M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On paye juste plus d’impôts…

M. Julien Bargeton. Des outils, il en faut d’autres. Quant à moi, je n’ai pas de préventions à l’égard des dispositions du présent texte relatives à la lutte contre la fraude fiscale. Alors que les géants du numérique exploitent les données qu’ils recueillent, il ne faut pas que l’État baisse la garde.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est une idée du Sénat !

M. Julien Bargeton. Les géants du numérique ne doivent pas pouvoir faire ce qu’ils veulent. Il importe de « faire du judo » en la matière, tout en respectant bien sûr l’État de droit. Cela signifie utiliser la puissance des outils numériques et des réseaux sociaux pour lutter contre la fraude fiscale. De ce point de vue, je reconnais, monsieur le rapporteur général, que le Sénat a pleinement joué son rôle, en faisant notamment des propositions sur l’assujettissement des plateformes numériques à la TVA.

Apporter des recettes permet de réduire les déficits sans augmenter les impôts. J’ai entendu dire en sourdine, sur les travées de gauche de cette assemblée, qu’il fallait de nouveau recourir à cette vieille ficelle qu’est la hausse des impôts. Non, il faut non pas augmenter les prélèvements obligatoires, qui sont d’ores et déjà trop élevés en France, mais au contraire les diminuer de façon mesurée et progressive. Augmenter les impôts, fût-ce seulement pour les plus riches, n’est pas ce dont le pays a besoin, du point de vue de sa crédibilité, du respect de la parole donnée et de la cohérence de sa politique fiscale.

La cohérence doit également prévaloir en matière d’économies. On ne manquera pas de nous proposer, comme d’habitude, des mesures d’économies visant les agents publics et l’aide médicale d’État (AME). Alors que l’on demande davantage de concertation, de consultation et de respect des corps intermédiaires, la majorité sénatoriale propose de modifier d’un trait de plume le temps de travail des agents publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est la Cour des comptes !

M. Julien Bargeton. Il y a sans doute des économies à faire sur la masse salariale de l’État, mais comment peut-on vouloir changer l’ensemble de l’organisation du temps de travail dans la fonction publique sans même engager un dialogue préalable avec les organisations syndicales ? Ce n’est ni crédible, ni sérieux, ni réalisable ! On peut travailler cette question, mais sur des bases solides.

Pour ce qui concerne l’AME, la fraude existe, certes. Il faut la limiter, contrôler, mais sans en faire un totem ou un tabou. Il est illusoire de croire que les économies réalisées à ce titre résoudraient tous les problèmes de financement de l’État.

L’exigence de crédibilité vaut aussi pour les niches fiscales. On n’a de cesse de les dénoncer, au nom de la lutte contre le déficit, mais nos amendements, reconnaissons-le, visent souvent à créer ou à élargir des niches fiscales !

Certes, la fiscalité ne sera jamais un jardin à la française parfait. Pour autant, la jungle est suffisamment touffue pour que l’on n’ajoute pas de la complexité en déployant des trésors d’inventivité pour aboutir à réduire encore les recettes, et donc à creuser les déficits.

Cette crédibilité, c’est celle du Gouvernement, du Président de la République, mais pas seulement ! C’est aussi celle de notre pays à l’égard de l’Europe. Ce n’est pas Bruxelles qui contraint la France à redresser ses finances publiques, c’est la situation du pays. Nous avons besoin de stabiliser la dette, voire de la réduire. On critique le fait que le déficit s’établisse à 2,2 % du PIB, mais on ne dit jamais vraiment comment on pourrait aller plus vite ou plus loin. C’est justement au moment où le déficit est au plus bas depuis vingt ans que l’on peut discuter de la pertinence, du bien-fondé de la règle des 3 % ! C’est parce que l’on vise le respect de cette règle que l’on peut commencer à se demander si elle est appropriée au XXIe siècle, au moment où nous sommes confrontés au retrait stratégique des États-Unis en matière de défense, à l’urgence écologique, à la concurrence de la Chine dans le numérique. Dans ces trois domaines – la défense, le numérique, l’écologie –, n’y a-t-il pas des investissements puissants à faire au niveau européen, ce qui suppose de réfléchir au maintien de cette règle ? Cela signifie non pas qu’il ne faut pas continuer à maîtriser les déficits publics, mais simplement qu’il faut avoir le courage d’ouvrir ce débat dans le siècle que nous traversons.

Mes chers collègues, notre discussion doit être utile. Pour reprendre les mots d’Alfred Sauvy, « le but de la démocratie n’est pas de s’entendre mais de savoir se diviser ». Sur ce plan, je pense que nous sommes bien partis, mais ce débat doit permettre d’éclairer l’ensemble des enjeux et être à la hauteur des défis qui s’imposent à nous. Il y va de la crédibilité de notre pays, de la constance, de la cohérence et de la clarté de ses choix. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Yvon Collin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ne disposant que de cinq minutes, je n’aborderai que deux sujets : la taxe d’habitation et le mécénat.

En ce qui concerne la taxe d’habitation, je suis bien conscient que mon intervention ne servira à rien (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Bruno Le Maire, ministre. Mais non !

M. Philippe Adnot. … dès lors que la haute administration, sûre de sa supériorité et figée dans ses certitudes, n’écoutera rien !

M. Bruno Sido. Alors on s’en va !

M. Philippe Adnot. Je le sais, l’affaire est entendue, il paraît qu’il s’agit de tenir un engagement de campagne. Je me permets juste d’alerter une nouvelle fois sur l’absurdité de la suppression de la taxe d’habitation, une absurdité qui coûtera cher à l’État, donc aux contribuables, et qui portera atteinte à l’autonomie des collectivités territoriales. C’est encore un cadeau fait à ceux qui paient une taxe d’habitation élevée !

Il aurait mieux valu prévoir un allégement forfaitaire pour tous les contribuables. La suppression de la taxe d’habitation coûtera 20 milliards d’euros chaque année. C’est une charge supplémentaire pour l’État, un déficit supplémentaire : c’est par l’emprunt que l’on trouvera la solution.

Ce faisant, vous avez surtout privé les collectivités locales d’un levier responsabilisant. Désormais, aucun maire ne pourra calmer les ardeurs dépensières de ceux qui n’auront plus à financer la satisfaction de leurs demandes par le paiement de l’impôt. Bien sûr, il restera les impôts fonciers, mais ceux-ci ne concernent pas tout le monde. La spécialisation de l’impôt dans les collectivités locales, c’est l’injustice garantie !

Vous n’avez pas réussi à supprimer les communes. Aussi avez-vous inventé une arme de destruction massive beaucoup plus dangereuse : la déresponsabilisation. L’État est impécunieux, il ne profite pas des taux bas pour investir via des dépenses structurelles à même de favoriser la relance ou de résoudre les différents problèmes de notre société. Pour l’instant, on utilise des artifices. Nous avons examiné hier la reprise par l’État de la dette de la SNCF. Cette reprise n’est bien sûr pas dramatique, puisqu’elle n’apparaîtra pas dans le déficit de l’État… Il n’empêche que c’est une dette certaine. Il n’est pas de bonne méthode de procéder ainsi.

Le traitement réservé au mécénat illustre à merveille l’absence de vision globale de nos élites comptables. Si l’on abaisse le taux de défiscalisation de 60 % à 40 % au-delà de 2 millions d’euros, l’État va certes gagner quelques millions d’euros, mais, pour prendre un exemple qui relève de l’exercice précédent, si les entreprises et les citoyens ne s’étaient pas mobilisés à la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, l’État, étant son propre assureur, aurait dû assumer l’intégralité des dépenses… Alourdir la fiscalité pour le mécénat est donc selon moi une mauvaise idée.

Il en va de même pour l’enseignement supérieur : de nombreuses chaires sont aujourd’hui financées par les entreprises, alors que leur financement relève normalement de l’État. On a fait croire que le régime fiscal ne changerait que pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros, mais c’est le cumul des dons qui est pris en compte. Demain, il est vraisemblable qu’un certain nombre d’universités verront diminuer le financement de leurs chaires parce que les entreprises adopteront, comme le Gouvernement, une analyse comptable. Ce n’est pas de bonne méthode, alors que s’enclenchait en France une dynamique à l’œuvre dans tous les autres pays. Juste au moment où cette dynamique commençait à prendre chez nous, on la remet en cause !

J’approuve sans réserve la position de la commission des finances : pas d’application de la réforme de la taxe d’habitation tant qu’on n’en connaîtra pas les conséquences et qu’on ne disposera pas de toutes les évaluations nécessaires ; suppression de l’article relatif au mécénat, dont le dispositif méconnaît l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà maintenant plus de deux mois que le Gouvernement fait assaut de communication pour vendre à l’opinion publique ce budget comme étant la réponse à la crise des « gilets jaunes ».

Cette crise n’est ni une simple saute d’humeur ni un coup de colère passager. Le mouvement des « gilets jaunes » est le produit de la crise sociale profonde que connaît notre pays depuis trop d’années. Le problème est ancien, donc, mais la politique que vous menez depuis deux ans et demi, messieurs les ministres, n’a fait qu’aggraver la situation.

Que nous dit ce mouvement ?

D’abord que nos concitoyens ne supportent plus de n’être ni entendus, ni compris, ni même parfois considérés comme faisant partie de la population par un pouvoir jugé technocratique et arrogant, donnant l’impression de prendre des décisions davantage en suivant une logique de « tableau Excel » qu’en étant immergé dans la vie réelle.

Ces sentiments sont largement partagés par ceux dont le président Macron a dit un jour qu’ils « ne sont rien » ou qui ne figurent pas parmi les bienheureux « premiers de cordée ». Plus que jamais, notre société est profondément fracturée. Il y a eu « la France d’en haut et la France d’en bas » de notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin, la « fracture sociale » pointée en son temps par le candidat Jacques Chirac. La « France périphérique » d’aujourd’hui se révolte et dit sa colère de ne pouvoir mener une vie décente, une vie tout simplement normale.

Notre République va mal parce que notre société connaît des inégalités de plus en plus fortes. Les rapports successifs, notre vécu quotidien le démontrent régulièrement.

Votre politique, quoi que vous puissiez en dire, aggrave cette situation. En 2018, le taux de pauvreté a augmenté de 0,6 % pour atteindre 14,7 % de la population ; près d’une personne sur sept vit sous le seuil de pauvreté dans notre pays, la sixième puissance économique mondiale, la troisième sur le plan de l’Union européenne.

Concrètement, au-delà de ce pourcentage, ce sont 400 000 personnes qui ont basculé dans la pauvreté, laquelle concerne aujourd’hui plus de 9 millions de nos concitoyens. Ce chiffre en hausse se trouve être le plus élevé depuis 2011 et n’a été dépassé qu’à deux reprises depuis vingt-trois ans, en 1996 et en 2011.

Du côté des « premiers de cordée », où en sommes-nous en cette année 2019 ? Ne soyez pas inquiets, mes chers collègues, soyez même enthousiastes, car de ce côté-là tout va bien, merci pour eux ! Ces « premiers de cordée » ont toutes les raisons de se féliciter des choix économiques et fiscaux du gouvernement de M. Macron. Les mesures socio-fiscales mises en place par le Gouvernement en 2018 ont augmenté le niveau de vie des Français de 1,1 %, mais elles ont surtout avantagé les 10 % les plus aisés de nos concitoyens. Cette catégorie a gagné 790 euros de pouvoir d’achat par an en moyenne, contre 130 à 230 euros pour le reste de la population.

Les plus grands bénéficiaires des réformes de l’exécutif ont bien sûr été les détenteurs de capital. Le remplacement de l’ISF par l’IFI a notamment entraîné pour les ménages concernés une hausse du revenu disponible estimée à 10 000 euros. Selon l’Institut des politiques publiques, l’effet cumulé des mesures fiscales et sociales prises en 2018, en 2019 et en 2020 entraîne une hausse de ce revenu de plus de 23 000 euros pour les 0,1 % les plus riches. Concrètement, cela concerne les foyers fiscaux dont le revenu annuel est supérieur à 700 000 euros. Telle est la réalité, la traduction concrète de vos choix, messieurs les ministres.

Après le « grand débat », plus rien ne devait être comme avant. Nous allions entrer dans l’acte II du quinquennat, et ce budget allait donc traduire en mesures concrètes le virage social annoncé. Vous nous dites vouloir rendre du pouvoir d’achat aux Français. Le récit est peaufiné, millimétré et colporté à l’envi via médias et réseaux sociaux. Le Gouvernement ne revient pas sur les mesures fiscales en faveur des plus riches, engagées en 2018… Nous sommes loin d’un tournant social, il s’agit davantage d’une pause tactique de votre part.

Votre maître mot, dans la présentation de ce projet de budget, c’est la baisse des impôts. Présentée ainsi, l’affaire paraît séduisante. Cela signifie qu’il y aura mécaniquement moins d’argent dans les caisses de l’État, mais derrière une communication tonitruante se dissimule une tout autre réalité que celle affichée : moins d’argent dans les caisses se traduit par de l’austérité pour nos services publics et moins de crédits pour répondre aux urgences sociales et climatiques. Vous l’avez confirmé, la baisse de l’impôt sur les sociétés va se poursuivre. Des milliards d’euros vont être accordés sans condition, alors que certains grands groupes continuent de délocaliser leurs usines à l’étranger, dans des pays à bas coûts de production.

Ce nouveau cadeau pour le capital représente en fait 2,5 milliards d’euros en moins pour notre budget, nos hôpitaux, nos retraités, nos communes et le financement de la transition écologique. Ce n’est pas l’impôt qui est le problème, c’est l’injustice fiscale ; il faut la combattre. L’impôt donne à l’État les moyens de construire une société solidaire et juste. Je reprendrai à mon compte cette phrase d’Henry Morgenthau, secrétaire d’État au trésor du président Roosevelt dans les années 1930 : « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. »

Le consentement à l’impôt s’appuie sur des principes de justice fiscale, de progressivité et, surtout, sur l’idée que personne ne doit échapper à l’impôt, notamment les contribuables les plus importants.

À ce propos, messieurs les ministres, nous sommes demandeurs d’informations détaillées sur la mission qui fut confiée à la Cour des comptes le 25 avril dernier par le Président de la République lors de sa conférence de presse clôturant le grand débat. Cette mission consistait en une évaluation du montant de la fraude et de l’évasion fiscales pour notre pays. Un rapport devait être rendu avant le débat budgétaire au Parlement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le 2 décembre !

M. Éric Bocquet. Nous sommes le 21 novembre, le texte arrive au Sénat et nous n’avons plus aucune nouvelle. Cela est d’autant plus inquiétant que dans ce projet de loi de finances ne figure aucune véritable mesure de lutte contre l’évasion fiscale. Est-ce à dire que vous considérez que le problème serait complètement et définitivement réglé ?

Nous défendrons de nombreux amendements lors des débats à venir. La justice fiscale étant notre boussole, nous proposerons le rétablissement de l’ISF, ainsi qu’un barème de l’impôt sur le revenu comportant un nombre plus élevé de tranches afin que les petits revenus paient moins et les plus gros davantage. Nous présenterons également des amendements visant à réformer la TVA, pour la rendre faible sur les produits de première nécessité, forte sur les produits de luxe, considérant que le commerce du luxe se porte à merveille : il connaît une hausse de 10,8 % en 2019 selon les revues spécialisées.

Voilà un effet de ruissellement évident de la suppression de l’ISF et de la mise en place du PFU.

Oui, messieurs les ministres, ce sont bien les plus modestes qui subiront les effets de vos choix économiques et fiscaux. Votre baisse de l’impôt sur le revenu ne profitera évidemment pas à ceux qui ne gagnent pas assez d’argent pour être imposables. Vous proposez de faire des économies sur la santé, le logement, l’assurance chômage, les APL de nouveau, la vie étudiante et nos services publics de proximité. Vous avez fait le choix très libéral de vendre nos bijoux de famille avec la privatisation des groupes Aéroports de Paris et Française des jeux.

Selon votre conception, pour que le travail paie, il faut passer par la caisse d’allocations familiales, avec la prime d’activité, par l’État, avec les baisses d’impôts, ou par la sécurité sociale, avec les allégements de cotisations.

Bref, c’est à la solidarité nationale, c’est-à-dire à nous toutes et tous, de payer ces augmentations de salaires. On n’augmente pas vraiment les salariés, alors même que la distribution des dividendes bat encore des records cette année dans notre pays.

Dans votre stratégie de communication, vous mettez en avant la restitution de pouvoir d’achat aux Français par le biais de la suppression de la taxe d’habitation. Cela est séduisant, mais il convient ici de bien analyser les conséquences de cette décision pour les collectivités. Cela vaut pour les communes, mais aussi pour les départements, qui ont clairement exprimé leur désaccord avec votre proposition de remplacer la taxe d’habitation des communes par la taxe sur le foncier bâti, perçue jusque-là par les collectivités départementales, d’autant que l’année de référence serait 2017 et non 2019. Lors du récent congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF), les présidents de département, dans leur diversité politique, ont exprimé clairement leur opposition à cette mesure. De très nombreux départements connaissent déjà une situation financière très tendue. Ils considèrent aussi que les propositions gouvernementales demeureront inacceptables si les départements ne conservent pas de la liberté. C’est bien là une deuxième pierre d’achoppement, celle de l’autonomie financière des collectivités. Le projet de compenser les pertes par une part de TVA contrevient à ce principe : seul l’État a la maîtrise des taux de cette taxe, sans parler des aléas que le produit de celle-ci peut subir en fonction de l’intensité de la consommation, et donc de la croissance économique. Certes, on nous promet la compensation à l’euro près, mais les élus sont échaudés. Nous avons déjà entendu cette histoire, et nous savons que le respect de ses engagements par l’État peut être bien aléatoire. Décidément, messieurs les ministres, le compte n’y est pas pour les départements !

Dans nos communes et les territoires ruraux, la disparition des services publics se confirme d’année en année. Là encore, la revendication de leur maintien s’est fortement exprimée lors du grand débat et au travers du mouvement des « gilets jaunes ».

On cherche également dans ce projet de loi de finances la marque d’une grande ambition en matière de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique. Ce projet de budget pour 2020 ignore, comme l’urgence sociale, l’urgence climatique.

Certes, on évoque une augmentation de 800 millions d’euros des crédits pour la transition écologique. Si Bercy a distribué un petit livret vert pour vendre ses actions, les choses ne bougent guère sur le fond. Les experts s’accordent à estimer qu’il faudrait investir 30 milliards d’euros dans la transition écologique. Les taux des emprunts sont actuellement négatifs pour les prêts d’une maturité allant jusqu’à quinze ans pour notre pays. C’est le moment ou jamais de profiter de cette occasion historique.

Les besoins sont clairement identifiés. Il faudrait rénover 7 millions de logements qui sont de véritables passoires thermiques, au rythme d’au moins 700 000 logements par an. Nous en sommes aujourd’hui péniblement à 250 000, dont seulement 40 000 rénovations complètes. À l’évidence, nous prenons du retard.

Sur la thématique des transports, il y a trop peu dans votre projet de budget pour investir massivement en faveur des transports ferroviaires, quasiment rien pour le fret, pour améliorer le transport des voyageurs avec davantage de dessertes et des billets moins chers.

Dans le même ordre d’idées, le Gouvernement serait bien inspiré d’accompagner les collectivités qui sont de plus en plus nombreuses à s’engager en faveur de la gratuité des transports collectifs.

Le temps est venu d’une autre politique budgétaire, d’une autre logique de gestion. La réduction dogmatique de la dépense publique nous a conduits dans l’impasse. Il faut, messieurs les ministres, changer le logiciel de votre politique. Pour sortir de cette impasse, il aurait fallu s’attaquer aux près de 500 niches fiscales, qui représentent un total de 100 milliards d’euros.

Le seul CICE, aujourd’hui transformé en baisse des charges patronales, aura coûté 100 milliards d’euros depuis sa création pour créer péniblement 130 000 emplois, nous dit-on. Vous n’annoncez rien de neuf en matière de lutte contre toutes les pratiques d’évitement de l’impôt toujours à l’œuvre dans notre pays. Des dizaines de milliards d’euros échappent à la collectivité. C’est une lutte sans merci qu’il faut livrer contre ces pratiques scandaleuses. Il y a là des ressources abondantes à récupérer pour relever les grands défis de notre temps.

Dans cet esprit, nous déposerons un amendement sur les crédits de la mission « Gestion des finances publiques » en vue de la création d’un observatoire de la fraude fiscale,…

Mme Nathalie Goulet et M. Michel Canevet. Ah !

M. Éric Bocquet. … excellente idée lancée avec fracas il y a un an, perdue aujourd’hui dans les limbes de la communication politique. Cette idée, nous la reprenons à notre compte, et ce gouvernement, nous en sommes convaincus, ne manquera pas de la saluer et de la soutenir. (Mme Nathalie Goulet opine.)

Certes, notre pays n’est pas une exception dans le monde, mais toutes les estimations disponibles montrent qu’en France les montants de la fraude sont très élevés. La multiplication des affaires prouve d’ailleurs que celle-ci se sophistique et qu’elle demeure extrêmement coûteuse.

Il faut aussi relever que les effectifs du contrôle fiscal baissent depuis plusieurs années, ce qui se traduit par une baisse du nombre des contrôles et, par conséquent, par une baisse des résultats du contrôle fiscal : toujours cet écart saisissant entre une communication brillante et abondante et la réalité des choix faits par votre gouvernement !

Pour conclure, ce projet de budget est très loin de répondre aux aspirations légitimes exprimées dans notre pays de manière de plus en plus marquée. Un budget, c’est l’outil de la justice sociale, de la justice fiscale et du progrès pour la société. M. Macron « président des riches », voilà une étiquette dont vous aurez du mal à vous débarrasser, à l’instar du fameux sparadrap du capitaine Haddock dans LAffaire Tournesol ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. « Point de banqueroute. Point d’augmentation d’impositions. Point d’emprunts. Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la faillite. »

Mes chers collègues, ces mots sont peut-être d’un autre siècle, mais ils ont gardé toute leur force. Ce sont ceux de l’illustre Turgot, dont Voltaire baisait les mains en pleurant. Ce sont les mots qu’il choisit pour présenter à Louis XVI son plan d’action destiné à restaurer la crédibilité de l’État face à la colère qui montait. Turgot n’eut que deux ans pour tenter d’assainir les finances ; Louis XVI crut bon de le congédier et céda de nouveau aux sirènes de l’emprunt et de la dette. Nous connaissons tous la suite. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Vous êtes optimiste…

M. Claude Malhuret. Nous ne sommes pas là pour parler d’histoire, mais une chose est sûre : quand les temps sont durs, et ils le sont aujourd’hui, deux années ne suffisent pas plus à vous, messieurs les ministres, qu’à Turgot pour assainir les finances publiques, et sans doute en France plus encore qu’ailleurs. Nous devrons redoubler d’efforts, en 2020 et pendant de nombreuses années encore, pour pouvoir tirer définitivement un trait sur des années, voire des décennies, d’incurie budgétaire.

Alors que nous commençons ce jour l’examen du projet de loi de finances pour 2020, il me semble judicieux de ne céder ni au triomphalisme ni au défaitisme. Car, à la vérité, si la situation s’améliore, c’est avant tout, comme dirait M. de La Palice, parce qu’elle a cessé de se détériorer. La barre des 100 % du PIB reste au-dessus de notre dette comme un bonnet d’âne au-dessus de nos têtes.

Il faut d’abord reconnaître que le Gouvernement a repris le contrôle de la situation, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de dix ans. Les principaux voyants sont repassés au vert : la croissance économique poursuit son rythme tranquille, à 1,2 % du PIB, et elle se montre même résiliente aux tensions qui affectent le commerce international, tandis que la machine allemande, que l’on n’imaginait plus ralentir, commence à se gripper ; les prélèvements obligatoires sont contenus sous la barre des 45 % du PIB et le ratio de la dépense publique reflue légèrement à 53 % du PIB ; le déficit public s’établit à 2,2 % du PIB, nettement au-dessous de la barre des 3 %, dans les « clous » du traité de Maastricht.

Nous laissons derrière nous, comme un mauvais souvenir, la procédure européenne de déficit budgétaire excessif, dans laquelle notre pays s’était empêtré pendant des années. Nous étions nombreux sur ces travées à considérer que la maîtrise de notre déficit public constituait un préalable indispensable pour redorer l’image de la France sur la scène européenne et rassurer nos voisins quant à la fiabilité de notre modèle économique et social. C’est désormais chose faite, et le crédit en revient essentiellement au Gouvernement.

Mais permettez-moi de ne pas m’en tenir à de bonnes paroles caoutchouteuses. En termes de déficit public, la France fait encore figure de mauvaise élève de la zone euro. Avec l’Espagne, l’Italie et la Belgique, notre pays a été épinglé par la Commission européenne, qui nous invite, dans son langage feutré, à « poursuivre des politiques budgétaires prudentes », et nous dit que la France présente – savourons la litote ! – « un risque de dérapage significatif de ses comptes publics par rapport aux ajustements requis ». La Commission nous rappelle enfin que bon nombre de nos partenaires ont su profiter d’un contexte macroéconomique favorable pour procéder aux ajustements nécessaires.

Ce n’est pas encore tout à fait le cas de la France. Plus précisément, ce n’est pas le cas de l’État. Car le déficit public, cela a déjà été rappelé, est aujourd’hui exclusivement porté par l’État. Alors que les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale affichent des soldes excédentaires, et ce malgré l’imbroglio créé par le système des 35 heures, dont la débâcle des hôpitaux est emblématique, l’État reste dans le rouge. Le jour où les taux remonteront, nous risquons de redécouvrir ce que chacun sait bien dans sa vie quotidienne : les créanciers ont toujours une meilleure mémoire que les débiteurs.

Ce projet de budget de mi-mandat arrive enfin au Sénat. À la chambre des territoires, tous les regards sont rivés sur les réformes de la fiscalité locale. Nombreux sur ses travées sont ceux qui lisent entre ces lignes comptables comme un message d’alerte, et la bataille des chiffres n’a pas encore débuté que les communes craignent d’avoir déjà perdu la partie.

Le groupe Les Indépendants veillera à ce que le grand jeu comptable ne se fasse pas aux dépens des communes, particulièrement pour ce qui concerne l’élaboration du déjà fameux « coco », le coefficient correcteur pour la compensation du transfert de la taxe d’habitation au budget de l’État. Avec un « coco », on n’est jamais à l’abri des mauvaises surprises ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)