M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 16 juin 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Discussion générale (suite)

Bibliothèques et développement de la lecture publique

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 339, texte de la commission n° 653, rapport n° 652).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique
Article 1er

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi sur les bibliothèques ? Cette question peut paraître provocante : puisque je propose à vos suffrages ma proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, la réponse semble aller de soi.

En réalité, cette question témoigne du long cheminement qui a émaillé la réflexion autour de l’opportunité d’une loi sur les bibliothèques.

Que de débats parmi les professionnels ! Préciser, mais ne pas brider ; encadrer, mais ne pas enfermer : l’équilibre à trouver n’a pas été si évident. Il a d’ailleurs requis d’intenses réflexions avec le ministère de la culture. Je veux ici l’en remercier très sincèrement et saluer en particulier, au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles, le Service du livre et de la lecture. Mais nous avons aussi mené notre réflexion avec les professionnels, les collectivités territoriales et les élus.

Cette proposition de loi est l’expression d’un compromis, que je pense pouvoir dire unanime, en faveur de la reconnaissance de l’importance des bibliothèques et des bibliothécaires.

Elle est aussi l’expression de mon attachement profond aux bibliothèques et de ma reconnaissance pour les personnels qui les font vivre et pour les millions de nos concitoyens qui, chaque jour, en poussent les portes, peu importe la raison.

On va dans les bibliothèques pour lire, pour en parcourir les rayons, bien sûr, mais aussi pour écouter un auteur, visiter une exposition, participer à un débat ou à un atelier, pour refaire son CV ou pour réviser le bac, pour participer à un tournoi de jeux vidéo, pour aller sur internet, et pour tant d’autres activités encore qu’il me faudrait une discussion générale entière et, en tout cas, plus de vingt minutes, pour être exhaustive.

En somme, la bibliothèque est une expérience culturelle et ludique, mais aussi sociale. Elle est un lieu unique, exceptionnel, qui ouvre à tous les possibles.

C’est la bibliothèque-univers qu’Umberto Eco décrit dans son opuscule De Bibliotheca : « Si la bibliothèque est, comme le veut Borges, un modèle de l’Univers, essayons de le transformer en un univers à la mesure de l’homme, autrement dit une bibliothèque où l’on ait envie d’aller et qui progressivement se transforme en une grande machine pour le temps libre. » C’est un lieu de livres, évidemment, mais également un lieu de vie.

Saint Thomas d’Aquin écrivait : « Je crains l’homme d’un seul livre. » Dans notre époque marquée par la violence du débat politique, par le dogmatisme, par l’enfermement dans des certitudes souvent faciles, les bibliothèques s’imposent comme des lieux indispensables de respiration citoyenne et civique, comme des lieux d’émancipation où chacune et chacun peuvent se forger un esprit critique ; en somme, aujourd’hui plus que jamais, comme des lieux de raison et de libertés.

Je ne crois d’ailleurs pas que ce soit un hasard si Adolphe Thiers, lors de la construction de notre hémicycle en 1837, a choisi de faire édifier une bibliothèque au plus près de la salle des séances. Nous avons encore aujourd’hui la chance de siéger à quelques mètres de l’une des plus belles bibliothèques de France, qui nous offre, dans un cadre privilégié, l’occasion de prendre un peu de recul vis-à-vis de notre action politique et un peu de distance face à la vitesse de notre actualité.

Plus concrètement, avec ma proposition de loi, j’ai souhaité porter deux objectifs : ancrer profondément les bibliothèques dans notre droit, d’une part ; conforter leur lien avec les collectivités territoriales, dans le plein respect de leur liberté de gestion, et renforcer les politiques publiques en matière de lecture publique, d’autre part.

J’ai souhaité tout d’abord ancrer profondément dans notre droit les bibliothèques. Les dispositions qui les concernent ne représentent aujourd’hui que cinq articles dans le code du patrimoine, sans même une définition de leur mission, soit douze fois moins que pour les archives. En réalité, mes chers collègues, il n’y a jamais eu dans notre pays de loi sur les bibliothèques !

Telle est la finalité de ma proposition de loi, qui constitue, pour ces établissements, une consécration législative et, pour moi, l’aboutissement de plusieurs années de travail et de multiples rencontres, ainsi que de réflexions nourries par mes travaux parlementaires et par mon expérience d’élue chargée de la culture à Rennes et en Bretagne.

Mon rapport de 2015 sur l’adaptation et l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques a permis la mise en place d’un dispositif de soutien financier de l’État à destination des collectivités territoriales.

Parallèlement, le sujet s’est imposé dans le débat public, comme en a témoigné la mission Orsenna-Corbin, en 2017 et 2018, ainsi que le lancement par le ministère de la culture d’un plan bibliothèques visant à ouvrir plus et mieux. Ce plan s’accompagnera d’une augmentation de la dotation générale de décentralisation de 8 millions d’euros, soit un investissement total de 88 millions d’euros.

Enfin, avec Colette Mélot, j’ai présenté en juillet dernier à notre commission de la culture un rapport d’information consacré à l’évaluation de la politique publique en faveur de l’extension des horaires des bibliothèques. Ce rapport a été très intéressant à élaborer.

De cette réflexion au long cours est née la certitude qu’il fallait enfin donner un cadre, un statut et des missions aux bibliothèques municipales, intercommunales et départementales, qui font vivre nos territoires.

Il était impératif de fixer plusieurs grands principes, qui ont d’ailleurs parfois été remis en cause, y compris ces dernières semaines, alors même qu’ils sont au fondement des bibliothèques : le pluralisme des courants d’idées et d’opinion, l’égalité, la liberté et la gratuité d’accès, la neutralité du service public.

Dans la très grande majorité des cas, ces principes sont déjà pratiqués au quotidien, si bien que les énoncer les renforce et les conforte. En outre, ils apportent une sécurité juridique et peuvent prévenir certaines dérives que nous avons vues à l’œuvre récemment.

Avec cette proposition de loi, j’ai également voulu souligner le lien entre les collectivités territoriales et leurs bibliothèques.

Je n’ai pas voulu imposer de contraintes supplémentaires ni de dépenses nouvelles. Nous savons trop bien, comme élus locaux, qu’il vaut mieux laisser l’initiative au plus proche du terrain et qu’il est préférable que la loi fixe les grands principes et les objectifs généraux, tout en laissant aux collectivités de la latitude pour les remplir.

Pour autant, je souhaite que les élus s’emparent pleinement du sujet et établissent dans leurs cités une véritable politique culturelle et éducative, qui fasse rayonner les bibliothèques sur leur territoire.

En effet, comme élus, nous entendons tous des témoignages convergents. La semaine dernière encore, en commission, nous avons pu constater la capacité remarquable des bibliothécaires à réinventer leur métier et leur passion dans nos territoires. Les témoignages de mes collègues étaient véritablement très touchants.

En effet, on sait bien que les bibliothécaires pratiquent une évolution permanente ; elles – j’emploie volontairement le féminin ! – font preuve d’une capacité à s’adapter et à créer, parfois avec peu de moyens, qui doit être saluée. C’est aussi grâce à elles et à eux que les bibliothèques sont des endroits vivants qui ont su accompagner l’évolution des usages, avec le numérique, mais aussi inventer, créer et innover ; je veux associer à cette idée Erik Orsenna et Noël Corbin.

Au-delà des symboles, les bibliothécaires attendaient depuis longtemps l’inscription dans la loi des missions des établissements. Je veux profiter de cette tribune pour leur témoigner ma reconnaissance, à la fois amicale et admirative pour leur travail quotidien : leur sens du service public s’accorde parfaitement avec leur mission de service public.

Les bibliothèques constituent en effet le seul service public où vous pouvez venir en toute liberté et rester, toute la journée si vous le voulez, sans que personne vienne vous solliciter pour autre chose que, peut-être, un conseil. Ce sont des lieux de sociabilité et de croisement de toutes les populations, des lieux d’accueil, de bienveillance et même, si je puis dire, d’hospitalité.

Si j’ai volontairement recherché, dans cette proposition de loi, le consensus le plus large, il n’en reste pas moins que des sujets essentiels attendent encore d’être traités. Il conviendrait également de consolider le chaînage vertueux qui existe entre les collectivités territoriales et les bibliothécaires.

La première lecture de ce texte par le Sénat constitue pour moi un moment très important. Je m’adresse à vous, madame la ministre, car je sais pouvoir compter sur votre engagement et sur votre force de conviction : vous l’avez déjà démontré en m’accordant que ce texte soit examiné en procédure accélérée, et je vous en remercie sincèrement. Mais ce texte est aussi une première étape, qui en appelle au moins deux autres avant la fin de cette année.

Tout d’abord, nous aurons à reparler très prochainement des bibliothèques départementales et assurément de la situation en outre-mer, probablement dans le cadre de l’examen du projet de loi dit 4D ou 3D», qui aura lieu en juillet au Sénat.

Ensuite, mes chers collègues, il nous faudra nous assurer tous ensemble, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, de la pérennisation des moyens des bibliothèques qui ont bénéficié, ces dernières années, de crédits supplémentaires au sein de la dotation générale de décentralisation.

Cet effort ne doit pas rester sans lendemain ; il faut que ces crédits deviennent pérennes, tant les premiers résultats enregistrés ont été spectaculaires en matière d’adaptation et d’ouverture au public ; nous avons pu le constater, lors des travaux que j’ai conduits avec Colette Mélot.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’esprit qui anime et qui fonde la proposition de loi que j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter aujourd’hui.

Je suis sensible également à la concomitance de l’examen de ce texte avec celui de la proposition de loi de ma collègue Laure Darcos sur l’économie du livre, qui a été adoptée hier à l’unanimité de notre assemblée.

Cette séquence sénatoriale que nous traversons autour et en faveur du livre et de la lecture publique me semble importante.

En deux jours, le Sénat se sera honoré en débattant pleinement de l’ensemble de la chaîne du livre, ce qui témoigne une nouvelle fois de notre engagement sans faille en faveur de la culture et de toutes celles et tous ceux qui la font vivre. Mes chers collègues, je vous en remercie très sincèrement. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, Laurent Lafon, madame la rapporteure et auteure du texte, chère Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver aujourd’hui pour évoquer la politique des bibliothèques, après avoir débattu hier de plusieurs sujets importants pour les acteurs de la chaîne du livre, grâce à la proposition de loi de Laure Darcos.

Les 15 000 bibliothèques françaises constituent le premier équipement culturel de notre pays. Près de 13 000 collectivités territoriales – communes, intercommunalités, départements – font vivre ces lieux de culture et d’éducation, sur tout le territoire. Elles consacrent chaque année près de 1,7 milliard d’euros à ce service public ; grâce à elles, plus de 85 % des Français ont accès à une bibliothèque dans leur commune.

L’État prend part à cet effort en faveur des bibliothèques et de la lecture publique. Outre les bibliothèques universitaires, il gère deux bibliothèques nationales : la Bibliothèque nationale de France, la BNF, et la Bibliothèque publique d’information, la BPI. Il accompagne aussi les collectivités territoriales pour moderniser leurs bibliothèques et maintenir la vitalité de la lecture publique.

Le partenariat noué entre les collectivités territoriales et l’État autour des bibliothèques est remarquable ; ce quinquennat restera un moment particulièrement fort de cette relation.

Sur la base du diagnostic posé par Erik Orsenna en 2018 – vous y faisiez allusion, madame la rapporteure –, les collectivités territoriales et l’État ont renforcé leur collaboration pour étendre les horaires d’ouverture des bibliothèques, diversifier leurs missions et accompagner la formation des professionnels.

Grâce au plan Bibliothèques qui en est issu, l’État a accru les moyens alloués aux collectivités au travers de la dotation générale de décentralisation, du plan de relance et d’une politique de contractualisation renforcée.

Une véritable dynamique est née ; j’espère qu’elle se poursuivra. Les résultats sont là : entre 2016 et aujourd’hui, 710 communes ont vu leur médiathèque étendre de huit heures trente par semaine leurs horaires. Plus de 11,3 millions de Français peuvent ainsi bénéficier d’un service accru, notamment dans les territoires les plus fragiles.

Les bibliothèques ont été parmi les seuls établissements culturels à rester largement ouverts durant la crise sanitaire, puisqu’elles n’ont interrompu leurs services que quelques semaines au printemps et à l’automne 2020, lors des premier et deuxième confinements.

Ce « moment bibliothèques » trouve aujourd’hui sa concrétisation sur le plan législatif, sur votre initiative, madame Robert. Je salue votre engagement sans faille en faveur des bibliothèques, puisque vous aviez déjà œuvré, en 2016, à la création du dispositif de soutien à l’extension de leurs horaires d’ouverture.

Bien que le secteur des bibliothèques n’échappe pas au droit, vous avez relevé à juste titre la faiblesse de la présence des bibliothèques dans notre corpus législatif : là où le code du patrimoine accorde plus de soixante articles aux archives et trente aux musées, il n’en consacre que cinq aux bibliothèques.

La pauvreté relative de ce cadre législatif a suscité, depuis des décennies, nombre de débats parmi les professionnels sur la nécessité ou non d’une loi sur les bibliothèques. Elle a conduit à plusieurs tentatives de légiférer ; aucune n’a cependant abouti.

Je crois qu’est venu aujourd’hui le moment de faire pleinement entrer les bibliothèques dans le droit, avec un texte qui, à mes yeux, présente au moins quatre avancées.

Premièrement, il est fondamental de rappeler que les missions culturelles, éducatives, sociales ou ludiques des bibliothèques s’inscrivent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de neutralité du service public – la période actuelle nous invite à cette exigence.

Plus que jamais, les bibliothèques doivent demeurer des espaces de liberté, des lieux de respiration démocratique ; leurs professionnels doivent être protégés de la censure, comme de toute pression politique, religieuse ou sociale ; leurs collections doivent refléter la diversité des opinions.

Deuxièmement, les bibliothèques doivent rester accessibles à tous, librement et gratuitement. Il est important que la loi entérine un principe qui fait consensus et qui constitue l’une des conditions cardinales du succès des bibliothèques.

Troisièmement, la loi accompagne la montée en puissance des collaborations entre collectivités territoriales, tout en respectant leur libre administration et en réaffirmant le rôle ô combien essentiel des bibliothèques départementales, en soutien aux petites bibliothèques, notamment rurales.

Enfin, ces avancées prennent la forme d’un texte concis et ramassé. Il est de nature, j’en suis convaincue, à faire l’objet d’un consensus, à l’image de celui qui existe autour du rôle des bibliothèques, si chères à nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement soutient sans réserve l’esprit et la lettre de la proposition de loi de Sylvie Robert relative aux bibliothèques – ce « carrefour de tous les rêves de l’humanité », comme disait Julien Green – et au développement de la lecture publique. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur mon engagement pour assurer rapidement la poursuite du processus législatif de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre pays compte aujourd’hui plus de 16 500 bibliothèques. Le réseau de lecture publique s’est considérablement développé grâce à la décentralisation.

Les bibliothèques ont élargi leur champ de compétences, proposant des plateformes de consultation en ligne. Outre le livre, qui reste leur cœur d’activité, les bibliothèques et médiathèques sont des portes ouvertes sur de nombreuses expressions culturelles : musique, cinéma, arts visuels, contes ou photographie. Ce sont des lieux d’échanges et de rencontre, mais aussi des lieux d’utilité sociale, inclusifs et solidaires.

Toutefois, dans le même temps, le cadre juridique dans lequel les bibliothèques territoriales s’inscrivent est insuffisant. Même s’il existe un ensemble de textes réglementaires et de jurisprudences, il n’existe aucun texte de loi établissant une définition claire et précisant le rôle de ces temples de l’information.

Les bibliothèques sont notamment absentes du code du patrimoine, où aucune mention n’en est faite. Seules la BNF et la BPI sont placées sous la tutelle directe du ministère de la culture et disposent d’une législation propre.

Les agents des bibliothèques attendaient avec impatience une évolution de notre corpus juridique et la reconnaissance du travail qu’ils font au quotidien. Grâce à eux, nos bibliothèques ont su innover et se réinventer, afin de sauvegarder cette richesse qu’est la lecture publique. Je remercie donc ma collègue Sylvie Robert, auteure et rapporteure de ce texte, lequel participe au développement de l’accès à la culture en France.

Cette proposition de loi réaffirme trois grands principes essentiels : la liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales sur tout le territoire français ; le principe de la gratuité d’accès aux collections et aux documents présents dans les bibliothèques territoriales ; le pluralisme des collections, afin de respecter les opinions de chacune et de chacun et de réaffirmer la neutralité de nos services publics.

Mentionné à l’article 5, ce principe s’inspire du manifeste de l’Unesco, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, sur la bibliothèque publique, qui rappelle que « les collections et les services ne doivent être soumis ni à une forme quelconque de censure idéologique, politique ou religieuse, ni à des pressions commerciales. »

Je salue la volonté, à l’article 12, de limiter la destruction intempestive de milliers de livres chaque année, après « désherbage ». En donnant la possibilité aux bibliothèques territoriales de céder des livres à des associations caritatives. Cet article pose les bases légales d’un principe que je défendrai toujours : ne jamais détruire un livre.

C’est d’ailleurs pour renforcer ce principe, mais aussi ouvrir le débat sur les dons, que nous avons déposé deux amendements. En réalité, trop peu d’associations ont les moyens d’organiser un plan de redistribution à grande échelle.

Des livres et des documents risquent toujours d’être détruits après désherbage. De ce fait, certaines bibliothèques font d’ores et déjà cession de documents à des entreprises de l’économie sociale et solidaire ou à des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires, des Oacas, comme Emmaüs.

Je tiens à saluer le travail de nos collectivités, qui doivent faire toujours mieux avec encore moins de moyens financiers. La lecture publique n’y fait pas exception. Nous espérons que le projet de loi désormais appelé « 3DS », qui prévoit le transfert de certaines compétences aux collectivités locales, sera l’occasion de développer la responsabilité de nos départements et d’accroître leurs moyens dans le développement de la lecture publique.

Cette proposition de loi répond aux enjeux et aux problématiques qui s’imposent à la lecture publique et aux bibliothèques. Elle fait le pas vers une bibliothèque inclusive, gratuite et informée dans le choix de ses collections.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera chaleureusement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe s’associe aux félicitations qui ont été exprimées et votera bien entendu ce texte.

Aujourd’hui, les bibliothèques publiques sont le premier équipement culturel de France : notre pays compte 16 500 établissements, pour 12 millions d’usagers. Le rapport Orsenna-Corbin de 2018, qui a déjà été cité, montrait que 40 % des Français fréquentaient une bibliothèque au moins une fois par an, mais que seuls 50 % d’entre eux y empruntaient un livre. Cela témoigne de la diversification des activités des bibliothèques et de l’évolution des usages.

Étant jeune, je me rappelle avoir fréquenté la bibliothèque Faidherbe, dans le XIe arrondissement de Paris ; j’y écoutais les contes qui étaient lus aux enfants pour leur faire découvrir la lecture. Aujourd’hui, c’est parfois un accueil, du café, du wifi ou des lectures publiques que l’on va chercher dans les bibliothèques… Bref, ces dernières sont indispensables.

J’observe une extraordinaire adhésion des Français aux bibliothèques, mais aucune définition de ces dernières n’existe, ni aucune loi-cadre. Ce texte est donc tout à fait bienvenu.

Trois acteurs décentralisés sont impliqués – les communes, les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, et les départements –, sans que leur rôle soit précisé. Peut-être faudra-t-il demain aller plus loin et inscrire les bibliothèques parmi les compétences obligatoires des départements ?

Un consensus a émergé. Je remercie le Gouvernement d’avoir décidé de la procédure accélérée et la commission d’avoir voté ce texte à l’unanimité. Ce consensus rejoint d’ailleurs celui qui prévalait hier sur les librairies indépendantes. Je n’y vois pas qu’une simple coïncidence de date : le livre rassemble et bibliothèques sont le lieu du lien, aussi bien entre les personnes qu’entre le passé et l’avenir.

Dans À la Recherche du temps perdu, Marcel Proust écrit : « C’est grâce à cet oubli seul que nous pouvons de temps à autre retrouver l’être que nous fûmes […] Au grand jour de la mémoire habituelle, les images du passé pâlissent peu à peu, s’effacent, il ne reste plus rien d’elles, nous ne le retrouverons plus. Ou plutôt nous ne le retrouverions plus, si quelques mots […] n’avaient été soigneusement enfermés dans l’oubli, de même qu’on dépose à la Bibliothèque nationale un exemplaire d’un livre qui sans cela risquerait de devenir introuvable. »

Nos bibliothèques publiques sont donc bien les gardiennes de la mémoire, mais aussi le lieu du lien. Elles ont un rôle patrimonial et d’actualité ; elles sont des lieux à la fois de vie, d’échange et de mémoire, et c’est en cela qu’elles sont extrêmement importantes. Cette proposition de loi acte intelligemment l’évolution de leurs usages et accompagne leur mutation. C’est pourquoi nous la voterons.

Comment ne pas citer Le Nom de la Rose et ne pas penser au bibliothécaire aveugle, Jorge de Burgos, dont le nom évoque Borges ? L’action du roman se passe dans un monastère, mais la bibliothèque y joue un rôle central. Umberto Eco y écrit : « La bibliothèque se défend toute seule. Insondable comme la vérité qu’elle héberge, trompeuse comme le mensonge qu’elle conserve. Labyrinthe spirituel, c’est aussi un labyrinthe terrestre. »

Mes chers collègues, entrons dans le labyrinthe pour mieux en sortir ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour Gaston Bachelard, « Le paradis, à n’en pas douter, n’est qu’une immense bibliothèque ».

En bon radical, si j’aspire au paradis, c’est sur terre que je veux y accéder ! (Sourires.) Aussi, je m’inscris dans cette pensée qui témoigne de la valeur civilisatrice et essentielle dans nos vies de tels lieux culturels.

La France, terre de littérature, bénéficie d’une large couverture de bibliothèques sur tout son territoire, permettant un surcroît de fréquentation au sein de ces lieux culturels clés. Ainsi, 89 % de la population française ont accès à un lieu de lecture dans sa commune, et plus de 27 millions de Français fréquentent ces équipements culturels, en grande partie grâce à la diversification de leurs activités.

Les bibliothèques s’ancrent de plus en plus au cœur de la cité et participent activement aux politiques publiques de lutte contre l’illettrisme ou la fracture numérique.

Sur la base du rapport Orsenna-Corbin, le Gouvernement avait déjà entendu adapter et étendre les horaires des bibliothèques publiques, pour en faire un « troisième lieu » entre le travail et la maison – les bibliothèques sont un pôle d’échanges et de sociabilité au cœur des activités quotidiennes des citoyens.

Néanmoins, au-delà de la problématique des horaires, il était temps que le législateur saisisse davantage cet enjeu primordial pour le tissu culturel, avec plus de 16 000 établissements. En effet, à la différence des autres domaines patrimoniaux, les bibliothèques n’ont jamais fait l’objet d’une loi-cadre.

L’article 1er du présent texte apporte une définition bienvenue des missions de service public de la bibliothèque, parmi lesquelles la conservation et la communication des œuvres – livres, CD ou DVD –, mais aussi la contribution aux progrès de la connaissance et de la recherche à destination du public.

Le texte consacre le pluralisme et le renouvellement des collections et inscrit les principes de liberté et de gratuité d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales – on ne paye pas de droit d’entrée au paradis… (Sourires.)

Enfin, la proposition de loi conforte les bibliothèques départementales dans leur rôle d’assistance et de soutien à celles des communes et des établissements publics de coopération culturelle, les EPCC.

Dans le respect de la libre administration des collectivités, l’auteure de la proposition de loi a utilement tracé un cadre moins contraignant et plus respectueux des compétences locales. C’est ainsi que l’article 7 charge les bibliothèques d’établir les orientations générales de leur politique documentaire, orientations que l’assemblée délibérante serait incitée à débattre.

Enfin, la loi étend le bénéfice du concours particulier « bibliothèque », au sein de la dotation générale de décentralisation, à l’ensemble des EPCI, des groupements de collectivités et des groupements d’intérêt public, les GIP, et non plus seulement aux communes.

Cet accroissement du soutien financier de l’État favorisera inévitablement le développement de la lecture publique dans tous les territoires.

Pour l’ensemble de ces raisons, mon groupe et moi-même voterons avec enthousiasme cette indispensable proposition de loi, améliorée par le travail de la commission ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)