Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu’on les appelle « pompiers », « soldats du feu » ou « sapeurs-pompiers », qu’ils soient bénévoles ou professionnels, ces femmes et ces hommes sont au service des populations, pour leur venir en aide dans des situations très diverses – incendie domestique, accident de la route, secours d’urgence aux personnes. Oui, les sapeurs-pompiers ont fait le choix de se mettre au service des citoyens, parfois au péril de leur propre vie.

C’est pourquoi l’agression, physique ou verbale, de sapeurs-pompiers constitue un acte inacceptable. Or de tels faits ne cessent de se multiplier ; les médias nous rapportent régulièrement que nos pompiers sont agressés, « caillassés » et quelquefois pris à partie par des personnes violentes. Ces agressions ont augmenté de 213 % au cours des dix dernières années. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique en outre que ces chiffres ne constituent qu’une tendance et peuvent sous-évaluer le phénomène, car ils sont fondés sur les déclarations non obligatoires des sapeurs-pompiers concernés.

Aussi, il paraît utile d’inciter les sapeurs-pompiers et les services départementaux d’incendie et de secours à porter systématiquement plainte. Afin de créer les conditions adéquates pour qu’ils puissent le faire, il semble également important de protéger ces personnes, ainsi que leur famille.

S’inspirant du droit en vigueur qui s’applique aux agents de la police et de la gendarmerie nationales, des douanes et des services fiscaux, la proposition de loi prévoyait qu’un sapeur-pompier qui dépose plainte serait autorisé à être identifié, dans tous les actes de procédure des instances civiles ou pénales engagés ou nécessaires à la défense de ses droits, non pas par ses nom et prénom, mais par un numéro d’immatriculation administrative. Il est ressorti des travaux en commission que ce dispositif portait toutefois une atteinte importante aux droits de la défense.

À ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons savoir où en est le décret sur les caméras-piétons que le Gouvernement devrait publier bientôt.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui, bonne question !

M. Alain Marc. Je vous demande cela pour mon collègue Decool, qui est à l’origine de la proposition de loi relative à ce sujet, texte que vous aviez soutenu, mais dont le Gouvernement, en ne prenant pas les décrets, empêche, hélas, la mise en application.

En accord avec l’auteur de la présente proposition de loi et sur l’initiative du rapporteur, la commission a substitué à ce mécanisme un nouveau dispositif facilitant l’anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers. Cet anonymat est actuellement prévu par le code de procédure pénale pour les témoins de crimes ou de délits punis de plus de trois ans de prison. La modification apportée en commission permettra le recours à cette procédure pour toute infraction, dès lors qu’elle est commise sur un sapeur-pompier.

Par ailleurs, afin d’être en mesure d’examiner l’ensemble des moyens permettant d’apporter une réponse la plus efficace et la plus complète possible à l’insécurité grandissante des sapeurs-pompiers, la commission a souhaité que soit créée une mission d’information.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant qu’élus de la République, nous avons un devoir envers les sapeurs-pompiers qui font vivre au quotidien les mots « mobilisation », « engagement », « courage », « dévouement ». Ayons à l’esprit qu’ils effectuent une intervention toutes les sept secondes en moyenne ! Ne pas prendre en compte leur situation, qui ne cesse de se dégrader, ne serait pas à la hauteur de nos responsabilités.

L’ensemble du groupe Les Indépendants – République et Territoires s’associe donc pleinement et sans réserve à une telle évolution législative, et votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes très chers collègues, cette proposition de loi fait écho aux violences grandissantes et inacceptables qu’ont eu à subir les sapeurs-pompiers au cours des dernières années. Les violences multifactorielles et multiformes deviennent de plus en plus fréquentes et fortes, se déclinant au quotidien. Oui, il faut trouver des moyens efficaces pour lutter contre ce fléau.

Le contexte est particulièrement préoccupant, puisque les agressions de sapeurs-pompiers ont triplé en dix ans, avec une augmentation record de 23 % entre 2016 et 2017, d’après les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. En outre, il faut se rendre à l’évidence, un tiers des agressions dont sont victimes les sapeurs-pompiers ne donnent pas lieu à dépôt de plainte, par crainte, sans doute, de représailles pour eux et leurs familles.

Je salue le travail du rapporteur, M. Loïc Hervé, et de la commission des lois, qui ont su modifier le texte initial de M. Patrick Kanner – je le remercie de cette initiative –, pour répondre aux difficultés constitutionnelles et conventionnelles qu’il entraînait et le transformer en un texte répondant, en partie, aux difficultés du terrain.

Faciliter l’anonymat des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers est un premier pas. Le deuxième a été l’annonce, par le président de la commission des lois, le jeudi 21 février dernier, de la création d’une mission d’information visant à « examiner l’ensemble des moyens permettant d’apporter une réponse complète et efficace à l’insécurité inacceptable dans laquelle se trouvent les femmes et les hommes qui se dévouent quotidiennement au profit de nos concitoyens ».

M. Charles Revet. C’est important !

Mme Catherine Troendlé. En attendant, des initiatives pleines de bon sens, fondées sur des propositions faites dès 2018 par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France – j’en profite pour saluer également les représentants de cette fédération, dont le président Allione, présents en tribune –, se mettent en place sur le terrain, pour répondre aux risques d’agressions.

Je souhaite ainsi vous présenter, mes chers collègues, à titre d’exemples, deux mesures opérationnelles mises en œuvre dans le Morbihan.

La première porte sur l’expérimentation du port de caméras mobiles, en application de la proposition de loi, promulguée le 3 août dernier, de notre collègue le sénateur Jean-Pierre Decool, relative à l’harmonisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. Il s’agira non seulement d’un élément préventif, mais encore d’une source de preuves, en cas de besoin. Ces caméras ne seront déclenchées qu’en cas de difficultés, et après annonce.

Seconde mesure, le SDIS du Morbihan prévoit la mise en place, pour ses agents, d’une formation spécifique destinée à apprendre comment réagir, en cas de comportement agressif, pour éviter l’escalade. De plus, les sapeurs-pompiers apprennent les gestes pour maîtriser une personne menaçante, en cas de besoin.

Par ailleurs, je suis convaincue que l’interopérabilité et une relation de confiance totale établie entre les sapeurs-pompiers, les gendarmeries et les commissariats peuvent constituer une réponse préventive à un déplacement dans le cadre d’une mission qui s’avérerait dangereuse.

En outre, monsieur le secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que nous devrions reparler des centres départementaux d’appel d’urgence communs ?

MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !

Mme Catherine Troendlé. Toutes ces mesures, qui s’appliquent de façon inégale sur notre territoire, méritent une analyse fine, que les travaux de la mission d’information annoncée par M. Philippe Bas mettront en évidence.

Par conséquent, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi réécrite, afin d’envoyer un signal fort en direction des sapeurs-pompiers et de leur dire : « Nous ne vous oublierons pas ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi quau banc des commissions.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.

M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au-delà de la mission traditionnelle qui consiste à combattre le feu, nos sapeurs-pompiers effectuent essentiellement, pour plus de 80 % de leurs interventions, des missions de secours d’urgence aux personnes faisant d’eux des acteurs de premier plan face aux fractures sanitaires et sociales.

Alors que la difficulté de leurs missions n’est plus à démontrer, ces femmes et ces hommes subissent de plus en plus d’incivilités et d’agressions, qui les exposent à une insécurité clairement inacceptable.

Pourtant, qu’ils soient volontaires ou professionnels, leur courage et leur dévouement sont exemplaires, et ils n’ont pas choisi de s’engager au service de nos concitoyens pour être pris pour cibles, menacés ou agressés lors d’interventions.

En effet, les guets-apens, les violences de la part de personnes instables psychologiquement, sous l’emprise de stupéfiants, ou encore alcoolisées, et potentiellement dangereuses, se multiplient, tant dans les quartiers sensibles que dans les zones rurales. Le nombre d’agressions sur les sapeurs-pompiers a considérablement augmenté au cours des dix dernières années, cela a été indiqué, avec 1 914 agressions supplémentaires en 2017 par rapport à 2008, soit une hausse de plus de 200 %.

Je tiens donc à remercier mon collègue Patrick Kanner et le groupe socialiste et républicain de porter à notre attention cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des sapeurs-pompiers. Son examen nous permet d’insister, une fois encore, sur le besoin de réponses concrètes face à ce constat de violence croissante.

Pour répondre à ce fait, le dispositif initial du texte prévoyait de rendre possible le dépôt de plainte anonyme des sapeurs-pompiers victimes, afin de les prémunir de représailles éventuelles de leurs agresseurs. Cette procédure d’anonymisation n’existe actuellement ni dans le droit positif français ni dans aucune circonstance. De sérieux doutes sur la constitutionnalité et la conventionalité de cette mesure ont été largement confirmés lors des travaux et auditions menés par le rapporteur, notre excellent collègue Loïc Hervé, que je salue.

Force est de constater que le principe de l’anonymat porte atteinte aux droits de la défense. Il fait obstacle au respect du droit dont dispose l’accusé afin d’obtenir des détails concernant la nature et les causes des faits qui lui sont reprochés. De plus, l’accusé ne pourrait pas avancer d’arguments ou de motivations en lien avec le plaignant. Dans ces circonstances, le principe d’égalité des armes entre l’accusation et la défense serait alors mis à mal.

Nous le constatons, le texte initial n’est juridiquement pas tenable. Après un travail de qualité du rapporteur et de nos collègues de la commission des lois, une proposition de substitution a pu être formulée et adoptée, tendant au même objectif : faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. L’anonymat concernera non les victimes, mais les témoins d’agressions de sapeurs-pompiers. Cette mesure, issue d’une procédure existante, assortie de toutes les garanties nécessaires, permettra ainsi de respecter les droits de la défense et de garantir le cadre d’un procès équitable.

Cette proposition de loi représente, pour le groupe Union Centriste, un premier pas en faveur de la sécurité de nos sapeurs-pompiers.

Pour compléter cette réponse efficacement, il nous faut évaluer les mesures existantes, les expérimentations, et réfléchir collégialement pour aller plus loin en ce sens. Je pense, par exemple, à la nécessité de réformer la gestion des appels d’urgence. L’option consistant à faire du 112 l’unique numéro d’urgence, en s’appuyant sur les synergies de proximité et les expériences départementales réussies, serait une avancée majeure pour mieux piloter la mission de secours d’urgence aux personnes.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Comme en Haute-Savoie !

M. Olivier Cigolotti. Oui, comme en Haute-Savoie, monsieur le rapporteur.

En effet, si l’alerte est bien gérée, les sapeurs-pompiers savent à quel type d’intervention ils auront affaire, et peuvent s’y préparer. S’ils ont, dès le départ, connaissance d’une intervention auprès d’une personne déséquilibrée, ils pourront être accompagnés par les forces de police ou de gendarmerie et éventuellement par un médecin.

C’est pourquoi, pour clore mon propos, je souhaite saluer vivement l’initiative de la commission des lois, à la suite de la proposition de son président, visant à créer une mission d’information, qui permettra, je l’espère, d’élaborer des propositions fortes et globales attendues notamment par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera unanimement pour le texte issu de la législation en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite juste apporter quelques éléments de réponse aux orateurs qui m’ont interpellé.

Monsieur Collombat, vous aurez compris, j’espère, de mon intervention que nous ne sommes pas dans l’immobilisme. Ce n’est pas parce que le Gouvernement est contre cette proposition de loi, pour des raisons que j’ai étayées, qu’il ne propose rien. (M. Pierre-Yves Collombat proteste.) J’ai rappelé le dispositif opérationnel que nous mettons en place, la sensibilisation des parquets, les peines de prison ferme, et les peines de prison aggravées, qui vont toutes au-delà de trois ans et qui permettront donc aux témoins de témoigner sous X. Tout cela n’est pas rien.

En outre, nous sensibilisons régulièrement les préfets – nous leur demandons un suivi précis, des comptes – au dispositif de coopération opérationnelle au moment des interventions, et le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Grégory Allione, qui est présent et que je salue, le sait bien. Nous travaillons donc efficacement, et je ne peux pas laisser dire que, parce que le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette proposition de loi, il serait immobile. Ce n’est pas le cas.

Plusieurs questions très précises ont été posées sur les caméras-piétons. Monsieur Decool, vous m’aviez déjà questionné sur ce dispositif pour les polices municipales ; je pense que vous avez reçu l’appel téléphonique que j’avais ordonné pour vous indiquer que le décret en question est à la signature.

Pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers, le texte va être examiné par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et par le Conseil d’État. L’objectif est de commencer les expérimentations que le rapporteur et Mme Troendlé ont évoquées au troisième trimestre 2019 dans une dizaine de départements qui ont été listés, mais que je ne vous citerai pas ici. Ce décret sera d’ailleurs un décret d’expérimentation, comme pour les polices municipales.

Vous avez raison, les uns et les autres, de souligner l’importance de ce dispositif destiné à faire baisser les tensions, comme dans la police nationale ; il n’a pas vocation à être utilisé systématiquement, mais il sécurisera nos sapeurs-pompiers.

Je veux aussi rappeler que, dans de nombreux départements, des actions importantes sont menées pour favoriser l’inclusion parmi les volontaires d’un certain nombre de personnes qui proviennent de secteurs sensibles et qui peuvent, le cas échéant, faciliter l’intervention des sapeurs-pompiers dans ces territoires. J’ai ainsi en tête un dispositif, que j’ai bien connu, mis en place par les marins-pompiers de Marseille, qui accueillent un certain nombre de jeunes des quartiers, sous la forme des cadets. Ces jeunes sont ensuite les meilleurs ambassadeurs des marins-pompiers, quand il s’agit d’intervenir dans des zones difficiles.

Enfin, madame la sénatrice Troendlé, en ce qui concerne les centres d’appel communs, je vous confirme que nous y travaillons. Vous le savez, c’est compliqué, mais c’est un objectif fort de ce gouvernement ; nous y parviendrons, je puis vous l’assurer.

M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est une bonne chose !

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires
Discussion générale (suite)

Lutte contre toutes les violences éducatives ordinaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires
Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 2 rectifié bis

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, présentée par Mme Laurence Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 261, texte de la commission n° 344, rapport n° 343).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi.

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, je veux commencer mon propos par des remerciements.

Tout d’abord, merci à mon groupe, le groupe socialiste et républicain, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour.

Merci à ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie, qui a été très active pour bâtir un consensus au sein de la commission des lois.

Merci également à la commission et à son président pour l’adoption de cette proposition de loi.

Merci aux associations, présentes dans nos tribunes ce soir, qui œuvrent infatigablement depuis des années, avec beaucoup de force de conviction, parfois malgré des vents un peu contraires, pour voir ce texte adopté.

Je veux enfin saluer Edwige Antier, qui avait déposé, voilà quelques années, lorsqu’elle était députée, une proposition de loi identique. J’espère qu’elle sera heureuse de voir que son travail a été poursuivi et qu’il va probablement enfin aboutir.

Je veux partager avec vous le chemin qui m’a conduite à déposer cette proposition de loi visant à lutter contre les violences éducatives ordinaires, termes qui constituent d’ailleurs un oxymore, une violence ne pouvant en aucun cas être éducative.

Quand j’ai commencé à m’intéresser précisément aux politiques publiques en faveur de l’enfance, j’ai constaté que notre définition et le champ étaient relativement restreints. Quand on compare politique de l’enfance, politique de la jeunesse et politique du vieillissement, qui sont trois politiques des âges, on voit bien que la politique de l’enfance n’a pas été historiquement investie de la même ambition que les deux autres.

La politique de l’enfance comporte traditionnellement deux volets : les modes d’accueil des moins de trois ans, ce qui constitue aussi un chapitre de la politique familiale, et la protection de l’enfance, qui ne concerne que l’enfance en danger, que ce soit en termes de prévention ou d’accompagnement.

Nulle part on ne trouve dans la politique de l’enfance ce qui fait, par exemple, la substance de la politique de la jeunesse, cette volonté de faire des jeunes de futurs citoyens responsables et épanouis. La politique de la jeunesse intègre accès et pratique du sport et de la culture et appréhende l’individu en construction dans toutes ses dimensions.

J’ai observé aussi que la politique du vieillissement avait évolué. Elle est passée, par exemple, de la prévention et de la lutte contre la maltraitance des personnes âgées vers la promotion de la bientraitance, laquelle ne se définit pas exclusivement comme l’absence de maltraitance…

J’ai donc abordé dans cet esprit la question des violences ordinaires exercées par les parents sur leurs enfants au nom de la liberté éducative.

Faire grandir de futurs citoyens, conforter l’estime de soi et la confiance en l’autre, permettre aux enfants de se construire dans une sécurité affective qui fera d’eux, plus tard, des individus épanouis, de développer toutes leurs capacités, tel est pour moi l’objet de la politique de l’enfance.

Et dans ma compréhension de cette politique, il n’y a pas de place pour les coups, quels qu’ils soient, non plus que pour les humiliations ou, plus largement, pour tout ce qui vise à faire mal, pour tout ce qui vise à infliger de la douleur ou à porter atteinte à l’intégrité corporelle de l’enfant et à son estime de lui-même.

On ne peut lutter contre la violence dans une société tout en la tolérant au sein de la famille. Notre assemblée examine régulièrement des propositions de loi tendant à réduire et à combattre la violence dans la société – voilà quelques instants, lors de l’examen de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, plusieurs de nos collègues ont évoqué les violences commises à l’encontre des représentants de la sécurité civile. Nous aurons à étudier d’autres textes visant à prévenir et à réprimer les violences dans la sphère publique. Dès lors, comment pourrions-nous nous accommoder de l’idée de tolérer la violence dans la famille et d’être efficaces pour la combattre dans la société ?

On ne peut davantage éradiquer les violences faites aux femmes si on légitime les violences intrafamiliales.

Quand on observe les mécanismes, les continuums, des violences exercées à l’encontre des femmes par leur conjoint ou leur ex-conjoint, qui conduisent parfois – trop souvent – jusqu’à la mort des victimes, on constate souvent deux types de réitération de comportement : la réitération des violences par l’auteur, dont on s’aperçoit qu’il a souvent lui-même été victime de violences étant enfant, et la réitération de l’acceptation de la violence par les victimes, parce que, enfants, elles ont été habituées à voir la violence s’exercer dans leur famille comme un mode de régulation normale.

On ne peut davantage accréditer l’idée que, lorsque l’on n’arrive pas à obtenir quelque chose de quelqu’un, quand on n’arrive pas obtenir qu’il se conforme à ce que l’on espère de lui, on obtiendrait davantage en lui tapant dessus.

Je pense que le président Bas, qui a été un précurseur, en termes législatifs, dans le domaine de la prévention et de la protection de l’enfance avec la loi de 2007, va comprendre mon propos : quand on veut passer un message aux familles pour prévenir les maltraitances à l’encontre des enfants, on ne sait pas dire où se situe la limite entre violence tolérable et maltraitance.

Lorsque l’on conduit une politique de prévention, une campagne d’information, personne ne peut dire : « Vous pouvez taper jusqu’à tel point, cela fait partie de la liberté éducative et du droit de correction, mais attention, au-delà de cette limite, ça devient de la maltraitance et les services sociaux pourront intervenir. »

Or cette proposition de loi va aussi constituer un appui. Elle va permettre d’améliorer l’efficacité des politiques de prévention de la maltraitance exercée à l’encontre des enfants avec un message simple : on ne frappe pas les enfants.

Ce texte vise en effet à inscrire dans le code civil une phrase indiquant que l’autorité parentale s’exerce sans violence.

Permettez-moi d’ajouter que proscrire les punitions corporelles, les humiliations, les injures à l’égard des enfants, ce n’est pas désarmer les parents dans l’exercice de leur fonction parentale et éducative. Ce n’est pas non plus faire la promotion du laxisme éducatif : pour se construire, un enfant a besoin d’un cadre et de limites. Et ces limites peuvent et doivent être fixées avec détermination et fermeté par les adultes qui en ont la responsabilité.

Il n’est pas rare de voir des enfants ne se heurtant à aucune limite éducative dans leur famille faire régulièrement l’objet de punitions corporelles. L’exercice de l’autorité parentale n’a pas besoin du droit de correction.

Si cette proposition de loi devait être adoptée dans sa rédaction issue des travaux de la commission, c’est-à-dire dans des termes identiques à celle d’une autre proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, nous serions dans une situation quelque peu inédite : deux textes similaires adoptés par les deux assemblées. Or la procédure parlementaire ne permet pas de réunir ces deux textes en un seul ; nous ne sommes pas dans le cadre d’une navette.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez donc une chance formidable : alors que vous prenez vos fonctions, nous avons déjà totalement défriché le terrain pour vous. Les deux assemblées auront fait le travail en adoptant ces deux propositions de loi !

Il vous revient maintenant d’inscrire ces dispositions dans un projet de loi spécifique ou de trouver un véhicule législatif adapté qui nous permette de développer cette nouvelle définition de l’autorité parentale, laquelle constitue avant tout un message à l’égard des parents, des familles et des enfants. Monsieur le secrétaire d’État, voilà ce que nous attendons de vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et que vient de nous présenter Laurence Rossignol, répond à une attente et à une évolution nécessaire de la société.

Elle s’inscrit dans le prolongement des deux lois de référence en matière de protection de l’enfance : la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, défendue par notre collègue Philippe Bas, alors ministre de la famille, et la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, proposée par nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini et soutenue par notre collègue Laurence Rossignol, alors secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Il est proposé, comme vient de le souligner Laurence Rossignol, de compléter les dispositions de l’article 371-1 du code civil qui définit l’autorité parentale par les mots : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

Cette proposition de loi a donc pour objet de lutter contre les violences éducatives ordinaires, ce double oxymore, en affirmant la non-violence comme principe d’éducation. Nous en convenons tous, la violence sur les enfants ne constitue pas un mode d’éducation.

Pourtant, 85 % des parents admettent y avoir eu recours dans le cadre de l’éducation de leur enfant et, pour plus de 50 % d’entre eux, avant que celui-ci n’atteigne l’âge de deux ans. Ces chiffres montrent combien cette pratique est encore largement répandue dans notre pays.

Or, même si l’on peut noter une évolution progressive des mentalités, un tel niveau d’usage de formes de violences éducatives ordinaires, termes qui désignent à la fois les coups, les gifles, les humiliations ou les insultes, témoigne de mentalités profondément ancrées dans notre réalité collective. Les violences éducatives sont encore communément admises, parfois justifiées, voire, plus rarement, encouragées. Nous ne devons pas minimiser ce fait.

En effet, les résultats des derniers travaux scientifiques démontrent les conséquences de ces gestes, de ces cris, de ces brimades du quotidien sur le développement des enfants.

Il a aussi été mis en évidence que la violence, de ce fait, était souvent intériorisée, admise comme un mode normal de relation et de résolution des conflits. Cela conduit à banaliser le recours à la violence, dont les conséquences peuvent s’avérer sérieuses, et à installer les ressorts des violences, notamment conjugales.

Ces violences subies conduiraient à des comportements antisociaux, parfois à des addictions ou à des troubles anxio-dépressifs.

Plus récemment, la recherche en neurobiologie a montré que l’exposition des enfants à ce stress a également des effets nuisibles sur leur développement cérébral et sur leurs capacités d’apprentissage, au-delà des désordres psychologiques que je viens d’évoquer.

Depuis près de quarante ans, un grand nombre de pays a légiféré sur le sujet. Nous pensons que le moment est venu pour la France de rejoindre cette démarche.

La Suède est à l’avant-garde de ce mouvement. Les violences éducatives y sont interdites depuis 1979, ce qui permet d’avoir du recul. On a pu observer une forte diminution du nombre de demandes de placement en foyer. Dans d’autres pays, comme en Allemagne, on a également constaté une baisse de la violence des jeunes à l’école.

En commission, ce matin, notre collègue Marc-Philippe Daubresse nous expliquait comment, dans sa ville, il avait mis en place voilà longtemps des dispositifs de soutien à la parentalité qui avaient vocation à éviter le recours à la violence et dont il avait constaté les effets positifs.

Dans notre pays, le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants réclament depuis plusieurs années l’interdiction des violences éducatives contraires au droit de chacun, a fortiori de ceux qui sont le plus vulnérables, et au respect de l’intégrité physique et psychique.

Les conséquences sur la santé et l’équilibre psychique et social étant avérées, le droit doit protéger les enfants. Or quel est aujourd’hui l’état du droit ?

Contrairement à ce que l’on affirme souvent, notre droit n’interdit pas les violences éducatives ordinaires à l’encontre des enfants. Certes, le code pénal sanctionne les auteurs de violences commises sur des mineurs de quinze ans par trois ans d’emprisonnement et cinq ans lorsque ces violences sont commises par un ascendant, donc un parent.

Toutefois, la Cour de cassation admet ce qu’elle appelle un « droit de correction » lorsque les violences ont été proportionnées aux manquements commis, si elles n’ont pas eu de caractère humiliant et qu’elles n’ont pas causé de dommages à l’enfant. La jurisprudence crée ainsi un concept de violence « utile » et acceptable.

Se pose alors la question difficile de la limite entre ce qui est toléré et ce qui est condamnable, entre une punition et une parole humiliante. Comment apprécier la gravité de l’acte et ses effets ?

Cette proposition de loi ne vise pas à modifier le code pénal ni à créer une sanction pour les parents. Elle complète l’article 371-1 du code civil.

Nous ne prétendons pas que ce texte réglera à lui seul le problème ancien de la violence éducative. Cependant, inscrire dans la loi un principe qui constitue le cœur d’une éducation bienveillante permettra d’accompagner le changement social déjà à l’œuvre et de lui donner un fondement juridique.

Le code civil est le pilier de notre contrat social. On y trouve l’énoncé de plusieurs principes, comme celui du respect dû à son père et à sa mère. Compléter l’article sur l’autorité parentale permettra ainsi de faire évoluer la jurisprudence.

Rappelons enfin que l’article 371-1 du code civil est lu aux futurs époux lors de la cérémonie de mariage. Outre sa portée symbolique, ce texte a donc un effet pédagogique fort.

Au-delà des aspects relevant du droit français, la proposition de loi que nous examinons ce jour permettra également de rendre notre législation conforme à nos engagements internationaux.

La France est aujourd’hui en contravention avec la convention internationale des droits de l’enfant, qu’elle a pourtant ratifiée, et dont on fêtera cette année le trentième anniversaire.

Cette convention dispose que les États doivent prendre toutes les mesures législatives « pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » lorsqu’il est sous la garde de ses parents.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a rappelé à plusieurs reprises à notre pays la nécessité de légiférer pour interdire formellement tout châtiment.

La France a aussi été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour « absence d’interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants ».

L’adoption de la présente proposition de loi permettrait donc de nous inscrire dans un large mouvement européen, alors que cinquante-quatre pays ont déjà intégré cette interdiction dans leur législation, dont vingt-trois pays de l’Union européenne sur vingt-huit. Cinq pays seulement, dont le nôtre, n’ont pas franchi le pas. Il convient aujourd’hui pour la France de remédier à cette situation.

Enfin, cette proposition de loi a pour ambition de permettre à la France de rejoindre le rang des pays pionniers en matière de protection de l’enfance et tend à poser un principe clair : pour grandir dans un environnement éducatif propice à leur développement, nos enfants, citoyens en devenir, ont droit à une éducation dénuée de violences et d’humiliations.

Nous n’ignorons pas que ce texte, en désignant une pratique encore répandue, peut faire l’objet d’incompréhensions. Il convient donc de les aborder.

Il ne s’agit pas de s’immiscer dans le quotidien des familles. Cette proposition de loi ne vise pas, bien évidemment, à dire aux parents comment ils doivent éduquer leurs enfants, mais a pour objet de faire changer les comportements et de protéger les personnes les plus fragiles.

Il n’est pas non plus question de culpabiliser les parents qui, se sentant démunis ou dépassés, ont recours à la violence, mais d’affirmer que l’usage de la violence ne règle pas le conflit, et n’est pas une preuve d’autorité.

Beaucoup considèrent également que ces violences ne poseraient pas problème, souvent d’ailleurs parce qu’ils les ont subies eux-mêmes. Nos habitudes culturelles, le poids de notre propre éducation sont les principaux freins d’une évolution pourtant nécessaire et souhaitée. Nous sommes donc là devant une forme de reproduction sociale de la violence face à laquelle nous pouvons, comme législateur, encourager un mouvement inverse de recul.

Il s’agit par conséquent de favoriser une prise de conscience, d’encourager ainsi la mise en œuvre de programmes de sensibilisation, en lien avec les conseils départementaux, les travailleurs sociaux et les professionnels de l’enseignement.

Il sera sans doute nécessaire d’accompagner ce texte, s’il est adopté, d’une politique de soutien à la parentalité qui permettra d’aider les parents à rechercher d’autres solutions éducatives. Les pouvoirs publics doivent être mobilisés en ce sens.

Tous ces éléments l’indiquent clairement : la modification de la législation est nécessaire. Une prise de position claire du législateur est donc indispensable.

Le dispositif initial proposait de compléter l’article 371-1 du code civil, afin d’exclure de la définition de l’autorité parentale « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels ». Cette formulation était à rapprocher de celle de la convention internationale des droits de l’enfant et des recommandations du Comité pour les droits de l’enfant des Nations unies.

La commission des lois a eu le souci de faciliter l’adoption de ce texte dans les deux chambres, comme le soulignait à l’instant Laurence Rossignol.

En effet, en novembre dernier, nos collègues députés ont adopté des dispositions similaires après de longs débats nourris qui ont abouti à une quasi-unanimité.

La commission des lois s’est par conséquent attachée à reprendre le même dispositif que celui qu’a adopté l’Assemblée nationale. Sa rédaction est plus sobre que la nôtre, mais s’accorde avec l’esprit et l’objectif du texte initial en posant clairement le principe d’une éducation sans violences.

Le texte qui vous est présenté aujourd’hui, mes chers collègues, a été adopté à l’unanimité par la commission. Je souhaite en remercier chacun de ses membres et, au premier rang, le président Bas.

Nous espérons qu’il suscitera auprès de la Haute Assemblée le même consensus pour faire avancer encore davantage la protection de l’enfance. La France y est prête, il est désormais temps d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mmes Josiane Costes, Maryse Carrère et Michèle Vullien applaudissent également.)