Article 2
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Article 2

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour un rappel au règlement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au règlement, ayant été mise en cause et devant présider nos travaux après la suspension de la séance, ce qui m’empêchera de répondre.

Madame Gatel, pour certaines raisons, je n’étais pas dans l’hémicycle lors de votre intervention dans la discussion générale, mais sachez que je vous ai écoutée. J’ai entendu tous vos arguments, dont celui qui concerne la séparation des âges. J’étais en train de bouillir devant ma télévision – vous me connaissez –, parce que je ne comprenais pas.

Je ne comprends pas, parce que nous ne réduisons en rien la protection que vous avez prévue à partir de treize ans. Tous seront protégés par la loi telle qu’elle existe ou telle que vous l’aurez modifiée. En revanche, pour les enfants de moins de treize ans, nous renforçons le mécanisme. Non, ma chère collègue, mon argumentation n’était pas fondée sur l’émotion !

Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann.)

PRÉSIDENCE DE Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion, dans le texte de la commission, de l’article 2 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Rappel au règlement (début)

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 129, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 5

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

1° L’article 222-22-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. » ;

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En présentant cet amendement, je vais revenir quelques instants sur le débat qui s’est déroulé dans l’hémicycle avant la suspension de séance. Ce débat et les oratrices et orateurs qui y ont pris part méritent éminemment de respect. Nous avons bien mesuré l’intérêt que nous partageons tous pour lutter contre les crimes de viol commis sur des enfants.

L’amendement n° 129 vise à rétablir une disposition interprétative que le Gouvernement avait proposée à l’Assemblée nationale, qui l’avait adoptée. Permettez-moi de vous rappeler en quelques mots la position du Gouvernement, qui comporte trois points.

Premièrement, le texte du Gouvernement, dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale, insérait dans le code pénal une disposition interprétative sur les notions de contrainte et de surprise en cas de relations sexuelles avec un mineur de quinze ans. Cette disposition nous paraît répondre de façon à la fois efficace et satisfaisante aux problèmes que vous toutes et tous avez soulevés, ainsi qu’aux objectifs que nous cherchons à atteindre.

Deuxièmement, les ajouts et modifications apportés au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale par la commission des lois du Sénat, faisant notamment référence à la notion de maturité sexuelle et instituant une présomption de contrainte, s’ils tentent de résoudre une difficulté juridique, ne me paraissent pas totalement satisfaisants.

Troisièmement, les divers amendements tendant à instituer une présomption de contrainte pour les mineurs de treize ans ou à instaurer un crime en cas de relations sexuelles d’un majeur avec un mineur de treize ans ne me paraissent pas non plus tout à fait justifiés.

Si le texte du Gouvernement me semble adapté, c’est pour trois raisons.

D’abord, étant interprétatif, il s’appliquera immédiatement. Tous les mineurs, y compris ceux qui auront été victimes de violences sexuelles dans le passé, pourront en profiter. Ce texte ne crée donc pas un double régime qui s’appliquerait dans les décennies à venir.

Ensuite, le texte du Gouvernement n’opère pas de distinction entre les treize et les quinze ans. Il ne crée pas de confusion sur l’âge de la majorité sexuelle, ni ne donne a contrario l’impression que le consentement des mineurs de plus de treize ans serait, en quelque sorte, présumé.

Enfin, la disposition interprétative proposée par le Gouvernement permet, me semble-t-il, d’atteindre les objectifs visés.

En indiquant que la contrainte est caractérisée en cas d’abus de la vulnérabilité d’un mineur de quinze ans ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à un acte sexuel, la loi aura nécessairement pour conséquence pratique, pour les mineurs les plus jeunes, que les cours d’assises ne pourront pas faire autrement que de reconnaître qu’ils ont fait l’objet d’une contrainte. De facto, donc, les acquittements ne seront plus possibles quand les victimes auront dix, onze, douze, voire treize ans. La loi ne peut pas fixer ces âges, mais nous pourrons le rappeler dans une circulaire, en faisant état notamment des débats tenus devant le Parlement.

À l’aune de ces nouvelles dispositions, il est certain que des affaires comme celles de Melun et de Pontoise – des affaires qui ont abouti dans un premier temps seulement, comme l’a souligné le président de la commission des lois – auraient été appréciées différemment par les juridictions.

Pourquoi le Gouvernement s’oppose-t-il aux modifications apportées au texte par la commission des lois du Sénat ?

Principalement, parce que la réintroduction de la notion de maturité en matière sexuelle, qui figurait dans le projet de loi initial, mais que l’Assemblée nationale a supprimée avec l’assentiment du Gouvernement, me paraît poser des problèmes importants, en raison du caractère imprécis et contestable de cette notion. Ce qui compte, me semble-t-il, c’est uniquement la question du discernement du mineur.

Par ailleurs, l’ajout d’une présomption simple de contrainte dans certaines hypothèses soulève des difficultés qui me semblent relativement importantes. Certes, il ne s’agit que d’une présomption simple, soit le minimum que l’on puisse prévoir, comme l’ont rappelé M. le président de la commission et Mme la rapporteur ; mais, comme l’a indiqué le Conseil d’État, des difficultés se posent de nature constitutionnelle et conventionnelle. En effet, instituer une présomption de culpabilité, même simple, en matière criminelle paraît porter une atteinte puissante au principe de la présomption d’innocence, que le président de la commission des lois a si bien rappelé précédemment.

Enfin, les amendements tendant à créer un nouveau crime de violences sexuelles sur mineur de treize ans ne me paraissent pas acceptables juridiquement. J’insiste sur cet adverbe, d’autant que j’ai moi-même beaucoup évolué, je le confesse, sur la position que nous défendons devant vous, et qu’il m’est arrivé d’esquisser des propositions assez proches des vôtres.

Pourquoi cette solution n’est-elle pas juridiquement acceptable ?

Tout d’abord, parce que considérer qu’il s’agit d’un crime purement formel, c’est-à-dire d’un crime pour lequel on ne s’interroge pas sur l’intention de l’auteur, pourrait porter atteinte aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

Ensuite, parce qu’un tel crime ne s’appliquerait que pour le futur. En sorte que deux victimes voyant leurs affaires jugées le même jour par une cour d’assises, que ce soit dans dix-huit mois, dans vingt ans ou dans trente – ce que permettent les règles de prescription que nous avons adoptées –, l’une pour des faits commis avant la loi, l’autre pour des faits commis après, verraient les accusés jugés sur le fondement de textes différents.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cela se voit tous les jours !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comment l’opinion publique et les victimes elles-mêmes pourraient-elles comprendre une telle différence de traitement ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. À ce compte-là, on ne voterait plus aucune loi !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Enfin, parce que retenir un seuil de treize ans pour ce crime aura nécessairement pour conséquence, même si ce n’est pas l’intention, de fragiliser la situation des mineurs âgés de treize à quinze ans.

La défense de l’accusé soutiendra que le législateur lui-même considère qu’un mineur de plus de treize ans peut ou pourrait consentir à une relation sexuelle. De facto, on créerait une forme d’a contrario qui pourrait induire une présomption de consentement. Comment l’opinion dans son ensemble et les jurés en particulier ne seraient-ils pas sensibles à un tel raisonnement ?

Telles sont les raisons pour lesquelles il nous semble, à Marlène Schiappa et à moi-même – nous le disons avec force, mais aussi avec une forme d’humilité par rapport aux questions que vous avez soulevées –, que la solution que nous proposons est à la fois efficace, propre à répondre à nos attentes et juridiquement correcte.

Dans cet esprit, nous présentons l’amendement n° 129 pour rappeler clairement la position du Gouvernement sur les dispositions de l’article 2 du projet de loi. Lucide, je sais bien qu’il a peu de chances de modifier la position de votre commission. Je tiens toutefois à répéter brièvement les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite un retour aux dispositions adoptées par l’Assemblée nationale.

La commission des lois du Sénat a amendé le texte d’une façon, me semble-t-il, complexe, en complétant l’actuel alinéa unique de l’article 222-22-1 du code pénal pour faire référence à la maturité sexuelle insuffisante des mineurs de quinze ans. Cette notion de maturité sexuelle ne me semble ni utile ni pertinente. Elle me paraît trop peu juridique et susceptible de donner lieu à des divergences d’interprétation, d’autant que la question des mineurs de quinze ans apparaîtra traitée à l’alinéa suivant.

Par ailleurs, il paraît justifié de maintenir la rédaction de la disposition interprétative – j’insiste à nouveau sur ce mot – selon laquelle, lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise « sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

D’une part, en effet, dès lors qu’il y a abus de la vulnérabilité et absence de discernement, la contrainte ou la surprise sont nécessairement caractérisées. Prévoir, comme l’a fait la commission des lois, qu’elles « peuvent être » caractérisées serait, me semble-t-il, source d’ambiguïtés.

D’autre part, il me semble important de préciser qu’il s’agit du discernement nécessaire pour consentir à un acte sexuel, et non du discernement dans l’absolu. Cette formulation protège mieux le mineur, qui peut avoir un discernement suffisant dans d’autres domaines.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous espérons que vous tiendrez le plus grand compte de l’amendement n° 129. (Mme Élisabeth Doineau et M. François Patriat applaudissent.)

Mme la présidente. L’amendement n° 23 rectifié, présenté par Mmes de la Gontrie, Rossignol, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante

La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Les nombreux travaux menés par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et les délégations aux droits des femmes des deux assemblées, en concertation avec les associations de victimes, de lutte contre les violences sexuelles et de protection de l’enfance, soulignent avec force que l’expression « maturité sexuelle suffisante » est à proscrire. L’emploi de cette expression à l’article 2 du projet de loi avait d’ailleurs été écarté par l’Assemblée nationale.

En effet, en admettant de manière implicite que la maturité sexuelle d’un ou d’une mineure de moins de quinze ans puisse être suffisante, cette rédaction affaiblit significativement la portée de l’appréciation de la notion de contrainte, que ses promoteurs se proposent pourtant d’amplifier. Elle implique qu’une maturité sexuelle suffisante d’une enfant ou d’une adolescente de moins de quinze ans pourra être invoquée par la défense afin de nier la responsabilité d’un adulte dans le cadre d’un viol ou d’une agression sexuelle.

Cette terminologie renforce donc la probabilité pour les auteurs présumés d’infractions à caractère sexuel sur mineur de quinze ans d’être acquittés ou de voir leur peine réduite bien en deçà de l’infraction commise. Pour être on ne peut plus clairs, nous considérons que les arguments tels que : « elle a l’air d’avoir seize ans », « elle a essayé de me séduire par son comportement », « elle porte des tenues courtes », « elle prend des selfies dans des positions suggestives », etc., s’ils sont bien bel et bien légitimes du point de vue du défendeur et de la garantie des principes des droits de la défense, doivent être combattus sur le terrain politique et faire l’objet d’une condamnation sociale forte.

Cette condamnation sociale, qui s’est fortement exprimée lors des affaires de Pontoise et de Melun, doit être encouragée et non pas piétinée par le fait d’insérer dans le code pénal l’existence d’une maturité sexuelle suffisante des mineurs de quinze ans.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pour en avoir longuement délibéré avec Marie Mercier, vous me permettrez de vous exposer, en notre nom à tous deux, notre point de vue.

Je sais bien que cette matière est vraiment difficile et, en réalité, on se rend compte qu’elle est compliquée. Il ne s’agit pas ici de la principale innovation de la commission des lois. Celle que nous portons consiste à dire que, dans la mesure où il n’est pas possible de prévoir la présomption irréfragable, prévoyons au moins la présomption simple ; cette question sera abordée dans un instant.

Pour l’instant, on parle de ce qu’est un viol. Il faut bien que le droit le définisse pour que des condamnations pour viol puissent être prononcées.

Depuis 2010, l’article 222-22-1 du code pénal prévoit que la contrainte peut caractériser un viol et qu’elle peut être physique ou morale. Mais qu’est-ce qu’une contrainte morale ? Pour aider le juge, le législateur a précisé que la contrainte morale peut résulter d’une différence d’âge, combinée à l’exercice d’une autorité de droit ou de fait que l’agresseur exerce sur la victime, ces deux conditions étant indissociables et non pas exclusives l’une de l’autre.

Dans un premier temps, nous avons estimé qu’il suffisait, pour qu’il soit plus facile pour le juge de reconnaître la contrainte morale et, donc, de condamner la personne pour viol, que l’une des deux conditions soit remplie, au lieu des deux obligatoirement, pour caractériser cette contrainte, à savoir l’autorité sur la victime ou bien la différence d’âge : si l’un de ces deux éléments est présent dans l’affaire à juger, le juge peut alors estimer qu’il y a vraiment contrainte morale. Cela vaut non pas seulement pour les mineurs, mais aussi pour tous les viols, à tous les âges de la vie.

On peut évidemment se dire que l’on a peut-être eu tort d’introduire en 2010 dans la loi pénale des éléments d’ordre interprétatif. D’ailleurs, précédemment, je me suis assez clairement exprimé contre ce procédé. Mais dès lors qu’ils y figurent, autant qu’ils soient clairs. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a souhaité procéder de cette manière.

Ensuite, nous avons pensé que nous devions aussi nous occuper des mineurs, et tel est d’ailleurs l’objet principal du texte que nous examinons. Toujours dans le cadre du viol – l’âge de la majorité sexuelle est fixé depuis longtemps à quinze ans –, avec les mineurs de moins de quinze ans – nous ne parlons pas ici des mineurs tout jeunes, pour lesquels nous avons pensé à la présomption simple, et non pas irréfragable certes, de contrainte morale caractérisant le viol, qui inverse la charge de la preuve, dont nous avons parlé précédemment –, nous avons tout de même affaire à de grands adolescents. Même si nous ne savons pas quelle est globalement leur vie sexuelle, c’est l’âge où arrive la sexualité, avec une pratique qui diffère d’un adolescent à l’autre. C’est ce que nous avons voulu exprimer avec la notion de maturité sexuelle : la contrainte morale sera bien sûr présumée lorsque la victime a moins de quinze ans, sauf s’il est établi que cette jeune victime a déjà une vie sexuelle harmonieuse et épanouie. On ne pourra pas alors dire que la relation sexuelle a eu lieu sans que celle-ci connaisse les conséquences de cet acte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu viol, mais le juge appréciera.

Je comprends bien l’appréciation du juge dans certains cas et j’entends bien ce que disent certaines associations, qui veulent que le juge se comporte comme un greffier – j’ai parlé de « robot » précédemment pour pousser l’analogie à l’excès – et préfèrent le jugement automatique au jugement humain. Pour ma part, j’estime que, dans un pays, il n’y a pas de bonne régulation par les tribunaux si l’on substitue le jugement automatique au jugement humain.

Il ne s’agit ici que d’apporter une aide au juge pour lui permettre d’avoir des références : il reste libre de décider qu’il y a eu contrainte morale ou pas.

Nous ne voulons pas revenir au texte du Gouvernement. Madame la garde des sceaux, je vous ai vraiment écoutée avec beaucoup d’attention et je reconnais toute la valeur du point de vue que vous avez énoncé, un point de vue de prudence en fait, et je le comprends. Au fond, vous pensez que le droit pénal n’est pas si mal fait que cela, qu’il sera bon d’introduire dans la loi un peu plus d’éléments pour guider le juge, mais qu’il ne faut surtout pas le modifier de fond en comble. Selon vous, il n’est même pas certain que la présomption simple soit reconnue comme étant conforme à la Constitution. Moi, je suis plus optimiste que vous.

Je vous ai lu la décision du Conseil constitutionnel : il est absolument impossible de prévoir la présomption irréfragable, mais la présomption simple n’est pas interdite à certaines conditions, et nous estimons, pour notre part, que les conditions sont réunies.

Mes chers collègues, vous reprochez parfois à Marie Mercier et à moi-même de faire trop de droit, mais je tiens à vous dire que nous prenons, nous aussi, des risques : nous ne voulons pas aller jusqu’à la certitude de l’inconstitutionnalité, mais nous sommes prêts à défendre la conformité de la présomption simple à nos droits fondamentaux. C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable, comme vous l’aviez anticipé, madame la garde des sceaux, sur l’amendement n° 129, ainsi que sur l’amendement n° 23 rectifié de Mme de la Gontrie.

Nos intentions sont pures, je tiens tout de même à le dire, même si cela va de soi, je le sais – veuillez m’excuser de le dire sur le ton de l’humour, alors que le sujet appelle à la gravité –, mais cette disposition nous semble non pas contraignante, mais interprétative. Nous voulons protéger les mineurs qui approchent les quinze ans, car ils ne sont pas tous faits sur le même modèle : dans certains cas, il n’y aura réellement pas eu de contrainte, contrairement à d’autres. Aussi, il importe que le juge ait la capacité d’examiner individuellement chaque affaire en fonction de la réalité de la situation qui lui est soumise. Je vous en conjure, faisons quand même confiance au juge, dès lors que la loi est suffisamment précise.

Permettez-moi de remercier Mme la présidente de séance de m’avoir permis de développer cette argumentation. Veuillez m’excuser, mes chers collègues, s’il vous est apparu que celle-ci était trop juridique. Mais je ne peux pas m’empêcher de faire du droit dans la mesure où nous faisons la loi. Par ailleurs, je veux que l’on fasse du droit pour trouver la formule de nature à protéger le mieux nos enfants, et c’est vraiment cet objectif qui nous unit, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.

Pour ma part, j’ai la conviction profonde que notre proposition donne au juge les armes nécessaires pour protéger nos enfants – beaucoup plus que les autres propositions – : une formule ne pourra pas prospérer, ce qui reviendra à avoir fait ce que je crois être un coup d’épée dans l’eau, tandis que la formule basse, si je puis me permettre cette expression, madame la garde des sceaux, une formule prudente, ne constitue pas un pas en avant fort avec une modification de la charge de la preuve, afin que le coupable puisse être plus facilement condamné et que la victime ne voit pas peser sur elle une contribution à la démonstration de la culpabilité de son agresseur, ce qui la conduirait à devoir se justifier. Or ce n’est vraiment pas un état d’esprit convenable pour punir les agresseurs de mineurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 23 rectifié.

Si le texte de la commission avec lequel je ne suis bien sûr pas d’accord – mais je comprends bien qu’il sera adopté ; c’est ce que je crains en tout cas – mentionne que la contrainte peut résulter du fait « que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante », vous proposez, pour votre part, madame la sénatrice, de supprimer la notion de « maturité sexuelle ».

Enlever la fin de la phrase revient à affirmer dans le texte de la commission que la simple minorité de quinze ans caractérisera la contrainte, donc le viol ou l’agression sexuelle, sans appréciation in concreto par le juge. Cela me semble évidemment excessif. C’est, me semble-t-il, uniquement si le mineur de quinze ans n’a pas le discernement suffisant que l’on pourrait parler de viol.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je dois dire que je me demande ce que les auxiliaires de justice ou les magistrats – je n’ose parler des auteurs ou des victimes – comprendront du régime juridique applicable à la fin de ce débat.

Au départ, le texte devait fixer quelque chose qui pouvait s’apparenter à une présomption d’absence de consentement en faveur des victimes mineures ; le Gouvernement y a renoncé.

Ensuite, a été envisagée l’aggravation de l’infraction d’atteintes sexuelles sur mineur en cas de pénétration, disposition qui a été retirée – et c’est une bonne chose.

Maintenant, le texte de la commission qui nous est présenté et que le président Bas a essayé de défendre au travers d’une argumentation d’une grande confusion,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ah bon ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … alors que ses explications sont d’habitude d’une limpidité et d’une efficacité redoutables, veut imposer le critère de « maturité sexuelle suffisante », ce que je trouve, je le dis, terrifiant.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pas moi !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je n’ose imaginer les débats devant les juridictions pénales au cours desquels il faudra évaluer, quelques années après les faits, la maturité sexuelle de la victime.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Si tout le monde ici souhaite que l’on simplifie le sort des victimes et que l’on fasse en sorte que la sanction soit non pas bien évidemment certaine, mais plus simple à obtenir, alors là je dis : bravo ! Cela détruit absolument l’objectif poursuivi.

Vous l’avez compris, l’amendement que nous défendons et contre lequel s’est exprimée Mme la garde des sceaux – en exposant une logique que, pour le coup, j’ai comprise – prévoit au minimum de supprimer le critère de maturité sexuelle suffisante, qui me semble totalement inacceptable, inapplicable et insupportable.

Vous avez raison, madame la garde des sceaux, si l’on supprime ce membre de phrase, notre position est claire pour les enfants de quinze ans, de la même manière que notre position est claire pour les enfants de treize ans dans l’amendement que nous examinerons tout à l’heure et qui a déjà suscité de nombreux débats précédemment.

Nous nous abstiendrons donc sur l’amendement du Gouvernement, qui, au milieu de la grande confusion créée par le texte de la commission, est à peu près cohérent. Veuillez m’en excuser, ce n’est pas péjoratif, mais je ressens vraiment une grande confusion juridique lorsque je lis le texte tel qu’il nous est aujourd’hui soumis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je partage le sentiment de confusion exprimé par ma collègue.

Madame la garde de sceaux, madame la secrétaire d’État, le Président de la République, le 25 novembre dernier, au cours d’un discours sur la lutte contre les violences faites aux femmes, indiquait, justement à propos des affaires que l’on a citées : « Je veux ici vous donner une conviction personnelle : nous devrions sans doute aligner sur l’âge de la majorité sexuelle, fixée dans le droit à quinze ans, par souci de cohérence et de protection des mineurs, cette présomption. » La présomption de consentement ne peut pas s’appliquer de façon aussi floue lorsqu’il y a bien eu une relation sexuelle entre un mineur et un adulte, expliquait-il.

Voilà ce que nous devons rechercher. Or vous n’y arrivez pas, et vous oubliez complètement que, devant la cour d’assises, c’est l’intime conviction qui est importante, et non pas la motivation juridique. Les questions qui ont été évoquées devant les assises et qui ont notamment abouti à des acquittements concernent précisément la notion d’intime conviction. Je comprends maintenant pourquoi vous envisagez dans le projet de loi sur la justice la création d’une juridiction criminelle composée uniquement de magistrats, et non plus de jurés populaires. On commence à en deviner éventuellement l’intérêt. Mais, juridiquement, je me demande vraiment ce que nous apportons encore par rapport à la promesse faite.

Je dirai la même chose à M. le président Bas et à Mme la rapporteur : quelle que soit la rédaction, on va être dans une complexité… Monsieur le président, vous dites qu’il faut faire confiance au juge. Mais les juges seront des jurés populaires et les procureurs préféreront alors, à un moment donné, face à des magistrats professionnels, s’assurer d’une condamnation, même à cinq ans d’emprisonnement, le maximum encouru pour une atteinte sexuelle – c’est ce qui s’est passé dans l’Essonne –, plutôt que de risquer un acquittement. Vous allez soumettre l’enfant mineur à des débats qui ajouteront à l’agression sexuelle une agression judiciaire, ce qui sera dramatique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous sommes toutes et tous d’accord sur un point : il faut que la loi envoie un message clair. Mais, on le voit, on peine à le faire – peut-être y parviendrons-nous à l’issue de notre débat.

Pour ma part, je suis très perplexe sur la formulation retenue à la fin de l’amendement du Gouvernement : « sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. » On parle là de faits qui sont commis sur la personne d’un mineur ou d’une mineure de quinze ans. Cela signifie que l’on considère que des mineurs peuvent avoir le discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Il faut toujours voir les deux côtés de la question !

Monsieur le président de la commission, vous avez relevé que chaque mineur n’avait pas obligatoirement la même sexualité. On dispose de certaines sources statistiques, qui n’ont certes pas une valeur absolue, mais qui sont intéressantes.

Lors des examens de santé réalisés en classe de quatrième et de troisième, on a interrogé les garçons et les filles sur leur santé sexuelle. Ainsi, 23 % des garçons ont affirmé avoir pratiqué des actes sexuels – peut-être y a-t-il là une petite surestimation, parce que cela fait bien de se valoriser ; je n’en sais rien, et je n’en dirai pas plus ! –, contre 13,7 % pour les filles, voire, après les avoir interrogées de manière un peu plus précise, 10 %, car certaines d’entre elles auraient préféré que cela ait lieu plus tard, tandis que d’autres ont avoué qu’elles y avaient été contraintes.

Pourquoi voulais-je citer ces chiffres ? Tout simplement parce que l’on voit bien là qu’il s’agit d’une minorité. Or on légifère pour une majorité, et pour les plus vulnérables.