compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 7 mars 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne de ce que le porte-parole du Gouvernement nous a appris hier : le Président de la République compte employer l’article 61 de la Constitution pour saisir le Conseil constitutionnel de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, avant même que le Sénat ait débuté son examen en deuxième lecture.

Certes, le Président de la République est tout à fait dans ses prérogatives ; pour notre part, nous sommes tout à fait dans les nôtres. Mais, à l’heure où l’on parle beaucoup de la séparation des pouvoirs, je souhaitais revenir sur cette déclaration. Culturellement, historiquement, le Sénat défend les libertés publiques ; peut-être le Président de la République souhaite-t-il apparaître comme celui qui les défend davantage… Je tenais à en faire part à toutes celles et tous ceux qui vont intervenir au cours de la discussion générale, puis lors de l’examen des articles !

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (suite)

Maintien de l’ordre public lors des manifestations

Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (proposition n° 286, texte de la commission n° 364, rapport n° 363).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte part d’un constat désolant, mais lucide ; d’un constat qui prend ses racines dans des années où le maintien de l’ordre a changé. Il a changé en profondeur, et il changera encore.

Vous aviez déposé cette proposition de loi en juin dernier, et vous aviez eu raison. Depuis les sommets internationaux jusqu’aux manifestations du 1er mai, depuis la loi El Khomri jusqu’aux événements les plus récents, la doctrine de maintien de l’ordre est en profonde mutation. Désormais, à chaque occasion, des brutes s’infiltrent dans les cortèges. Elles pillent les commerces, détruisent le mobilier urbain, attaquent les forces de l’ordre. Elles s’en prennent aux institutions et défient la République.

Ces individus changent les manifestations en émeutes. Ils blessent policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, manifestants. Au fond, ils sont la plus grande menace pour le droit de manifester.

C’est bien de cela que nous parlons,…

M. Christophe Castaner, ministre. … de cette petite minorité de casseurs, qui n’ont strictement rien à voir avec les manifestants.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Tout à fait !

M. Christophe Castaner, ministre. Notre pays connaît et sait gérer les manifestations, et personne ici ne peut se résoudre à voir confisqué ce droit fondamental par des bandes de vandales. Or le ministère de l’intérieur a le devoir de protéger le droit à manifester en sécurité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette question, vous la connaissez bien. Vous l’avez étudiée, comprise. Vous avez choisi de réagir dès juin dernier en offrant de nouveaux outils aux forces de l’ordre, à la justice et aux préfets. Vous avez pris les devants et, avant même les manifestations des « gilets jaunes » – il est important de le préciser –, vous avez proposé d’agir afin que les forces de l’ordre aient toutes les cartes en main pour protéger nos concitoyens.

Je tenais donc à saluer l’initiative du président Retailleau. C’est grâce à elle que nous pouvons examiner ce texte et nous donner les moyens d’agir contre les individus violents, de protéger les Français et de garantir le droit de manifester.

En cet instant, c’est évidemment le ministre de l’intérieur qui vous parle ; le ministre de l’intérieur, qui souhaite que les violences cessent ; le ministre de l’intérieur, qui veut donner aux préfets et aux forces de sécurité le cadre administratif et juridique adapté pour protéger ; le ministre de la sécurité et des libertés, qui veut rappeler que toutes nos procédures, toutes nos actions, toutes nos décisions sont guidées par deux principes : nécessité et proportionnalité. Mais c’est aussi le citoyen, le militant, l’élu local, l’ancien député, et même l’ancien manifestant,…

M. Jean Bizet. Tout ça !

M. Christophe Castaner, ministre. … qui se présente devant vous pour vous demander, non pas de gêner, mais de sauvegarder le droit de manifester.

En effet, la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations obéit à un principe simple : protéger.

C’est un texte de protections, et j’insiste sur le pluriel : de protection pour les manifestants, qui sont pris en otage par les casseurs, par ceux qui cherchent le chaos, – les manifestants sont bel et bien leurs premières victimes ; …

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Oui !

M. Christophe Castaner, ministre. … de protection pour les journalistes, garants de notre liberté de savoir et de commenter, et qui ont été bien trop souvent lâchement attaqués ; …

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

M. Christophe Castaner, ministre. … de protection pour les commerçants, pour tous les Français, car les violences pèsent sur eux, détruisent leur travail et ruinent parfois les efforts d’une vie ; de protection pour les forces de l’ordre, aussi, qui accomplissent leur devoir et devraient pouvoir le faire en toute sécurité ; de protection pour la République, pour les élus, pour les institutions, que des petits groupes, de tout petits groupes d’ultra-violents croient pouvoir renverser.

Enfin, et peut-être plus que tout, c’est un texte de libertés : liberté de manifester sans crainte ; liberté de descendre dans la rue, d’exprimer des revendications, de faire entendre sa voix. Cette proposition de loi l’affirme haut et fort : il n’y a pas de place pour la peur dans les manifestations.

Les événements des dernières semaines nous en ont rappelé l’urgence. Depuis le 27 novembre 2018, les brutes ont un bilan clair : environ 1 500 blessés parmi les policiers, les gendarmes et les sapeurs-pompiers. Ce bilan de la violence de quelques-uns, nous ne pouvons pas le laisser s’alourdir. Vous l’avez bien compris : il fallait à la fois concevoir des outils efficaces et agir vite.

La commission a décidé de voter ce texte conforme, en retenant la rédaction venue de l’Assemblée nationale. C’est un choix de responsabilité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Oui !

M. Christophe Castaner, ministre. Par cette décision, vous avez fait passer le sens de l’État, l’intérêt général, la protection des manifestants comme celle des forces de l’ordre avant toute position partisane. Vous avez montré que, face à des phénomènes graves, face à des violences durables, majorité et opposition étaient capables de travailler de concert.

Lors de la première lecture, en octobre dernier, Laurent Nunez avait donné un avis de sagesse, approuvant les objectifs de cette proposition de loi, mais appelant à retravailler les dispositifs proposés. Je tiens à vous remercier de ce travail, accompli par-delà les clivages. Je souhaite également rendre hommage au travail mené à l’Assemblée nationale pour adapter ce texte, lui donner plus de portée, de précision, et s’assurer qu’il dispose de tous les garde-fous nécessaires pour les libertés publiques.

L’article 1er du texte permet, sur les lieux d’une manifestation ou à ses abords immédiats, et exclusivement sur réquisitions écrites du procureur de la République, de procéder à des fouilles de sacs et de confisquer toutes les armes ou les armes par destination.

Personne, ici, n’est naïf : quand un individu vient dans une manifestation avec des boules de pétanque, ce n’est pas pour disputer une partie de pétanque, mais c’est bien pour blesser nos forces de l’ordre ou des manifestants. L’article 1er, dans la rédaction que vous avez retenue en commission, permet d’intercepter de telles personnes avant qu’elles ne passent à l’acte.

L’article 2 a fait couler beaucoup d’encre. Comme vous le savez, il permet de prononcer l’interdiction administrative de paraître dans une manifestation contre les personnes les plus violentes, contre celles dont nous savons pertinemment qu’elles se moquent des revendications, qu’elles cherchent simplement le chaos.

Ce texte ne comporte pas une once d’arbitraire. Au contraire, il prévoit toutes les précautions pour éviter le fait du prince. Chaque décision d’interdire de manifester doit être argumentée, motivée, proportionnée. Elle doit être directement liée à des comportements violents lors des manifestations. Ces dispositions ciblent précisément un petit nombre d’individus ultra-violents et ne peuvent, en aucun cas, dériver ou être généralisées.

Non, il ne s’agit pas d’une proposition de loi liberticide. Au contraire, nous avons veillé, ensemble, à ce que la rédaction du texte protège les libertés. Le juge des référés peut être saisi des décisions du préfet. Le cas échéant, il a le pouvoir de les annuler : la justice reste bien l’ultime garant des libertés.

Ce texte n’empêche aucune liberté : c’est tout l’inverse ! Plutôt que de tout interdire – c’est, aujourd’hui, une possibilité dont dispose le préfet –, il cible ceux qui cassent et qui attaquent. Plutôt que de laisser faire, nous proposons d’empêcher quelques ultra-violents de manifester. Ainsi, nous permettons à tous de continuer à faire entendre leur voix.

En outre, ce texte offre des mesures utiles aux forces de l’ordre et nécessaires à la sécurité collective.

Dans la version adoptée par le Sénat en première lecture, l’article 2 imposait que la personne ait été reconnue coupable au préalable. Je comprends votre intention. Toutefois, cet article doit nous permettre d’agir rapidement : c’est son but. Or nous savons qu’une condamnation définitive peut prendre du temps.

L’article 3 donne aux forces de l’ordre tous les outils pour contrôler les personnes interdites de manifester en les inscrivant, uniquement le temps de l’interdiction, sur le fichier des personnes recherchées. L’article 4 aggrave les sanctions en cas de dissimulation de son visage au cours ou à la fin d’une manifestation marquée par des troubles.

Parmi les autres mesures de ce texte, les peines contre ceux qui détruisent sont renforcées, et une mesure juste, nécessaire, attendue est introduite : le principe du casseur-payeur. En effet, il est temps de mettre les vandales face à leurs responsabilités.

M. Jean-Pierre Grand. Ça, c’est sûr !

M. Christophe Castaner, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est un texte de bon sens. La brutalisation au sein des manifestations n’est pas un phénomène nouveau, mais c’est un phénomène qui s’installe ; un phénomène qui, chaque samedi, depuis fin novembre, connaît sous nos yeux de nouvelles illustrations. Forces de l’ordre, sapeurs-pompiers ou « gilets jaunes », près de 4 000 personnes ont été blessées depuis le 17 novembre dernier. Rien qu’à Paris près de 2 000 magasins ont été attaqués.

C’est un bilan humain et matériel auquel nous ne pouvons pas nous habituer ; et c’est un bilan qui s’alourdit au fil des années de violences.

Toutefois, en prononçant ces mots, je ne suis pas sourd aux appréhensions, aux craintes.

M. Jean Bizet. Ah, « en même temps » ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Castaner, ministre. Je les entends. Je suis convaincu par ce texte, mais j’estime qu’en matière de libertés publiques toutes les garanties doivent être prises. Cette conviction, je l’ai défendue, et je suis heureux que le Président de la République ait fait part de sa volonté, sans présumer de l’intention du Sénat,…

M. Loïc Hervé. Voilà qui est rassurant !

M. Christophe Castaner, ministre. … de soumettre ce texte au Conseil constitutionnel, une fois qu’il sera adopté définitivement. Cette saisine permettra de lever les doutes.

Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas sûr !

M. Christophe Castaner, ministre. Elle permettra de lever tous les soupçons.

Détourner le regard, c’est donner un laisser-détruire à quelques brutes. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Qualifiez-les autrement !

M. Christophe Castaner, ministre. Ne rien faire, c’est permettre à quelques ultra-violents de menacer nos vies, nos institutions et même notre liberté.

J’étais avec nos CRS à Vélizy. J’ai entendu une nouvelle fois leur témoignage. J’ai entendu leurs récits. J’ai entendu leurs face-à-face avec la haine déchaînée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est l’occasion d’agir ; d’agir pour eux ; d’agir pour tous les Français ; une occasion à saisir pour tout responsable politique, pour tout républicain, pour tout protecteur des libertés. C’est pourquoi je vous remercie de nouveau du choix de responsabilité que vous avez défendu en première lecture et que vous avez fait en commission ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs mois, nous déplorons, semaine après semaine, en marge des manifestations organisées par le mouvement des « gilets jaunes », des dégradations dans nos centres-villes, des agressions contre des policiers ou des gendarmes, des magasins pillés, des voitures incendiées, du mobilier urbain détruit.

Ces images choquent nos concitoyens, y compris ceux, nombreux, qui comprennent, voire approuvent les revendications défendues par ce mouvement social.

Cela fait, à vrai dire, plusieurs années que les manifestations ont pris une tournure violente dans notre pays : on se souvient des violences commises à Nantes ou à Rennes dans le sillage du mouvement d’occupation de Notre-Dame-des-Landes ; de celles qui ont émaillé les mobilisations contre le projet de loi Travail en 2016 ; ou encore, l’an dernier, des violences des Black Blocs qui ont perturbé le traditionnel défilé syndical du 1er mai.

Face à cette évolution de fond, nous voulons doter nos autorités administratives et judiciaires d’outils juridiques nouveaux pour les aider à garantir la tranquillité et la sécurité publiques, à laquelle aspirent nos concitoyens.

C’est le but visé par la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture cette après-midi. Déposée par notre excellent collègue, le président Bruno Retailleau (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.),…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … et par plusieurs de nos collègues, elle a été adoptée par la Haute Assemblée le 23 octobre 2018, puis par l’Assemblée nationale le 5 février dernier.

Je me réjouis que le Gouvernement, qui avait au départ exprimé des réserves sur ce texte, ait finalement décidé de le soutenir. Je ne peux que regretter cependant que tant de temps ait été perdu. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En effet, les dispositions de ce texte auraient été très utiles à nos forces de l’ordre au cours des derniers mois.

Nous sommes tous, moi la première, profondément attachés au droit de manifester. Ce texte n’a pas et n’a jamais eu pour objectif d’entraver le droit de manifester ; il s’agit au contraire d’en garantir le libre exercice…

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … en ciblant un petit nombre de délinquants qui, par leurs actes violents, prennent en otage ceux de nos concitoyens qui défendent des revendications légitimes de justice sociale.

Cette proposition de loi comporte un volet préventif, destiné à doter l’autorité administrative et nos forces de l’ordre de nouveaux outils pour prévenir les actes de violence et de dégradations commis dans le cadre des manifestations, et un volet répressif, pour permettre à l’autorité judiciaire d’apporter une réponse plus rapide et plus ferme aux auteurs de ces actes.

Sur ces deux volets, l’Assemblée nationale a apporté des modifications destinées à rendre la proposition de loi plus opérationnelle, sans toutefois remettre en cause les objectifs visés par le Sénat.

S’agissant du volet préventif, l’Assemblée nationale a approuvé, dans leur principe, la plupart des dispositions que nous avions votées.

L’article 1er adopté par le Sénat prévoyait de confier au préfet la possibilité d’instaurer des périmètres de contrôle aux abords des manifestations. Plutôt que de créer cette nouvelle mesure de police administrative, l’Assemblée nationale a préféré autoriser, sur réquisitions du procureur de la République, des fouilles de sacs et de véhicules, afin d’éviter l’introduction d’armes dans les manifestations. Les représentants des forces de l’ordre que j’ai reçus en audition ont estimé que cette mesure répondrait efficacement à leurs besoins sur le terrain.

Malgré quelques réticences initiales, l’Assemblée nationale a également souscrit à l’article 2, qui prévoit la création d’une mesure d’interdiction administrative de participer à une manifestation. Le Sénat avait été très attentif à entourer cette mesure de suffisamment de garanties. Je me félicite de ce que les députés les aient conservées, en particulier pour ce qui concerne le droit au recours effectif.

Afin de répondre aux besoins du terrain, l’Assemblée nationale a élargi le périmètre de la mesure : l’interdiction de manifester pourra concerner non seulement des personnes ayant commis un ou plusieurs actes violents à l’occasion de précédentes manifestations, y compris lorsqu’elles n’ont pas encore été condamnées, mais aussi des personnes qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public en raison de leurs « agissements » à l’occasion de précédentes manifestations.

En outre, les députés ont prévu la possibilité, pour le préfet, de prononcer des interdictions de manifester valables sur l’ensemble du territoire, pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, lorsque la personne concernée est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou successives dans le temps.

La commission s’est demandée si, avec cet élargissement, la mesure conservait un caractère suffisamment proportionné, au regard de ses effets potentiels sur l’exercice du droit de manifester et de la liberté d’aller et venir.

Mes chers collègues, il nous a été assuré que son application serait très ciblée. Seules les personnes les plus dangereuses seraient concernées, quelques dizaines à Paris, tout au plus quelques centaines sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien de tenir à l’écart de la manifestation les « casseurs », qui ont pour seul objectif de causer des dégâts. En tout état de cause, les arrêtés d’interdiction seront soumis au contrôle du juge administratif, qui s’assurera, comme pour toute mesure de police administrative, de leur caractère nécessaire et proportionné.

S’agissant de l’article 3, l’Assemblée nationale a estimé préférable d’inscrire les mesures d’interdiction de manifester dans le fichier des personnes recherchées, document aisément consultable par les forces de police et de gendarmerie, plutôt que de créer un nouveau fichier. Il s’agit, à nos yeux, d’une mesure de simplification bienvenue.

Enfin, les députés ont complété ce volet préventif par deux articles additionnels, qui ne soulèvent vraiment pas de difficulté : le premier vise à assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l’autorité administrative ; le second prévoit un contrôle parlementaire renforcé, notamment avec la remise d’un rapport annuel au Parlement.

S’agissant, à présent, du volet répressif, je m’attarderai surtout sur l’article 4, relatif à la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation.

En octobre dernier, nous avions soutenu la création de ce délit, qui présente de réels avantages sur le plan opérationnel : elle permettra l’interpellation et le placement en garde à vue de personnes qui dissimulent leur visage.

En première lecture, notre commission avait veillé à bien caractériser l’élément intentionnel du délit, en précisant que la dissimulation du visage devait avoir pour objectif de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public. Redoutant que cet élément ne soit difficile à établir devant les tribunaux, l’Assemblée nationale a retenu une rédaction plus concise. Elle met l’accent sur l’existence ou non d’un motif légitime de se couvrir le visage.

Je l’avoue, nous nous sommes demandé si cette définition était satisfaisante au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui impose de définir avec précision tous les éléments constitutifs d’une infraction pénale.

Toutefois, les représentants du ministère de l’intérieur comme de la Chancellerie que nous avons entendus ont estimé que cette rédaction était acceptable, étant précisé qu’il appartiendra au parquet d’établir devant le tribunal correctionnel que la personne mise en cause n’avait pas de raison légitime de se couvrir le visage. En matière pénale – je vous le rappelle –, la charge de la preuve ne saurait reposer sur la personne mise en cause.

Compte tenu de ces assurances, notre commission a décidé de s’en tenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, afin de doter rapidement nos forces de l’ordre d’un outil qui leur sera très utile pour extraire d’une manifestation des éléments perturbateurs.

La commission des lois a ensuite confirmé la suppression de l’article 5, relatif au port d’arme et au jet de projectile, considérant que ses dispositions étaient satisfaites par les textes et par la jurisprudence en vigueur. Enfin, elle a approuvé les modifications introduites à l’article 6, relatif à la peine complémentaire d’interdiction de manifester, ainsi qu’à l’article 7, relatif à la mise en cause de la responsabilité civile des auteurs de dommages lors d’une manifestation.

Au total, en dépit des interrogations que j’ai mentionnées, notre commission a choisi d’adopter la proposition de loi sans modification.

Des garanties importantes m’ont été apportées, tant par le ministère de l’intérieur que par la Chancellerie, quant au travail mené par leurs services pour garantir un juste équilibre entre efficacité des mesures et respect des droits et libertés. Le Président de la République a annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel : ce dernier aura donc l’occasion de se prononcer sur le texte.

Dans le contexte actuel, les interrogations sur la proportionnalité de certaines dispositions ne doivent pas nous faire oublier les nombreuses garanties apportées au texte. Je crois surtout qu’il nous revient, en tant que législateur, de faire preuve de responsabilité, en dotant nos forces de l’ordre des moyens nécessaires à la prévention des violences. Il s’agit non seulement d’assurer la sécurité de nos concitoyens, mais de garantir le libre exercice du droit de manifester ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion des deux motions déposées sur ce texte.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Question préalable

M. le président. Je suis saisi par MM. Kanner, Durain, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, et adoptée sans modification par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale en deuxième lecture, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (n° 364, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour la motion. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 23 octobre dernier, nous avions examiné en première lecture cette proposition de loi présentée par le groupe Les Républicains.

Inspiré de la loi anti-casseurs de 1970, ce texte a très vite provoqué des réactions mitigées. Partiellement épurée en commission, sa rédaction restait, de l’avis général, perfectible. Elle a beaucoup évolué à l’Assemblée nationale. Pourtant, cette proposition de loi a de nouveau fait l’objet d’un accueil assez tiède devant notre commission des lois.

Comme jeudi dernier, lors du débat relatif aux lanceurs de balles de défense, j’exprime aujourd’hui, très solennellement, le soutien inconditionnel de notre groupe aux forces de l’ordre,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Prouvez-le !