M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. J’apporterai quelques précisions en réponse aux avis qui viennent d’être émis par M. le rapporteur et par Mme la secrétaire d’État.

La question des SEMH est beaucoup revenue au cours de la discussion générale ; or elle est bel et bien évacuée, monsieur le rapporteur, puisque cet amendement a pour objet de mentionner que sont visées les seules concessions, d’une puissance supérieure à 4,5 mégawatts. Le fonctionnement des SEMH et la prise en charge des coûts supportés par les collectivités ne sont donc pas en question – nous sommes bien d’accord…

Je vous renvoie en particulier à la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique de Daniel Gremillet, qui traitait notamment des installations dont la puissance est inférieure à 4,5 mégawatts.

Madame la secrétaire d’État, après vous avoir écoutée, me voilà rassuré ! Nous souhaitions préciser que les concessions étaient reprises dans la quasi-régie à l’échéance du contrat ; on nous a répondu en interrogeant la viabilité financière d’un tel projet. Or vous vous apprêtez, me dites-vous, à les reprendre toutes d’un coup, ce qui me fait dire que vous avez la solution budgétaire : vous savez comment financer cette évolution, nouvelle plutôt très rassurante qui donne un certain crédit à notre proposition. Vous nous expliquerez certainement les détails financiers de l’affaire – je le ferai d’ailleurs pour notre compte, puisque nous avons bien sûr étudié le volet financier.

Les différentes concessions, qu’elles relèvent d’EDF, de la CNR ou de la SHEM, arrivant à terme à des dates différentes, nous pensons, nous, qu’il vaut mieux qu’elles soient reprises au fur et à mesure qu’elles échoient. C’est préférable notamment du point de vue de l’intégration des salariés dans la nouvelle structure.

Je répète également que, dans une quasi-régie, on peut trouver des établissements publics industriels et commerciaux (ÉPIC) ; on pourrait y trouver aussi bien EDF, la CNR ou la SHEM… À cet égard, le Gouvernement a le choix. Sur ce sujet également, madame la secrétaire d’État, j’aimerais des précisions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er nest pas adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Article 2 (fin)

Article 2

Le I de l’article L. 100-4 du code l’énergie est complété par un 12° ainsi rédigé :

« 12° D’organiser un service public des énergies renouvelables dont les objectifs visent à :

« a) Participer à la structuration de la recherche et du développement ;

« b) Planifier et coordonner le déploiement des énergies renouvelables sur l’ensemble du territoire et dans une logique de péréquation tarifaire et de solidarité territoriale ;

« c) Favoriser l’organisation de filières industrielles de production et la gestion des matériaux sur l’ensemble de leur cycle de vie ;

« d) Accompagner les porteurs de projets publics et privés ;

« e) Encourager l’appropriation citoyenne et la création de communautés énergétiques locales ;

« f) Favoriser l’atteinte des objectifs de développement des énergies renouvelables dans un cadre de sobriété et d’efficacité énergétiques. »

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.

M. Guillaume Gontard. J’ai attentivement écouté les différents critiques et reproches qui ont pu être émis à l’encontre de notre proposition de loi. Je cherche encore l’autre solution ! Y a-t-il une autre solution à mettre sur la table pour répondre à cette question ? Je n’ai rien entendu de tel.

Un grand service intégré ? Je l’appelle de tous mes vœux ! Pourtant, ceux qui prônent aujourd’hui cette formule sont les mêmes qui, au gré de gouvernements différents, ont désintégré ce service auparavant intégré… (M. Fabien Gay sexclame.) Cette situation ne laisse pas de m’interroger – et ma remarque ne s’adressait évidemment pas à Fabien Gay…

Ce grand service intégré est-il compatible actuellement avec le droit européen ? On sait que non. On sait aussi – cela a été dit et rappelé – qu’il est urgent d’agir : 140 concessions sont arrivées à terme, pour lesquelles il faut trouver très rapidement une solution – pour des raisons de sécurité et d’investissements nécessaires, on ne peut pas en rester là.

La solution de la quasi-régie représente donc un simple premier pas vers un service public intégré.

Je ne comprends pas bien ce qui nous est opposé : je veux bien un service intégré, mais comment le mettre en œuvre rapidement, sinon immédiatement ? Par des négociations avec la Commission européenne ? De telles discussions ont déjà eu lieu ! Il est déjà écrit noir sur blanc que la quasi-régie est la seule solution pour sortir de l’impasse.

Pourquoi tourner autour du pot alors que la solution est là, sous nos yeux ?

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote sur l’article.

M. Fabien Gay. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais, compte tenu de ce que je viens d’entendre, je ne peux m’en dispenser.

Je veux bien recevoir toutes les leçons possibles et imaginables, mais, faut-il le rappeler, les écologistes ont été au gouvernement pendant le quinquennat de François Hollande ! Je me souviens très bien, moi, que Manuel Valls s’est aplati devant la Commission européenne sur la question des barrages hydroélectriques ! (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ça, c’est fait !

M. Fabien Gay. S’il faut rappeler également que les écologistes – et d’autres… – ont voté tous les paquets énergétiques à l’échelon européen, je le ferai ! (M. Ronan Dantec sexclame.)

Pourquoi suis-je contre la quasi-régie ? Parce qu’il s’agit – vous l’avez dit – de la proposition du Gouvernement et de la Commission européenne ! Ils nous proposent cette solution pour ne pas avoir à soustraire la question de l’énergie aux lois du marché – car la quasi-régie ne sort pas la question des barrages hydroélectriques du marché !

Puisque vous semblez ne pas m’avoir entendu, je le répète : c’est un combat politique et nous l’assumons ! Nous sommes pour sortir l’énergie du secteur marchand. Bien sûr, c’est complexe ! Bien sûr, nous sommes seuls ! C’est une bataille politique qu’il est nécessaire de mener.

Depuis la libéralisation du marché européen de l’énergie, que l’on nous a vendue dès le Conseil européen de Barcelone, en 2002, nous sommes en difficulté : les consommateurs et les salariés en paient les conséquences aujourd’hui…

M. Gérard Longuet. C’est vrai.

M. Fabien Gay. Nous n’accepterons pas aujourd’hui la quasi-régie pour combattre demain, lorsqu’un nouveau gouvernement sera constitué à l’issue des élections présidentielle et législatives, le projet grand EDF qui est, précisément, un projet de quasi-régie. Nous pensons, nous, qu’il faut sortir l’hydroélectricité des lois du marché.

Surtout, je ne vous ai pas entendu préciser qui dirigerait le grand service public des énergies renouvelables : EDF ou une autre entité ?

M. Guillaume Gontard. C’est l’État !

M. Fabien Gay. Ce « grand service public » sera-t-il 100 % public ou bien libéralisé et vendu au privé, ainsi que le veut faire le Gouvernement, main dans la main avec la Commission européenne et, aujourd’hui, avec le groupe écologiste du Sénat ?

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote sur l’article.

M. Daniel Salmon. Nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi.

Beaucoup a été dit. La tonalité générale est qu’il faut mettre nos barrages à l’abri de la concurrence. Quand on parle de nos barrages, on ne parle pas simplement d’électricité, quoiqu’ils soient hydroélectriques. Les barrages, c’est bien plus : l’irrigation, le tourisme, le refroidissement des centrales.

L’entité « barrages hydroélectriques » a donc une consistance propre, ce qui justifie de la traiter dans son ensemble, comme nous le faisons avec cette proposition de loi, sans la dissoudre dans ce grand service de l’énergie que certains appellent de leurs vœux. Il y a bel et bien une logique à scinder ce service en isolant les barrages.

Une quasi-régie est 100 % publique. D’aucuns soutiennent qu’un tel dispositif n’est pas encore assez public. Que vous faut-il ? Du 150 % public ? Soyons sérieux ! La notion de « quasi-régie » est juridiquement définie : c’est du 100 % public.

Je reviens sur certaines arguties pour le moins surprenantes – j’en ai déjà fait mention dans la discussion générale : nous oublierions l’hydrogène dans notre service public des énergies renouvelables. L’hydrogène n’est en rien une source d’énergie : c’est un vecteur d’énergie ! En d’autres termes, il n’a rien à faire là.

Quid du nucléaire ? nous demande-t-on également. Le nucléaire non plus n’est en rien une énergie renouvelable. L’uranium, que je sache, n’est pas renouvelable, sans même parler du fait qu’on n’en produit pas un gramme en France.

Cette proposition de loi est complètement cohérente. Je regrette de constater qu’elle ne sera pas adoptée : c’est remettre à beaucoup plus tard ce que nous pourrions faire aujourd’hui, d’autant que, on le voit bien, il n’y a pas de plan B !

Mes chers collègues, vous pouvez encore changer d’avis. Je vous y invite.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote sur l’article.

M. Franck Montaugé. M. Gontard est provocateur : il n’y a que dans les partis totalitaires que tout le monde est toujours d’accord sur ce qui est proposé ! (Sourires.)

L’énergie fait partie des sujets extrêmement difficiles qui engagent profondément notre avenir. Hier, la commission des affaires économiques a auditionné un professeur d’université – quelqu’un qui sait de quoi il parle – qui était d’inspiration plutôt libérale, si j’ai bien compris. Il y a selon lui – il nous l’a dit clairement – un fort enjeu à ce que la réorganisation du marché de l’électricité se fasse dans un cadre vertical et intégré, ce que les membres de mon groupe et moi-même, mais nous ne sommes pas les seuls, appelons de nos vœux.

Je note par ailleurs – je tiens à le souligner, quoiqu’on puisse s’interroger sur ce qu’il faut entendre derrière les mots prononcés – que le ministre de l’économie lui-même, M. Le Maire, a dressé le constat de l’inefficacité du marché de l’électricité tel qu’il s’est construit au cours des décennies passées. Je dis, comme il semble le faire à en croire ses déclarations, que tout le monde y a gagné, depuis vingt ans, sauf le consommateur ! Cela pose tout de même un problème de fond.

Comme de nombreux collègues, je ne pense pas que ce soit en saucissonnant cette question de fond extrêmement complexe, qui va de la production à la vente, que nous la réglerons. Il s’agit d’un enjeu politique majeur pour notre pays dans les années à venir et il le faut le traiter dans sa globalité, en prenant en compte l’ensemble des modes de production d’énergie.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je remercie le groupe GEST d’avoir déposé cette proposition de loi qui a permis à chacun de louer les vertus de l’hydroélectricité. Le fait de débattre des capacités de production d’électricité en termes à la fois environnementaux et économiques me semble une bonne nouvelle et je suis heureuse de constater – je me tourne là aussi vers nos amis écologistes – que ces retenues d’eau sont à la source d’une satisfaction générale…

Finalement, madame la secrétaire d’État, le débat tourne autour de deux sujets : l’avenir d’EDF et la stratégie énergétique globale de la France.

En ce qui concerne l’avenir d’EDF, vous aurez compris que nous sommes tous un peu frustrés de ne pas avoir pu avoir de débat sur ce sujet. D’intenses négociations ont eu lieu avec la Commission européenne pour restructurer l’entreprise et, même si nous ne serons pas tous d’accord dans cet hémicycle sur les modalités précises de cette restructuration, il est évident que nous devons absolument débattre des moyens à mettre en œuvre pour donner à EDF de l’élan afin qu’elle dispose des capacités d’être leader dans son secteur.

J’ai cru comprendre que la France avait quasiment trouvé un accord avec la Commission européenne, ce qui rend encore plus frustrante, pour la représentation nationale, l’absence de débat sur ce sujet avant l’élection présidentielle. J’ajoute que cette absence de débat est également très dommageable pour EDF elle-même.

Ensuite, en ce qui concerne la stratégie énergétique globale de la France, il est bien difficile de l’appréhender. J’ai cru comprendre que des investissements étaient envisagés pour construire des SMR (Small Modular Reactors) ou pour développer une filière hydrogène. Nous avons beaucoup parlé d’éoliennes dans le cadre de l’examen, cet été, du projet de loi Climat et résilience. Nous parlons aujourd’hui d’hydroélectricité. Pour autant, quelle est la stratégie globale ?

C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et le groupe d’études Énergie du Sénat, présidé par Daniel Gremillet, se sont emparés de la question de la stratégie énergétique de notre pays. Nous comptons mener d’importants travaux sur ce sujet, qui constitue à l’évidence un vecteur essentiel de compétitivité et de souveraineté, tant pour la France que pour l’Europe.

Madame la secrétaire d’État, le débat sur la restructuration d’EDF n’est pas médiocre – d’ailleurs, il existe des points de vue très différents sur ce sujet – et nous aurions dû l’avoir avant l’élection présidentielle. J’ai bien compris qu’il n’était pas inscrit à l’agenda de communication du Président de la République ; pourtant, il est essentiel !

En tout cas, je ne doute pas que ces deux débats – l’avenir d’EDF et notre stratégie énergétique globale – nous occuperont dans les prochains mois !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat. Chacun l’a souligné, nous avons besoin de l’hydroélectricité, une énergie verte, flexible et décentralisée. Nous devons la garder dans le domaine public, tout simplement parce que l’eau est un bien commun et que nous devons sécuriser et préserver la ressource. C’est aussi une question de souveraineté énergétique.

C’est pourquoi le Gouvernement privilégie l’option d’un fonctionnement en quasi-régie pour les barrages hydroélectriques d’EDF. Cette solution nécessite un dialogue avec la Commission européenne et le Parlement et une concertation avec les élus locaux – je sais que vous menez ce type de dialogue dans vos départements respectifs et je vous en remercie.

J’ajoute, madame la présidente de la commission, que le Parlement peut décider d’inscrire à son ordre du jour tout type de débat et je vous rejoins sur le fait qu’un débat sur l’avenir d’EDF est tout à fait nécessaire. En tout état de cause, tous ces sujets auront des déclinaisons législatives, ce qui donnera lieu à des discussions.

En tout cas, le plan B dont vous parlez, monsieur le sénateur, se dessine. Même si nous n’avons pas encore d’accord global, nous avons déjà beaucoup avancé sur la conception de la régulation, notamment pour le nucléaire et l’hydroélectricité, ainsi que sur la réorganisation d’EDF. Je le redis, l’option d’une quasi-régie au sein d’EDF Holding reste prioritaire pour nous.

Nous ne pouvons pas, à ce stade, établir de calendrier précis et fixer des échéances. Il nous reste plusieurs mois de travaux et de débats avant de pouvoir présenter un projet complet de réorganisation d’EDF.

Cette réforme comportera plusieurs étapes : nous devrons d’abord conclure un accord avec la Commission européenne, puis finaliser l’organisation de l’entreprise et de ses filiales. Nous devrons aussi, naturellement, discuter avec les organisations syndicales, car nous ne pourrons pas arrêter un modèle sans mener de véritables concertations avec leurs représentants.

En parallèle, nous devrons préparer un véhicule législatif ; il sera soit spécifique, soit intégré à un autre projet de loi. D’ailleurs, de telles dispositions pourraient éventuellement être incluses dans le projet de loi qui est prévu pour juillet 2023 et qui déterminera les objectifs et fixera les priorités d’action de la politique énergétique nationale.

Vous le voyez, il y aura bien un débat parlementaire ; il se tiendra soit sur votre initiative, soit dans le cadre de dispositions législatives à venir.

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 10 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 14
Contre 321

Le Sénat n’a pas adopté.

Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Georges Patient.)

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 2 (début)
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9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Discussion générale (suite)

Recours pour excès de pouvoir des parlementaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 696 [2020-2021], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Article unique

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans doute n’est-il pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, comme l’affirmait Guillaume d’Orange, dit le Taciturne.

Le 23 décembre 2010, voilà maintenant plus de dix ans, notre ancien collègue et président du groupe du RDSE, Yvon Collin, déposait avec l’ensemble du groupe une proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir. Le dispositif qu’il défendait était alors relativement large.

Par un article unique, les membres du Parlement étaient réputés justifier d’une qualité leur donnant intérêt à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi, contre une mesure réglementaire contraire à une disposition législative ou encore contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative.

Malheureusement, ce dispositif n’a pas convaincu la majorité de notre hémicycle malgré l’élan de la réforme constitutionnelle du mois de juillet 2008 et la volonté affichée de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Depuis lors, le Sénat n’est certes pas resté sans rien faire sur la question de l’application des lois – la richesse de notre débat annuel le montre bien –, mais il faut aussi admettre que cela demeure insuffisant.

En fait, nous faisons à chaque fois le constat que celui qu’Yvon Collin a dressé ici même il y a dix ans, lorsqu’il a présenté sa proposition de loi : « Si le Parlement vote souverainement la loi et exprime ainsi la volonté générale, il advient beaucoup trop souvent que la mise en œuvre de la loi, qui dépend du pouvoir réglementaire, se retrouve paralysée, pour ne pas dire annihilée, par les retards d’édiction des actes réglementaires, que ces retards soient involontaires ou, ce qui est plus grave, délibérés. »

La voie qu’il avait proposé d’ouvrir était-elle la bonne ? Du moins, elle a continué à faire écho au-delà du RDSE, puisque, dans son discours prononcé le 1er octobre 2020 à la suite de sa reconduction à la présidence du Sénat, Gérard Larcher défendit avec conviction la nécessité de « réfléchir à une procédure […] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu’un décret d’application manque à l’appel ».

Notre groupe a alors considéré qu’il était plus qu’opportun de déposer à nouveau une proposition de loi poursuivant et affinant nos travaux antérieurs : les poursuivant, car les enjeux demeurent identiques, les affinant, parce que nous avons pu bénéficier d’un recul suffisant et d’un premier travail législatif éclairant.

Nous sommes donc désormais face à un nouveau texte, plus restreint, juridiquement plus contenu, sans qu’il perde pour autant de sa force politique – au contraire !

Ainsi, cette proposition de loi a pour objet de créer une forme de recours sui generis permettant au Parlement d’exercer un contrôle effectif et juridictionnel de l’action gouvernementale, ce qui, dois-je le rappeler, est l’une de ses missions constitutionnelles, puisque l’article 24 de la Constitution est explicite : le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement ».

Ce recours sui generis pourrait être engagé dans trois cas distincts : d’abord, contre la carence du pouvoir réglementaire à prendre une mesure d’application de la loi dans un délai raisonnable, ensuite, contre une ordonnance prise en violation du champ de l’habilitation législative, enfin, contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, lorsque cette autorisation aurait dû relever de la compétence du législateur. Trois cas, donc, dans lesquels le droit en vigueur, au travers notamment de la jurisprudence du Conseil d’État, ne permet pas à un parlementaire, au président d’un groupe politique ou au président d’une commission permanente d’exercer un recours juridictionnel en cette seule qualité.

Les occasions n’ont pourtant pas manqué à nos juridictions de consacrer une telle possibilité, mais il a toujours été objecté que le recours pour excès n’avait pas pour finalité la continuation du débat parlementaire par d’autres moyens. Son objet serait restreint à l’examen d’un acte litigieux afin d’en vérifier la légalité.

C’est pourtant bien de cela qu’il est question ! Qui, plus qu’un parlementaire, est intéressé par le respect du domaine de la loi par un acte administratif réglementaire ?

Jamais le juge administratif, pourtant habituellement si prompt à façonner et à élargir son droit processuel, n’a admis un tel principe. Quelle étrangeté !

Alors que nous votons la loi, expression de la volonté générale, alors que nous cherchons par elle à déterminer les règles applicables dans notre République, alors que ces lois sont soumises au respect de nos principes fondamentaux, notamment via le Conseil constitutionnel, malgré cela, la représentation nationale n’est pas armée juridiquement pour assurer l’application de la loi et imposer au Gouvernement d’exécuter la volonté générale.

Voici pourtant plus de deux siècles que le parlementarisme s’est installé dans notre Nation. Depuis Rousseau, Locke et Montesquieu, notre société vit avec l’idée qu’il revient au Parlement d’écrire la loi et au Gouvernement de l’exécuter.

La Constitution de 1791 – la première à être issue de la Révolution de 1789 – était, en ce sens, plus explicite et formelle que la nôtre : « Le pouvoir exécutif est chargé de faire sceller les lois du sceau de l’État et de les faire promulguer. Il est chargé également de faire promulguer et exécuter les actes du Corps législatif… »

Voilà sa mission première, sa mission originelle, celle qui était là bien avant qu’il soit question pour le Gouvernement d’exécuter son programme.

En effet, à force de rationalisation et de recherche d’efficacité, cette idée de nos institutions est devenue une tradition dénaturée, indifférente au fait d’agir par une loi ou un règlement selon le domaine concerné, pourvu que l’on y retrouve un programme gouvernemental d’où proviendrait la volonté générale.

Nous croyons nécessaire, au contraire, de redonner au Parlement des moyens concrets et effectifs afin d’assurer ses prérogatives constitutionnelles, à commencer par sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

Comme nous l’avons souligné dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, débattre chaque année de l’application des lois devant un hémicycle trop souvent clairsemé n’est pas suffisant pour garantir un véritable droit de suivi par le Parlement des lois qu’il vote.

Le contrôle de l’application des lois n’est pas une affaire politique : il relève de notre idée de l’État de droit et de la façon dont nous concevons l’essence même de nos institutions.

Vous conviendrez donc que l’introduction d’un nouveau droit de recours ouvert aux parlementaires n’a rien d’atypique. Bien au contraire, cela s’inscrit dans le sens de notre régime républicain, en permettant de rappeler au pouvoir exécutif le sens de sa fonction dans l’État, lorsque celui-ci empiète sur le pouvoir législatif ou néglige sa compétence.

Il reste cependant au moins un sujet dont nous devons débattre : celui des titulaires de ce recours pour excès de pouvoir. Notre proposition de loi initiale était maximaliste de ce point de vue.