compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

Mme Françoise Gatel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019
Discussion générale (suite)

Financement de la sécurité sociale pour 2019

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour 2019 (projet n° 163, rapport n° 164).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019
Question préalable (début)

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons donc procéder à l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Convenons-en, le texte qui vous est présenté est assez peu ressemblant à celui que votre assemblée a adopté en première lecture.

M. Philippe Dallier. C’est bien dommage !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’on peut se féliciter que des points de convergence soient apparus sur certaines dispositions essentielles, ayant trait à la stratégie de transformation du système de santé ou encore à la reconnaissance de nouveaux droits pour nos concitoyens, mais ces progrès sont indissociables d’une politique d’ensemble cohérente permettant d’inscrire ces droits nouveaux dans le cadre d’une sécurité sociale durablement équilibrée.

Or le texte que vous aviez adopté mettait doublement en cause l’équilibre du projet initial. En effet, il dégradait le solde prévisionnel de plus de 700 millions d’euros et portait des options incompatibles avec les engagements que le Président de la République et la majorité de l’Assemblée nationale ont pris devant les Français.

J’illustrerai mon propos en trois points.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est l’un des premiers vecteurs du plan « Ma santé 2022 ». Il ne sera pas le seul puisque, comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement soumettra au Parlement un projet de loi Santé dans le courant du premier semestre 2022. Mais il traduit d’ores et déjà un certain nombre de dispositions qui ont vocation à figurer dans une loi financière : la diversification des modes de financement, pour prendre mieux en compte la prévention et la qualité – nous commençons par l’hôpital, mais la même logique a vocation à s’appliquer aux soins de ville – ; l’extension du champ des expérimentations ouvertes par l’article 51 de la loi de financement pour 2018, pour susciter des innovations organisationnelles ; enfin, le renforcement des dispositifs qui incitent professionnels et établissements à améliorer la pertinence de leurs actes.

Ces mesures font largement consensus entre les deux chambres ; plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été adoptées conformes, ce dont le Gouvernement se félicite.

Ce projet de loi traduit notre volonté politique d’une mise en œuvre rapide des orientations du plan « Ma santé 2022 ». L’article 29 quater prévoit ainsi le lancement, dès le mois de janvier prochain, de deux négociations, l’une, interprofessionnelle, relative aux communautés professionnelles territoriales de santé, l’autre, avec les médecins, portant sur la création de 4 000 postes d’assistants médicaux.

Dès 2019, avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec le projet de loi Santé, nous disposerons donc des outils et des financements pour mettre en œuvre une transformation en profondeur de l’organisation des soins de proximité dans notre pays.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est également, vous le savez, celui des droits nouveaux pour nos concitoyens, ces droits du quotidien qui sont l’essence même de la sécurité sociale.

Pour les familles, d’abord. Nous considérons en effet qu’une politique familiale efficace et attentive est celle qui adapte ses prestations à l’évolution des besoins et de la société.

Les familles avec un enfant en situation de handicap seront davantage aidées pour faire garder leur enfant. De même, l’aide à la garde sera maintenue à taux plein lorsque l’enfant atteint ses 3 ans, et ce jusqu’à sa scolarisation, car les besoins de garde restent les mêmes tant que l’enfant n’est pas entré à l’école.

Les droits des futures mères travailleuses indépendantes ou agricultrices seront alignés sur ceux des salariées, tout en restant adaptés à leur spécificité professionnelle. Le Gouvernement a soutenu à cet égard le rétablissement des dispositions conformes au rapport de la députée Marie-Pierre Rixain.

Enfin, également sur proposition des députés, les pères d’enfants prématurés bénéficieront d’un congé indemnisé pour faciliter l’organisation de la cellule familiale dans ces circonstances très particulières.

Le Parlement s’apprête également à consacrer dans ce projet de loi deux avancées sociales très importantes, particulièrement pour les personnes âgées.

Dès le 1er janvier prochain, le 100 % santé commencera à devenir réalité dans la vie quotidienne de tous les Français. À compter de cette date, les tarifs de remboursement des prothèses auditives seront revalorisés de 100 euros et le tarif des prothèses entrant dans le panier de soins sera plafonné, avec un gain moyen de 100 euros également.

À compter du 1er avril, les tarifs de certaines prothèses dentaires seront également limités, en même temps que les soins conservateurs seront revalorisés. Cette réforme est emblématique de l’orientation que nous voulons imprimer au système de santé, avec le primat donné, toujours et partout, à la prévention et à la diminution des barrières financières pour réduire les inégalités sociales de santé.

Dès l’année prochaine, l’aide à la complémentaire santé fusionnera avec la CMU complémentaire. C’est un progrès social immédiat pour 1,2 million de nos concitoyens, et un progrès potentiel pour 3 millions d’entre eux, qui pourront faire valoir leur droit à une couverture intégrale de qualité.

Ces deux réformes ont été menées en concertation avec les professionnels et les assureurs complémentaires. Ce que nous avons recherché, c’est l’établissement d’un partenariat de confiance qui permette de conjuguer les efforts de tous, pour garantir aux Français une couverture de qualité et un accès effectif aux soins.

Cette démarche, qui privilégie la négociation et la concertation, nous la revendiquons comme un cadre permanent de méthode, qu’il s’agisse de la santé, de la retraite ou de l’autonomie dans le grand âge.

Elle est à rebours, vous en conviendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, des dispositions que vous avez introduites en première lecture et qui témoignent de divergences politiques essentielles.

La majorité sénatoriale a contesté le choix que nous avons fait d’une revalorisation différenciée des prestations. Mais quelle est l’alternative que vous proposez ? Un déficit accru et une vraie remise en cause des droits de nos concitoyens.

Votre proposition alternative, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une augmentation massive, de près de 5 points, de la taxe sur les contrats d’assurance complémentaire, soit 1,5milliard d’euros de plus prélevés sur les Français, à l’encontre des ambitions portées par ce projet de loi de financement de la sécurité sociale en matière d’accès aux soins.

Votre proposition alternative, c’est un relèvement brutal de l’âge minimum légal de départ à la retraite, de 62 ans à 62 ans et 6 mois dès le 1er juillet prochain, et à 63 ans dès 2020, contraire à la fois aux engagements qui ont été pris et aux principes de bonne gouvernance, qui requièrent de garantir aux assurés une visibilité sur les évolutions à venir de leur système de retraite.

Telle est l’alternative que vous offrez. Aux yeux du Gouvernement, elle n’est ni équilibrée ni juste. C’est pourquoi le Gouvernement vous proposera, pour l’essentiel des dispositions de financement, le retour au texte adopté par l’Assemblée nationale.

La sécurité sociale est le reflet de notre société, elle accompagne son évolution. Elle doit être un cadre protecteur, équitable, stable, indépendant pour l’essentiel des statuts professionnels, au sein duquel chacun organise son parcours de vie.

Nous voulons assurer son équilibre et la désendetter, pour mieux la préparer aux défis démographiques de demain. Nous voulons élargir son champ, en réinvestissant massivement des domaines du soin jusqu’à présent délaissés et en créant de nouveaux droits pour les familles. Nous voulons la rendre plus universelle et plus équitable : grâce à la fusion du RSI dans le régime général, que vous avez adoptée en 2018, les travailleurs indépendants bénéficient de droits accrus et d’une qualité de service améliorée. Ils verront, à compter de l’an prochain, leur assurance maladie gérée dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent pour les salariés, avec les mêmes services.

Par les réformes engagées dans les domaines de la santé, de la retraite ou de l’autonomie, nous entendons construire l’État-providence du XXIe siècle.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale affermit le socle sur lequel ces projets peuvent être bâtis. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de soutenir résolument un projet de loi de financement de la sécurité sociale de responsabilité et de progrès social. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle nous constatons, à l’issue de la navette parlementaire, un certain nombre de divergences. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a adopté hier soir en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Comme vous le savez, en première lecture, notre assemblée avait abordé ce texte de façon constructive, en adoptant notamment 49 articles sans modification, soit plus de la moitié du texte transmis par l’Assemblée nationale.

Néanmoins, l’existence de quelques divergences de fond avec les députés, sur lesquelles nous reviendrons, a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 20 novembre dernier.

Vous faites état, monsieur le secrétaire d’État, d’une dégradation de 700 millions d’euros en première lecture, ce qui ne correspond pas du tout à notre calcul. Vous ne pouvez pas nous reprocher, d’un côté, de ponctionner exagérément, pour maintenir l’équilibre, les OCAM, les organismes complémentaires d’assurance maladie, puis, d’un autre côté, de ne pas être à l’équilibre.

En revanche, je constate que le Gouvernement, par un amendement déposé sur l’article 22, qui tire les conséquences de la navette sur les comptes sociaux, fait apparaître un déficit du solde consolidé des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, de 200 millions d’euros, au lieu de l’excédent de 400 millions d’euros affiché lors du dépôt du texte.

Autrement dit, arithmétiquement, nous ne sommes plus à l’équilibre pour le budget de la sécurité sociale. Un bémol : au niveau du seul régime général et du FSV, il y a effectivement un excédent de 100 000 euros.

Je le rappelle, les deux principales mesures expliquant la dégradation du solde – de l’ordre de 200 millions d’euros chacune – ont été adoptées sur l’initiative du Gouvernement.

Il s’agit, d’une part, de la non-soumission à la CSG et à la CRDS des revenus du capital des personnes non inscrites à la sécurité sociale française et relevant d’une sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Suisse.

Il s’agit, d’autre part, de l’augmentation de la part de CSG affectée à l’UNEDIC, pour compenser la suppression des contributions chômage des salariés, du fait d’un mauvais calibrage initial lors du dépôt du texte par le Gouvernement.

Cette dernière mesure illustre d’ailleurs bien la confusion croissante des ressources des administrations de sécurité sociale au sens large. La volonté de faire financer par la sécurité sociale une mesure décidée par l’État et à laquelle elle est totalement étrangère augure mal de la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale que vous souhaitez, tout comme nous, d’ailleurs.

S’agissant du sort réservé aux initiatives du Sénat, l’Assemblée nationale a repris certains des amendements que nous avions adoptés en première lecture.

On peut notamment citer la suppression de l’article 7 bis, qui concernait divers avantages sociaux comme les chèques-vacances, l’alignement sur six ans de la fiscalité sur les alcools forts dans les outre-mer, la priorité donnée aux branches et organismes les plus endettés dans les transferts de déficits cumulés de l’assurance maladie et du FSV en direction de la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

Dans le secteur médico-social, je citerai encore la possibilité accordée aux médecins coordonnateurs des EHPAD, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, de prescrire en dehors des cas d’urgence, ainsi que la possibilité de mettre fin, à titre expérimental, au cofinancement de certaines structures dans le champ du handicap.

Sur d’autres sujets, l’Assemblée nationale n’a pas rejoint la position du Sénat, mais a fait un pas vers nos propositions.

Je pense en particulier au « dispositif LODEOM », sur lequel l’Assemblée nationale a sensiblement fait évoluer sa position en maintenant les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dans le régime actuel d’exonération, en adoptant des dispositions spécifiques relatives à la Guyane et en élargissant les fourchettes de rémunérations éligibles aux allégements spécifiques. En revanche, les divers élargissements sectoriels des « avantages LODEOM » votés par le Sénat n’ont pas été retenus par les députés.

Concernant le dispositif dit « TO-DE » relatif aux travailleurs occasionnels du secteur agricole, l’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis de sa commission des affaires sociales et du Gouvernement, un amendement visant à améliorer sensiblement le mécanisme de sortie progressive issu de la première lecture. Ainsi, l’exonération totale de cotisations et contributions sociales concernera les rémunérations inférieures à 1,20 SMIC en 2019 et en 2020, et non plus inférieures à 1,15 SMIC puis à 1,10 SMIC, comme prévu en première lecture.

En revanche, à ce stade, le dispositif doit toujours s’éteindre à la fin de l’année 2020. Mais, bien entendu, la question du maintien dans le temps du régime issu des travaux de l’Assemblée nationale se reposera immanquablement dans les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale.

La navette parlementaire a donc été utile et, dans une certaine mesure, fructueuse sur quelques mesures concrètes.

Cependant, sur de nombreuses autres questions, les députés ont confirmé la position qu’ils avaient adoptée en première lecture. Sans surprise, cela concerne en particulier les points clés ayant abouti à l’échec de la commission mixte paritaire.

L’Assemblée nationale a ainsi rétabli le quasi-gel, à savoir une hausse de 0,3 % pendant deux ans, des prestations sociales, au détriment du pouvoir d’achat des allocataires, parmi lesquels figurent en premier lieu les retraités et les familles.

Elle n’a pas non plus suivi le Sénat pour ce qui concerne les mesures d’atténuation de l’effet de seuil de la CSG pour les retraités qui passeraient du taux nul au taux de 3,8 %.

De plus, les députés ont avalisé les conséquences financières des coupes croissantes de TVA à destination de la sécurité sociale programmées par le Gouvernement à partir de 2020. Pour mémoire, elles devraient atteindre 5 milliards d’euros par an à compter de 2022, ce qui remet en cause le désendettement de la branche maladie et du FSV.

Sur la branche maladie, l’Assemblée nationale a rétabli le forfait de réorientation des urgences prévu par l’article 29 quinquies sur l’initiative de M. Véran, rapporteur général, de même que le conditionnement des prestations de maternité à une durée minimale d’interruption d’activité de huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les non-salariées. Nous avions proposé un dispositif plus souple, mieux adapté, pour ne pas dégrader les indemnités du congé maternité.

Au bout du compte, les différences qui subsistent entre les deux assemblées à l’issue de cette nouvelle lecture traduisent de véritables divergences, politiques et budgétaires.

Dans ces conditions, il ne semble plus possible d’adopter des amendements susceptibles d’être repris par l’Assemblée nationale en lecture définitive.

La commission a donc considéré qu’il était temps de constater la fin du « dialogue utile » entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce texte. Elle vous proposera donc, mes chers collègues, d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de financement à l’occasion de cette nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sans surprise, l’Assemblée nationale a rétabli l’essentiel du texte qu’elle avait adopté en première lecture, même si, monsieur le rapporteur général, vous avez pu considérer que la navette parlementaire avait été « utile et, dans une certaine mesure, fructueuse sur quelques mesures concrètes. »

Il convient de souligner ce point, au moment où l’utilité du Sénat est de nouveau mise en cause et où certains de nos concitoyens demandent, dans des émissions de télévision, la « destitution » de notre institution.

Sans surprise, également, l’examen de ce texte par notre assemblée sera interrompu. C’est désormais une habitude. Sans doute faut-il regretter que le fonctionnement du bicamérisme n’épuise pas toutes ses possibilités et que des convergences ne puissent apparaître sur un sujet aussi central que la santé.

Mais nos débats ont aussi permis de présenter des visions très différentes de l’avenir de notre protection sociale. C’est ainsi que la démocratie se nourrit de la confrontation d’opinions distinctes et opposées.

Je voudrais insister sur deux points.

Tout d’abord, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur général, il n’y a plus d’excédent, ou plus vraiment. Le solde consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale fait apparaître, pour 2019, un déficit de 200 millions d’euros, au lieu de l’excédent de 400 millions d’euros prévu initialement. Certes, l’impact est symbolique. Il renforce néanmoins l’incertitude sur l’avenir et conforte le jugement de fragilité que peut susciter un équilibre qui ne concerne plus désormais que le régime général. En effet, nous le savons, les comptes seront à l’avenir très dépendants de la conjoncture nationale et internationale et de la situation économique.

Ensuite, je veux insister, monsieur le secrétaire d’État, sur la nécessité de l’écoute et du dialogue à tous les niveaux de notre société, et donc bien sûr au sein du Parlement. Votre gouvernement a trop souvent négligé, pour ne pas dire plus, ceux que l’on nomme habituellement les « corps intermédiaires ». Ce n’est pas ainsi que doit fonctionner une démocratie moderne, efficace, équilibrée et apaisée !

Tout au long des débats, les membres du groupe socialiste et républicain se sont exprimés sur deux sujets fondamentaux.

Tout d’abord, nous nous sommes résolument opposés à ce que le rapporteur général de l’Assemblée nationale a pudiquement appelé la « revalorisation différenciée » des prestations sociales. En réalité, il s’agit d’un quasi-gel des pensions de retraite et d’invalidité et des allocations familiales.

Nous le disons et le redisons, une telle mesure est incompréhensible et inacceptable. En miroir de la suppression de l’impôt sur la fortune, dans le contexte de mouvements de gronde et de révolte sociale sur le thème du pouvoir d’achat, alors que les inégalités continuent de se creuser dans le monde et qu’elles ne se réduisent pas dans notre pays, cette mesure induit l’appauvrissement des personnes âgées et des familles et contient les germes d’une rupture durable de notre cohésion sociale et des menaces pour notre démocratie.

Nous nous sommes également interrogés sur la « bercysation » de la sécurité sociale, pour reprendre le mot de M. le président de la commission des affaires sociales. Il s’agit d’une sorte de dilution des différentes branches dans ce qui serait un grand ensemble de la protection sociale incluant les retraites complémentaires et l’assurance chômage.

La règle d’or de la compensation des exonérations par le budget de l’État est mise à mal. La CSG et la TVA se substituent de manière significative aux cotisations. Les excédents futurs, hypothétiques, sont préemptés par le budget de l’État.

Ainsi, la loi de financement pour 2019, qui aurait pu s’inscrire dans l’histoire comme celle du retour à l’équilibre, pourrait être celle de l’amorce d’un virage vers un modèle anglo-saxon, qui limite la protection sociale publique à un filet de sécurité pour les plus démunis.

Ce débat est essentiel, il doit être mené. Le caractère universel des prestations, historique pour la branche famille, maintenant atteint pour la santé et envisagé par la prochaine réforme des retraites, ne peut être synonyme de nivellement des prestations par le bas. Sinon, le « nouvel État-providence du XXIsiècle » annoncé par le Président de la République ne serait que le « chant du cygne » de la sécurité sociale de 1945.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yves Daudigny. Les membres de notre groupe s’abstiendront sur la motion présentée par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui, après l’échec de la commission mixte paritaire et la nouvelle lecture de l’Assemblée nationale, avec un projet de loi de financement de la sécurité sociale largement remanié par les deux assemblées tour à tour.

Nous sommes nombreux à avoir salué des échanges constructifs ainsi que l’orientation satisfaisante du texte. Pour autant, cela n’aura pas permis d’aboutir à une commission mixte paritaire conclusive, ce que nous regrettons.

À ce titre, une concertation en amont des différents groupes parlementaires ne pourrait-elle pas être utile ? Je ne suis pas la seule à m’interroger, au vu des échanges qui ont eu lieu lors de la CMP.

Toutefois, pour trouver un consensus, il faut être deux ! Or la quasi-unanimité de la commission des affaires sociales regrette le manque d’écoute à l’endroit des propositions faites par le Sénat. Ainsi l’Assemblée nationale n’a-t-elle retenu cette année que 50 % des amendements sénatoriaux, contre 80 % en moyenne au cours des précédentes législatures.

Deux points d’achoppement ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire : les retraites et le quasi-gel de l’indexation sur l’inflation des prestations sociales. Deux points de désaccord, quel dommage !, alors que le texte devait traduire une profonde transformation de notre système de santé et qu’il avait été enrichi par le Sénat d’un certain nombre de propositions pertinentes.

Concernant les minima sociaux, si nous accueillons favorablement les revalorisations de l’allocation aux adultes handicapés et du minimum vieillesse, nous ne pouvons nous en satisfaire. D’une part, elles demeurent en deçà de la hausse réelle des prix ; d’autre part, les autres minima sociaux voient leurs revalorisations plafonnées à 0,3 %, bien en deçà de l’inflation. Un accord aurait pu, aurait dû être trouvé ! Dans le contexte que nous connaissons, le message envoyé n’est pas le bon.

S’agissant des retraites, plutôt que de traiter cette question de manière parcellaire, notre groupe a fait le choix d’attendre les débats qui se tiendront dans le cadre du futur projet de loi de réforme des retraites, lequel offrira à tous les parlementaires l’occasion d’un travail éclairé et approfondi. Sur un sujet de cette importance, amender le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne nous semble pas opportun. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes abstenus de déposer un amendement.

J’en viens maintenant aux différentes mesures ayant particulièrement retenu notre attention.

Tout d’abord, nous sommes satisfaits de la reprise, par l’Assemblée nationale, de la proposition de notre collègue Franck Menonville sur l’exonération applicable aux rémunérations TO-DE jusqu’à 1,20 SMIC. Nous aurions toutefois souhaité que ce dispositif soit pérennisé.

Sur le volet santé, l’article 8 bis A introduit par le Sénat permettait aux médecins retraités d’obtenir, sous certaines conditions, une exonération fiscale en cas de reprise d’activité en zone sous-dense. Je crois que nous avons tous pris, dans cet hémicycle, la mesure du phénomène de désertification médicale et de son amplification à venir. J’étais particulièrement favorable à une mesure permettant de redonner du temps médical dans de nombreux territoires carencés, et regrette donc beaucoup sa suppression par l’Assemblée nationale.

Je salue néanmoins le maintien de l’article 41, offrant aux médecins coordonnateurs un pouvoir de prescription médicamenteuse.

Concernant la prévention, sujet d’importance majeure, les mesures engagées par le Gouvernement commencent à porter leurs fruits. Je pense notamment à la baisse du nombre de fumeurs et à une plus grande confiance dans la vaccination.

Je salue l’ensemble des dispositions prises dans le cadre de ce projet de loi de financement sur les boissons alcoolisées et le lissage sur six ans de la taxation du rhum dans les outre-mer, ainsi que l’expérimentation de la couverture vaccinale pour les jeunes filles et jeunes garçons contre les papillomavirus humains dans deux régions. En effet, une bonne couverture vaccinale permettrait d’éradiquer ce virus en quelques décennies seulement. Il n’y a aucune raison valable pour que les femmes françaises soient plus exposées au risque de développer un cancer du col que leurs voisines européennes. Il ne faudra donc pas hésiter à aller plus loin en fonction du bilan de cette expérimentation et à rappeler que la balance bénéfice-risque de la vaccination est bien en faveur du bénéfice.

La permanence des soins a suscité des débats nombreux et nourris. Comme d’autres collègues, j’avais déposé un amendement de suppression de l’article 29 quinquies, voté à l’unanimité par le Sénat. Sur ce sujet, les arguments ont été largement développés : payer pour ne pas soigner, reporter les actes sur une médecine de ville déjà surchargée… Bref, cette mesure, qui complexifie le parcours du patient, n’est pas souhaitable et semble difficilement applicable. Nous serons attentifs au bilan de son expérimentation.

À l’article 47, le projet de loi de financement de la sécurité sociale corrige une injustice, puisqu’il permet enfin l’octroi de prestations de maternité aux travailleuses non-salariées. Toutefois, le déclenchement de ces prestations est conditionné à une durée minimale d’interruption d’activité de huit semaines, ce qui n’est pas toujours possible. Cette condition pourrait conduire les femmes qui ne peuvent pas s’arrêter aussi longtemps du fait de leur profession à y renoncer. Nous regrettons donc que les arguments de notre rapporteur Catherine Deroche n’aient pas été entendus par l’Assemblée nationale.

S’agissant des grossistes-répartiteurs, nous connaissons leurs difficultés à maintenir un équilibre économique. Afin d’apporter une réponse immédiate à leurs difficultés, nous avions proposé la réduction du taux de contribution sur les génériques. Des négociations sont certes en cours, mais leur issue est incertaine et une solution d’urgence doit leur être proposée.

Compte tenu du temps imparti, notre analyse du texte ne peut être exhaustive, d’autant que nous devons aujourd’hui non pas débattre du fond, mais nous prononcer sur une motion.

Profondément attaché au dialogue, mon groupe souhaite que notre assemblée poursuive l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nourrissant l’espoir de faire aboutir un texte de consensus, enrichi par nos deux assemblées. Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)