. On a besoin d’une agriculture exportatrice, avec une production de proximité, mais il convient aussi d’assouplir le contrôle des structures qui permettent à l’agriculture de s’adapter à la demande moderne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps évoqués comme un phénomène principalement urbain, la précarité, la pauvreté et l’exclusion n’épargnent ni le milieu rural ni la population agricole, car il y a aujourd’hui 26,4 % de ménages pauvres chez les agriculteurs et les salariés agricoles.

Ces chiffres, nous nous les répétons depuis trop longtemps. Pourtant, rien ne change ! Nous connaissons les causes principales de cette paupérisation de la majorité des agriculteurs et salariés agricoles de notre pays. Les réformes successives au niveau européen de la PAC et de ses déclinaisons nationales, notamment sous la pression des accords de l’OMC, ont fait de la concurrence libre et non faussée un objectif prioritaire de l’organisation des échanges et ont conduit à la disparition des mécanismes de régulation des prix et des productions.

À l’échelon national, les agriculteurs, mais aussi les consommateurs, sont devenus une simple variable d’ajustement dans la guerre des prix à laquelle se livrent la grande distribution et les groupes industriels agroalimentaires. Guerre qui déséquilibre la chaîne de valeurs, sape la cohésion sociale et fragilise l’ensemble du secteur agroalimentaire français, pourtant stratégique pour l’économie nationale en termes d’emplois, de balance commerciale, mais aussi de structuration de notre territoire.

Il y a dix ans, lors des débats sur la LME, la loi de modernisation de l’économie, nous nous opposions à la libéralisation des relations commerciales au vu de la structuration de la filière agroalimentaire, avec une concentration excessive des centrales d’achat, un tissu de PME éparpillé et des producteurs peu organisés.

À l’époque, nous dénoncions une contractualisation qui ne pouvait être gagnante pour toutes les parties, car elle était laissée au seul jeu des forces du marché. N’en déplaise à certains, sans un minimum d’équité contractuelle, aucun marché ne peut fonctionner.

Nous n’avons eu de cesse de proposer la mise en place d’outils permettant une meilleure structuration des filières, afin d’assurer une plus grande transparence dans la formation des prix au stade de la production, de la transformation et du commerce. Pour cela, nous proposions une identification claire des marges de chacun des acteurs et une meilleure information des consommateurs, pour les aider à concilier leurs contraintes budgétaires et la qualité de leur alimentation. Nos propositions n’ont pas été acceptées.

Depuis lors, le législateur n’a cessé d’intervenir pour tenter de restaurer « la loyauté » ou « l’équilibre » des relations commerciales, sans jamais parvenir à transformer les rapports de force. Les grands distributeurs ont en effet toujours su s’adapter aux nouvelles contraintes.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle. Comme cela a été rappelé, ce projet de loi est très en deçà des attentes des agriculteurs, loin de la problématique d’un renforcement réel du revenu paysan.

Puisque nous discutons des agriculteurs et de l’intervention de l’État, vous me permettrez d’avoir un mot pour les retraités agricoles, qui ne voient toujours pas venir l’augmentation de leur pension de retraite, alors qu’ils vivent bien en dessous du seuil de pauvreté. Nous attendons toujours un signe.

Pour en revenir au projet de loi, cela m’étonne encore de voir ceux qui, hier, ont proposé et voté cette libéralisation…

M. Stéphane Travert, ministre. Ce n’est pas moi !

Mme Cécile Cukierman. … en reconnaître aujourd’hui les méfaits et essayer d’en colmater les brèches, sans pourtant remettre en cause ce cadre délétère.

Il est étonnant de voir autant de girouettes, alors que l’hémicycle est assez isolé des courants d’air qui traversent le palais du Luxembourg ! (Sourires.)

M. Stéphane Travert, ministre. Il faut dire cela à d’autres !

Mme Cécile Cukierman. Certes, les contrats seront désormais proposés par les producteurs ou par leurs organisations, plutôt que, comme auparavant, par les acheteurs, mais il est très difficile de mesurer l’impact de cette disposition.

Certes, il y a la reconnaissance de la nécessité d’indicateurs plus fiables, mais il y a aussi, dans le même temps, le refus que les indicateurs de coûts de production soient publics.

Certes, il y a un renforcement du rôle du médiateur des relations commerciales, mais, dans le même temps, la possibilité de médiation privée reste ouverte.

Certes, il y a un renforcement de l’office d’évaluation des prix et des marges et des interprofessions, mais toutes ces mesures laissent le sentiment d’un travail inachevé.

Certes, il y a un relèvement de 10 % du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires, mais il est fondé sur « le seul espoir que cela ruisselle jusqu’aux producteurs ». Et si l’espoir fait vivre, il ne modifie en rien les rapports de force. La majorité des organisations agricoles que nous avons auditionnées ne s’y trompent pas : ce texte ne changera rien, ou alors il changera les choses seulement à la marge, car il reste inscrit dans un modèle économique qui favorise le plus fort.

Voilà pourquoi nous continuerons à porter la nécessité de prix planchers. Voilà pourquoi nous demandons l’intervention publique, sous la forme du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Voilà pourquoi nous proposerons l’interdiction de la revente à perte, la définition d’un prix abusivement bas et la prise en compte du revenu paysan dans la construction des indicateurs !

Dans son volet « alimentation », le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était porteur de promesses, mais il aurait été opportun de dédier à cette seconde partie un véhicule législatif propre.

Sans surprise, nous regrettons que la commission des affaires économiques du Sénat soit revenue sur des mesures phares. Je n’en ferai pas ici une liste exhaustive, nous y reviendrons dans le cours du débat.

Ces mesures, loin d’être des contraintes, sont aujourd’hui nécessaires, car elles répondent à une demande sociétale très forte, mais aussi à la nécessité de rétablir la confiance entre les agriculteurs et les consommateurs. Elles répondent également à la nécessité de réorienter notre modèle de production, mais elles répondent surtout à des enjeux de santé publique pour les agriculteurs, les salariés agricoles et les consommateurs.

En résumé la philosophie de ce texte, tant dans sa version initiale qu’après passage en commission au Sénat, est la suivante : ne rien imposer, continuer à faire confiance aux grandes entreprises agroalimentaires et remettre entre les mains des filières la responsabilité de la transition environnementale.

Nous sommes loin, très loin, des débats et des conclusions des États généraux de l’alimentation, qui devaient assurer une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Nous ne pouvons que déplorer l’effet néfaste, encore une fois, de la trahison de cette consultation, qui se disait ouverte et participative. Cette loi n’apportera aucune solution concrète. En l’état, notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la méthode et l’organisation des États généraux de l’alimentation, qui ont eu le mérite de mettre tous les acteurs du monde agricole, des producteurs jusqu’à la distribution, autour d’une même table, afin de dresser un constat. Ils ont peut-être aussi permis à chacun de comprendre l’autre pour préserver ensemble une agriculture française de qualité.

Monsieur le ministre, lors de la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres, vous avez développé trois axes : assurer la souveraineté alimentaire ; promouvoir des choix alimentaires au service de la santé ; réduire les inégalités d’accès à une alimentation de qualité et durable.

Assurer la souveraineté alimentaire, c’est être certain que demain il y aura suffisamment d’agriculteurs qui pourront vivre de leur métier.

Promouvoir des choix alimentaires en termes de santé, c’est avoir une volonté de changer de paradigme, c’est prévenir au lieu de guérir.

Réduire les inégalités d’accès à une alimentation saine et durable, c’est poursuivre le chemin tracé par Stéphane Le Foll, entamé dans la loi d’avenir vers l’agroécologie, qui doit devenir un modèle agricole.

Le titre Ier du texte a pour ambition de redonner de la valeur au travail des agriculteurs, de donner aux organisations professionnelles les moyens d’exercer toutes leurs responsabilités pour la prise en compte des indicateurs des coûts de production et la construction du prix de vente. C’est une excellente chose, mais les coûts de production peuvent varier pour la même filière d’une région à l’autre. C’est pourquoi nous vous proposerons de prendre l’Observatoire de la formation des prix et des marges comme garant.

Les organisations professionnelles doivent être suffisamment représentatives pour assurer les lourdes tâches qui leur seront attribuées dans la négociation avec les transformateurs et les distributeurs, qui, eux, ne manquent pas d’expertise dans ce domaine. Nous vous proposerons d’élargir l’expérimentation des contrats tripartites pour que chacun puisse être payé dignement, mais surtout en toute transparence.

L’encadrement des promotions est une bonne chose, comme le relèvement du seuil de vente à perte, fixé à 10 %.

Monsieur le ministre, nous savons tous la responsabilité des acteurs de la grande distribution dans la stratégie de guerre des prix incessante à laquelle ils se livrent depuis longtemps et qui a mis à genoux une grande partie de notre agriculture.

Permettez-moi de douter que se produise la fin de cette guerre. Je crains que la grande distribution n’hésite pas à importer de la marchandise à moindre coût et à poursuivre ses pratiques. Nous le disons : ce que nous souhaitons avant tout, c’est le juste prix pour tous, de l’agriculteur au consommateur.

Mesurant la toute-puissance de la grande distribution, je demeure très dubitatif sur le fait qu’elle veuille aller dans votre sens.

Sur les articles suivants, nous sommes d’accord avec vous concernant la restauration collective et l’approvisionnement à hauteur d’au moins 50 % de produits issus de l’agriculture de produits locaux ou sous signe de qualité. Nous nous félicitons également de la réintroduction dans le texte de l’exigence de 20 % de bio.

Je sais que la majorité sénatoriale avait fait valoir son désaccord lors de l’examen de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. Heureusement, elle évolue, très timidement.

Mes chers collègues, vous le savez très bien, c’est une volonté sociétale à laquelle vous ne pourrez pas vous soustraire, et je me félicite d’entendre quelques responsables de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, partager ce sentiment avec les autres syndicats agricoles.

Il est prévu de séparer la vente du conseil pour ne pas être juge et partie. Même si nous avons quelques craintes quant aux coûts supplémentaires engendrés pour l’agriculteur, nous y sommes favorables.

En revanche, sur l’interdiction des rabais et des ristournes, certes nous parlons de produits dangereux, mais, monsieur le ministre, je suis certain que cela n’a absolument rien à voir avec la diminution de la consommation. Ces produits sont homologués pour des doses à l’hectare. Ce n’est pas parce que l’agriculteur, en morte saison, va acheter un produit moins cher qu’il va en répandre davantage par la suite.

Des pistes réelles sont à creuser. Il s’agit, par exemple, de la manière dont ces produits sont employés, via des appareils de traitement qui ne sont pas toujours adaptés à la baisse de consommation. En viticulture, ce sont les cépages résistants, en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA.

Bien d’autres sujets seront traités pendant ce passionnant débat. Mais, vous le comprenez, au-delà des lois votées par le Parlement français, un sujet délicat est celui de la réciprocité des normes de production et de qualité. Nous la voulons de la part de tous les pays dont nous importons des produits agricoles, ainsi que de tous les pays avec lesquels nous avons des accords de libre-échange, comme cela a été signifié d’ailleurs dans une récente proposition de résolution sénatoriale sur la politique agricole commune, la PAC.

Oui, j’en suis convaincu, nous devons produire une alimentation de qualité, saine et durable. Nos agriculteurs n’ont pas peur de la concurrence, car ils savent que la tradition française est empreinte d’un savoir-faire reconnu. En revanche, et j’y insiste, ils veulent se battre avec les mêmes règles.

Monsieur le ministre, quand nous imposons à nos agriculteurs de nouvelles normes, tous les produits importés doivent s’y conformer ; c’est nécessaire. C’est pour cela que vous avez un double combat à mener au niveau européen.

D’une part, vous devez préserver le budget de la PAC, qui est primordial et vital pour soutenir nos agriculteurs, et je sais que vous y travaillez. D’autre part, quand une norme nouvelle est appliquée en France ou, pire, quand un produit phytosanitaire est interdit ou va être interdit en France, il faut vous battre pour convaincre vos partenaires européens de suivre ces évolutions sociétales et de l’interdire aussi au niveau européen. Car c’est de cette façon que les agriculteurs français comprendront notre combat à tous pour une agriculture durable, une agriculture plus juste.

Alors ensemble, dessinons l’agriculture durable que nous voulons. Car exiger toujours plus de nos producteurs et de nos filières sans soumettre nos voisins à la réciprocité conduisant aux mêmes pratiques vertueuses, c’est condamner demain l’ensemble des filières et notre indépendance alimentaire.

Et après ? Nous importerons, comme nous le faisons déjà, des viandes sans savoir comment l’animal a été élevé et abattu, des fruits et légumes sans connaissance des modes de production, des produits alimentaires transformés dont nous aurons toutes les difficultés à connaître la traçabilité.

Si nous voulons donner aux consommateurs la possibilité d’assumer leur responsabilité dans l’acte d’achat, il faut une traçabilité parfaite et un étiquetage précis.

Pour que ce débat soit constructif, ne sortons pas des enjeux de ce texte : les enjeux de santé, les enjeux environnementaux et, enfin, les enjeux économiques.

À aucun moment nous ne pouvons traiter un enjeu sans les deux autres, car tous sont liés.

Pour conclure, je dirai simplement que nous devons faire confiance à nos agriculteurs, qui ont bien compris les nouveaux défis. Par nos décisions, offrons-leur la possibilité de vivre dignement de leur métier, car c’est juste ce qu’ils souhaitent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Denise Saint-Pé et M. Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos trois rapporteurs, et Mme la présidente de la commission des affaires économiques, qui ont consacré beaucoup de temps à auditionner.

C’est ce qui fait le caractère remarquable du travail au Sénat, ce temps passé à écouter, à entendre et à s’enrichir de l’expression de l’ensemble des acteurs concernés, de près ou de loin, par les activités agricoles et par les activités territoriales qui touchent à l’agriculture.

Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. J’ai été très surpris, et même marqué, par le fait que vous avez répété à quatre reprises les mots « une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous ». Si nous voulons rétablir la dignité des femmes et des hommes qui travaillent depuis des générations, et travailleront encore demain, il faut dire qu’ils l’ont fait dans cet objectif !

Je voudrais rendre hommage à vos services, qui n’ont pas attendu qu’un texte arrive pour faire en sorte que l’alimentation soit saine, sûre, durable et accessible à tous.

Ils n’ont pas attendu cela pour que soit servie dans les cantines et les hôpitaux – je vais, moi aussi, le répéter ! – une alimentation saine, sûre, durable et accessible.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Daniel Gremillet. Notre pays a réussi une chose extraordinaire, que l’on passe sous silence, alors qu’elle représente le travail de plusieurs générations, de notre économie, de la France et de l’Europe.

Voilà soixante et un ans qu’a été signé le traité de Rome et gravée dans le marbre la formule« Paysans européens, produisez, nous vous garantirons un prix et un revenu comparables à la moyenne de ce qui est pratiqué dans les six États membres ».

Les paysans européens, les paysans français, ont produit. Je rappelle qu’à cette époque la France avait faim et que ce défi a été relevé par les agriculteurs.

Je le dis à Michel Raison, il n’a pas été simple de travailler sur le titre Ier du projet de loi. On m’a en effet appris à l’école, monsieur le ministre – c’est encore une réalité aujourd’hui –, que le revenu d’un agriculteur résulte de deux colonnes, les recettes et les dépenses. Anne-Catherine Loisier a travaillé sur le titre II pour alléger un peu les dépenses, mais elles ont été plus alourdies que les recettes.

M. François Bonhomme. C’est sûr !

M. Daniel Gremillet. Il y a un sacré décalage entre, d’un côté, ce qui est exprimé à l’occasion de ce texte, votre volonté politique d’agir au niveau européen, et, de l’autre, le mandat de négociation que vous donnez via l’accord économique et commercial global, le CETA, et nos relations avec le MERCOSUR ou la Nouvelle-Zélande.

Avec ce que l’on exige des agriculteurs, de l’agriculture, des entreprises agroalimentaires, que l’on charge toujours plus, on trahit les agriculteurs et, au-delà, les consommateurs. En effet, ce qui arrive sur notre marché n’est pas produit dans les conditions que l’on impose à l’agriculture française.

Je suis tenté de dire que le débat du bio est un faux débat. D’aucuns ont utilisé les phrases de quelques sénatrices et sénateurs ; nous voulions en fait poser les termes du débat de manière très claire et honnête.

Des crises sanitaires, il y en a eu avant nous, il y en aura encore après nous. Elles se sont produites dans différents systèmes agricoles ; d’autres se produiront aussi dans le cadre de l’agriculture biologique, car nous travaillons avec du vivant. Ce n’est pas un gros mot, c’est la réalité de la vie !

Je veux enfin évoquer l’absence de sécurité des agriculteurs face aux aléas climatiques et aux aléas des cours agricoles. C’est un véritable problème. Or cette dimension n’a pas été prise en compte.

Je dois conclure mon propos, mais d’autres collègues de mon groupe interviendront.

Nous aurions souhaité un projet de loi qui donne envie aux jeunes de s’installer comme agricultrices et agriculteurs, de rejoindre les entreprises agroalimentaires, de travailler dans la recherche et l’innovation. Il y a une contradiction terrible entre deux discours du Président de la République, le discours de Rungis et le discours de la Sorbonne.

Contrairement à ce que l’on peut penser, monsieur le ministre, la confiance ne se décrète pas, elle s’acquiert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Évelyne Perrot et M. Yves Bouloux applaudissent également.)

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, annoncé comme issu des États généraux de l’alimentation, ce texte aurait dû afficher des ambitions pour le modèle agroéconomique de nos exploitations : revenus suffisants aux agriculteurs, alimentation saine et, bien sûr, respectueuse de l’environnement, compétitivité.

Devant les très nombreuses rencontres et les centaines de contributions débattues par tous et in fine partagées par le plus grand nombre, les agriculteurs, notamment, s’attendaient à un texte fondateur, novateur, consensuel et donnant confiance à l’avenir de cette filière économique de premier plan.

M. Bruno Sido. C’est raté !

Mme Françoise Férat. Cela aurait dû être le « grand soir » pour nos agriculteurs… Finalement, tout ça pour ça ! La déception est grande chez nos professionnels.

Trois préalables auraient dû transparaître dans la loi : harmoniser, notamment au sein de l’Union européenne, en évitant toute surtransposition des normes communautaires – c’était, faut-il le rappeler, un engagement du Président de la République ; avant toute interdiction, s’assurer de disposer de solutions au moins aussi efficaces que les précédentes ; valoriser et soutenir les pratiques des agriculteurs qui ont accompli de multiples améliorations depuis des décennies, et ce bien souvent de manière volontaire.

Les initiatives des agriculteurs font évoluer leurs métiers afin de protéger l’environnement, les milieux naturels et la santé des consommateurs. Elles ont été rendues possibles grâce à leur implication personnelle et à l’intégration de ces nouvelles pratiques dans leur plan de gestion et leur modèle économique.

Je ne veux pas entrer dans le détail de ce texte – des collègues l’ont fait avant moi, et d’autres le feront encore –, mais plutôt exposer les solutions volontaires avancées par la filière agricole.

Collectivement interpellés par les consommateurs sur leurs modes de production, ils continuent de répondre aux évolutions sociétales et portent l’ambition d’un « contrat de solutions ».

Ce contrat, associant plus d’une trentaine d’organisations agricoles et de recherche, intègre toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Il vise à développer l’innovation, le conseil, la formation et l’adoption d’alternatives de protection des cultures, afin de répondre concrètement aux attentes sociétales sur l’utilisation des produits phytosanitaires, tout en garantissant la compétitivité de la Ferme France.

Avec ce « contrat de solutions », ils souhaitent être pleinement acteurs de la construction de modèles en sortant des interdits et en portant les performances économique, sociale, environnementale et sanitaire.

Dans ce contrat important, plus de 250 solutions d’avenir ont d’ores et déjà été identifiées parmi les pratiques agronomiques, le numérique, l’innovation variétale, ou encore les techniques de pulvérisation et de mécanisation.

Après ce projet de loi, il me semble important que l’État puisse s’engager avec la profession sur ce contrat qui doit être gagnant pour toutes les parties. Les agriculteurs sont prêts à vous le présenter, ils sont prêts à le mettre en œuvre ; l’État est-il prêt à accompagner cette démarche ambitieuse ?

L’État est-il déterminé à s’engager aussi, de manière pluriannuelle, sur les solutions efficaces et concrètes proposées par ces professionnels de l’agriculture et de l’agroalimentaire ?

N’oublions pas que la France a la meilleure agriculture du monde et que les produits importés en France ne sont pas toujours soumis aux mêmes contraintes que celles qui pèsent sur nos agriculteurs.

Les États généraux de l’alimentation ont donné beaucoup d’espoir ! Ce projet de loi n’est pas un texte agricole, mais il aura un impact sur la profession. J’ai peur que la déception ne soit aussi forte que les espoirs suscités.

Grâce au « contrat de solutions », l’occasion est donnée de remplir toutes les cases des objectifs environnementaux, sanitaires et économiques, et ce – c’est important – de manière volontaire !

Vous évoquiez, monsieur le ministre, l’esprit de conquête. Je vous dis : Chiche ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Éric Gold, Daniel Chasseing et Jean-Pierre Decool, ainsi que Mme Maryse Carrère applaudissent également.)