Sommaire

Présidence de Mme Valérie Létard

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi, M. Victorin Lurel.

1. Procès-verbal

2. Communication d’un avis sur un projet de nomination

3. Permis à points et limitation de vitesse à 80 km/h. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la proposition de loi

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des lois

M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur

M. Jean-Claude Requier

M. Jean Louis Masson

M. Jean-François Longeot

M. Alain Fouché

M. Michel Raison

M. Arnaud de Belenet

Mme Cécile Cukierman

Mme Viviane Artigalas

M. Yves Bouloux

M. Dominique de Legge

M. Laurent Nunez, secrétaire d’État

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l’article unique

Amendement n° 1 rectifié ter de Mme Nadia Sollogoub. – Rejet par scrutin public n° 43.

Article unique

M. François Bonhomme

Mme Sylvie Goy-Chavent

M. Jean Louis Masson

M. Marc Laménie

M. Henri Cabanel

M. Guillaume Chevrollier

Mme Cécile Cukierman

M. Jean-François Longeot

M. Michel Raison

M. Yves Détraigne

Amendement n° 7 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 5 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. Daniel Chasseing

Rejet, par scrutin public n° 44, de l’article unique de la proposition de loi.

4. Santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Texte élaboré par la commission

Vote sur l’ensemble

Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Daniel Chasseing

Mme Chantal Deseyne

M. Dominique Théophile

Mme Laurence Cohen

M. Yves Daudigny

Mme Véronique Guillotin

Mme Jocelyne Guidez

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Valérie Létard

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

M. Victorin Lurel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux dispositions de l’article L. 567-1 du code électoral, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 28 voix pour, 3 voix contre – à la nomination par le président du Sénat de M. Michel Sappin aux fonctions de membre de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
Discussion générale (suite)

Permis à points et limitation de vitesse à 80 km/h

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 1 rectifié ter

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à l’aménagement du permis à points dans la perspective de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire, présentée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de ses collègues (proposition n° 392 [2017-2018], rapport n° 239).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la proposition de loi.

Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’aménagement du permis à points entame son parcours parlementaire dans le cadre de la niche réservée au groupe Union Centriste, sans lequel ce texte n’aurait jamais été soumis au vote.

En effet, le Gouvernement n’y est pas favorable, pas plus que la commission des lois du Sénat, laquelle a émis à son sujet un avis défavorable, comme pour empêcher tout débat parlementaire public sur la politique de sécurité routière et le permis à points, alors que près de cent dix sénateurs ont cosigné cette proposition de loi. Je le regrette.

Comme vous le savez, depuis son annonce, le 9 janvier 2018, dans le cadre d’un grand plan de sécurité routière, l’abaissement de la limitation de vitesse de 90 à 80 kilomètres par heure cristallise l’opposition d’une majorité des automobilistes et de très nombreux élus locaux. Rappelons que la décision du Gouvernement a été prise sans aucune concertation ni avec les associations d’automobilistes, ni avec les conseils départementaux – pourtant gestionnaires des routes –, ni avec les parlementaires.

Malgré de très vives protestations, cette mesure a donc été imposée aux Français le dimanche 1er juillet dernier. Il n’est pourtant pas du tout certain qu’Emmanuel Macron ait été élu à la présidence de la République pour cela. Peut-être en paye-t-il un peu le prix aujourd’hui ?

Maire d’une commune rurale pendant plus de vingt ans, au contact direct de mes concitoyens, j’ai très vite compris que le Gouvernement commettait une grave erreur en imposant les 80 kilomètres par heure et j’ai tenté d’alerter le Président de la République, par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur. À défaut d’être entendue, voire seulement écoutée, j’ai pris l’initiative de rédiger le texte qui vous est aujourd’hui soumis et que vous avez été très nombreuses et très nombreux à cosigner, sur toutes les travées, j’y insiste. Je vous en remercie sincèrement.

Cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir le débat essentiel de l’équilibre à trouver en matière de sécurité routière.

Le permis à points s’inscrit dans un cadre préventif et pédagogique, son but est d’inciter les usagers de la route à modifier leur comportement. Je suis la première à reconnaître que, malgré d’incontestables progrès, la mortalité routière demeure un fléau dans notre pays. Chaque année, des milliers de vies sont brisées et des milliers de familles sont détruites.

À travers cette proposition de loi, il ne s’agit en aucun cas pour moi de remettre en cause la légitimité du permis à points et encore moins d’encourager des comportements à risque sur nos routes. Le Gouvernement nous assure que l’abaissement de la vitesse à 80 kilomètres par heure a fait baisser la mortalité routière.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Je souhaite de tout cœur que ce soit effectivement le cas. Pour autant, il nous faudra bien fixer des limites : pour lutter contre la mortalité routière, en effet, pourquoi ne pas réduire partout la vitesse à 70, 60 ou même 50 kilomètres par heure ? Avec une vitesse maximale de 50 kilomètres par heure, la baisse de la mortalité serait sans doute spectaculaire, mais à quel prix sur le plan économique ? Nos concitoyens seraient-ils prêts à l’accepter ?

Vous voyez bien que tout est question d’équilibre et que cet exercice a des limites.

Le choix du Gouvernement de réduire la vitesse à 80 kilomètres par heure relève d’une décision de statisticiens et de technocrates. Les cadres de La République En Marche sont intelligents – de leur propre aveu, ils le sont même trop pour nous –, mais, en vérité, ils n’ont souvent aucune expérience politique, aucune expérience de terrain et sont complètement déconnectés de la vraie vie des Français.

Mes chers collègues, on ne fait pas de la politique avec des chiffres, on fait de la politique avec le cœur quand on aime les Français, quand on aime la France.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. En revanche, on ne fait pas de politique avec la sécurité routière !

Mme Sylvie Goy-Chavent. J’invite donc le Gouvernement à penser aux dizaines de millions de Français qui habitent les zones rurales ou périurbaines et qui n’ont d’autre choix que de prendre leur voiture chaque jour pour aller travailler, pour aller faire leurs courses, pour emmener leurs enfants à l’école, à la crèche, etc. Dans ces zones, il n’y a pas d’alternative.

Pour ces millions de Français, dont je fais partie, le permis de conduire est une nécessité ; sans permis, vous êtes mort socialement, dans cette France laborieuse, qui se lève tôt pour aller travailler, qui a le goût de l’effort, cette France des campagnes et des périphéries urbaines, cette France trop souvent méprisée et qui se sent aujourd’hui abandonnée.

Que pensent nos concitoyens chaque fois qu’ils perdent un point pour un excès de vitesse de 135 kilomètres par heure au lieu de 130, de 113 kilomètres par heure au lieu de 110, de 82 kilomètres par heure au lieu de 80, de 51 kilomètres par heure au lieu de 50 ? C’est de cela que nous parlons aujourd’hui et pas d’autre chose.

Sommes-nous sourds aux appels des Français ? Ne sont-ils pas assez nombreux à défier nos institutions sur les ronds-points et à détruire les radars sur le bord des routes ? Que devront-ils faire encore pour que nous les écoutions enfin ?

N’en déplaise au Gouvernement, les automobilistes français ne sont pas tous des délinquants, ce sont des citoyens intelligents qui ont compris l’effet pédagogique du permis à points, mais qui en ont assez de se sentir piégés, voire humiliés, et, en tout état de cause, pas entendus ou mal représentés. Tous n’ont pas les moyens de s’offrir des stages de récupération de points ou des chauffeurs.

Ce qui est en cause, ce n’est pas la politique de sécurité routière, c’est le sentiment d’injustice qui gangrène notre pays. Comment voulez-vous être ferme si vous n’êtes pas juste, monsieur le secrétaire d’État ? À force de toujours taper sur les automobilistes, le Gouvernement est-il juste ?

Avant de faire passer des mesures répressives au forceps, j’aurais souhaité que le Gouvernement annonce un plan massif d’investissements sur le réseau secondaire, qui est dégradé. Monsieur le secrétaire d’État, le mauvais état des infrastructures n’est-il pas en cause dans un accident mortel sur deux ? Nos collectivités, financièrement exsangues en raison de la baisse des dotations, n’ont pas les moyens de les entretenir correctement.

Je profite de cette prise de parole pour évoquer ici les centaines de milliers de faux permis étrangers qui circulent dans notre pays. On dit que 5 % à 10 % des permis de conduire sont des faux – quand les conducteurs ont un permis ! –, mais aucun ministre ne monte à la tribune de cet hémicycle ou ne se rend au 20 heures pour parler de cela !

Une collègue sénatrice me disait hier que ma proposition de loi ne servait à rien. Ma foi, nous verrons ; les Français jugeront.

Comment voulez-vous que la colère ne monte pas dans notre pays ? En rédigeant ce plaidoyer, j’ai fait quelques recherches et j’ai constaté que le permis à points avait été instauré par la loi du 10 juillet 1989. Le symbole est fort : deux cents ans plus tôt, le 10 juillet 1789, le peuple de Paris incendiait les barrières de l’octroi, montrant sa volonté de supprimer les impôts aux portes de la ville et de reprendre son destin en main.

M. Arnaud de Belenet. La guillotine n’était pas loin !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Mes chers collègues, je ne cherche pas à récupérer l’exaspération qui s’exprime sur les ronds-points, pas plus que je ne minimise l’intérêt pédagogique du permis à points. Je voudrais seulement démontrer la nécessité de répondre à la colère qui monte dans le pays et qui deviendra très vite incontrôlable.

Aménager le permis à points ne la fera pas taire, je vous l’accorde, mais voter en faveur de ce texte serait un très bon signal adressé à nos concitoyens et le Sénat en sortirait grandi.

Pour les dépassements de vitesse entraînant la perte d’un seul point, pourquoi ne pas permettre à nos concitoyens de récupérer ce point à l’issue d’une période de trois mois au lieu de six mois actuellement, sous réserve, bien sûr, qu’ils n’aient commis aucune nouvelle infraction ?

Mes chers collègues, faisons preuve de raison et de sagesse. Pour les Français, votons ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, relative à l’aménagement du permis à points dans la perspective de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire.

Ce texte s’inscrit dans un contexte que nous connaissons tous et dont nous avons déjà eu à débattre au Sénat : la forte incompréhension de la population à propos de l’abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central. Je mesure, mes chers collègues, l’engagement de chacun d’entre vous sur cette question particulièrement sensible dans le contexte social actuel et qui nous vaut régulièrement des sollicitations de nos concitoyens.

À titre de compensation de ce durcissement de la réglementation routière, les auteurs de la proposition de loi entendent alléger les sanctions appliquées aux infractions les moins graves, en assouplissant les règles de récupération de points.

Le dispositif proposé, que nous a rappelé notre collègue Sylvie Goy-Chavent, est relativement simple : il consiste à réduire de six mois à trois mois le délai dans lequel les personnes ayant perdu un seul point à leur permis de conduire peuvent le récupérer, si elles n’ont pas commis, dans ce délai, de nouvelles infractions.

Il s’agit, dans l’esprit des auteurs de la proposition de loi, d’éviter que le passage à 80 kilomètres par heure ne pénalise de manière démesurée les usagers de la route, en leur faisant risquer de perdre plus de points sur leur permis de conduire.

Notons que quatre infractions seulement sont aujourd’hui concernées par le retrait d’un seul point : les petits excès de vitesse, inférieurs à 20 kilomètres par heure ; l’absence de port de gants homologués par les motocyclistes ; le chevauchement d’une ligne continue et le chevauchement des lignes délimitant les bandes d’arrêt d’urgence sur autoroute.

Pour autant, si peu d’infractions sont concernées, le champ d’application de la proposition de loi serait assez large, car plus de la moitié des points qui sont chaque année retirés le sont pour de petites infractions au code de la route.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est là tout le problème !

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. En 2017, par exemple, sur les quelque 15 millions de points de permis de conduire qui ont été retirés, près de 9 millions l’ont été pour des infractions légères, punies du retrait d’un seul point.

Au vu de ces chiffres, nous pouvons affirmer que l’impact de la proposition de loi serait loin d’être mineur.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Les auteurs de ce texte soulèvent, assurément, une question essentielle, partagée par l’ensemble de nos collègues de la commission des lois : celle de l’équilibre à trouver en matière de sécurité routière.

Nous le savons, l’efficacité des règles de sécurité routière repose, en partie, sur leur compréhension par la population et sur leur degré d’acceptabilité. Une mesure qui n’est pas acceptée ne sera que peu respectée, c’est d’ailleurs la position que nous avions défendue, avec Michel Raison et Michèle Vullien, dans notre rapport d’information sur le passage aux 80 kilomètres par heure.

Dans ce contexte, il paraît donc essentiel de s’interroger, comme le font les auteurs de la proposition de loi, sur la manière de lutter efficacement contre la délinquance routière, sans pour autant que les mesures adoptées soient jugées injustes et pénalisantes pour les usagers de la route les plus vertueux.

Cette même interrogation a d’ailleurs conduit le Gouvernement à lancer récemment une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route. Une étude sur le sujet a été confiée au Conseil national de la sécurité routière ; son président, Yves Goasdoué, que nous avons reçu en audition, nous a indiqué que les conclusions de ce rapport seraient prochainement remises. Plusieurs propositions sont envisagées, parmi lesquelles l’idée d’introduire une forme de sursis sur le retrait de points.

Si le sujet mérite sans aucun doute d’être évoqué, la solution avancée dans cette proposition de loi ne paraît toutefois ni aboutie ni suffisante, pour deux raisons principales.

La première est que la réduction de la durée de récupération de points pourrait constituer un signal négatif en matière de lutte contre l’insécurité routière. Il existe en effet un risque important que les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement, adoptent des comportements à risque. (Mme Sylvie Goy-Chavent se montre dubitative.) La durée de six mois est déjà courte, si nous la réduisons, nous risquons de nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières.

Notons d’ailleurs que les personnes qui commettent une petite infraction ne sont actuellement informées du retrait de points qu’au bout de deux mois, en raison des délais de recours et des délais techniques liés à la gestion des flux. Si nous abaissions le délai de récupération de points à trois mois, les personnes concernées se verraient informées de leur retrait d’un point et de sa récupération de manière quasiment simultanée, ce qui diminuerait assurément l’utilité de la sanction.

Enfin, il est important de rappeler que la proposition de loi ne porterait pas uniquement sur les excès de vitesse commis sur les routes limitées à 80 kilomètres par heure : seraient concernés tous les excès de vitesse inférieurs à 20 kilomètres par heure, y compris ceux qui sont commis sur les autoroutes ou en agglomération, ainsi que les infractions de franchissement de ligne que j’ai citées précédemment.

La seconde raison a trait à l’utilité de la proposition de loi. Les statistiques nous montrent que les délais actuellement prévus pour la récupération de points ne sont pas disproportionnés. En effet, une partie significative des points retirés chaque année pour de petites infractions au code de la route sont récupérés automatiquement, dans les délais prévus par la loi. Cela a été le cas, en 2017, pour les trois quarts, environ, des points retirés.

De plus, très peu de personnes perdent leur permis de conduire point par point, c’est-à-dire en ne commettant que de petites infractions : ce cas de figure n’a concerné, en 2017, que 121 invalidations de permis de conduire sur un total de 61 714. La plupart des personnes concernées perdent donc leur permis en raison d’infractions lourdes au code de la route, et non de petits excès de vitesse.

Dans ces conditions, réduire à trois mois la durée de récupération de points n’aurait que très peu d’impact sur les invalidations de permis de conduire.

Je le répète : cette proposition de loi aborde un débat essentiel, que nous nous devons de conduire, en tant que législateurs ; toutefois, au regard de l’utilité incertaine du dispositif envisagé et de l’impact négatif que celui-ci pourrait avoir en matière de sécurité routière, la commission des lois a estimé qu’elle n’apportait pas de solution viable.

La sécurité routière, nous le savons tous, est une matière complexe et ses enjeux sont trop importants pour adopter des dispositions à la légère : je rappelle que plus de 3 500 personnes perdent encore la vie chaque année sur la route.

Il paraît dès lors préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la conduite d’une étude d’impact approfondie, afin de garantir l’efficacité des mesures proposées et d’éviter tout effet de bord. Je ne doute pas, d’ailleurs, que la réflexion actuellement menée par le Conseil national pour la sécurité routière contribuera utilement à ce débat. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques précisions sur ce point ?

Il apparaît enfin d’autant plus nécessaire de surseoir à légiférer en la matière que le Président de la République a fait preuve, la semaine dernière, à l’occasion du lancement du grand débat national, d’une certaine ouverture à l’égard de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. Il n’a pas exclu, au vu de l’incompréhension d’une grande partie de la population, de revenir sur cette mesure mise en place de manière généralisée et sans aucune concertation locale.

Plutôt que d’adopter des dispositions de compensation, restons donc fidèles à la position du Sénat et continuons à soutenir l’ouverture de concertations au niveau des départements en vue d’adapter la réduction des vitesses aux réalités de chaque territoire.

Pour l’ensemble de ces raisons et tout en reconnaissant l’intérêt du débat soulevé, je vous invite, au nom de la commission des lois, à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Sylvie Goy-Chavent, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise à aménager le système de retrait de points sur le permis de conduire en fonction de la gravité des infractions commises par le conducteur.

Avant d’évoquer devant vous le contenu de ce texte, je souhaite apporter des éléments de contexte et rappeler que le mouvement continu de baisse de la mortalité routière, constaté depuis 2003, a marqué le pas entre 2014 et 2017.

Le nombre de morts liés à l’accidentalité routière est resté stable au cours de ces dernières années, à un niveau trop élevé, insupportable pour l’ensemble de la société française. Or, nous le savons, l’essentiel de la mortalité enregistrée intervient sur le réseau routier secondaire.

Afin de faire reculer ce phénomène, le Gouvernement a pris un ensemble de décisions au cours du comité interministériel de la sécurité routière réuni en janvier 2018. Au nombre de celles-ci figure l’abaissement à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles hors agglomération, entré en vigueur le 1er juillet 2018.

L’analyse du bilan de cette mesure devrait être communiquée par le Gouvernement de façon imminente. Je puis vous indiquer, ainsi que je l’ai fait hier à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement, que la tendance est positive, si l’on se borne à constater, en première analyse, les baisses de la mortalité enregistrées depuis le 1er juillet, par rapport aux mêmes mois en 2017. Il convient d’ailleurs, à ce titre, de souligner que l’augmentation massive des dégradations et des destructions de radars depuis la mi-novembre aura nécessairement un impact négatif, nous le savons, quels que soient les efforts déployés pour les remettre en état.

Pour en revenir à l’objet de cette proposition de loi, je souhaite rappeler que les conducteurs qui commettent un excès de vitesse inférieur à 20 kilomètres par heure sur les routes où la vitesse maximale autorisée a été ramenée à 80 kilomètres par heure se voient sanctionnés par le paiement d’une amende et le retrait d’un point. Cette sanction respecte le principe de proportionnalité appliqué en matière de permis à points.

En effet, le nombre de points retirés sur le permis de conduire varie en fonction du niveau de dépassement de la vitesse : il est de deux points pour un dépassement compris entre 20 et 30 kilomètres par heure, de trois points entre 30 et 40 kilomètres par heure, de quatre points entre 40 et 50 kilomètres par heure et atteint six points à partir de 50 kilomètres par heure au-delà de la vitesse autorisée. Dans ce dernier cas, l’infraction est constitutive d’une contravention de cinquième classe et sa récidive matérialise le délit de grand excès de vitesse.

L’exposé des motifs de cette proposition de loi met en avant la différence que ferait naître l’abaissement à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée, dans le traitement des infractions, selon que celles-ci aient été commises en zone rurale ou en agglomération.

Or je souhaite rappeler que le code de la route distingue déjà un excès de vitesse inférieur à 20 kilomètres par heure commis en dehors d’une agglomération, puni d’une amende prévue pour les contraventions de troisième classe, d’un même dépassement de vitesse en agglomération, sanctionné, quant à lui, d’une amende de quatrième classe.

Par ailleurs, il convient de souligner que le délai de restitution du point perdu à la suite d’une infraction pour laquelle ce retrait est prévu a déjà été ramené d’un an à six mois.

M. Alain Fouché. C’était une très bonne décision !

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Ce délai est apparu comme un point d’équilibre, j’y reviendrai. La loi du 14 mars 2011 a en outre étendu la possibilité d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière chaque année au lieu d’une fois tous les deux ans auparavant, pour récupérer des points.

En 2017, plus de 6 millions de restitutions d’un point au terme d’une période de six mois ont été effectuées, contre seulement 5,3 millions en 2016. Le nombre de restitutions d’un point a donc augmenté de près de plus de 13 % entre ces deux années.

Réduire encore ce délai serait incohérent, à nos yeux, avec les objectifs de la sécurité routière. À cet égard, il convient de nouveau de rappeler que c’est dans les zones rurales que la mortalité est la plus élevée.

En outre, les retraits successifs d’un point non restitué demeurent une cause marginale d’invalidation du permis de conduire. Ainsi, malgré la règle de cumul des contraventions prévue par l’article 132–7 du code pénal, seulement 121 personnes en France ont vu leur permis de conduire invalidé en 2017 pour solde nul en n’ayant commis qu’un seul type d’infraction : des excès de vitesse inférieurs à 20 kilomètres par heure.

La réduction que vous proposez aurait des effets très limités sur la perte de points, puisque 78 % des retraits d’un point sont à ce jour restitués, et que 77 % des titulaires du permis de conduire disposent de la totalité de leurs points. En revanche, cela pourrait avoir des effets psychologiques importants, dont nous ne pouvons présumer, mais qui risquent d’amener certaines personnes à faire moins attention à leur vitesse sur la route.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Les Français sont intelligents !

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Enfin, la gestion du permis à points, mise en œuvre par le système national des permis de conduire, est soumise au délai d’enregistrement des infractions, qui est en moyenne de deux mois. En réduisant le délai de restitution du point à trois mois, l’usager pourrait avoir connaissance du retrait d’un point et de sa restitution pratiquement simultanément. Ce dispositif retirerait par conséquent tout l’intérêt pédagogique souhaité par le législateur dès 1992, qui est rappelé, à juste titre, dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi.

Pour conclure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que l’objectif du Gouvernement n’est pas de mettre des bâtons dans les roues aux Français, comme je l’ai entendu dire, mais bien de limiter le nombre d’accidents graves et, à cette fin, de mener une politique efficace de prévention contre les excès de vitesse. C’est pourquoi je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur cette proposition de loi.

Si je comprends les raisons qui ont conduit les sénateurs à la déposer et à l’examiner, je vous rappelle, comme je l’ai fait hier lors des questions d’actualité au Gouvernement, que la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire est expérimentale. Elle fera l’objet d’une évaluation et sera discutée au cours du grand débat, car la mobilité se situe au cœur des préoccupations de nos concitoyens, en particulier de ceux qui résident en zone rurale et qui, au quotidien, empruntent les 400 000 kilomètres du réseau secondaire.

Il convient de mettre en perspective cette mesure expérimentale au regard de quelques points.

Tout d’abord, les chiffres provisoires dont je dispose indiquent que, sur les six premiers mois d’application de l’abaissement de la limite de vitesse à 80 kilomètres par heure, le nombre de tués est en baisse.

Avec Christophe Castaner, ensuite, nous avons demandé une analyse au délégué interministériel à la sécurité routière afin de mesurer l’impact réel de cette disposition en matière d’effets induits, sur les temps de déplacement, la cohabitation entre les poids lourds et les véhicules particuliers, la consommation de carburant ainsi que la production de CO2.

Enfin, il ne faudra pas éluder la question de la responsabilité des gestionnaires de voirie. Remonter la vitesse sur un axe, c’est en effet accepter d’y voir l’accidentalité augmenter de nouveau. À cet égard, l’avis des présidents de conseil départemental sera essentiel. Le cas échéant, ainsi que le Président de la République l’a rappelé, le dispositif pourra être aménagé.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi.

Je conclurai en répondant à Mme Sylvie Goy-Chavent sur trois points précis.

S’agissant, tout d’abord, de la conduite sans permis ou avec de faux permis, l’action répressive des services de police et de gendarmerie est menée à plein régime. Vous savez que nos gendarmes et nos policiers ont maintenant accès sur leurs tablettes au fichier des permis de conduire afin de vérifier l’usage éventuel de faux documents. Une expérimentation est en cours pour étendre cette utilisation aux polices municipales.

Ensuite, je rappelle – et vous le savez – que le produit de l’investissement dans ces radars est destiné à des aménagements de sécurité routière et qu’une partie du surplus lié à la baisse de la vitesse à 80 kilomètres par heure est fléchée vers des investissements importants en milieu hospitalier, justement pour accueillir les grands blessés de la route.

Enfin, je terminerai en disant que nous entendons la colère de la population, de la même façon que nous entendons aussi la colère sourde des familles de victimes auxquelles nous devons aller annoncer le décès de l’un des leurs sur la route à cause de vitesses excessives. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est aussi une colère qu’il faut savoir entendre !

Encore une fois, le grand débat permettra de discuter de cette mesure. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Antoine Lefèvre. Le bon sens va parler !

M. Ladislas Poniatowski. Le bon sens rural !

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en signant les lettres patentes royales de 1552 ordonnant de planter des ormes le long des voiries, Henri II ne se doutait pas que, quelques siècles plus tard, cette décision pourrait être remise en cause pour des questions de sécurité. Il était à l’époque question de préserver les chemins contre le grignotage par les cultures et, plus tard, d’offrir une ombre confortable aux usagers estivaux des routes ou de retenir la poussière soulevée par les véhicules sur les routes qu’on appelait à l’époque « blanches ».

Les premières réglementations concernant le réseau routier se sont donc inscrites dans une pure logique d’aménagement du territoire. L’objectif était alors de répondre aux « besoins de chacun ». Cette ambition routière a eu sa part dans le processus historique d’unification de notre pays.

La préoccupation de sécurité routière est relativement récente. Nous avons d’abord cherché à gagner en vitesse. Pour cela, nos voitures se sont mécanisées, sont devenues plus puissantes, ce qui était alors une fierté nationale. Faut-il rappeler que le premier congrès international de l’automobile de 1900 s’est tenu à Paris ?

En parallèle de ces évolutions technologiques, les Français sont devenus « averses au risque ». Le développement concomitant du secteur de l’assurance en témoigne. Tant et si bien que ce sont plus les motifs de sécurité routière qui menacent aujourd’hui les arbres le long de nos routes que l’invention du goudronnage, de la climatisation, ou le chancre doré.

C’est le même objectif de sécurité routière qui a présidé à la parution du décret du 15 juin 2018 prévoyant l’abaissement de la vitesse maximale de 90 à 80 kilomètres par heure sur 400 000 kilomètres de routes. Depuis l’annonce de cette décision, de nombreux parlementaires ont réfléchi aux moyens de relayer les doléances des citoyens de la « France périphérique », fortement dépendants de leurs voitures.

À l’Assemblée nationale, l’examen d’une proposition de loi de notre collègue député Vincent Descoeur, du Cantal, a cependant coupé l’herbe sous le pied à toute initiative parlementaire. Mme la ministre Jacqueline Gourault avait alors considéré que « la fixation des vitesses maximales autorisées sur les routes est clairement une compétence réglementaire du Premier ministre ».

M. François Bonhomme. Fermez le ban !

M. Jean-Claude Requier. C’est aussi le cas du pouvoir de modulation des autorités locales, également fixé dans la partie réglementaire du code de la route.

La position de l’exécutif a depuis évolué au cours du grand débat national,…

M. Jean-Claude Requier. … comme l’attestent les propos tenus l’autre jour par le Président de la République à Souillac, dans le Lot. Nous attendons aujourd’hui des décisions concrètes.

Dans cette attente, la volonté de relayer cette préoccupation de nombre de nos concitoyens a poussé plusieurs membres du groupe du RDSE à cosigner la proposition de loi aujourd’hui présentée par nos collègues centristes.

De notre côté, nous pensons qu’un principe général devrait encadrer la fixation des vitesses maximales pour permettre une meilleure articulation des objectifs de sécurité routière et d’aménagement du territoire. Nous proposerons cette solution dans notre prochain espace réservé.

Sans qu’elle soit affaiblie, il faut souligner que la sécurité routière pourrait être plus intelligemment mise en œuvre, en associant mieux les acteurs locaux et en développant des équipements innovants. On sait qu’une grande partie des accidents sont causés par des chaussées défaillantes et qu’ils augmentent considérablement les jours de pluie. Voilà des sujets qui devraient être examinés en priorité pour réussir à passer sous la barre des 2 000 morts par an !

Nous avons entendu les critiques adressées à la disposition précise du texte de Mme Goy-Chavent. La position au sein du groupe n’est d’ailleurs pas unanime. Mais, vous le savez tous, le contournement du domaine réglementaire est souvent un exercice baroque… Certains y verront peut-être de l’« hybris parlementaire ». Nous qui aimons l’histoire, nous préférons y voir la conséquence directe du parlementarisme rationalisé. (Sourires.)

Cependant, la distinction entre le domaine de la loi et celui du règlement n’est pas des plus évidentes, surtout lorsqu’il s’agit de défendre des intérêts les plus primaires. Cette frontière est même parfois incompréhensible, y compris pour des hommes de loi. Comment expliquer que l’on trouve aujourd’hui dans la partie législative du code de la route des dispositions précises relatives à l’équipement en pneus adaptés en zone de montagne, au poids des véhicules ou à l’émission de substances polluantes, mais rien sur les limites de vitesse ?

Dans ce contexte, la position majoritaire au sein du groupe est donc la suivante : si le Gouvernement propose des évolutions par décret, comme il s’y est engagé, nous le soutiendrons ; si le Parlement propose une disposition destinée à le pousser à prendre ces modifications, nous la voterons !

Réduire la durée de récupération d’un point de permis perdu à la suite d’un dépassement de vitesse n’est pas la solution parfaite, mais notre choix se réduit aujourd’hui à deux propositions bancales : soit l’abaissement de la vitesse sur toutes les routes de France, quelle que soit leur dangerosité ; soit l’atténuation de la sanction lorsque l’on déroge à cet abaissement. Faute de mieux, la majorité du groupe du RDSE choisira la seconde solution, tandis que le vote de cinq de mes autres collègues sera avant tout guidé par le souci de la clarté juridique. Ils sont en quelque sorte, madame l’auteur de la proposition de loi, sentimentalement pour le texte, mais juridiquement contre. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais m’associer aux propos qui ont été tenus sur les critères restrictifs de recevabilité des amendements au regard de la distinction entre les domaines législatif et réglementaire. En vertu de quoi, l’un des amendements que j’ai déposés sur ce texte sera examiné ultérieurement, éventuellement dans le cadre du projet de loi d’orientation des mobilités. Mais, compte tenu de son importance, je voudrais l’évoquer ici.

Monsieur le secrétaire d’État, la société d’autoroutes SANEF vient d’instaurer, à la barrière de Boulay-Moselle, un système entièrement nouveau de péage, en indiquant qu’elle avait l’intention de le généraliser partout. Or ce nouveau système est tout à fait scandaleux. Le but affiché par la SANEF est que les gens puissent passer au péage sans s’arrêter. Pourtant, les abonnés peuvent déjà passer au péage sans s’arrêter.

Sous couvert de laisser passer les gens sans s’arrêter, la SANEF instaure un système qui supprime la possibilité pour les autres usagers de l’autoroute de payer au guichet, comme c’est le cas normalement. Ceux qui ne seront pas abonnés à ce nouveau système seront donc obligés de stopper dix ou vingt mètres plus loin leur voiture à un petit kiosque, de sortir de celle-ci – imaginez quand il pleut ou quand il neige ! –, de faire la queue – parce que, bien entendu, la SANEF s’arrangera en ce sens pour dissuader les gens de refuser ce système d’abonnement –, de prendre un ticket, de retourner à leur voiture, de repartir.

Arrivés chez eux, les automobilistes seront obligés de payer par internet – parce qu’il n’y aura pas de possibilité de paiement sur place – ou par téléphone en indiquant leur numéro de carte bancaire. Un usager venant par exemple de Metz et sortant au péage de Boulay, au lieu de payer 1,50 euro et de gagner deux minutes en prenant l’autoroute, sera obligé de sortir de sa voiture, ce qui lui fera perdre un temps fou. En plus, rentré, chez lui, il devra encore bricoler sur son ordinateur ou téléphoner je ne sais où pour payer. Il perdra donc tout l’intérêt de l’autoroute.

Je dis que c’est scandaleux, et je déplore que le Gouvernement cautionne une telle dérive de la part des sociétés d’autoroutes. C’est véritablement une honte et l’on se moque du monde : prétendre faciliter la vie de l’usager en lui interdisant de payer au guichet, que ce soit par carte ou en espèces, et en l’obligeant à sortir de sa voiture, vous vous rendez compte, c’est à en écœurer les gens !

Petit à petit, la SANEF espère que tout le monde prendra un abonnement au péage.

Mme la présidente. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé !

M. Jean Louis Masson. J’en ai terminé, madame la présidente.

De toute manière, monsieur le secrétaire d’État, je reviendrai à la charge, parce que, vous le savez, j’ai de la suite dans les idées. J’aimerais bien qu’on s’occupe de ce problème-là.

M. Jean-Pierre Corbisez. C’est hors sujet !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à saluer l’initiative de Sylvie Goy-Chavent. Si notre groupe a souhaité que sa proposition de loi soit inscrite aujourd’hui dans notre espace réservé, c’est parce que la problématique qu’elle aborde nous apparaît très importante, qu’elle concerne un grand nombre de nos concitoyens et qu’elle est profondément d’actualité.

Plus largement, cela permet à la Haute Assemblée de débattre d’un sujet qu’elle connaît bien. En effet, les évolutions du code de la route, puisque c’est d’abord de cela qu’il est question cet après-midi, ont toujours fait l’objet d’une attention particulière du Sénat. Sur ces sujets, il a déjà été régulièrement force de proposition.

Les règles du code de la route retiennent particulièrement notre attention pour deux raisons.

La première, c’est parce qu’il est question de sécurité routière et que le nombre de morts sur nos routes reste trop important, même s’il faut se rappeler que, en l’an 2000, nous avions encore près de 8 000 morts par an sur nos routes.

La deuxième raison justifiant un intérêt tout particulier pour cette matière, c’est parce qu’elle concerne quotidiennement une très large partie de nos concitoyens, qu’ils soient automobilistes, motards, cyclistes ou piétons.

Ces règles intéressent tous les Français. Nous savons bien que, dès qu’il est question de les modifier, évidemment, le débat s’enflamme.

Une fois n’est pas coutume, la décision du Gouvernement d’abaisser la vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes secondaires a suscité de vives réactions sur l’ensemble du territoire, en particulier dans les territoires ruraux, les plus pénalisés. En effet, pour beaucoup, et particulièrement pour les habitants de ces territoires, la route est une habitude quotidienne. Certains passent plus d’une heure au volant pour se rendre sur leur lieu de travail le matin – pareillement le soir –, et ce sur les mêmes routes, depuis des années, à la même vitesse : 90 kilomètres par heure.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est certain !

M. Jean-François Longeot. Or, depuis le 1er juillet dernier, cette limitation de vitesse est réduite sur l’ensemble du réseau secondaire. On comprend ainsi aisément que de nombreux conducteurs ont pu et pourront perdre un point à cette occasion. Un point sur douze, certes, mais il faut actuellement six mois pour le récupérer. C’est d’ailleurs l’objet même de la proposition de loi. Durant cette période, c’est environ 130 jours de travail, donc environ 260 allers et retours, toujours sur les mêmes routes, depuis des années, à la même vitesse.

Le système du permis à points, en vigueur depuis 1992, indexe la gravité des infractions commises sur la sanction en vue d’inciter les conducteurs à réfléchir sur les conséquences de leur comportement sur la route.

Les ruraux sont particulièrement dépendants de leur permis, et la majorité ne peut faire sans. Nous savons tous, mes chers collègues, que, dans de nombreux territoires, il n’existe aucune alternative à la voiture.

M. Antoine Lefèvre. Eh oui ! On n’a pas d’autre choix !

M. Jean-François Longeot. Monsieur le secrétaire d’État, avec tout le respect que je vous dois, vous me permettrez de considérer que votre affirmation selon laquelle le plus grand nombre d’accidents se produisent dans les territoires ruraux est une lapalissade : c’est logique, puisque nous sommes contraints d’utiliser nos véhicules ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Dans mon département, pour aller à la rencontre des maires, je ne prends ni le métro, ni le bus, ni le tram !

Il n’existe donc aucune alternative à la voiture. C’est d’ailleurs l’une des problématiques fondamentales qui est abordée dans le cadre du grand débat national lancé par le Président de la République.

Pour les habitants de ces territoires, plus que pour d’autres, c’est un facteur de stress particulier, quand on sait qu’un petit écart de vitesse peut faire perdre un point pendant six mois.

L’assouplissement que nous proposons à travers ce texte ne vise absolument pas à remettre en cause notre politique de sécurité routière ou le système du permis à points. Il n’est pas proposé d’exempter de sanctions le conducteur qui a commis une infraction grave. Il est simplement proposé de minorer les conséquences sur son permis de conduire, non pas de l’exonérer du règlement de l’amende due en cas de dépassement de la vitesse maximum autorisée. Pour reprendre les termes de l’exposé des motifs du texte, il s’agit de « limiter les effets d’une décision gouvernementale aussi inefficace qu’injuste », et en aucun cas de tendre vers une impunité du chauffard.

Il s’agit aussi de montrer que le Sénat est à l’écoute des Français, à l’écoute des territoires et entend proposer des solutions pragmatiques.

M. Jean-François Longeot. Je rappelle d’ailleurs que notre assemblée tente de faire entendre sa voix sur l’abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure depuis la publication du rapport d’information de nos collègues Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet, en avril dernier !

Nous espérons que la voix du Sénat sera enfin entendue. C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi et appelle l’ensemble de nos collègues à en faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le 1er juillet 2018, les vitesses maximales autorisées sur les routes à double sens, sans séparateur central, sont réduites de 90 à 80 kilomètres par heure. Cette mesure, chacun le sait, a été décidée sans concertation préalable.

Est-il normal que M. Raison, coauteur du rapport déjà cité, ait dû relancer à plusieurs reprises le Gouvernement pour obtenir des informations ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. Inadmissible !

M. Alain Fouché. Qu’est-ce que cela cachait ?

Le Premier ministre, enfin, l’a lui-même admis : cette mesure n’est le résultat d’aucune expérimentation fiable.

Plusieurs ministres s’y sont opposés, et le Président de la République aurait lui-même dit que c’était une « connerie ».

Il s’agissait d’envoyer un signal fort pour que baisse de manière significative le nombre de morts. La baisse a-t-elle été significative ? Assurément non, mais l’incompréhension et le mécontentement, oui ! On le voit avec les « gilets jaunes ».

À aucun moment le Gouvernement n’a évoqué la qualité des infrastructures routières, qui joue pourtant un rôle fondamental pour la sécurité routière. En mars 2017, le Sénat avait pourtant donné l’alerte à ce sujet en soulignant la tendance à la dégradation du réseau routier national observée depuis quelques années. Tout comme nous n’avons cessé d’alerter le Gouvernement, mes chers collègues, sur la répartition des recettes des radars et des amendes de police. On revendique plus de sécurité, mais on baisse la part de recettes destinée aux départements pour entretenir le réseau ! Le conducteur n’est-il pas devenu une « vache à lait » ?

Dans mon département, la Vienne, il n’y a jamais eu autant d’amendes, et les dotations ont baissé de 27 % entre 2015 et 2017. Où est passé l’argent ? On parle des hôpitaux : je n’y crois pas. En fait, on rembourse la dette.

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise à faciliter la récupération de points afin de compenser le durcissement de la réglementation routière. Il est ainsi proposé que, pour les infractions ayant entraîné le retrait d’un seul point, le délai au terme duquel ce point est réattribué, si aucune infraction donnant lieu à un nouveau retrait de point n’a été commise, soit ramené à trois mois au lieu de six mois. C’est pure logique !

En 2011, j’ai été l’auteur de l’amendement permettant notamment la récupération d’un point en six mois au lieu d’un an. Que n’ai-je entendu de la part de M. Hortefeux, alors ministre ? C’était la révolution ! À l’époque, cette modification n’a eu aucune conséquence sur le nombre de morts.

M. Alain Fouché. Cela fait maintenant plusieurs mois que nous n’avons plus de radars en état de marche dans les territoires, détruits ou bâchés. Y a-t-il eu plus de morts ? Il ne semble pas.

La généralisation des 80 kilomètres par heure aura nécessairement des conséquences sur le nombre de personnes roulant sans permis. Entre 2012 et 2017, ce chiffre a déjà augmenté de 30 % pour atteindre 600 000. Il ne faut pas oublier que, dans les territoires ruraux, il n’existe aucune alternative à la voiture. Nous ne sommes pas à Paris : il n’y a ni métro ni bus, et chacun doit se débrouiller. Les pistes évoquées dans le projet de loi d’orientation des mobilités ne seront pas opérationnelles demain.

Après des mois d’obstination, si le Président de la République se dit prêt à rouvrir le débat sur des aménagements à la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, nous n’en connaissons ni l’issue ni le délai. Pendant ce temps, l’argent rentre !

Le Sénat, lui, milite depuis un an pour l’ouverture de concertations au sein des départements afin d’adapter la nouvelle limitation – je vous renvoie à l’excellent travail de nos trois collègues, dont Michel Raison. La décision doit revenir aux départements, en liaison avec les préfets, les maires concernés, les forces de sécurité et les acteurs locaux de la sécurité routière ! Dans cette attente, je suis personnellement favorable à cette proposition de loi, qui a le mérite de relancer le débat sur la politique de sécurité routière.

Il appartiendra à l’État, monsieur le secrétaire d’État, de s’organiser pour que l’information du retrait de point et sa récupération ne soient pas concomitantes.

Il s’agit aujourd’hui non plus d’aménager les 80 kilomètres par heure, mais de rétablir la confiance des citoyens dans la politique de sécurité routière, de promouvoir des comportements raisonnables et responsables sur la route pour toujours plus de sécurité, d’instaurer le bonus de points, de distinguer les petits excès de vitesse ou encore de sanctionner lourdement l’usage de l’alcool et de stupéfiants au volant et les chauffards.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera à une large majorité cette proposition de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, il serait opportun que vous fassiez contrôler tous les collaborateurs des ministères et des administrations qui, tous les soirs, avec des véhicules de fonction équipés de sirènes et de gyrophares, rentrent chez eux en toute illégalité, car non accompagnés d’un officier de police. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dossier de la sécurité routière est un sujet grave. J’en profite d’ailleurs pour me réjouir de la baisse de la mortalité sur nos routes depuis la fin de 2017, mouvement qui s’est poursuivi en 2018, que ce soit avant ou après la mise en place des 80 kilomètres par heure.

Nous avons beaucoup travaillé avec M. le rapporteur et Michèle Vullien sur cette mesure, et nous en avions alors conclu qu’elle serait contre-productive. Je souhaite dire ici qu’on ne répond pas à une mesure contre-productive par une autre mesure qui pourrait également l’être. Les médecins vous le diront : on essaie de soigner le mal et non pas les symptômes. Lorsque j’ai mal aux pieds en marchant à cause d’un caillou dans ma chaussure, je ne prends pas du paracétamol : je retire celle-ci, ôte le caillou et repars ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Belle image !

M. Guy-Dominique Kennel. Ça, c’est du bon sens !

M. Michel Raison. Je considère donc que la seule solution valable, efficace, pour lutter contre cette mesure des 80 kilomètres par heure, mesure technocratique qui n’a pas tenu compte de la psychologie du citoyen, c’est que le Gouvernement revienne à la sagesse, la sagesse du Sénat,…

M. Michel Raison. … et fasse siennes les conclusions de ce fameux rapport.

Mais me voici rassuré, puisque le Président de la République, par deux fois, a repris nos propres propos, y compris les miens, ceux que j’avais tenus devant le Premier ministre en lui demandant de devenir enfin intelligent.

M. Loïc Hervé. Les grands esprits se rencontrent !

M. Michel Raison. Ce n’est pas gentil pour le Premier ministre, mais le Président de la République a dit qu’il fallait enfin rendre cette mesure intelligente, c’est-à-dire appliquer les conclusions de notre rapport.

J’ai donc quelque espoir qu’une parole tenue ainsi publiquement, après des mouvements aussi violents que ceux que notre pays a vécus, puisse enfin être tenue. Car je sais que la parole d’un Président de la République n’est pas toujours tenue… On va d’ailleurs l’aider à tenir parole. Mon seul regret, c’est que cette parole ait été prononcée à la suite de tant de violence, alors qu’il aurait été beaucoup plus simple que le Gouvernement nous écoute non seulement sur cette mesure, mais sur bien d’autres encore. S’il l’avait fait, s’il avait écouté les différents rapporteurs sur la loi de finances et sur d’autres textes, sur quelque travée qu’ils siègent, alors la France serait peut-être plus en paix aujourd’hui.

M. Michel Raison. J’en appelle donc à vous, monsieur le secrétaire d’État, pour faire passer ce message auprès du Gouvernement : qu’il écoute enfin la sagesse du Sénat et le pays ira mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ici même, le 5 juin dernier, nous débattions déjà de ces 80 kilomètres par heure. Je vous avais alors proposé de réfléchir à un dispositif similaire à celui qui s’applique dans nos communes : une limitation à 50 kilomètres par heure, mais la possibilité de circuler à 70 kilomètres par heure dans certains cas. Ainsi, nous pourrions, sur les routes départementales où la vitesse est limitée à 80 kilomètres par heure, autoriser une vitesse supérieure en cas d’absence de danger ou dans le cas d’accotements larges. Je ne suis pas certain d’avoir alors été entendu compte tenu de la forte animation qu’avait suscitée mon intervention ce jour-là…

Madame l’auteur de la proposition de loi, vous disiez tout le bien que vous pensiez des « Marcheurs », du Gouvernement. Je voudrais vous dire qu’on peut être En Marche et avoir été élu local,…

M. Loïc Hervé. J’en témoigne ! (Sourires.)

M. Arnaud de Belenet. … élu trois fois maire, parfois même avec 86 % des voix. On peut même avoir été conseiller départemental. On peut être « Marcheur » et savoir de quoi l’on parle lorsqu’il est question de la gestion d’une collectivité, sur le plan technique, mais aussi sur le plan humain. On peut savoir emmener la collectivité humaine qui nous est confiée vers un destin partagé en suscitant l’adhésion, bien évidemment de manière responsable.

On peut aussi, je crois, appartenir à d’autres mouvements politiques et considérer, compte tenu des enjeux et des défis auxquels notre pays est confronté, que ceux qui sont dans la majorité méritent d’être soutenus, entendus, dans un esprit de responsabilité, sans céder nullement à la tentation populiste, à la démagogie ou à la seule défense d’un mouvement politique.

Cela étant, je suis navré de vous le dire, votre intervention était brutale sur ce point.

En diminuant la durée de récupération des points du permis de conduire, votre proposition de loi vise indirectement à compenser la mesure prise par le Gouvernement de limiter la vitesse à 80 kilomètres par heure. Selon l’exposé des motifs, cette mesure risquerait d’entraîner une augmentation des excès de vitesse. Curieux argument… On peut aussi respecter la réglementation et ne pas commettre d’infraction !

Rappelons fortement que la route reste la première cause de mort violente en France : neuf morts et soixante-cinq blessés par jour, et autant de familles dévastées. Nous avons déjà évoqué ces chiffres ici.

Quant à la vitesse, elle reste, qu’on le veuille ou non, la première cause d’accident mortel en France, suivie immédiatement – il est vrai – de l’alcool et des stupéfiants.

M. Alain Fouché. Mais non !

M. Arnaud de Belenet. Souvenons-nous que le plan présenté par le Premier ministre pour faire face à la reprise de la hausse du nombre de morts sur les routes comportait une vingtaine de mesures, dont certaines renforçaient la coercition contre l’usage des stupéfiants et de l’alcool, en particulier. Il prévoyait également un certain nombre de dispositifs nouveaux en matière de prévention et de sensibilisation.

S’agissant de ce texte, il faut noter que l’ampleur de la sanction est rarement le déterminant d’un comportement, même si la crainte de la sanction elle-même incite à être plus respectueux des règles. Je vois là un premier biais de la proposition de loi que vous nous soumettez.

D’autres arguments, que M. le rapporteur a d’ailleurs soulevés, plaident en défaveur du texte. Je pense en particulier au fait que la réduction du délai de récupération des points concernerait également les excès de vitesse commis en centre-ville ou sur les autoroutes, ainsi que d’autres infractions à la réglementation routière.

M. Arnaud de Belenet. Je ne crois pas que la déresponsabilisation des conducteurs soit l’objectif visé par cette proposition de loi. Notre objectif commun est bien de trouver un juste équilibre entre la lutte concrète contre l’insécurité routière et l’adoption de mesures qui ne soient pas ressenties comme injustes par nos concitoyens.

Une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route est menée par le Conseil national de la sécurité routière. Ses conclusions devraient être présentées en ce début d’année. Attendons-les. Le grand débat national sera aussi évidemment l’occasion de soulever la question de la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure.

Je ne doute pas que, « Marcheurs » et membres d’un autre mouvement politique, nous sommes capables d’intelligence collective. Ce sujet le mérite bien. Je fais confiance à votre sens des responsabilités, mes chers collègues, pour prendre en compte cette problématique des 80 kilomètres par heure, en y ajoutant sans doute quelques adaptations, et pour ne pas adopter ce texte en l’état. (M. Alain Richard applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « c’est une connerie ! » C’est par ces mots que le Président de la République a récemment qualifié l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire. Sur ce coup-là, nous pouvons dire que nous sommes bien d’accord avec lui ! Comme quoi, parfois, il peut exister des points d’accord entre nous et le Président de la République…

Mais alors, et compte tenu de la situation, cette proposition de loi est-elle la solution ? En effet, depuis le 1er juillet, la vitesse maximale sur les routes à double sens, sans séparateur central, a été abaissée de 90 à 80 kilomètres par heure.

Le code de la route prévoit que toute personne ayant perdu des points sur son permis de conduire les récupère automatiquement au bout de deux ans si elle n’a commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route. Une dérogation est cependant prévue pour les infractions les plus légères, puisqu’une récupération de points est possible dans un délai de six mois si aucune infraction n’est commise dans ledit délai. C’est cette dérogation que souhaitent modifier les auteurs du texte en faisant passer le délai de six à trois mois.

Mes chers collègues, la sécurité routière ne se marchande pas. Il est question de vie humaine et de déplacements sécurisés. Parler sécurité routière aujourd’hui, c’est parler de vitesse, mais c’est aussi parler des infrastructures, car, ne nous y trompons pas, la sécurité tient beaucoup à l’état de ces infrastructures.

L’entretien de la voirie coûte cher et incombe aux collectivités, qui n’ont pas de moyens suffisants. Classée première en 2011 pour l’état de ses routes, selon les critères du Forum économique mondial, la France n’est aujourd’hui plus que septième. C’est bien l’histoire d’une dégradation à la suite d’un manque d’investissement dans les infrastructures.

La baisse des dotations de l’État aux collectivités, qui entretiennent les 370 000 kilomètres de routes départementales, tout comme la baisse des crédits pour les presque 12 000 kilomètres de routes nationales et d’autoroutes non concédées, se fait sentir sur les chaussées. Alors, à quelle suite s’attendre, monsieur le secrétaire d’État ? Un nouvel hashtag ? Un #BalanceTonDépartement ou un #BalanceTaRouteDépartementale pour stigmatiser nos départements, qui n’ont plus les moyens d’assurer pleinement leurs compétences en la matière, comme vous avez pu le faire avec nos maires lorsque ces derniers ont dû augmenter les impôts locaux ?

Les collectivités consacrent une part importante de leurs dépenses à la voirie. Elles représentent 9 % de celles des communes et plus de 8 % de celles des départements. Toutefois, la tendance générale est encore une fois à la baisse dans ce domaine. Il s’agit d’ailleurs d’une baisse considérable, puisque les dépenses de voirie des collectivités ont fléchi de 19 % entre 2013 et 2015. Cette orientation est confirmée par les premiers résultats publiés par l’Observatoire national de la route en novembre dernier.

D’après l’analyse que je viens d’évoquer, laquelle a porté sur un échantillon de 57 départements, les chiffres montrent une baisse continue des dépenses de fonctionnement depuis 2013, qui touche tous les postes : les fournitures, notamment le sel pour la viabilité hivernale, la part de travaux confiée aux entreprises ou les frais généraux. Les départements, sans vrais moyens, sont impuissants.

Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous continuer à prendre des décisions, qui visent certes un vrai objectif louable, mais qui utilisent un véhicule pour y parvenir qui reste abject ?

Avec le groupe communiste républicain citoyen et écologiste du Sénat, nous prônons depuis longtemps le report modal, notamment vers le fret ferroviaire. Aujourd’hui, un nombre significatif de poids lourds se retrouve sur les routes départementales non prioritaires du réseau, ce qui pose des problèmes, non pas forcément en termes de bouchons, mais en termes de sécurité et de pérennité de voies qui n’ont pas été conçues initialement à cette fin.

L’état du réseau routier français se dégrade, et vous n’êtes pas sans savoir que la question du risque en matière de sécurité routière peut se poser. En cas d’accident, le défaut d’entretien peut entraîner la responsabilité de l’État. Investir sur nos routes est un vrai signal envoyé à nos concitoyens, le signal d’un État fort, soucieux de la sécurité des usagers de la route.

Les Français n’ont pas besoin de panneaux limitant leur vitesse de plus ou moins 10 kilomètres par heure ; ils ont besoin de routes viables, sans nid-de-poule, salées en période de neige ; ils ont besoin de signalisation indiquant les zones réellement dangereuses. Ils n’ont surtout pas besoin de décisions prises de façon aléatoire, sans concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.

Permettez-moi de vous dire que, si vous aviez écouté les recommandations du Sénat, nous n’en serions peut-être pas là ! Comme un certain nombre de mes collègues, je me rappelle du débat que nous avions eu avec Mme Gourault, qui nous expliquait qu’il n’y avait aucun problème, que tout allait bien et que tout se passerait très bien. Quelques mois après, on voit que les discours ont finalement évolué, tout simplement parce que la situation sur laquelle nous vous avions alerté était réelle. Il faut aujourd’hui faire évoluer les décisions prises.

Vous qui prônez la concertation, vous auriez pu voir que, dans certains départements, la vitesse aurait même pu être limitée à 70 kilomètres par heure si cela se justifiait. Nous avons besoin d’une sécurité routière au plus près de la réalité, qui soit compréhensible par toutes et tous ! Nous qui traversons au quotidien les routes de nos départements, nous pouvons constater que, sur un trajet de quelques dizaines de kilomètres, la limitation de vitesse passe de 30 kilomètres par heure à 50 ou 70 kilomètres par heure, et parfois même à 80, 90, voire à 110 kilomètres par heure ! Pour les conducteurs, cette variation n’obéit à aucune logique.

Je terminerai en disant que, à nos yeux, cette proposition de loi n’offre pas de solution viable. Nous ne pouvons pas compenser un durcissement de la réglementation routière par un allégement des sanctions aux infractions. Pour nous, la solution se trouve dans un investissement massif pour des routes de qualité. Par conséquent, notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où bon nombre de nos concitoyens occupent les routes et les ronds-points pour dénoncer un ras-le-bol général, une préoccupation revient régulièrement dans les débats : l’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires de 90 à 80 kilomètres par heure. Cette mesure, entrée en vigueur le 1er juillet dernier, a suscité la colère de nos élus et de nos concitoyens dans beaucoup de territoires.

C’est un fait que les excès de vitesse les plus faibles sont les plus nombreux, et cela ne concerne pas uniquement la vitesse sur les routes secondaires. Aussi, lorsqu’ils sont flashés pour deux ou trois kilomètres par heure en trop, sommés de régler une amende et de perdre un point sur leur permis, beaucoup de nos concitoyens le vivent comme une injustice.

Estimant que cette réduction de vitesse contribuera à faire « exploser » les amendes pour excès de vitesse inférieurs à 10 kilomètres par heure, les auteurs de la présente proposition de loi justifient dès lors de réduire le délai de récupération de points pour les petits excès de vitesse, en le faisant passer de six mois actuellement à trois mois, en l’absence de nouvelle infraction durant ce laps de temps. En outre, ceux-ci s’interrogent sur l’intérêt pédagogique du permis à points pour motiver ces aménagements. Je propose plutôt de nous interroger sur la portée de ce texte et sur sa réelle motivation.

Sacrifier la sécurité routière au pouvoir d’achat n’est pas une bonne solution. Or modifier la procédure de récupération de points du permis de conduire va clairement à l’encontre de la politique de sécurité routière menée ces dernières années. Celle-ci a pourtant largement porté ses fruits depuis les années soixante-dix et, plus récemment, ces deux dernières années, au cours desquelles on a enregistré une forte baisse de la mortalité sur les routes.

Faire passer le délai de récupération de points à trois mois pourrait aisément inciter les conducteurs à relâcher leur vigilance et à ne plus se soucier de commettre un excès de vitesse, puisque le désagrément ne serait finalement que très bref. Mes chers collègues, souvenez-vous que, avant 2011, il fallait attendre un an avant de récupérer le point perdu. Le passage de ce délai à six mois a été adopté contre l’avis du gouvernement et du ministre de l’intérieur de l’époque, Brice Hortefeux. Assouplir de nouveau ces règles à l’excès conforterait effectivement les mauvaises habitudes de conduite, même si elles ne concernent qu’une minorité de conducteurs.

Les auteurs de la proposition de loi stigmatisent en outre l’intérêt des stages de récupération de points, assimilés à une politique de sécurité routière répressive, et affirment que les points perdus ne sont jamais récupérés, sauf à effectuer – et donc à payer – un tel stage. Cela est faux. Certes, ces stages ont un coût financier et présentiel – c’est indéniable –, mais leur utilité en termes de prévention et de rétribution ne saurait être niée : quatre points en deux jours, tout de même ! Sans compter que cette récupération est automatique.

Par ailleurs, le stage ne constitue pas la seule possibilité pour récupérer ses points. Il suffit d’attendre tout simplement la fin du délai de récupération sans commettre de nouvelle infraction, ce qui encourage de facto les bons comportements sur les routes.

Plus qu’un réel souci pour le pouvoir d’achat des Français, ce qui semble avoir motivé les auteurs de ce texte reste la dénonciation de la réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Ici, au Sénat, cette décision avait, il est vrai, suscité beaucoup d’oppositions. Nous qui sommes pour la plupart élus de territoires ruraux, nous savons que cette mesure avait renforcé le sentiment de déclassement de nos concitoyens qui n’ont pas d’autre choix que d’emprunter ces routes secondaires.

Ce désaccord s’est traduit par la création au mois de janvier 2018 d’un groupe de travail sénatorial sur la sécurité routière, sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois. Plutôt que d’appliquer la réduction de vitesse de manière uniforme, ce groupe de travail a proposé que cette décision soit décentralisée au niveau des départements, afin de l’adapter aux situations locales et aux réalités des territoires. Cette conclusion convient à la plupart des maires et des élus.

Je me félicite bien sûr que, à la suite du mouvement des « gilets jaunes », le Président de la République lui-même ait fait des annonces qui vont dans le même sens. En concertation avec les maires et les collectivités locales, l’application de cette mesure de réduction de la vitesse pourrait ne pas être généralisée, mais étudiée au cas par cas. Cependant, comme l’a dit mon collègue Michel Raison, il est vraiment dommage que les conclusions du groupe de travail sénatorial n’aient pas été entendues plus tôt par le Gouvernement.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

Mme Viviane Artigalas. Cela aurait peut-être permis de ne pas cristalliser l’exaspération de nos concitoyens, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines.

Cela démontre, s’il en était encore besoin, l’importance du travail sénatorial et la capacité du Sénat à trouver des solutions de compromis et de bon sens, qui respectent la diversité de nos territoires. Bien sûr, nous veillerons à ce que les annonces présidentielles soient suivies d’effets. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le secrétaire d’État.

Cette proposition de loi me paraît donc désormais sans objet et, surtout, contre-productive en matière de sécurité routière, puisqu’elle va à l’encontre du principal intérêt pédagogique du permis à points, qui est d’inciter, de façon égalitaire, les conducteurs ne respectant pas les règles à modifier leur comportement sur la route pour ne pas perdre leur droit à conduire. Comme l’ensemble des membres de mon groupe, je me range évidemment à l’avis du rapporteur – j’en profite pour remercier la commission des lois pour le travail réalisé – en ne votant pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’une proposition de loi particulièrement courte et simple : un article unique, une phrase, un mot changé dans le code de la route. Pourtant, ce texte apporte une avancée à la problématique du retrait de points pour infractions légères compte tenu, en outre, de la confusion sur certaines voies entre limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure ou à 90 kilomètres par heure.

Un certain nombre d’amendements ont été déposés. On peut discuter de la pertinence ou non de chaque mesure, mais je note une chose en commun : l’ensemble de ces amendements visent à faciliter la vie des Français ou, du moins, à réduire les contraintes excessives de certaines réglementations. En effet, c’est bien là l’un des enjeux institutionnels que nous mettons aujourd’hui en exergue à travers ce texte : lorsque l’exécutif prend des mesures générales qui visent notre vie locale, elles complexifient et apparaissent souvent inopportunes ou insatisfaisantes.

Face à cette réalité, le Sénat a une responsabilité particulière dans le cadre de nos institutions. Nous la connaissons bien : il s’agit de défendre nos territoires, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Le Gouvernement se donne deux ans pour évaluer la mesure. Nous gagnerions à engager notre propre évaluation.

Il semble qu’il existe, et je conclurai par cette idée, une façon de concilier les différents objectifs avec celui – fondamental – de la réduction du nombre d’accidents sur nos routes, en modulant la limitation de vitesse à 80 ou 90 kilomètres par heure sur les routes secondaires en fonction de leurs caractéristiques. Cette piste a été présentée au printemps dernier par nos collègues Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet dans un rapport d’information intitulé Sécurité routière : mieux cibler pour plus defficacité. Nos collègues préconisent, entre autres mesures, la décentralisation de la décision en matière de réduction des vitesses maximales autorisées à 80 kilomètres par heure, en lien avec les préfets et présidents de département, et un ciblage de la limitation des vitesses maximales sur les routes accidentogènes.

Dans l’attente d’une telle évolution, en souhaitant que la sécurité routière fasse toujours plus de pédagogie et de sensibilisation aux dangers de la route, je voterai en faveur de ce texte. Celui-ci va dans le sens d’une liberté accrue, ou au moins de contraintes réduites pour nos concitoyens de bonne volonté, sans remettre en cause l’objectif fondamental de la sécurité routière. Je l’espère vivement, il y aura moins de conducteurs privés de permis de conduire qui font la folie de prendre tout de même la route pour ne pas perdre leur emploi, ce qui est un véritable drame pour notre société. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble est l’occasion de tirer les enseignements d’un processus de décision qui illustre une méthode de gouvernement méritant sans doute d’être affinée.

Sous couvert de lutter contre la mortalité routière, le Gouvernement a annoncé vouloir abaisser la vitesse à 80 kilomètres par heure sur toutes les routes, et ce sans étude d’impact ni concertation. Des voix se sont élevées ici et là, singulièrement au Sénat, pour demander des explications et proposer de laisser des possibilités d’adaptation aux acteurs locaux. Je pense en particulier à nos collègues Raison, Vullien et Fichet. Le Premier ministre n’a rien voulu entendre. Le décret a été signé et a dû s’appliquer sans délai. Tous ceux qui émettaient des réserves ont été vilipendés au nom de la mortalité routière et passibles de procès en irresponsabilité.

Pourquoi 80 kilomètres par heure et pas 70 ? Où est la logique quand le Gouvernement, qui dit militer pour l’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation, nie ce principe en exigeant une application uniforme de la mesure sur tout le territoire ?

Alors que la réduction de la dépense publique est un objectif, on peut s’interroger sur l’évaluation qui a pu être faite du coût de cette mesure, tant pour les services publics que pour les entreprises et les salariés.

La question de l’acceptabilité et de la compréhension par les usagers de la route qui prennent leur voiture tous les jours pour aller travailler est taboue. Les experts savent et le Gouvernement décide. J’ai envie de dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

Je pense très sincèrement, monsieur le secrétaire d’État, que cette mesure a contribué à faire émerger le mouvement des « gilets jaunes », car elle est emblématique, dans la forme comme sur le fond, d’une pratique qui conjugue suffisance, mépris des réalités, jacobinisme et autoritarisme. On le sait, la politique n’est pas une science exacte et ce qui compte est souvent davantage la perception de la mesure que sa justification.

M. Jean-Paul Émorine. C’est vrai !

M. Dominique de Legge. On ne gouverne pas un pays sans explications et avec les seuls experts contre l’opinion. L’humilité, permettez-moi de vous le dire, loin d’être un signe de faiblesse, peut quelquefois être un signe d’intelligence.

Aujourd’hui, un texte nous est soumis pour apporter une réponse à une situation que beaucoup récusent et vivent comme une brimade. Merci aux auteurs de cette proposition de loi d’avoir posé le débat publiquement !

Je ferai trois remarques

Tout d’abord, plutôt que de chercher à agir sur les conséquences d’une mauvaise décision, je pense préférable d’agir sur la décision elle-même, et donc de revenir tout simplement sur le décret.

Ensuite, nous avons l’illustration de la difficile articulation entre le décret et la loi. C’est un décret qui est à l’origine de la situation. On ne corrige pas un décret par une loi. Le décret procède de la loi et non l’inverse. Cela ne peut que nous conforter dans notre regret de voir le Gouvernement, dans cette affaire comme dans bien d’autres, refuser le débat au Parlement et passer outre ses avis. Nous écouter lui aurait évité ce faux pas.

Enfin, c’est avec étonnement que nous avons entendu le Président de la République déclarer la semaine dernière qu’il n’était pas hostile à une évolution de la réglementation. Feignant de découvrir le sujet, c’est tout juste s’il n’a pas fait le reproche aux parlementaires de ne pas l’avoir alerté sur ce point. Cela ne manque pas de piquant si l’on se réfère aux propos tenus ici même par Michel Raison lors d’une question d’actualité au Gouvernement et à la réponse faite par le Premier ministre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le plus simple et le mieux, c’est de ne pas voter ce texte et de revenir sur le décret en essayant de l’appliquer de façon intelligente,…

Mme Sylvie Goy-Chavent. Ça n’a rien à voir !

M. Dominique de Legge. …ce qui veut dire qu’il ne l’a pas été jusqu’à maintenant. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Pour rebondir sur les propos de MM. Requier et Fouché, je précise que la vitesse excessive n’est évidemment pas la seule cause de mortalité sur les routes – nous n’avons jamais prétendu le contraire – et que l’état du réseau fait l’objet de toutes nos attentions.

Je tiens également à vous dire, monsieur Fouché, que le produit des amendes des radars, vous le savez bien, ne contribue à la baisse de la dette qu’à hauteur de 8 %. (M. Alain Fouché fait un signe de dénégation.) Le reste des recettes est notamment consacré aux aménagements en matière de sécurité routière. Il me semblait important de le préciser.

M. Alain Fouché. Je ne suis pas d’accord avec vous !

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Il me paraît également important de rappeler les chiffres attendus pour 2019 : 516 millions d’euros seront affectés aux infrastructures routières de transport et de sécurité et 455 millions d’euros au réseau national.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Concernant votre interpellation sur l’expérimentation en cours de la SANEF à Boulay-Moselle, monsieur Masson, j’indique que celle-ci n’a pas pour but d’obliger les conducteurs à s’abonner, mais de leur permettre de payer à l’avance pour éviter les files d’attente et les bouchons. Cette expérimentation est évidemment susceptible d’évolutions. Comme vous le souhaitez, je veillerai à faire remonter les éléments que vous m’avez communiqués à la ministre des transports, dont le cabinet se tient à votre disposition.

Monsieur Longeot, quand j’expliquais qu’un certain nombre de mesures ciblaient les réseaux routiers où la mortalité est la plus forte, je comprends bien sûr que ce propos puisse vous apparaître comme une lapalissade, mais il est heureux quand même que les mesures mises en œuvre pour prévenir un certain nombre de risques le soient là où ces risques sont les plus élevés.

Monsieur Raison, je ferai juste un commentaire. Nous nous connaissons bien, nous nous sommes toujours parlé très franchement. Le Président de la République, en décidant de porter ce sujet au niveau du grand débat national, a répondu à une revendication légitime des Français, et non à la violence, comme vous l’avez dit. La violence, nous la combattons tous les samedis. Les mots ont un sens, il faut être prudent : vous savez toute l’attention que les forces de l’ordre portent tous les samedis, sous notre autorité, à contenir ces violences.

Voilà les quelques éléments d’éclaircissement que je tenais à apporter.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi relative à l’aménagement du permis à points dans la perspective de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
Article unique

Article additionnel avant l’article unique

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par Mme Sollogoub, M. Henno, Mme Perrot, M. Longeot et Mmes C. Fournier et Vermeillet, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 223-3 du code de la route, sont insérées deux phrases ainsi rédigées : « Le délai pour notifier le retrait d’un ou plusieurs points est de trois ans à compter de la date constatée de l’infraction concernée. Passé ce délai, le retrait de points lié à ladite infraction ne peut être effectué. »

La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Après avoir entendu tous ces débats autour de la sécurité routière, de la prévention routière et des 80 kilomètres par heure, je vais très modestement vous parler de la gestion des points du permis de conduire. Je considère en effet qu’une bonne gestion de ces points permettrait d’avoir un système qui fonctionne de façon optimale. Il me semble qu’il existe une petite lacune dans le système actuel.

Si vous vous faites flasher, vous perdez un point. Entre le moment où vous commettez l’infraction et perdez de fait le point et le moment où cette décision vous est notifiée s’écoule obligatoirement un délai. Or ce délai n’a pas de limite actuellement, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de prescription. On pourrait donc imaginer qu’un point virtuellement perdu se balade dans les circuits informatiques pendant des années et que, dix ans après, on puisse vous enlever ce point.

Sachant qu’un automobiliste qui ne commet pas d’infraction pendant trois ans récupère tous ses points, il serait logique qu’un délai de prescription de trois ans soit également établi lorsqu’il perd des points. Cela participe aussi de la bonne gestion du système d’être en mesure de gérer soi-même son crédit de points.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Cet amendement vise à introduire une forme de prescription pour les retraits de points au permis de conduire. Il s’agit de prévoir qu’aucun retrait de points ne peut être appliqué à une personne plus de trois ans après la commission d’une infraction.

En l’état du droit, le retrait de points s’applique à compter du jour où la condamnation est devenue définitive et non à compter de la date à laquelle le courrier informant d’un retrait de points est reçu par le détenteur du permis. Par exemple, si une personne commet un excès de vitesse constaté par un radar automatique, le retrait de points s’applique à compter du moment où la personne a payé son amende. Il n’est donc pas nécessaire d’encadrer davantage les règles en matière de retrait de points, dont les principes sont déjà clairement énoncés par la loi.

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Je n’ai pratiquement rien à ajouter aux propos du rapporteur. Je rappellerai simplement que le délai de prescription en matière judiciaire est de six ans. Dans des cas exceptionnels, nous pourrions donc avoir des personnes condamnées pour des infractions figurant parmi les plus graves qui ne se verraient pas retirer de points. J’émets donc également un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.

M. Jean-François Longeot. Je me suis vu retirer des points à plusieurs reprises : un, puis deux, puis trois. Normalement, ça fait six, mais, comme personne ne vous prévient jamais, vous ne savez pas précisément combien il vous en reste. Vous risquez à un moment donné de rouler en n’ayant pratiquement plus de points, voire plus de points du tout !

Qu’on nous retire des points, d’accord, mais qu’on puisse obtenir un bilan écrit des points retirés et des points restants ! C’est tout le sens de cet amendement. Pour ma part, je n’ai jamais rien reçu, en dehors de la notification de l’amende et du point retiré. Pour cela, il n’y a pas de problème, j’ai été informé dans les quatre jours suivant mon erreur ! Mais le nombre de points qu’il me reste, je n’en sais toujours rien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je partage l’avis de M. le secrétaire d’État sur cet amendement. Pour autant, ce qui vient d’être dit est tout à fait vrai : il serait tout de même normal que, lorsqu’un conducteur se voit retirer des points, on lui notifie le nombre de points qui lui restent.

La réponse est toujours la même : qu’il aille voir sur internet ! Mais, une fois de plus, la fracture numérique existe. Certains de nos concitoyens, qui n’ont pas internet ou ne savent pas s’en servir, sont complètement démunis !

J’aimerais que M. le secrétaire d’État puisse en prendre note : cela ne coûte pas cher d’inscrire le solde des points restants sur le courrier notifiant le retrait de points.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Notre éminent collègue Jean Louis Masson, on le voit bien, ne s’est jamais vu retirer de points, sinon il saurait qu’on reçoit un courrier indiquant le nombre de points retirés et le nombre de points restants.

Cela étant, être prévenu du nombre de points au bout de trois ans, c’est trop long. Après trois ans, on ne se souvient pas ! À l’heure de l’immédiateté, d’internet et des communications rapides, il faudrait un délai beaucoup plus court. On peut envisager différentes durées – un an, par exemple –, mais une durée de trois ans est de toute évidence anormale.

Avec cette mesure, et d’autres comme celle-là ou d’autres que l’on ne prend pas, il n’y a rien d’étonnant à ce que certains de nos concitoyens s’énervent dans la rue, avec ou sans gilet.

Les délais trop longs ne sont plus acceptables aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Si mes souvenirs sont bons, il fallait à une certaine époque envoyer un mandat ou un chèque à la préfecture pour obtenir le renseignement.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. Avant d’être raisonnable, responsable, père et maire, j’ai dû repasser mon permis pour défaut de points. Fort de cette expérience et par honnêteté, je me vois dans l’obligation de partager avec vous cette remarque : connaître le nombre de points qu’il reste, ce n’est rien d’autre qu’identifier un droit à commettre une infraction supplémentaire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.

Mme Nadia Sollogoub. Ma connaissance du sujet s’explique par le fait que je viens d’effectuer un stage de récupération de points.

On peut effectivement accéder, via internet, à son décompte de points. Cette information n’est en rien un crédit pour commettre d’autres infractions. Savoir où l’on en est, c’est important pour éviter de rouler sans permis.

Ce sont les organisateurs du stage qui m’ont signalé une incohérence à avoir ainsi des points qui se baladent pendant des années, sans date limite de notification. Cette incohérence doit être corrigée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 43 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 85
Contre 259

Le Sénat n’a pas adopté.

Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 1 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

Au troisième alinéa de l’article L. 223-6 du code de la route, le mot : « six » est remplacé par le mot : « trois ».

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Cette proposition de loi nous offre l’occasion de revenir sur la question de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure et, surtout, sur la façon dont elle a été traitée. Nous l’avons tous relevé, il s’agit vraiment de l’archétype de la décision unilatérale imposée d’en haut. Rien d’anormal à ce qu’elle ait suscité une forte incompréhension chez nos concitoyens, particulièrement chez ceux qui sont captifs de la voiture !

En définitive, cette mesure jacobine a été une faute, non seulement politique, mais aussi psychologique, dont on mesure aujourd’hui les conséquences. Elle est un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock : le Gouvernement ne sait pas comment s’en débarrasser !

Là où il y a de quoi s’inquiéter davantage, c’est que cette mesure concerne la plupart de nos concitoyens, hormis, évidemment, ceux des métropoles, qui ont renoncé à la voiture. Ce que je veux dire, monsieur le secrétaire d’État, c’est que, justement parce que la décision allait toucher un grand nombre de Français, on aurait dû prendre les précautions nécessaires pour s’assurer de son acceptabilité, ce qui n’a pas été fait. Au demeurant, au sein même du Gouvernement, Gérard Collomb, précédent ministre de l’intérieur, avait déjà mis en garde quant à cette perspective, puisqu’il s’est écoulé neuf à dix mois entre l’annonce de la décision et sa mise en œuvre.

Le Président de la République, au cours de la réunion de lancement du grand débat qui s’est tenue dans l’Eure, a indiqué qu’il fallait trouver une « manière plus intelligente » – je cite – de mettre cette mesure en œuvre, affirmant qu’« il n’y a pas de dogme ». C’est redécouvrir une évidence ! Le Président de la République a également appelé les maires à émettre des propositions sur ce dossier, qui, selon lui, fait bien partie des sujets à débattre. À la bonne heure !

Il n’empêche que, en ayant inversé l’ordre des choses, on a créé un climat tout à fait défavorable, ayant débouché sur une crise politique et sociale dont le Gouvernement se débat maintenant pour sortir. J’espère que la prochaine fois, si prochaine fois il y a, il ne passera pas outre le Sénat et qu’il s’en inspirera beaucoup plus. Ce sont des mois de travaux et d’auditions qui ont été menés par le groupe de travail Fichet-Raison. Toutes les parties prenantes à la décision ont été entendues. Si vous vous étiez inspiré de leurs conclusions, monsieur le secrétaire d’État, et, plus largement, des travaux du Sénat, je pense que nous n’en serions pas là. J’espère donc, j’y insiste, que vous saurez à l’avenir vous inspirer du Sénat, d’autant que celui-ci ne fait pas payer de droits d’auteur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, sur l’article.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Cette proposition de loi du groupe Union Centriste aura au moins eu le mérite de mettre l’accent sur un sujet cher au cœur des Français. La question a suscité, ici, quelques tensions ; imaginez donc, monsieur le secrétaire d’État, celles qu’elle a pu engendrer au sein du peuple, parmi tous ces gens qui ont besoin de leur voiture, tous les jours, pour travailler, emmener les enfants à l’école, aller chercher le petit au foot, ou même partir accoucher !

J’ai bien entendu le Gouvernement nous promettre de revenir sur la limitation à 80 kilomètres par heure. Nombre de mes collègues sénateurs ont usé de l’argument, estimant qu’il n’était pas utile de voter ce texte puisque le Gouvernement entendait revenir sur la décision. Mais notre proposition de loi ne se limite pas à cette question ! Elle vise, je l’ai dit, le premier point perdu, ce premier point, sur les douze du permis, que l’on récupère après six mois d’attente.

Cela aurait été un geste fort en direction des Français, pour leur dire qu’ils étaient entendus. Or j’ai bien peur qu’on ne les entende pas suffisamment. Non seulement on ne les entend pas suffisamment, mais les arguments avancés dans l’hémicycle semblent en définitive assez contradictoires. Je vois bien que l’on a du mal à se sortir de toutes ces histoires… On voudrait plus de sécurité routière, moins de morts sur les routes – tout le monde est d’accord sur ces points – et, en même temps, au passage, on voudrait gagner un peu d’argent. Les radars représentent tout de même une manne financière ! D’ailleurs, combien coûteront tous ces radars détruits sur le bord des routes ? Le produit des amendes, me semble-t-il, servira d’abord à les remplacer, avant de servir à la construction d’hôpitaux.

On m’a soufflé que, si je fais tout ça, c’est parce que je n’ai plus de point. Non, ma démarche n’a rien de personnel ! J’ai douze points sur mon permis ; je n’ai pas encore fait de stage ; je n’ai pas l’expérience de certains de mes collègues, et j’espère ne jamais l’avoir, même si cela peut arriver à tout le monde et que je ne veux stigmatiser personne. Simplement, il s’agit pour le Sénat d’envoyer un signal fort aux Français. C’est notre rôle que de défendre les territoires et leurs habitants ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.

M. Jean Louis Masson. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir répondu à la question que j’ai soulevée concernant le péage autoroutier de Boulay. Je voudrais formuler deux remarques à ce sujet.

Tout d’abord, il ne s’agit pas du tout d’une expérimentation. La SANEF présente le dispositif comme ayant vocation à être généralisé. J’attire donc l’attention de mes collègues : s’il s’agit du premier péage de France à être transformé de la sorte, il en ira de même partout !

Ensuite, vous n’avez fait que reprendre l’argumentaire de la SANEF, selon lequel le trafic sera fluidifié et les véhicules passeront plus rapidement, mais il n’est pas question d’obliger les gens à prendre un abonnement. Certes, mais personne n’oblige la SANEF à supprimer corrélativement les guérites et les automates de péage où on peut payer directement. Comment expliquer à une personne ne souhaitant pas utiliser le nouveau dispositif qu’elle va passer plus rapidement si elle est obligée de s’arrêter, de descendre de son véhicule pour aller retirer un ticket dans une guérite située trente mètres plus loin, avant de remonter dans sa voiture et, une fois chez elle, de devoir effectuer le paiement ?

La SANEF se moque du monde ! C’est un faux argument, d’une malhonnêteté totale, et je pense, monsieur le secrétaire d’État, que vous en êtes conscient. Il serait bon que vous fassiez remonter cela à la société autoroutière et que vous l’encouragiez à trouver des arguments un peu plus honnêtes et crédibles.

Si la SANEF veut créer une ligne permettant aux véhicules de passer librement, personne ne l’en empêche ! Tout le problème vient du fait qu’elle entend obliger les usagers à prendre un abonnement, en pourrissant la vie de ceux qui n’en ont pas. On va leur faire perdre plus de temps que celui qu’ils gagnent en prenant l’autoroute !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Le sujet que nous traitons est en effet extrêmement sensible. Nous sommes toutes et tous favorables à la sécurité routière.

Comme l’a rappelé notre collègue auteur de cette proposition de loi, ce texte a le mérite de soulever des problèmes essentiels qui concernent toute la population, mais il me semble qu’il faut se poser les bonnes questions. Nos concitoyens sont nombreux, partout, à nous dire que les sénateurs et députés ont voté la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure ou encore le retrait de six points du permis des automobilistes n’ayant pas laissé passer un piéton sur un passage piéton. Mais il n’en est rien ! À quoi servons-nous ? Il faut se le demander !

Les textes de loi, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou parlementaire, sont destinés à modifier les codes, qui, dans notre société, sont au nombre de 70 ou 80 et parmi lesquels figure le code de la route. Notre débat de ce jour porte bien sur la modification de ce code ; pourtant, nous ne sommes pas à l’origine de ces décisions, qui ont été des mesures réglementaires. Il faut donc se poser les bonnes questions.

Prenons la perte de six points si vous ne laissez pas passer un piéton. Nous sommes piétons aussi ! Nous savons qu’il faut attendre que le petit bonhomme passe au vert pour traverser ! Parfois, vous vous arrêtez pour laisser passer un piéton qui se trouve juste à côté d’un passage piéton et voilà qu’il ne traverse pas, parce qu’il attend quelqu’un !

Oui, la sécurité routière reste une priorité, mais il y a aussi le problème du comportement à adopter en permanence et du respect des panneaux de signalisation, par exemple les triangles, pointe en haut, qui indiquent de ralentir.

Je me rallierai à la position de la commission des lois et de notre groupe parlementaire, mais il faut changer nos mécanismes de fonctionnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.

M. Henri Cabanel. La discussion de ce jour a effectivement le mérite de revenir sur le fond du problème, qui est, comme l’ont signalé plusieurs orateurs, l’abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale sur certaines routes. La méthode employée n’a pas été la bonne et les vraies questions n’ont pas été posées comme elles auraient dû l’être.

Quel est notre objectif en termes de taux de mortalité sur les routes ? Il y a beaucoup trop de morts, c’est certain, mais je rappelle tout de même qu’en 1970, pour 14 millions de véhicules en circulation, on dénombrait plus de 18 000 tués sur les routes chaque année et que, à l’heure actuelle, ce chiffre s’élève à plus de 3 500 morts pour 39 millions de véhicules en circulation. C’est encore beaucoup trop, mais quel seuil voulons-nous atteindre ? Moins de 3 000 ? Moins de 2 000 ? Moins de 1 000 ? Pensez-vous, mes chers collègues, que la vitesse est le seul levier pour régler les problèmes de sécurité routière ? Jusqu’où va-t-on l’abaisser ?

On a voulu mettre en place toute une série d’autres mesures – je pense notamment à celles qui concernent l’état des véhicules et le contrôle technique –, mais il me semble que l’on a oublié un aspect, dont l’évocation choquera peut-être certains de mes collègues : c’est le comportement du conducteur lui-même. Nous sommes ici une majorité à avoir passé le permis de conduire à dix-huit ou vingt ans. Or, jusqu’à la fin de nos jours, on ne nous demandera absolument rien !

J’aimerais que nous fassions une petite expérience à la fin de ce débat et que nous repassions tous notre code de la route, examen pour lequel, je le rappelle, il faut faire moins de cinq fautes. Combien le réussiraient ?

M. Jean-François Longeot. Bonne question !

M. Henri Cabanel. À mon avis, nous aurions de sacrées surprises.

Tout comme il existe une remise à niveau pour les permis poids lourds, il serait tout de même opportun de réfléchir à une formation et une remise à niveau de certains conducteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Je voudrais moi aussi profiter de ce débat pour évoquer la politique de sécurité routière du Gouvernement, tout en rappelant, naturellement, l’importance de se comporter de manière responsable sur la route.

La structure des vitesses maximales autorisées sur certains tronçons routiers a été terriblement complexifiée par l’abaissement à 80 kilomètres par heure. C’est devenu un véritable casse-tête ! Or, dans nos territoires ruraux, nous avons besoin de la voiture pour notre vie quotidienne. Je mentionnerai ainsi le cas d’un automobiliste de mon département qui, pour aller de son domicile à son travail, parcourt dix-huit kilomètres en sept tronçons, avec une variation constante de la vitesse maximale autorisée : il démarre par du 80 kilomètres par heure, puis passe à 110 avant de revenir à 80 ; il doit ensuite circuler à 90 kilomètres par heure, avant de revenir à 80, puis à 110 et enfin, de nouveau, à 80.

Certains usagers, comme celui-là et beaucoup d’autres, sont de bonne foi. Pensant respecter le code de la route ou n’ayant pas eu le temps d’adapter leur vitesse, ils font un léger excès de vitesse et se retrouvent pénalisés, à la fois, par une contravention et la perte de points.

Sur le terrain, monsieur le secrétaire d’État, la population juge vraiment la mesure d’abaissement de la vitesse à 80 kilomètres par heure comme une absurdité.

À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, j’ai organisé, non pas un grand débat, mais une petite consultation dans mon département. Les usagers qui m’ont répondu sont assez unanimes pour dire que, si la limite à 80 kilomètres par heure est compréhensible sur des routes de campagne sinueuses et dangereuses, quitte à l’abaisser, même, à 70 kilomètres par heure en cas de danger véritable ou de mauvais état, elle ne l’est pas sur des grands axes : routes nationales ou routes droites. Ils sont favorables à la concertation départementale pour adapter la réduction des vitesses maximales aux réalités de chaque territoire et assurer pleinement la sécurité routière.

La prise de décision, on le voit bien, doit être décentralisée. Appuyez-vous sur les acteurs de terrain, monsieur le secrétaire d’État. Qui de mieux placé que les élus locaux pour exprimer des positions de bon sens ? C’est pourquoi je vous invite à reprendre à votre compte les propositions du Sénat.

Si vous acceptez de rétropédaler – ce sera peut-être le cas à l’issue de la grande concertation –, je souhaiterais savoir quel sera l’impact financier pour les collectivités territoriales de votre inconstance politique et du changement des panneaux de signalisation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Le débat que nous avons est à l’image de celui qui se tient, au quotidien, dans nos communes. Chacune ou chacun voudrait que les voitures roulent moins vite quand elles passent devant son domicile, là où ses enfants traversent, dans les espaces de circulation de piétons, mais chacune ou chacun se plaint aussi du nombre trop élevé de dos d’âne, de chicanes, de ralentisseurs en tous genres, qui rendent la circulation impossible dans le village voisin.

Il y a là une contradiction, que l’on retrouve en matière de sécurité routière comme dans de nombreux autres champs sociaux, dans le rapport aux normes. Elle est liée à ce besoin de sécurité que, toutes et tous, nous appelons de nos vœux, mais jugeons parfois excessif quand il s’agit de s’appliquer à soi-même les règles qu’il sous-tend. Toutefois, la présente proposition de loi ne vise ni à réaffirmer la volonté de supprimer la mesure d’abaissement de la vitesse maximale à 80 kilomètres par heure pour renvoyer la fixation des limites maximales – 80 ou 90 kilomètres par heure – à la concertation, y compris départementale, ni à revenir sur un sujet qui nécessiterait un vrai débat en soi. Je veux parler de la pertinence du permis à points et de son efficacité en matière de lutte contre la violence routière et, principalement, contre les excès de vitesse.

Prenons cette mesure permettant, en cas d’infraction légère, de récupérer ses points au bout de six mois. Peut-être faudrait-il poursuivre la discussion sur ce point… Si les six mois ne sont pas pertinents, allons jusqu’au bout, considérons qu’il n’est pas pertinent de sanctionner par la perte d’un point ce type d’infractions – les excès de plus ou moins 10 ou 20 kilomètres par heure – et contentons-nous, dans de tels cas de figure, d’infliger une amende. La question serait alors réglée ! Mais ramener le délai à trois mois… Quand on sait comment sont gérés la notification et le paiement de la contravention, l’annonce de la suppression du point et, plus tard, l’annonce de sa récupération, cela ne peut se faire dans un tel délai. Même avec les meilleurs services dans votre administration, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas possible.

Je crois donc qu’il faut aller jusqu’au bout. Soit on maintient le délai actuel de six mois et on agit sur la question de la régulation routière sur l’ensemble de nos routes, soit on revient sur la question du permis à points. Dans tous les cas, c’est un autre débat que celui qui est posé ici.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.

M. Jean-François Longeot. Il faut, je crois, que nous revenions au cœur de ce débat, à la proposition de loi. Quel en est l’objet ? Tout simplement de réduire le délai de récupération d’un point de permis perdu à la suite d’un petit excès de vitesse – 86 kilomètres par heure au lieu de 80, par exemple. Pour qui cette mesure aura-t-elle de l’importance ? Pour ceux qui roulent, notamment ceux qui roulent beaucoup, ceux qui ont besoin d’utiliser leur véhicule pour aller chaque jour travailler ou, comme les représentants, pour travailler.

Effectivement, ce dossier tourne autour de la sécurité routière. Ne croyez pas, mes chers collègues, que celle-ci nous importe peu ou que nous ne souhaitons mettre aucune mesure en place en ce sens. Mais est-on capable, aujourd’hui, de donner des chiffres précis concernant les accidents mortels, notamment pour distinguer ceux qui surviennent entre le lundi matin et le vendredi soir, c’est-à-dire à des moments où de nombreux professionnels circulent, et ceux, plus nombreux, qui surviennent durant le week-end ?

Par ailleurs, il me semble que vous vous trouviez dans le Val de Loire la semaine dernière, monsieur le secrétaire d’État, et je viens justement de trouver des chiffres concernant l’Indre-et-Loire. On a dénombré, dans ce département, 34 morts sur la route en 2016, 32 en 2017 et 39 en 2018. Je crois donc que la vitesse ne peut être considérée comme le seul levier, dès lors que l’abaissement de la vitesse maximale n’a pas forcément porté ses fruits.

Nous n’entendons pas remettre en cause la sécurité routière, mes chers collègues. Nous souhaitons simplement laisser à une personne ayant besoin d’effectuer de nombreux déplacements, notamment du fait de son travail, la possibilité de récupérer un point perdu en trois mois, au lieu de six.

Pour répondre à Mme Cukierman, si cette réduction du délai pose uniquement un problème administratif, passons-le à neuf mois pour nous donner un peu plus de temps administratif ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.

M. Michel Raison. Les conclusions du rapport sénatorial présentent, j’y insiste une nouvelle fois, un double intérêt : le premier en matière d’acceptabilité et d’efficacité, le second sur le plan démocratique.

Le président Larcher a dit hier soir, en présentant ses vœux, que nous devions aller vers plus de décentralisation. Si nous voulons que notre pays fonctionne mieux, que la démocratie soit plus proche du citoyen, il nous faut, en effet, décentraliser plus – mais pour de bon : il ne s’agit pas que les hauts fonctionnaires reprennent le pouvoir le lendemain ! Adopter cette mesure améliorera la démocratie de proximité, donc l’acceptabilité et l’efficacité des règles. Il semble que le Président de la République l’ait compris.

Pourquoi aussi ne pas imaginer dans un certain nombre de départements, de façon expérimentale, des solutions innovantes en matière de sécurité routière ? Les idées bouillonnent plus dans nos départements réunis que dans un petit bureau de Premier ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, sur l’article.

M. Yves Détraigne. Il faut être conscient que beaucoup de gens ont aujourd’hui besoin de leur voiture quotidiennement, pour aller à leur travail et en revenir ou pour faire leurs courses, par exemple. Veut-on leur faciliter vraiment la vie ou au contraire les ennuyer ?

Il serait sage de nous rappeler la formule de Georges Pompidou, à qui ses collaborateurs faisaient signer des textes réglementaires en pagaille : arrêtez d’emmerder les Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Laurent. Il avait raison !

M. Yves Détraigne. On n’arrête pas de brider nos concitoyens,…

M. Alain Fouché. C’est vrai !

M. Yves Détraigne. … et puis on s’étonne qu’ils descendent dans la rue – cela n’a d’ailleurs rien à voir avec les « gilets jaunes ». Quand cela vaut le coup, réglementons, mais laissons aussi nos concitoyens respirer !

M. Yves Détraigne. Le nombre d’accidents et de décès n’a plus rien à voir avec ce qu’il était voilà une génération.

M. Laurent Duplomb. Exactement !

M. Yves Détraigne. Sans compter que les automobiles d’aujourd’hui sont équipées de technologies d’assistance au freinage ou d’alerte sonore en cas de dépassement de la vitesse autorisée.

Nous avons donc tout ce qu’il faut pour être raisonnable. N’en rajoutons pas !

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les personnes ayant été verbalisées pour excès de vitesse sur une section limitée à 80 km/h bénéficient d’un sursis pour le retrait de point sur leur permis de conduire à condition que la vitesse retenue ne dépasse pas 85 km/h.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Parce qu’il faut trouver une solution au mécontentement, je propose d’octroyer un sursis aux conducteurs dont la vitesse retenue ne dépasse pas 85 kilomètres par heure. Une vitesse retenue de 85 kilomètres par heure correspondant à une vitesse réelle de 90 kilomètres par heure, les automobilistes ne perdront de point que s’ils dépassent 90 kilomètres par heure – ce qui sera déjà plus strict qu’avant, puisque, en pratique, on ne verbalisait qu’au-delà de 95 kilomètres par heure.

Mme Cécile Cukierman. La relativité de la loi, c’est un nouveau concept…

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. M. Masson propose une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition de loi : plutôt que de réduire la durée de récupération des points, il suggère d’instaurer un sursis pour le retrait de point dans le cas d’excès de vitesse inférieurs à 5 kilomètres par heure commis sur les routes limitées à 80 kilomètres par heure.

Cet amendement n’est pas sans intérêt, car il vise à valoriser les comportements les plus vertueux sur la route et à ne pas pénaliser démesurément les conducteurs les plus responsables. Toutefois, le dispositif proposé paraît inabouti, dans la mesure où il ne détermine pas avec suffisamment de précision les conditions du sursis. En particulier, ni la durée de celui-ci ni les conditions dans lesquelles il pourrait y être mis fin ne sont précisées.

Surtout, compte tenu de la complexité de la matière, il paraît préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la réalisation d’une étude d’impact approfondie, afin d’assurer l’efficacité des mesures adoptées et d’éviter tout effet indésirable pour la sécurité routière. Cet argument vaut pour cet amendement comme pour l’ensemble de la proposition de loi.

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Pour être mise en œuvre, la mesure proposée suppose la création d’une nouvelle infraction : l’excès de vitesse de 5 kilomètres par heure ou moins sur les routes bidirectionnelles. Cela viendrait complexifier et alourdir la réglementation applicable, pour un effet dont on peut penser qu’il serait en réalité très limité, compte tenu du délai actuel de six mois. Le temps réel de récupération des points serait quasiment égal à ce qu’il est déjà. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Avec mon expérience parlementaire, je pensais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne seriez pas favorable à ma proposition… Reste que je ne suis pas convaincu par votre argument. Je ne crée pas une nouvelle infraction : je propose, pour une infraction existante, qu’un sursis soit accordé pour le retrait de point. Il s’agit donc d’assouplir une pénalité prévue pour une infraction qui existe.

Mme Cécile Cukierman. C’est bien la première fois que vous proposez d’assouplir une règle en matière de sécurité !

M. Jean Louis Masson. La meilleure preuve en est que je ne propose pas la suppression de l’amende. L’infraction demeurerait, mais avec une pénalité allégée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

trois

par le mot :

quatre

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Je me suis demandé : pourquoi prévoir trois mois et non pas quatre ? Telle est la simple raison de cet amendement…

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. M. Masson propose de fixer la durée de récupération du point pour les infractions au code de la route les plus légères non pas à trois, mais à quatre mois, contre six aujourd’hui. Cette légère augmentation de la durée de récupération ne suffirait pas à résoudre les problèmes qui ont conduit notre commission à ne pas adopter la proposition de loi. L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Comme je l’ai expliqué dans la discussion générale, la réduction à six mois du délai de récupération opérée par la loi de 2011 nous paraît être un point d’équilibre tout à fait satisfaisant.

En 2017, 6 millions de titulaires du permis de conduire ont bénéficié d’une telle restitution, un nombre en augmentation importante par rapport à l’année précédente. Je répète que nous avons assoupli les conditions dans lesquelles un stage de récupération peut être suivi, désormais tous les ans. Par ailleurs, en 2017, 121 titulaires du permis ont fait l’objet d’une invalidation pour solde de points nul après n’avoir commis qu’un seul type d’infraction conduisant à la perte d’un point.

Une nouvelle réduction du délai de récupération ne nous paraît donc pas nécessaire. L’avis est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Nous espérons que la décentralisation dont a parlé Michel Raison sera rapidement mise en œuvre pour les décisions relatives aux limitations de vitesse à 80 ou 90 kilomètres par heure. Ces décisions devraient être prises par le préfet et le président du conseil départemental, qui connaissent précisément les routes et les sections dangereuses. Le Président de la République et le Gouvernement ne doivent pas s’occuper de tout !

En attendant cette décentralisation, la possibilité de récupérer un point en trois mois au lieu de six bénéficierait aux habitants des zones périurbaines et rurales, qui ont absolument besoin de leur voiture pour se rendre à leur travail. C’est pourquoi, avec la très grande majorité des membres de mon groupe, je voterai la proposition de loi.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 44 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 86
Contre 255

Le Sénat n’a pas adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie
Article unique

Santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie (proposition n° 185, texte de la commission n° 238, rapport n° 237).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

(Conforme)

Le directeur général de l’agence régionale de santé peut autoriser, au sein des établissements mentionnés au I de l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles, à titre expérimental, à compter de la date fixée par arrêté du ministre chargé de la santé et jusqu’au 31 décembre de la troisième année suivant cette même date, les opticiens-lunetiers à réaliser une réfraction et à adapter, dans le cadre d’un renouvellement de délivrance :

1° Les prescriptions médicales initiales de verres correcteurs en cours de validité, sauf opposition du médecin ;

2° Les corrections optiques des prescriptions médicales initiales de lentilles de contact oculaire, sauf opposition du médecin.

L’opticien-lunetier informe la personne appareillée que l’examen de la réfraction pratiqué en vue de l’adaptation ne constitue pas un examen médical.

Un arrêté du ministre chargé de la santé définit les régions participant à l’expérimentation mentionnée au premier alinéa du présent article, dans la limite de quatre régions.

Un décret fixe les conditions d’application du présent article, notamment les conditions de délivrance de l’autorisation aux opticiens-lunetiers dans les régions retenues pour participer à l’expérimentation et les conditions de réalisation de l’examen de la réfraction en vue de l’adaptation dans ces établissements.

Au plus tard dans les quatre mois précédant la fin de l’expérimentation, un rapport d’évaluation est réalisé par le Gouvernement et transmis au Parlement.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pour sept minutes, enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité de vie des personnes âgées et l’accompagnement de la perte d’autonomie sont deux priorités que s’est fixées le Gouvernement. Comme vous tous, nous sommes convaincus que mieux prendre en charge nos aînés est un devoir de solidarité.

Plusieurs réformes sont déjà en cours pour avancer vers une société plus inclusive et protectrice pour les personnes âgées. Je pense en particulier à la transformation du système de santé autour du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques, aux nouvelles synergies entre médecine de ville, secteur médico-social et hôpital et à la suppression progressive du reste à charge pour les assurés dans les domaines de l’optique, du dentaire et de l’audiologie.

Cette dernière réforme, majeure, répondra aux attentes des personnes âgées, qui auront plus facilement accès à un ensemble de prestations de soins identifiées et nécessaires : bien voir, bien entendre et soigner son hygiène bucco-dentaire. Concrètement, depuis le 1er janvier, la base de remboursement des aides auditives est passée de 200 à 300 euros, soit 200 euros de reste à charge en moins par oreille. Dès 2020, l’absence de reste à charge sera garantie en optique et sur une partie du panier dentaire : les couronnes et les bridges.

L’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées passe aussi par une transformation en profondeur de la manière dont est reconnu et pris en charge le risque de perte d’autonomie lié au vieillissement.

Comme vous le savez, le Gouvernement a lancé en octobre dernier une vaste concertation et un débat national autour du grand âge et de la perte d’autonomie. Cette mission, conduite par Dominique Libault, formulera des propositions d’ici au mois de mars, afin de couvrir l’ensemble des aspects de la prise en charge des personnes âgées. Un projet de loi sera ensuite déposé devant le Parlement.

Sans remettre en cause ces différents travaux, qui s’inscrivent sur le temps long, la proposition de loi soumise à votre examen vise à répondre à un problème précis et concret : l’accès aux soins ophtalmologiques dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.

Comme il a été unanimement reconnu en commission, le dispositif actuel ne permet pas aux personnes âgées hébergées dans ces établissements de disposer de lunettes adaptées à leur correction. Obtenir un rendez-vous est déjà délicat pour les patients qui souhaitent faire contrôler leur vue ; cela s’avère un parcours du combattant pour les personnes âgées en établissement.

Au regard des projections démographiques de la profession d’ophtalmologue établies par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, les difficultés d’accès à une consultation ophtalmologique sont appelées à perdurer. Des mesures ont été prises pour étendre les champs de compétence des orthoptistes et des opticiens-lunetiers, mais, chacun en convient, elles n’ont pas résolu l’ensemble des problèmes.

L’article unique de la proposition de loi visait initialement à lever une restriction, afin de permettre aux personnes âgées hébergées en EHPAD de bénéficier d’un test de réfraction et d’une adaptation de leur correction sans avoir à se déplacer chez un opticien. Néanmoins, si les préoccupations sont légitimes et partagées, il est compliqué de légiférer sur ce sujet sans s’assurer au préalable que les conditions de qualité et de sécurité des soins sont réunies. Or, chez le patient âgé, les pathologies oculaires, qui peuvent se traduire par une baisse de l’acuité visuelle, sont fréquentes et nombreuses. Seul un examen ophtalmologique complet permet de les détecter, un examen que l’opticien n’est pas en mesure de faire. Pour cette raison, le Gouvernement appuie la position adoptée par l’Assemblée nationale, qui privilégie la voie de l’expérimentation.

Le texte prévoit ainsi d’autoriser les opticiens-lunetiers à réaliser directement dans les EHPAD une réfraction et à adapter, dans le cadre d’un renouvellement, les prescriptions médicales. Cette expérimentation n’étend donc pas les compétences des opticiens-lunetiers ; elle leur permet seulement de délocaliser l’exercice de leur activité au plus près de personnes ne pouvant se déplacer.

J’ai entendu les critiques qui se sont exprimées en commission sur le manque d’ambition de ce texte.

Cette proposition de loi a été déposée par le groupe UDI, Agir et Indépendants. Le Gouvernement y apporte un soutien que je qualifierai de pragmatique, mais il ne s’agit nullement d’éluder le sujet plus large de l’accès aux soins. Je rejoins les propos que vous avez tenus la semaine dernière en commission : nous devrons ouvrir le chantier plus large de l’organisation de la filière visuelle.

Pour répondre aux difficultés d’accès aux soins dans les territoires, il nous faut également nous appuyer davantage sur le numérique. C’est le sens de l’entrée dans le droit commun des pratiques médicales de la télémédecine en 2018. La téléconsultation est ainsi remboursée par l’assurance maladie depuis le 15 septembre dernier, à l’instar des consultations classiques.

Nous héritons d’une démographie médicale en souffrance, et les décisions louables sur le numerus clausus mettront plusieurs années à porter leurs fruits. Aussi toutes les solutions doivent-elles être explorées.

Le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé se construit dans le souci de structuration des soins de proximité et de constitution d’un collectif de soins. Des ponts et des outils de coopération doivent être créés entre hôpital, ville et secteur médico-social. Nous sommes convaincus que l’exercice coordonné a vocation à se développer, et chacune de nos propositions visera à fluidifier le parcours des patients et à améliorer la qualité, la sécurité et la pertinence des soins dispensés. (MM. Claude Kern et Jean-François Longeot applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné le 16 janvier dernier, en application de la procédure de législation en commission, la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe UDI, Agir et Indépendants, relative à la santé visuelle des personnes âgées hébergées en établissement. L’adoption conforme de ce texte et sa promulgation prochaine ouvriront à l’opticien-lunetier la possibilité d’accomplir dans l’établissement un test de réfraction de l’acuité visuelle du résident, ainsi que l’adaptation éventuelle de l’équipement optique de celui-ci, deux actes qu’il était jusqu’ici contraint de réaliser en magasin.

Bien qu’elle ait adopté cette proposition de loi, qui apporte un assouplissement bienvenu à la pratique des soins optiques destinés aux personnes âgées, la commission des affaires sociales n’a pas manqué de faire part à Mme la secrétaire d’État des attentes immenses qui subsistent en matière d’accès aux soins visuels.

Offrir la possibilité aux opticiens d’exercer leur art en établissement est, sur le papier, un indéniable progrès. Je crains néanmoins que l’effet de cette mesure ne se révèle dans les faits particulièrement limité. En effet, la possibilité pour l’opticien d’adapter l’équipement optique d’une personne âgée restera conditionnée à la production par cette dernière d’une ordonnance délivrée par un ophtalmologiste moins de trois ans auparavant. Or nous savons tous que, du fait des difficultés d’accès de la population à des soins ophtalmologiques très contraints par la démographie médicale, cette condition de délai est rarement remplie au moment d’une entrée en EHPAD. En conséquence, le nouveau droit ouvert risque fort de ne pas trouver à s’appliquer.

Indubitablement, le vrai problème, auquel cette proposition de loi ne répond pas, demeure celui de l’accès au prescripteur médical.

Comme déléguée à l’accès aux soins auprès de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, je suis intimement convaincue que le principal défi aujourd’hui posé au législateur concerne la délégation d’actes médicaux. Relever le principal défi qui se pose aux territoires supposera d’impliquer tous les professionnels de la santé visuelle.

La pénurie croissante de l’offre de soins en ophtalmologie a provoqué la mobilisation de tous les professionnels de la filière. Des expériences sont menées, à l’instar de la réflexion sur le rapprochement des trois « O » : ophtalmologistes, orthoptistes et opticiens-lunetiers.

Professionnels de santé appelés à jouer un rôle de plus en plus important au sein de la filière visuelle, les orthoptistes connaissent une montée en compétences. La loi de modernisation de notre système de santé, dont j’avais assuré le rapport au côté de notre président, Alain Milon, et de ma collègue Catherine Deroche, avait redéfini les termes de leur collaboration avec les ophtalmologistes, afin de leur permettre d’accomplir les actes médicaux de premier recours. Bien que porteuse d’indéniables progrès, cette loi doit être retravaillée et approfondie, afin que la filière visuelle s’approprie pleinement les possibilités nouvelles offertes, notamment, par la télémédecine.

En l’état actuel de notre droit, et malgré l’adoption de la présente proposition de loi, je crains fort que l’équipement optique des personnes âgées accueillies en établissement ne continue à pâtir d’une offre de soins faiblement accessible et inégalement distribuée sur le territoire national.

Un autre regret me vient des modifications apportées par l’Assemblée nationale en séance publique au texte initialement conçu par ma collègue députée Agnès Firmin Le Bodo. Alors que son intention première était d’habiliter les opticiens à réaliser directement des opérations de réfraction et d’adaptation en EHPAD, le groupe La République En Marche a décidé de rendre nécessaire une autorisation préalable du directeur général de l’agence régionale de santé, ce qui risque de compliquer l’accès au droit créé.

D’après nos collègues députés de la majorité, les gestionnaires d’EHPAD auraient pu être tentés de signer des conventions anticoncurrentielles avec un ou plusieurs opticiens partenaires. Dans la mesure où ces conventions sont déjà incluses dans le contrôle de qualité externe auquel les EHPAD sont obligatoirement soumis depuis la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, je considère cette précaution comme superflue : au lieu de protéger la personne, elle risque de la priver de l’opportunité offerte par ce texte.

Plusieurs membres de la commission des affaires sociales, auxquels je me joins, se sont également émus de ce que l’adoption d’un texte aussi modeste révèle de l’importance de l’initiative parlementaire…

Madame la secrétaire d’État, les sénateurs sont désireux de vous épauler dans la conduite des grands projets sociaux que vous soumettrez à notre examen au cours de cette année et que vous venez de décrire. Ils ne demandent qu’à vous apporter la richesse et l’expérience que leur confèrent leurs connaissances de terrain.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à améliorer la santé visuelle des personnes âgées hébergées en EHPAD. Pour cela, elle prévoit d’ouvrir la possibilité, pour les opticiens, de se déplacer dans les EHPAD en vue de réaliser sur place des tests d’acuité visuelle, appelés aussi tests de réfraction, et de déceler la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatisme et la presbytie.

Ce texte vise à répondre à deux problèmes sous-jacents qui touchent les personnes âgées : les pertes de mobilité et la forte prévalence des troubles de la vue au sein de cette population.

Pour faire face à la pénurie d’ophtalmologistes, les opticiens sont habilités à pratiquer des examens pour mesurer la vision et délivrer un équipement adapté, mais seulement dans leur magasin afin de corriger des troubles de la réfraction. Une étude bordelaise portant sur 700 personnes âgées en moyenne de quatre-vingt-quatre ans estime que 40 % des individus questionnés présenteraient des troubles de la réfraction non corrigés.

Cette forte proportion s’explique par différents facteurs : faible disponibilité des ophtalmologistes, éloignement des opticiens, négligence, perte de mobilité, perception d’un coût élevé ou résignation chez les personnes âgées. Cela est encore plus vrai en EHPAD où les pensionnaires, souvent très dépendants, ne peuvent se rendre chez l’opticien, le transport n’étant pas pris en charge.

Pourtant, nous savons que le dépistage et la correction des troubles visuels constituent un point important dans la préservation de l’autonomie et de la qualité de vie. En effet, les troubles de la vue sont susceptibles de favoriser les chutes et d’occasionner des fractures du col du fémur. Les opticiens proposent d’améliorer l’accès à la santé visuelle des résidents en EHPAD en pratiquant des examens pour dépister les troubles de la réfraction et engager des actions de prévention et d’accompagnement de la santé visuelle au sein de ces établissements.

Nous mesurons l’importance d’adopter cette proposition de loi conforme. Cependant, il serait souhaitable d’y associer un dispositif d’information destiné au médecin traitant, visant à l’informer des résultats de l’examen mis en œuvre par l’opticien, en particulier lorsque des troubles de la réfraction ou des troubles associés ont été détectés, et de la nécessité d’une consultation ophtalmologique. Il serait également judicieux de permettre aux orthoptistes de pratiquer leurs examens en EHPAD sous l’autorité d’un ophtalmologiste.

Cette proposition de loi prévoit de lever le frein d’accès aux soins visuels de nos aînés qui résident en EHPAD concernant les troubles de réfraction. Notre groupe soutient cette avancée importante pour nos aînés en EHPAD, malgré la restriction de son application aux seules ordonnances de moins de trois ans de l’ophtalmologue.

Plus généralement, dans le cadre des travaux sur la perte d’autonomie, l’amélioration du parcours de soins et de la qualité de service en EHPAD est une priorité. D’ici à 2040, 7 millions de personnes auront plus de quatre-vingts ans, la dépendance débute en moyenne à quatre-vingt-trois ans. Le nombre de personnes dépendantes aura doublé en 2050, passant de 1,3 million à 2,6 millions.

La France se caractérise par un taux élevé en EHPAD : 40 % des personnes âgées en perte d’autonomie. Des mesures de maintien à domicile doivent être améliorées en faveur des aidants, en revalorisant les salaires des intervenants, en augmentant les SSIAD, en mettant en place de l’accueil de jour, mais l’hébergement en EHPAD restera incontournable : grande dépendance, personnes seules, troubles cognitifs.

Le personnel soignant – aides-soignantes, infirmières – devra être augmenté, et donc la dotation soins aux EHPAD majorée pour avancer vers un encadrement plus important, préalable à une prise en charge décente de nos aînés.

Si la sécurité sociale est à l’équilibre et la CADES remboursée en 2024, il y aura, à ce moment, une possibilité de financement qui pourrait être affecté aux personnes âgées. Toutefois, madame la secrétaire d’État, dès 2020, il faudra augmenter les dotations soins aux EHPAD de façon sensible.

Madame la secrétaire d’État, nous attendons votre annonce prochaine du projet de loi sur l’autonomie, qui devra, nous l’espérons, replacer la prise en charge des personnes âgées, notamment dépendantes, au centre de la société, avec une solidarité digne de nos aînés. En attendant, notre groupe votera bien sûr la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France compte aujourd’hui 1,5 million de personnes de quatre-vingt-cinq ans et plus. En 2016, près de 7 500 EHPAD accueillaient 608 000 personnes. Ces chiffres donnent la mesure des enjeux concernant le vieillissement de la population.

Le dispositif actuel ne permet pas aux personnes accueillies en EHPAD de disposer de lunettes adaptées à leur correction. L’obtention d’un rendez-vous avec un ophtalmologue est actuellement de 80 jours en moyenne. Cela s’avère encore plus compliqué pour les personnes âgées en établissement.

Cette situation risque encore de s’aggraver dans les années à venir. En 2030, la densité moyenne d’ophtalmologues libéraux devrait s’élever à six médecins pour 100 000 habitants, soit une diminution de 20 % par rapport à 2016. Ces difficultés d’accès à une consultation ophtalmologique sont donc appelées à perdurer.

De surcroît, les personnes âgées portent trop souvent des lunettes inadaptées : des chercheurs de l’INSERM ont publié récemment une étude qui montre que près de 40 % d’entre elles souffrent d’un trouble visuel mal corrigé. L’altération de la vue a une incidence directe sur l’autonomie et la sécurité des personnes âgées, car elle se répercute sur le risque de chutes, l’isolement et la perte d’autonomie.

Enfin, les difficultés de mobilité des personnes âgées compliquent l’accès à des consultations en dehors de l’EHPAD.

À la suite de ces différents constats, cette proposition de loi permettra d’offrir la possibilité aux opticiens-lunetiers de pratiquer des tests de réfraction et des adaptations de verres correcteurs ou de lentilles de contact au sein des EHPAD.

La correction de la vue doit d’abord être prescrite par un ophtalmologue, la prescription peut ensuite être adaptée par un opticien-lunetier. Cette adaptation est effectuée dans le cadre d’une opération dite « de réfraction », au cours de laquelle le professionnel mesure le défaut optique et détermine la qualité de l’équipement à fournir. Depuis 2007, les opticiens sont autorisés à réaliser des tests d’acuité visuelle dits de « réfraction » afin d’adapter les ordonnances délivrées par les ophtalmologues.

Toutefois, cette proposition de loi ne concerne que les modalités de renouvellement de l’équipement optique des personnes hébergées en établissement.

De plus, la portée de ce texte a malheureusement été restreinte à la suite de l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’un amendement de réécriture de son unique article. Cette réécriture a limité de manière excessive la possibilité d’intervention de l’opticien-lunetier en EHPAD en soumettant cette possibilité à l’autorisation préalable du directeur général de l’agence régionale de santé. Ce dernier ne pourra y recourir que dans un cadre expérimental et pour une durée de trois ans. Cette réécriture limite la désignation de quatre régions au plus dans lesquelles l’expérimentation pourra être menée.

Ainsi, une fois que les quatre seules régions auront été déterminées, la mise en œuvre de cette proposition de loi sera revêtue d’un caractère expérimental, et ce texte réservera au directeur général de l’ARS concernée le pouvoir de ne pas attribuer l’autorisation d’intervention de l’opticien-lunetier en EHPAD. Ces restrictions excessives risquent d’entraver sérieusement la mise en œuvre de ce texte. C’est tout à fait regrettable !

Il est dommage également que le champ de cette proposition de loi n’ait pas été élargi, alors qu’il s’agissait d’une opportunité pour étendre aux personnes âgées en EHPAD l’accès aux soins auditifs.

Enfin, ce texte aurait pu s’inscrire dans une vision d’ensemble de réorganisation de la filière visuelle.

Améliorer la prise en charge des personnes âgées est un devoir de solidarité. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi, en regrettant toutefois son manque d’ambition et les restrictions apportées par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie, déposée par la députée Agnès Firmin Le Bodo. Je me félicite que le groupe Union Centriste au Sénat ait choisi de reprendre le texte, qui fait l’objet d’un consensus transpartisan, en améliorant la vie quotidienne de nos aînés. En effet, cette proposition de loi permet de mieux prendre en compte la dépendance des personnes âgées en EHPAD et de tendre vers l’objectif d’un suivi médical accessible à tous les publics. Elle répond à une problématique réelle.

Nombreux sont les résidents en EHPAD qui pâtissent d’un équipement optique inadapté à leurs besoins. Une récente étude de l’lNSERM Alienor indique que 40 % des sujets âgés de plus de soixante-dix-huit ans n’ont pas de lunettes adaptées à leur vue. De plus, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous en ophtalmologie est aujourd’hui de cinquante-deux jours. À cette attente importante s’ajoute la difficulté de se déplacer des personnes en EHPAD, chaque rendez-vous nécessitant un accompagnement qui n’est pas aisé à mettre en œuvre.

Or la santé visuelle des personnes âgées ne doit pas être perçue comme secondaire. D’une part, comme pour chacun d’entre nous, elle est essentielle pour mener à bien toutes les activités du quotidien et, d’autre part, elle permet de réduire des risques graves auxquels nous sommes particulièrement exposés à un âge avancé, tels que les chutes, qui ont souvent des conséquences fatales.

Enfin, autre point non négligeable, la vue est un vecteur de sociabilité. Le rapport MONALISA – Mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés – montre que la France est le troisième pays d’Europe le plus touché par le problème de l’isolement : 5 millions de personnes de plus de dix-huit ans y font face en 2013, dont 23 % sont âgées de plus de soixante-quinze ans.

Les risques de solitude des personnes âgées sont nombreux, d’un point de vue tant psychologique que physique. L’impact de la solitude chez les personnes âgées peut être dévastateur, avec des dommages qui affectent tout le corps. L’isolement social est un aspect à prendre en compte dans l’évaluation clinique d’un patient âgé. En fait, la solitude représente un facteur de risque important pour l’altération de la fonction cognitive des personnes âgées.

L’objectif du présent texte, que le groupe La République En marche partage, est donc d’accompagner au mieux la perte d’autonomie des personnes en EHPAD, pour éviter d’accroître davantage leur dépendance.

Concrètement, cette proposition de loi doit permettre aux opticiens-lunetiers de venir à la rencontre des personnes qui en ont besoin. Rappelons qu’elle n’étend pas les compétences de ces derniers, qui ont déjà la possibilité de réaliser des tests d’acuité visuelle dits de « réfraction » dans leurs boutiques depuis 2017 ; mais elle délocalise leur exercice au plus près des personnes ne pouvant pas se déplacer.

La proposition de loi maintient également l’obligation d’une consultation médicale en ophtalmologie datant de moins de trois ans et s’inscrit, en outre, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et de la mise en place du reste à charge zéro.

Une telle expérimentation sera sans aucun doute bénéfique pour de nombreux résidents en EHPAD, dans un souci de prise en compte de leur situation de dépendance et dans le sens d’une plus grande fluidité du parcours de soins visuels. Elle est d’ailleurs particulièrement sensée en milieu rural, où l’accompagnement est difficile à mettre en place.

Enfin, elle participe à l’objectif du Gouvernement depuis le début de ce quinquennat, avec le programme « 100 % santé », à savoir favoriser l’accès aux soins, notamment pour les assurés sociaux les plus démunis, et faire reculer les inégalités de santé.

Cette proposition de loi, animée au même titre par cette double ambition sociale et sanitaire, recevra l’appui de notre groupe. Nous voterons donc à l’unanimité en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à titre liminaire, je regrette le recours, une fois de plus, à la procédure en commission, qui prive les textes de débats publics. Alors même que nos concitoyennes et concitoyens contestent nos institutions et demandent davantage de démocratie, de transparence sur les prises de décisions politiques, la majorité sénatoriale choisit cette procédure qui laisse les débats se dérouler en commission au détriment de la séance publique. À cela s’ajoute la pression du Gouvernement pour que nous adoptions conforme ce texte afin de garantir son application rapide, au détriment des prérogatives des parlementaires que nous sommes.

À l’heure où les « gilets jaunes » réclament davantage de démocratie avec la création du référendum d’initiative citoyenne et critiquent la démocratie représentative, le recours à la législation en commission et l’exigence de ne pas amender ce texte sont un mauvais signal envoyé, d’autant que nous en avons des choses à dire sur l’accès aux soins des personnes âgées dépendantes ! Or la proposition de loi de notre collègue députée Agnès Firmin Le Bodo, examinée aujourd’hui, apporte une réponse très limitée, en autorisant les opticiens à se rendre dans les EHPAD pour contrôler l’acuité visuelle des personnes.

L’Assemblée nationale a modifié ce texte en une simple expérimentation des opticiens-lunetiers à délocaliser leur exercice au profit des personnes ne pouvant se déplacer. Le secteur mercantile de l’optique va pouvoir se satisfaire de ce nouveau texte, qui s’ajoute aux libéralisations de la profession déjà en cours et au déficit chronique d’ophtalmologues.

Ainsi, plutôt que de chercher des solutions aux carences de professionnels de santé, ce texte propose une sorte de rustine en autorisant les opticiens-lunetiers à les remplacer partiellement. Il s’inscrit dans le droit fil de la loi Croissance et activité de 2014, dite « loi Macron », qui tendait à supprimer l’obligation d’ordonnance pour les verres correcteurs, et du décret du 12 octobre 2016, qui autorise les opticiens à adapter les prescriptions médicales des verres correcteurs et des lentilles de contact correctrices lors d’un renouvellement de délivrance et après réalisation d’un examen de la réfraction.

Autoriser les opticiens-lunetiers à réaliser des examens de réfraction dans les EHPAD est une solution simpliste qui ne répond pas aux racines du problème, à savoir le nombre insuffisant d’ophtalmologistes sur notre territoire et les difficultés d’accès aux soins. Nous regrettons d’ailleurs que ce texte se limite aux difficultés d’accès aux soins d’optique alors que les inégalités territoriales et les déserts médicaux concernent l’ensemble des généralistes et des spécialistes.

La santé visuelle des personnes dépendantes est un sujet très important, et, comme tous nos collègues, nous ne pouvons accepter que 40 % des personnes âgées de plus de soixante-dix-huit ans portent des lunettes non adaptées à leur vue. Nous savons que, pour une proportion importante d’entre elles, les difficultés financières expliquent les renoncements à modifier leurs lunettes.

En réalité, loin de résoudre les problèmes, vous allez prendre le risque d’en créer de nouveaux, en faisant entrer les opticiens dans les EHPAD. Ainsi, quelles garanties pouvez-vous nous apporter afin d’entourer, d’accompagner des personnes âgées dépendantes et naturellement fragiles face à des commerciaux intéressés à vendre leurs lunettes ?

Nous ne contestons pas l’importance du métier d’opticien-lunetier, qui se vérifiera encore davantage avec le vieillissement de la population et l’utilisation des écrans. Cependant, les ophtalmologues doivent demeurer la porte d’entrée pour les soins d’optiques.

Alors que le nombre d’ophtalmologues a diminué de 5,7 % entre 2007 et 2017 selon la DREES, il faut inverser la tendance. Nous proposons donc de supprimer le numerus clausus des ophtalmologues comme le Gouvernement l’a fait pour les médecins. C’est d’ailleurs le souhait du président du Syndicat national des ophtalmologistes de France, Thierry Bour : « Débloquer le quota des postes d’internes serait une mesure très efficace, car 100 % des postes produisent un ophtalmologiste diplômé cinq ans plus tard. »

Il est donc indispensable pour mon groupe de revaloriser la profession d’ophtalmologues et de favoriser les installations dans des centres de santé publics accessibles dans chaque canton, afin de lutter contre les inégalités territoriales.

Pour lutter contre les renoncements aux soins, nous proposons, comme nous le faisons à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, que les frais d’optique prescrits soient pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. C’est d’une tout autre logique que votre « 100 % santé », qui, comme nous l’avions dénoncé sans trouver d’écho auprès de Mme la ministre de la santé, Agnès Buzyn, se répercute auprès des assurés par une augmentation des mutuelles.

Nous regrettons enfin que le texte reste muet sur le fait que les personnes en perte d’autonomie ne puissent consulter facilement un professionnel de santé par manque de personnels dans les EHPAD.

En attendant de débattre avec la ministre de la santé de son projet de réorganisation de notre système de santé, qui répond peut-être positivement à certaines de nos propositions que j’ai brièvement exposées – on ne sait jamais, je peux formuler quelques vœux en ce mois de janvier, puisque les parlementaires que nous sommes ignorent tout de ce projet… –, nous voterons en faveur ce texte, qui va apporter une petite amélioration à la santé visuelle des personnes âgées en perte d’autonomie. Mais nous serons particulièrement attentifs aux conclusions de l’évaluation de cette expérimentation.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, est d’effet limité. Toutefois, elle est porteuse d’améliorations concrètes pour certains de nos concitoyens âgés.

Dans le prolongement du décret d’octobre 2016, ce texte relève d’un objectif simple : apporter une réponse aux difficultés d’accès aux soins visuels de nos aînés, en prévoyant d’autoriser les opticiens à pratiquer des tests de réfraction et des adaptations de verres correcteurs ou de lentilles de contact dans les EHPAD, et non plus seulement en magasin. La mise en œuvre des dispositions de cette proposition de loi permettrait donc de limiter – un peu – les effets du nombre insuffisant d’ophtalmologistes et d’améliorer la santé visuelle des personnes dépendantes.

L’accès aux soins visuels représente un défi démographique en France. Selon une étude publiée par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et des universités de Bordeaux et de la Sorbonne, 40 % des personnes âgées de plus de soixante-dix-huit ans portent des lunettes non adaptées à leur vue. Cette proportion élevée s’explique tant par des difficultés financières que par une forme de fatalisme des personnes en perte d’autonomie à l’égard des troubles de la vision, lesquels s’aggravent naturellement avec l’âge.

Une autre explication réside dans le développement des zones à faible présence médicale et dans la réduction du nombre d’ophtalmologistes au cours de ces dernières années : selon les estimations de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, celui-ci a diminué de 5,7 % entre 2007 et 2017. Le délai d’attente pour une consultation chez un ophtalmologiste est en moyenne de quatre-vingts jours : c’est un record, toutes spécialités médicales confondues. De plus, la Cour des comptes prévoit une chute de 20 % de la densité des ophtalmologistes d’ici à 2030.

Or, comme les troubles de l’audition, une vue déficiente produit des effets néfastes sur la santé d’une personne âgée. Elle se répercute sur sa qualité de vie et sur son autonomie, induisant une marche hésitante, des risques de chute, une dégradation des échanges sociaux.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui remédie en partie à cette situation. La réalisation d’examens visuels dans les EHPAD épargnerait aux aidants ou au personnel soignant de devoir déplacer les personnes en perte d’autonomie vers des lieux éloignés en vue d’une consultation ou de soins.

Pour les opticiens, ce nouveau droit complète l’autorisation octroyée par le décret du 12 octobre 2016, qui leur permet d’adapter les prescriptions médicales des verres correcteurs et des lentilles de contact correctrices dans le cadre d’un renouvellement de délivrance et après réalisation d’un examen de la réfraction. Mais, dans le cadre réglementaire actuel, ces examens doivent être réalisés dans un espace adapté, afin de garantir de bonnes conditions d’isolement phonique et visuel, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, dans un magasin d’optique-lunetterie.

Certes, la portée de cette proposition de loi est restreinte : elle ne s’inscrit pas dans une vision globale de réorganisation de la filière visuelle ; elle n’apporte pas non plus de solutions aux problèmes structurels d’accès aux soins visuels sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, les membres du groupe socialiste et républicain partagent le diagnostic établi et les propositions formulées, malgré les restrictions apportées par nos collègues députés. Nous soutenons donc l’adoption conforme du présent texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, chers collègues, nous sommes réunis pour voter la proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées : un intitulé ambitieux pour un texte qui, à mon grand regret, suscite quelque frustration, y compris dans les rangs du groupe RDSE.

Ce manque d’enthousiasme a bien sûr trait au contenu de la proposition de loi, et non à sa thématique : sur le fond, nous sommes nombreux, au sein de cette assemblée, à être très préoccupés par les inégalités d’accès aux soins, qu’elles soient sociales ou territoriales. Or c’est bien ce dont il s’agit.

La santé visuelle de nos aînés est un vrai sujet. De nombreuses études l’attestent : l’immense majorité des personnes âgées, y compris au sein de structures médicalisées comme les EHPAD, présentent des troubles visuels et leur équipement est inadapté. Cette problématique, dont la portée va bien au-delà de celle du présent texte, fera, je l’espère, l’objet de discussions lors de l’examen du futur projet de loi relatif au vieillissement.

Cela étant, revenons-en à la proposition de loi qui nous intéresse aujourd’hui ; elle s’inscrit dans un contexte de pénurie d’ophtalmologistes et, plus largement, de praticiens.

Les problèmes systémiques de la filière sont connus et appellent des réformes profondes. Le plan de transformation du système de santé qui sera présenté dans les prochains mois a au moins partiellement vocation, je l’espère, à répondre à la pénurie de praticiens. Toutefois, nous le savons, ces réformes en profondeur demanderont du temps : aussi devons-nous imaginer dès à présent des mesures simples et de court terme. Cette proposition de loi rappelle également que l’État a le devoir de protéger les plus fragiles. Il est bien question ici de solidarité.

En effet, pour les personnes âgées, notamment pour les résidants des EHPAD, qui sont pour la plupart en perte d’autonomie, il est généralement plus difficile de se déplacer sur un lieu de consultation. Souvent, ces personnes doivent être accompagnées par des membres du personnel soignant –or, en EHPAD, ces derniers ne sont pas toujours disponibles – ou faire appel à la solidarité familiale, ce qui n’est pas toujours possible non plus, compte tenu des situations d’éloignement. Ces déplacements sont donc un frein réel à l’accès aux soins. Par ailleurs, le retard d’accès aux soins et, en l’espèce, la baisse de l’acuité visuelle qui en résulte ont pour effet de compliquer et d’aggraver la dépendance.

Compte tenu de ces éléments, les membres de notre groupe voteront bien sûr en faveur de cette proposition de loi. Nous souhaitons que ses dispositions puissent être mises en œuvre dans les meilleurs délais, car elles vont dans le sens d’une amélioration de l’accès aux soins, même si nous regrettons fortement leur manque d’ambition et leur caractère expérimental.

Le texte initial ne nous semblait pourtant pas mettre en péril la qualité des soins. Au contraire, il offrait une solution simple, rapide et validée par toutes les parties prenantes.

Madame la secrétaire d’État, lors des débats en commission, vous avez indiqué qu’il était difficile de légiférer sans s’assurer au préalable des conditions de soins et de respect des normes. Nous parlons ici de structures dans lesquelles les résidants sont accompagnés par du personnel soignant à même d’organiser ce service dans de bonnes conditions.

Pour ma part, j’irai encore plus loin, en proposant de réfléchir à une généralisation de la mesure à toutes les personnes âgées, quel que soit leur lieu de résidence. Une telle proposition, me direz-vous, est un peu osée, mais, même si nous n’étions pas en situation de pénurie de praticiens, pourquoi imposer à nos aînés des déplacements inutiles ? En leur permettant de rester sur leurs lieux d’habitation ou de résidence, comme les EHPAD, on limite les contraintes qui les éloignent des soins et l’on favorise, tout simplement, des conditions de consultation plus sereines. Dans la dentisterie, les initiatives de ce type se développent au sein des EHPAD, ainsi que grâce à des cabinets mobiles. Le médecin est capable de poser des points de suture ou de faire un pansement au domicile du patient : pourquoi n’en irait-il pas de même pour un simple test de la réfraction ? Les demandes de visites augmentant avec le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie, certains opticiens se rendent déjà à domicile pour présenter leurs équipements. Nous savons bien que, à cette occasion, des tests sont effectués. Cette proposition de loi permettra de sécuriser juridiquement cet examen réalisé en EHPAD. Ne pourrait-on pas aller plus loin, au moins étudier les conditions dans lesquelles les opticiens pourraient également rendre visite aux personnes âgées qui demeurent à leur domicile ? Rappelons qu’il ne s’agit pas là d’une extension de compétences, mais d’une simple délocalisation de l’activité. La désertification des territoires et le vieillissement de la population nous obligent à revoir totalement les pratiques des professionnels, à les réinventer, à nous libérer des carcans d’un autre temps pour innover.

Je profite de cette occasion pour évoquer de nouveau la question des transports hospitaliers. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous sommes nombreux à avoir alerté le Gouvernement sur les difficultés financières rencontrées à la fois par les établissements et par les petites entreprises de transport. Dans un contexte aussi tendu, une mesure qui permet de limiter les déplacements semble particulièrement intéressante, pour le patient comme pour les comptes de la sécurité sociale.

Madame la secrétaire d’État, vous l’aurez compris : malgré toutes ces réserves et ces propositions, les membres du groupe RDSE voteront en faveur de l’adoption du présent texte, en appelant à la généralisation de son dispositif. Nous sommes prêts à vous soutenir pour faire preuve d’encore plus d’audace dans ce domaine ! (M. Daniel Chasseing applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les familles françaises font de plus en plus le choix du maintien de leurs aînés le plus longtemps possible au domicile. Nos aïeux entrent de plus en plus tardivement en EHPAD et la durée de leur séjour diminue.

Ainsi, c’est souvent dans une situation de santé dégradée que le placement est décidé. Au regard de ce défi toujours plus grand pour les EHPAD, il convient d’assouplir notre droit. Les améliorations que nous pouvons apporter permettront d’améliorer la qualité de vie de nos parents. Une attention toute particulière doit être portée aux fonctions cognitives, car leur détérioration favorise l’exclusion et entraîne d’importantes conséquences psychologiques.

Si l’on œuvre dans ce sens, la personne est gagnante et la qualité de vie dans l’EHPAD s’en ressent. C’est pourquoi je tiens à saluer le travail de notre collègue députée Mme Firmin Le Bodo, auteur de cette proposition de loi. Je remercie également Mme Élisabeth Doineau de son excellent rapport. Ce dernier témoigne d’une certaine frustration, partagée par les membres du groupe Union Centriste.

Cette proposition de loi vise à permettre aux opticiens-lunetiers d’intervenir dans les EHPAD pour procéder à des tests de réfraction. Un tel assouplissement de nos règles juridiques va dans le bon sens. Toutefois, cette amélioration ne vide pas le sujet de la santé en EHPAD : nous pourrions également parler de la prévention de la dégradation de l’ensemble des fonctions cognitives, de la santé bucco-dentaire ou du manque de moyens dont souffrent ces structures.

De plus, la majorité La République En Marche de l’Assemblée nationale a souhaité transformer ce texte pour en faire une simple expérimentation ; je le regrette.

Mes chers collègues, permettez-moi de mettre des mots sur les conséquences humaines et sanitaires de cette expérimentation, dont nous connaissons tous les enjeux.

Le dispositif de la proposition de loi initiale aurait permis, dès l’adoption du texte, que toutes les personnes placées en EHPAD puissent bénéficier de tests de la réfraction sans devoir se déplacer chez un opticien-lunetier.

J’ai déjà rappelé dans quel état de santé se trouvent en général les pensionnaires des EHPAD : leurs capacités de déplacement sont fortement réduites, voire annulées purement et simplement. La décision des députés de ramener ce dispositif à une simple expérimentation empêchera mécaniquement la majorité de nos anciens de bénéficier de cette avancée. La nécessité d’une autorisation de l’ARS complexifie davantage encore la démarche.

Si nous soutenons habituellement le recours aux expérimentations, nous ne pouvons, en l’espèce, que nous en alarmer. En effet, faute de présentation d’un texte de loi portant sur le sujet dans un avenir proche, l’expérimentation a pour objet d’évaluer ce dispositif, dans une certaine mesure, et de l’adapter avant sa généralisation. Or le Gouvernement n’a de cesse de nous rappeler qu’il travaille aujourd’hui à un grand texte sur la dépendance : la rédaction de ce projet de loi, la remise de l’avis du Conseil d’État, puis la navette parlementaire auraient constitué autant de moments opportuns pour adapter le dispositif que nous aurions pu adopter dès aujourd’hui.

La modification de la proposition de loi initiale prive donc de nombreuses personnes d’une amélioration importante de leur qualité de vie. Je regrette que l’exécutif n’ait pas opté pour une démarche d’amélioration continue, rendue possible par l’agenda du Gouvernement, plutôt que pour le recours à une expérimentation nécessairement inégalitaire entre les territoires. Pour tous les sujets relevant de la dépendance, il pourrait être opportun d’envisager l’adoption des mesures figurant à l’agenda du Parlement, afin que les retours d’expérience viennent abonder la rédaction du futur projet de loi pour améliorer, in fine, sa portée et sa justesse.

Parler de la santé de nos anciens, de leur qualité de vie en EHPAD, de l’accompagnement que nous pouvons leur offrir, c’est parler de notre propre avenir ; c’est parler en fait de notre société et de la solidarité intergénérationnelle que nous souhaitons.

Au sein du groupe Union Centriste, nous sommes convaincus qu’il y a urgence et que nous devons dès à présent mettre en place toutes les mesures nécessaires en la matière. C’est pourquoi, en dépit des observations de notre collègue rapporteur que nous partageons, nous voterons ce texte au dispositif limité par les amendements adoptés par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Véronique Guillotin, MM. Daniel Chasseing et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie
 

5

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 24 janvier 2019, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

Proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires (texte de la commission n° 246, 2018–2019).

Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (texte de la commission n° 244, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.)

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER