M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la ministre, nous avons un désaccord, sur ces amendements comme sur les précédents.

Vous rappelez le principe de l’individualisation des peines ; je suis également favorable au respect de ce principe. Vous dites que, si ces amendements étaient adoptés, il y serait porté une atteinte disproportionnée ou excessive. Je ne le crois pas, car le juge garderait toujours la possibilité, à condition de motiver sa décision, de ne pas révoquer le sursis. Par conséquent, les pouvoirs du juge seraient intégralement préservés : le principe serait la révocation automatique du sursis, mais le juge pourrait décider de ne pas l’appliquer, à charge pour lui de motiver cette décision.

Il ne faut donc pas donner à croire que nous porterions une atteinte disproportionnée au principe de l’individualisation des peines. Nous aménageons ce principe en donnant, par la loi, une directive au juge, mais c’est bien là notre rôle : le juge n’a pas toute liberté dans le prononcé des peines. Nous lui demandons simplement de se justifier si sa décision va à l’encontre de la volonté que nous exprimons.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Je voterai naturellement ces amendements, parce que c’est bien de récidivistes qu’il s’agit, c’est-à-dire de personnes qui pourrissent la vie de nos concitoyens. Je crois beaucoup à la vertu pédagogique du passage devant un juge : le fait d’être jugé une première fois doit déclencher tout un processus conduisant à ne pas récidiver. Mais pour les multirécidivistes, si le sursis n’est pas révoqué, la peine n’a pas de sens : autant n’en prononcer aucune. Veillons donc à ce que notre droit ait un sens pour les victimes et tous ces Français las de subir les agissements d’individus qui leur gâchent la vie.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Dans l’objet de l’amendement de M. Reichardt, nous lisons un chiffre qui nous interpelle : 40 % des peines sont devenues fictives !

Je peux comprendre votre réponse, madame la ministre, mais l’ensemble de la population ressent aujourd’hui un sentiment profond de lassitude et de révolte. J’ai évoqué jeudi soir les dégradations commises par des casseurs dans les établissements scolaires. Le témoignage livré il y a quelques minutes par nos collègues de la Seine-Saint-Denis vaut pour tous les départements. Dans le mien, les Ardennes, on a inauguré à Charleville-Mézières, voilà quelques jours, une salle des associations, représentant un investissement de 400 000 euros. Le lendemain ou le surlendemain, tout était dévasté…

Il existe partout, malheureusement, des quartiers sensibles, difficiles. Les policiers ou les gendarmes, dans les zones rurales, font de leur mieux. Nous respectons la justice, mais, je le redis, on sent croître un profond sentiment de lassitude parmi nos concitoyens. Je voterai ces amendements.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. À mon sens, l’automaticité de la révocation du sursis est la condition de l’existence dudit sursis. Si la personne qui a été condamnée à une peine de sursis simple sait qu’il ne sera pas fait état, ultérieurement, de cette condamnation, à quoi donc sert-il de prononcer cette peine ?

Dans un souci de cohérence, et parce que, comme vient de le dire Marc Laménie, 40 % des peines sont fictives, c’est-à-dire ne sont pas exécutées, il importe que la révocation du sursis soit rendue automatique, en laissant, comme l’a dit tout à l’heure le président de la commission des lois, la possibilité au juge de déroger à cette automaticité.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Nous voterons, comme en janvier 2017, contre cet amendement. Mais, en janvier 2017, la commission des lois avait travaillé dans un esprit différent – je pense notamment à la probation.

Nous sommes tous convaincus qu’il faut lutter contre la récidive. Malheureusement, le système ne fonctionne pas, puisque l’on constate que des personnes incarcérées une première fois retournent par la suite en maison d’arrêt ou en centre de détention. Les magistrats que nous rencontrons souhaiteraient que nous les aidions à trouver la voie permettant d’éviter la récidive, sachant que le passage devant le tribunal et la condamnation n’y suffisent pas.

En outre, nos rapporteurs proposent de supprimer le sursis avec mise à l’épreuve. Un justiciable ayant été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis peut revenir devant une juridiction pour une tout autre infraction – cela peut arriver aussi à un chef d’entreprise dans le domaine économique. Pourquoi voulez-vous que le tribunal soit obligé de motiver spécialement sa décision de ne pas révoquer le sursis ? Soit vous ne faites pas confiance aux juridictions, soit vous ignorez, tout simplement, le travail effectué sur le présent texte, qui est très différent de celui de janvier 2017.

Cela étant, je comprends que certains sont mus par une volonté d’affichage politique : il s’agit de montrer que l’on n’est pas laxiste, en affirmant que c’est la voie de la répression qui permettra à coup sûr d’éviter la récidive ; on a vu, pourtant, que ce n’est pas vrai…

Nous voterons contre ces amendements.

M. Richard Yung. Très bien.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour ma part, au rebours de ce que disait le président Bas, je crois que l’automaticité de la révocation du sursis nuit à l’individualisation de la peine, qui est l’un des principes constitutionnels devant nous guider.

En outre, je rappelle que le juge peut toujours révoquer la mesure de sursis ! Je ne comprends donc pas très bien pourquoi on instaurerait l’automaticité de la révocation du sursis.

D’ailleurs, la mise en œuvre de loi de 2014 ne s’est pas traduite par davantage de laxisme en matière de révocation des sursis. Si c’était le cas, nous n’aurions pas 70 000 détenus ! Il faut être réaliste !

Je ne sais pas d’où sort le chiffre de 40 % de peines fictives qui a été avancé, mais tout l’objet de ce projet de loi est précisément de faire en sorte qu’une peine prononcée soit une peine exécutée. Nous aurons l’occasion d’y revenir tout à l’heure.

J’estime qu’il faut éviter les automatismes parce qu’ils peuvent avoir des effets néfastes, en conduisant à une forme d’incarcération à l’aveugle de personnes pour lesquelles il serait possible de trouver d’autres solutions, mieux adaptées au regard de la nature des infractions commises.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ferai observer que, au travers de mon projet de loi, je propose d’abaisser de deux à un an d’emprisonnement le seuil fixé à l’article 723-15 du code de procédure pénale. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais il me semble qu’ajouter la révocation automatique des sursis à l’abaissement de ce seuil conduirait à une inflation carcérale.

Promouvoir l’individualisation des peines et remettre le juge au cœur du système : telle est la ligne que je défends. C’est ce qui me conduit à émettre un avis défavorable sur ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 57 rectifié bis et 72 rectifié bis.

(Les amendements sont adoptés.)

Article additionnel après l'article 43 - Amendements n° 57 rectifié bis et 72 rectifié bis
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Article additionnel après l'article 43 - Amendement n° 119 rectifié bis (interruption de la discussion)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 43.

L’amendement n° 119 rectifié bis, présenté par MM. H. Leroy, Charon, Bonhomme, Grosdidier et Fouché, Mme Giudicelli, M. Panunzi, Mme Vermeillet, MM. Paccaud, Meurant, Reichardt, Laménie, Mandelli et Moga, Mme A.M. Bertrand, MM. Duplomb et J.M. Boyer, Mme Deromedi et MM. Sol, Houpert, D. Laurent et Revet, est ainsi libellé :

Après l’article 43

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 622 du code de procédure pénale est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :

« La révision d’une décision pénale définitive peut également être demandée au détriment de toute personne reconnue non coupable d’un crime ou d’un délit lorsque :

« 1° Après un acquittement ou une relaxe, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à établir indubitablement la culpabilité de la personne reconnue non coupable ;

« 2° Après un acquittement ou une relaxe, sont découverts de nouveaux éléments de preuve faisant sérieusement présumer que si la cour d’assises ou le tribunal correctionnel en avait eu connaissance, l’accusé ou le prévenu aurait été condamné ;

« 3° Après un acquittement ou une relaxe, a été fait un aveu crédible de l’infraction par la personne reconnue non coupable, que cet aveu ait été fait en justice ou qu’il ait été extrajudiciaire ;

« 4° Un des témoins entendus a été, postérieurement à l’acquittement ou à la relaxe, poursuivi et condamné pour faux témoignage à l’avantage de l’accusé ou du prévenu ; le témoin ainsi condamné ne peut pas être entendu dans les nouveaux débats. »

La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. Cet amendement vise à introduire dans le droit français la révision in defavorem, c’est-à-dire la révision prononcée au détriment d’une personne qui aurait été, au bénéfice manifeste d’une erreur judiciaire, relaxée ou acquittée à tort. En l’état actuel de notre droit, la révision d’une décision pénale définitive ne peut être demandée qu’au bénéfice d’une personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit : c’est la révision in favorem.

L’affaire Haderer a mis en lumière cette lacune de notre législation : des années après le meurtre de Nelly Haderer, des traces d’ADN trouvées sur le pantalon de la victime ont mis en cause un homme qui ne pouvait plus être judiciairement inquiété. En effet, Jacques Maire a été condamné à deux reprises, par la cour d’assises de la Meurthe-et-Moselle et par celle des Vosges, mais a été définitivement acquitté, en octobre 2008, par la cour d’assises de la Moselle. Cette situation a profondément choqué l’opinion publique, à une époque où les progrès techniques et scientifiques ouvrent de nouvelles perspectives en matière de manifestation de la vérité.

Notre droit doit désormais permettre de revenir sur une décision d’acquittement ou de relaxe lorsque la survenance d’un fait nouveau ou la découverte d’un élément auparavant inconnu entache d’erreur manifeste la décision rendue. L’erreur judiciaire est inacceptable et contraire à nos principes et à notre conception de la justice, qu’elle concerne l’innocent en prison ou le coupable en liberté. Dans ces deux hypothèses, la vérité judiciaire doit pouvoir être révisée lorsqu’il existe un doute sur son bien-fondé. Plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, ont introduit dans leur législation une telle révision in defavorem. Cet amendement vise à faire de même dans notre droit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, corapporteur. À la révision in defavorem, la commission des lois a opposé le principe non bis in idem. Cet amendement, qui vise à permettre la réouverture de poursuites contre des personnes définitivement acquittées, semble contraire à la jurisprudence constitutionnelle.

Le principe non bis in idem que je viens d’évoquer, garanti tant par la jurisprudence constitutionnelle que par la jurisprudence conventionnelle, consacre le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits.

En cas d’acquittement définitif, il n’est donc pas possible de rouvrir les poursuites. Ce principe a été clairement rappelé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme.

En tout état de cause, l’amendement ne prévoit ni un encadrement suffisant ni des garanties de nature à assurer la constitutionnalité de son dispositif. La commission des lois a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour explication de vote.

M. Henri Leroy. Je comprends l’argument de M. le rapporteur, qui est tout à fait logique du point de vue du droit. Néanmoins, de nombreux pays européens ont évolué sur la question, tandis que nous restons figés. Cela étant, je retire l’amendement.

M. le président. L’amendement n° 119 rectifié bis est retiré.

Article additionnel après l'article 43 - Amendement n° 119 rectifié bis (début)
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Discussion générale

9

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.

Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 2 de ce jour, 16 octobre 2018, sur l’ensemble du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, M. Philippe Bonnecarrère a été porté comme votant contre, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

10

Article additionnel après l'article 43 - Amendement n° 119 rectifié bis (interruption de la discussion)
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Article 44

Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre V, à l’article 44.

TITRE v (SUITE)

RENFORCER L’EFFICACITÉ ET LE SENS DE LA PEINE

Chapitre Ier (suite)

Dispositions relatives aux peines encourues et au prononcé de la peine

Discussion générale
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Article 45

Article 44

I. – L’article 41 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au septième alinéa, après les mots : « de probation », sont insérés les mots : « ou le service de la protection judiciaire de la jeunesse » et après les mots : « d’une enquête », sont insérés les mots : «, de vérifier la faisabilité matérielle de certaines peines ou aménagements de peine pouvant être prononcés » ;

2° Au même septième alinéa, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Ces réquisitions peuvent également être faites après le renvoi d’une personne devant le tribunal correctionnel par le juge d’instruction, lorsque celle-ci est en détention provisoire. » ;

3° Au huitième alinéa, les mots : « , en cas de poursuites contre un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l’infraction, » sont supprimés.

II. – Le septième alinéa de l’article 81 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après les mots : « de probation », sont insérés les mots : « ou le service de la protection judiciaire de la jeunesse » ;

2° À la seconde phrase, les mots : « placer en détention provisoire un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l’infraction » sont remplacés par les mots : « saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire de la personne mise en examen ».

III. – Les deux premiers alinéas de l’article 132-70-1 du code pénal sont ainsi rédigés :

« La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine à l’égard d’une personne physique lorsqu’il apparaît opportun d’ordonner à son égard des investigations, le cas échéant complémentaires, sur sa personnalité ou sa situation matérielle, familiale et sociale de nature à permettre le prononcé d’une peine adaptée. Ces investigations peuvent être confiées au service pénitentiaire d’insertion et de probation ou à une personne morale habilitée.

« Dans ce cas, elle fixe dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine et ordonne, s’il y a lieu, le placement de la personne jusqu’à cette date sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire. »

M. le président. L’amendement n° 79, présenté par M. Antiste, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 188, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Au septième alinéa, les mots : « une personne habilitée dans les conditions prévues au sixième alinéa de l’article 81 ou, en cas d’impossibilité matérielle, le service pénitentiaire d’insertion et de probation » sont remplacés par les mots : « le service pénitentiaire d’insertion et de probation, une personne habilitée dans les conditions prévues au sixième alinéa de l’article 81 ou le service de la protection judiciaire de la jeunesse » ;

II. – Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° À la première phrase, les mots : « une personne habilitée en application du sixième alinéa ou, en cas d’impossibilité matérielle, le service pénitentiaire d’insertion et de probation » sont remplacés par les mots : « le service pénitentiaire d’insertion et de probation, une personne habilitée en application du sixième alinéa ou le service de la protection judiciaire de la jeunesse » ;

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement vise à rétablir les dispositions de l’article 44, qui ont été modifiées par la commission des lois, afin d’assurer une véritable complémentarité entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation et le secteur associatif en ce qui concerne les enquêtes présentencielles.

La réforme intervenue en 2012, qui a prévu que les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ne pourraient être saisis qu’en cas d’impossibilité matérielle de recours à une association, a eu des effets assez pervers, en interdisant dans certains cas l’évaluation approfondie des personnes présentées au juge. Ces évaluations auraient pu être de nature à éviter le prononcé de peines d’emprisonnement ferme, qui n’étaient pas nécessairement les plus adaptées à la nature de l’infraction, à sa gravité, à son auteur et à la situation de ce dernier.

Le Gouvernement souhaite donc revenir sur ces dispositions afin que les conseillers d’insertion et de probation puissent réinvestir le champ présentenciel, autrement dit tout ce qui s’attache aux enquêtes de personnalité préalables au prononcé du jugement.

Le projet de loi que je défends visant à permettre au juge de s’emparer de nouveau pleinement du prononcé des décisions, celui-ci devra être en mesure de prononcer des peines autonomes ou d’envisager d’emblée des aménagements. Dans cette perspective, le conseiller d’insertion et de probation, qui met en œuvre la peine ou ses aménagements, doit être l’un des acteurs de cette évaluation présentencielle. Il ne s’agit bien sûr nullement de le substituer aux associations, qui apportent un concours précieux, mais de créer une complémentarité en permettant au service d’insertion et de probation d’intégrer pleinement cette nouvelle politique des peines et d’en être l’un des acteurs essentiels.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement du Gouvernement qui vise à rétablir la rédaction originale du texte concernant le recours aux associations dans le cadre des enquêtes présentencielles.

Il nous semble peu crédible, pour ne pas dire illusoire, surtout à la lumière des travaux de la mission d’information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre dont j’ai été le rapporteur avec Jacques Bigot, de préconiser le réinvestissement du domaine présentenciel par les SPIP.

Les associations aujourd’hui sont saisies très généralement et quasiment par principe par les procureurs de la République. Elles réalisent la totalité de ces enquêtes sociales rapides. Souvent, les SPIP, non localisés dans les juridictions, ne disposent plus d’une organisation permettant une réactivité sept jours sur sept. C’est un fait que nous avons constaté et dont nous avons voulu tenir compte en modifiant le texte sur ce point.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, il existe aujourd’hui 3 200 conseillers d’insertion et de probation. Aux termes de la loi de programmation que je vous soumets, leur nombre sera porté à 4 500. Voilà pourquoi, dans la logique du projet que je défends, il paraît souhaitable, même nécessaire, que les conseillers d’insertion et de probation puissent réinvestir le champ présentenciel.

M. le président. La parole est à M. le corapporteur.

M. François-Noël Buffet, corapporteur. Loin de moi l’intention de nourrir une polémique avec vous, madame la ministre, mais le texte sera applicable immédiatement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Tout à fait !

M. François-Noël Buffet, corapporteur. Il faut donc que le dispositif fonctionne d’emblée. En toute hypothèse, le magistrat aura le choix de saisir soit les associations, soit le SPIP s’il estime que celui-ci est en mesure de répondre à sa demande.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 188.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 161, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Après les mots :

sous contrôle judiciaire

supprimer la fin de cet alinéa.

La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. L’article 44 du projet de loi tend à améliorer la procédure d’ajournement aux fins d’investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale du justiciable. Le tribunal, en ajournant le prononcé de la peine, pourra ordonner le placement de la personne sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire.

Cela nous paraît dangereux. Nous avons supprimé du texte du Gouvernement la comparution différée au motif qu’elle prolongerait encore les détentions préventives, qui concernent déjà plus de 40 % des personnes accueillies dans nos maisons d’arrêt. Prévoir que l’ajournement du prononcé de la peine puisse être assorti d’une mesure de détention provisoire nous semble gênant. Nous proposons donc que le tribunal ajournant le prononcé d’une peine puisse seulement placer la personne concernée sous contrôle judiciaire, mais pas sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, corapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

Cet amendement vise à modifier la procédure de l’ajournement – ou césure du procès pénal – en supprimant la possibilité, pour la juridiction de jugement – c’est-à-dire le tribunal correctionnel –, d’assigner le prévenu à résidence avec surveillance électronique ou de le placer en détention provisoire le temps de procéder à des investigations complémentaires. Cette procédure permet au tribunal de se donner un peu de temps supplémentaire pour prendre la décision la plus adaptée.

Il n’apparaît pas souhaitable de supprimer ce dispositif. Il convient de développer l’ajournement, notamment pour que les juridictions de jugement puissent prononcer des peines adaptées et individualisées à l’audience, y compris des peines d’emprisonnement.

Si une juridiction de jugement souhaite prononcer une peine mixte qui requiert des investigations supplémentaires, les dispositions de l’article 44 du projet de loi lui permettront d’ajourner le procès pénal, de statuer sur la culpabilité du prévenu, de le renvoyer, temporairement ou non, en détention provisoire ou de le placer sous surveillance électronique, avant de statuer sur la peine adaptée quelques mois plus tard. Le principe est le suivant : le tribunal établit la culpabilité à l’audience, mais le prononcé de la peine est différé de quelques jours ou de quelques semaines afin que la sanction la plus adaptée puisse être prise.

Cette faculté donnée à la juridiction de jugement nous paraît utile. L’ajournement de peine est aujourd’hui peu utilisé par les tribunaux. Il serait bienvenu de relancer l’intérêt pour ce type de procédure.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’émets également un avis défavorable sur cet amendement qui vise à supprimer la possibilité, en cas d’ajournement du prononcé de la peine, de placer la personne concernée en détention provisoire. À mon sens, une telle possibilité doit être maintenue. Bien évidemment, il ne pourra y être recouru que dans les cas où la détention peut être ordonnée, à savoir lorsque la personne comparaît en étant déjà détenue ou selon la procédure de comparution immédiate. Il n’est bien sûr pas envisageable qu’une personne comparaissant libre et faisant l’objet d’une décision d’ajournement après avoir été déclarée coupable puisse être placée en détention jusqu’à l’audience où il sera statué sur la peine. Si nécessaire, ce point pourrait être précisé lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 161.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 13, présenté par MM. Cabanel, Montaugé et Courteau, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport avant le 1er juin 2019 sur le coût des moyens à mettre en œuvre pour développer au sein des collectivités territoriales les travaux d’intérêt général.

La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Le présent amendement vise à éclairer la faisabilité de la mise en œuvre des peines de travail d’intérêt général, ou TIG, au sein des collectivités territoriales par une évaluation du coût de leur développement.

L’intérêt que peuvent présenter les travaux d’intérêt général et celui du rôle des collectivités territoriales dans leur exécution ont été maintes fois soulignés. Je pense, en particulier, au discours prononcé le 6 mars dernier par le Président de la République à l’École nationale d’administration pénitentiaire ou au rapport d’information sénatorial sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre remis il y a un mois par François-Noël Buffet et Jacques Bigot.

De nombreuses collectivités territoriales sont intéressées, mais elles se heurtent vite à un obstacle financier lorsqu’il s’agit de passer à la pratique. En effet, l’accueil des TIG par les collectivités territoriales nécessite des moyens. Il faut notamment un tuteur pour encadrer la personne condamnée et ses contacts avec les autres et assurer le lien avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP. Par ailleurs, le coût du déplacement de la personne condamnée jusqu’à son poste doit également être financé, notamment lorsque le TIG est effectué en milieu rural, dans une autre commune que celle de résidence du condamné. De plus, le développement des TIG nécessitera concomitamment un accroissement des moyens des SPIP.

Si l’on ne prend pas en compte ces contraintes matérielles, l’appel à développer l’exécution des TIG dans les collectivités territoriales restera lettre morte. Je n’ignore pas le projet du Gouvernement de créer une agence des TIG. Mon amendement vise à compléter cette ambition en appelant l’attention sur les moyens à mettre en œuvre.