M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe du RDSE de permettre une expression écologiste.

Sur ce texte, je vous donnerai mon point de vue d’écologiste. Comme beaucoup, je suis, aujourd’hui plus que jamais, convaincu de la nécessité urgente de changer de modèle. Nous devons préparer l’ère de l’après-pesticides.

Les pesticides chimiques, qui ont imprégné notre environnement et notre agriculture, ont un impact sur la santé humaine. On observe une recrudescence des maladies environnementales et un effondrement de la biodiversité, en particulier des colonies d’abeilles.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Mes positions sur ce texte, qui ne se veulent ni idéologiques ni dogmatiques, s’appuient sur ces deux axes : le « non-pesticides » et la promotion des agricultures vertueuses – je pense à l’agroécologie, dont l’agriculture biologique est le fleuron.

J’ai été très déçu par l’examen du texte en commission des affaires économiques, mais j’espère encore que les débats en séance permettront au moins de revenir au niveau d’exigence de l’Assemblée nationale. Le retour en commission du 20 % de bio, ce matin, est un bon signe.

Dans cette affaire, la loi Labbé a été touchée ; je croyais que l’on ne devait pas faire de retour en arrière… J’espère que l’on reviendra sur ce point.

Cette loi ne suffira pas pour retrouver des perspectives pour l’agriculture et l’alimentation. Il faudra une véritable planification sur le moyen et le long terme.

Monsieur le ministre, si j’étais ministre de l’agriculture (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.), je proposerais : de mettre en place un plan réellement efficient de sortie des pesticides en soutenant fortement la conversion en bio ; d’encourager le retour à la polyculture élevage sur les territoires, avec des systèmes fourragers performants ; de réintroduire des ceintures maraîchères autour des centres urbains ; d’organiser une relocalisation massive de l’alimentation via une généralisation des projets alimentaires territoriaux ; d’orienter l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, vers une recherche active au service des alternatives vertueuses ; d’agir activement, auprès de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, pour une régulation effective des marchés agricoles et pour l’interdiction de la spéculation ; de tout mettre en œuvre, enfin, pour assurer le renouvellement des générations et la formation des nouveaux agriculteurs.

C’est véritablement un nouveau contrat de société que l’on doit mettre en place. Mais je ne suis pas ministre… (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Joël Labbé. C’est pour cela que je me permets de vous interpeller, monsieur le ministre, et que j’ai pu vous déranger, mes chers collègues, en annonçant dans une lettre ouverte que je demanderai à mon groupe de solliciter des scrutins publics sur des amendements qui me semblent clés.

Puisque je dois conclure, permettez-moi un moment de poésie grave. (Rires.) J’aime la poésie, mais je ne voudrais pas que l’on continue à évoluer vers des printemps de plus en plus silencieux. Notre responsabilité est de contribuer à offrir aux générations nouvelles des printemps joyeux et réenchantés ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et du groupe Union Centriste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française a été pendant des décennies, et surtout à la suite de la Seconde Guerre mondiale, une activité économique à part entière. Elle a permis de nourrir toute la population non seulement en quantité nécessaire, mais aussi en qualité sanitaire et nutritive. Ce qui en fait, n’ayons pas peur de le dire haut et fort, l’alimentation la plus saine et sûre au monde. (MM. Bruno Sido et François Bonhomme applaudissent.)

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Laurent Duplomb. Et pourtant, depuis quelques années, avec des médias à l’affût de tout événement croustillant susceptible de faire progresser leur audimat, et des personnes en recherche de notoriété, comme ce pseudo-agriculteur du Larzac, qui d’ailleurs ne l’a pas été longtemps, un courant de vents mauvais souffle sur l’image de notre agriculture.

Cette même agriculture, plébiscitée hier par tous ces Français issus de familles agricoles sur deux ou trois générations, est aujourd’hui la cible de toutes les attaques.

Attaques de tous ceux, passéistes et nostalgiques de l’agriculture de leurs grands-parents ou arrière-grands-parents, qui souhaiteraient, les dimanches ou pendant les vacances, avec tout le confort, retrouver une campagne figée dans les années cinquante où les agriculteurs, que dis-je, les paysans, fauchaient encore à la faux. Mais les auteurs de ces attaques n’ont pas l’objectivité de reconnaître que les moyens nécessaires à leurs loisirs sont les fruits de l’effort agricole accompli, depuis des décennies, pour favoriser leur pouvoir d’achat.

En effet, 10 % à 12 % du pouvoir d’achat des Français sont consacrés aujourd’hui à l’alimentation, contre plus de 40 % dans les années cinquante.

Attaques de tous ces fanatiques de l’écologie punitive qui, par leur dogmatisme, conduisent notre agriculture à sa perte et favorisent l’importation de tonnes de denrées alimentaires produites dans des pays avec des règles environnementales et sanitaires aux antipodes des nôtres.

Attaques par des politiques, plus du tout formés à la chose agricole et adeptes du renoncement perpétuel, qui ont pour seule devise, au lieu d’avoir le courage de regarder les choses en face, de céder lamentablement à la vindicte populiste de tous ces vegans, anti-viande, altermondialistes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Laurent Duplomb. Alors, avec l’arrivée d’un Président-tout neuf, les agriculteurs, tellement accablés par tout cela et blessés dans leur chair, avec ce terrible sentiment d’injustice né du fait que, travaillant avec passion, ils ne récoltent que des critiques, nos agriculteurs, donc, ont cru à la bonne parole de Rungis. Même si, entre les lignes du discours, on pouvait déjà comprendre quel en serait le résultat.

Nos agriculteurs y ont tellement cru qu’ils ont participé avec conviction aux États généraux de l’alimentation. Car, ne nous y trompons pas, ce qui caractérise les agriculteurs, c’est qu’ils croient que demain sera mieux qu’hier. Comment feraient-ils, sinon, à chaque sécheresse ou intempérie qui leur fait parfois perdre la totalité de leurs récoltes, pour recommencer avec la même passion à semer l’année d’après ?

Dans ces mêmes États généraux dans lesquels ils ont mis tant d’espoir, non seulement celui d’une juste valorisation financière de leur travail – qui peut nier la triste réalité du manque de revenu de la majorité de nos agriculteurs ? –, mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir d’une reconnaissance nationale de leurs efforts, tant au cours des heures passées avec leurs animaux ou dans leurs champs que dans la technicité et la passion de produire au mieux une alimentation de qualité.

Alors que nous discutons aujourd’hui au Sénat du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, que reste-t-il de cet espoir ?

Un sénateur du groupe Les Républicains. Rien !

M. Laurent Duplomb. Un véritable gâchis, dont vous êtes responsable, monsieur le ministre !

Vous êtes responsable de ne pas avoir pu tenir vos troupes à l’Assemblée nationale avec 2 700 amendements et 72 heures de défouloir durant lesquelles tout y est passé : caricatures, déformations, clichés. Tout cela téléguidé par un obscurantisme digne du Moyen Âge !

Le titre II du texte adopté par l’Assemblée nationale en est un exemple criant. Ce ne sera que des contraintes et des charges supplémentaires pour les agriculteurs !

Vous êtes responsable d’avoir fait miroiter aux agriculteurs, dans le titre Ier, une hypothétique amélioration de leur revenu en dévoilant leurs prix de revient. Qui peut croire, dans une compétition commerciale effrénée, qu’en montrant toutes ses cartes on peut gagner la partie ?

C’est d’une grande loi que l’agriculture avait besoin, une loi permettant de redonner de la fierté au paysan que je suis, et à tous les autres paysans de France, pour continuer de produire. Nos agriculteurs n’avaient pas besoin d’une loi faite d’illusions et de punitions. De cela aussi, monsieur le ministre, vous êtes responsable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Mmes Françoise Gatel et Sylvie Vermeillet, ainsi que MM. Michel Canevet et Daniel Chasseing applaudissent.)

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, vous qui avez fait un travail énorme avec les présidents de commission, mes chers collègues, je voudrais en tant qu’agriculteur, et avec moins de passion que notre ami Laurent Duplomb, faire un bilan de ce projet de loi.

Monsieur le ministre, je crois que l’on peut partager vos intentions, que vous avez clairement exprimées. Nous sommes conscients que l’agriculture a besoin d’un électrochoc, qu’elle a besoin d’être accompagnée.

Vous n’avez pas évoqué, en revanche, le point de départ.

Aujourd’hui, la moitié des agriculteurs gagne la moitié du SMIC.

Aujourd’hui, et c’est ce qu’ignore le projet de loi, l’agriculture est dans une situation de concurrence mondiale.

Aujourd’hui, les éleveurs bretons préfèrent acheter du blé d’Ukraine…

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Pierre Louault. … ou du soja d’Amérique du Sud pour engraisser leurs porcs. Il manque à ce texte un volet qui prenne en compte cette dimension internationale.

La contractualisation entre agriculteurs, transformateurs et commerçants, par laquelle « le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend », est une intention louable, mais qui sera difficile à réaliser. Les consommateurs, si l’on se réfère à ce qui s’est passé avec le poulet, se replieront automatiquement vers les prix les plus bas.

Aujourd’hui, la France a perdu sa suprématie sur le marché du poulet : 60 % des poulets consommés dans notre pays sont importés. On avait pourtant voulu préserver une certaine qualité alimentaire, en imaginant que la France seule serait capable de suivre ce chemin. Je crains que ce ne soit une utopie.

Pour ce qui concerne les mesures en faveur d’une alimentation saine et durable, les agricultures française et européenne ont besoin de progresser.

Je ne serai pas sévère envers l’agriculture biologique, qui constitue une référence et une expérimentation qui doit faire son chemin.

M. Pierre Louault. Il y a des consommateurs qui veulent manger biologique. Je parle de biologique français et européen, car le biologique mondial ne vaut pas toujours le conventionnel français. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit également.) Soyons prudents !

Si nous mettons du bio dans les cantines, il faut qu’il soit français ou européen, mais pas de n’importe où ! (Mêmes mouvements.)

Monsieur le ministre, je suis également inquiet des différences qui existent entre les réglementations françaises et européennes. En France, l’agriculture a perdu toute sa compétitivité, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne ou aux Pays-Bas : ces pays ont les mêmes contraintes européennes, mais réussissent, avec l’aide de l’État, à produire à un prix moins élevé qu’en France.

Le projet de loi ne prend pas en compte les productions para-agricoles. Par exemple sur la méthanisation, nous nous entêtons à vouloir en produire sans ajouter de matières nobles. Nous faisons des erreurs sur ce sujet.

J’aurais aussi voulu parler du bien-être animal, mais je n’en ai pas le temps.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est dommage !

M. Pierre Louault. Pour conclure, je dirai qu’il existe, dans nos campagnes, une espèce en voie de disparition, puisque sa population est passée en un siècle de 10 millions à 250 000 ! Ce sont les paysans, qui nourrissent, chaque jour, 60 millions de Français, tout en étant humiliés, maltraités et souvent persécutés par les bien-pensants…

M. Pierre Louault. Chaque année, 400 d’entre eux se mettent la corde au cou dans l’indifférence générale…

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Pierre Louault. … et je crains que le paysan ne soit le grand oublié de ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je vais concentrer mon propos sur un seul sujet, important, qui a fait l’objet d’âpres discussions lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale. Il s’agit de la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques, au premier rang desquelles les agriculteurs.

Le 1er février 2018, le Sénat a voté une proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation financé par les firmes elles-mêmes. Ce fonds permettra d’accompagner les victimes atteintes de maladies liées à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, en facilitant leurs démarches, en leur offrant un cadre global pour une plus grande égalité et en les indemnisant en réparation du préjudice intégral subi.

Une mission interministérielle menée par le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux – CGAAER –, l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – et l’Inspection générale des finances – IGF – a été chargée d’étudier l’opportunité de mettre en place ce fonds d’indemnisation.

Ses conclusions, rendues en janvier 2018, sont édifiantes. Les experts des trois ministères – agriculture, santé et finances – considèrent que le régime accidents du travail et maladies professionnelles agricoles, géré par la Mutualité sociale agricole, la MSA, ne permet de prendre que partiellement en charge les victimes de produits phytopharmaceutiques. Ils estiment ensuite que la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’usage de produits phytopharmaceutiques enregistrées depuis dix ans – moins de 1 000 cas – n’est pas à la hauteur de la réalité du nombre estimé de victimes potentielles. Pour eux, cela peut s’expliquer par la difficulté à établir un lien de causalité entre la maladie et l’exposition à des substances nocives.

Une estimation du nombre de victimes potentielles pour lesquelles il existe une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition a été réalisée : environ 10 000 personnes seraient concernées sur dix ans, dont les deux tiers pour la maladie de Parkinson et un tiers pour les leucémies et les lymphomes.

Monsieur le ministre, vous avez proposé à plusieurs reprises d’adapter le régime AT-MP pour mieux prendre en charge les victimes présumées des maladies liées aux produits phytopharmaceutiques, ce qui justifie, selon vous, de rejeter la création d’un fonds d’indemnisation.

Pourtant, le rapport de l’IGAS, dont la rédaction est issue de trois ministères, y compris le vôtre, affirme en toutes lettres que des adaptations du régime AT-MP ne suffiraient pas pour indemniser l’ensemble des victimes présumées et qu’un fonds spécifique d’indemnisation s’avère pertinent.

Alors, pourquoi s’obstiner à nier la vérité et ne pas permettre aux victimes d’obtenir une juste réparation ?

Après le rapport de la mission d’information du Sénat de 2012, dont j’étais la rapporteur et Sophie Primas la présidente, qui a été voté à l’unanimité et dont des recommandations se sont déjà traduites dans la loi, après le rapport d’expertise de l’INSERM de 2013, qui confirmait, voire amplifiait, nos recommandations, après le rapport de janvier 2018 des inspections de l’État, que je viens d’évoquer, le temps est venu, monsieur le ministre, mes chers collègues, de réparer la souffrance de ces victimes que notre société n’a pas su, à ce jour, prendre en considération.

Les victimes nous le demandent, elles attendent de nous que nous inscrivions maintenant, dans le présent texte, la création d’un fonds spécifique d’indemnisation. C’est le sens de l’amendement n° 559 rectifié bis portant article additionnel après l’article 14 quinquies, que je vous proposerai d’adopter. Je compte sur vous tous pour le voter, parce que la santé n’a pas de prix ni de couleur politique. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste. – Mmes Françoise Férat et Sylvie Goy-Chavent, ainsi que M. Didier Guillaume applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déception, à laquelle s’ajoute l’amertume pour le monde agricole. Artifice, faiblesse du Gouvernement ? Peut-être. Trop grande détresse exprimée par toute une profession ? Sûrement. Qu’on en juge, mais le compte n’y est pas !

Être à la hauteur des attentes et des propositions des États généraux de l’alimentation n’est certes pas une tâche facile. Définir une nouvelle France agricole, tel est l’enjeu de ce projet de loi, qui s’appuie sur une déclaration solennelle du Président de la République. Hélas, nous en sommes très loin !

Je ne rappellerai pas l’état des lieux, fort bien exposé par les excellents rapporteurs du texte au nom de la commission des affaires économiques, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, dont le travail honore le Sénat.

Un tiers de nos agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois, 40 % des céréaliers affichent un revenu disponible négatif et le prix du lait stagne autour de 330 euros par tonne.

Alors que la France est le premier producteur de l’Union européenne, l’agriculture souffre d’une crise structurelle dévastatrice.

La position du Gouvernement est pleine de contradictions. Il pense tout régler uniquement par le biais de modifications des contrats commerciaux entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

Pour ma part, je souligne qu’il est indispensable qu’un tarif de base soit garanti aux producteurs de cultures végétales comme aux éleveurs, afin que le prix de vente de leur production ne soit jamais inférieur à leur prix de revient.

Par ailleurs, la formation des prix, aussi nécessaire soit-elle, ne peut en aucun cas former le revenu des producteurs.

Nous savons tous ici que, sans régulation des marchés au plan européen, l’ambition est vaine. Alors, attention aux désillusions ! Ne perdons pas de vue que le relèvement du seuil de revente à perte ou encore l’inversion de la construction du prix ne constituent pas des réponses à ces questions.

La baisse des charges sociales, de plus en plus écrasantes, nous permettrait de sortir de ce marasme économique. Baisser l’ensemble des charges, monsieur le ministre, en particulier les charges sociales, c’est permettre de réduire les coûts et de donner du punch à notre économie. Dans ce contexte, comment se dessine l’avenir, monsieur le ministre ? Je vous remercie de bien vouloir nous le préciser.

L’une des pistes de transformation profonde de l’agriculture a été évoquée par le Président de la République : « Il faut doter la France d’un véritable projet agroécologique ». Est-ce suffisant ? Assurément non, si on ne tient tout simplement pas compte des principes économiques !

Les usages non alimentaires, dont les biocarburants, ont toute leur place dans ce dispositif. Ils peuvent contribuer à faire vivre de nombreux agriculteurs qui ont choisi de diversifier leur activité principale pour essayer de vivre décemment et échapper à un revenu qui peut faire d’eux des indigents. En outre, ce sont des ressources qui restent en France et peuvent prospérer.

Les productions végétales sont des pépites d’une nouvelle économie. Elles sont tournées vers le rendement économique des biocarburants – générateurs d’emploi et d’activité –, la réduction des gaz à effet de serre, la baisse du CO2 et, à court terme, un mieux-être des populations en termes de santé publique, sans oublier notre indépendance énergétique, qu’il ne faut pas négliger.

Or que fait actuellement le Gouvernement ? Plutôt que de favoriser la valorisation des coproduits de transformation agricole, acteurs majeurs des débouchés s’offrant à nos agriculteurs, il fait preuve d’un attentisme intenable et incompris.

Dans le même temps, il favorise l’importation d’huile de palme,…

M. Pierre Cuypers. … quitte à encourager la mauvaise gestion des fondamentaux écologiques par les pays producteurs. Cette démarche permet abusivement la pénétration du marché des biocarburants, sous prétexte d’un moindre prix par rapport au marché des résidus français.

M. Bruno Sido. C’est une honte !

M. Pierre Cuypers. Dois-je rappeler le sinistre exemple de l’usine de la Mède, qui n’est pas digne, monsieur le ministre, ou souligner que les mesures concernant l’anti-dumping sur l’huile de palme, qui ont été votées en décembre par le Parlement, ne sont toujours pas entrées en vigueur sept mois après ?

M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !

M. Pierre Cuypers. Est-ce ainsi que le Gouvernement encourage nos agriculteurs qui font l’effort de se diversifier pour pouvoir enfin espérer vivre de leur travail et créer de la richesse pour la France ? Les efforts considérables déployés de leur part sont indéniables. Il faut les reconnaître et les encourager.

À ce titre, je remercie la commission des affaires économiques du Sénat, présidée par notre collègue Sophie Primas, toujours soucieuse d’équité, d’avoir adopté, avec le soutien de nos rapporteurs, un amendement que j’ai présenté avec plusieurs collègues, qui permet la valorisation de certains résidus agricoles pour la fabrication de l’éthanol, conformément d’ailleurs aux recommandations de l’Union européenne. J’espère que le Gouvernement nous entendra.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Cuypers. Je termine. J’ose espérer, monsieur le ministre, que vous avez conscience du hiatus qui sépare le discours du Gouvernement, qui affiche sa volonté de promouvoir une démarche d’agroécologie, et la situation actuelle dans toute sa réalité. Le Gouvernement a-t-il l’intention d’honorer ses promesses dans ce texte ? Le groupe Les Républicains, en ce domaine, ne peut pas se contenter d’un marché de dupes, car il souhaite profondément être au rendez-vous d’une nouvelle donne pour notre agriculture.

M. le président. Merci, cher collègue !

M. Pierre Cuypers. Écoutez-moi, monsieur le ministre ! (M. Didier Guillaume proteste.) Vous ne le faisiez pas au début de mon intervention !

M. le président. Cher collègue, votre temps de parole est largement dépassé. Merci !

M. Pierre Cuypers. Quand cesserons-nous, les uns et les autres, d’entendre dans nos campagnes… (M. le président coupe le micro de lorateur.)

M. le président. Il aura été compliqué de faire respecter le temps de parole !

Chers collègues, il n’est guère plaisant de vous demander de respecter le temps imparti, mais la même règle s’applique à tous.

La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Travert, ministre. Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux différents intervenants.

Monsieur Cuypers, je sais faire deux choses à la fois, et j’ai écouté tout le monde avec attention.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Stéphane Travert, ministre. C’est bien normal, et c’est tout le respect que l’on doit, eu égard au travail qu’ils ont réalisé, aux sénateurs et à la commission, laquelle a voulu enrichir le projet de loi.

Pour revenir à la discussion générale qui vient d’avoir lieu, j’ai senti tour à tour une brise légère, une brise un peu plus chaude et parfois un vent glacial… (Sourires.)

Pour autant, je crois que nous pouvons converger sur un point : nous avons besoin de soutenir notre agriculture.

C’est l’objectif de ce texte, qui s’intéresse, d’une part, à la question du revenu des agriculteurs, objet du titre Ier, et, d’autre part, à la question de l’accès à une alimentation sûre, saine et durable. Sur ce dernier point, nous ne considérons pas que nous partons de zéro, d’une alimentation qui ne serait ni sûre, ni saine, ni durable, mais nous appelons tous de nos vœux une montée en gamme de notre agriculture, car c’est cette montée en gamme qui permettra à nos producteurs de trouver des débouchés commerciaux à même de leur apporter les revenus nécessaires à l’investissement et à l’innovation et de rendre les exploitations nettement plus compétitives.

Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont estimé que des points n’étaient pas abordés dans le projet de loi, en particulier la fiscalité, le foncier ou la politique agricole commune. Il est évident que le Gouvernement n’entend pas passer à côté de ces sujets d’actualité, sur lesquels nous travaillons par ailleurs.

Par exemple, concernant la fiscalité, Bruno Le Maire et moi-même avons mis en place un groupe de travail : onze députés, onze sénateurs et des représentants des organisations syndicales agricoles sont ainsi chargés de faire des propositions en la matière. Elles seront débattues dans le cadre du prochain projet de loi de finances.

Sur la PAC, certains ont bien voulu rappeler que nous nous battons aujourd’hui au niveau européen pour faire en sorte que nous ayons, demain, un budget ambitieux.

Vous aurez remarqué que, dès le 2 mai, jour de présentation par la Commission européenne de son projet de cadrage financier, la France a réagi de manière forte, en estimant que cette proposition était totalement inacceptable.

Outre nos discussions avec les institutions européennes, nous avons travaillé à réunir un maximum d’États membres autour de l’idée d’obtenir un budget ambitieux pour la prochaine politique agricole commune. Nous avons d’abord réuni six pays – c’est ce qui a été appelé le groupe de Madrid – et quatorze autres se sont joints à nous la semaine dernière lors de la réunion du Conseil à Luxembourg.

Je rappelle aussi que le Sénat a voté, à l’unanimité, le 6 juin dernier, une proposition de résolution européenne…

M. Didier Guillaume. Effectivement !

M. Stéphane Travert, ministre. … sur la préservation de la politique agricole commune. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que je suis très fier de porter en votre nom, au niveau européen, la position adoptée dans cette résolution en faveur d’une agriculture compétitive permettant à nos producteurs de vivre dignement de leur travail !

Il est tout de même très curieux, d’un côté, de demander aux agriculteurs de faire des efforts, par exemple sur le bien-être animal, l’organisation des filières, la réduction des intrants ou l’utilisation des produits phytosanitaires et, de l’autre, alors même qu’ils fournissent ces efforts, de leur enlever les moyens nécessaires ! Or c’est bien ce que la proposition de nouvelle PAC revient à faire.

Au contraire, le projet de loi, en particulier son titre Ier, vise à améliorer sensiblement les revenus des agriculteurs (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), notamment à travers les nouveaux débouchés commerciaux ou l’inversion de la contractualisation. Nous souhaitons d’ailleurs que les agriculteurs s’emparent, dans les meilleurs délais après la promulgation de la loi, de l’ensemble des outils que nous mettons en place.

En ce qui concerne les retraites agricoles, sujet qui a récemment fait l’objet d’un débat dans cet hémicycle (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), vous savez que, sous l’autorité d’Agnès Buzyn et de Jean-Paul Delevoye, nous travaillons sur une réforme d’ensemble du système de retraites. La question des retraites agricoles sera bien évidemment prise en compte dans ce cadre général et je peux vous assurer de notre extrême vigilance en la matière.

Autre sujet : l’harmonisation européenne. Nous souhaitons avancer sur cette question afin de permettre l’adoption d’un certain nombre de règles et d’assurer une cohérence avec les autres politiques de l’Union européenne, notamment en matière de concurrence et de relations commerciales. Résoudre les problèmes de distorsion de concurrence, que plusieurs d’entre vous ont soulevés – je vous rejoins sur ce point –, est essentiel pour la réussite du modèle européen.

Ces différents problèmes appellent des réponses européennes et je me suis engagé auprès des organisations syndicales agricoles à porter ces sujets au niveau adéquat avec l’aide d’autres pays.

Je vous cite un exemple : hier soir, je travaillais avec mon homologue allemande sur la question de l’étiquetage et je peux vous dire que nous souhaitons porter ensemble, au niveau européen, l’extension de l’expérimentation actuelle. Mon prédécesseur, Stéphane Le Foll, qui a fait un travail remarquable sur ce sujet, avait obtenu l’autorisation de prévoir l’étiquetage d’origine sur les produits laitiers et carnés. (M. Claude Bérit-Débat opine.) Nous souhaitons que cette expérimentation, qui dépend du règlement européen, soit évaluée précisément d’ici à la fin de l’année. Nous tirerons alors des conclusions, mais nous souhaitons qu’elle puisse continuer et qu’elle soit même étendue à d’autres produits. Nous en avons besoin pour identifier correctement la qualité des produits et éviter les distorsions de concurrence. Au final, ce type de dispositif permet d’améliorer les revenus des agriculteurs.

Sur la question du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, sujet évoqué par Mme Bonnefoy qui y a beaucoup travaillé, le débat va se poursuivre, mais je peux vous dire que nous avançons. J’ai indiqué, lors de la réunion de la commission des affaires économiques, la méthode que nous avions adoptée pour répondre à la question de l’indemnisation de ces victimes. Je crois que, là aussi, nous avons la capacité de nous rejoindre pour relever collectivement ce défi.

En conclusion, je reprendrai les termes de Joël Labbé, qui parlait de printemps qui chante… De mon côté, j’appelle de mes vœux un printemps heureux ! Ne mésestimez pas la volonté du Gouvernement de transformer l’agriculture française afin de lui donner les armes pour qu’elle puisse, sur le plan national comme européen, répondre aux défis de la mondialisation et de la concurrence internationale.

À travers le présent projet de loi, nous entendons donner à nos agriculteurs les outils qui leur sont nécessaires pour investir, innover et ainsi s’orienter vers des modèles plus durables et plus compétitifs.

Voilà les éléments que je souhaitais vous apporter à cet instant. Il est bien évident que des désaccords ne manqueront pas d’apparaître sur un certain nombre de points, mais je crois que nous avons la capacité et l’intelligence collective pour avancer et pour faire en sorte que vous adoptiez, à la fin de vos travaux, un texte qui soit équilibré.

Soyons à la hauteur des attentes de nos agriculteurs et des défis auxquels ils sont confrontés ! (MM. Didier Guillaume, Franck Menonville et Pierre Louault applaudissent.)