compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Dominique de Legge,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 17 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Intitulé du projet de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour une école de la confiance
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Pour une école de la confiance

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une école de la confiance (projet n° 323, texte de la commission n° 474, rapport n° 473).

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour une école de la confiance
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école en France ne se porte pas très bien, ce n’est pas un scoop : près de 100 000 élèves sortent chaque année du système éducatif sans formation ni diplôme ; le chômage des jeunes s’élève à 20 % ; notre pays occupe une place médiocre dans les classements internationaux et, malgré les réformes successives, cette place continue de se dégrader. Les dépenses pour l’éducation étant plus élevées que la moyenne des pays comparables, c’est non la question d’un manque de moyens qui se pose, mais plutôt celle de leur utilisation.

Nous battons tous les records de reproduction des inégalités sociales et territoriales en matière éducative. Ainsi, 48 % des décrocheurs sont des enfants d’ouvriers, faute de bouclier de sécurité. Nous savons aussi que la grande majorité des élèves des filières professionnelles sont issus d’un milieu défavorisé.

L’éducation nationale continue d’affecter et de rémunérer les enseignants en fonction plus de l’ancienneté que des besoins. Les directeurs d’école primaire ne disposent pas du statut et parfois des moyens nécessaires à leur mission.

L’accroissement des charges administratives et les fréquents conflits entre enseignants et familles entravent les inspecteurs dans leur tâche et les empêchent de mener à bien leur mission pédagogique.

Nous pourrions tous poursuivre cette liste encore longtemps, mais à quoi bon ? Je le répète et c’est de notoriété publique : notre école ne se porte pas très bien.

C’est d’autant plus préoccupant que, dans de nombreux territoires en difficulté, les enseignants font aujourd’hui partie des rares relais entre les citoyens et leurs institutions.

À notre époque en proie au doute, à la défiance, au repli identitaire, où l’intelligence et la connaissance cèdent trop souvent le pas au délire et à l’ignorance, où la violence n’est jamais loin, à l’école, dans la rue ou sur les réseaux antisociaux – ce n’est pas un lapsus –, restaurer un lien de confiance au sein de nos écoles est un objectif majeur, que notre groupe ne peut que soutenir.

Bien sûr, personne ne peut croire que, pour atteindre cet objectif, un seul projet de loi puisse proposer le remède miracle ! Au moins celui-ci a-t-il permis, au gré des discussions à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, que de nombreuses questions soient soulevées : transmission des valeurs de la République à l’école, inégalités sociales et territoriales, évaluation de l’école, maillage territorial, mixité, laïcité, santé, inclusion ou encore lutte contre le harcèlement. Si notre système éducatif concentre autant de problématiques différentes, c’est qu’il touche à ce que la République a de plus précieux : son avenir.

C’est aussi la raison pour laquelle ce projet de loi a soulevé un certain nombre d’inquiétudes. Je voudrais saluer d’abord l’excellent travail de notre rapporteur, Max Brisson, qui a permis d’en dissiper plusieurs, ensuite votre attitude ouverte, monsieur le ministre, qui a permis un débat courtois et dépassionné, enfin l’implication de l’ensemble de nos collègues, qui ont siégé nuit et jour pour améliorer le texte et défendre leurs idées.

Sans surprise, le Sénat a approuvé l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, tout en offrant davantage de souplesse à son application. Nous espérons que cette mesure, associée à l’obligation de formation de 16 à 18 ans, sera un réel levier d’action contre le décrochage scolaire et le chômage des jeunes.

Des mesures importantes ont été adoptées en matière d’engagement de la communauté éducative, du renforcement de l’école inclusive, de l’innovation pédagogique, de la formation des enseignants, de l’évaluation, de la gestion des ressources humaines.

D’autres mesures importantes visent à renforcer la transmission et le respect des valeurs de la République en milieu scolaire. Pour prévenir les dérives, le Sénat a également adopté une disposition du Gouvernement visant à renforcer les sanctions contre les écoles privées hors contrat dont les activités ou le fonctionnement risqueraient de troubler l’ordre public. L’école est de plus en plus souvent victime des dérives communautaristes. Nous devons apporter une réponse claire et ferme à toute tentative d’endoctrinement. Il n’y a pas de place en France pour les écoles pratiquant l’éducation à la haine dans le plus grand mépris des valeurs de la République.

Après un débat de haute tenue, bien éloigné des polémiques qui l’ont précédé, la Haute Assemblée a supprimé la possibilité de fusionner écoles et collèges au sein d’un établissement public local. Cette mesure suscitait de l’inquiétude parmi les élus locaux, en particulier les maires ruraux, et la communauté éducative concernée. Nous avons fait le constat qu’une telle réforme de l’organisation de l’école ne pouvait se faire par voie d’amendement, sans étude d’impact et sans concertation préalable avec l’ensemble des acteurs concernés. Nous ne pouvons qu’espérer que les débats qui se sont tenus sur ce sujet, notamment sur l’initiative de notre collègue Jacques Grosperrin, ne resteront pas lettre morte.

Je citerai, pour conclure, Hannah Arendt : « C’est […] avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer à la tâche de renouveler un monde commun. »

Le projet de loi que nous avons examiné n’est pas la panacée à tous les maux qui touchent, dès l’aurore, notre société. Nous n’avons par exemple abordé ni la question de la modernisation des méthodes pédagogiques, ni la valorisation du métier d’enseignant, ni la crise d’autorité qui touche autant l’école que l’État. Il me semble pourtant que ce texte va dans le bon sens et que la contribution du Sénat l’a substantiellement enrichi.

Notre groupe votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que retiendra-t-on de ce projet de loi, censé, selon les termes du Gouvernement, porter une « politique éducative ambitieuse » ?

L’affirmation de divers principes, des mesures juxtaposées ou ajoutées en cours de lecture forment un ensemble qui ne traitera malheureusement pas les travers de notre système éducatif, dénoncé régulièrement par les études comme inégalitaire et peu performant.

Lors des débats, monsieur le ministre, vous avez dit qu’aux deux extrémités de notre système le projet de loi apportait « deux acquis fondamentaux » : l’obligation d’instruction abaissée à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans. Cependant, ces deux mesures ont surtout valeur de symbole, tout comme l’intitulé de ce projet de loi « pour une école de la confiance ».

Je ne ferai pas preuve d’originalité en rappelant que la quasi-totalité des enfants sont déjà scolarisés à l’âge de 3 ans. À l’autre extrémité du système, assurer que les jeunes de 16 à 18 ans devront être en formation et tenter d’identifier ceux qui ne le sont pas ne règle malheureusement pas le problème de la déscolarisation.

L’école dès 3 ans, la formation obligatoire de 16 à 18 ans, la transformation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les Espé, en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, les Inspé, l’exemplarité des enseignants sont autant d’actes de communication censés séduire les Français. Pourtant, au lieu de rassembler, ce projet de loi a failli désunir. Ces derniers mois, loin de la confiance souhaitée, il a soulevé l’inquiétude, voire l’opposition de la communauté éducative, des parents et des élus locaux.

Le Sénat s’est donc employé à retrouver l’apaisement. Contrainte par la procédure accélérée, notre assemblée a accompli un travail considérable : 141 amendements ont été adoptés en commission, 60 autres en séance.

Je tiens tout particulièrement à féliciter notre collègue rapporteur, Max Brisson, pour son investissement, la qualité de ses travaux et la pédagogie dont il a su faire preuve. (Bravo ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Le Sénat est intervenu tout d’abord pour combler les lacunes du texte.

Je pense notamment à la mise en œuvre de la scolarisation à 3 ans : les besoins de compensation des communes n’avaient pas été entièrement pris en compte, la situation des jardins d’enfants non plus. La fatigue de l’enfant devait être prise en considération au moyen d’assouplissements. La mesure phare du projet de loi nécessitait finalement divers ajustements.

Je pense également au chapitre entier introduit par l’Assemblée nationale sur l’école inclusive, qui appelait de nombreuses précisions.

Le Sénat est également venu apporter des garde-fous à certaines dispositions controversées.

Ainsi, concernant la création d’un conseil d’évaluation de l’école, qui remplace l’actuel Cnesco, le Conseil national d’évaluation du système scolaire, nous avons pu apaiser les craintes d’une éventuelle mainmise du ministère, en apportant des garanties d’indépendance à ce nouvel organisme.

Sur le plan des symboles, le Sénat a tenu à réaffirmer l’autorité des enseignants et des directeurs et le respect qui leur est dû, à un moment où les agressions, verbales et physiques, n’ont jamais été aussi nombreuses. Le choix des symboles, dans un texte sur l’école, est important et nous tenions à ce que chacun se sente soutenu.

Nous avons également maintenu la présence de symboles républicains dans les classes, comme l’avaient souhaité les députés, et nous avons réaffirmé l’importance du principe de laïcité.

Notre rapporteur a introduit des sujets importants qui ne figuraient pas dans le projet de loi, mais sur lesquels nous appelions à légiférer de longue date : le statut du directeur d’école ou la formation continue des enseignants, qui sont des éléments clés pour améliorer la qualité de l’enseignement en France.

Enfin, le Sénat a entendu la demande des élus locaux, de la communauté éducative et des parents en supprimant l’article 6 quater, qui a fait grand bruit en étant introduit sans concertation préalable à l’Assemblée nationale.

Les fameux établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, regroupant écoles et collèges, sont apparus en cours de procédure sans qu’il y ait eu ni débat préalable, ni étude d’impact, ni avis du Conseil d’État. Or la concertation et l’analyse sont des préalables indispensables pour introduire des mesures nouvelles.

La polémique qui a eu lieu et qui n’est pas de votre fait, monsieur le ministre, est regrettable. Sur certains territoires, l’idée répond à un réel besoin, comme le montrent les témoignages d’élus expérimentant actuellement ces regroupements.

Le dispositif proposé était perfectible, ce que j’ai pu démontrer, ainsi que plusieurs de mes collègues, en proposant une réécriture donnant toute l’initiative aux élus, associant la communauté éducative et en les assurant par la loi du maintien des écoles dans chaque village ainsi que des fonctions de directeur.

Cependant, il nous a semblé que la priorité était de sortir du cercle de défiance que l’article avait suscité. Une telle mesure ne pouvait se décréter sans dialogue de fond, alors que de fortes inquiétudes s’étaient exprimées. Vous avez vous-même conclu en séance, monsieur le ministre – je vous en remercie –, à la nécessité d’ouvrir maintenant une concertation sur le sujet. Nous espérons que tel sera le cas et que les députés se joindront à nous sur ce point.

Nous appelons également de nos vœux un accord en commission mixte paritaire concernant les nombreux ajouts, précisions et modifications que nous avons introduits.

La rédaction issue du Sénat est équilibrée, aboutie et repose sur le dialogue. Je conclurai mon propos par un extrait du discours d’investiture au Sénat du président Jules Ferry, le 27 février 1893 – rappelons qu’il a disparu prématurément et n’a occupé les fonctions de président du Sénat que vingt et un jours : « La vie parlementaire serait odieuse si l’on n’y apprenait pas à se respecter et à s’estimer les uns et les autres. N’est-ce pas précisément l’état d’esprit de cette grande Assemblée, ce qui donne à vos débats tant de noblesse, ce qui assure ici aux relations personnelles tant de charme et de dignité ? »

Nos débats, je l’espère, auront été à la hauteur de l’attente des Français. Nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette séance conclut une semaine intense de discussions, qui aura permis à chaque groupe de défendre ses propositions sur l’école, de confronter ses points de vue, d’argumenter – parfois avec passion, mais toujours dans un climat digne et serein qui fait honneur à la Haute Assemblée.

La bonne tenue de ce débat a été rendue possible par votre souci permanent, monsieur le ministre, d’expliquer et de clarifier chacun de vos choix. En effet, c’est toujours dans l’écoute et le dialogue que vous avez discuté avec les sénateurs et ceux-ci ont, je pense, apprécié la qualité et la franchise de vos réponses.

Soulignons également le travail important du rapporteur, Max Brisson, qui a contribué à la qualité de nos discussions. Je tiens tout particulièrement à le remercier, ainsi que la présidente et les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de l’attention constante dont ils ont fait montre pour les enjeux propres aux territoires ultramarins.

Nous l’avons dit, ce projet de loi n’a pas vocation à répondre seul aux défis de l’école : d’abord parce que tout ne relève pas de la loi en cette matière si spécifique qu’est l’éducation nationale, ensuite parce que ce texte s’inscrit dans une politique plus ambitieuse en faveur de l’élévation du niveau général des élèves et d’une plus grande justice sociale.

Ce projet de loi, parfois jugé hétéroclite et secondaire, aura permis des débats nourris sur des enjeux fondamentaux, loin d’être symboliques. École inclusive, décrochage scolaire, mixité sociale, langues régionales, statut des directeurs d’école ou encore formation des enseignants : personne ne me contredira si je dis ici que nos échanges ont été denses et souvent teintés de la passion des anciens maires et des enseignants qui composent cette maison.

Au cours de la discussion, le projet de loi a donné lieu à de nombreux points d’accord ainsi qu’à certaines clarifications attendues. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement en tiendra compte pour la suite du débat, dans le respect du bicamérisme.

Je pense d’abord à l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, votée à l’unanimité par notre Assemblée. Loin d’être accessoire, cette mesure consolide le cadre de l’école républicaine. J’ai rappelé l’immense défi que cela provoquerait dans certains territoires, notamment à Mayotte et en Guyane. Le Sénat y a été très sensible et a adopté une expérimentation consistant à faciliter les constructions scolaires.

Dans le même esprit, je pense aussi aux mesures profondément sociales que constituent l’obligation de formation de 16 à 18 ans, le renforcement de l’école inclusive ou encore le prérecrutement.

Je pense également à l’article 1er, qui, loin d’être un instrument pour museler les enseignants, rappelle ce qui fonde la relation entre le maître et l’élève.

Je pense enfin aux établissements publics d’enseignement des savoirs fondamentaux pour lesquels, avec votre assentiment, monsieur le ministre, le Sénat a adopté, sans s’opposer radicalement au principe, une position de sagesse afin de privilégier un dialogue concerté avec l’ensemble de parties prenantes.

Des divergences demeurent nécessairement dans pareil exercice et nous regrettons de ne pas avoir convaincu notre assemblée sur d’autres points.

C’est le cas de l’accompagnement financier prévu en faveur des communes lié à l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Le Sénat a adopté un mécanisme de régulation au profit des communes ayant déjà fait le choix de participer à la prise en charge des dépenses relatives aux classes maternelles privées. S’il nous semble indispensable que l’État s’engage sur les nouvelles dépenses, il ne saurait compenser dans une forme de rétroactivité celles qui étaient déjà engagées par le passé au titre de la libre administration des collectivités territoriales.

Le constat est identique concernant la dérogation accordée aux jardins d’enfants. Il est assez surprenant d’observer qu’avant l’examen au Sénat le Gouvernement a été injustement accusé de sonner le glas de l’école maternelle au profit des jardins d’enfants pour se voir finalement reprocher l’exact opposé dans cet hémicycle.

M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !

M. Antoine Karam. À l’arrivée, le Sénat a choisi de pérenniser la dérogation accordée à ces structures. Nous respectons ce choix, comme nous respectons le travail qui a été réalisé. Toutefois, l’esprit de cette loi étant de renforcer l’école maternelle comme socle de l’école républicaine, nous restons convaincus qu’il eût été préférable de limiter cette dérogation dans le temps pour accompagner les jardins d’enfants vers une évolution.

Nous regrettons enfin de ne pas avoir convaincu le Sénat sur le statut des directeurs d’école. En souhaitant envoyer un signal, certes positif dans l’élaboration d’un véritable statut, la majorité sénatoriale risque d’entraver le dialogue social en créant de la défiance parmi le corps enseignant. En effet, la question du lien hiérarchique, notamment de l’évaluation, est loin de faire l’unanimité parmi les directeurs eux-mêmes. À cet égard, notre groupe réitère son souhait de voir le statut du directeur d’école faire l’objet d’une concertation avec les syndicats.

Cela étant, notre vote sera déterminé par des choix nettement plus regrettables, auxquels nous ne saurions souscrire.

Je pense d’abord à l’interdiction du voile pour les sorties scolaires, qui, en pratique, mettra les enseignants et les directeurs d’école dans des situations difficiles, voire inextricables.

Je pense surtout à ce que je considère comme un retour en arrière assez incompréhensible, à savoir la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme. Appliquée de 2010 à 2013, cette mesure a déjà démontré son caractère particulièrement injuste et inefficace.

Là encore, dans un texte appelant à la confiance entre la communauté éducative, les parents et les élèves, ces mesures jettent l’anathème sur une partie des familles, au risque de creuser plus encore les inégalités.

En définitive, le Sénat a largement adopté les principales dispositions de ce projet de loi, parce que celles-ci vont dans le bon sens. Cependant, malgré d’évidentes clarifications, nous devons nous prononcer sur un texte qui comporte également des mesures qui contreviennent, selon nous, à son ambition sociale.

C’est ce qui conduit le groupe La République En Marche à s’abstenir,…

M. Loïc Hervé. C’est dommage !

M. Antoine Karam. … même s’il garde l’espoir qu’un compromis sera trouvé en commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs semaines que nous débattons, ici, au Sénat, du devenir de notre système éducatif, alors que dans le pays résonnent inquiétudes et colère. C’est une très bonne chose que les parents d’élèves, les élus locaux, évidemment les enseignants, et, finalement, toute la société se soient ainsi mêlés du débat.

L’école concentre toutes les exigences d’égalité, de justice sociale et même d’ascenseur social, qui continuent de mobiliser le peuple français malgré les offensives libérales nous sommant d’abandonner cette promesse républicaine.

Cette mobilisation n’est pas étrangère à l’abandon des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux » regroupant écoles et collèges. Nous nous en félicitons, mais nous resterons vigilants face à toutes les tentatives de prendre appui sur d’éventuels intérêts pédagogiques pour accélérer la désertification scolaire dans nos territoires, car la proximité et l’égalité d’accès sont pour nous des principes fondateurs de notre système éducatif.

Là s’arrêtent malheureusement nos motifs de satisfaction.

Beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, aviez pris l’engagement que nos débats soient à la hauteur de l’enjeu, l’école de la République méritant mieux que des postures. Cet objectif a parfois été manqué, et de beaucoup : considérer, par exemple, que la suspension des allocations familiales réglera l’absentéisme, c’est être bien loin de la responsabilité qui est la nôtre ! Cette mesure, et chacun le sait ici car elle a été expérimentée, est aussi injuste que contre-productive.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !

Mme Céline Brulin. Il est regrettable, et pour tout dire assez honteux, que de tels errements idéologiques aient eu leur place dans notre assemblée. Qui peut vraiment croire qu’appauvrir les familles, tout particulièrement celles qui rencontrent des difficultés sociales et éducatives, serait la solution aux problèmes de l’école ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Céline Brulin. Ce n’est malheureusement pas la seule mesure, introduite par votre majorité sénatoriale, que nous ayons à regretter.

Je pense à l’annualisation du temps de service des enseignants ou à leur formation continue « en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement ». Dans le droit-fil de votre choix, en décembre dernier, de porter de un à trois le nombre de jours de carence dans la fonction publique en cas de maladie.

J’ai encore en mémoire ces enseignants victimes de violences, auditionnés en commission, qui avaient clairement mis en accusation cette décision, la jugeant précisément violente. « Vous avez décidé de nous retirer 250 euros de salaire parce que, enseignant à plusieurs dizaines d’élèves chaque semaine, il y a peu de chances que nous échappions à l’épidémie de gastro-entérite cet hiver », nous avaient-ils dit en substance.

Là encore, qui peut croire que nous répondrons ainsi à la crise de recrutement que nous connaissons dans l’enseignement ?

Au-delà, c’est le cœur du texte qui demeure le principal problème : notre système scolaire à deux vitesses ne répond aucunement au véritable enjeu, qui est d’en finir avec la reproduction des inégalités ; au contraire, il risque de les aggraver. Après avoir réalisé la massification de l’enseignement, c’est à sa démocratisation que la France devrait s’attaquer. Voilà qui serait de nature à restaurer la confiance.

Les établissements publics locaux d’enseignement international, qui n’ont d’ailleurs de public que le nom puisqu’ils pourront être financés par des dons privés, continuent par exemple, malgré les correctifs cosmétiques qui leur ont été apportés, d’entériner une logique profondément inégalitaire.

Le remplacement du Cnesco par un conseil d’évaluation de l’école, qui généralisera la mise en concurrence des établissements, par l’évaluation, vise les mêmes objectifs.

Nos craintes concernant le recours aux assistants d’éducation, notamment pour les remplacements de courtes durées, dans les zones les plus déficitaires, souvent les quartiers populaires ou les zones rurales, ne sont pas non plus dissipées.

Si nous avons unanimement soutenu la scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans, nous regrettons que l’élargissement des compensations financières décidé par notre assemblée ne soit pas allé jusqu’à couvrir toutes les communes, notamment celles qui financent déjà sur leurs fonds propres les dépenses liées aux maternelles publiques. Du coup, cette mesure symbolique, en particulier en métropole, n’est pas le véritable progrès social qu’elle devrait être. Le grand gagnant sera l’enseignement privé.

Le sort réservé à l’école inclusive tourne encore plus explicitement le dos aux valeurs de l’école publique. La mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL, signe un renversement de logique dans l’accompagnement des enfants en situation de handicap. Dans un contexte de restrictions budgétaires, les besoins de l’institution scolaire sont rendus prioritaires par rapport à ceux des enfants.

Nous n’avons malheureusement pas pu approfondir la question de la situation des accompagnants de ces enfants, la plupart de nos amendements ayant malheureusement été déclarés irrecevables. Tout concourt pourtant à concevoir un nouveau métier de l’éducation, dans le cadre de la fonction publique, car il n’est pas acceptable que les AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, qui font un travail indispensable, continuent de vivre avec des salaires si faibles, sans formation, sans statut, ni reconnaissance.

On le voit dans les académies qui mettent déjà en place la mutualisation, les AESH n’atteignent quasiment jamais un temps complet. La mutualisation sert de justificatif au fait qu’il « y aura moins de besoins ».

J’évoquerai maintenant l’article 1er du texte, qui demeure toujours aussi dangereux pour l’exercice de la citoyenneté des professeurs. Fonctionnaires, bien évidemment soumis à des devoirs, ceux-ci n’en sont pas moins des citoyens, qui ont d’ailleurs pour mission de former d’autres citoyens, de futurs citoyens. Les procédures disciplinaires qui se multiplient actuellement ne sont évidemment pas faites pour nous rassurer sur ce point non plus.

Nous resterons vigilants pour empêcher que des dispositions rejetées ou supprimées soient réintroduites par voie réglementaire, comme il est bien trop souvent possible de le faire en matière d’éducation.

Notre groupe votera contre ce texte, qui suscite toujours, avec raison, la défiance parmi les parents d’élèves, les enseignants, les élus locaux et tous ceux qui sont attachés à l’idéal de l’école républicaine. Nous avons la conviction que leur mobilisation n’est pas dernière nous, au contraire. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour aller chercher, un à un, les postes qui permettront de concrétiser la promesse présidentielle de réduire à 24 le nombre d’élèves par classe, de la grande section au CE1. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)