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Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, le débat sur le thème : « L’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention. »

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle les règles de ce débat : le groupe Union Centriste disposera d’un temps de présentation de huit minutes, avant que s’expriment les orateurs de chaque groupe ; le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat sera limité à cinq minutes.

Enfin, le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’amélioration de la prise en charge du trouble du déficit de l’attention, qu’il s’accompagne ou non d’hyperactivité, tel est le sujet qui nous réunit ce soir dans l’hémicycle.

Le trouble du déficit de l’attention, abrégé en TDAH, présente au moins trois volets : déficit de l’attention, impulsivité et hyperactivité. Ces symptômes peuvent provoquer une souffrance durable au quotidien. Ce trouble peut aussi constituer un handicap invisible pour l’enfant ou l’adulte dans son apprentissage, ses relations sociales ou sa vie professionnelle.

Force est de constater que ce trouble, pourtant fréquent, est méconnu, très mal reconnu et sous-diagnostiqué. Il concerne environ 5 % des enfants, puis 2,5 % de la population adulte, soit environ 2 millions de nos compatriotes. La France connaît un retard significatif en matière de diagnostic et d’accompagnement des personnes qui en souffrent.

Par ailleurs, les signes évocateurs du TDAH peuvent être semblables à ceux des troubles anxieux ou de la précocité intellectuelle. Aussi, le TDAH est souvent associé à d’autres troubles « dys », tels que la dyslexie ou encore le syndrome des jambes sans repos, ce qui rend particulièrement complexe le diagnostic et induit parfois une certaine errance médicale.

Ces réalités m’ont incitée à déposer une proposition de loi visant à améliorer le dépistage de ce trouble, à prendre en compte sa singularité et à faciliter sa prise en charge grâce à une meilleure formation des professionnels de santé et d’éducation, ainsi que par une systématisation des consultations pour les enfants concernés.

Selon un proverbe chinois, mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ! Notre collègue Annick Jacquemet, à qui j’adresse mes sincères remerciements pour son engagement sans faille, a réalisé dans un délai très court des auditions de qualité.

Selon certaines associations, la concertation sur ce sujet à la fois complexe et sensible n’aurait pas été assez large ni assez précoce. Je peux comprendre leur position. Néanmoins, je suis surprise d’une certaine concurrence entre associations. Comme l’a si bien dit Simone Veil, « aussi longtemps qu’on s’entend, qu’on partage, on vit ensemble ». Non seulement on vit ensemble, mais on avance aussi ensemble !

Je salue la décision du groupe Union Centriste de transformer l’examen de ce texte en débat. Cette volonté de discussion est une note d’espoir, l’objectif étant que la situation de nombreuses familles s’améliore enfin. Le dépôt de ce texte n’a pas été inutile, puisque nous parlons du TDAH au Sénat ; je suis persuadée que nous en parlerons désormais de plus en plus.

Je tiens à rappeler les répercussions de ce trouble dans les sphères familiale, scolaire et sociale.

Commençons par la sphère familiale. En raison de son omniprésence dans la vie de l’individu concerné, son entourage se retrouve lui aussi affecté. Les parents sont au premier chef frappés par la souffrance de leur enfant et le regard que les autres portent sur lui.

« L’enfer, c’est les autres », pour reprendre la fameuse phrase de Jean-Paul Sartre. Ces regards extérieurs perçoivent l’enfant comme étant mal élevé en raison de son comportement, ne parvenant pas à appréhender d’emblée le fonctionnement d’un cerveau atypique.

Le diagnostic apparaît alors comme un soulagement pour les parents, mais ils doivent ensuite entreprendre un parcours du combattant. Il est difficile de tout concilier : le travail, les rendez-vous avec l’école, les soins et leur gestion au quotidien. Ces parents sont obligés de travailler à temps partiel, voire de renoncer à leur vie professionnelle pour s’occuper de leurs enfants. Cette situation creuse les inégalités sociales.

Dans la sphère scolaire aussi, l’enfant rencontre des difficultés : anxiété, dépression, harcèlement, décrochage, phobie, vomissement, fatigue, pleurs, stress, crises d’angoisse avant et après la classe. Ces nombreux freins ne lui permettent souvent pas d’avoir une scolarité réussie. En général, les parents dialoguent avec les enseignants, les informent du diagnostic de leur enfant, ainsi que de ses différents symptômes. Malgré ces efforts de part et d’autre, l’inclusion scolaire n’est pas toujours effective sur le terrain. Les demandes des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ne sont que partiellement acceptées, faute de réels moyens alloués à l’intégration des élèves ayant des besoins spécifiques.

En outre, la scolarisation de ces enfants dans une structure spécialisée ou une école privée n’est pas financièrement possible pour tous les parents, ce qui met en péril le principe d’égalité des chances.

Enfin, dans la sphère sociale, nombreux sont les risques liés à la non-prise en charge de ces enfants : on relève des risques plus élevés d’alcoolisme, d’addiction, de dépendance, de délinquance et de suicide. Il semblerait qu’il y ait chez les adultes souffrant de TDAH davantage de suspensions de permis de conduire, d’accidents et d’arrestations. On observe chez eux un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.

Malheureusement, dans la majorité des cas, le diagnostic n’a été établi ni durant l’enfance ni durant l’adolescence. Cela a des conséquences négatives sur la vie professionnelle : arrêts de travail plus fréquents, dépression, chômage répété.

En ce qui concerne le parcours de soins, il s’agit d’abord de mesures psychologiques, éducatives et sociales. Si celles-ci ne suffisent pas, un traitement médicamenteux peut être prescrit par certains spécialistes. Bien évidemment, je m’inscris dans la mouvance qui s’efforce d’éviter l’exemple américain et le recours massif aux médicaments.

Le TDAH reste le parent pauvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement (TND) lancée par le Gouvernement en 2018. La réalité est décevante. Il semble que le TDAH n’ait été que tardivement inclus dans cette stratégie, sur un même pied que les autres troubles. Il s’avère aussi que les actions de ce plan ne suffisent pas.

Les plateformes de coordination et d’orientation (PCO) dédiées aux enfants de 7 à 12 ans ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle les concernant n’ayant été publiée qu’en septembre dernier.

Je regrette que tant d’années soient perdues pour les familles. Combien de temps auront-elles été abandonnées à leur propre sort ? Ce n’est plus admissible !

Les délais moyens d’attente dans les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) ou les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) peuvent dépasser une année, voire plus. Par conséquent, les familles sont parfois contraintes de supporter les frais du suivi pluridisciplinaire et hebdomadaire afin de procurer à leur enfant un accompagnement immédiat. Cela pèse lourdement sur leur budget et les oblige à réduire la fréquence des soins et des autres mesures d’accompagnement.

Vous l’aurez compris, la méconnaissance de ce trouble entraîne un retard de diagnostic, un retard d’accès aux soins et une prise en charge non adaptée. Ces retards de prise en charge peuvent conduire à une aggravation des conséquences psychologiques, scolaires et sociales, ainsi qu’à l’installation de troubles associés.

Il existe des inégalités territoriales d’accès aux spécialistes afin d’établir un diagnostic formel de ce trouble. La formation des professionnels de santé au TDAH est encore insuffisante. Pour une prise en charge efficace du trouble, il faut repérer, diagnostiquer et intervenir précocement, diffuser les connaissances en formant les acteurs de première ligne et favoriser l’inclusion scolaire, ainsi que la guidance familiale.

C’est pourquoi je propose une formation continue des enseignants, une formation plus complète des professionnels de santé et une amélioration de l’accès aux soins par un dépistage précoce et systématique des enfants concernés afin de mieux prendre en considération ce handicap invisible. Une fois le trouble repéré, l’accès aux équipes pluridisciplinaires dans des délais acceptables est nécessaire afin de permettre une égalité des chances pour chaque patient.

Mes chers collègues, les enfants TDAH mieux identifiés, mieux accompagnés seraient des adultes plus épanouis dans notre société et moins dépendants de notre système social. Il est anormal qu’en France ces enfants soient mis de côté parce qu’ils ne sont pas dans la norme.

Ce débat est une réelle occasion d’aboutir à la reconnaissance du TDAH, pour que nos enfants puissent enfin être considérés et intégrés dans une société inclusive, telle que l’a définie Charles Gardou, « une société sans privilèges, sans exclusivités ni exclusions ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord le travail réalisé par nos deux collègues du groupe Union Centriste, à l’initiative de la proposition de loi visant à améliorer la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Lors de la réunion de la commission des affaires sociales du Sénat, les auteures ont estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour discuter de cette proposition de loi en séance publique et ont préféré la retirer de l’ordre du jour de nos travaux et la remplacer par ce débat.

Je souhaite que ce soit le début d’un travail législatif fructueux, car c’est une question de santé publique qui dépasse les clivages politiques. Les troubles du déficit de l’attention concerneraient 2 millions de personnes en France, dont 800 000 enfants, soit entre 3 % et 5 % des enfants de 6 ans à 14 ans, auxquels il convient d’ajouter les adultes, très peu diagnostiqués.

Un tiers des enfants TDAH présente des difficultés d’apprentissage, souvent associées à des troubles du langage. Près de 25 % des enfants TDAH rencontrent des difficultés à lire et à écrire. La prévalence de la dyslexie est plus fréquente – 25 % – que dans la population générale – 6 %. La mémoire de travail leur fait défaut pour résoudre les problèmes, apprendre ce qui est dit en cours ou encore prendre des notes. Toute activité qui demande un certain type de planification leur pose problème. Cette lenteur pour traiter les informations est un handicap dans le domaine scolaire comme dans leur vie personnelle.

Malheureusement, les enfants concernés par ce trouble du neuro-développement pâtissent d’un déficit de prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, à l’hôpital comme en libéral. La pénurie de professionnels, notamment d’orthophonistes, retarde l’établissement d’un diagnostic, hypothéquant une prise en charge précoce. Madame la secrétaire d’État, je réitère l’exigence de supprimer le numerus clausus pour les orthophonistes, appelé pudiquement « quota » !

Les centres médico-psychologiques comme les centres médico-psycho-pédagogiques ne sont pas davantage en capacité d’organiser les actions de prévention, de diagnostic et de soins par manque de moyens financiers et humains. La pédopsychiatrie est sinistrée, on ne cesse de la dire, mais rien ne se passe !

En outre, à l’instar des groupements hospitaliers de territoire (GHT), ces centres connaissent eux aussi des fusions, ce qui éloigne les populations des lieux de soins et ne raccourcit pas les délais d’attente, tant s’en faut.

S’il est nécessaire de mettre en place non seulement des rééducations en orthophonie, en psychomotricité ou encore en ergothérapie, souvent également des psychothérapies, il faut aussi renforcer la formation des équipes enseignantes et des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sur les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Je profite de ce débat pour me faire l’écho du mal-être de ces AESH, qui se mobilisent pour de meilleures conditions de travail et de salaire. Comme vous le savez, il s’agit majoritairement de femmes en grande précarité, qui subissent des contrats à durée déterminée pendant des années, ce qui a pour première conséquence des salaires particulièrement bas – je parle ici de 800 euros. À ces salaires de misère s’ajoute une dégradation de la qualité du suivi des enfants, puisque, depuis l’instauration des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), les AESH accompagnent de plus en plus d’élèves !

Madame la secrétaire d’État, avez-vous l’intention de revaloriser ce métier et d’accorder le statut de fonctionnaire aux AESH qui exercent leur métier depuis des années ?

J’en viens à la prise en charge des dépenses de santé. Le 21 mai dernier, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a adopté, à l’unanimité, une motion appelant l’État à mieux prendre en compte les restes à charge que les personnes handicapées doivent acquitter.

Comme vous le savez, de nombreux frais amputent le pouvoir d’achat des TDAH, ainsi que celui de leurs familles, en dépit du respect des protocoles de soins. Nous considérons que les dépenses de santé doivent être prises en charge intégralement par l’assurance maladie afin de garantir l’accès aux soins, y compris pour ceux qui n’ont pas d’assurance santé. C’est vrai pour les enfants, mais également pour les adultes atteints de TDAH.

À ce propos, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous sensibiliser à au moins deux des revendications de la Coordination nationale TDAH Adultes, le temps m’étant compté.

Êtes-vous prête à prendre des mesures permettant la reconnaissance du TDAH en affection longue durée ?

Êtes-vous prête à mettre en place une formation des professionnels de santé spécialisée dans le diagnostic et le traitement du TDAH de l’adulte, en particulier en psychiatrie, en addictologie, en milieu carcéral et en neurologie ?

En conclusion, madame la secrétaire d’État, il me semble essentiel de financer la recherche pour étudier les effets à long terme de l’utilisation de la Ritaline, traitement miracle pour certains et dangereux pour d’autres.

En tout cas, ce débat est important et je me réjouis qu’il ait lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. - Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je devais initialement être la rapporteure de la proposition de loi déposée par Jocelyne Guidez, mais son examen en séance publique a été remplacé par ce débat.

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, j’ai reçu des messages de parents me racontant leur détresse, leurs difficultés au quotidien, leurs doutes aussi. J’ai été très touchée par ces fragments de vie, ces appels au secours, mais aussi ces témoignages de parents fiers d’accompagner leurs enfants, envers et contre toutes les difficultés.

Je conserve des auditions quelques convictions.

Le TDAH, que l’on réduit trop souvent à l’hyperactivité, est d’abord une importante source de mal-être. La HAS le qualifie de « souffrance au quotidien et inscrite dans la durée ». Il touche plus de 2 millions de personnes. On ne peut donc s’en désintéresser.

Cette souffrance est difficile à qualifier et à identifier. Les familles sont réticentes à parler de maladie ou de handicap, et on peut les comprendre. Ce n’est pas une maladie, puisqu’il n’en existe pas de signes neurologiques ou physiques : ses signes évocateurs sont semblables à ceux d’autres troubles, tels que ceux des troubles anxieux, de la précocité intellectuelle ou du spectre autistique.

Du reste, le TDAH est souvent associé à certains de ces troubles. Il s’agit plutôt d’une association de différents symptômes qui ne lui sont pas propres et qui n’appellent la qualification de TDAH que lorsqu’ils atteignent une certaine intensité entraînant des conséquences gênantes dans la vie quotidienne.

La qualification de handicap est également contestable, pour la même raison. D’ailleurs, d’un point de vue administratif, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), par méconnaissance, refusent très souvent de le reconnaître.

Il en découle une première observation. Il se pourrait que nos mécanismes de protection sociale, conçus en termes de soins financés par l’assurance maladie ou de handicaps pris en charge par les circuits spécifiques de la politique de handicap, maintiennent certaines affections dans des angles morts, desquels nous devrions chercher à les extraire.

Certes, ce trouble peut être traité, on peut apprendre à vivre avec, mais il faut voir comment et entendre, à cette fin, des psychiatres, des neuroscientifiques et des associations, comme je l’ai fait. On s’aperçoit alors que le TDAH constitue aussi, à son échelle, un enjeu de santé publique.

On observe chez les adultes TDAH un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Les addictologues formés à la clinique du TDAH diagnostiquent ce trouble chez 20 % de leurs patients et, dans 95 % des cas, le diagnostic n’avait jamais été établi antérieurement. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.

Repérer et traiter précocement est un impératif à titre individuel, mais aussi collectif. Mes chers collègues, certains d’entre vous se souviennent peut-être qu’un dépistage systématique des troubles du comportement chez les enfants avait été envisagé voilà une quinzaine d’années par le président Sarkozy, sur la base d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cela avait à l’époque suscité des réticences, car il s’agissait manifestement d’un outil de lutte contre la délinquance. Toutefois, on peut parfaitement considérer cet impératif sous un angle strictement sanitaire. C’était d’ailleurs ce que prévoyait Jocelyne Guidez dans sa proposition de loi, qui créait dans le code de la santé publique de nouvelles consultations systématiques obligatoires pour les enfants.

Par ailleurs, et c’est la deuxième observation, nous avons des marges de progression en matière de repérage et de prise en charge précoce. Les exploiter pourrait avoir des conséquences favorables sur le comportement social des jeunes.

Le TDAH reste très mal connu d’une manière générale, et, curieusement, par les professionnels de santé eux-mêmes.

Où qu’en soit la recherche, l’expression « retard français » en matière de diagnostic et d’accompagnement revient très souvent dans le discours associatif et scientifique.

Certes, le Gouvernement a doté la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement de mesures importantes et je ne doute pas que vous saurez nous les détailler, madame la secrétaire d’État. Je songe, d’une part, à la création d’un parcours de prise en charge et d’autre part, à la solvabilisation des familles par la création d’un forfait d’intervention précoce.

On peut toutefois douter que ces actions suffisent.

D’abord, il semble que le TDAH n’ait été inclus dans la stratégie à l’égal des autres troubles que tardivement, au point que les associations contestent encore que le livret de repérage pour les plateformes 7-12 ans leur soit adapté.

Ensuite, toutes les actions du plan ne produiront pas leurs effets immédiatement. Les plateformes 7-12 ans, par exemple, ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle qui les concerne n’ayant étant publiée qu’au mois de septembre dernier.

Enfin, même s’il a été doté d’environ 350 millions d’euros depuis 2018, ce plan a ses limites. Le forfait d’intervention précoce ne dure qu’un an et n’est renouvelable qu’une fois. Le conventionnement avec les professionnels est limité à trois professions. Il appuie enfin ses efforts de coordination sur les ressources existantes : par exemple, les plateformes de coordination et d’orientation sont notamment assises sur les centres d’action médico-sociale précoce ou les centres médico-psycho-pédagogiques. Or, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2018, les délais moyens d’attente sont de quatre mois pour les CAMSP et de sept mois pour les CMPP, mais peuvent dépasser une année, voire plus.

En conséquence, les parents impuissants devant les symptômes de leur enfant et leurs conséquences dramatiques sur son éducation se trouvent dans une errance diagnostique. Ils vont ainsi, ballottés entre des écoles inadaptées et des médecins convaincus que leur enfant n’est que mal élevé, et, lorsqu’ils trouvent des spécialistes souvent éloignés, ils y consacrent plusieurs centaines d’euros par mois, non remboursés.

Une telle situation accroît les inégalités d’accès aux soins qui existent déjà, car seules les familles aisées peuvent offrir à leurs enfants l’accompagnement dont ils ont besoin. Ce n’est pas acceptable.

Il faut donc aller plus loin encore.

J’en viens à la formation. Au mois de novembre 2021, la HAS a identifié la formation des professionnels comme étant le premier enjeu d’une meilleure prise en charge de ces troubles. Avec la stratégie nationale, des efforts intéressants ont été engagés, mais il faut être plus systématique.

Tel était l’objet des deux premiers articles de la proposition de loi, qui précisaient les obligations de formation initiale et continue du personnel enseignant et des professionnels de santé.

En matière de connaissances, la diffusion du savoir théorique et pratique relatif à chacun des troubles du neuro-développement devra tendre vers l’homogénéisation. La stratégie nationale a prévu la création d’un groupement d’intérêt scientifique et de cinq centres d’excellence, ainsi que le développement de réseaux d’excellence et de collaborations internationales. Il faudra veiller à ce que le TDAH y soit bien pris en compte.

Pour ce qui est de la scolarisation, l’autorégulation déployée dans une trentaine d’écoles donne d’excellents résultats sur le profil des enfants TDAH. Les méthodes d’intervention utilisées fonctionnent sur tous les enfants atteints de troubles du neuro-développement et les groupes d’entraide mutuelle ont été ouverts aux autres troubles. Le chantier de l’adaptation du travail en classe et du respect des différences des enfants reste néanmoins largement ouvert.

Je souhaite en conclusion dire à toutes les associations que j’ai rencontrées, ainsi qu’à celles que je n’ai pas eu le temps d’auditionner, que nous restons mobilisés avec elles sur cette question si importante pour le bien-être de nos enfants et d’une part notable de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, je vous poserai quatre questions.

Comment permettre l’adaptabilité de notre protection sociale ? Nous avons su le faire pour la covid, nous devons désormais nous organiser pour ne plus laisser personne dans l’errance, quitte à nous améliorer au fil de l’eau.

Comment rendre les métiers qui entourent notamment les TDAH plus attractifs, pour qu’il existe une offre satisfaisante permettant un dépistage et un accompagnement ?

Comment s’assurer de la formation des personnels ?

Comment assurer aux familles la prise en charge de leurs frais par la solidarité nationale et ainsi garantir le respect du principe d’égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est d’abord avec une pointe de regret que le groupe du RDSE a accueilli la transformation de l’examen de la proposition de loi en débat. Nous étions en effet convaincus de pouvoir faire bouger les lignes pour les 2 millions de personnes atteintes de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Le droit d’amendement et la navette parlementaire auraient pu permettre de faire évoluer le texte et de mieux répondre aux demandes des associations – le nombre important de sollicitations reçues ces derniers jours démontre l’intérêt fort pour ce sujet et le besoin de reconnaissance qui lui est associé.

Nous espérons donc que ce débat permettra de mettre en avant les nécessaires actions à entreprendre pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes d’un trouble du déficit de l’attention, ce qui, dans un contexte de campagne présidentielle, ne peut être complètement inutile.

Ce trouble du neuro-développement se caractérise par trois symptômes principaux – l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité –, mais ils regroupent une variété de situations et de comportements les rendant difficiles à diagnostiquer.

Peu connus et très mal reconnus, ils sont pourtant au deuxième rang des troubles en pédopsychiatrie, touchant 5 % des enfants et 2,5 % de la population générale. S’ils se caractérisent par des troubles du comportement, ils augmentent aussi significativement le risque d’accidents, d’arrestations et d’addictions. En plus de la question de la prise en charge d’un handicap viennent donc s’ajouter des questions de sécurité et de santé publique.

Malheureusement, comme dans beaucoup d’autres cas – je pense à l’autisme –, le constat d’un retard français est souvent partagé.

Je ne m’étendrai pas sur la nécessaire amélioration de la formation du personnel éducatif. Cette formation est de toute façon insuffisante, cela fait des années que tout le monde le dit. Si l’on veut rendre effective l’école inclusive – et je pense que c’est l’ambition de la quasi-totalité de l’échiquier politique –, on doit mettre le paquet sur la connaissance de tous les types de handicaps et sur les moyens de s’adapter au quotidien aux particularités de chaque élève.

Je m’étendrai en revanche sur l’amont, à savoir le diagnostic. On le sait, la précocité du repérage du TDAH est cruciale : un retard de diagnostic, donc de prise en charge, peut conduire à une aggravation des conséquences et à des répercussions délétères sur la vie entière : familiale, sociale, scolaire ou professionnelle.

La pose d’un diagnostic nécessite l’intervention de plusieurs professionnels de santé. Un forfait d’intervention précoce permet désormais de diminuer le reste à charge lors des consultations avec les psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes. Toutefois, ce forfait demeure insuffisant et marque surtout les difficultés d’accès à un accompagnement public gratuit par les centres d’action médico-sociale précoce et les centres médico-psycho-pédagogiques. Obtenir un rendez-vous peut relever du parcours du combattant et prendre plusieurs mois ; cette lenteur insupportable conduit certains à se tourner vers des diagnostics et des rééducations non remboursés.

En plus de renforcer les inégalités sociales, de nombreuses familles ne pouvant se payer le luxe d’un reste à charge, même minoré, cette réalité nous prive d’un service public de qualité, accessible à tous. Pourtant, dans le cas d’un trouble à la fois répandu et mal connu, il semble indispensable de recentrer le diagnostic sur une offre publique en quantité, mais surtout de qualité…

Cette réalité mérite en effet un point de vigilance : l’État doit reprendre la main sur le diagnostic et la prise en charge pour éviter toute surmédication. Si je mets bien sûr de côté les troubles graves qui peuvent nécessiter un soutien médicamenteux, pour les autres, la sensibilisation et l’accompagnement des parents peuvent représenter une partie de la solution. Je pense aux écrans, qui, on le sait, jouent un rôle croissant dans le développement des troubles du comportement. Un accompagnement éducatif dès les premiers troubles de l’attention peut permettre de freiner le développement des symptômes et éviter une prise en charge plus lourde par la suite.

L’enjeu est d’éviter de coller des étiquettes à de très jeunes enfants, quand la clé peut résider dans de simples ressources éducatives. L’État et les collectivités ont sur ce point un grand rôle à jouer au plus près des familles. C’est donc un appel à plus d’engagement de la part de nos services publics.

À l’heure où nous inventons la France de l’après-covid, une réflexion de fond sur notre système de santé doit encore et toujours être menée. Les patients, les associations et les professionnels ont des idées pour nous faire avancer ; c’est avec eux que le débat doit se faire désormais. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)