M. André Reichardt. Très bien !

Mme Colette Mélot. Toutes ces avancées sont positives, elles sont nécessaires.

J’aurais pu également évoquer les progrès dans le domaine de l’Europe de la défense. Ces progrès sont notamment réels en matière industrielle. J’aurais pu évoquer la conquête spatiale, enjeu véritablement majeur, mais trop méconnu, de la construction européenne. J’aurais pu encore évoquer l’Europe sociale, l’Europe de la culture, l’Europe de la jeunesse.

En vérité, mes chers collègues, nous nous rendons bien compte au quotidien, dans nos débats législatifs sur l’asile, sur l’alimentation et bientôt sur la fraude fiscale, que l’échelle européenne est à la fois omniprésente et décisive. Cette conscience profonde que les grands défis de notre temps ne peuvent être traités efficacement qu’au niveau européen, nous devons la communiquer à nos concitoyens. Nous devons briser les lieux communs qui font le jeu des populistes.

L’Europe n’est pas lointaine, elle est partout autour de nous. L’Europe n’est pas une menace, elle est une chance pour nos concitoyens. L’Europe n’est pas une faiblesse, elle est une force pour la France.

Alors que les élections européennes approchent à grands pas, c’est notre responsabilité historique de responsables politiques de contribuer à un débat public informé et de qualité pour retrouver l’esprit des pères fondateurs ! (MM. Jean-Pierre Decool, Éric Gold et André Gattolin, ainsi que Mme Sylvie Vermeillet applaudissent. – Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, comme à chaque débat préalable au Conseil européen, les sujets que nous abordons sont très variés.

Loin de diluer les questions européennes, cela nous permet de suivre avec attention l’évolution de l’Union et d’échanger sur sa construction perpétuelle. L’actualité nous prouve à quel point l’Europe est un sujet majeur pour notre avenir ; elle questionne son rôle, même si l’Europe doit aussi apporter des solutions.

Alors que le Royaume-Uni vient de promulguer sa loi sur le Brexit, qui confirme sa sortie de l’Union européenne le 29 mars 2019, je me concentrerai sur cette question, ainsi que sur ses impacts sur la zone euro.

Deux ans après le référendum sur le Brexit, de nombreuses zones de flou restent à éclaircir entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Nous sommes particulièrement inquiets de l’aboutissement des négociations.

D’ailleurs, Michel Barnier, négociateur en chef, a annoncé il y a moins de trois semaines que le plan du gouvernement britannique n’était pas acceptable pour l’Union. Manifestement, les Britanniques cherchent à faire porter à l’Europe les conséquences de leur choix, sans en assumer la véritable responsabilité. Actuellement, cela se cristallise notamment par la question de l’Irlande du Nord et de l’absence d’alignement des réglementations entre les deux Irlande.

Pourriez-vous, madame la ministre, faire un point sur l’avancement des négociations et sur les hypothèses de travail avec le Royaume-Uni ? Pourriez-vous également nous confirmer la fermeté de la France vis-à-vis de ce pays ? La sortie souhaitée ne peut pas être plus favorable pour lui que son maintien dans les règles de l’Union européenne.

Naturellement, en ce qui concerne la zone euro, le Brexit aura aussi une incidence forte. Il y a quelques jours, la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, affirmait que les sociétés financières britanniques seraient nombreuses à traverser la Manche. Pour elle, « il est crucial de faire en sorte que tout soit prêt en termes de régulation et de supervision pour l’arrivée massive d’entreprises financières qui finiront par déménager de l’endroit où elles sont à l’heure actuelle pour l’Europe continentale, et l’Irlande ».

Le monde économique est en train d’intégrer ce Brexit plus rapidement que le monde politique. Il est en train de l’anticiper. Pour cela, les États membres doivent être prêts. Le pire scénario pour les entreprises, notamment le milieu des affaires, et pour nous, serait une forme de retour en arrière au milieu du Brexit.

D’ailleurs, on commence à sentir un léger revirement dans les déclarations de Theresa May sur la sortie du marché unique. Celle-ci tente de négocier un accord de libre-échange incluant les services financiers essentiels à l’économie de son pays. Compte tenu de l’anticipation de nombreuses banques établies à Londres, ce sont près de 10 000 emplois qui pourraient être concernés et relocalisés. Pour l’instant cette relocalisation vers Francfort, Paris, Dublin ou Amsterdam se fait attendre.

Une forme de guerre économique et de l’emploi pourrait avoir lieu. Nous estimons que l’Union européenne doit en sortir gagnante et que ce ne sont pas ceux qui veulent la quitter qui doivent en tirer parti. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte.

Madame la ministre, que peuvent faire votre gouvernement et l’Union pour rassurer les acteurs économiques sur l’avenir du marché unique ?

Enfin, vous comprendrez qu’après la déclaration de Mme Merkel, je ne peux pas passer sous silence la question de Strasbourg comme siège unique et capitale européenne !

Mme Fabienne Keller. Très bien !

M. Claude Kern. Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que M. le Président de la République et le Gouvernement défendront avec fermeté la position de Strasbourg ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu en raison d’un voyage officiel avec le Président de la République.

N’hésitons pas à le dire : l’Europe est aujourd’hui en danger, tant les défis à affronter sont immenses.

Les partenaires français et allemand ont réaffirmé récemment, à Meseberg, leur volonté de relancer et de réformer l’Europe. Le Président de la République en a fait une de ses priorités depuis le discours de la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Mais notre partenaire allemand est resté enlisé de nombreux mois dans un processus électoral à l’aboutissement incertain. La situation de la Chancelière allemande demeure fragilisée.

La négociation du Brexit continue de mobiliser une énergie considérable.

Des élections nationales ont eu lieu en Hongrie, puis en Italie, qui ont vu la victoire de partis eurosceptiques et ont confirmé la défiance d’une partie croissante de l’opinion publique européenne vis-à-vis d’une Europe divisée, qui ne parvient pas à rassurer ni à protéger ses citoyens dans un monde globalisé où les menaces s’accumulent.

Mes chers collègues, les élections européennes de l’an prochain seront cruciales pour l’avenir de l’Union.

S’agissant de la défense de l’Europe, la dynamique enclenchée en 2016 dans le cadre de la stratégie globale de l’Union européenne est, disons-le, positive.

Des instruments sophistiqués ont été mis en place, avec l’activation de la coopération structurée permanente, la CSP, prévue par le traité de Lisbonne. Lancée en décembre dernier, cette CSP est pour le moins inclusive, puisqu’elle comprend vingt-cinq pays membres, c’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne à vingt-sept, sauf le Danemark et Malte. On est donc loin de l’idée d’une avant-garde de quelques pays particulièrement en pointe, capables de financer des programmes communs et d’avancer dans un cadre intergouvernemental.

Une liste de dix-sept projets initiaux a été établie sur des projets divers. L’un d’eux est relatif à la mobilité militaire, c’est-à-dire la réduction des barrières aux mouvements de forces militaires à l’intérieur de l’Europe. Ce projet s’inscrit en réalité dans le cadre de la déclaration conjointe Union européenne-OTAN du mois de juillet 2016.

Dès lors, quelle est l’identité propre à la CSP et sa contribution à l’autonomie stratégique européenne ? Comment parvenir à cette culture stratégique commune que la France et l’Allemagne appellent de leurs vœux, malgré les différences d’approche ?

Le Président de la République a récemment proposé d’ajouter une couche institutionnelle supplémentaire. En lançant l’idée d’initiative européenne d’intervention, n’est-ce pas déjà l’aveu d’un certain manque d’ambition, ou de caractère opérationnel, des initiatives précédentes ?

Dans la déclaration de Meseberg, un autre format a encore été évoqué pour la politique étrangère de sécurité et de défense : un Conseil de sécurité de l’Union européenne. Comment envisagez-vous ce Conseil de sécurité, madame la ministre ? Quelles seraient ses prérogatives ? Comment s’articulerait-il, en particulier, avec l’initiative européenne d’intervention ?

Les cadres existent, les avancées sont nombreuses, mais l’essentiel reste à faire. Le défi ne pourra être relevé que par l’aboutissement de projets concrets. De ce point de vue, la déclaration de Meseberg mentionne le système de combat aérien futur – le SCAF – et le système majeur de combat terrestre – le MGCS, pour Main Ground Combat System –, qui constitueront des tests majeurs pour l’Europe de la défense. Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’état d’avancement de ces projets et le calendrier de leur mise en œuvre ?

Après l’Europe de la défense, je veux aborder l’Europe de la sécurité et le contrôle des frontières extérieures. Quelque 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus dans ce domaine.

Alors oui, des progrès ont été réalisés, parmi lesquels le renforcement des contrôles aux frontières extérieures, le déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de gardes-côtes en appui aux 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres, l’amélioration de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations.

Concernant la coopération avec les pays tiers, la Commission européenne a proposé une augmentation substantielle des effectifs et du budget de FRONTEX après 2020. Il s’agit d’une très bonne décision.

Cependant, la réforme du régime d’asile européen commun demeure un point de discorde majeur. Cette question des migrations est d’une actualité brûlante – on le sait – et dramatique. Elle menace non seulement l’unité de l’Europe, mais aussi la pérennité des valeurs sur lesquelles elle est fondée.

Le Président de la République a récemment dénoncé l’attitude de l’Italie en invoquant l’application du droit international maritime. Mais que valent soixante et un ans de construction européenne si nous ne savons répondre à l’une des plus graves crises que l’Europe ait connue depuis sa fondation qu’en invoquant l’application du droit international commun ?

Il n’y aura pas de solution sans action dans les pays de départ des migrants : il faudra mieux informer et développer l’activité économique.

Le récent sommet franco-allemand a rappelé, à ce sujet, le modèle de la déclaration entre l’Union européenne et la Turquie de 2016. Pouvez-vous, madame la ministre, faire un point sur la mise en œuvre de cette déclaration Union européenne-Turquie, et les actions concrètes envisagées par la France et l’Allemagne pour davantage soutenir les pays d’origine et de transit des migrations ?

Je terminerai sur la stabilisation des contours de l’Union.

Nous appelons à la plus grande prudence, s’agissant des perspectives d’élargissement.

Le Président de la République a validé cette approche à l’égard de la Turquie, en préconisant une reformulation du dialogue, pour sortir d’une certaine hypocrisie mutuelle. Le fait est que le processus est au point mort, l’évolution récente de la Turquie, de même que la situation de l’Union européenne, interdisant toute avancée.

Mais, par ailleurs, la présidence bulgare a souhaité mettre l’accent sur le processus d’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux. Des négociations sont en effet en cours avec la Serbie et le Monténégro, dont l’adhésion est envisagée à l’horizon 2025.

Je ne nierai pas la dimension historique et géopolitique de ce processus, qui est importante mais, franchement, la relance de l’élargissement est-elle vraiment souhaitable, au moment même où l’Europe doit se concentrer sur sa refondation et alors que nos capacités financières vont être réduites par le Brexit ? Pourquoi fixer l’échéance à 2025, au risque de décevoir ces pays par la suite ?

Tirons les enseignements du référendum sur le Brexit, en nous concentrant sur la consolidation de l’Union européenne, avant de poursuivre un processus d’élargissement qui inquiète les opinions et risque de fragiliser encore un peu plus l’Europe !

Madame la ministre, je vous remercie des renseignements et des réponses que vous apporterez à mes questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Pierre Decool et Jean-Claude Requier, ainsi que Mmes Colette Mélot et Victoire Jasmin applaudissent également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit certainement du Conseil européen le plus ambitieux depuis l’élection du Président de la République. Malheureusement, le défi migratoire a pu éclipser certains points de son ordre du jour. C’est pourquoi je me permettrai de revenir sur ceux, abordés ou non précédemment, qui intéressent particulièrement la commission des finances.

Concernant tout d’abord le sommet de la zone euro, celui-ci intervient quelques jours après la déclaration de Meseberg, qui détaille les propositions communes de la France et de l’Allemagne. Cette déclaration pourrait certes agir comme un catalyseur de la réforme de la zone euro, mais il faut noter qu’elle reste en deçà des ambitions initiales de la France, et que le sommet pourrait se heurter à la persistance de désaccords entre les États membres.

L’Allemagne semble avoir surmonté son refus d’un budget propre de la zone euro, mais sa concrétisation demeure floue, puisque ni son montant ni ses sources de financement n’ont fait l’objet d’un accord. Par ailleurs, plusieurs États membres, tels que les Pays-Bas, la Suède et le Danemark, ont exprimé leur refus de ce budget de stabilisation, à l’occasion de l’Eurogroupe de la semaine dernière.

Madame la ministre, si la perspective d’un budget de la zone euro devait se concrétiser à moyen terme, nous resterons vigilants sur les termes de sa concrétisation et nous veillerons à ce qu’il n’échappe pas à la surveillance des parlements nationaux.

Quant à l’achèvement de l’union bancaire – autre sujet qui intéresse la commission des finances –, nous ne pouvons que nous réjouir de l’accord concernant la création d’un filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique, dont la fonction reviendra au Mécanisme européen de stabilité, le fameux MES.

En particulier, le fait que le secteur bancaire soit dans l’obligation de rembourser les fonds prêtés dans un délai de cinq ans constitue à nos yeux un gage de crédibilité : le principe du bail-in est respecté et les deniers publics ne seront pas utilisés pour pallier les pertes d’une banque défaillante.

Néanmoins, la feuille de route franco-allemande renvoie discrètement l’examen des modalités de la mise en œuvre de la garantie européenne des dépôts bancaires à une date ultérieure. Étant donné que les débats relatifs au troisième pilier de l’union bancaire ont débuté il y a plus de trois ans maintenant, et que le nombre de prêts non performants au sein de la zone euro a décru, l’absence d’un engagement plus ferme traduit sans doute un abandon progressif de cette mesure.

En ce qui concerne les questions économiques et fiscales à l’ordre du jour du Conseil européen, trois points principaux doivent être soulignés.

Premièrement, le Conseil européen approuvera les recommandations par pays du semestre européen. Celui-ci a notamment été marqué par la sortie de la France de la procédure de déficit excessif.

S’il faut s’en féliciter, madame la ministre, j’attire votre attention sur le fait que cette sortie ne signifie pas la fin des efforts budgétaires de la France. Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques vient de souligner que la réduction du déficit structurel constaté en 2017 résulte davantage de l’élasticité des prélèvements obligatoires – en clair, de nos bonnes recettes fiscales – que d’un resserrement de la dépense publique. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler bientôt à travers « Action publique 2022 ».

La crédibilité budgétaire de la France passe donc par la continuité de nos efforts en matière de réduction et de rationalisation de la dépense publique.

Deuxièmement, les annonces de la Commission européenne du 2 mai dernier concernant le prochain cadre financier pluriannuel seront discutées par les États membres.

Dans un contexte perturbé par le retrait du Royaume-Uni et la volonté de redéployer les crédits du budget de l’Union européenne vers de nouvelles priorités politiques, plusieurs politiques communes devraient faire l’objet de coupes budgétaires.

Si la France apparaît relativement préservée par rapport à ces voisins européens, deux sujets interpellent la commission des finances.

D’une part, comme l’a souligné le Parlement européen en adoptant une résolution à la fin du mois de mai, il est regrettable que la Commission européenne ait tardé à transmettre des prévisions budgétaires chiffrées avec exactitude. L’opacité des modalités de calcul a complexifié la tenue d’un débat démocratique de qualité.

D’autre part, la position du gouvernement français dans les négociations à venir semble parfois contradictoire. En effet, ici même au Sénat, nous avons entendu le commissaire en charge du budget, Günther Oettinger, mettre en exergue le discours ambigu, voire le double discours de la France. Ainsi, les autorités françaises à Bruxelles ne défendraient apparemment pas une augmentation globale du budget de l’Union européenne, et ne font pas de la réduction des crédits alloués à la politique agricole commune une ligne rouge, contrairement aux communiqués de presse du ministère de l’agriculture.

Madame la ministre, au regard de ces propos un peu dissonants, pourriez-vous clarifier la position du gouvernement français quant aux annonces de la Commission européenne sur le prochain cadre financier pluriannuel ?

Troisièmement, le chantier de la fiscalité n’a pas fait l’objet de progrès depuis le dernier Conseil européen de mars dernier. Nous pouvons par exemple regretter que les propositions de la Commission européenne en matière de taxation des entreprises du secteur numérique, notamment les GAFA, n’aient pas été intégrées dans le volet « ressources » des annonces pour le prochain cadre financier pluriannuel.

Depuis mon déplacement récent à Berlin, j’ai rencontré un certain nombre de représentants de l’administration fiscale et de membres de la commission des finances du Parlement, et j’ai conscience qu’il sera probablement très difficile de mettre en place cette taxe transitoire à 3 %.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne se sont accordées pour défendre la proposition de directive de la Commission européenne concernant l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, sans pour autant s’engager sur un calendrier. Par conséquent, je ne peux que réitérer mes propos de mars dernier en encourageant la France à s’investir pour permettre une prise de décision plus rapide en la matière.

Enfin, le Conseil européen se réunira dans la configuration prévue par l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, pour examiner l’état d’avancement des négociations du Brexit.

Alors que le dernier Conseil européen avait permis de trouver un accord sur la période de transition et sur l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange, les négociations sont aujourd’hui au point mort. L’inextricable question irlandaise et les difficultés politiques rencontrées par Theresa May éloignent la perspective d’un accord prochain sur la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le Conseil européen devrait acter l’inertie des négociations, mais ce simple constat n’est pas satisfaisant.

Madame la ministre, pourriez-vous nous expliquer comment la France compte agir pour surmonter le blocage actuel des négociations ?

Voilà quelques-unes des nombreuses questions que je souhaitais vous poser sur des sujets diversifiés, qui intéressent particulièrement la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Claude Raynal, ainsi que Mme Victoire Jasmin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir dans un contexte particulièrement périlleux. Disons-le clairement : l’Europe est en danger. Dans son rapport publié en février 2017, le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne invitait à un sursaut. Et nous continuons de le dire aujourd’hui, tant les défis à affronter sont immenses !

Nous venons de faire un point d’étape. Le rapport est à la disposition de nos collègues.

Le constat est mitigé. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours ambitieux que le Président de la République a tenu à la Sorbonne le 26 septembre 2017 et, malheureusement, la modestie des résultats obtenus. La méthode était-elle la bonne ? Au catalogue des nombreuses mesures annoncées n’aurait-il pas fallu privilégier une démarche plus pragmatique, concentrée sur les sujets susceptibles d’aboutir à un consensus ?

Or le temps presse. Nous ne pouvons pas rester inertes devant la montée des populismes. Les récentes élections hongroises et italiennes agissent comme une piqûre de rappel. Les opinions publiques européennes sont de plus en plus défiantes face à une Europe divisée, qui ne répond pas à leur besoin de protection.

La crise migratoire concentre légitimement les inquiétudes. Elle illustre tragiquement l’impuissance de l’Europe à agir. Nous prenons acte de certains progrès – il faut le reconnaître – comme le renforcement de FRONTEX que la Commission européenne propose d’amplifier dans le prochain cadre financier pluriannuel. Cependant, parallèlement, la réforme du système européen d’asile est enlisée. Plus profondément, on ressent un grand décalage entre la lenteur du processus européen et l’urgence des réponses à apporter.

Le sommet à seize États, qui vient de se tenir à Bruxelles, n’a malheureusement pas débouché sur des solutions concrètes. Madame la ministre, que peut-on espérer du Conseil européen ? L’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de passeurs et de réseaux criminels qui profitent de la détresse humaine. Le secours en mer est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit porter le débat au niveau international sur la reconduite des bateaux vers leur port d’origine.

Nous examinerons avec beaucoup d’attention la directive Procédures, qui est en cours de seconde lecture à Bruxelles, et qui va redéfinir le concept de « pays tiers sûr ». J’avoue être déjà un peu inquiet à la lecture des commentaires de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur ce point. Le Sénat sera à vos côtés, si vous le souhaitez, madame la ministre, pour être extrêmement ferme sur le sujet.

La conférence ministérielle, qui s’est tenue à Niamey le 16 mars, semble marquer un engagement sans précédent des États africains. Qu’en est-il concrètement de la mise en œuvre de la déclaration adoptée à cette occasion ? Il faut aussi construire des centres d’accueil ou hotspots dans les pays d’accueil ou de transit aux portes de l’Europe. Développons avec ces pays des partenariats ambitieux dans l’esprit du sommet de La Valette, mais exigeons aussi leur coopération active en matière de réadmission.

Face aux nombreux défis que l’Union européenne doit relever, le moteur franco-allemand peine à se concrétiser. Il a pâti de l’incertitude politique en Allemagne, même si la déclaration commune de Meseberg, publiée le 19 juin 2018, intègre finalement des éléments concernant l’avenir de la zone euro. S’il existe aujourd’hui un soutien allemand aux projets du Président de la République, comme le budget de la zone euro, les dispositifs restent à élaborer. La Commission européenne a, quant à elle, présenté des pistes de réforme a minima. Le renforcement du pilotage exécutif de la zone euro n’est pas abordé et l’association des parlements nationaux n’est pas évoquée.

Au plan institutionnel, la déclaration de Meseberg insiste sur la réduction du nombre de commissaires, mesure que nous soutenons. En revanche, nous restons réservés sur des listes transnationales à partir des élections européennes de 2024. Cela étant, nous saluons le souci de passer à la règle de la majorité qualifiée sur un certain nombre de sujets, qu’il s’agisse des problématiques de défense ou d’autres questions, afin d’éviter la paralysie de l’Europe.

Les échanges sur le cadre financier pluriannuel feront figure de test sur une vision commune franco-allemande pour l’avenir de l’Union. Vous connaissez la position du Sénat, madame la ministre. Elle est claire : la politique agricole commune et la politique de cohésion ne peuvent servir de variable d’ajustement, au risque de fragiliser encore davantage la ruralité, ce qui entraînera par « effet domino », si je puis dire, une fracturation de la société française.

À juste titre, la présidence bulgare a mis en avant la stabilité dans les Balkans occidentaux. Nous y sommes très attentifs. Toutefois, la priorité doit être donnée à des progrès significatifs, tant sur l’organisation institutionnelle, l’État de droit, que sur le plan économique. Prenons garde à ne pas ignorer l’état de nos opinions publiques très réticentes face à un processus d’élargissement qui ne serait pas maîtrisé ? Nous l’avons dit à de nombreux interlocuteurs que nous rencontrons, tant dans nos déplacements que lorsque nous les accueillons : nous nous situons toujours dans une phase d’approfondissement de l’Union européenne.

Enfin, je veux évoquer la négociation du Brexit. Nous soutenons l’action du négociateur de l’Union européenne, notre compatriote Michel Barnier. Sa tâche est difficile face aux atermoiements et aux profondes divisions que l’on constate au Royaume-Uni. Notre groupe de suivi se rendra à Dublin, Belfast et Londres au début du mois de juillet.

Nous devons vous faire part de la profonde inquiétude des citoyens européens installés, souvent de longue date, au Royaume-Uni, singulièrement de nos compatriotes. En clair, nombre d’entre eux font l’objet de mesures et de propos discriminants, particulièrement intolérables. Nous les avons rencontrés et leurs témoignages sont assez poignants.

La question irlandaise n’est toujours pas résolue. Elle conditionne pourtant tout accord de retrait. Les récentes propositions de Mme May laissent sceptiques. Nous mesurons chaque jour davantage l’impact économique désastreux du Brexit. Les différentes études publiées par des cabinets spécialisés annoncent, selon qu’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni soit conclu ou non, et selon la nature de cet accord, un coût compris entre 35 milliards d’euros et 70 milliards d’euros par an – dans l’hypothèse où aucun accord ne serait signé. Cette somme est à partager entre l’Europe à vingt-sept et le Royaume-Uni. Autrement dit, il s’agit d’un suicide économique collectif.

La récente annonce d’Airbus de retirer ses investissements au Royaume-Uni si aucun accord n’était trouvé ou en cas de « Brexit dur » en est une nouvelle illustration. L’Union doit défendre ses intérêts et veiller, pour l’avenir, à garantir l’intégrité du marché unique, qui n’est pas un libre-service. Sur tous ces points, que peut-on attendre concrètement du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Claude Raynal, ainsi que Mmes Victoire Jasmin et Christine Prunaud applaudissent également.)