Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 26 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cette demande ne peut être effectuée qu’une seule fois et peut faire l’objet d’une rétractation dans les conditions fixées par décret.

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Dans leur immense majorité, les personnes qui changent de nom ont mûrement réfléchi leur choix.

Toutefois, on peut imaginer que certaines découvrent, en vivant avec leur nouveau nom, qu’elles se sont trompées. Au travers de cet amendement, nous proposons donc d’offrir une possibilité de retour au nom initial après une procédure de changement de nom, celle-ci n’étant plus irrémédiable.

Mme le président. Pardonnez-moi, mon cher collègue : l’adoption de l’amendement n° 30 avait des conséquences que je n’ai pas mentionnées : l’article 2 est ainsi rédigé, et les amendements nos 3 rectifié et 4 rectifié n’ont plus d’objet.

M. Olivier Paccaud. Je voulais introduire ici le droit à l’erreur, qui existe par ailleurs dans notre corpus juridique !

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)

Après l’article 2

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mmes Conway-Mouret et Artigalas, M. Chantrel, Mme Monier, M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 15 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article 311-21 du code civil est ainsi rédigé :

« Lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers accolent leurs deux noms dans l’ordre choisi par eux. En l’absence de déclaration conjointe à l’officier de l’état civil mentionnant l’ordre donné au nom de l’enfant, celui-ci prend le nom des parents dans l’ordre alphabétique. En l’absence d’un parent reconnu, le nom est celui du seul parent pour lequel la filiation est établie en premier lieu. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil en amont, au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend les deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique. »

La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

M. Jean-Claude Tissot. Marine Gatineau-Dupré, présidente du collectif Porte mon nom, a décrit la situation des femmes qui ne transmettent pas leur nom à leur enfant de la manière suivante : « La mère donne la vie, et, toute sa vie, elle va devoir le prouver ». Cette citation est parfaitement illustrée dans les faits et par les chiffres, puisque 85 % des enfants qui naissent en France reçoivent le nom de leur père à la naissance.

Le droit français du nom a d’ailleurs longtemps vécu dans un régime de domination quasi absolue du nom du père.

La loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, a mis fin à cet état du droit issu du code civil de 1804 et a reconnu aux parents la possibilité de choisir le nom de famille de l’enfant : soit le nom du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux.

La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents. En cas de désaccord entre eux, elle a mis fin à la règle qui attribuait par défaut le nom du père et prévu l’attribution à l’enfant d’un nom composé du patronyme de chacun des parents, dans l’ordre alphabétique.

Pourtant, par tradition et malgré les évolutions positives du droit, de nombreuses femmes acceptent à la naissance de leur enfant que celui-ci ne voit que le nom du père inscrit à l’état civil.

Il est temps que les us et coutumes changent. Une évolution législative semble de nature à faire avancer des pratiques culturelles anciennes et ancrées.

En ce sens, le présent amendement du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à automatiser le double nom, celui des deux parents, dans la déclaration de naissance, quitte à conserver la possibilité de n’en utiliser qu’un sur deux en nom d’usage.

Une telle mesure est largement soutenue par les associations féministes. Elle est déjà appliquée dans certains pays, comme l’Espagne ou le Portugal, où cela ne pose aucun problème.

En faisant du double nom la norme à l’état civil, nous souhaitons également encourager l’usage de celui-ci dans la vie de tous les jours, donnant ainsi une légitimité égale aux deux parents, notamment aux mères, trop longtemps rendues invisibles dans le nom de l’enfant qu’elles ont mis au monde.

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié.

Mme Mélanie Vogel. Mon intervention sera brève, car beaucoup a déjà été dit.

Effectivement, les réformes ayant permis d’abolir le monopole de la transmission du seul patronyme sont allées dans le bon sens. Mais, dans une société qui, par ailleurs, n’a pas évolué, on se retrouve aujourd’hui avec plus de 80 % des enfants issus de couples hétérosexuels portant le nom de leur père.

J’ai eu l’occasion de le dire, ce n’est pas un hasard : ce n’est pas parce que c’est le plus joli des deux noms ou celui des deux qui s’accorde le mieux avec le prénom ; non, cet état de fait est lié à des traditions qui se perpétuent.

Si nous voulons vraiment changer la société et sortir de cette idée que l’emploi du nom du père est le plus naturel, la meilleure chose à faire est d’automatiser la constitution du nom de naissance à partir du nom des deux parents, lorsqu’il y en a deux. Cela n’interdit pas, bien au contraire, d’ajouter si on le souhaite un nom d’usage, lequel pourrait être le nom du père, de la mère, ou de l’une des mères ou de l’un des pères lorsqu’il y en a deux.

Les chiffres démontrent que faire reposer le choix sur une négociation interpersonnelle libre au sein du couple ne fonctionne pas, dès lors qu’une domination s’exprime.

Si cela fonctionnait, les chiffres seraient différents ; nous aurions, en gros, un tiers de noms du père, un tiers de noms de la mère et un tiers de noms composés des deux. Ce n’est pas ce que l’on constate, ce qui montre bien que la loi, en l’état, ne suffit pas.

Mme le président. L’amendement n° 13 rectifié ter, présenté par Mme Vérien, MM. Bonnecarrère et Le Nay, Mme Férat, M. Détraigne et Mme Doineau, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 311-21 du code civil est supprimée.

La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Pour ma part, je n’entends pas imposer les deux noms. J’observe qu’un formulaire de déclaration conjointe existe, que l’on devrait normalement donner aux parents, le plus souvent au père, au moment de la déclaration de l’enfant. Or tel est rarement le cas.

Systématiser le recours à cette déclaration conjointe signée des deux parents permettrait aux parents de réfléchir préalablement et, ainsi, de faire ensemble un choix éclairé.

Nous avons effectivement reçu des témoignages de pères qui, se rendant à l’état civil, soit par méconnaissance, soit parce que l’information ne leur était pas donnée par le service de l’état civil, soit par choix tout à fait personnel, prenaient systématiquement leur nom.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ces amendements tendent à modifier les règles de dévolution du nom de famille pour rendre obligatoire le double nom, le choix des parents ne portant plus alors que sur l’ordre des noms retenu.

L’article 311-21 du code civil a déjà été retouché à quatre reprises, alors qu’il n’avait subi absolument aucune modification depuis la Révolution.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les parents ne s’en saisissent pas. Certains disent qu’il faudra au moins une génération avant que cette habitude ne s’installe. Il me semble qu’il y a une méconnaissance des règles et des enjeux. C’est l’application de la loi de 2002 que nous devons améliorer.

Par ailleurs, les députés n’ont pas souhaité rouvrir ce débat, considérant que les conditions d’examen de ce texte n’étaient pas bonnes pour cela.

La question du double nom est complexe, car, en définitive, on risque de reporter le choix sur les enfants. Prenons deux enfants ayant deux noms chacun qui se marient, ils ne pourront pas utiliser quatre noms pour leurs enfants ; il faudra donc soustraire le nom de l’un de leurs parents, ce qui peut être source de tensions avec les grands-parents.

Ce n’est pas une bonne idée. J’émets donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 13 rectifié ter.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’émets également un avis défavorable sur tous ces amendements.

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Les dispositions des amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié s’inscrivent dans le combat pour l’égalité des noms du père et de la mère dans la transmission du nom.

C’est un combat que j’ai vécu, puisque, dans les années 1980, je luttais ardemment pour rendre possible la transmission du nom de la mère. Tout le monde était contre à l’époque !

Le gouvernement socialiste – la ministre était alors Mme Yvette Roudy – a inventé le nom d’usage. Ce dernier est une aberration, le nom d’usage ne pouvant pas se transmettre aux enfants, mais cela permettait au gouvernement de l’époque d’esquiver le problème, puisqu’il n’était pas favorable à cette transmission du nom de la mère.

Les choses progressent doucement. Je crois néanmoins que ces propositions de M. Hussein Bourgi et Mme Mélanie Vogel vont trop loin : c’est non plus un problème d’égalité entre l’homme et la femme, mais un problème d’égalité des noms au regard de l’ordre alphabétique qui se pose !

En effet, que nous suggèrent nos collègues ? Que l’on place les noms selon l’ordre alphabétique, en commençant donc par celui dont l’initiale est la plus proche de la première lettre de l’alphabet, et que l’on conserve uniquement ce nom à la génération suivante. Le problème est que, au bout de quelques générations, pratiquement plus personne n’aura de nom commençant par les lettres V, W, X, Y ou Z et que, au fil du temps, tous les noms finiront par commencer par A, B ou C. C’est aberrant !

La mesure qui nous est proposée part donc d’une bonne intention, mais, si l’on y réfléchit bien, elle conduira en quelques générations à ce que tout le monde ait un nom commençant par une lettre située entre A et G ou H.

Tout en approuvant la démarche, je ne puis donc voter ces amendements.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendements n° 12 rectifié,  n° 15 rectifié et n° 13 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 3

Article 2 bis

(Non modifié)

Après l’article 380 du code civil, il est inséré un article 380-1 ainsi rédigé :

« Art. 380-1. – En prononçant le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction saisie peut statuer sur le changement de nom de l’enfant, sous réserve du consentement personnel de ce dernier s’il est âgé de plus de treize ans. »

Mme le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

treize

par le mot :

onze

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Le présent amendement aura une destinée funeste.

Mme Nathalie Goulet. On ne sait jamais ! (Sourires.)

M. Olivier Paccaud. Je m’apprête donc à le retirer, tout en faisant observer sa cohérence, puisqu’il vise à avancer l’âge à partir du duquel le consentement d’un mineur est requis lorsqu’une juridiction statue sur son changement de nom.

Je profite néanmoins des quelques secondes qui me sont accordées pour revenir sur l’article 2 et le regrettable ordre de présentation des amendements. Celui-ci ne m’a effectivement pas permis de « faire passer » – j’emploie cette formule, car j’ai vu avec grand plaisir M. le garde des sceaux hocher la tête au moment où j’intervenais – cette idée de droit à l’erreur, cette possibilité de retour en arrière.

Je ne sais pas si nous comptons dans les tribunes l’un de nos collègues députés. Mais je suggère à l’Assemblée nationale de réfléchir à cette idée et vous-même, monsieur le garde des sceaux, de l’appuyer.

Cela dit, je retire l’amendement, madame le président.

Mme le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 2 bis.

(Larticle 2 bis est adopté.)

Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 4

Article 3

(Non modifié)

À la troisième phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou d’un majeur en tutelle » sont supprimés. – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

La présente loi entre en vigueur le 1er septembre 2022.

Mme le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

juillet

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Puisque nous en sommes à la présentation d’un amendement du Gouvernement, c’est très rapidement, monsieur le sénateur Paccaud, que je vous confirme n’avoir pas été du tout insensible à l’argument du délai de réflexion.

D’ailleurs, je l’ai dit à votre collègue député Les Républicains, M. Raphaël Schellenberger, que j’ai reçu à la Chancellerie. Nous continuons à travailler sur cette question.

Le présent amendement vise à rétablir la date initiale d’entrée en vigueur du texte. Je veux à ce titre, mesdames, messieurs les sénateurs, répondre en deux points à l’inquiétude légitime que vous avez manifestée – « légitime, mais mal fondée », diraient les juristes.

Premièrement, le passage par cette procédure simplifiée de changement de nom ne constitue absolument pas un saut dans l’inconnu pour les officiers d’état civil. Ceux-ci connaissent déjà cette procédure.

Deuxièmement, la réforme sera l’occasion de généraliser par voie réglementaire le dispositif d’échange d’informations entre le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) et les administrations qui n’en bénéficient pas encore.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Il convient de laisser le temps aux administrations et aux professionnels concernés de prendre en compte la réforme envisagée. Un délai de six mois semble donc raisonnable, selon l’adage voulant que les mots « vite » et « bien » ne fonctionnent pas très bien ensemble dans l’administration…

J’émets donc un avis défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
 

9

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques. Lors du scrutin public n° 99, mon collègue Henri Leroy souhaitait voter contre.

Mme le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

10

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Discussion générale (suite)

Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites (projet n° 395, texte de la commission n° 470, rapport n° 469).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Article 1er et annexe 1 (Texte non modifié par la commission)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, madame la rapporteure, chère Béatrice Gosselin, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, en ce début de discussion, de saluer les ayants droit ou les représentants de Nora Stiasny, David Cender et Georges Bernheim, qui sont présents dans le public et qui assistent ce soir à nos débats.

Voilà près de soixante-dix-sept ans que les armes se sont tues dans notre Europe ravagée par la Seconde Guerre mondiale. Nombre des responsables des crimes odieux qui ont été commis ont été poursuivis, jugés, condamnés et, le temps passant, la plupart d’entre eux sont aujourd’hui décédés.

La mémoire du nazisme et de la Shoah continue de se construire et de se transformer, sans s’effriter avec le temps, bien au contraire.

Dans le monde de la culture, dans les musées et les bibliothèques, la mémoire de la persécution et de la Shoah est également présente. Car les institutions culturelles, dans l’Europe entière, ont été liées à cette histoire, malgré elles ou parfois avec leur complicité ; des œuvres d’art et des livres spoliés sont toujours conservés dans les collections publiques, des objets qui ne devraient pas être là, qui n’auraient jamais dû être là.

La persécution des juifs a connu de multiples formes. Bien souvent, avant l’élimination méthodique, avant l’extermination, il y eut les vols des biens des juifs, sommés de tout abandonner. Ces spoliations recouvrent des réalités diverses : vol, pillage, confiscation, « aryanisation » – pour reprendre le vocabulaire des nazis et du régime de Vichy –, ou encore vente sous la contrainte.

Au-delà de la dépossession, la spoliation constitue une atteinte grave à la dignité des individus. Elle est la négation de leur humanité, de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions. Aujourd’hui, les œuvres spoliées non restituées sont parfois les seuls biens qui restent aux familles.

En 2019, le ministère de la culture s’est doté d’une mission spécifiquement consacrée à l’identification des œuvres spoliées présentes dans les collections.

Je vous présente donc aujourd’hui un projet de loi que, je crois, nous pouvons qualifier d’« historique ». C’est en effet la première fois depuis l’après-guerre que le Gouvernement engage un texte permettant la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation, en raison des persécutions antisémites.

Il faut souligner le travail collectif ayant permis ces restitutions : travail des familles, des ayants droit et des chercheurs qui sont à leurs côtés ; travail des services du ministère de la culture, de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), des musées nationaux et des collectivités territoriales.

La CIVS était compétente pour deux des quatre dossiers, et l’État comme la ville de Sannois ont suivi très exactement sa recommandation.

Cette démarche de restitution portée par la France est attendue, car nos musées, comme ceux du monde entier, sont confrontés à la nécessité de s’interroger sur l’origine de leurs collections. Le parcours des œuvres de ces collections pendant la période couvrant les années 1933 à 1945 doit être étudié toujours davantage.

Le Gouvernement vous propose aujourd’hui une loi d’espèce, portant sur quatre cas.

Le premier est celui du tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, acheté en 1980 par l’État.

Les recherches menées à l’époque sur la provenance de l’œuvre n’avaient pas permis d’identifier des doutes sur l’historique, compte tenu de la connaissance limitée, à ce moment-là, de la collection dont elle était issue. Il s’est révélé bien plus tard, voilà quelques années, que ce tableau pouvait correspondre au tableau intitulé Pommier que Nora Stiasny, nièce du collectionneur juif viennois Viktor Zuckerkandl, avait été contrainte de vendre en août 1938, pour une valeur dérisoire, quelques mois après l’Anschluss et le début des persécutions antisémites.

Les recherches menées par des chercheurs autrichiens, par le musée d’Orsay, que je remercie particulièrement, et par les services du ministère ont permis de confirmer cette hypothèse.

La spoliation étant avérée, nous avons sans hésiter validé le principe de la restitution de ce tableau, unique toile de Klimt dans les collections nationales. Cette œuvre majeure doit retrouver ses propriétaires légitimes, au nom de la mémoire de Nora Stiasny, qui fut déportée et assassinée en 1942.

Le deuxième ensemble est composé de onze œuvres graphiques de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, relevant du musée d’Orsay et du musée du Louvre, ainsi que d’une sculpture de Pierre-Jules Mène conservée au château de Compiègne, acquises par l’État en juin 1942, à Nice, lors de la vente publique ayant suivi le décès d’Armand Dorville, avocat français juif.

La CIVS, saisie par les ayants droit d’Armand Dorville, a considéré que cette vente n’était pas spoliatrice, car elle avait été décidée par les héritiers, qui en avaient finalement touché le produit et ne l’avaient pas remise en cause après la guerre. Le produit de cette vente, organisée par la succession du collectionneur, a cependant été, le premier jour, placé sous administration provisoire par le Commissariat général aux questions juives.

Outre une indemnisation justifiée par l’immobilisation du produit de la vente jusqu’à la fin de la guerre, la commission a recommandé, « en équité », que les douze œuvres achetées par l’État lors de cette vente soient « remises » aux ayants droit, en raison du « contexte trouble » de cette acquisition. En effet, l’acheteur pour le compte de l’État avait eu connaissance de la mesure d’administration provisoire et avait eu des contacts avec l’administrateur nommé par Vichy.

Le Gouvernement s’est conformé à cette recommandation de la CIVS et vous propose donc de remettre ces œuvres aux ayants droit.

Le texte vise également la restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, acheté par la ville de Sannois en 2004 pour son musée Utrillo-Valadon. Cette toile s’est révélée avoir été volée chez Georges Bernheim, marchand d’art à Paris, par le service allemand de pillage des œuvres d’art dirigé par Alfred Rosenberg en décembre 1940. Informée par une chercheuse de provenance indépendante, la CIVS a recommandé sa restitution à l’ayant droit de Georges Bernheim, victime des persécutions antisémites.

Je veux saluer l’engagement de la ville de Sannois, dont le conseil municipal s’est prononcé à l’unanimité pour cette restitution juste et nécessaire, et pour la sortie de cette œuvre de son domaine public.

Enfin, ce texte propose la restitution du tableau Le Père de Marc Chagall, qui relève du Musée national d’art moderne.

Cette œuvre, entrée dans les collections nationales par dation en paiement des droits de succession en 1988 sans aucune connaissance d’une éventuelle provenance problématique, ni par la famille, ni par l’État, s’est révélée très récemment avoir été volée à Lodz à David Cender, pendant ou après le transfert des juifs vers le ghetto de la ville en 1940.

Le parcours de ce tableau est très particulier : peint par Chagall en 1912, l’œuvre n’a plus été la propriété de l’artiste à partir d’une date inconnue, sans doute entre 1914 et 1922 ; elle a circulé jusqu’en Pologne, où elle a été volée à David Cender, puis a probablement été rachetée par Marc Chagall, sans doute après 1947 et, au plus tard, en 1953.

Le lien du tableau avec la spoliation subie par David Cender a été découvert récemment. Les démarches que celui-ci a lui-même entreprises après-guerre ont permis de s’assurer qu’il avait été le propriétaire d’un tableau de Chagall, spolié dans le cadre des persécutions antisémites, et correspondant au tableau Le Père.

Les recherches sur la provenance de cette œuvre ont abouti après le dépôt du présent projet de loi. C’est pourquoi le Gouvernement, estimant nécessaire de procéder sans délai à cette restitution, a proposé d’ajouter l’article correspondant, par un amendement adopté par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

Je sais que des questions ont été soulevées et seront soulevées sur l’opportunité d’un tel texte, certains regrettant l’absence d’un dispositif, créé par une loi-cadre, qui permettrait la restitution plus aisée des œuvres spoliées, sans présenter de nouvelles lois d’espèce au Parlement. Le Conseil d’État lui-même, dans son avis, a souligné le manque d’un dispositif plus simple.

Pour l’heure, il a paru capital au Gouvernement de soumettre à la représentation nationale ces dossiers spécifiques : il s’agit en effet de la première loi organisant la sortie du domaine public d’œuvres spoliées des collections nationales ou territoriales, en vue de leur restitution.

L’engagement pris par notre pays, notamment concernant le tableau de Klimt, a été salué unanimement et devait vous être soumis. Il fallait aller vite, mettre en œuvre ces restitutions, dont certaines – c’est le cas du tableau de Sannois – étaient en attente depuis plusieurs années.

Toutefois, je suis favorable à l’adoption d’une loi-cadre permettant la création d’un dispositif de restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites pendant cette période.

Nous y viendrons, car c’est une étape qui s’imposera. La réflexion actuelle sur une loi-cadre relative à la restitution des biens issus d’un contexte colonial, voulue et annoncée par le Président de la République en octobre dernier, nous engage évidemment sur le même terrain pour ce qui concerne les spoliations antisémites des années 1933 à 1945.

Un nouveau dispositif est souhaitable, mais il doit être affiné. Vous avez vous-même, madame la rapporteure, évoqué les pistes existantes et souligné les difficultés propres à chacune d’entre elles. Quoi qu’il en soit, une telle réflexion ne peut être mise en œuvre à la toute fin du quinquennat.

Le ministère y a travaillé, mais vous constatez la complexité des dossiers. Les critères de spoliation, ainsi que les bornes géographiques et temporelles, devront être pesés avec précaution. Pour l’heure, dans l’attente de l’aboutissement de ces travaux, nous souhaitons faire sortir ces œuvres du domaine public. C’est une avancée majeure.

Il y aura d’autres restitutions, et nous saurons proposer un nouveau dispositif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’évoquons pas ce soir un projet de loi ordinaire. Il constitue une première étape engagée par la France, qui est à l’écoute des familles touchées par les persécutions antisémites, pour permettre, de manière inédite, la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la période nazie ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation, en raison des persécutions antisémites.

Ces œuvres sont les traces toujours présentes de leurs propriétaires, spoliés, persécutés ; elles portent leur mémoire. (Applaudissements.)