Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic.

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas si je commence mon propos en vous rappelant que, par le passé, la principauté de Monaco a développé au fil des ans son statut de paradis fiscal par le biais de baisses d’impôts et en autorisant des sociétés-écrans qui permettaient de réaliser des opérations financières sans vérification de l’identité des bénéficiaires.

Le laxisme monégasque avait pour conséquence de créer un État dans l’État pour les plus fortunés de notre pays. Il est d’ailleurs salutaire que des ajustements significatifs aient été consentis par la principauté.

À ce titre, les rapports entre la France et Monaco ont régulièrement été marqués, depuis le début du XXe siècle – mon collègue Éric Bocquet l’a rappelé –, par des périodes de tensions dont la plus connue est le blocus imposé par le général de Gaulle en 1962.

Malgré les avancées obtenues et une plus grande coopération entre la France et la principauté de Monaco, dont nous ne pouvons que nous réjouir, la richesse monégasque et, concomitamment, l’attractivité fiscale de ce pays restent un point de vigilance, sachant en outre que, selon les dernières données publiées en 2018 par l’Insee, notre pays a connu une hausse significative du taux de pauvreté cette année-là. Nul doute que, après la crise de la covid-19, les inégalités seront exacerbées.

En ce sens, le dernier rapport en date d’Oxfam est édifiant. Il y est décrit une société à deux vitesses dans laquelle on trouve au sommet de l’échelle les milliardaires, qui ont vu leur fortune augmenter de 3 900 milliards de dollars entre mars et décembre, leur patrimoine cumulé ayant été porté à près de 12 milliards de dollars. C’est tout simplement effarant lorsque l’on sait que c’est l’équivalent des montants dépensés par les pays du G20 pour faire face à la pandémie !

Les travaux de Thomas Piketty démontrent que la composante patrimoniale de ces inégalités est aujourd’hui très lourde et que celles-ci sont revenues à un niveau équivalent à celui d’avant la Première Guerre mondiale.

De fait, les liens fiscaux et patrimoniaux revêtent une importance prépondérante dans une perspective de justice fiscale.

C’est avec cette situation à l’esprit que j’évoque devant vous, mes chers collègues, ce projet de loi prévoyant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

Sur les travées de mon groupe, et plus largement sur le côté gauche de notre hémicycle, la mise en place d’un mécanisme de défiscalisation au bénéfice de ressortissants monégasques ou au profit de contribuables français réalisant des opérations de dons ou de legs sur le territoire de la principauté aurait pu soulever les passions. Après une lecture et une analyse approfondies de ce texte, il n’en sera rien.

Par ailleurs, nous notons que si l’accord prévoit une rétroactivité de la norme fiscale en matière de legs, cela ne semble pas poser de difficulté juridique, dans la mesure où le dispositif profite aux contribuables.

Nous notons aussi que ces types d’accords transfrontaliers sont légion. Ainsi, la France a notamment conclu des accords avec l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique.

Par conséquent, au regard du faible coût en valeur et en quantité que ce mécanisme représente, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera favorablement ce texte.

Cependant, notre groupe demeure convaincu, comme il l’a montré ces derniers mois par ses réflexions et ses propositions fortes – je pense notamment à la proposition de loi présentée par notre ancien collègue Thierry Carcenac –, qu’il convient aujourd’hui, en matière de fiscalité du patrimoine au sens large, de réformer en profondeur un système qui n’est plus vecteur de justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi autorise l’approbation d’un accord signé le 25 février 2019 entre la France et la principauté de Monaco concernant le régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

L’objet de cet accord est de faciliter les dons ou legs de résidents français ou monégasques effectués à des entités publiques, y compris les collectivités territoriales, ou des organismes à but désintéressé.

Ces entités peuvent être soit des organismes caritatifs, soit des organismes œuvrant dans le domaine environnemental, médical, scientifique, éducatif, culturel, artistique ou même cultuel, qu’ils soient situés en France ou à Monaco.

Pour ce faire, l’accord prévoit que les dons ou legs effectués entre la France et Monaco du vivant du donateur ou dans le cadre d’une succession, sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit.

Quand cela concerne un organisme à but désintéressé dans les domaines que j’ai cités précédemment, situé dans l’autre État, l’exonération fiscale du don ou legs n’est valable que si cette exonération existe déjà dans l’État de résidence pour le même type d’organisme implanté. Elle n’est donc pas possible si le même type d’organisme n’existe pas dans l’État du donateur.

Ainsi, si un Monégasque veut par exemple faire un don à une association située en France, il ne pourra pas être exonéré si ce type d’association n’existe pas à Monaco.

Cet accord vise en réalité à conforter juridiquement une pratique déjà existante, même si elle était peu usitée.

Malgré l’absence jusqu’à présent de convention fiscale, les exonérations fiscales des dons et legs transfrontaliers entre la France et Monaco étaient possibles, sur décision ministérielle, au cas par cas, après, pour les résidents monégasques, une déclaration de leur don au service départemental de l’enregistrement de Nice, conformément à ce que prévoit l’arrêté du 13 octobre 2017, puis une instruction de la direction de la législation fiscale.

Depuis 2010, comme l’a précisé notre excellent rapporteur, Vincent Delahaye, six demandes de dons de Monaco en France ont été effectuées et une de France vers Monaco : elle concernait l’hôpital Princesse-Grace, qui avait bénéficié d’un précédent don en 1969. Il convenait toutefois de clarifier le droit. C’est désormais chose faite.

Je tenais à vous dire en tant que membre du groupe interparlementaire d’amitié France-Monaco, présidé par notre collègue et amie Dominique Estrosi Sassone, que cette mesure était attendue depuis longtemps.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi, conformément à la position de notre commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 25 février 2019, la France et la principauté de Monaco ont signé, cela a été largement rappelé, un accord ayant pour objet l’exonération réciproque du paiement des droits de mutation à titre gratuit lorsque ces mutations sont consenties au profit de certaines personnes publiques ou entités à but désintéressé ; est ici visé le paiement des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière.

Ce projet de loi autorise l’approbation de cet accord et retranscrit, dans la loi, les dispositions signées voilà près de deux ans.

Les deux conventions fiscales bilatérales qui régissent de longue date les relations entre la France et Monaco ne couvrent pas la totalité des questions relatives aux impositions. Elles laissent donc aux autorités compétentes des deux États, en dehors de tout cadre conventionnel et sur le fondement de simples décisions administratives, le soin d’accorder ou non le bénéfice de certaines aides fiscales. Les entités potentiellement bénéficiaires de ces exonérations peuvent donc se retrouver dans une situation d’incertitude juridique susceptible de leur porter préjudice ; cela a été indiqué.

Par conséquent, il était important que cette pratique trouve enfin le cadre juridique permettant de fixer, de manière solide et transparente, les critères d’éligibilité à l’exonération de droits de mutation. Ce cadre répond à la demande de sécurité et de stabilité juridiques exprimée tant par les contribuables que par les praticiens du droit fiscal.

Ce texte sera, au bout du compte, bénéfique pour les organismes non lucratifs français et monégasques, dont le financement s’en trouvera sécurisé et donc facilité.

C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera pour ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté de monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé, signé à Monaco le 25 février 2019 et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé
 

5

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, je souhaite rectifier un vote ayant eu lieu le 3 février dernier, lors de l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.

Lors du scrutin n° 72, portant sur les amendements identiques nos 31 du Gouvernement et 91 rectifié de Mme Laurence Cohen, à l’article 4 bis du projet de loi, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait ne pas prendre part au vote.

Mme le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

6

 
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire
Discussion générale (suite)

Prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (projet n° 327, résultat des travaux de la commission n° 337, rapport n° 336).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire
Question préalable (début)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement regrette que l’Assemblée nationale et le Sénat ne soient pas parvenus à un accord en commission mixte paritaire sur ce projet de loi.

Les deux chambres ont pourtant jugé, l’une comme l’autre, que la dégradation de la situation sanitaire justifiait de prolonger les pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de covid-19.

La divergence entre elles réside principalement, d’une part, dans le choix des échéances à fixer pour la prorogation de l’état d’urgence en cours d’application et, d’autre part, dans les modifications de fond à apporter au régime de l’état d’urgence sanitaire, qui nous paraissent davantage relever du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.

Je m’efforcerai de ne pas être trop long dans la mesure où votre commission des lois a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi, dont le vote aura pour effet de mettre fin à nos débats. Permettez-moi néanmoins de dire quelques mots sur le texte et sur son importance pour la lutte contre l’épidémie.

Grâce à ce texte, nous disposerons, jusqu’au début du mois de juin, des outils indispensables pour freiner l’épidémie – maintien du couvre-feu, obligation du port du masque et limitation des rassemblements –, dans le seul but d’éviter la saturation des services de réanimation. Oui, lutter contre l’épidémie suppose de bouleverser nos habitudes et de restreindre nos libertés. Nous nous en serions évidemment bien passés et ce n’est pas de gaîté de cœur – vous vous en doutez – que l’on demande à ses concitoyens de renoncer, au quotidien, à tout un ensemble d’activités.

J’ai conscience de l’extraordinaire effort que cela demande aux Français depuis maintenant plusieurs mois. Comme secrétaire d’État à la famille, je ne connais que trop la souffrance des jeunes, des parents, des étudiants dans cette période d’incertitudes, face à ces contraintes majeures dans la vie quotidienne, et le souhait de chacun de retrouver sa vie d’avant.

Toutefois, vous le savez, le virus circule toujours activement en France, comme d’ailleurs chez nos voisins européens et ailleurs dans le monde.

Au regard de la dynamique actuelle et de la diffusion progressive des variants sur le territoire national, dont la contagiosité serait plus importante, nous n’avons pas d’autre option que de proroger le régime d’état d’urgence sanitaire.

Au-delà des mesures de police sanitaire, nous renforçons également la stratégie « tester, alerter, protéger », que j’évoquerai en quelques mots.

Les efforts fournis par l’ensemble des professionnels ont permis de faire du système de dépistage français l’un des plus efficaces en Europe.

Ce système repose d’abord sur la gratuité : depuis le 31 janvier 2020, les tests sont totalement gratuits en France, pour tout le monde.

Mme Laurence Rossignol. C’est vrai !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. C’est unique en Europe, il faut le rappeler. Vous le savez probablement, une personne asymptomatique souhaitant se faire tester doit débourser près de 120 euros en Allemagne et jusqu’à 350 euros au Royaume-Uni.

Notre système repose ensuite sur la proximité. Chacun, qu’il présente des symptômes ou non, qu’il soit cas contact ou non, peut, au moindre doute, se faire tester près de chez lui, dans un laboratoire, chez son pharmacien, chez son médecin, dans un cabinet infirmier ou chez son dentiste. On compte ainsi plus de 12 000 points de test en France, sans compter les entreprises, les écoles et les collectivités territoriales, qui peuvent également mettre en place des opérations de dépistage, ou encore les aéroports, où ont été déployés des centres de test aux départs et aux arrivées. Cette stratégie distingue la France d’autres pays européens, où la question de l’accès aux tests n’est toujours pas réglée.

Notre système de dépistage repose également sur une exigence de rapidité : 94 % des résultats sont désormais transmis en moins de vingt-quatre heures. C’est un résultat très élevé par rapport à nos voisins ; seule l’Espagne s’approche de ce taux. En outre, près d’un tiers de nos tests sont des tests antigéniques, le résultat étant disponible en moins de 30 minutes.

Ce dispositif repose enfin sur la traçabilité, grâce au système d’information national de dépistage populationnel, ou Sidep.

Depuis le début de l’épidémie, les équipes de l’assurance maladie et des agences régionales de santé s’évertuent à retracer les cas contacts dans des délais toujours plus courts et à accompagner les personnes concernées, grâce aux systèmes d’information dont vous avez fixé le cadre en mai dernier, et qui seront prolongés à l’article 4 du présent projet de loi.

Notre plus grand défi consiste désormais à renforcer la compréhension et le respect de l’isolement.

Après un débat transparent, nous avons fait le choix de la confiance, en ne nous orientant pas vers un système d’obligation et de contrôle, préférant renforcer significativement l’accompagnement des personnes isolées.

Pour ce faire, nous supprimons tout obstacle financier à un isolement effectif et immédiat. Depuis le 10 janvier dernier, toute personne étant testée positive, ayant des symptômes ou étant cas contact peut se déclarer, éventuellement avant même d’avoir fait un test, sur le site de l’assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail immédiat et être indemnisée dès le premier jour, sans jour de carence.

Nous avons également renforcé le télésuivi à domicile : depuis fin janvier, toute personne isolée est appelée au minimum deux fois par l’assurance maladie et davantage encore pour les personnes vulnérables.

Enfin, chaque personne isolée se verra proposer la visite à domicile d’un infirmier, via les cellules territoriales d’appui à l’isolement mises en place par les préfectures, en lien avec les collectivités territoriales. Près de 20 000 visites d’infirmières ont déjà eu lieu.

Nous avons ainsi significativement renforcé le dispositif de suivi, de prise en charge et d’accompagnement des personnes touchées par la covid-19. Les questions de police sanitaire, sur lesquelles, dans cet hémicycle, nos débats se concentrent à chaque nouveau projet de loi, ne doivent donc pas masquer l’ensemble des mesures d’accompagnement de la situation sanitaire prises en faveur des Français au quotidien, afin d’assurer leur santé dans les meilleures conditions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie des travaux conduits depuis bientôt un an sur ce sujet ; le Gouvernement comprend tant la lassitude qui peut naître de la prorogation fréquente de l’état d’urgence sanitaire que le souci qui vous guide de mieux encadrer ce régime, lequel doit rester un régime d’exception.

J’en entends certains déplorer un déficit démocratique dans la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, dans le respect des missions qui incombent à chacune de nos institutions, le Sénat et l’Assemblée nationale participent très régulièrement et très activement au contrôle de l’action du Gouvernement, pour gérer l’urgence sanitaire depuis le début de l’épidémie. Ainsi, je le rappelle, depuis fin mars 2020 – autrement dit, en seulement dix mois –, nous avons débattu de six projets de loi, qui ont fait l’objet de plus de 3 400 amendements, discutés un par un, pendant plus de 160 heures de débats en séance, réparties en une vingtaine de lectures différentes.

Par ailleurs, douze débats thématiques ont été organisés en séance, afin de discuter de points précis de la gestion de la crise sanitaire, notamment les masques, le déconfinement ou encore l’application StopCovid, et cela ne concerne que le travail du Parlement strictement lié à l’épidémie de covid-19 ; cela n’inclut donc pas les très nombreux travaux des deux chambres concernant les différentes dimensions de la crise, afin de contrôler l’action du Gouvernement et de formuler des propositions.

Le Sénat y a pris pleinement sa part, dès le début et jusqu’à ce jour, et, même si nous avons eu et avons toujours quelques divergences, vous avez directement contribué à l’édifice juridique qui guide notre action et vous participez, par votre vigilance, au bon fonctionnement de nos institutions en ces temps difficiles.

Je rappelle également que l’action du Gouvernement demeure directement soumise au contrôle du juge et que des centaines de référés d’urgence ont été formés et examinés par le Conseil d’État depuis le début de la crise ; ces référés ont conduit, chaque fois que le juge l’avait demandé, à faire évoluer notre réponse pour faire en sorte qu’elle soit le plus proportionnée possible aux risques sanitaires encourus.

Au total, malgré des circonstances exceptionnelles, nous avons contribué ensemble à assurer un fonctionnement plein et entier de notre démocratie en ces temps de crise. Même si un désaccord, de l’ordre de quelques semaines, subsiste entre nous sur l’échéance appropriée pour la nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il demeure que vous aurez à nouveau à vous prononcer dans les trois prochains mois sur ce sujet, si la crise devait appeler des mesures de prévention au-delà du 1er juin prochain.

En tout cas, soyez-en assurés, le Gouvernement souhaite tout comme vous sortir de ce régime d’état d’urgence ; simplement, aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous priver d’outils pour lutter contre le virus ; je pense qu’il s’agit là d’un principe général que nous partageons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée sur ce texte. J’aurai l’occasion d’y revenir, mais je veux d’ores et déjà vous dire pourquoi.

D’abord, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, nous pensons, comme vous, que la situation sanitaire justifie malheureusement la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui a créé temporairement ce régime, exige un vote du Parlement si l’on le veut prolonger.

Comme cette prolongation a de fortes probabilités de devoir courir au-delà de l’échéance de la loi précitée, qui n’autorise le régime exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire que pendant un an, il va falloir aussi prolonger ce régime temporaire lui-même.

Il y a en effet un double système : des pouvoirs exceptionnels rendus disponibles par la loi du 23 mars 2020, mais seulement pendant un an, et l’activation de ces pouvoirs, si l’on en a besoin durant cette période. Vous l’avez vu, ces pouvoirs ont été utilisés de mars à mai 2020 ; puis on est entré dans une période de sortie de l’état d’urgence sanitaire ; puis, à la fin de l’été, on est sorti complètement de l’activation du régime d’état d’urgence sanitaire ; puis ce dernier a été rétabli par décret ; puis, au-delà des premières mesures, il a fallu, de l’avis du Gouvernement, mettre en œuvre, le 29 octobre dernier, un confinement, suivi d’un couvre-feu.

Nous avons donc à agir sur les deux volets : la prolongation du régime et la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui permet le couvre-feu actuel.

Je n’ai pas de doute, en ce qui me concerne : la situation sanitaire interdit de baisser la garde aujourd’hui ; il faut donc prolonger l’état d’urgence sanitaire.

Néanmoins, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en octobre dernier, quand un reconfinement avait été décidé par le Gouvernement. J’ai examiné avec soin les chiffres. Certes, le niveau des contaminations est élevé – on dénombre plus de 100 000 tests positifs par semaine – ; certes, le nombre d’hospitalisations est élevé ; certes, le nombre d’entrées en réanimation est élevé ; certes, le nombre de décès est, hélas, élevé ; mais il y a tout de même une grande différence par rapport à la fin du mois d’octobre dernier : d’une semaine à l’autre, si l’on considère les deux dernières semaines de janvier, il n’y a pas eu une explosion du nombre de contaminations, alors qu’il y en avait eu une – un quasi-doublement – à la fin du mois d’octobre dernier.

Ainsi, aujourd’hui, nous affirmons que, si nous acceptons de reconduire l’état d’urgence sanitaire et de prolonger jusqu’au 31 décembre le régime de l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 1er avril prochain, afin qu’il puisse être activé en cas de besoin tout au long de cette année, nous ne sommes pas d’accord pour consentir par avance à un troisième confinement.

Le confinement fait bien partie des pouvoirs d’action que la loi du 23 mars 2020 attribue au Gouvernement. Toutefois, ce que nous souhaitons, si par malheur un jour ce troisième confinement devait avoir lieu, c’est que le Gouvernement puisse bien évidemment le déclencher – c’est sa responsabilité –, mais qu’il ne puisse pas l’imposer pour une durée de plus de trente jours sans que le Parlement l’y autorise par la loi.

M. Philippe Bas, rapporteur. En effet, le confinement a un effet exorbitant sur la vie sociale et affecte profondément le psychisme de nombreux Français, mettant de ce fait en péril la vie de nombre de nos compatriotes. Ce n’est donc pas à la légère qu’il peut être prolongé s’il est un jour décidé de l’instaurer.

En mars dernier, le confinement avait été accepté par défaut, souvenons-nous-en bien. Il n’y avait alors pas de masque ni même, d’ailleurs, de doctrine d’emploi des masques ; pas de tests de dépistage ; pas de système national d’information permettant de remonter les filières de contamination et de prévenir les personnes ayant été exposées à un risque de contamination ; pas de diffusion dans la société des gestes barrières, qui nous sont malheureusement devenus si naturels. Par conséquent, le confinement a été décidé par défaut. C’était le moyen le plus brutal, le plus rustique, de couper toutes les contaminations, en interdisant toute interaction entre les Français.

Ce qui a été accepté en mars, dans ces circonstances, ne peut plus l’être de la même manière dans la période que nous connaissons : nous avons des masques, des tests, un système national d’information, des gestes barrières relativement bien appliqués et des disciplines individuelles et collectives. Si tous ces moyens combinés ne sont pas mis en œuvre de manière efficace, alors il y a lieu de s’interroger sur l’efficience de la politique de santé de ce pays. En tout cas, les Français n’ont pas à en faire les frais par un confinement qui comporte trop d’inconvénients.

C’est exactement la raison pour laquelle, alors que ce n’était pas prévu pour le premier reconfinement, nous avons indiqué au Gouvernement dès octobre dernier, et nous le refaisons maintenant, monsieur le secrétaire d’État, que, si le Président de la République décidait d’un nouveau confinement, nous demanderions – je dirai même plus : nous exigerons – que ce confinement ne puisse se poursuivre au-delà de trente jours sans l’autorisation du Parlement.

Qu’est-ce qui vous gêne, monsieur le secrétaire d’État ? Le Parlement s’est-il montré une seule fois irresponsable dans la gestion de cette crise sanitaire ? N’a-t-il pas accompagné, pas à pas, les efforts, parfois chaotiques, du Gouvernement pour protéger les Français ? Nous l’avons toujours fait ! Le Sénat, le premier, sait prendre ses responsabilités.

Simplement, nous ne voulons pas vous signer un chèque en blanc, de même que nous ne vous donnons pas quitus de la gestion de cette crise sanitaire, compte tenu de toutes les difficultés que vous avez rencontrées, que vous avez, du mieux que vous pouviez, sans doute, essayé de surmonter, mais aussi d’un certain nombre d’erreurs et d’errements que vous avez commis.

Nous aurions pu nous entendre avec l’Assemblée nationale ; nous aurions pu trouver la bonne durée de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, le bon équilibre. Nous étions d’ailleurs tout près d’aboutir et – permettez-moi de vous le dire – j’ai senti que les députés étaient près de le faire, mais ils en ont été empêchés, car le Gouvernement n’a pas voulu se soumettre au vote du Parlement s’il décidait de renouveler le confinement. C’est très décevant, car vous avez perdu l’occasion de rassembler la représentation nationale autour de principes simples, qui sont définis non dans l’intérêt du Parlement, mais dans celui de nos concitoyens, lesquels ne peuvent pas consentir de nouveaux sacrifices s’ils ne sont pas défendus par le Parlement.

Voilà, madame la présidente, ce que je voulais dire. Je m’achemine rapidement vers la conclusion de mon propos : je souhaite exprimer ma déception au Gouvernement et souligner la volonté du Sénat de faire respecter les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs et de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)