Sommaire

Présidence de M. Pierre Laurent

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.

1. Procès-verbal

2. Communication relative à une commission mixte paritaire

3. Questions orales

financement des services départementaux d’incendie et de secours

Question n° 2129 de M. Hervé Gillé. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Hervé Gillé.

parcours en alternance des jeunes porteurs de handicap accueillis en institut médico-professionnel

Question n° 2104 de Mme Laure Darcos. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Laure Darcos.

conditions de détention au centre pénitentiaire de bordeaux-gradignan

Question n° 2063 de Mme Laurence Harribey. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Laurence Harribey.

situation de la justice en france

Question n° 2113 de Mme Brigitte Lherbier. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

garantir l’accueil scolaire et périscolaire des élèves atteints de troubles physiques ou psychiques

Question n° 1897 de Mme Marie-Claude Varaillas. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; Mme Marie-Claude Varaillas.

difficultés de scolarisation liées au manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap

Question n° 2082 de M. Alain Marc. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Alain Marc.

comptabilisation des enfants en très petites sections

Question n° 2131 de Mme Dominique Vérien. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; Mme Dominique Vérien.

ruralité et éducation prioritaire

Question n° 2139 de M. Olivier Paccaud. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports.

fermeture des classes en milieu rural

Question n° 2136 de M. Bruno Belin. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports.

problème du remplacement des professeurs absents

Question n° 2028 de Mme Anne Ventalon. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; Mme Anne Ventalon.

état des lieux de l’enquête interne au ministère des armées sur l’affaire sirli

Question n° 2147 de M. Guillaume Gontard. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Guillaume Gontard.

exercice du métier de vétérinaire en zone rurale

Question n° 1861 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Jean-Marie Mizzon.

refonte de la politique forestière

Question n° 2047 de M. Mathieu Darnaud. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants.

prévention de nouvelles vagues d’influenza aviaire

Question n° 2123 de M. Max Brisson. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Max Brisson.

conditions d’éligibilité à l’appel à manifestation d’intérêt pour le renouvellement forestier

Question n° 1875 de Mme Frédérique Puissat. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants ; Mme Frédérique Puissat.

conséquences de l’augmentation du prix de l’énergie pour les collectivités locales

Question n° 2097 de M. Hervé Maurey. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Hervé Maurey.

conséquences de l’inflation sur le financement des projets locaux

Question n° 2126 de Mme Corinne Féret. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Corinne Féret.

raccordement final des abonnés

Question n° 1929 de Mme Patricia Demas. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

problèmes posés par l’apparition de nouveaux travaux dans les tracés utilisés pour l’installation de la fibre optique

Question n° 1940 de Mme Else Joseph. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Else Joseph.

état des infrastructures de télécommunications dans les hautes-alpes

Question n° 2119 de M. Jean-Michel Arnaud. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Jean-Michel Arnaud.

responsabilité comptable des directeurs généraux des services

Question n° 2033 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Cathy Apourceau-Poly.

réduction d’horaires et fermeture de bureaux de poste

Question n° 2141 de M. Christian Bilhac. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Christian Bilhac.

écloseries marines de gravelines

Question n° 2140 de M. Frédéric Marchand. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

rétrocession des indemnités de chômage des frontaliers

Question n° 2125 de Mme Sylviane Noël. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

avenir des centres de vacances en milieu rural

Question n° 2143 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

mesures de soins sous contrainte dans le nord

Question n° 2145 de Mme Martine Filleul. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Martine Filleul.

reprise de la collecte de sang en guyane

Question n° 2037 de Mme Marie-Laure Phinera-Horth. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

constatation des décès à domicile

Question n° 2071 de M. Édouard Courtial. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

autorisation d’exercice pour les titulaires d’un diplôme d’état de docteur en médecine obtenu dans un pays non membre de l’union européenne

Question n° 2096 de Mme Nadine Bellurot. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Nadine Bellurot.

plateformes de coordination et d’orientation et disparition du travail institutionnel

Question n° 2107 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

nécessité d’élargir le champ des professionnels de santé pouvant prétendre à l’exercice de la fonction d’assistant médical

Question n° 2109 de Mme Daniel Gremillet. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

dépistage du covid par des chiens renifleurs

Question n° 2127 de Mme Sabine Drexler. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Sabine Drexler.

attractivité des carrières hospitalo-universitaires

Question n° 2089 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

professionnels du secteur social et médico-social exclus du ségur de la santé

Question n° 2142 de Mme Annie Le Houerou, en remplacement de M. Christian Redon-Sarrazy. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

démographie médicale

Question n° 2032 de Mme Annie Le Houerou. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

conséquences de la hausse des prix de l’énergie pour les collectivités

Question n° 2122 de M. François Bonhomme. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. François Bonhomme.

financements de la france en faveur du climat

Question n° 2043 de M. Jean-François Husson. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

diminution drastique de la qualité des services de la sncf dans la région hauts-de-france

Question n° 2106 de Mme Martine Filleul, en remplacement de M. Rémi Cardon. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Martine Filleul.

financement des agences de l’eau

Question n° 2132 de Mme Amel Gacquerre. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

lutte contre les nuisances sonores et la pollution de l’autoroute a6 à l’haÿ-les-roses

Question n° 2134 de M. Christian Cambon. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Christian Cambon.

destruction et bétonisation des jardins d’aubervilliers

Question n° 2137 de M. Thomas Dossus. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

consultation engagée par le gouvernement auprès des communes du littoral menacées par le recul du trait de côte

Question n° 2138 de M. Didier Mandelli. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Didier Mandelli.

lutte contre les nuisances aériennes

Question n° 2035 de M. Jean-Raymond Hugonet. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Jean-Raymond Hugonet.

création de l’agence territoriale de la biodiversité de guyane

Question n° 2144 de M. Georges Patient. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

évolution du classement en zone tendue

Question n° 2070 de Mme Annick Billon. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Annick Billon.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

4. Candidature à une commission

5. Conventions internationales. – Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

Accord avec Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. – Adoption définitive, en procédure accélérée, du projet de loi dans le texte de la commission.

Convention avec l’Espagne relative à la nationalité. – Adoption définitive, en procédure accélérée, du projet de loi dans le texte de la commission.

6. Sécurité de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants

M. Olivier Cadic, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. François Bonneau

M. Éric Gold

M. Mickaël Vallet

M. Xavier Iacovelli

M. Joël Guerriau

M. Gilbert Bouchet

M. Guillaume Gontard

Mme Michelle Gréaume

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Vote sur l’ensemble

M. Olivier Cadic, rapporteur

Mme Nathalie Goulet

Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

7. Harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Claude Requier

M. Jean Louis Masson

Mme Émilienne Poumirol

M. Xavier Iacovelli

M. Joël Guerriau

M. Laurent Burgoa

M. Guy Benarroche

Mme Michelle Gréaume

Mme Jocelyne Guidez

Adoption définitive, par scrutin public n° 99, du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.

Suspension et reprise de la séance

8. Choix du nom issu de la filiation. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois

Mme Esther Benbassa

M. Hussein Bourgi

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Joël Guerriau

Mme Catherine Belrhiti

Mme Mélanie Vogel

Mme Éliane Assassi

Mme Dominique Vérien

M. Henri Cabanel

M. Olivier Paccaud

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Jean-Pierre Grand

Amendement n° 17 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Amendements identiques nos 21 du Gouvernement et 27 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 29 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 7 de M. Hussein Bourgi. – Rejet.

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Olivier Paccaud. – Adoption.

Amendement n° 19 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de M. Olivier Paccaud. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 1er

Amendements identiques nos 8 de M. Hussein Bourgi et 14 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet des deux amendements.

Article 2

Mme Marie Mercier, rapporteur

Amendement n° 24 de M. François Bonhomme. – Rejet.

Amendement n° 28 rectifié de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Amendements identiques nos 22 du Gouvernement et 26 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 10 de M. Hussein Bourgi. – Rejet.

Amendement n° 6 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 30 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.

Amendements nos 3 rectifié et 4 rectifié de M. Olivier Paccaud. – Devenus sans objet.

Après l’article 2

Amendements identiques nos 12 rectifié de M. Hussein Bourgi et 15 rectifié de Mme Mélanie Vogel. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 13 rectifié ter de Mme Dominique Vérien. – Rejet.

Article 2 bis

Amendement n° 5 rectifié de M. Olivier Paccaud. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 3 – Adoption.

Article 4

Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

9. Mise au point au sujet d’un vote

10. Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure de la commission de la culture

M. Lucien Stanzione

M. André Gattolin

M. Joël Guerriau

Mme Toine Bourrat

M. Thomas Dossus

M. Pierre Ouzoulias

M. Pierre-Antoine Levi

M. Bernard Fialaire

Mme Esther Benbassa

M. Sébastien Meurant

Mme Nathalie Goulet

Clôture de la discussion générale.

Article 1er et annexe 1

M. Olivier Paccaud

Adoption de l’ensemble de l’article et de l’annexe.

Article 2 et annexe 2

M. Pierre Ouzoulias

M. Marc Laménie

Adoption de l’ensemble de l’article et de l’annexe.

Article 3 et annexe 3, article 4 et annexe 4 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Mme Nathalie Goulet

Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission.

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure

11. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une commission

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 9 février 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

3

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

financement des services départementaux d’incendie et de secours

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, auteur de la question n° 2129, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Hervé Gillé. Le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Gironde est en tension permanente : les missions de secours à la personne explosent, générant des besoins d’effectifs complémentaires et créant des conditions de travail qui pèsent sur le quotidien des pompiers girondins.

Ce sont les conséquences d’un financement déconnecté de la réalité du terrain, notamment dans ce département.

La politique volontariste du président du SDIS 33 et de l’exécutif a permis des solidarités financières départementales, mais la situation reste instable.

Les contributions communales et intercommunales distribuées aux SDIS ne prennent pas en compte l’évolution démographique des territoires. Leur mode de calcul résulte de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. Ces contributions sont encadrées par l’évolution du taux annuel de l’inflation, mais ne considèrent ni l’augmentation de la population ni la hausse probable du nombre d’incendies et de risques dus au réchauffement climatique.

Un tel mode de calcul est préjudiciable pour de nombreux départements, particulièrement pour celui de la Gironde, dont la population augmente le plus chaque année – de 1,2 %, contre 0,4 % en moyenne nationale. Et je ne tiens pas compte de la population touristique ; sans quoi, ce chiffre gonflerait encore.

Au total, environ 136 000 opérations du SDIS 33 ont lieu chaque année, soit une intervention toutes les quatre minutes.

Ces chiffres ne vont pas décroître : la population continuera d’augmenter et le dérèglement climatique risque de décupler les accidents. Pour rappel, en Gironde, la forêt couvre 520 000 hectares, soit la moitié de la superficie du département. La sécurité de celui-ci dépend donc de ces contributions.

Quelles évolutions réglementaires ou législatives envisagez-vous pour permettre à l’ensemble des SDIS d’assurer leurs missions dans les meilleures conditions ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, le financement des services d’incendie et de secours résulte, vous le savez, d’un équilibre entre les contributions des départements, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des communes, pour lesquelles, d’ailleurs, elles constituent des dépenses obligatoires.

Ce modèle de financement est le reflet de l’histoire des SDIS. Impliquant plusieurs acteurs, il répond à de nombreuses obligations législatives. On peut évoquer notamment l’encadrement des contributions communales et l’indice des prix à la consommation, introduits par la loi du 27 février 2002.

Cette question du financement a fait l’objet de discussions entre les deux assemblées lors de l’examen de la proposition de loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, dont l’article 54 dispose que « le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er janvier 2023, un rapport portant sur le financement des services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours ».

Mme la ministre Jacqueline Gourault, M. le ministre Gérald Darmanin et moi-même avons conjointement saisi l’inspection générale de l’administration afin de mener une mission sur le financement des services d’incendie et de secours. Les représentants des collectivités territoriales seront bien entendu pleinement associés à ces travaux et le Gouvernement rendra compte au Parlement des conclusions de la mission d’ici à la fin de l’année 2022, conformément à la volonté du législateur.

J’espère avoir répondu à votre question.

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Je vous remercie, madame la ministre. Nous suivrons avec beaucoup d’attention ce sujet. Vous le savez, il suscite bien des attentes depuis de nombreuses années, d’autant que les situations sont de plus en plus dégradées sur le terrain.

parcours en alternance des jeunes porteurs de handicap accueillis en institut médico-professionnel

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 2104, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

Mme Laure Darcos. Madame la ministre, la faculté des métiers de l’Essonne (FDME) propose aux jeunes, aux salariés, aux demandeurs d’emploi et aux entreprises une offre élargie de formation par la voie de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Elle est actuellement le plus grand centre de formation d’apprentis du sud francilien : 3 000 apprentis sont formés chaque année dans de très nombreux métiers, du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au bac+5.

Parce que la faculté des métiers est consciente de son rôle essentiel en matière d’insertion, elle accorde une attention toute particulière au public en situation de handicap. C’est ainsi qu’elle a mis en place depuis plusieurs années un dispositif dit « passerelle bleue », dont l’objectif est de préparer des jeunes porteurs de handicap cognitif à se former par la voie de l’apprentissage dans un des champs professionnels proposés, notamment la restauration, la carrosserie, la vente, la boulangerie, la logistique, les espaces verts ou bien encore le bâtiment.

Durant cette année de « passerelle bleue », une adaptation pédagogique personnalisée est mise en place, qui donne lieu à une individualisation des parcours et à la réalisation d’un accompagnement médico-psychosocial.

Au terme de celle-ci, les jeunes poursuivent leur formation par leur entrée en CAP. La signature d’un contrat d’apprentissage avec une entreprise sensibilisée à la problématique du handicap permet la formation en alternance. Or les jeunes des instituts médico-professionnels se trouvent face à une injustice tout à fait intolérable qui m’a été signalée par cette faculté des métiers. En effet, lorsqu’ils décident de préparer un CAP, ils rencontrent un obstacle pour accéder au statut d’apprenti et, ce faisant, de salarié.

Cette difficulté d’accès au statut d’apprenti représente un facteur d’exclusion sociale et professionnelle inacceptable à l’heure où se mène le combat pour une société plus inclusive.

Aussi, ma question est la suivante, madame la ministre : quelle réponse pouvez-vous proposer pour mettre fin à une situation douloureusement vécue, comme vous pouvez l’imaginer, par les jeunes concernés ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je vous réponds au nom de Mme Sophie Cluzel, retenue par d’autres obligations.

Je veux tout d’abord saluer votre engagement, que chacun connaît, sur ce sujet. L’apprentissage est l’une des priorités du Gouvernement ; en témoigne le prolongement jusqu’en juin 2022 de la prime octroyée, dans le cadre du plan France Relance, aux entreprises qui recrutent un apprenti.

Il est vrai que, pour les personnes en situation de handicap, l’apprentissage est un véritable levier vers l’emploi durable. Il permet non seulement d’améliorer leur niveau de formation initiale, mais aussi de mettre en place des parcours de reconversion professionnelle pour des adultes dont le handicap est survenu en cours de vie ou bien s’est aggravé.

Plus que d’inciter les employeurs, notre ambition est d’éviter de mener une politique « à part » pour ces personnes. Les centres de formation d’apprentis (CFA) de droit commun doivent pouvoir accueillir toutes les personnes, quelle que soit la situation de handicap rencontrée.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel oblige tout CFA à avoir un référent handicap chargé de mettre en œuvre des adaptations techniques, matérielles et pédagogiques, des heures de soutien individualisé, un aménagement des sélections, etc. Depuis la réforme de la formation professionnelle, ces accompagnements sont financés et ne sont plus à la charge des CFA.

Nous déployons également un accompagnement spécifique vers l’emploi pour éviter les ruptures professionnelles, lequel est particulièrement adapté au public de la « passerelle bleue » puisqu’il vise des situations de handicap psychique – troubles de l’autisme et du neurodéveloppement ou déficience intellectuelle.

Un expert de ces troubles suit la personne tout au long de son parcours, en amont, en apprentissage, puis en poste. Il fait le lien avec son environnement professionnel, qui ne sait pas toujours bien appréhender ces handicaps invisibles.

Enfin, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, pose le principe d’une délivrance automatique de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) pour les jeunes de plus de 16 ans déjà accompagnés dans le cadre des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Il s’agit précisément de faire en sorte que soient mis en place dès leur entrée en apprentissage tous les moyens nécessaires à la sécurisation de leur parcours de formation.

Ces mesures commencent à porter leurs fruits. Les derniers chiffres du chômage confirment la baisse continue du nombre de demandeurs d’emploi handicapés, entamée depuis novembre 2019, tandis que le nombre d’apprentis en situation de handicap a bondi de 79 % entre 2019 et 2021.

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.

Mme Laure Darcos. J’accompagnais votre collègue Sophie Cluzel lors de sa visite à la faculté des métiers de l’Essonne ; malheureusement, ce n’est qu’après notre venue que m’a été rapportée cette injustice.

De fait, vous n’avez pas totalement répondu à ma question ; c’est pourquoi je la poserai une nouvelle fois à votre collègue. Il importe que les jeunes issus des instituts médico-professionnels puissent accéder, au moment de l’obtention de leur diplôme, au statut d’apprenti, puis de salarié. C’est là qu’il y a un « trou dans la raquette ». J’insiste donc, en vous demandant de relayer ce message à votre collègue. Vous souhaitez tout comme nous que notre société soit véritablement plus inclusive ; or, en l’espèce, quelque chose ne va pas.

conditions de détention au centre pénitentiaire de bordeaux-gradignan

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, auteure de la question n° 2063, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Laurence Harribey. Dans son avis du 4 juin 2020, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rappelait que le nombre de personnes admises dans un lieu de privation de liberté ne doit jamais excéder le nombre de personnes que ce lieu est en mesure d’héberger.

Dans sa tribune du 7 février dernier, publiée dans le journal Le Monde, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dresse un inventaire inquiétant : insalubrité des cellules, surpopulation en hausse de 11 % en 2021 générant des atteintes aux droits fondamentaux des détenus, notamment en matière de soins et de formation.

Pourtant, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en janvier 2020 pour traitement inhumain et dégradant.

Cette situation pèse sur le personnel. J’ai été alertée par celui du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, où la situation est critique : 779 détenus pour 434 places, 94 matelas à même le sol dans le bâtiment, plus de dix cellules individuelles de neuf mètres carrés où logent trois détenus. Cette promiscuité est d’autant plus grave en période d’épidémie.

Le personnel est en souffrance et démuni. Certes, les annonces de revalorisation salariale sont bienvenues, mais celle-ci sera insuffisante si les conditions structurelles ne s’améliorent pas. Parmi les représentants du personnel que j’ai entendus, on m’a dit : « J’espère vraiment que vous porterez nos voix pour que notre ministre prenne réellement conscience de notre mal-être. » Que leur répondez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, M. le garde des sceaux, retenu par d’autres obligations, m’a chargée de répondre à votre question.

La surpopulation carcérale est l’une des priorités du ministère de la justice, parce qu’elle porte des enjeux liés au respect de la dignité des personnes incarcérées, à l’efficacité de la peine en matière de prévention et de récidive, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail des personnels – chacun connaît l’engagement fort d’Éric Dupond-Moretti sur ce sujet.

Concernant le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, sur lequel vous attirez l’attention du Gouvernement, la densité carcérale y est effectivement excessive, spécialement dans le quartier maison d’arrêt. Pour remédier à cela, les services du ministère de la justice ont procédé en 2021 à soixante transferts dits « de désencombrement » vers des centres pénitentiaires voisins, ce qui a permis une baisse du taux d’occupation.

Le garde des sceaux a annoncé un budget de 409 millions d’euros en 2022 pour le programme immobilier, qui devient ainsi le plus ambitieux depuis trente ans, avec la construction de 15 000 places de prison supplémentaires. En outre, un budget de 138 millions d’euros est consacré aux opérations de maintenance et d’entretien des établissements existants.

De nouveaux projets immobiliers sont prévus en région Nouvelle-Aquitaine. Ainsi, l’établissement de Bordeaux-Gradignan bénéficie d’un chantier de création de 250 places supplémentaires. La première phase de livraison aura lieu dès 2023.

La construction d’un nouvel établissement à Pau entrera également en phase opérationnelle en 2022, tandis que deux structures d’accompagnement vers la sortie ont été ouvertes : en 2020 à Poitiers et en 2021 à Bordeaux-Gradignan.

Enfin, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire comporte des dispositions qui permettent de désengorger les prisons tout en assurant une exécution encadrée de la peine. Je pense notamment à la libération sous contrainte de plein droit pour les peines de moins de deux ans, au renforcement de l’assignation à résidence sous surveillance électronique en lieu et place de la détention provisoire.

Soyez certaine, madame la sénatrice, de pouvoir compter sur l’action de notre Gouvernement et sur la détermination de nos services à mener une politique volontariste de régulation carcérale.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. Madame la ministre, j’accompagnais le garde des sceaux, l’année dernière, lors de sa visite de l’établissement de Bordeaux-Gradignan. Je dois le dire, celle-ci avait suscité un espoir, le ministre s’étant alors engagé à améliorer les choses. Le problème, c’est que rien n’a changé et, surtout, que le dialogue social avec le personnel n’existe pas vraiment. Face à l’une des situations les plus graves auxquelles a pu être confronté un établissement pénitentiaire, en France, un petit geste serait bienvenu pour garantir au personnel que la situation est en voie de s’améliorer.

situation de la justice en france

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, auteur de la question n° 2113, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Brigitte Lherbier. Madame la ministre, des magistrats et des personnels de greffe se sont mobilisés en décembre 2021 pour dénoncer l’état de la justice dans notre pays.

Au cours du mois de janvier 2022, les personnels du siège, du parquet et les agents de greffe du tribunal judiciaire de Lille ont prononcé, dans une motion commune, une « impossibilité de faire » judiciaire. À Lille, par exemple, ils déploraient un an de délai, en moyenne, pour qu’un justiciable soit convoqué par le tribunal correctionnel. Cette attente peut durer jusqu’à huit ans devant une cour d’assises.

Leurs conditions de travail sont particulièrement difficiles : le tribunal peut juger jusqu’à quinze dossiers de violences conjugales sur une matinée ; les juges des enfants lillois suivent chacun la situation de mille mineurs.

En réponse aux sollicitations de tous les professionnels qui concourent au service de la justice, le garde des sceaux met en avant l’augmentation historique de son budget. Il est vrai que des recrutements ont été effectués et que des moyens techniques ont été mis à disposition des juridictions. Force est de constater que ces mesures, certes nécessaires, ne sont pas suffisantes et ne permettent toujours pas aux personnels de rendre une justice de qualité sans s’épuiser face à l’ampleur de la mission régalienne qui leur est confiée.

Les professionnels de justice constatent encore un décalage entre, d’une part, l’ampleur des missions qui leur sont confiées et les attentes croissantes vis-à-vis de l’institution, d’autre part, les ressources humaines et matérielles dont celle-ci dispose pour y faire face.

Qu’entend faire le Gouvernement pour répondre à ces professionnels ? Quelles dispositions sont mises en œuvre pour mesurer leur souffrance au travail ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour améliorer leurs conditions de travail et permettre aux Français de bénéficier d’une justice à la hauteur de leurs attentes, d’une justice humaine et à l’écoute ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, M. le garde des sceaux, retenu, m’a demandé de répondre à votre question.

Comme vous le savez, entre 2017 et 2021, 698 magistrats nouveaux sont arrivés en juridiction, ce qui représente une augmentation de 9 % des effectifs globaux. Le seuil historique des 9 000 magistrats a été atteint en 2020, tandis que 870 greffiers supplémentaires sont également venus renforcer les effectifs entre le 1er septembre 2017 et le 1er septembre 2021, soit une hausse de 9,4 %.

En y ajoutant le recrutement de 2 000 contractuels dans le cadre de la mise en œuvre de la justice de proximité, on en arrive rapidement à la conclusion arithmétique qu’il n’y a jamais eu autant de personnels dans les juridictions et que ce gouvernement a fait énormément en la matière.

Pour autant, nous n’ignorons pas les difficultés qui perdurent en juridiction et que vous soulignez. La situation n’est en effet pas pleinement satisfaisante en matière d’effectifs : nous devons poursuivre les efforts de recrutement qui ont été amorcés. C’est la raison pour laquelle le garde des sceaux a annoncé l’ouverture d’un nombre record de places au prochain concours d’accès à l’École nationale de la magistrature, avec le recrutement de 460 magistrats – 380 au titre des concours d’accès dits « classiques » et 80 autres au titre des concours complémentaires. Ainsi, la prochaine promotion d’élèves magistrats sera la plus importante de l’histoire.

Le Gouvernement a aussi pérennisé 1 414 emplois de contractuels recrutés au titre de la justice de proximité.

Le garde des sceaux ne méconnaît pas les difficultés du tribunal judiciaire de Lille. Au cours des deux dernières années, neuf postes ont été créés spécialement à son profit. Les effectifs des magistrats du siège sont au complet, tandis qu’un poste est vacant au parquet.

S’il est exact que les effectifs de la juridiction sont régulièrement grevés par plusieurs arrêts maladie temporaires et des congés légitimes, les chefs de cour bénéficient toutefois d’un renfort de trente magistrats placés, qu’ils peuvent temporairement déléguer en soutien de la juridiction.

En ce qui concerne les fonctionnaires, au 1er mars 2022, le tribunal judiciaire de Lille accusera un déficit de vingt postes, situation de vacance trop importante que nous allons nous attacher à combler au cours de ce semestre, grâce à l’entrée en fonction de deux directeurs des services de greffe, de huit greffiers et de deux adjoints supplémentaires administratifs.

En outre, la mise en œuvre du plan de soutien à la justice de proximité a permis le recrutement de seize contractuels, dont deux de catégorie A et quatorze de catégorie B.

garantir l’accueil scolaire et périscolaire des élèves atteints de troubles physiques ou psychiques

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la question n° 1897, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, ma question porte sur l’accueil individualisé à l’école des enfants atteints de troubles physiques ou psychiques.

La circulaire ministérielle du 10 février 2021 précise que l’accueil de ces enfants s’étend dorénavant au temps périscolaire et qu’il revient à la collectivité territoriale concernée d’assurer sa mise en œuvre.

Si cette continuité est une absolue nécessité pour une école réellement inclusive, les moyens de sa mise en œuvre posent une vraie question.

En effet, la charge financière qui incombe aux collectivités territoriales fait courir le risque d’une école inclusive à deux vitesses. Les communes qui ont accepté la mise en place de ces dispositifs d’accueil dans les écoles au sein desquelles sont scolarisés des enfants orientés par les services de la MDPH ou par ceux de l’éducation nationale n’ont pas le choix de l’affectation : les enfants y sont scolarisés, qu’ils soient de la commune ou pas, ce qui est tout à fait normal dans l’école de la République.

L’ambition d’une école réellement inclusive passe aussi par la revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) – à 93 % des femmes – pour qui le temps partiel reste la règle.

Si le Gouvernement a la volonté de mettre en œuvre une démarche réellement inclusive à l’école, alors il doit s’en donner les moyens. Cela nécessite, à mon sens, la création d’un corps de fonctionnaires correspondant aux besoins permanents du service de l’éducation, alliant formation et évolution des carrières. Il faut également augmenter le temps de travail des AESH en étendant leur contrat aux activités périscolaires, pourquoi pas sur la base de conventions avec les communes.

Afin d’accueillir ces enfants dans les meilleures conditions, il conviendrait aussi de réduire les effectifs en classe, de manière à pouvoir agir efficacement sur la qualité de l’accompagnement.

Compte tenu de l’impact de ces dispositifs sur les collectivités territoriales, quelles mesures d’accompagnement le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour faciliter le déploiement des moyens scolaires et périscolaires adaptés aux besoins spécifiques de ces élèves et pour pouvoir ainsi garantir l’égalité d’accès à l’enseignement public ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Madame la sénatrice, l’une des missions fondamentales de l’école de la République est de veiller à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction.

Comme vous le rappelez, le projet d’accueil individualisé (PAI) vise à garantir un accueil et un accompagnement individualisés, en structure collective, des enfants et des adolescents atteints de troubles de la santé évoluant sur une longue période et qui nécessitent donc des aménagements.

La circulaire du 8 septembre 2003 prévoyait déjà la mise en œuvre du PAI par les collectivités territoriales et précisait les conditions d’accueil dans les centres de vacances et les centres de loisirs sans hébergement ou encore dans les structures d’accueil des jeunes enfants – crèches, haltes-garderies ou jardins d’enfants.

La circulaire du 10 février 2021, que vous citez, abroge celle de 2003 et introduit la notion de parcours de vie pour faciliter l’accueil du jeune enfant en structure collective. Elle favorise la mise en œuvre des dispositions qu’elle encadre sur l’ensemble des temps de l’enfant et la prise en compte de la diversité des troubles et des situations. Elle rappelle également que le PAI s’adosse systématiquement à une démarche concertée entre les personnels des structures collectives, que ce soit sur le temps scolaire et extrascolaire qui relève de l’éducation nationale ou de l’enseignement agricole, ou bien sur le temps périscolaire, qui dépend des collectivités territoriales.

Sachez que cette nouvelle version de la circulaire a été rédigée avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives des médecins, des infirmiers, des personnels de direction et des directions d’école. Ce texte apporte une plus grande sécurité juridique aux personnels de l’éducation nationale en cas de non-remise par la famille des documents valides. Il décrit également avec précision le rôle et les responsabilités de l’ensemble des acteurs concernés.

Les directeurs d’école, en lien avec l’inspecteur de l’éducation nationale, les chefs d’établissement et les responsables des collectivités territoriales organisent l’information à destination de l’ensemble des personnels concernés, afin d’expliciter les traitements et les gestes à prodiguer aux enfants atteints de troubles de la santé.

Notre mission, je le réaffirme, est d’assurer une scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction.

difficultés de scolarisation liées au manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 2082, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Alain Marc. De nombreuses familles sont confrontées à des difficultés de scolarisation liées au manque d’accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH. En effet, les élèves disposant d’une notification de la maison départementale des personnes handicapées demeurent sans accompagnement ou insuffisamment accompagnés au regard de leurs besoins spécifiques et de leur singularité.

Il peut arriver que ces élèves attendent des mois, voire des années, avant que soient affectés auprès d’eux les personnels grâce auxquels ils pourront évoluer et s’épanouir dans leur environnement scolaire.

Cette situation a des conséquences lourdement pénalisantes, non seulement pour les enfants, qui ne peuvent pas avoir accès à un enseignement adapté à leur handicap et qui subissent des retards d’apprentissage, mais également pour les parents, qui, en plein désarroi, renoncent à leur activité professionnelle afin de prendre en charge leur enfant.

Or la construction d’une école pleinement inclusive doit être une priorité absolue et offrir à tous les élèves une scolarisation de qualité. L’article L. 111-1 du code de l’éducation dispose que « le service public de l’éducation […] contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction […]. »

Aussi, il est particulièrement urgent d’agir en faveur de toutes ces familles d’enfants en situation de handicap. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous envisagez de prendre afin de garantir la scolarisation de chaque élève nécessitant un AESH ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Alain Marc – et je m’adresse également à Mme Varaillas, qui m’a interrogée sur ce point –, la scolarisation des élèves en situation de handicap est une priorité pour notre gouvernement, qui a souhaité la création d’un véritable service public de l’école inclusive.

Ce service public de l’école inclusive, ce sont 400 000 élèves en situation de handicap accueillis à l’école, c’est-à-dire plus 19 % en cinq ans, ce sont 125 500 AESH recrutés avec un statut plus protecteur, ce sont 1 300 unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) créées et 250 structures dédiées à l’autisme sur tout le territoire.

Permettre à l’école d’être pleinement inclusive est une ambition forte. En témoignent les 4 000 nouveaux recrutements d’AESH financés en 2022. Ainsi, ce sont 27 000 équivalents temps plein (ETP) qui auront rejoint nos écoles et nos établissements depuis 2017, c’est-à-dire plus 50 %.

Nous poursuivons notre travail d’amélioration de leurs conditions d’emploi et de leurs rémunérations grâce à la professionnalisation accrue du métier, avec une formation continue renforcée, ou à la sécurisation de leur parcours par un CDD de trois ans, dès le premier recrutement.

De plus, une nouvelle étape dans la revalorisation est intervenue au 1er janvier 2022 : la grille indiciaire des AESH est de nouveau améliorée en lien avec le relèvement du SMIC.

Les AESH ont également bénéficié de l’aide exceptionnelle dite « indemnité inflation » qui a été décidée par le Gouvernement pour faire face aux conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat. D’un montant forfaitaire de 100 euros, elle a été versée en janvier 2022.

Sur les deux années 2021 et 2022, ce sont 150 millions d’euros qui auront été mobilisés pour améliorer la rémunération des AESH.

Monsieur le sénateur, je vous sais sensible à la défense de nos services publics : celui de l’école inclusive représente plus de 3,5 milliards d’euros, soit une hausse de plus de 66 % depuis 2017. Ces crédits ne résument pas l’effort de ce gouvernement en faveur des jeunes : notre but, c’est bien leur réussite. Pour la première fois, la part d’élèves en situation de handicap scolarisés en France est plus importante dans le secondaire que dans le primaire.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.

M. Alain Marc. Madame la ministre, ma question ne portait pas tant sur la situation matérielle des AESH que sur un cas particulier, celui d’un élève toulousain dont les parents m’ont interpellé. La direction académique des services de l’éducation nationale m’avait alors promis qu’un AESH lui serait affecté.

Plus généralement, des recrutements ont certes eu lieu, mais beaucoup d’élèves en situation de handicap demeurent sans assistance.

comptabilisation des enfants en très petites sections

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, auteure de la question n° 2131, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, certains établissements ont été choisis pour être les sites pilotes de l’expérimentation relative à l’intégration des très petites sections dans les cycles scolaires.

En toute logique, ces établissements, sur les recommandations de leurs académies respectives, ont fourni des efforts financiers, matériels et humains importants pour réussir au mieux cette intégration et concourir au succès de ce projet éducatif.

Or il apparaît que les enfants des très petites sections ne sont plus comptabilisés dans les effectifs des établissements, ce qui a un impact direct et évident sur le choix de l’administration d’ouvrir ou, a contrario, de fermer une classe – dans les zones rurales, c’est plutôt la seconde option qui prévaut.

Cette décision est, à juste titre, mal vécue par les responsables scolaires, par les parents d’élèves ainsi que par les élus locaux, qui doivent composer, alors que les budgets municipaux sont déjà restreints, avec le poids des investissements consentis au moment du lancement de l’expérimentation.

En outre, cette nouvelle méthode de comptabilisation risque de conduire à des fermetures de classe alors que les communes bénéficient précisément d’une dynamique de peuplement liée à cette expérimentation.

En conséquence, j’aimerais connaître la position du ministère sur ce sujet et sur l’avenir des très petites sections.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Madame la sénatrice Dominique Vérien, vous m’interrogez sur la comptabilisation par le ministère de l’éducation nationale des effectifs des très petites sections et sur l’impact qu’elle pourrait avoir quant aux mesures décidées dans le cadre de la préparation de la carte scolaire.

Ma réponse sera concise, car la position du ministère est très claire sur ce sujet.

Dans les écoles situées au sein d’un environnement social défavorisé – en zones urbaines, rurales ou montagnardes, comme dans les régions d’outre-mer –, la scolarisation des enfants est possible dès l’âge de 2 ans révolus, mais elle n’est pas obligatoire.

Dans les secteurs non prioritaires, ces enfants peuvent également être accueillis à l’école maternelle si des places sont disponibles et si les familles en font la demande. Je vous confirme donc que, dès lors que les enfants de moins de 3 ans sont scolarisés, ils sont comptabilisés dans les effectifs de l’école.

L’article L. 113-1 du code de l’éducation prévoit, en effet, que dans les classes enfantines ou les écoles maternelles, « les enfants de moins de 3 ans sont comptabilisés dans les prévisions d’effectifs d’élèves pour la rentrée », tant au niveau national que dans les académies.

Cela n’est pas de nature à affecter les décisions prises au moment de la préparation de la carte scolaire.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.

Mme Dominique Vérien. Merci beaucoup de votre réponse, madame la ministre, qui fera, me semble-t-il, jurisprudence. Les académies ne semblent pas être au courant de l’obligation de comptabiliser ces enfants. Parmi les endroits où cette comptabilisation s’applique, vous avez cité les secteurs ruraux. Or le département de l’Yonne est rural à 90 %, et les exemples dont je dispose sont ruraux.

Lorsque le directeur d’académie est conciliant, il accepte de compter ces enfants dans les effectifs, tout en précisant qu’il n’a pas à le faire. L’envoi d’une circulaire dans les académies concernées me paraîtrait donc de bon aloi, pour que les élèves des très petites sections soient réellement comptabilisés dans les effectifs des établissements.

ruralité et éducation prioritaire

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, auteur de la question n° 2139, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

M. Olivier Paccaud. Malgré nos différences, nous arborons tous au fronton de notre engagement citoyen la promesse républicaine d’égalité non seulement des droits, mais aussi et surtout des chances.

Au cœur de ce pacte de Marianne, l’école occupe une place centrale, fondatrice, parce qu’elle offre à tous, sans distinction sociale, raciale ou religieuse, la possibilité d’acquérir ce bien qui ne s’achète pas, le savoir, ainsi que la possibilité de progresser socialement.

Depuis plusieurs décennies, afin d’aider ceux qui ont moins, ceux qui partent de plus loin, ont été créés des zones puis des réseaux d’éducation prioritaire, les REP. Cette politique de discrimination positive a ses vertus, et les bons résultats obtenus par le dédoublement des classes effectué en grande section de maternelle, en CP et en CE1 le démontrent.

Toutefois, elle peut aussi avoir ses limites, surtout lorsque la carte de l’éducation prioritaire oublie voire efface des territoires entiers qui devraient s’y trouver.

C’est notamment le cas depuis qu’en 2014 une réforme injuste a exclu les zones rurales et accordé la priorité en la matière aux quartiers de la politique de la ville.

Je veux citer l’exemple précis de la commune de Mouy, qui se trouve dans mon canton de l’Oise. Le taux de chômage y atteint près de 20 % et cette commune a été pendant trente ans, jusqu’en 2014, en zone d’éducation prioritaire. Or à la rentrée prochaine, on veut y fermer une classe à l’école maternelle Louise Michel, à la grande colère des parents d’élèves, des enseignants et des élus, qui manifestent leur incompréhension.

Nous passerons de cinq classes à quatre, pour cent élèves, et de moins de dix-neuf à vingt-cinq élèves par classe. Or à quinze kilomètres de là, à Montataire ou à Creil, les classes de grande section compteront chacune douze élèves.

Aussi, parce que je connais votre attachement à la justice sociale, je vous demande d’abandonner cette mesure, non pas pour privilégier les enfants de Mouy,…

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Olivier Paccaud. … mais pour accomplir un légitime et bienvenu don d’équité.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Olivier Paccaud, le Gouvernement est à l’écoute de la situation de la ruralité. Le Président de la République s’est d’ailleurs engagé, depuis la rentrée 2019, à ce qu’aucune école ne ferme en milieu rural sans l’accord du maire.

Depuis la rentrée 2021, 401 000 élèves de l’enseignement public sont scolarisés dans des écoles de communes rurales éloignées, soit 7,2 % des effectifs d’élèves. Le nombre moyen d’élèves par classe y est de 20,9, pour une moyenne nationale globale de 21,9.

Vous le savez, il ne peut y avoir de réponse unique à la diversité des situations des écoles en milieu rural.

Pour aller encore plus loin, nous avons mis en place des conventions ruralité et lancé le programme des territoires éducatifs ruraux (TER) pour expérimenter une coopération renforcée avec les territoires ruraux sur des enjeux éducatifs globaux. C’est le pendant rural des cités éducatives.

Les vingt-trois territoires ainsi pilotés au sein de trois académies se sont inscrits, en fonction de leurs spécificités locales, dans le cadre des trois grands objectifs définis au niveau national pour cette expérimentation : mobiliser un réseau de coopération autour de l’école en renforçant les articulations avec les collectivités territoriales et l’ensemble des partenaires de l’école ; garantir aux jeunes ruraux un véritable pouvoir d’action sur leur avenir, par le biais de l’accompagnement à l’orientation et les dispositifs d’égalité des chances tels que les cordées de la réussite ; et renforcer l’attractivité et la professionnalisation de l’école rurale par un meilleur accompagnement et par la formation des personnels affectés dans des écoles isolées.

Au regard des premiers résultats, qui sont satisfaisants, ma collègue Nathalie Elimas, secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire, a décidé d’étendre l’expérimentation à de nouveaux territoires situés dans sept académies : Besançon, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Dijon, Limoges, Rennes et Toulouse.

Au total, plus de soixante territoires sont désormais engagés dans une démarche de contractualisation afin de renforcer les alliances éducatives, et nous en sommes fiers.

Les territoires éducatifs ruraux n’ont pas pour objectif de regrouper des établissements scolaires, mais de construire localement, avec les collectivités, une réponse globale et adaptée aux enjeux éducatifs du territoire.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Je peux m’arrêter là.

M. le président. Je suis strict sur le respect du temps de parole, les questions orales étant nombreuses ce matin.

fermeture des classes en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Bruno Belin, auteur de la question n° 2136, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Bruno Belin. Je voudrais revenir sur les fermetures de classes en milieu rural, qui sont perçues comme injustes.

Permettez-moi de prendre l’exemple du département de la Vienne, dont je suis élu.

Ces fermetures sont perçues comme injustes soit parce qu’elles marquent le retour de l’État sur des décisions et des engagements pris – je pense à l’école de Mirebeau, où un dispositif « plus de maîtres que de classes », annoncé pour trois ans à la rentrée précédente, a été arrêté –, soit parce que l’État ne prend pas en compte les projets des élus, les mouvements de reconstruction des territoires ou les nouveaux élans donnés dans un ensemble de communes. Je pense à Bonnes, Blanzay, Chenevelles, Monthoiron, Paizay-le-Sec, Pouillé, Tercé, Pleumartin ou encore Montmorillon, où le secrétaire d’État Joël Giraud est venu, hier encore, saluer un projet destiné à transformer profondément le grand quart sud-est du territoire de la Vienne, alors que dans le même temps l’État sape le moral de chacun en fermant des classes.

Vous le savez, l’école restera toujours un vecteur d’attractivité et de vitalité pour les territoires ruraux.

Or ce qui m’ennuie le plus, ce n’est pas seulement que l’État ne tienne pas sa parole ou que des décisions injustes soient prises. La semaine dernière, votre collègue, Mme Sarah El Haïry a tenu et confirmé des propos qui ne sont pas les mêmes que ceux que vous avez présentés en répondant à mon collègue Olivier Paccaud. En effet, le 9 février dernier, elle déclarait devant le Sénat qu’aucune école ni aucune classe ne serait fermée sans l’accord du maire, car telle était la demande du Président de la République – cela figure en page 8 du compte rendu analytique de la séance.

Madame la ministre, ma position est claire : je m’élève contre ces fermetures de classes. Je vous demande de saisir votre collègue du ministère de l’éducation nationale et ses services pour qu’aucune fermeture de classe ne se produise en milieu rural.

Comme vous le savez, ces fermetures sont d’autant plus injustes que le transport fatigue les enfants. En outre, le décrochage va croissant depuis le début de la crise pandémique.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Bruno Belin, le dispositif des territoires ruraux éducatifs est à l’état d’expérimentation et il est appelé à s’étendre pour prendre en considération, précisément, les projets que font les maires pour renforcer l’attractivité territoriale et la montée en puissance, y compris démographique, de leurs communes.

Tel est bien l’objectif de ces TER, que nous avons commencé à mettre en place.

Comme je l’ai dit, le Gouvernement a souhaité faire de l’école primaire sa priorité. C’est la raison pour laquelle nous avons créé 14 380 postes nouveaux au sein de l’éducation nationale entre les rentrées 2017 et 2021, alors que nous faisions face à une forte baisse démographique – puisque nous avons compté 259 000 élèves en moins dans le premier degré.

Ces créations de postes ont vocation à permettre la poursuite du dédoublement des classes de grande section de maternelle en éducation prioritaire, le plafonnement des effectifs de classes à vingt-quatre élèves en grande section de maternelle, CP et CE1 sur tout le territoire, et à améliorer les conditions d’exercice des directeurs d’école.

Pour la rentrée 2022, plus de 2 000 moyens d’enseignement seront créés en dépit d’une baisse démographique prévisionnelle de 67 000 élèves.

Nous allions parole et action.

Depuis la rentrée 2019, conformément à l’engagement du Président de la République – que ma collègue Sarah El Haïry et moi-même avons rappelé –, aucune fermeture d’école en milieu rural ne peut intervenir sans l’accord du maire. Je tiens à le redire.

Le travail de préparation de la carte scolaire se fait sur la base d’une appréciation fine et objective de la situation de chaque école. La concertation avec les maires se déroule dans un esprit de dialogue constructif afin de prendre en compte les spécificités de chaque territoire et de chaque école.

La vigilance et l’attention accordées aux territoires restent d’actualité et ne se relâchent pas, au niveau national comme au niveau local.

Concernant plus particulièrement le département de la Vienne, le nombre d’élèves par classe est de 21,4 à la rentrée 2021, plus favorable que la moyenne nationale, et en amélioration par rapport à la rentrée 2019 où il était de 22,5. De même, le nombre de professeurs pour cent élèves a connu une hausse progressive : il est passé de 5,4 à la rentrée 2016 à 5,9 à la rentrée 2021, là aussi supérieur à la moyenne nationale, qui est de 5,8.

M. le président. Madame la ministre déléguée, il faut conclure.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Pour la rentrée scolaire 2022, le taux d’encadrement du département de la Vienne devrait encore augmenter jusqu’à atteindre 6,08 postes pour cent élèves, car on attend 587 élèves en moins à la rentrée 2022 dans les écoles du département.

problème du remplacement des professeurs absents

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 2028, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mme Anne Ventalon. Dans toutes les académies, notamment celle de Grenoble dont dépend le département de l’Ardèche, la même interrogation revient au sein des établissements du primaire comme du secondaire : où sont les remplaçants ?

Cette question, la Cour des comptes la pose également puisqu’elle estime dans son rapport du 2 décembre 2021 que près de 10 % des heures de cours dans le second degré ont été perdues durant l’année scolaire 2018-2019, soit 24 % de plus que l’année précédente.

En effet, pour les absences inférieures à quinze jours, le remplacement n’est effectué que dans un cas sur cinq. Dans cette situation, l’enseignant de secours ne parvient pas toujours à faire le lien entre le professeur référent et les élèves, ce qui génère une discontinuité dans l’apprentissage et une perte de temps pour la classe.

Le remplacement des professeurs est un enjeu crucial. Outre qu’il doit permettre aux élèves de subir le moins de désagréments possible dans la poursuite du programme, il porte aussi en lui le principe de continuité du service public.

Or la lourde machinerie de l’éducation nationale s’est grippée et ses rouages ne tournent plus.

Aussi, madame la ministre, quelles pistes innovantes le Gouvernement imagine-t-il ? Au plus fort de la dernière vague de covid-19, les professeurs récemment retraités avaient été mobilisés. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Quelles autres pistes envisagez-vous pour garantir que, dans l’école de la République, les élèves trouvent chaque matin un enseignant devant eux ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Madame la sénatrice Ventalon, la question du remplacement des professeurs absents constitue une préoccupation majeure du ministère chargé de l’éducation nationale, puisque, comme vous l’avez dit, elle touche à la continuité et à la qualité du service public.

Pour faire face à la crise, le Gouvernement a annoncé le 13 janvier dernier de nouveaux recrutements effectués par les rectorats pour renforcer les équipes et assurer un meilleur remplacement, impliquant notamment 3 300 professeurs contractuels supplémentaires jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Depuis novembre 2020, des moyens exceptionnels ont été débloqués pour le remplacement des enseignants en travail à distance, en autorisation spéciale d’absence ou en congé de maladie ordinaire.

En effet, la crise sanitaire a pesé et continue de peser sur la disponibilité des professeurs et des remplaçants, ce qui nous impose d’autant plus d’agir de manière structurelle – comme vous en avez exprimé le souhait –, au-delà des difficultés conjoncturelles. C’est ce que nous faisons.

Afin de réduire les absences, donc le besoin de remplacement, nous indemnisons des formations effectuées pendant les petites vacances, depuis 2019, à hauteur de 120 euros par jour. Il est désormais possible de déporter les temps de formation et autres obligations des enseignants hors de la classe, lorsque cela est possible, par exemple le mercredi après-midi.

En aval, il s’agit d’améliorer la prise en charge du remplacement des professeurs absents.

L’engagement n° 11 du Grenelle de l’éducation, intitulé « Assurer une continuité pédagogique efficace », prévoit qu’en cas d’absence d’un professeur les écoles et établissements devront assurer la permanence pédagogique sur l’ensemble du temps scolaire prévu pour les élèves, dans le premier comme dans le second degré.

Nous y parvenons grâce à l’expérimentation d’une solution numérique dédiée au primaire, dans seize départements, qui vise à améliorer l’efficience des remplacements, ainsi que par l’optimisation des organisations actuelles de remplacement dans le secondaire, facilitée par les espaces numériques de travail, enfin par le recours à des dispositifs comme les cours en ligne ou le travail en autonomie, anticipé et encadré, sous la surveillance d’un assistant d’éducation.

Parallèlement, nous investissons massivement pour améliorer l’attractivité du métier de professeur.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.

Mme Anne Ventalon. Pour aller dans le sens de votre conclusion, madame la ministre, ce métier est d’abord une vocation. Si l’État veut en susciter de nouvelles et avoir des enseignants motivés, il doit améliorer leurs conditions de travail et rémunérer les professeurs à la hauteur de l’idée qu’il se fait de leur mission.

état des lieux de l’enquête interne au ministère des armées sur l’affaire sirli

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la question n° 2147, adressée à Mme la ministre des armées.

M. Guillaume Gontard. Il est possible que nos forces armées soient impliquées dans au moins dix-neuf bombardements contre des civils effectués dans le cadre d’une mission de renseignement lancée en 2016 dans le nord de l’Égypte.

C’est ce qu’a révélé le 22 novembre dernier le média Disclose, en s’appuyant sur des documents issus des services de l’Élysée et du ministère des armées.

Les éléments publiés indiquent que l’exécutif a été rapidement informé du détournement, par le régime égyptien, de cette mission visant à lutter contre le terrorisme vers la lutte contre le trafic transfrontalier et l’immigration illégale.

Ces faits, s’ils étaient avérés, seraient d’une gravité extrême. Ils mettent en cause la responsabilité de la France dans une campagne d’exécutions arbitraires, possiblement en connaissance de cause.

Depuis ces événements, le Gouvernement a poursuivi le partenariat avec l’Égypte, en particulier par les ventes d’armes. Ainsi, trente avions Rafale et des systèmes de surveillance ont été vendus à un État qui, selon des documents issus de votre propre ministère, madame la ministre, exécuterait arbitrairement des civils.

Au passage, j’attends toujours une réponse à ma question écrite portant sur ce sujet.

Non seulement ce partenariat constitue une violation évidente des valeurs humanistes que nous défendons, mais il piétine aussi allègrement nos engagements devant la communauté internationale.

Il y a bientôt trois mois, la ministre des armées annonçait diligenter une enquête pour vérifier que les règles fixées avec l’Égypte avaient été respectées.

Madame la ministre, j’ai deux questions à poser : où en est cette enquête trois mois après son lancement et comment les informations publiées sur cette opération ont-elles été prises en compte, notamment pour l’attribution des licences d’exportation vers l’Égypte ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, la mission dont vous parlez a été engagée dans le cadre du partenariat stratégique établi avec l’Égypte, dont un des objectifs majeurs – je veux le préciser – est la lutte antiterroriste. Elle vise à répondre prioritairement aux besoins en renseignements du partenaire.

S’agissant des conclusions de l’enquête interne demandée par la ministre des armées au chef d’état-major des armées, elles démontrent que la mission a fait l’objet d’un cadrage clair et que des mesures préventives strictes ont été mises en place : organisation cloisonnée et capacités limitées.

La prévention d’un éventuel risque de dérive a donné lieu à un suivi dans la durée, ce qu’attestent à la fois les rapports des différents détachements qui se sont succédé et les directives en provenance du commandement. Les mesures adoptées et les limitations techniques posées ont été constamment appliquées et rappelées au partenaire.

Compte tenu de la matière dont il est question, monsieur le sénateur, les résultats de cette enquête sont également placés sous la protection du secret de la défense nationale, sans préjudice toutefois de la pleine collaboration du ministère des armées avec la justice.

Concernant l’adaptation de notre politique d’exportation que vous évoquiez, je rappelle que, quel que soit le pays destinataire, les autorisations d’exportation d’armes sont délivrées sous l’autorité du Premier ministre à l’issue d’un examen approfondi et rigoureux. Les demandes de licences sont étudiées en tenant compte notamment des conséquences de l’exportation considérée pour la paix et la sécurité régionales, de la situation intérieure du pays de destination et de ses pratiques en matière de respect des droits de l’homme, ou encore du risque de détournement au profit d’utilisateurs finaux non autorisés.

Ces exportations se font dans le strict respect de nos obligations internationales et européennes et de nos engagements en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, j’entends ce que vous dites, mais les parlementaires devaient être informés des éléments de cette enquête. Nous avons besoin d’éléments approfondis. Les parlementaires vous sollicitent à ce sujet depuis bientôt trois mois.

La semaine dernière, la Commission européenne a fini par demander à la France si elle avait autorisé la vente d’une technologie de cybersurveillance à l’Égypte. Il s’agit d’une première, en pleine présidence française du Conseil de l’Union européenne.

exercice du métier de vétérinaire en zone rurale

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 1861, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Jean-Marie Mizzon. À ce jour, sur les quelque 20 000 vétérinaires que compte la France – dont 55 % sont des femmes –, seuls 4 000 exercent en zone rurale. C’est pourtant là que se trouve la très grande majorité des animaux.

Par conséquent, force est de constater qu’aujourd’hui en France, le métier de vétérinaire en zone rurale est en voie de quasi-disparition.

Cette profession doit, il est vrai, faire face à des journées harassantes aux amplitudes horaires hors norme, qui plus est rythmées par d’incessants déplacements. Les mesures prises par le Conseil national de l’ordre des vétérinaires, ainsi que la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, qui permet aux collectivités territoriales d’attribuer des aides à ceux qui décident de soigner des animaux d’élevage dans des zones définies comme des déserts vétérinaires, vont dans le bon sens.

Elles gagneraient toutefois à être accompagnées d’une baisse des charges – très, voire trop importantes dans cette corporation – pour les jeunes diplômés, dont plus de 70 % sont des femmes, qui choisiraient d’exercer en zone rurale.

Madame la ministre, le Gouvernement serait-il prêt à intervenir en ce sens ? Plus largement, quelles mesures envisage-t-il de prendre pour que cette profession se porte mieux en milieu rural ? Il y a urgence dans tous nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui m’a demandé de répondre à cette question importante.

Vous abordez un sujet essentiel, celui du maillage territorial des vétérinaires qui vise à assurer la sécurité sanitaire des élevages et qui participe également au maintien de l’activité agricole et du dynamisme des territoires.

Comme vous le rappelez très justement, de nombreux facteurs peuvent décourager l’installation des jeunes vétérinaires, dont la difficulté d’exercice et les obstacles liés à la rentabilité économique de l’activité.

La loi du 3 décembre 2020 dont vous avez parlé, monsieur le sénateur, entraîne de nettes améliorations et comporte de fortes incitations. Elle fournit en effet une aide financière substantielle à tout vétérinaire qui s’engage à travailler dans un territoire en demande de vétérinaires ruraux. Cette aide pourra s’exercer sous diverses formes, telles que la prise en charge des frais d’investissement, le versement d’une prime d’exercice ou encore la mise à disposition d’un logement ou d’un local professionnel. Son montant pourra atteindre 60 000 euros par an, ce qui est significatif.

La formation en école vétérinaire et l’accès à ces études constituent également des enjeux importants. La première année est désormais accessible aux jeunes qui ont obtenu un baccalauréat en lycée agricole. Il s’agit là d’un élément essentiel.

De plus, 80 % des étudiants qui ont recours au système du tutorat en dernière année restent en milieu rural. Ce dispositif est financé par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et peut être soutenu également, bien sûr, par les collectivités territoriales.

Enfin, le ministère de l’agriculture a lancé un appel à manifestation d’intérêt, le 18 janvier dernier, afin de sélectionner six territoires désireux de réfléchir aux causes et aux remèdes de la désertification vétérinaire. Je crois que c’est en passant par les territoires, par leur expérience et par leurs propositions, que nous arriverons à mettre en œuvre des mesures supplémentaires plus concrètes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, merci de votre réponse. J’observe qu’elle se limite au constat d’une situation difficile et qu’elle se borne à la description des dispositifs existants.

Je vous demandais plus que cela, mais je sais que la question des soins vétérinaires ne relève pas des attributions de votre ministère, de sorte qu’il vous est bien difficile de répondre à la place de la personne concernée. Néanmoins, madame la ministre, soyez-en remerciée.

refonte de la politique forestière

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 2047, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Mathieu Darnaud. En matière de ruralité, les communes forestières jouent un rôle important. Celles-ci ne souhaitent pas la disparition de l’Office national des forêts (ONF), qui gère plus de six millions d’hectares, dont la moitié en forêt communale.

Toutefois, tout en reconnaissant les compétences de ces personnels sur le terrain, nous pouvons comprendre qu’elles réclament davantage de transparence et de rigueur dans la gestion d’un établissement dont le déficit annuel varie entre 50 millions et 100 millions d’euros.

Reculant devant leur mobilisation, le Gouvernement a abandonné son projet de nouvelle ponction sur les 14 000 communes relevant du régime forestier, ce qui a permis la reprise des négociations de la convention entre l’État et l’ONF.

Cependant, les communes forestières ne peuvent demeurer la variable d’ajustement de l’équilibre du budget de l’ONF pour combler les défaillances de l’État. Un débat doit donc s’ouvrir sur la nature du versement compensateur de 140 millions d’euros reçu de l’État dans le cadre de l’action de l’ONF auprès des communes. Si certaines communes y voient un investissement, voire une péréquation pour les services rendus à la forêt, d’autres le considèrent comme une subvention d’équilibre finançant le déficit de gestion des forêts des collectivités.

Afin de répondre à ce problème, les communes forestières ont proposé la création d’une grande administration chapeautant l’ensemble des forêts, le renforcement du régime forestier pour les forêts publiques ainsi qu’une séparation nette au sein de l’ONF entre les missions de service public et les activités marchandes.

Madame la ministre, ma question est simple : je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de refonder la politique forestière en écoutant ce qu’ont à dire les communes concernées.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Je suis originaire d’un département rural, forestier et agricole. Ce sont donc des sujets dont je suis familière, même si je ne suis pas au ministère de l’agriculture.

Monsieur le sénateur, pour conduire une politique forestière et de développement des usages du bois ambitieuse, l’État a besoin d’un ONF fort et performant. Cet établissement représente à ses yeux un outil précieux.

Ainsi, le Gouvernement a décidé de renouveler, dans le cadre du contrat État-ONF 2021-2025, sa confiance en l’ONF, garant de la gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques, tout en engageant des mesures importantes visant à lui redonner des perspectives soutenables. En effet, comme vous l’avez souligné, il faut que l’ONF équilibre ses activités et son budget.

Ce contrat conforte notamment les missions d’intérêt général assumées par l’ONF et consacre la notion de prise en charge à coût complet de ces missions, quel qu’en soit le commanditaire, en commençant par l’État. Les régularisations ont été effectuées sur les budgets 2021 et 2022.

Le versement compensateur aux coûts liés à l’application du régime forestier aux forêts communales est par ailleurs maintenu. Il convient de rappeler que les communes forestières contribuent à ces coûts à hauteur d’environ 17 %.

En parallèle, le Gouvernement décide de mobiliser 60 millions d’euros supplémentaires répartis entre 2021 et 2023 pour soutenir son établissement en renforçant la subvention d’équilibre.

Enfin, dans le cadre du plan France Relance, une dotation de 30 millions d’euros a été allouée pour 2021 à l’ONF, afin de financer la reconstitution des forêts domaniales atteintes par les crises sanitaires.

Le soutien aux investissements de renouvellement forestier se poursuivra, bien sûr, en 2022. Le plan d’investissement France 2030 prendra ensuite le relais.

En contrepartie de ces engagements, l’État demande à l’ONF un effort de modernisation et de réduction de ses charges. L’établissement s’est engagé dans un plan de modernisation à hauteur de 4 millions d’euros dès 2022.

prévention de nouvelles vagues d’influenza aviaire

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 2123, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Max Brisson. En mars dernier, j’appelais déjà l’attention du ministre de l’agriculture et de l’alimentation sur les conséquences de l’influenza aviaire sur nos élevages de canards et d’oies.

Comme vous le savez, depuis le mois de décembre dernier, en particulier, la France affronte une nouvelle vague d’épidémie et nos éleveurs sont confrontés à des mesures d’abattage massif et préventif.

Les Landes et des Pyrénées-Atlantiques sont durement touchées. Au 2 février, dans ce dernier département, 64 foyers ont été détectés, 353 communes ont été placées en zone réglementée et 26 autres en zone de dépeuplement préventif. Nos éleveurs vivent un nouveau drame.

Je réitère mes questions au Gouvernement : pourquoi ne pas avoir travaillé à une modulation des abattages pour tenir compte de la diversité des formes d’élevage ? Que répond le Gouvernement aux craintes des éleveurs de ne plus pouvoir exercer le savoir-faire de l’élevage en plein air et de devoir appliquer la claustration ? Surtout, face à ces crises à répétition, ne devrions-nous pas, une bonne fois pour toutes, lever le tabou de la vaccination aviaire ?

Je ne fais pas fi de la question de l’exportation, je ne demande pas d’autoriser des campagnes de vaccination préventive systématiques, mais de les autoriser dès que les alertes de l’influenza aviaire sont détectées sur les couloirs de migration.

Aussi, madame la ministre, je renouvelle ma question : où en est le Gouvernement dans sa réflexion sur la vaccination aviaire et sur les expérimentations ? Dans le cadre de protocoles stricts, des campagnes de vaccination préventive ne sont-elles pas une des réponses possibles pour faire face à ce drame ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, cette influenza aviaire qui circule encore cet hiver dans nos départements a emporté de lourdes conséquences, en particulier dans le Sud-Ouest, où elle n’a pas touché que les palmipèdes, mais toutes les volailles, poulets, poules et dindes. Cette année, l’épidémie est donc encore plus difficile pour nos agriculteurs.

La crise que traverse à nouveau ce secteur est dramatique et il faut envisager des solutions complémentaires aux mesures de biosécurité dont nous avons parlé.

C’est dans cet esprit que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a souhaité qu’une réflexion sans tabou sur la vaccination soit engagée dès l’été 2021, dans le cadre de la concertation autour de la signature de la nouvelle feuille de route contre l’influenza.

Les modalités de lutte contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) qui atteint, cette année, nos élevages ne doivent pas seulement évoluer, mais aussi être envisagées avec méthode et dans la concertation. Vous savez que la vaccination des volailles est interdite par la réglementation européenne, sauf autorisation explicitement demandée et accordée par la Commission européenne.

La mise en place d’une stratégie vaccinale dans le territoire doit par ailleurs faire l’objet d’un consensus de l’ensemble des acteurs de la filière concernée, ce qui est peut-être le cas aujourd’hui, alors que cela ne l’était pas forcément l’année dernière.

Afin de prouver que cette vaccination est efficace, nous avons besoin de mener une expérimentation sur une petite quantité de volailles. Pour avancer sur ce volet, celle-ci va être initiée à partir du mois de mars prochain pour deux candidats vaccins.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous avançons. Nous n’en sommes pas encore au stade de vacciner massivement les volailles ; nous souhaitons mettre en œuvre ce moyen de lutte prometteur à disposition des acteurs de la filière, sur des bases scientifiques fiables et de façon sécurisée.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Merci, madame la ministre, de ces réponses que j’attendais.

Oui, la réflexion doit être sans tabou ; oui, il faut une stratégie vaccinale ; oui, le consensus progresse.

Ne pas vacciner revient à mettre en danger la pérennité des indications géographiques protégées (IGP) et des labels, et à renoncer à l’élevage en plein air en période de migration. Il y a urgence ; j’espère que la mise en œuvre de ce processus sera rapide.

conditions d’éligibilité à l’appel à manifestation d’intérêt pour le renouvellement forestier

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, auteur de la question n° 1875, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Frédérique Puissat. Ma question porte sur les conditions d’éligibilité aux volets 2 et 3 de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour le renouvellement forestier.

Cet AMI, annoncé dans le cadre du plan France Relance, a généré un engouement des propriétaires et des gestionnaires forestiers de l’Isère, comme de toute la France.

Ses volets 2 – renouvellement des forêts vulnérables – et 3 – transformations des peuplements pauvres – correspondent aux besoins locaux. C’est le cas en Isère, où 500 hectares de travaux ont déjà été identifiés en forêt publique, correspondant à 750 000 euros de besoins de financement pour 1,25 million d’euros de travaux.

Or le ministre de l’agriculture a indiqué le 16 février 2021 que les seuls projets de plantations recevables à l’AMI sont ceux qui ont fait l’objet de travaux de récolte en amont, avec une date butoir précise.

En Isère, comme dans d’autres départements français, cette contrainte de coupes préalables a entravé la quasi-totalité des projets d’enrichissement de forêts. Le président du département, M. Jean-Pierre Barbier, a interpellé le ministre sur ce sujet le 8 juin dernier.

Il semble que cette contrainte ait, depuis lors, été prise en compte et qu’un décret plus souple quant à la date butoir de travaux de récolte, voire quant à la nécessité même de cette récolte, soit en cours de rédaction.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer si ce décret va sortir, à quelle date, et quelle sera la nature de son contenu, afin de rassurer les propriétaires et les présidents des associations des communes forestières ? J’en profite pour saluer M. Guy Charron, président de celle de l’Isère.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, la mesure « Aider la forêt à s’adapter au changement climatique pour mieux l’atténuer » du plan France Relance mobilise des moyens inédits dans leur ampleur au service des forêts françaises, à destination des peuplements dépérissants – c’est le volet 1 –, vulnérables aux effets du changement climatique – c’est le volet 2 – ou pauvres – c’est le volet 3.

Pour accéder à ce dernier volet, la condition de coupe préalable est exigée lorsque le peuplement concerné présente une faible valeur sylvicole et que ses caractéristiques ne permettent pas d’envisager une amélioration de cette valeur dans l’avenir. Cette obligation est encadrée par le schéma régional de gestion sylvicole (SRGS), qui constitue une déclinaison de la politique forestière nationale et de ses objectifs, adaptée aux spécificités des forêts privées régionales.

S’agissant des trouées, doivent être distinguées celles qui sont réalisées volontairement en vue de leur régénération et celles qui sont subies, à la suite d’un événement indépendant de la volonté du propriétaire.

Dans le cadre du plan France Relance et dans le prolongement des dispositifs d’aides antérieurs, le choix a été fait d’accompagner en priorité les chantiers correspondants au deuxième cas, afin de garantir le caractère incitatif de ce dispositif.

Néanmoins, à la suite d’échanges conduits avec les professionnels de la filière forêt-bois, des assouplissements de ces critères d’éligibilité seront prochainement mis en œuvre. Ces évolutions permettront notamment d’ouvrir le dispositif aux futaies irrégulières, le mode de gestion le plus courant et le plus adapté aux zones de montagne, sans exiger de coupes préalables, afin de tenir compte des surcoûts d’exploitation en montagne qui réduisent la valeur des bois et limitent ainsi les capacités financières de réinvestissement.

Tout cela sera mis en œuvre très rapidement.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Le « prochainement » m’inquiète. Pourrions-nous obtenir une réponse précise de la part du ministre ? Celle-ci est attendue par les professionnels, par les communes gestionnaires de forêts publiques et par les propriétaires privés. Nous préparons un courrier, mais nous aimerions recevoir cette réponse.

conséquences de l’augmentation du prix de l’énergie pour les collectivités locales

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 2097, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

M. Hervé Maurey. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’augmentation du prix de l’énergie pour les collectivités locales.

Les particuliers et les entreprises ne sont pas les seuls à faire face à cette augmentation ; les collectivités locales, notamment les communes, n’y échappent pas, malgré les affirmations contraires du Gouvernement. Certaines associations d’élus estiment d’ailleurs, sur la base d’une consultation de leurs membres, que ces augmentations sont comprises entre 30 % et 300 %, selon les collectivités.

Je peux citer l’exemple d’une commune de mon département, Charleval, qui m’a saisi. Son fournisseur de gaz vient de lui annoncer que la facture passerait de 60 000 euros en 2021 à 100 000 euros en 2022, soit une augmentation de 67 %.

Les collectivités locales, plus particulièrement les communes, seront donc très prochainement contraintes de répercuter ces dépenses supplémentaires, soit en augmentant leur fiscalité soit en abandonnant des projets.

Je souhaite donc savoir quand le Gouvernement compte sortir du déni dans lequel il est et prendre les mesures qui s’imposent pour aider les collectivités locales à faire face à cette augmentation supplémentaire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Hervé Maurey, comme vous le savez, nous faisons face à une hausse sans précédent des prix de l’électricité ces dernières semaines, dans un contexte de tension sur la disponibilité des installations de production française et sur l’approvisionnement gazier de l’Europe.

Ces hausses touchent toute l’Europe, tous les secteurs et tous les consommateurs. Pour faire face à cette situation temporaire et préserver le pouvoir d’achat des Français, le Gouvernement a décidé de prendre des mesures exceptionnelles de soutien.

Nous avons abaissé la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) de 8 milliards d’euros en 2022, de sorte qu’elle est annulée dans sa quasi-totalité pour l’ensemble des consommateurs ; nous avons distribué un chèque énergie exceptionnel de 100 euros à 5,8 millions de ménages, qui en avaient déjà reçu un autre d’un montant moyen de 150 euros en avril 2021 ; nous avons augmenté de 20 térawattheures le volume de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mis à disposition de tous les consommateurs à 46,20 euros le mégawattheure, au lieu de 200 euros, qui est le coût actuel du marché.

Vous le savez, les communes bénéficieront de la baisse de la TICFE dans les mêmes conditions que les autres consommateurs.

En outre, pour les plus petites collectivités territoriales, qui sont soumises au tarif réglementé, la hausse du prix de l’électricité sera limitée à 4 %. Les collectivités au tarif réglementé sont celles qui emploient moins de dix personnes, avec des recettes réelles de fonctionnement de moins de 2 millions d’euros. Pour les autres, la hausse des prix de l’électricité sera diminuée grâce à la hausse du volume de l’Arenh. Tous ces dispositifs qui concernent les Français s’appliquent aussi aux collectivités territoriales.

Plus structurellement, l’État accompagne ces dernières pour les aider à faire des économies d’énergie à moyen terme, et c’est cela, le combat que nous devons mener. À titre d’illustration, l’État a soutenu financièrement les collectivités territoriales par l’intermédiaire de la dotation de rénovation énergétique, pour laquelle 933 millions d’euros ont été mobilisés en 2021, afin de financer près de 3 500 projets sur lesquels nous avons un retour, avec des économies significatives à la clé.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, je suis absolument stupéfait.

Je vous interroge sur les collectivités locales et vous me répondez sur les ménages, sur les entreprises, par des généralités. Au moins M. Dussopt avait-il évoqué, l’autre jour, la revalorisation des bases locatives ; je m’attendais à ce que vous fassiez de même, mais vous n’avez rien dit du tout.

Je ne sais pas ce que je vais répondre aux élus qui m’ont interpellé à ce sujet, sinon que le Gouvernement ne propose rien et n’est apparemment même pas conscient du problème, puisque vous ne m’avez pas répondu.

Une fois de plus, les collectivités locales, lesquelles, déjà, n’ont pas été compensées des conséquences financières de la crise sanitaire, ne se voient rien proposer par le Gouvernement pour les aider à faire face à cette situation. Je le regrette.

conséquences de l’inflation sur le financement des projets locaux

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, auteure de la question n° 2126, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

Mme Corinne Féret. Madame la ministre, je souhaite vous alerter sur les conséquences de l’inflation sur le financement des projets locaux.

Il convient, tout d’abord, de souligner que les hausses considérables des prix de l’énergie vont affecter rapidement et durablement les services publics locaux, dont les collectivités locales et leurs groupements assurent l’organisation et, parfois, directement la gestion.

Il appartient donc au Gouvernement de mettre en place des aménagements afin de permettre à ces derniers d’affronter cette crise et de préserver la continuité de services publics de qualité.

De façon concrète, l’inflation risque de se traduire par une augmentation très forte des coûts des projets locaux. À n’en pas douter, les plans de financement vont fortement déraper cette année, car les entreprises répercuteront les hausses des prix des matières premières, de l’énergie et des carburants sur les devis qu’elles proposeront aux collectivités territoriales.

Dans le même temps, les hypothèses budgétaires sur lesquelles les projets ont été bâtis, travaillées de longue date par leurs porteurs, en particulier pour faire des demandes de dotations, se révéleront obsolètes. Dans mon département du Calvados comme ailleurs, au moment de lancer les marchés, alors que les montants des dotations de l’État sont déjà connus, cela pourrait remettre en question nombre de projets.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer les solutions que le Gouvernement entend apporter aux élus locaux, qui craignent de voir les budgets prévisionnels déraper à cause de l’inflation et certains projets ne plus pouvoir être menés à terme ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Corinne Féret, merci de votre question, qui me permet de compléter la réponse faite à M. Maurey.

J’ai évoqué deux compartiments qui représentent plusieurs milliards d’euros et qui bénéficieront aux collectivités locales. Je le répète, parce que cela ne correspond pas à la seule épaisseur du trait.

J’ai mentionné la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) de 8 milliards d’euros, qui ne concerne pas seulement les ménages, et l’augmentation de 20 térawattheures du volume de l’Arenh, qui est notre meilleur bouclier, puisque cela permettra de diviser par quatre le prix de la facture énergétique sur la partie dépendante de l’Arenh.

Les communes bénéficieront de la baisse de TICFE, le tarif des petites collectivités territoriales sera plafonné à 4 % et les autres bénéficieront de l’Arenh.

Plus structurellement, l’État continuera de soutenir l’investissement local, avec plus de 2 milliards d’euros de subventions en dotations d’équipement des territoires ruraux (DETR), en dotations de soutien à l’investissement local (DSIL) et en dotations politique de la ville (DPV) en 2022. Cette année, la DSIL augmente même de plus de 300 millions d’euros, pour financer les contrats de relance et de transition écologique (CRTE).

Grâce à ces dotations d’investissement, notamment les dotations exceptionnelles versées en 2020 et en 2021, l’État accompagne les collectivités territoriales pour les aider à réaliser des économies d’énergie à moyen terme.

À titre d’illustration, je mentionnais à l’instant les 933 millions d’euros mobilisés pour les dotations destinées à accompagner des projets de rénovation énergétique. Sur près de 3 500 projets pour lesquels nous disposons d’un retour, 2 700 atteignent ou dépassent une cible de 30 % d’économies d’énergie, soit une facture également diminuée de 30 %, et 1 200 produiraient plus de 50 % d’économies d’énergie.

Ces mesures structurelles me semblent plus fortes que toute forme d’aide à la petite semaine.

Par ailleurs, l’inflation aura des conséquences positives sur certaines ressources fiscales des collectivités, et vous le savez. C’est le cas des impôts assis sur les bases locatives cadastrales, lesquelles sont revalorisées chaque année en tenant compte de l’indice des prix ainsi que de la TVA, laquelle dépend du prix des consommations. En 2022, sa hausse devrait atteindre 6 % et rapporter 400 millions d’euros supplémentaires aux intercommunalités, plus de 800 millions d’euros aux départements et 800 millions d’euros aux régions.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.

Mme Corinne Féret. Madame la ministre, j’entends bien ce que vous dites. Vous avez parlé « d’aide à la petite semaine » ! Comment osez-vous tenir de tels propos en direction des élus ?

J’aimerais revenir aux réalités du terrain, telles qu’elles me sont exposées, notamment, par les maires du Calvados. Les collectivités qui souhaitaient réaliser un investissement sur la base de plusieurs devis constatent, en ouvrant les offres pour le marché, que la crise actuelle est prétexte à des hausses de prix considérables.

Comment doivent-elles faire, dès lors ? À elles de trouver des solutions, parfois en retardant leur projet ou bien en ayant recours à l’endettement. Ce sont les seules réponses que vous leur apportez aujourd’hui.

raccordement final des abonnés

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, auteure de la question n° 1929, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Patricia Demas. Ma question porte sur la problématique du raccordement final des abonnés.

L’accélération massive du déploiement de la fibre en France s’est inscrite dans les modalités d’organisation de la filière fibre qui a confié, en pratique, à l’opérateur commercial, le raccordement du client final.

Le mode « sous-traitance opérateur commercial » (STOC) fait intervenir une chaîne de sous-traitants, lesquels peuvent être mal équipés et mal formés pour effectuer le raccordement final à l’abonné, donnant lieu à de nombreux cas de dysfonctionnement.

Les remontées du terrain montrent que les élus sont désignés comme responsables par les abonnés, qui leur font part, sur le terrain, de leur désapprobation. Le nombre d’usagers mécontents s’est d’ailleurs significativement accru depuis le début de la crise sanitaire.

Le mode STOC constitue encore la grande majorité des raccordements finaux et représente, sans équivoque, la principale menace quant à la résilience des réseaux fibre jusqu’à l’abonné (FttH).

Certes, des initiatives ont été prises, comme la feuille de route proposée par la fédération InfraNum en 2020. De son côté, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a introduit des obligations de qualité de service pour les opérateurs d’infrastructures. Ceux-ci doivent s’engager contractuellement, depuis 2021, envers les opérateurs commerciaux, et devront, à compter de 2023, respecter des seuils réglementaires de qualité.

Ces nouveaux contrats devraient faire progresser la qualité des réseaux. Force est de constater qu’ils ne sont pas encore suffisamment partagés.

L’État pourrait, par exemple, prendre des mesures applicables aux opérateurs qui n’adhèrent pas au nouveau cadre contractuel ou qui ne mettent pas en place rapidement des indicateurs de qualité.

Dans ce contexte préoccupant, je souhaite connaître les mesures que compte prendre le Gouvernement en la matière.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Demas, les problèmes récurrents de qualité des raccordements de fibre optique que rencontrent les usagers, et desquels doivent répondre les élus et les services de l’État, ne sont pas acceptables.

Comme vous l’indiquez, le déploiement de la fibre a connu ces dernières années une accélération très importante du nombre de raccordements finaux. C’est un des éléments forts du bilan de ce gouvernement.

Au troisième trimestre 2021, plus de 28 millions de locaux ont été rendus raccordables, ce qui représente 67 % de couverture du territoire national et environ 20 000 prises déployées par jour, en moyenne, sur les six derniers mois pour lesquels les données sont disponibles.

Cette accélération ne doit pas se faire au détriment de la qualité des raccordements ni se traduire, entre autres, en échecs de raccordement, débranchements sauvages de clients ou dégradations d’infrastructures.

Dans ce contexte, les opérateurs d’infrastructures doivent identifier les éventuels dysfonctionnements et les résoudre ; les opérateurs commerciaux doivent, quant à eux, intervenir dans le respect des spécifications techniques et des règles de l’art sur les réseaux des opérateurs d’infrastructures.

Au-delà de cette responsabilité naturelle, plusieurs chantiers ambitieux ont été engagés sous l’égide de l’Arcep : évolutions des contrats de sous-traitance, meilleur contrôle par les opérateurs d’infrastructures, pénalités financières en cas de dégradations, protocoles de reprise des installations endommagées, meilleure maîtrise de la chaîne de sous-traitance, mobilisation d’outils pour s’assurer de l’absence de dégradations.

L’Arcep a publié le 25 novembre 2021 un plan d’action complémentaire pour améliorer encore la qualité de l’exploitation et des raccordements.

Le premier axe de ce plan vise la mise en place d’outils pour contrôler la qualité des interventions, permettant aux opérateurs d’identifier les éventuelles malfaçons. Le deuxième axe porte sur la formation des intervenants et la limitation des rangs de sous-traitance. Le troisième axe concerne la mise en œuvre de plans de remise en conformité des infrastructures.

L’Arcep s’est également dotée d’outils pour suivre qualitativement et quantitativement cette exploitation, comme la plateforme « J’alerte l’Arcep ».

Compte tenu des difficultés particulièrement aiguës observées sur certains réseaux, l’Arcep a récemment ouvert une enquête, en cours, à l’encontre de l’opérateur Xp Fibre sur le respect de l’obligation d’accès aux lignes FttH.

problèmes posés par l’apparition de nouveaux travaux dans les tracés utilisés pour l’installation de la fibre optique

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, auteure de la question n° 1940, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Else Joseph. Nous nous réjouissons tous les jours du déploiement de la fibre optique dans notre département des Ardennes et de tout ce qui contribue au désenclavement numérique de nos communes, en particulier grâce au rôle décisif de la région Grand Est.

L’accès au numérique est une chance pour notre territoire et chacun sait qu’internet est devenu un outil indispensable à toute activité économique, artisanale et autre. Cette installation a nécessité des travaux de génie civil importants et coûteux. Le déploiement est en cours.

Cependant, des difficultés sont apparues dans certaines communes de mon département lorsque d’autres opérateurs numériques ont décidé d’utiliser le tracé mis en place par le prestataire de la région, Losange, en procédant à des travaux identiques, sans demander aucune autorisation, en particulier aux maires des communes.

Les élus et les habitants déplorent une absence de cohérence dans ces travaux, malgré des chantiers et des tracés similaires. Ils doivent faire face à des désagréments et à des nuisances incompréhensibles, alors que les travaux pour l’installation de la fibre optique s’étaient achevés il y a quelques semaines.

Les nouveaux travaux créent en effet des perturbations sur la voie publique. Pour les communes, cela a évidemment un coût, ne serait-ce que par l’obstruction ou l’immobilisation partielle de certaines voies. En outre, vous savez très bien, madame la ministre, que les travaux de comblement des tranchées sont parfois bâclés.

Ces travaux donnent l’impression de doublons, de dépenses superfétatoires, multipliant des contraintes inutiles qui auraient pu être évitées.

Il y a donc un véritable problème de mutualisation entre les différents opérateurs, dont les objectifs sont certes légitimes, mais les démarches incompréhensibles, en raison des complications entraînées.

Madame la ministre, que proposent les pouvoirs publics pour remédier à cette absence flagrante de concertation entre les opérateurs, même si la loi ne les oblige pas à mutualiser ?

Qu’envisagez-vous pour qu’il y ait mutualisation entre tous ceux qui empruntent les mêmes axes, au millimètre près ?

Surtout, que proposez-vous pour qu’il soit mis fin dans les plus brefs délais aux nuisances en tout genre subis par les habitants des communes concernées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Else Joseph, le Gouvernement a fait de l’amélioration de la couverture numérique, fixe comme mobile, une priorité de son action, afin de permettre à l’ensemble des Français, quel que soit leur lieu de résidence, de bénéficier d’une couverture de qualité. L’enjeu était de rattraper le retard accumulé lors des mandatures précédentes.

Concernant la couverture mobile, en janvier 2018, le Gouvernement, l’Arcep et les opérateurs de téléphonie mobile sont parvenus à un accord historique, le New Deal mobile, visant à généraliser la couverture mobile de qualité pour tous les Français, afin de résorber les zones blanches.

S’agissant de la couverture fixe, le plan France Très Haut Débit a pour objectif de garantir à tous les Français un accès au très haut débit, supérieur à 30 mégabits par seconde, d’ici à 2022. Le Président de la République a, par ailleurs, fixé un objectif ambitieux de généralisation de la fibre optique à l’horizon de 2025.

Dans votre département, deux initiatives cohabitent au sein de la zone moins dense (ZMD) : le réseau d’initiative publique, porté par la région Grand Est, qui desservira, d’ici à 2023, 439 communes des Ardennes et le réseau d’initiative privée, porté par l’opérateur Orange sur dix communes de la communauté d’agglomération Ardenne Métropole.

Au sein de la zone moins dense, encadrée par le régulateur, la mutualisation des réseaux fibre jusqu’à l’abonné est recherchée par des mesures encadrant un accès neutre et ouvert au réseau. Cette mutualisation est déterminante pour permettre des investissements publics efficaces.

Dans le cas d’espèce, la région Grand Est, s’assure, en vertu de ses compétences et de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, que le réseau d’initiative publique construit par son délégataire respecte la réglementation en vigueur.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) travaille en bonne intelligence avec la région Grand Est et s’est d’ores et déjà rapprochée d’elle pour porter un regard attentif sur les actions entreprises au nom de la mutualisation et de la réutilisation des réseaux existants et pour étudier les situations que vous avez mises en lumière.

Le Gouvernement reste vigilant, madame la sénatrice, à l’évolution de la mutualisation sur le terrain. Il veillera, en lien avec le régulateur, à ce que les réseaux déployés soient neutres, accessibles et ouverts.

état des infrastructures de télécommunications dans les hautes-alpes

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la question n° 2119, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Jean-Michel Arnaud. Ce 7 février, Orange a dévoilé le plan de fermeture de son réseau de boucle locale cuivre au bénéfice de la fibre. Jugé trop coûteux, ce réseau compte encore 21 millions de lignes actives. Ce plan s’articule autour de deux phases, de 2020 à 2030.

La fermeture commerciale du réseau doit respecter plusieurs critères, dont le fait que la totalité des locaux domestiques et professionnels soit raccordée à la fibre. Dans le même temps, le plan prévoit aussi que la fermeture concernera en priorité les communes pour lesquelles les opérations lourdes de réaménagement du réseau cuivre seront identifiées.

Nous avons affaire à une injonction contradictoire pour un territoire de montagne, comme celui des Hautes-Alpes. J’ai mené une consultation auprès des maires de mon département, dont le résultat est sans appel : ceux-ci déplorent tous un réseau mal entretenu et une mauvaise coopération, voire une absence de communication, avec Orange.

Notre réseau cuivre est dans un état dégradé, car il est mal entretenu. Alors que le déploiement de la fibre reste embryonnaire et complexe, quelle priorité sera donnée, par exemple dans mon département de montagne, au démantèlement du réseau cuivre ?

Par ailleurs, madame la ministre, pouvez-vous me garantir qu’à l’issue de ce processus, aucun usager ne se retrouvera dans une zone blanche de non-connexion ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Jean-Michel Arnaud, la période de fermeture progressive de la boucle cuivre s’accompagne d’un plan de renforcement pour maintenir un bon niveau de qualité de services sur ce réseau cuivre.

C’est pourquoi le Gouvernement a demandé à Orange de prendre des engagements complémentaires dans le cadre de la mise en œuvre d’un nouveau plan d’action permettant d’améliorer la qualité globale du réseau cuivre et de soulager les zones en souffrance.

C’est l’objectif poursuivi par la circulaire du Premier ministre du 5 juin 2021 et par le rappel adressé aux préfectures le 21 octobre 2021. Les services de l’État doivent mettre en œuvre des comités de concertation départementaux sur l’accès aux réseaux de communications électroniques fixes et mobiles, particulièrement dans les départements ciblés en priorité par le plan d’action d’Orange sur le réseau cuivre.

L’opérateur Orange s’est engagé, pour sa part, à maintenir 500 millions d’euros annuels d’investissements consacrés à l’entretien du réseau cuivre sur l’ensemble du territoire, soit un budget par ligne active en augmentation de 22 % depuis 2018. Quelque 10 millions d’euros supplémentaires sont également alloués aux vingt-deux territoires prioritaires.

L’opérateur a renforcé son recrutement, grâce à la création de 123 nouveaux postes, en priorité dans les départements en tension, et à une augmentation de 30 % des effectifs nationaux d’intervention en cas de crise.

Par ailleurs, Orange s’engage, si un dysfonctionnement survient, à fournir une solution de secours mobile en vingt-quatre heures maximum. À défaut de couverture mobile, une solution de téléphonie satellitaire est mise à disposition en mairie. La solution de connectivité en mairie en cas de crise collective majeure est disponible depuis l’été 2021.

S’agissant des engagements de l’opérateur Orange, les 123 recrutements sont finalisés au niveau national. S’ajoute à ces recrutements la force d’intervention d’urgence, composée de 270 binômes opérationnels, qui a vocation à intervenir en fonction des urgences partout sur le territoire.

Quant aux difficultés que vous évoquez dans le département des Hautes-Alpes, la préfecture est invitée à réunir le comité de concertation locale, afin d’analyser et de traiter au plus vite les situations signalées pour le réseau cuivre.

En outre, l’Arcep a publié le 25 novembre dernier un plan d’action complémentaire pour l’amélioration de la qualité d’exploitation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Je vous remercie de ces explications, madame la ministre.

Je tiens à insister sur une difficulté qui pourrait survenir. Dans le cadre du plan d’action mentionné se posent des questions de démantèlement du réseau et des équipements. Orange prévoit ce démantèlement « sauf pour des configurations qui ne permettraient pas une dépose dans des conditions techniques ou économiques raisonnables ».

Je ne souhaiterais pas que, sur un tel fondement, les collectivités locales se retrouvent, à l’issue du processus de fermeture du réseau, avec une série de poteaux à enlever elles-mêmes, ce qui altérerait à la fois la dimension paysagère du territoire et leurs finances.

Enfin, Orange nous a récemment fait savoir que l’offre satellitaire dans les zones de montagne aujourd’hui non accessibles par le réseau cuivre – et, j’imagine, difficilement accessibles demain par la fibre – serait dorénavant suspendue. Je crains donc que nous nous retrouvions, dans des départements comme le mien avec des zones blanches de non-droit et de non-connectivité. J’appelle le Gouvernement à se saisir de cette question.

responsabilité comptable des directeurs généraux des services

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 2033, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 41 du projet de loi de finances pour 2022 autorise le Gouvernement à prendre une ordonnance pour réformer la responsabilité pécuniaire et personnelle (RPP) des comptables publics.

L’objectif visé est de transférer une partie de la responsabilité des actes administratifs des comptables aux ordonnateurs, afin d’adapter le régime de la RPP.

Certes nécessaire, cette réforme aurait nécessité un débat, en particulier avec le Sénat, représentant des collectivités territoriales. Ces dernières vont en effet se retrouver financièrement responsables, aux côtés des directeurs généraux des services (DGS) et des trésoriers, alors même que la réorganisation et la baisse du nombre de centres de finances publiques ont réduit à peu de choses l’appui du réseau des comptables publics.

Sur la base des échanges à l’Assemblée nationale, il semble que les DGS seront soumis à une sanction potentielle, sans que leur rôle ne soit véritablement défini dans le contrôle qu’ils auront eux-mêmes à effectuer pour se prémunir contre l’engagement de leur responsabilité… On marche sur la tête !

Il s’agit aussi, et surtout, d’un danger pour le principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable.

Madame la ministre, quel accompagnement prévoyez-vous pour les ordonnateurs ? L’État mettra-t-il en place un régime assurantiel qu’il financera ou tout cela restera-t-il, comme d’habitude, à la charge des collectivités ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Je pense, madame la sénatrice Cathy Apourceau-Poly, que votre lecture n’est pas la bonne.

Conformément aux orientations fixées dans le programme Action publique 2022, la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics portée par la loi de finances pour 2022 vise à instituer un régime unifié de responsabilité financière pour tous les gestionnaires, qu’ils soient comptables ou ordonnateurs.

Il ne s’agit en aucun cas – vos affirmations en la matière sont fausses – de transférer la responsabilité du comptable public vers l’ordonnateur, mais de responsabiliser chaque acteur de la chaîne financière sur les actes et décisions dont il est l’auteur.

À l’opposé de vos inquiétudes, cette réforme permettra de donner plus de liberté d’action aux gestionnaires publics. L’intervention du juge financier n’est requise que pour les cas les plus graves ayant causé un préjudice financier significatif à l’organisme concerné. Ainsi, l’introduction de deux critères cumulatifs de « faute grave » et de « préjudice financier significatif » doit conduire à ne soumettre à la Cour des comptes qu’un nombre limité d’affaires.

De plus, ce nouveau régime ne remet absolument pas en cause la séparation entre ordonnateur et comptable, principe fondamental de notre système et gage important non seulement de sécurité pour les ordonnateurs, mais aussi de fiabilité et de qualité comptable.

Il permettra, en revanche, d’adapter les modalités de réalisation des contrôles, notamment d’assouplir les contrôles les plus formels afin d’accroître les marges de manœuvre des gestionnaires. L’objectif du Gouvernement est de fluidifier l’action publique en instaurant des contrôles plus sélectifs, déterminés dans le cadre d’une approche par les enjeux et les risques.

Enfin, dès lors qu’il s’agit d’un régime de responsabilité individuelle sanctionné par une amende, et non par l’obligation de rembourser un préjudice, le texte n’institue pas de régime d’assurance particulière. L’agent public bénéficie en effet, à l’occasion ou en raison de l’exercice de ses fonctions, de la protection fonctionnelle par laquelle l’administration doit notamment lui apporter une assistance juridique.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il y a tout de même un problème, madame la ministre : à vous entendre, notre lecture de vos réformes n’est jamais la bonne.

Pourtant, j’ai été saisie par les directeurs généraux des services (DGS) du Pas-de-Calais, qui s’inquiètent de leur exposition future à d’éventuelles poursuites judiciaires et financières, mais également des mesures managériales ou disciplinaires qui pourraient être prises dans le cadre des prérogatives de direction des responsables publics. J’ai également été alertée de la crise des vocations que risque de susciter ce nouveau régime de responsabilité.

Sur le fond, enfin, la philosophie de cette réforme ne peut qu’inquiéter : on aligne le fonctionnement de notre administration sur le droit des entreprises, les comptables étant réduits au rôle de simples exécutants et le contrôle incombant aux DGS. En d’autres termes, on procède à un glissement d’une logique juridictionnelle à une logique managériale.

réduction d’horaires et fermeture de bureaux de poste

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, auteur de la question n° 2141, transmise à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Christian Bilhac. En juin dernier, j’ai interrogé M. le ministre chargé des comptes publics sur les fermetures de bureaux de poste, car j’avais dans mon département de l’Hérault des remontées permanentes d’élus s’inquiétant de la dégradation des services postaux dans leurs communes.

J’avais entendu que la réduction toujours plus forte du volume de courriers traités annuellement par La Poste appelait à une restructuration de son fonctionnement, comme nos collègues Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon l’ont souligné dans leur rapport d’information.

M. Dussopt m’avait annoncé, en réponse à ces interrogations, une aide de 520 millions d’euros pour compenser une partie du déficit de La Poste et assurer la continuité du service public, ce que je salue.

La Poste reste un vecteur de lien social indispensable, notamment dans les communes rurales. Malheureusement, très peu de choses ont changé en sept mois. Pas une semaine ne passe sans que les maires ne me fassent part des mêmes inquiétudes en constatant des fermetures inopinées ou des réductions d’horaires d’ouverture… Trouver un bureau de poste ouvert plus de trois heures par jour devient un véritable défi pour les habitants.

Ainsi, la commune de Montarnaud, qui avait un bureau de poste lorsque sa population était de 500 habitants, s’en voit proposer – pour ne pas dire imposer – la transformation en agence postale communale, alors qu’elle compte désormais plus de 4 000 habitants. Que dire, madame la ministre, de la fermeture du bureau du Cap d’Agde, première station balnéaire d’Europe ?

Pouvez-vous m’indiquer de quelle manière l’aide de 520 millions d’euros, que nous avons votée ici lors de l’examen du projet de loi de finances, a permis de maintenir des bureaux de poste ? Comment comptez-vous éviter le déclin de ce service public essentiel ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Christian Bilhac, comme vous venez de la souligner, la numérisation des échanges se traduit depuis une quinzaine d’années par une diminution continue du nombre de courriers échangés – 39 % de baisse entre 2010 et 2020. Cette tendance, qui s’est brutalement accélérée avec la crise sanitaire, devrait se poursuivre dans les années à venir.

Dans ces conditions, des mesures structurantes étaient nécessaires pour permettre de rétablir l’équilibre financier du service universel postal confié à La Poste par la loi. À défaut, le déficit risquait d’atteindre 2 milliards d’euros annuels dans quelques années.

Les mesures annoncées le 22 juillet dernier par le Premier ministre, que vous avez partiellement reprises en citant la réponse de mon collègue Olivier Dussopt, sont à la hauteur de l’enjeu : d’une part, le versement d’une compensation comprise entre 500 et 520 millions d’euros à compter de 2022, au titre de l’année 2021 ; d’autre part, l’évolution de l’offre du service universel postal à compter de 2023. Ces mesures permettront d’assurer la pérennité d’un service de qualité de distribution du courrier, six jours sur sept.

Par ailleurs, la loi fixe l’obligation à La Poste de maintenir un réseau dense d’au moins 17 000 points de contact répartis sur le territoire, de sorte que 90 % au moins de la population d’un département aient accès à un point de contact postal à moins de 5 kilomètres ou à 20 minutes en voiture de son domicile.

L’État apporte depuis 2008 son appui financier au maintien de cette proximité. Entre 2008 et 2022, il y aura consacré pratiquement 2,5 milliards d’euros, dont 522 millions d’euros sur les années 2020 à 2022.

Là encore, la mission de service public confiée à La Poste est confrontée à un changement profond des comportements. Du fait de la révolution numérique, à laquelle est venue s’ajouter la crise sanitaire, le groupe ne peut que constater une forte baisse de fréquentation de ses bureaux. Face à cette évolution, il développe, conformément à la loi, des partenariats visant à remplacer certains bureaux peu fréquentés par des agences postales communales ou par des points postaux installés chez des commerçants.

Il est nécessaire de continuer à adapter les modalités de la présence de La Poste, tout en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Ce point figure précisément dans le contrat de présence postale territoriale 2020-2022, élaboré en lien avec les élus locaux.

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.

M. Christian Bilhac. L’État doit verser une compensation à la hauteur du montant calculé par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour maintenir ce service public dans notre pays.

écloseries marines de gravelines

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 2140, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

M. Frédéric Marchand. Les écloseries marines de Gravelines sont le plus important producteur de bars et de dorades royales en France. L’entreprise emploie à ce jour 100 personnes sur son site de Gravelines. Elle est un modèle d’économie circulaire, permettant d’adosser à la centrale nucléaire une activité productive et vertueuse, qui répond à une problématique majeure sur les enjeux alimentaires et la raréfaction des ressources en mer.

Or, comme vous le savez, madame la ministre, l’activité et la viabilité de ces écloseries sont aujourd’hui fortement menacées.

Cette situation découle de la décision de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) de mettre fin à l’exonération partielle de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), au motif de l’interprétation juridique faite de leur classification en code APE – pour activité principale exercée – dans la nomenclature datant du 1er juillet 2018.

Par conséquent, l’entreprise n’est plus éligible au taux réduit de la TICFE et subit, de ce fait, une multiplication par dix du taux qui lui est imposable, et ce avec effet rétroactif. La DGDDI réclame en effet le remboursement des sommes dues rétroactivement sur quatre années, à savoir 1,6 million d’euros, soit un surcoût de 450 000 euros par an. Une procédure judiciaire est en cours.

À cette situation critique vient s’ajouter l’augmentation inédite et brutale du prix de l’électricité, qui pourrait porter un coup fatal à ce modèle économique unique et innovant en France, combinant électro-intensif et agro-industriel.

Il s’agit de la seule entreprise produisant des bars et des dorades en aquaculture marine sur terre en France, ce qui en fait la garante d’un savoir-faire unique dans notre pays au sein de cette filière aquacole.

Il est important de noter qu’Aquanord représente 80 % du produit de la TICFE de l’aquaculture en France. Cette entreprise a été rachetée en 2013 par le groupe Gloria Maris. Elle a un modèle économique compétitif et rentable, bénéficiaire depuis 2015 dans un contexte fiscal normal. L’augmentation des charges mettrait à mal sa compétitivité par rapport aux concurrents turcs et grecs.

Madame la ministre, je sais que les services de l’État sont pleinement mobilisés sur ce dossier et je salue votre décision récente d’accorder à Aquanord un taux plancher de TICFE pour l’année 2022 dans le cadre des mesures d’urgence.

Aussi, dans cet état d’esprit visant à protéger les entreprises françaises, je vous remercie de bien vouloir étudier la possibilité d’un changement de la nomenclature en projet de loi de finances, ce qui permettrait à Aquanord de bénéficier de nouveau du taux réduit de TICFE, et de m’indiquer la possibilité de surseoir à la requalification rétroactive de l’entreprise par les services des douanes pour les quatre années passées.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, votre question porte sur la fiscalité applicable aux installations fortement consommatrices d’énergie, que l’on appelle « énergo-intensives » ou, s’agissant de la consommation d’électricité, « électro-intensives ».

Le droit européen tient compte, dans les règles régissant la taxation de l’énergie, harmonisées au niveau communautaire, de l’exposition des entreprises à la concurrence internationale et du poids très important que représente l’énergie parmi les intrants de certains types d’activités.

Ainsi que vous le rappelez, le droit en vigueur depuis plusieurs années ne permet pas aux activités d’aquaculture – activités agricoles – de bénéficier du tarif réduit de TICFE : conformément au droit européen, l’article 266 quinquies C du code des douanes en limite le bénéfice aux activités industrielles.

Ces règles s’appliquent de façon constante depuis plusieurs années. En 2018, les modalités retenues pour établir le caractère industriel des activités ont évolué, mais sans exclure les activités d’aquaculture de ce régime.

Le Gouvernement a déjà apporté des réponses dans le cadre de la crise actuelle des prix de l’énergie, notamment à travers la baisse de la TICFE.

Dans le cadre de son ambitieux paquet Fit for 55, la Commission européenne a proposé, en juillet dernier, de revoir de fond en comble le fonctionnement de la fiscalité énergétique afin de la mettre en cohérence avec l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030.

Ce projet de texte, qui fait pour l’instant l’objet de travaux techniques, prévoit une refonte des dispositifs favorables aux entreprises énergo-intensives ou électro-intensives. Il ouvre la porte à une moindre taxation de l’électricité par rapport aux énergies fossiles.

C’est donc dans ce cadre, monsieur le sénateur, que la France peut faire évoluer la réglementation s’appliquant à l’entreprise que vous mentionnez.

Par ailleurs, nous serons très attentifs à toute situation impactant une entreprise qui produit en France. Ce cas pourra donc être traité, à court terme, dans un autre cadre.

rétrocession des indemnités de chômage des frontaliers

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteure de la question n° 2125, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.

Mme Sylviane Noël. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la législation en vigueur applicable à la rétrocession des indemnités de chômage des frontaliers.

Actuellement, les frontaliers cotisent auprès du régime d’assurance chômage en Suisse. En cas de chômage total, ils sont indemnisés par leur pays de résidence, à savoir la France.

Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. Avant 2009, la convention franco-suisse sur l’assurance chômage de 1978 prévoyait la rétrocession à l’Unédic de 90 % des cotisations chômage prélevées sur le salaire des frontaliers. En 2007, le montant des rétrocessions versées par la Suisse à la France s’élevait à 119 millions d’euros.

Cette convention a pris fin en mai 2009. Depuis, le principe communautaire prévoyant l’indemnisation des frontaliers par l’État de résidence s’applique, mais sans contrepartie financière, à moins que les États n’en décident autrement de manière bilatérale.

Ainsi, le règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale rappelle que les indemnités chômage versées par la France restent à sa charge, mais que la Suisse rembourse les trois premiers mois de prestation.

C’est un système peu avantageux pour la France au regard des 188 650 frontaliers qui travaillent en Suisse et bénéficient, de ce fait, à la fois de salaires plus élevés et d’un marché du travail très peu touché par le chômage.

Cette règle communautaire coûte très cher à notre pays. Nous perdons ainsi les cotisations chômage des frontaliers, qui viennent accroître encore le régime déjà déficitaire de l’Unédic. S’y ajoute le fait que la France doit financer des indemnités 1,5 à 3 fois plus élevées que la moyenne française, puisque calculées sur les salaires perçus en Suisse.

Je déplore que notre pays subisse depuis tant d’années cette double peine : d’une part, en finançant la formation de jeunes qui, une fois diplômés, ne peuvent résister à l’attrait des salaires suisses et, d’autre part, en prenant en charge le chômage de ces licenciés dès que la situation économique est un peu moins favorable. Cette situation ne peut perdurer indéfiniment.

Je souhaiterais donc savoir si le Gouvernement est prêt à remédier à ce système inéquitable pour notre pays, en rouvrant rapidement les négociations avec la Suisse pour conclure un nouvel accord bilatéral soit de rétrocession des cotisations des frontaliers auprès de leur État de résidence, soit de remboursement de la totalité des périodes d’indemnisation.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Sylviane Noël, en application de la réglementation européenne, la charge de l’indemnisation des travailleurs frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse revient à l’État de résidence.

Ainsi, comme vous l’avez parfaitement souligné, le régime d’assurance chômage français supporte la charge de l’indemnisation des travailleurs frontaliers privés de travail, au titre de périodes d’emploi ayant donné lieu à des contributions perçues par la Suisse.

Les modalités de remboursement partiel de ces prestations sont définies dans le règlement européen n° 883/2004, auquel la Suisse a adhéré en avril 2012. Elle rembourse donc à la France trois ou cinq mois d’indemnisation des allocataires, en fonction de leur durée d’affiliation antérieure.

Le nombre de travailleurs frontaliers suisses s’étant fortement accru au cours des vingt dernières années, l’indemnisation chômage de ces derniers pèse effectivement sur le régime d’assurance chômage français.

En 2020, la France a ainsi versé 810 millions d’euros de prestations chômage à des travailleurs frontaliers résidant en France et ayant précédemment travaillé en Suisse. La Suisse ayant remboursé 143 millions d’euros de prestations, le surcoût s’élève à 667 millions d’euros.

Depuis 2016, notre pays soutient les tentatives de révision du règlement européen engagées par la Commission européenne dans la perspective d’attribuer la compétence de l’indemnisation à l’État d’emploi, et non à l’État de résidence, dans un esprit de conformité au principe général lex loci laboris, selon lequel l’application de la réglementation du pays d’emploi doit être la règle.

Ces tentatives de révision ont fait l’objet, au cours des dernières années, de négociations longues et complexes, qui n’ont pas encore abouti.

Dès lors que de nouvelles règles seront adoptées au niveau européen, elles s’appliqueront à la Suisse après modification de l’accord bilatéral conclu entre l’Union européenne et ce pays.

En résumé, madame la sénatrice, nous continuons à travailler sur le dossier, mais nous ne sommes pas encore parvenus à une solution totalement aboutie.

avenir des centres de vacances en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 2143, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.

M. Jean-Yves Roux. Nous sommes en pleine période de vacances d’hiver et voilà bientôt deux ans que les centres de vacances de montagne et centres de vacances ruraux subissent de plein fouet les annulations ou l’absence de réservation de séjours scolaires en fonction de l’évolution de la crise sanitaire.

L’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes nous livre des chiffres témoignant de la désaffection de ces centres : alors que ces centres enregistraient 1,4 million de séjours en 2018-2019, ils n’en comptent que 900 000 pour la saison 2020-2021, soit une chute de 37 %.

Des mesures ont été mises en place, telles que le chômage partiel, les colonies apprenantes ou les séjours de cohésion dans le cadre du service national universel (SNU), pour éviter des faillites en cascade.

Toutefois, nous craignons que les centres installés en milieu rural ou de montagne ne puissent se relever de ces périodes d’activité discontinues. Ces centres font également face à la hausse du prix de l’énergie ou des matières premières et rencontrent des difficultés pour recruter des travailleurs saisonniers.

Or, dans la ruralité, ils constituent des sources d’animation, de développement, de recrutement pour les plus jeunes, aussi traditionnels que précieux. Vous me permettrez, mes chers collègues, d’évoquer l’expérience menée sur la commune de Montclar, dans les Alpes-de-Haute-Provence, première station autogérée avec 300 emplois induits.

Ces centres de vacances, au-delà du fait qu’ils sont d’indispensables atouts de développement local, représentent aussi des lieux d’apprentissage de la citoyenneté en commun, qu’il me paraît indispensable de soutenir.

Madame la ministre, comment comptez-vous aider, dès maintenant, à la préservation de ce maillage rural de centres de vacances, que ce soit en montagne ou ailleurs, aujourd’hui très précarisé ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, vous soulignez à juste titre que les classes de neige et classes de découverte ont subi de nombreuses annulations.

Le caractère exceptionnel de la crise sanitaire, marqué par des vagues pandémiques successives, a pu conduire à prendre des décisions d’annulation ou de report de voyages scolaires en raison de la situation.

Ces annulations ont effectivement des conséquences importantes pour certains territoires, dont le vôtre, où ces activités représentent un poumon économique, ainsi que pour une cascade d’acteurs au-delà des centres de vacances eux-mêmes – je pense, par exemple, aux transporteurs ou aux organisateurs de séjour.

C’est la raison pour laquelle les mesures d’accompagnement économique se sont poursuivies en décembre et en janvier.

Les centres d’hébergement sont aidés à travers plusieurs dispositifs : la prise en charge des coûts fixes pour ceux qui perdent plus de 50 % de leur chiffre d’affaires ; l’activité partielle sans reste à charge pour ceux qui perdent plus de 65 % de leur chiffre d’affaires ; et les aides au paiement – 20 % de la masse salariale brute – pour ceux qui perdent plus de 30 % de leur chiffre d’affaires.

Les acteurs se sont souvent constitués en association et peuvent, à ce titre, bénéficier des mêmes aides.

Un travail est engagé par le ministre Jean-Baptiste Lemoyne, aux côtés des acteurs économiques de la filière, pour valoriser les classes de neige et de découverte. Un catalogue des séjours est en cours de constitution pour améliorer la communication et la lisibilité de l’offre.

Par ailleurs, un catalogue national des structures d’accueil et de l’hébergement sera mis à disposition des professeurs pour faciliter l’organisation des sorties scolaires avec nuitées.

Ce sont autant de moyens pour renforcer les dynamiques croisées économiques et culturelles.

Enfin, je veux rappeler le dispositif « colos apprenantes », lancé en 2020 et poursuivi en 2021. Ces séjours collectifs de mineurs, labellisés par le ministère de l’éducation nationale, ouverts à toutes les familles, seront reconduits en 2022, comme l’a annoncé le Premier ministre voilà quelques jours. Les zones de montagne et les zones rurales que vous évoquez pourront ainsi encore bénéficier de cet effort.

mesures de soins sous contrainte dans le nord

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, auteure de la question n° 2145, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Martine Filleul. La Commission des citoyens pour les droits de l’homme (CCDH), spécialisée dans la santé mentale, nous informe de la situation inquiétante dans le département du Nord concernant les mesures de soins sous contrainte prises à la demande des directeurs d’établissements de santé psychiatrique.

En application des articles L. 3212-1 et L. 3212-3 du code de la santé publique, deux procédures peuvent être utilisées à titre exceptionnel : l’urgence ou le péril imminent.

Dans le Nord, 90 % des soins sous contrainte décidés par les directeurs d’établissements sont des mesures d’urgence – 63 % des cas – ou de péril imminent – 27 % des cas. L’exception est donc devenue la règle.

Par ailleurs, l’obligation légale selon laquelle les hôpitaux psychiatriques doivent être visités au moins une fois par an, sans publicité, par le représentant de l’État dans le département et par le président du tribunal judiciaire, ainsi que par le procureur de la République et par le maire de la commune n’est pas non plus respectée : la majorité des établissements du Nord n’ont pas fait l’objet de ces visites de contrôle.

Madame la ministre, quelles sont les mesures prévues par le Gouvernement pour faire respecter ces dispositions et s’assurer ainsi du respect des droits fondamentaux des patients admis dans ces établissements ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Martine Filleul, les chiffres de l’année 2020 sur lesquels vous vous êtes appuyée ne semblent pas présenter de différence majeure avec les autres départements de la région Hauts-de-France ni même avec la moyenne nationale en matière d’admission en soins sur décision du directeur d’établissement (SDDE).

Ainsi, les mesures de péril imminent représentaient, cette année-là, 27 % des mesures de soins sous contrainte pour le département du Nord, contre 34 % pour la région Hauts-de-France et environ 33,76 % au niveau national.

Le pourcentage sur votre département ne paraît donc ni démesuré ni plus alarmant eu égard aux besoins avérés et aux pratiques dans la région et à l’échelle nationale.

En outre, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté souligne dans son rapport que près de 60 % des admissions en soins sans consentement sont initiés dans un service de médecine d’urgence dans notre pays.

Les visites du Contrôleur général ont mis en évidence que, dans la plupart des établissements en France, les admissions en soins sur demande d’un tiers en urgence (SDTU) ou en soins en cas de péril imminent (SPI) sont toujours prépondérantes parmi les SDDE.

Par ailleurs, les établissements de santé des Hauts-de-France habilités pour l’accueil de patients en soins psychiatriques sans consentement font l’objet d’un contrôle régulier par les services de l’agence régionale de santé, qui disposent, pour ce faire, de toutes les informations utiles.

En outre, la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) effectue a minima deux visites par an au sein des établissements de santé, comme l’exige l’article L. 3222-4 du code de la santé publique.

Enfin, le procureur de la République a bien effectué les visites prévues en 2020 dans les établissements de psychiatrie du Nord, conformément à la législation en vigueur, et en dépit de la situation sanitaire qui aurait pu, vous en conviendrez, heurter la programmation des contrôles en cette année particulière.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Vous comprendrez mon étonnement, madame la ministre, tant les chiffres que vous nous donnez sont en contradiction avec ceux de la Commission des citoyens pour les droits de l’homme.

Croyez bien que je resterai très attentive à ce que les patients soient traités avec la plus grande bienveillance et protégés de toute dérive. Je veillerai également à ce que les visites prévues aient bien lieu dans les établissements du Nord.

reprise de la collecte de sang en guyane

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, auteure de la question n° 2037, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Alors que l’Établissement français du sang fait état d’une situation très critique, avec des stocks extrêmement bas, les habitants de Guyane et de Mayotte, pour des raisons diverses, ne peuvent toujours pas donner leur sang.

Depuis avril 2005, un arrêté préfectoral a mis un terme à la collecte de sang sur le territoire guyanais en raison de la présence de la maladie de Chagas, laquelle pose un véritable problème de santé publique sur le continent sud-américain et en Amérique latine, où 15 à 20 millions de personnes sont infectées.

Entre janvier 1990 et mars 2005, quinze cas humains de la maladie de Chagas ont été diagnostiqués, dont six aigus, en Guyane. C’est néanmoins sur cette base que la préfecture a décidé de mettre un terme à la collecte de sang sur le territoire.

Une étude du Haut Conseil de la santé publique de mars dernier indiquait que la maladie de Chagas « a été très rarement notifiée chez des cas humains en Guyane » et que « cette parasitose ne constitue pas un problème de santé publique en Guyane ».

Plus de quinze ans après l’arrêt de la collecte de sang, d’importants progrès ont été réalisés en matière de détection de la maladie de Chagas. La transmission par transfusion sanguine peut désormais être évitée par un dépistage systématique des dons de sang.

La Guyane, grâce à l’Institut Pasteur, dispose depuis 2016 d’un laboratoire P3+ capable d’identifier les virus à l’origine de syndromes cliniques graves, comme la maladie de Chagas.

Ce dépistage est aujourd’hui pratiqué dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, au Japon et au Brésil, où 100 % des donneurs de sang sont ainsi dépistés depuis 1995.

Madame la ministre, je sais votre gouvernement favorable à une égalité de traitement des citoyens sur l’ensemble du territoire national. Aussi, pouvez-vous m’indiquer quels leviers vous comptez mettre en place pour restaurer une véritable politique de collecte de sang en Guyane ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Phinera-Horth, la reprise de la collecte de sang en Guyane présenterait l’avantage de reconstituer un pool disponible localement, tout en renforçant à l’échelle nationale un vivier de donneurs de phénotypes sous-représentés dans la population courante des donneurs de sang. Cela nous permettrait également de mieux répondre aux besoins transfusionnels des receveurs, notamment dans les Antilles.

Pour envisager cette reprise, la direction générale de la santé (DGS) a demandé à Santé publique France de réaliser une analyse de la situation épidémiologique dans ce territoire. Cette étude, réalisée en août 2021, montre que la Guyane reste particulièrement exposée à des risques infectieux pouvant affecter la sécurité transfusionnelle. Elle cite notamment le VIH, le HTLV, la dengue et le virus de l’hépatite B. Pour ce seul dernier virus, on peut craindre une perte de 5 % des poches de sang, ce qui n’est pas anecdotique.

De plus, conformément aux critères de sélection des donneurs de sang, les donneurs ayant séjourné en Amérique latine ou de retour de zones endémiques présentant des risques de maladie de Chagas peuvent également faire l’objet de contre-indications pour ces raisons de santé publique.

Par ailleurs, la Guyane est particulièrement touchée par l’émergence d’arboviroses en raison de la présence de vecteurs, d’un climat tropical et d’une proximité géographique avec les zones endémiques.

Ce territoire comptait 294 146 habitants au 1er janvier 2021. Selon ce chiffre, et compte tenu de la structuration de la population par tranches d’âge, il pourrait être attendu une collecte d’environ 7 000 dons par an, sans préjuger la perte de dons liés à la présence d’agents infectieux. Cela n’est donc pas négligeable, tant s’en faut, mais nous privilégions la sécurité sanitaire pour l’instant.

Ce territoire reste particulièrement vulnérable aux risques infectieux pouvant affecter la sécurité transfusionnelle. Il est également menacé par les épidémies d’arbovirus, ce qui justifie en soi une mise en œuvre et une adaptation agile de mesures de prévention comme le dépistage génomique viral, voire l’arrêt total de la collecte. Au regard de ces éléments, la reprise de la collecte en Guyane apparaît risquée ; elle n’est donc pas à l’ordre du jour.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Bien évidemment, elle reprendra dès que les conditions épidémiologiques, qui font l’objet d’un suivi régulier, seront réunies.

constatation des décès à domicile

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 2071, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Édouard Courtial. Madame la ministre, il est huit heures quinze lorsque Mme la maire est appelée à la suite d’un décès à domicile. À huit heures trente-huit, les gendarmes arrivent sur les lieux, rejoints à huit heures quarante-cinq par Mme la maire. Il est dix-sept heures trente – vous avez bien entendu ! – lorsque le décès est enfin constaté et prononcé par un médecin.

C’était le 27 décembre dernier, à Airion, dans l’Oise. Permettez-moi d’avoir ici une pensée pour la maire, Sandrine Boulas-Dretz. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé, loin de là. J’ai ainsi également une pensée pour le maire de Verberie, Michel Arnould, confronté lui aussi à une situation semblable.

Pendant ces heures interminables, des centaines de numéros ont été composés, en vain. Aucun médecin n’était disponible, pas même le 15, alors que leur présence est une obligation légale. C’est l’autre face, moins visible, que nous refusons d’affronter, de la désertification médicale.

Ce problème n’est pas nouveau, mais il prend des proportions qui dépassent l’entendement. Pourtant, le vieillissement de la population, combiné au choix du maintien à domicile, va entraîner une multiplication des cas de décès chez l’habitant.

Or, au-delà des considérations élémentaires de dignité de la personne humaine, la famille arrivant sur les lieux sans qu’il lui soit permis de voir le disparu, ces cas soulèvent deux problématiques principales auxquelles il faut apporter très rapidement des réponses.

D’une part, c’est l’incompréhension qui domine face au manque de médecins, voire devant le refus de certains de se déplacer faute d’indemnisation. Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir a minima un dédommagement et une astreinte ou autoriser des internes à pratique cet acte, mobiliser les médecins retraités ou encore déléguer cette tâche aux médecins des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ?

D’autre part, certains maires se retrouvent en détresse, esseulés face à une tâche difficile à laquelle personne ne les a préparés. Aussi, il faut mieux accompagner les élus en renforçant sans attendre leur formation, en prévoyant une procédure claire, en lien avec chaque préfecture, et en fournissant au moins la liste des médecins et un contact de permanence à l’agence régionale de santé (ARS).

Madame la ministre, entendez les élus, qui sont en première ligne, et prenez enfin les mesures nécessaires pour inverser cette tendance inacceptable qui en dit long sur le chemin que semble emprunter notre société, où la mort doit rapporter.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Édouard Courtial, je vous remercie de votre question, qui renvoie à un problème auquel je suis moi-même confrontée en tant qu’élue d’un territoire très rural.

Le ministère de la santé est bien sûr particulièrement sensible aux difficultés rencontrées par nos concitoyennes et concitoyens depuis plusieurs années sur cette thématique.

Le code général des collectivités territoriales a ainsi été modifié par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé pour permettre aux médecins retraités, aux étudiants de troisième cycle, ainsi qu’aux praticiens disposant d’un diplôme étranger hors Union européenne, à partir de la deuxième année de leur parcours de consolidation, d’établir des certificats de décès.

Un tel certificat est avant tout un document médical, loin d’être anodin, qui implique un diagnostic sur les causes de décès après examen du corps du défunt. Ce diagnostic est d’autant plus important qu’il est utilisé à la fois pour la veille sanitaire et pour déceler les besoins éventuels d’ouverture de procédures.

Les données figurant sur les certificats de décès sont utilisées pour établir les statistiques de décès et servent à identifier des alertes de santé publique de nature à justifier des mesures de prévention, voire d’investigation.

Ce document a par ailleurs des conséquences sur les opérations funéraires qui vont suivre, dans la mesure où un obstacle médico-légal pourrait les retarder.

Les médecins ont été formés à évaluer la présence ou non d’un obstacle médico-légal, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans la formation des pompiers ou des infirmiers.

Pour l’ensemble de ces raisons, une évolution nouvelle des catégories de professionnels susceptibles d’établir un certificat de décès n’est pas actuellement envisagée. Néanmoins, toute solution intermédiaire pour faciliter une prise en charge complémentaire est la bienvenue, tant qu’elle respecte les impératifs que j’ai pu mentionner.

Aussi, monsieur le sénateur, nos services sont intéressés par toute suggestion – vous en avez fait quelques-unes – ou expérimentation que vous pourriez être amené à conduire sur votre territoire.

autorisation d’exercice pour les titulaires d’un diplôme d’état de docteur en médecine obtenu dans un pays non membre de l’union européenne

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, auteure de la question n° 2096, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Nadine Bellurot. Madame la ministre, je souhaite interroger le Gouvernement sur la procédure de demande d’autorisation d’exercice de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste, de sage-femme et de pharmacien par les praticiens titulaires de diplômes obtenus hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (Padhue) et justifiant de fonctions rémunérées en tant que professionnels de santé en France.

Conformément au décret du 7 août 2020, il revient à la directrice générale du Centre national de gestion (CNG), au nom du ministre de la santé, d’homologuer – pardonnez-moi ce terme ! – ou pas ces demandes.

Mon attention a été appelée par un praticien attaché associé à temps plein, de nationalité française, qui exerce au sein du service des urgences du centre hospitalier de Châteauroux depuis 2015, et qui est titulaire d’un diplôme d’État obtenu hors Union européenne. Depuis 2021, il bénéficie d’une attestation dérogatoire et temporaire.

Désormais, son dossier est instruit par le Centre national de gestion. L’ARS a fait sa proposition depuis plusieurs mois. Son attente est d’autant plus longue qu’il a un projet d’installation dans notre département, qui est rural et, à ce titre, extrêmement touché par la désertification médicale.

Madame la ministre, combien de dossiers, selon les catégories de professions, sont en attente d’instruction ? On m’a parlé de 3 000 à 4 000 dossiers en souffrance. Quel est le calendrier des commissions nationales d’autorisation d’exercice (CNAE), sachant qu’il ne reste que quelques mois avant le 31 décembre 2022 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Nadine Bellurot, vous m’interpellez sur la procédure d’autorisation d’exercice des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens titulaires de diplômes obtenus hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, et justifiant de fonctions rémunérées.

Ce dispositif transitoire s’adresse uniquement à des praticiens justifiant de fonctions en tant que professionnels de santé en France. Il doit permettre de vérifier les compétences des Padhue.

Il prévoit ainsi que les dossiers des médecins soient examinés par une commission régionale, puis par une commission nationale réunie sous l’égide du Centre national de gestion (CNG). Pour les autres professions, les dossiers sont examinés uniquement par une commission nationale.

En application de ce dispositif transitoire, 4 500 dossiers ont été déposés auprès des ARS entre le 1er novembre 2020 et le 29 octobre 2021. Fin janvier, environ 790 dossiers ayant reçu un avis des commissions régionales d’autorisation d’exercice avaient été transmis au CNG.

Les commissions nationales d’autorisation d’exercice ont commencé à se réunir depuis le mois de novembre et une centaine d’avis ont été rendus, avec plus de 70 % d’avis favorables. Ainsi, quatorze commissions ont été organisées entre fin novembre et mi-décembre 2021, en particulier dans les spécialités en tension : anesthésie-réanimation, médecine d’urgence, gériatrie, psychiatrie, gynécologie…

Le calendrier des prochaines commissions nationales est en cours d’actualisation et d’intensification pour pallier les retards. Le rythme actuel, planifié en accord avec les ordres professionnels, est de douze à seize commissions par mois, soit une réunion tous les deux ou trois jours. On constate donc une nette accélération. Il importe de trouver un équilibre entre l’impératif de l’examen et l’exercice quotidien des membres de ces commissions.

Le délai de passage en commission dépend par ailleurs de plusieurs facteurs, tels que la tension sur la spécialité concernée et la nécessité de gommer les disparités entre les différentes régions. La date de dépôt auprès des ARS n’est donc pas un critère déterminant de l’ordre de passage en CNAE. L’ensemble de ces critères sont évalués au regard de l’urgence.

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour la réplique.

Mme Nadine Bellurot. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse très précise.

J’avais écrit au ministre des solidarités et de la santé et à la directrice du CNG, mais je n’avais même pas reçu un accusé de réception. Il aura donc fallu une question orale pour obtenir les éléments nécessaires à mes interlocuteurs !

plateformes de coordination et d’orientation et disparition du travail institutionnel

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 2107, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Élisabeth Doineau. Cette question orale me permet d’alerter le Gouvernement sur le désarroi des professionnels qui travaillent dans les centres médico-psychologiques (CMP) et médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Ces professionnels sont malheureux, car ils ont le sentiment de mal pratiquer leur métier.

Les orthophonistes, les psychomotriciens, entre autres professionnels, nous alertent sur leur disparition progressive en milieu hospitalier ou médico-social. Ainsi, les orthophonistes exercent prioritairement, et pas en nombre suffisant, dans le secteur libéral, ce qui les prive d’une approche pluridisciplinaire indispensable au moment du diagnostic ou au cours du suivi des enfants et des adolescents.

Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2018 a conduit à la création des plateformes de coordination et d’orientation, qui se mettent progressivement en place. Leur objectif est tout à fait louable, mais c’est une solution a minima. Dans la pratique, les professionnels observent, et ils nous en alertent, une sorte de tri des enfants en fonction de leurs troubles, des orientations chez des praticiens libéraux déjà submergés, ce qui retarde la prise en charge, et l’application d’un forfait qui n’est pas forcément en lien avec les besoins de l’enfant.

On assiste donc à une « désinstitutionnalisation » du soin, amplifiée par la faible attractivité de la profession en fonction publique hospitalière – il s’agit d’un véritable problème ! – ou dans les établissements médico-sociaux du fait de la faiblesse des salaires.

Vous le savez, madame la ministre, les problématiques touchant les enfants sont multiples : troubles du langage ; retards psychomoteurs ; troubles psycho-affectifs ; pertes de repères ; environnement social et familial difficile. C’est pourquoi je tente de vous alerter sur cette difficulté et de vous faire prendre conscience du grand malaise de ces professionnels.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, nous sommes tous conscients des particularismes et des difficultés de chacune des catégories que vous évoquez. La question de l’accès aux soins est une pression constante exercée sur le Gouvernement.

Des efforts importants sont conduits en faveur des orthophonistes et des psychomotriciens. En dix ans, le nombre d’orthophonistes a augmenté de plus de 30 %, passant de près de 21 000 en 2012 à plus de 27 000 en 2021. Le nombre de psychomotriciens a crû dans la même période de 80 %, passant de près de 8 000 à plus de 15 000. Le nombre d’orthophonistes exerçant comme salariés hospitaliers a augmenté de 38 % et celui de psychomotriciens de 50 %.

En outre, les orthophonistes salariés ont dernièrement bénéficié d’une revalorisation statutaire à l’occasion du Ségur de la santé, ce qui a permis de renforcer l’attractivité de leur métier. Concrètement, en plus des 183 euros net mensuels, ces agents ont gagné en moyenne 19 points d’indice, soit environ 75 euros net supplémentaires par mois, grâce au reclassement sur les nouvelles grilles.

Ce gain de rémunération s’accompagne d’une dynamisation de leur parcours en début de carrière avec le raccourcissement de plusieurs échelons du premier grade et de meilleures perspectives en fin de carrière, avec un sommet de grille désormais situé 106 points au-dessus de ce que prévoyait l’ancienne, soit un gain d’environ 411 euros net par mois.

Par ailleurs, pour garantir un accès effectif dans les meilleurs délais, l’ouverture progressive de l’accès direct aux orthophonistes a été amorcée.

Comme vous le savez, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit une expérimentation permettant aux orthophonistes d’exercer leur art sans prescription médicale pour une durée de trois ans dans six départements.

Ce sont autant d’éléments qui renforceront, à terme, l’attractivité de ces métiers essentiels pour l’accompagnement pluridisciplinaire de nos jeunes.

nécessité d’élargir le champ des professionnels de santé pouvant prétendre à l’exercice de la fonction d’assistant médical

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la question n° 2109, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Daniel Gremillet. Madame la ministre, je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’élargir le champ des professionnels de santé pouvant être dispensés de formation pour exercer la fonction d’assistant médical.

Créée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et la transformation du système de santé, cette nouvelle profession doit permettre aux médecins de libérer du temps médical et de renforcer l’accès aux soins, ainsi que leur qualité. Elle est également une nouvelle voie pour certains professionnels de la santé, qui peuvent y accéder sur simple formation d’adaptation à l’emploi dans le champ de l’organisation et de la gestion administrative d’un cabinet médical.

Ainsi, selon l’arrêté du 7 novembre 2019 relatif à l’exercice de l’activité d’assistant médical, les détenteurs d’un diplôme d’État d’infirmier, d’aide-soignant ou d’auxiliaire de puériculture sont autorisés à exercer auprès d’un médecin la fonction d’assistant médical sans se soumettre aux heures de formation du certificat de qualification professionnelle d’assistant médical.

C’est une mesure de bon sens et une opportunité pour les infirmières, les aides-soignantes et les auxiliaires de puériculture qui souhaitent entreprendre cette évolution professionnelle. Néanmoins, ce ciblage précis des professionnels de santé autorisés à exercer cette fonction a pour corollaire l’exclusion d’autres professionnels de santé de la dispense de formation prévue par l’arrêté du 7 novembre 2019.

Il en va ainsi des sages-femmes, qui, bien que disposant de larges compétences dans le domaine des soins de santé, doivent, en théorie, se soumettre à l’ensemble des heures de formation.

Aussi, madame la ministre, je souhaiterais savoir si le Gouvernement envisage de faire évoluer le champ des professionnels de santé visés par l’arrêté du 7 novembre 2019 pour y inclure, en particulier, les sages-femmes.

Plus largement, ne serait-il pas logique de permettre à d’autres professionnels d’exercer le métier d’assistant médical sans formation spécifique, dès lors qu’ils peuvent déjà se prévaloir de larges savoir-faire et compétences au regard de leur qualification professionnelle initiale ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Daniel Gremillet, le déploiement du métier d’assistant médical est l’une des mesures phares du plan Ma santé 2022. Ce métier, qui n’est pas une profession de santé, a été créé pour redonner du temps aux médecins libéraux en les déchargeant de tâches ne relevant pas directement du soin pour se concentrer sur le cœur de leur mission.

L’arrêté du 7 novembre 2019 liste les qualifications professionnelles ouvrant le droit d’exercer comme assistant médical, à l’issue d’une formation à l’organisation et à la gestion administrative d’un cabinet libéral, à des professions paramédicales déjà aptes à occuper ces fonctions au regard de leurs diplômes et de leurs compétences.

Afin de garantir une meilleure montée en puissance de ce dispositif, nous assurons un suivi très précis des profils dits soignants, qui sont en constante augmentation dans les effectifs.

Il faut savoir que les missions confiées aux assistants médicaux peuvent consister principalement en certaines tâches administratives, sans lien direct avec le soin : préparer le déroulement de la consultation ou encore exercer une mission d’organisation ou de coordination. Ces missions ne sont pas limitatives et sont laissées à l’appréciation des praticiens.

Vous suggérez d’étendre le champ des professions de santé ayant un accès facilité à la profession d’assistant médical, en particulier au bénéfice des sages-femmes. Mais ces dernières relèvent déjà des professions médicales, au même titre que les médecins et les chirurgiens-dentistes. Dotées d’un pouvoir de diagnostic et d’un droit de prescription, les sages-femmes constituent une profession médicale à part entière à compétences définies.

L’exercice maïeutique, pour reprendre votre exemple, est différent de celui d’un assistant médical, qui paraît plus adapté à des reconversions de personnels du paramédical ou de secrétaires médicaux.

Toutefois, si l’exemple que vous prenez devait devenir de plus en plus prégnant, nous évaluerions les perspectives d’évolution en la matière, mais cela nous semble demeurer relativement anecdotique. Par ailleurs, nous ne nous heurtons pas, à ce stade, à des difficultés majeures de recrutement d’assistants médicaux.

dépistage du covid par des chiens renifleurs

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, auteur de la question n° 2127, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Sabine Drexler. Grâce au flair d’une équipe de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, une méthode fiable de détection de la covid et de ses variants a été mise au point. Il s’agit du projet Nosaïs.

L’odorat des chiens est 5 000 fois plus puissant que celui de l’homme. Cette faculté leur permet déjà la détection d’explosifs, de stupéfiants, de billets de banque ou de personnes égarées.

Ces chiens, qui reçoivent une formation simple et rapide, sont de vrais auxiliaires de santé. Ils sont d’ailleurs déjà employés pour le dépistage précoce du cancer, des crises de diabète ou d’épilepsie. Aujourd’hui, ils peuvent aussi détecter la covid en reniflant une lingette imprégnée de sueur. Le taux de fiabilité de cette méthode, certifiée par de nombreuses études, est de 95 %, pour un coût 75 fois moins élevé que celui d’un test PCR.

Le Premier ministre a apporté un soutien de principe à cette solution de dépistage. Pourtant, elle n’est toujours pas officiellement reconnue par les autorités de santé.

Madame la ministre, il faut compter entre 2 000 et 3 000 euros pour former un chien. Depuis deux ans, grâce à des soutiens privés, des associations, comme Handi’chiens, et des maîtres-chiens forment leurs animaux à la détection de la covid. Ce type de dépistage est gratuit, non invasif ; il a fait ses preuves partout où il a été testé.

Dès lors, pourquoi le projet Nosaïs, projet français reconnu par l’OMS, fiable et peu coûteux, ne bénéficie-t-il pas de financements publics qui lui permettraient de se développer à une plus grande échelle, partout où cela est possible ? Pouvez-vous vous engager à faire le nécessaire afin que ce projet soit très vite validé par la Haute Autorité de santé ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Sabine Drexler, le ministère porte une attention particulière à tout ce qui permettra de répondre à l’ensemble de nos besoins dans le cadre de notre stratégie de dépistage.

Toutes les options ont été étudiées pour définir cette stratégie. L’utilisation d’un dépistage par des chiens spécifiquement formés pourrait être utile et complémentaire lorsqu’un contrôle itératif est complexe à organiser – je pense notamment à certaines personnes en situation de handicap –, ou pour des lieux de passage importants, comme les gares, les aéroports, les stades.

Plusieurs études ont montré le potentiel théorique associé au dépistage canin, sans que la performance en situation réelle et la capacité de mise en œuvre effective d’un tel dépistage soient pour autant à ce jour démontrées.

Dans un contexte contraint en nombre de chiens et d’accompagnateurs formés, par ailleurs mobilisés sur d’autres champs de détection, notamment en matière de sécurité, il est important de déterminer au préalable l’intérêt et le positionnement associés à une telle démarche au regard de ses contraintes de mise en œuvre.

Par ailleurs, il semblerait que le recours au dépistage canin soit susceptible de heurter davantage la population par endroits, dans ce contexte de gestion de crise.

Je rappelle que les recherches cliniques associées à la lutte contre la pandémie peuvent faire l’objet d’un examen dans une instance collégiale dénommée Capnet, qui est un comité ad hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur la covid-19. Ses décisions sont notamment fondées sur l’évaluation scientifique des avis du conseil scientifique. Cette instance est chargée d’identifier les leviers à mobiliser, qu’il s’agisse de la réduction des délais d’autorisation de dossiers ou des financements publics.

Lors de nos échanges avec l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, nous avons rappelé le cadre de travail de ce comité et les perspectives à ce sujet. Nous les accompagnons et les soutenons pour avancer dans leur démarche.

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Les tests réalisés en France ont coûté 1,6 milliard d’euros, rien qu’en janvier. Il faudrait absolument pouvoir se saisir de cette possibilité de lutte contre la pandémie.

attractivité des carrières hospitalo-universitaires

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 2089, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Véronique Guillotin. Ma question porte sur les carrières hospitalo-universitaires, filières d’excellence mal reconnues.

Fers de lance de la recherche biomédicale française et gages de la qualité des soins dans nos CHU, ces carrières souffrent d’une nette désaffection. En témoignent les nombreuses démissions et les difficultés rencontrées pour combler les postes vacants.

Ce recul ne surprend personne dans le milieu. Ces carrières sont exigeantes et demandent un investissement personnel sur le long terme, avec un temps de travail plus important, et souvent une mobilité à l’étranger. Le retard salarial accumulé est évalué à près de 300 000 euros à l’âge de 40 ans, avec un accès inférieur aux congés et à la retraite.

Je suis autorisée à vous présenter un exemple concret, celui de Thomas, jeune membre de la très active Association Médecine/Pharmacie-Sciences, qui écoutera d’ailleurs votre réponse avec attention. Après une thèse de neurosciences à l’université d’Oxford, Thomas a débuté son internat à 30 ans, avec un salaire de moins de 2 000 euros pendant quatre ans. Il occupe aujourd’hui l’un des quatre postes de chef de clinique-recherche promus par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Sa situation reste néanmoins peu enviable : jeune père en CDD, son salaire ne lui permet même pas d’emprunter pour acheter un logement.

Vous comprendrez que cette situation soit peu attractive. Ils sont ainsi nombreux à se tourner vers des postes similaires à l’étranger ou vers des postes mieux rémunérés en France, mais sans la valence recherche.

Il existe toutefois des solutions très concrètes pour revaloriser ces postes d’excellence. Leur accès étant particulièrement retardé par rapport aux autres, il serait logique, et souhaitable, de valoriser les engagements préalables, en prenant en compte les années de recherche et de mobilité internationale dans le calcul de l’ancienneté.

J’aimerais connaître la position de votre ministère sur cette proposition, qui permettrait de relancer l’attractivité de ces carrières et de lutter contre cette fuite des cerveaux, qui nuit à la qualité de la médecine française.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, l’accord du Ségur de la santé, signé le 13 juillet 2020, prévoyait une réflexion sur le réaménagement des grilles hospitalières des personnels enseignants et hospitaliers.

Un groupe de travail a donc été mis en place dès novembre 2020 et vingt-quatre mesures issues de ses travaux ont été actées et présentées par le Gouvernement le 12 juillet 2021. L’une d’entre elles comporte la revalorisation des émoluments hospitaliers des maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH) et des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH). Cette revalorisation est intervenue le 1er janvier 2022 avec un réaménagement des grilles dès la nomination dans leur corps.

En parallèle, il est prévu de créer en 2022 une prime d’enseignement supérieur et de recherche pour reconnaître et valoriser l’investissement des personnels enseignants et hospitaliers.

Par ailleurs, le décret relatif au personnel enseignant et hospitalier exerçant en CHU, pris en décembre dernier, rénove le statut des personnels enseignants et hospitaliers et concrétise des mesures importantes pour l’attractivité de ces carrières.

Cela passe tout d’abord par la prise en compte, sous la forme d’une bonification d’un an, des diplômes de thèse de médecine, d’odontologie et de pharmacie. D’autres mesures issues du groupe de travail consacré à l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires entreront aussi en vigueur dans les prochains mois.

Nous souhaitons notamment faciliter la préparation des concours et l’entrée en carrière hospitalo-universitaire. Pour ce faire, nous pourrons prendre en compte les mobilités effectuées lors du deuxième cycle de ces études pour valider les conditions à remplir pour se présenter aux concours de MCU-PH et de PU-PH et nous renforcerons le dispositif de l’« année-recherche ».

Enfin, nous assouplirons les dispositifs de mission temporaire et de délégation pour améliorer l’accompagnement des jeunes praticiens en parcours hospitalo-universitaire.

L’ensemble de ces mesures, proposées par ce groupe de travail particulièrement concerné, permettront d’œuvrer au renforcement de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires.

professionnels du secteur social et médico-social exclus du ségur de la santé

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, en remplacement de M. Christian Redon-Sarrazy, auteur de la question n° 2142, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, madame la ministre, je m’exprime au nom de M. Christian Redon-Sarrazy, qui ne pouvait être présent ce matin.

À la suite de la première vague de la covid-19 en 2020, les accords conclus au terme du Ségur de la santé ont permis des revalorisations de salaire pour certaines catégories de personnels, ce dont je me félicite.

Malheureusement, certains en restent exclus : ceux que l’on a pris l’habitude de qualifier d’« oubliés du Ségur de la santé ». Mesurez bien, madame la ministre, la résonance de cette expression en matière de gestion des ressources humaines : les oubliés !

Dans la filière médico-sociale de la fonction publique territoriale, nombreux sont les personnels qui font partie des oubliés et qui continuent d’être ignorés par votre gouvernement.

Les animateurs en résidence autonomie effectuent le même travail que leurs collègues de la fonction publique hospitalière ou territoriale qui exercent dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ils sont au contact direct de nos personnes âgées depuis le début de la pandémie, comme nombre de leurs collègues des fonctions supports ou administratives. Déjà exténués par deux ans de pandémie, ils continuent de s’engager dans un combat qu’ils qualifient eux-mêmes d’épuisant.

Dans le département du sénateur Redon-Sarrazy, la Haute-Vienne, les personnels d’une résidence autonomie publique ont alerté directement le ministre des solidarités et de la santé à plusieurs reprises.

Leur expérience fait écho à celle de collègues travaillant dans les établissements non médicalisés de la fonction publique territoriale : ils voient aujourd’hui leur carrière décrocher pendant que leurs collègues travaillant en Ehpad bénéficient de la revalorisation salariale du Ségur, laquelle, je le redis, est une bonne chose.

Cette assemblée a alerté le Gouvernement à plusieurs reprises, mais vous continuez de nier cette réalité. Au-delà de la reconnaissance de l’abnégation de ces personnels, il s’agit de veiller à ce que les personnes âgées, fragiles et vulnérables qui vivent dans ces résidences autonomie aient à leurs côtés des professionnels engagés et pleinement reconnus.

Madame la ministre, mes questions sont simples : quand votre gouvernement reconnaîtra-t-il l’engagement dont ont fait preuve les animateurs territoriaux de ces établissements depuis le début de la crise sanitaire ? Que prévoyez-vous pour saluer le dévouement sans faille de celles et ceux qui assurent la continuité de cette mission de service public ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame, je vais tenter de répondre posément à la question de M. le sénateur Christian Redon-Sarrazy, que vous représentez ce matin, mais tout de même : après des décennies de stagnation salariale dans le secteur médico-social, notre gouvernement a fait le choix de rompre avec ses prédécesseurs, ce que nous assumons pleinement – je dirais même que nous en sommes très fiers !

Les professionnels de ce secteur se sont particulièrement illustrés durant la crise sanitaire par leur grande résilience et leur action, et ce même si l’on continue aujourd’hui de les bafouer.

C’est pour reconnaître leur engagement auprès des personnes âgées, que je salue à nouveau, que nous avons décidé d’instaurer prioritairement un complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros net par mois pour les personnels hospitaliers et ceux des Ehpad.

La mesure a ensuite été étendue à l’ensemble des personnels des établissements pour personnes âgées via la signature de trois accords de méthode successifs, dits « Laforcade ».

Dans ce cadre, un premier accord a été signé le 11 février 2021 pour revaloriser l’ensemble des personnels non médicaux des établissements médico-sociaux rattachés aux établissements publics de santé ou aux Ehpad relevant de la fonction publique hospitalière.

Un deuxième accord a été conclu avec les professionnels des établissements publics autonomes : un nouveau protocole a été signé le 28 mai dernier pour tous les personnels soignants, accompagnants éducatifs et sociaux, titulaires et contractuels des structures financées par l’assurance maladie – ce protocole est entré en vigueur le 1er octobre dernier.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 étend la mesure aux personnels soignants, auxiliaires de vie sociale, aides médico-psychologiques ou accompagnants éducatifs et sociaux exerçant en accueil de jour autonome et dans les résidences autonomie, que vous venez de citer.

Dans trois jours se tiendra une conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social afin de fixer un cap et une méthode pour renforcer l’attractivité de ces métiers.

De plus, le Haut Conseil du travail social, que j’ai eu l’honneur de présider, a élaboré un « livre vert » contribuant à reconnaître et valoriser ces métiers et ces professionnels, qui, je le rappelle, dépendent essentiellement des départements. Ce document nous sera remis en mars prochain, à l’occasion de la journée mondiale du travail social, et servira d’appui à la mise en œuvre de nouvelles actions.

Nous faisons ainsi en sorte qu’il n’y ait plus aucun oublié, et que les oubliés d’antan soient les revalorisés d’aujourd’hui.

démographie médicale

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 2032, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Annie Le Houerou. Madame la ministre, ma question porte sur la désertification médicale de nos territoires.

Plus d’un Français sur dix ne parvient pas à trouver de médecin traitant. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), cette situation constitue une injustice sociale qui frappe d’abord les plus précaires. En effet, ces derniers ont jusqu’à huit fois plus de risques de renoncer à des soins dans les zones très sous-dotées en médecins.

Dans les Côtes-d’Armor, à Guingamp, par exemple, la menace de fermeture de la maternité et du service de chirurgie de l’hôpital fait craindre une dégradation de l’offre de soins de proximité pour un territoire de 100 000 habitants où l’indice de vieillissement est de 63 % supérieur à la moyenne nationale. Chacun a parfaitement conscience de l’intérêt d’un hôpital de plein exercice pour l’attractivité et la qualité de l’offre de soins en ville et dans les établissements d’accueil des plus vulnérables.

Autre exemple, celui de la commune d’Uzel : dans cette ville située dans le même département, un dentiste tunisien souhaite s’installer pour remplacer un autre dentiste qui quitte le territoire. Malgré la mobilisation de la municipalité, qui appuie son installation, la conformité de son dossier et la demande d’autorisation d’exercice faite auprès du Centre national de gestion en novembre 2021, ladite autorisation ne lui a toujours pas été délivrée et aucune réponse ne lui a été apportée malgré nos relances.

Pour répondre à cette désertification médicale, le Président de la République avait déclaré faire de la formation à la maîtrise de stage universitaire une priorité.

Or, en décembre dernier, le Gouvernement a publié un arrêté limitant drastiquement les possibilités de formation à la maîtrise de stages universitaires, ce qui conduit à une baisse de 200 maîtres de stage et empêche la découverte des territoires, ainsi que la pratique ambulatoire des futurs médecins.

La semaine dernière, le Gouvernement a annoncé, sans plus de précision, qu’il fixerait prochainement des objectifs aux agences régionales de santé (ARS) pour développer et promouvoir en priorité la réalisation de stages ambulatoires dans les zones sous-denses. Qu’en est-il exactement ?

Comment le Gouvernement compte-t-il résoudre la question des déserts médicaux, lever les freins à l’installation de ceux qui le souhaitent et faciliter la mise en œuvre rapide de solutions, lorsqu’elles existent ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Annie Le Houerou, comme vous l’avez rappelé, le défi démographique que nous avons à relever dans nos territoires est grand.

Le nombre de médecins est en baisse régulière depuis 2010. La formation médicale a un rôle à jouer pour accroître le nombre de praticiens. À cette fin, nous mobilisons plusieurs leviers simultanément.

Tout d’abord, nous avons supprimé le numerus clausus, – tout le monde en parlait, mais personne ne l’avait fait – pour former davantage. Ainsi, 86 médecins supplémentaires seront formés chaque année dans les seules facultés bretonnes à l’horizon 2025.

Ensuite, la réalisation de stages en zones sous-denses, rurales comme urbaines, permet aux internes de découvrir les réalités plurielles de nos territoires et leur diversité – il y avait trop peu de stages ces dernières années, vous en conviendrez. Ils sont désormais plus de la moitié à faire au moins un stage en zone sous-dense au cours de leur formation.

Le contrat d’engagement de service public, allocation versée aux étudiants en santé en contrepartie d’une installation dans une zone sous-dense, a également contribué à l’installation de 3 000 jeunes professionnels en zone rurale.

En ce qui concerne la régulation des flux d’internes, nous entamons un rééquilibrage territorial en augmentant le nombre de postes dans les régions, notamment les moins bien dotées en médecins, tout en stabilisant les effectifs dans celles qui sont mieux dotées.

Certaines mesures structurantes demandent davantage de temps pour produire leurs effets : c’est le cas de l’exercice coordonné, qui représente un fort levier d’attractivité.

Au-delà du fait que les maisons de santé représentent un cadre d’exercice très attractif pour les jeunes professionnels, une étude récente démontre la capacité indéniable des médecins travaillant dans ces maisons à accroître leur patientèle.

Dans votre département, vingt-quatre maisons de santé ont ainsi pu ouvrir et six nouvelles sont en projet. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) devraient, quant à elles, passer prochainement de trois à cinq.

Comme vous le savez, nous déployons par ailleurs 400 médecins généralistes dans les territoires prioritaires. Dans votre département, le nouveau zonage permet en outre de faire bénéficier d’une aide de 25 000 euros pour trois ans les nouveaux praticiens exerçant à proximité des 20 % des résidents les plus éloignés des soins.

Tous ces leviers contribueront à favoriser l’attractivité et nous permettront d’accentuer l’offre de soins dans les territoires. C’est la préoccupation constante du Gouvernement.

conséquences de la hausse des prix de l’énergie pour les collectivités

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, auteur de la question n° 2122, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, ma question porte sur l’aggravation très significative des prix de l’énergie à laquelle sont actuellement confrontées nombre de collectivités.

Ces dernières, qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire, doivent faire face à des hausses parfois considérables de leurs factures d’énergie, qui peuvent aller de 50 % à 100 %, voire même à 200 %. Je pense notamment aux collectivités qui ne disposent pas d’un contrat à prix fixe et qui subissent de ce fait une hausse très brutale des prix.

De même, les collectivités dont les contrats arrivent à échéance se trouvent en difficulté pour souscrire de nouveaux marchés à des prix raisonnables. Cette situation amène certaines communes à geler, voire à reporter leurs projets municipaux.

J’ajoute que, dans le même temps, nombre d’acteurs du secteur ne disposent plus d’une trésorerie suffisante pour acheter de l’énergie et la revendre aux collectivités. Ces dernières rencontrent dès lors d’évidentes difficultés pour trouver de nouveaux fournisseurs, ce qui se traduit parfois par une absence de réponse aux appels d’offres qu’elles ont lancés.

En conséquence, il arrive que les collectivités locales soient parfois obligées d’augmenter les impôts pour répercuter la hausse des prix de l’énergie. Cette situation s’ajoute aux problèmes auxquels sont déjà confrontés les ménages et les particuliers.

Monsieur le ministre, envisagez-vous de mettre en place les mesures adéquates, fussent-elles provisoires, pour soutenir et accompagner les collectivités face à cette explosion des prix de l’énergie ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous interrogez Mme Pompili, qui, ne pouvant être présente ce matin, m’a chargé de vous répondre.

Les moyens financiers que l’État mobilise pour faire face à la hausse des prix de l’énergie sont considérables et les mesures que le Gouvernement a prises pour atténuer l’augmentation des prix de l’électricité profitent également aux collectivités territoriales.

La baisse de 95 % de la taxe sur l’électricité à compter du 1er février 2022 aura ainsi un effet très significatif sur les tarifs de l’électricité des collectivités, soumises aujourd’hui au taux maximal. Cette réduction fiscale accordée à l’ensemble des consommateurs constitue un effort particulièrement important de l’État, dont le coût est évalué à 8 milliards d’euros en 2022.

Par ailleurs, l’augmentation du volume de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui passera de 100 à 120 térawattheures, bénéficiera aussi à tous les consommateurs – ménages, entreprises et collectivités.

Les petites collectivités, qui emploient moins de dix personnes et ont moins de 2 millions d’euros de recettes, sont éligibles aux tarifs réglementés de vente (TRV) et peuvent à ce titre bénéficier du bouclier tarifaire.

J’ajoute que la baisse de la fiscalité et l’augmentation des volumes de l’Arenh permettront de limiter le rattrapage éventuel du blocage du tarif à 4 % sur 2023.

Les collectivités profitent donc des mêmes mesures de soutien mises en place par l’État que l’ensemble des consommateurs ayant des profils de consommation comparables.

Le Gouvernement agit également pour réduire les factures des collectivités sur le long terme en incitant aux économies d’énergie. De nombreuses aides ont été mises en place pour la rénovation énergétique, tant en matière d’ingénierie que de concours financiers.

Le plan de rénovation énergétique des bâtiments constitue un axe d’amélioration significatif, récemment renforcé par la création des primes « coup de pouce chauffage » sur les certificats d’économies d’énergie (C2E) pour les bâtiments tertiaires, le renforcement de l’animation et du conseil et le plan de relance.

Mme Pompili et ses services se tiennent évidemment à votre disposition, monsieur le sénateur, pour évoquer ces sujets.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Je me doutais quelque peu de votre réponse concernant les ménages, mais les décisions dont vous avez fait état, notamment la baisse de 95 % de la taxe sur l’électricité ou l’augmentation du volume de l’Arenh, correspondent à des mesures de circonstance qui ne pourront être structurellement reconduites.

Les collectivités vont se retrouver dans une situation de plus en plus tendue du fait des défaillances de la politique énergétique de l’État. Ce ne sont malheureusement pas les dernières annonces, encore une fois très circonstancielles, du chef de l’État qui vont changer les choses.

J’ai bien peur que les collectivités ne se retrouvent, d’ici à quelques années, voire à quelques mois, en réelle difficulté financière.

financements de la france en faveur du climat

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la question n° 2043, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, pour qu’elle ait les moyens de ses ambitions climatiques à court terme, les experts estiment que la France devrait investir 15 milliards d’euros supplémentaires en 2022 et en 2023, ce qui lui permettrait d’y consacrer 100 milliards d’euros en moyenne chaque année d’ici à 2050. Hélas, nous en sommes loin !

Jusqu’à présent, de nombreux secteurs ne font pas l’objet d’investissements suffisamment importants et correctement orientés, à l’image de l’agriculture, de l’industrie et du nucléaire, alors que le coût des dommages liés aux catastrophes climatiques et naturelles, par exemple, ne cesse de croître depuis les années 1970.

Avec France Relance, le Gouvernement promet d’investir 30 milliards d’euros en faveur de la transition écologique à l’horizon 2030. Dans ce cadre, les financements ciblent des dispositifs qui sont aujourd’hui trop limités.

À cet égard, le Haut Conseil pour le climat nous met en garde contre le risque d’un verrouillage des investissements dans des activités bien trop émettrices de CO2 à long terme, ce qui va à l’encontre de notre objectif de décarbonation.

Plus largement, l’investissement public doit s’accompagner de l’élaboration d’un cadre plus favorable aux investissements privés, qui sont aujourd’hui notoirement insuffisants. Le manque de rentabilité des projets, l’existence de freins réglementaires ou l’absence d’offres de financement adéquates sont aujourd’hui en cause.

Pourtant, monsieur le ministre, les besoins sont considérables : pour la seule rénovation thermique des bâtiments, il nous faudrait dépenser plus de 10 milliards d’euros par an.

De tels efforts ne seront possibles que si la France dispose de finances publiques saines et d’une dette soutenable, ce qui permettrait à l’État de sortir d’une vision court-termiste et comptable. Dans ce domaine, la France est aujourd’hui en queue de peloton de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment la France entend se sortir de cette carence coupable ? Quelles perspectives d’investissement, tant public que privé, en faveur du climat le Gouvernement nous propose-t-il ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous interrogez Mme Pompili, qui, ne pouvant être présente ce matin, m’a chargé de vous répondre.

Le financement des investissements nécessaires à court et long terme pour réussir la transition écologique et atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes collectivement fixés est un vrai défi, que le Gouvernement s’efforce de relever depuis le début du quinquennat.

En 2022, nous consacrerons 50 milliards d’euros à la transition écologique et aux mobilités, soit un montant en hausse de 1,6 milliard d’euros par rapport à l’an passé. Il s’agit d’un effort sans précédent qui s’inscrit dans la dynamique écologique enclenchée depuis 2017 et dont les contreparties en termes d’investissement sont bien réelles : 840 000 primes à la conversion et 340 000 bonus écologiques ont ainsi été accordés depuis 2017, et plus de 600 000 de nos concitoyens ont bénéficié de MaPrimeRénov’ depuis 2021 pour près de 9 milliards d’euros de travaux.

Il faut y ajouter les 30 milliards d’euros engagés dans le cadre de France Relance en 2021 et 2022 pour accélérer la transition écologique. Je veux citer l’exemple des 2 milliards d’euros investis dès à présent pour développer l’hydrogène bas-carbone dans le cadre d’une stratégie nationale qui prévoit de mobiliser 7 milliards d’euros d’ici à 2030.

Enfin, il ne faut pas oublier les investissements stratégiques prévus dans le cadre de France 2030 : 8 milliards d’euros pour le secteur de l’énergie, singulièrement celui de l’énergie nucléaire, afin de construire une France décarbonée et résiliente, et 4 milliards d’euros pour les transports du futur, notamment la production de près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides.

diminution drastique de la qualité des services de la sncf dans la région hauts-de-france

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, en remplacement de M. Rémi Cardon, auteur de la question n° 2106, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, je me fais aujourd’hui le porte-parole des usagers des Hauts-de-France, en remplacement de mon collègue Rémi Cardon, sénateur de la Somme, malheureusement empêché ce matin.

Comme vous le savez, dans ce territoire, la situation des transports ferroviaires est catastrophique. Les plans temporaires de réduction des trains mis en place par la SNCF se succèdent et se pérennisent.

En réponse à l’absence d’amélioration du réseau, la région continue de suspendre ses paiements à la SNCF, dans l’attente d’un redressement de la qualité du service.

Mais ce sont les usagers qui sont les premières victimes de cette situation : annulations de trains en cascade, information défaillante des voyageurs, suspension du trafic, retards, lignes de maillage du territoire abandonnées, manque de personnel… Selon la CGT du Nord-Pas-de-Calais, il faudrait au moins 200 postes supplémentaires dans les deux départements pour que les TER fonctionnent correctement.

En 2021, l’Autorité de la qualité de service dans les transports a constaté que les Hauts-de-France étaient la région enregistrant le plus fort taux d’annulation et de retard de notre pays. La qualité de service dans les TER qui y circulent se dégrade au point que le plafond des pénalités pour suppression des trains, qui s’élève à 1,8 million d’euros par an, a été atteint le 8 juin 2021.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour enfin améliorer le service ferroviaire proposé aux usagers des Hauts-de-France ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, je vous demanderai tout d’abord de bien vouloir transmettre mes amitiés à M. le sénateur Cardon.

Je précise d’emblée que ce n’est pas l’État, mais la région, qui organise les services TER dans les territoires. Pour autant, le Gouvernement est très soucieux de la qualité du service ferroviaire.

Depuis septembre 2021, nous savons que le service TER dans les Hauts-de-France est dégradé en raison de difficultés de production et que les usagers sont confrontés à une détérioration de la régularité ou à la suppression de trains.

Cette situation résulte, d’une part, de causes externes à l’entreprise, telles que des bagages oubliés, des accidents de personne ou des heurts, et, d’autre part, de l’indisponibilité des rames, souvent endommagées, ou des personnels, faute de formation suffisante – la crise sanitaire a retardé l’acquisition des savoir-faire – ou en raison de problèmes de recrutement.

SNCF Voyageurs a engagé un plan d’action comprenant, dès novembre 2021, la mise en place d’agents roulants et de maintenance supplémentaires, ainsi que la location de deux locomotives pour assurer les liaisons entre Paris, Amiens et Saint-Quentin.

Ce plan d’action a permis d’enregistrer des résultats encourageants, mais la régularité des TER reste très variable, car la production n’est pas encore suffisamment résiliente face aux plus gros aléas. Cette dynamique doit se poursuivre avec le recrutement d’agents supplémentaires, une homogénéisation du parc et une réindustrialisation de la maintenance. La région a également signé un contrat avec SNCF Réseau afin d’améliorer la performance des infrastructures et de leur exploitation.

Les élus des Hauts-de-France ont toute ma confiance pour suivre ces travaux de la SNCF et prendre les décisions qui préserveront au mieux les intérêts des habitants de la région.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, j’entends vos déclarations de bonne volonté, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions : les usagers des Hauts-de-France attendent la traduction de toutes ces ambitions en actes.

financement des agences de l’eau

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, auteure de la question n° 2132, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Amel Gacquerre. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique et concerne le financement des agences de l’eau.

Les dernières lois de décentralisation ont confié les compétences de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), d’assainissement et d’eau potable aux intercommunalités. Or, une fois de plus, ces transferts n’ont pas été suivis des financements correspondants.

Aussi, en complément des subventions des agences de l’eau, un grand nombre d’intercommunalités ont pris leurs responsabilités et ont instauré une contribution Gemapi, afin d’accélérer leurs programmes d’investissement.

Aujourd’hui, le financement des opérations prévues est menacé en raison de la baisse annoncée des subventions des agences de l’eau.

Pour rappel, en 2018, le Gouvernement a décidé d’accroître l’écrêtement du produit des redevances pour financer les opérateurs du ministère de l’environnement. En 2021, dans le cadre du plan France Relance, le Gouvernement a cette fois-ci fortement mobilisé les crédits des agences pour financer des actions qui n’étaient pas prévues dans leurs programmes pluriannuels.

Depuis ces deux décisions, les agences de l’eau connaissent de graves difficultés financières. Elles ont d’ailleurs indiqué qu’elles seraient contraintes, en l’absence d’un soutien de l’État, de réduire fortement le montant des aides qu’elles accordent aux intercommunalités et à leurs syndicats.

Je crois important d’illustrer mon propos par un exemple tiré de mon territoire, celui de la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, Artois Lys Romane.

En 2021, l’agence de l’eau Artois-Picardie a décidé de réduire son taux de subventionnement des opérations prévues au programme d’actions de prévention des inondations (PAPI). Elle ne subventionnera plus les travaux de renouvellement des réseaux d’eau potable et réduira son soutien à la lutte contre l’érosion.

En conséquence, le syndicat chargé de la préservation de la ressource en eau et de la prévention des inondations perdra en moyenne 3,4 millions d’euros chaque année. Au total, les pertes financières s’élèveront à près de 11 millions d’euros d’ici à 2024.

Pour répondre à ces difficultés, il serait certes possible d’augmenter la contribution Gemapi, mais la préservation du pouvoir d’achat des habitants est une préoccupation majeure de l’ensemble des élus, qui ne veulent pas envisager cette perspective.

La prévention des inondations et la préservation de la ressource en eau sont l’affaire de tous et non des seuls des territoires soumis aux aléas climatiques.

Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que l’État maintiendra les capacités financières des agences de l’eau pour répondre aux engagements qui ont été pris ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous interrogez Mme Pompili, qui, ne pouvant être présente ce matin, m’a chargé de vous répondre.

Comme nous avons pu en débattre le 25 janvier dernier, la mise en œuvre d’un plafond de recettes des agences de l’eau, qui a effectivement été abaissé en 2019, a permis de réduire d’environ 12 % la fiscalité appliquée à l’eau potable.

Ce nouveau plafond a conduit les comités de bassin à baisser le taux des redevances affectées aux agences de l’eau pour éviter d’avoir à reverser le trop-perçu au budget général de l’État. Tel était bien l’objet de cette mesure.

En parallèle de cette baisse, le Gouvernement a mis un terme aux prélèvements sur la trésorerie des agences de l’eau au profit du budget général de l’État.

Ces évolutions ont conduit à réduire le montant total des interventions des agences de l’eau de 12,63 milliards d’euros dans le cadre de leur onzième programme prévu pour la période 2019-2024, ce qui a ensuite nécessité un recentrage des aides.

S’agissant de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, les agences de l’eau restent mobilisées face à cet enjeu majeur qu’est le changement climatique. Les aides consacrées aux programmes d’actions de prévention des inondations ciblent prioritairement les ouvrages qui ont un effet positif sur les milieux naturels et le bon état des masses d’eau.

À titre d’exemple, sur le bassin Artois-Picardie, les taux d’aides s’élèvent à 40 % pour les ouvrages priorisés et à 20 % pour les autres. Le PAPI du bassin de la Lys bénéficiera dans les trois ans de la moitié des crédits réservés aux PAPI du bassin, soit 9 millions d’euros, dont une rallonge de 1,8 million d’euros de l’enveloppe initialement prévue.

En matière du petit cycle de l’eau, la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, Artois Lys Romane bénéficie également d’aides importantes de la part de l’agence en matière d’eau potable, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales pour la période 2019-2021.

En 2021, les agences de l’eau ont également recouru aux crédits complémentaires du plan de relance, principalement au bénéfice des projets des collectivités en matière d’eau et d’assainissement.

Pour l’avenir, le rapport du sénateur Richard et du député Jerretie sur les besoins en financement des agences de l’eau, élaboré dans le cadre des travaux du Comité pour l’économie verte, contribue à la réflexion sur la définition d’une nouvelle trajectoire pour la dépense publique en matière d’eau et de biodiversité, notamment via la stratégie nationale pour la biodiversité, appelée Biodiversité 2030.

lutte contre les nuisances sonores et la pollution de l’autoroute a6 à l’haÿ-les-roses

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 2134, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les nuisances sonores et la pollution dont souffre la ville de L’Haÿ-les-Roses, traversée par l’autoroute A6.

Située dans le Val-de-Marne, à proximité directe de Paris, cette commune subit le passage – tenez-vous bien ! – de 300 000 véhicules par jour (Lorateur brandit une photographie aérienne de lautoroute.). Cet axe routier, qui comporte quatorze voies de circulation, est l’un des plus importants et le plus large d’Europe.

Les pollutions sonores et atmosphériques engendrées par ce trafic ont évidemment des conséquences très lourdes sur la santé et la tranquillité des 3 500 riverains.

La plupart des logements se situant à proximité de l’autoroute ont été bâtis avant sa construction. Bien sûr, cet axe routier est bordé d’un mur antibruit, mais il s’agit du dispositif le plus ancien et le plus vétuste de France, qui ne mobilise aucune technologie antibruit : au contraire, il renvoie davantage de sons qu’il n’en absorbe.

Le maire de la ville, Vincent Jeanbrun, avec toute son équipe, est mobilisé depuis 2014 pour lutter contre ces nuisances et demande en vain qu’on les combatte plus efficacement. Certes, en 2017, il a obtenu de la région et de l’État la pose d’un enrobé phonique qui divise par trois les effets sonores, mais la pollution atmosphérique demeure.

En 2019 et en janvier 2022, deux pétitions ont été lancées pour obtenir de l’État qu’il réduise la vitesse et, surtout, qu’il pose d’un radar fixe sur ce tronçon.

Le maire demande aussi que le secteur de L’Haÿ-les-Roses soit réinscrit sur la liste officielle des points noirs du bruit francilienne, laquelle recense les sections à traiter en urgence en Île-de-France.

Monsieur le ministre, ma question est très simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre fin au calvaire de ces habitants, qui demandent simplement à pouvoir vivre tranquillement dans leur ville ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le président Cambon, vous m’interrogez sur les nuisances sonores et la pollution engendrées par l’autoroute A6 dans votre département du Val-de-Marne et, plus particulièrement, le long de la commune de L’Haÿ-les-Roses.

L’État est attentif, en sa qualité de gestionnaire du réseau routier national non concédé, à réduire les nuisances sonores subies par les riverains à la source, soit par la mise en place de murs antibruit, soit, dans les zones le justifiant, par l’usage de matériaux adaptés, du type enrobé phonique, pour renouveler le revêtement des chaussées.

Ce fut le cas pour plus d’un kilomètre de section de l’A6 à L’Haÿ-les-Roses en 2017. Ce même procédé sera utilisé sur les sections à proximité lors de leur renouvellement, ce qui permettra une réduction importante à la source.

Par ailleurs, la réduction de la vitesse sur autoroute dans les secteurs urbains est un sujet d’attention. Différentes expérimentations pour réduire la vitesse maximale autorisée ont été menées en 2016 et en 2017 sur des sections similaires à celle que vous évoquez. L’évaluation qui a été faite n’a pas permis de mesurer concrètement une baisse du niveau sonore ou des émissions de gaz à effet de serre.

Il convient également d’observer que cette autoroute n’est pas particulièrement accidentogène dans le secteur qui vous intéresse ; de ce fait, nous ne considérons pas l’implantation d’un radar complémentaire comme nécessaire à ce stade.

Je précise enfin qu’il existe déjà trois radars sur l’A6 entre l’A86 et le boulevard périphérique à Arcueil et L’Haÿ-les-Roses. Des études sont menées actuellement pour installer un ou plusieurs radars pédagogiques, c’est-à-dire des dispositifs efficaces pour encourager les usagers à adapter leur comportement sur la route.

Si vous le souhaitez, mes services pourront partager les conclusions de cette évaluation avec vous.

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.

M. Christian Cambon. Je constate malheureusement que le calvaire des malheureux habitants de L’Haÿ-les-Roses risque de perdurer. Monsieur le ministre, faites en sorte d’étudier réellement ce dossier : il faut envisager le remplacement de l’actuel mur antibruit et toute mesure susceptible de rétablir un minimum de tranquillité.

destruction et bétonisation des jardins d’aubervilliers

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, auteur de la question n° 2137, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

M. Thomas Dossus. Monsieur le ministre, depuis septembre 2021, des pelleteuses ont détruit plus de 6 000 mètres carrés de jardins ouvriers dans la ville d’Aubervilliers, pour préparer l’installation d’une piscine et d’un solarium pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Est également prévue, sur ce même jardin, la construction d’une gare du Grand Paris Express.

Centenaires pour la plupart, ces jardins ont une histoire, celle des femmes et des hommes qui ont rendu ces endroits vivants, végétalisés et générateurs de mixité sociale.

Aubervilliers souffre d’un déficit alarmant de biodiversité. La ville dispose d’un mètre carré d’espace vert par habitant, alors que l’Organisation mondiale de la santé en préconise au moins dix. Détruire ces jardins contredit sérieusement l’ambition environnementale des JO de 2024, pourtant affirmée, et surtout affichée, par le Gouvernement, l’ANS, l’Agence nationale du sport, et le comité d’organisation des Jeux.

La destruction de ces parcelles est une attaque directe contre le vivre-ensemble. Ces lieux de rencontre, de travail en commun et de partage étaient l’un des cœurs populaires de la ville. Face à cette destruction de leur patrimoine, les habitantes et habitants se sont mobilisés : recours en justice, désobéissance, manifestations et pétitions. Le collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers attire inlassablement l’attention sur la disparition programmée, mais néanmoins injuste, de ces jardins, parfois au prix de passages prolongés en garde à vue.

Cette mobilisation a pourtant porté ses fruits. Ainsi, depuis que j’ai inscrit cette question à l’ordre du jour, la justice a donné raison à ces militants. Le 10 février dernier, la Cour administrative d’appel de Paris a demandé une modification du PLUi, le plan local d’urbanisme intercommunal, pour qu’il soit limité aux zones strictement nécessaires à la construction de la piscine et de la gare. Il a également constaté que ce chantier portait atteinte à la biodiversité.

Pourtant, malgré cette décision, malgré le fait que le PLUi soit désormais illégal, les bétonneuses n’ont pas arrêté leur sinistre travail. Cette décision de justice appelle à une refonte complète de ce projet, qui porte atteinte au cadre de vie.

Est-il prévu, monsieur le ministre, une relocalisation des équipements en construction dans d’autres endroits ? Quelles mesures seront prises pour remettre en état ces jardins, avant de les rendre aux habitantes et habitants d’Aubervilliers ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur le projet d’aménagement des jardins familiaux du Fort d’Aubervilliers.

Ces jardins comprennent 272 parcelles réparties sur 7 hectares. Le foncier appartient à Grand Paris Aménagement, qui conduit le projet d’aménagement du Fort, en concertation avec les collectivités.

Le centre aquatique impacte dix-neuf jardins depuis 2021 et la gare impactera quinze jardins entre 2024 et 2030. Ce sont 12 % des jardins et des surfaces actuelles qui sont concernés.

Vous affirmez que la destruction des jardins annonce leur disparition programmée. Or il n’en est rien. En ce qui concerne le centre aquatique, des engagements ont été pris par Grand Paris Aménagement et acceptés par la majorité des jardiniers, à savoir la réinstallation sur des parcelles inexploitées et remises en culture sur le site, dans un rayon de 500 mètres, et la reconstitution à terme, en extension du site actuel, au sud-est du Fort, sur des terrains aujourd’hui en friche, avec une redistribution des parcelles permettant à chacune des deux associations gestionnaires de conserver la même surface qu’aujourd’hui.

Par ailleurs, la Société du Grand Paris a récemment adapté l’emprise de sa gare pour limiter l’impact sur les jardins : elle a en partie vocation à devenir un espace public aménagé, tandis que l’autre partie sera restituée.

Ces démarches permettent d’accompagner sur plusieurs années l’évolution des jardins, dont une part non négligeable est aujourd’hui délaissée.

De plus, je vous invite à ne pas opposer les vocations respectives des jardins, de la piscine et de la gare. S’il est prévu que le centre aquatique serve temporairement de piscine d’entraînement pour les Jeux de 2024, il s’agit avant tout d’un équipement pour les habitants d’un département sous-doté, qui en a grandement besoin.

La desserte par le nouveau métro améliorera la mobilité dans un territoire qui comprend de nombreux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Enfin, je souligne que l’équilibre de ces opérations n’est pas directement remis en cause par l’arrêt du 10 février 2022 de la cour administrative d’appel de Paris, qui n’a identifié d’incompatibilités que pour des espaces excédant les terrains nécessaires au projet.

consultation engagée par le gouvernement auprès des communes du littoral menacées par le recul du trait de côte

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, auteur de la question n° 2138, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Didier Mandelli. Monsieur le ministre, dans le cadre de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, un décret doit fixer la liste des « communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral ».

Ce décret permet aux collectivités concernées d’élaborer des stratégies locales de gestion du trait de côte. La liste des communes touchées par le recul du trait de côte et l’élaboration de cartographies est établie tous les neuf ans. Jusqu’ici, tout va bien…

Sous l’autorité des préfets, les communes du littoral ont été appelées à délibérer et à rendre leur avis préalable afin de figurer sur la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées. Cet avis devait être rendu avant la fin du mois de janvier.

Plusieurs élus et associations d’élus, dont l’AMF, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, et l’ANEL, l’Association nationale des élus du littoral, présidée par notre collègue Jean-François Rapin, ont appelé à un report de la consultation, organisée dans un délai de deux mois, ce qui n’est pas tenable pour la plupart des communes, en raison non seulement de la crise sanitaire, mais aussi de l’impossibilité de disposer aussi rapidement des éléments de diagnostic préalable permettant aux collectivités de rendre un avis éclairé sur le transfert de responsabilité qui leur est proposé.

Par ailleurs, les engagements du Gouvernement pour répondre à l’impératif de création d’un dispositif de financement national du recul du trait de côte n’ont pas été tenus dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, alors même que le transfert de charges et de responsabilités vers les collectivités s’accélère.

Les élus craignent que ce transfert de compétences ne s’accompagne d’un abandon de l’engagement de l’État sur les plans technique et financier.

J’appelle donc de mes vœux l’organisation, par le Gouvernement, d’une nouvelle consultation, afin que l’ensemble des communes concernées puissent disposer de tous les éléments et garanties financières leur permettant de rendre un avis éclairé.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous interrogez Mme Barbara Pompili, qui, ne pouvant être présente, m’a chargé de vous répondre.

Les mesures proposées dans le cadre de la loi Climat et résilience poursuivent des objectifs majeurs comme l’anticipation de l’érosion littorale, pour ne pas aggraver la vulnérabilité des territoires et augmenter le nombre de biens exposés.

L’anticipation repose au préalable sur l’identification des communes les plus exposées au recul du trait de côte, lesquelles pourront mobiliser les nouveaux outils de la loi.

Des réunions d’information ont été réalisées par les préfets au niveau local, afin d’expliciter les critères d’élaboration de la liste et accompagner les collectivités. Des éléments complémentaires ont été apportés, et un accompagnement par le Cerema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, est en cours de définition.

Eu égard au contexte particulier, le délai a été reporté au 14 février 2022, sachant que les retours des collectivités pourront être pris en compte jusqu’aux réunions des instances consultatives nationales.

En ce qui concerne l’accompagnement financier des collectivités territoriales, des crédits ont été mobilisés pour permettre les premiers travaux. Ainsi, l’État s’est engagé à financer jusqu’à 80 % des cartographies d’évolution du trait de côte.

Par ailleurs, il est d’ores et déjà possible de mobiliser le cadre contractuel du projet partenarial d’aménagement (PPA) pour permettre un cofinancement par l’État des projets de recomposition spatiale. Le plan France Relance 2021-2023 prévoit une enveloppe de 10 millions d’euros pour ces PPA.

Trois territoires sélectionnés par l’appel à manifestation d’intérêt se sont engagés dans cette démarche en 2021 : la communauté de communes de Coutances mer et bocage, la communauté de communes Médoc Atlantique et la communauté d’agglomération du Pays basque.

Les établissements publics fonciers, opérateurs ancrés dans les territoires, pourront également accompagner les opérations de recomposition sur le long terme. La détermination d’un cadre financier sur le moyen et le long terme est en cours de réalisation et devrait aboutir lors des prochaines lois de finances.

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, qui ne me convainc pourtant pas complètement.

Les élus sont toujours dans l’attente et manquent de visibilité. Je vous le rappelle, et le Conseil national d’évaluation des normes et le Conseil national de la mer et des littoraux ont émis un avis défavorable sur le projet de décret : ils n’ont eu que quarante-huit heures pour se positionner !

Tout cela reste opaque, nébuleux et sans issue pour les collectivités.

lutte contre les nuisances aériennes

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, auteur de la question n° 2035, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Jean-Raymond Hugonet. Au-delà de la gêne occasionnée et de ses conséquences sur l’audition, les études scientifiques démontrent que les troubles cardio-vasculaires sont plus fréquents chez les personnes exposées au bruit.

Ce dernier interfère également sur la qualité du sommeil et sa fonction réparatrice. Il est de surcroît un facteur de stress.

La prise en compte des conséquences sanitaires du bruit sur les populations devrait donc être l’une des priorités des politiques de santé publique, notamment à proximité des plus grands axes routiers ou des zones aéroportuaires. Or, aujourd’hui, tout se passe comme si ce problème n’en était pas un !

Ainsi, en région Île-de-France, autour de l’aéroport d’Orly, 1,9 million de nos concitoyens, répartis dans 251 communes, sont exposés au survol d’aéronefs. Pire encore, à proximité immédiate de la zone aéroportuaire, 439 000 personnes subissent quotidiennement un niveau de bruit supérieur aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.

La directive européenne du 25 juin 2002 a pourtant rendu obligatoire en France l’adoption de plans d’action, appelés plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE), et ce depuis 2008.

À ce jour, au terme de la consultation publique, le projet de plan de prévention du bruit ne reprend aucunement les deux revendications pourtant clairement exprimées par la population, et notamment par les associations de défense des riverains d’Orly.

Il s’agit, d’une part, du respect du plafonnement à 200 000 mouvements et, d’autre part, du couvre-feu quotidien de huit heures consécutives, suivant en cela les recommandations de l’OMS.

Sur cette question comme sur d’autres, multiplier les consultations citoyennes tout en faisant fi des avis des associations, pourtant représentatives, devient insupportable.

Monsieur le ministre, l’impact sanitaire du bruit sur les populations les plus exposées devient-il enfin une priorité pour les pouvoirs publics ? Si votre réponse est « oui », quelles mesures envisagez-vous de prendre afin d’agir concrètement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Hugonet, le développement durable du transport aérien est une priorité du Gouvernement et l’aérodrome de Paris-Orly fait l’objet d’une attention particulière en ce qui concerne les nuisances sonores en raison de sa situation dans un secteur très urbanisé.

Des cartes stratégiques de bruit (CSB) ont été établies et un plan de prévention du bruit dans l’environnement a été élaboré pour la période 2018-2023.

Par ailleurs, il a été décidé d’appliquer, dès ce PPBE, les dispositions visant à mettre en place une évaluation de l’impact du bruit aérien sur deux pathologies : la forte gêne et les fortes perturbations du sommeil.

Les projets de documents élaborés en 2019 et en 2020 ont été soumis, sur l’initiative de l’État, à la concertation de l’ensemble des parties prenantes. Cette concertation d’un an a permis de faire évoluer les projets pour prendre en considération les positions de chacun.

L’essentiel des demandes exprimées par les parties prenantes ont été prises en compte, dont la non-intégration de la mesure de rétablissement d’une zone C et l’instauration d’une zone D dans le plan d’exposition au bruit (PEB), demandée par une majorité de membres de la CCE et d’élus locaux, l’accélération du calendrier de généralisation des procédures de descentes continues, ainsi que la fixation d’un objectif de réduction du bruit de six décibels sur la plage 22 heures-6 heures. Enfin, comme prévu dans le PPBE en cours d’adoption, la concertation se poursuivra lors des travaux sur le prochain plan dès 2022.

Une consultation publique a ensuite été organisée de fin août à fin octobre 2021 : l’intégralité des commentaires ont été analysés et une synthèse a été mise en ligne sur le site du ministère de la transition écologique.

Les restrictions que vous citez, comme la demande de plafonnement à 200 000 mouvements et l’extension du couvre-feu, ne peuvent être décidées sans avoir mené au préalable, et conformément à la réglementation européenne, une étude d’impact.

Cette dernière sera donc réalisée en 2022, selon l’approche équilibrée, après l’adoption du PPBE, pour examiner les restrictions d’exploitation pouvant être mises en œuvre pour atteindre l’objectif de réduction du bruit. Le calendrier et les modalités de cette étude ont été présentés aux parties prenantes lors des dernières réunions de concertation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Là encore, on se hâte avec lenteur, monsieur le ministre !

création de l’agence territoriale de la biodiversité de guyane

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 2144, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique.

Lors de son tout récent déplacement en Guyane, Mme Pompili a annoncé la création d’une Agence territoriale de la biodiversité (ATB) ayant pour principale mission la préservation des biodiversités et leur valorisation, laquelle doit être systématiquement intégrée à tout projet de conservation.

Pour être plus clair, permettez-moi de citer les propos de Patrick Lecante, président du Comité de l’eau et de la biodiversité de Guyane : « Notre biodiversité amazonienne ne devra pas être mise sous cloche, mais valorisée et mieux préservée par nous tous. »

Cette agence nous a été présentée comme un outil indispensable pour l’aide à la décision des autorités locales et nationales. Cette annonce tombe à point nommé, car, depuis quelque temps, en Guyane, tous les projets, quels qu’ils soient, donnent lieu à une opposition systématique, farouche des militants écologistes radicaux.

C’est valable bien évidemment pour le secteur aurifère, mais également pour d’autres secteurs. Je pense à la centrale électrique du Larivot, à la centrale à hydrogène de l’ouest guyanais, au projet d’agroforesterie MIA à Kourou…

Aussi, vous le comprendrez, monsieur le ministre, cette agence ne doit pas être laissée entre les mains de ces écologistes radicaux, dont la seule volonté est de voir la Guyane demeurer figée dans un état originel fantasmé.

Comme cela a été annoncé, il faut veiller à ce que soient représentés au sein de sa gouvernance tous ceux qui œuvrent à la reconnaissance, à la préservation et à la valorisation de la biodiversité, y compris les représentants des agriculteurs, des pêcheurs, des utilisateurs de la forêt comme les chasseurs, les forestiers et les exploitants aurifères. Tous y ont leur place et on ne saurait les en exclure.

En Guyane, nous sommes non seulement tous sensibilisés et responsabilisés à la bonne préservation de notre environnement, mais nous pensons aussi que la stratégie nationale pour la biodiversité du ministère de la transition écologique se doit d’intégrer cette biodiversité dans la stratégie des entreprises.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le président Patient, vous interrogez Mme Pompili, laquelle, ne pouvant être présente, m’a chargé de vous répondre.

La richesse naturelle de la Guyane est exceptionnelle, reconnue mondialement, et mérite une mobilisation collective pour mieux la connaître, la préserver et la valoriser.

La collectivité territoriale de Guyane, l’État et l’OFB, l’Office français de la biodiversité, ont engagé un travail commun pour la création d’une Agence territoriale de la biodiversité, via un groupement d’intérêt public (GIP). Le préfet de région, l’OFB et la CTG, la collectivité territoriale de Guyane, ont signé en juin 2018 une convention lançant la préfiguration d’une ARB, une Agence régionale de la biodiversité, en Guyane.

La CTG avait alors confirmé son souhait de procéder à la création de l’agence avec l’État et les acteurs impliqués « avant fin 2019 », sous forme d’un GIP. Le conseil d’administration de l’agence et la CTG ont délibéré en ce sens fin 2019.

Cependant, un avis du ministère de l’intérieur a conduit à la modification des statuts. La CTG ayant refusé de délibérer de nouveau, le préfet a dû acter ce refus en février 2020, ce qui a mis fin informellement à la création de l’agence.

La collectivité a fait connaître, lors du congrès mondial de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, puis à l’occasion du déplacement en Guyane de la ministre de la transition écologique, sa volonté de créer une agence. Le Gouvernement encourage le développement de cette nouvelle structure et réaffirme sa volonté de soutenir la collectivité territoriale dans cet objectif.

Sa création sera le fruit d’un travail commun, dans une démarche associant l’ensemble des parties prenantes de la biodiversité en Guyane, dont le Comité de l’eau et de la biodiversité. Cette concertation est primordiale pour la réussite de ce projet et doit mobiliser toute la diversité des acteurs économiques guyanais intéressés.

Le projet d’ATB devra ensuite définir sa gouvernance et la méthode d’association des acteurs du territoire, ses modes d’action avec ses partenaires et collaborateurs et enfin les méthodes et voies de mobilisation des citoyens, entreprises et collectivités dans cette démarche de protection et de valorisation de la biodiversité.

Comme annoncé lors de la visite officielle de la ministre en Guyane en février 2022, l’État, l’Office français de la biodiversité et la collectivité territoriale de Guyane s’engagent à financer le fonctionnement de la future agence en Guyane, tout en ouvrant la possibilité de différents partenariats.

évolution du classement en zone tendue

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, auteure de la question n° 2070, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

Mme Annick Billon. Monsieur le ministre, en raison de la crise sanitaire, la pression immobilière s’est accentuée dans de nombreuses communes littorales, notamment aux Sables-d’Olonne, en Vendée.

Déjà impacté par l’attrait que représente le bord de mer pour des personnes souhaitant y passer leur retraite, le marché de l’immobilier aux Sables-d’Olonne se caractérise par une raréfaction des biens à la vente, couplée à l’inflation du prix au mètre carré : l’augmentation a été de 11 % en un an et de 37 % en cinq ans ! La difficulté de trouver des biens en location à l’année s’est encore accrue du fait du développement des sites de location de particulier à particulier, comme Airbnb, par exemple.

Ainsi, faute de biens disponibles à la location ou à des prix de vente raisonnables, des actifs et leurs familles ne peuvent s’installer dans les communes littorales où ils travaillent à l’année ou en saison.

Vous en conviendrez, monsieur le ministre, il existe un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés d’accès au logement dans le parc résidentiel existant. Or telle est la définition d’une « zone tendue ».

Pourtant, ne peuvent être considérées comme zone tendue que les communes constituant une aire urbaine de plus de 50 000 habitants. Le critère de population ne semblant plus être cohérent au regard de la situation de nombreuses communes littorales et la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires pouvant constituer une première réponse pertinente, je vous demande de prendre l’engagement de modifier les critères de classement, afin d’étendre la liste des communes en zone tendue, notamment pour la ville des Sables-d’Olonne.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice Billon, l’article 232 du code général des impôts prévoit que le périmètre d’application de la taxe sur les logements vacants (TLV) comprend les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement.

Par ailleurs, pour inciter à l’affectation des logements à la fonction de résidence principale, l’article 1407 ter du code général des impôts permet aux communes appartenant à la zone d’application de la TLV de majorer la part de cotisation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.

Le Gouvernement partage l’analyse que vous faites, à savoir que des territoires hors des grandes agglomérations peuvent présenter des marchés immobiliers tendus, en particulier dans les zones touristiques littorales.

Ces zones se caractérisent par une forte proportion de résidences secondaires et de logements dédiés à la location meublée touristique, pouvant induire des prix de l’immobilier dépassant les capacités financières de la population locale et une attrition du parc de résidences principales.

Les Sables-d’Olonne entrent dans ce cadre, avec un loyer voisin de 13 euros par mètre carré et des prix tournant autour de 4 800 euros par mètre carré, un niveau bien supérieur à celui de certaines métropoles en zones TLV.

L’abaissement, voire la suppression, du seuil de population pour le classement en zone TLV peut ainsi apparaître comme une mesure pertinente. Elle nécessiterait néanmoins une disposition en loi de finances.

Pour mémoire, le seuil de population de la zone d’urbanisation continue a déjà été abaissé par la loi de finances initiale pour 2013. Il était auparavant fixé à 200 000 habitants.

Si l’application de la taxe sur les logements vacants et la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires peuvent apporter des solutions, l’impact de ces instruments fiscaux est difficile à évaluer.

D’autres outils peuvent être mobilisés en ce sens, dont la commune des Sables-d’Olonne s’est d’ailleurs emparée. Pour la régulation des meublés de tourisme, l’autorisation de changement d’usage et le numéro d’enregistrement peuvent être rendus obligatoires par décision du conseil municipal ou de la communauté de communes.

Les collectivités concernées peuvent participer au plan national de lutte contre les logements vacants, autre moyen d’accroître l’offre de logements en résidence principale.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Merci de vos réponses, monsieur le ministre.

Aujourd’hui, l’agglomération des Sables-d’Olonne compte 53 622 habitants. Sa situation peut s’étendre à d’autres collectivités littorales.

J’ai rencontré le maire des Sables-d’Olonne et le cabinet de Mme Wargon, qui s’était engagée à ce que ces dispositions figurent en loi de finances. Un an après, aucune décision n’a été prise. Il est urgent d’intervenir pour toutes les villes littorales, notamment Noirmoutier, Les Sables-d’Olonne et de nombreuses autres villes.

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

4

Candidature à une commission

Mme le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires sociales a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

Conventions internationales

Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Port-Louis le 12 mars 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 415, texte de la commission n° 460, rapport n° 459).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces
 

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la nationalité entre la république française et le royaume d’espagne

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d'Espagne
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification de la convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d’Espagne, signée à Montauban le 15 mars 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 418, texte de la commission n° 465, rapport n° 464).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la nationalité entre la République française et le Royaume d'Espagne
 

6

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022
Discussion générale (suite)

Sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022 au Qatar

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022
Article unique

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022 (projet n° 325, texte de la commission n° 463, rapport n° 462). La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de présenter aujourd’hui devant vous le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde de football de 2022, signé à Doha le 5 mars 2021.

La France entretient avec le Qatar un partenariat stratégique qui couvre tous les domaines de coopération. Des relations solides se sont nouées entre nos deux pays dans les domaines de la défense, de la sécurité, de l’économie et des investissements, de la culture, de l’éducation et du sport.

Je souhaite souligner plus particulièrement aujourd’hui l’importance du partenariat que nous avons établi dans le domaine de la sécurité des grands événements sportifs, axe fort de notre coopération bilatérale avec le Qatar. Inauguré à l’occasion des jeux Asiatiques de 2006, ce partenariat s’est notamment approfondi avec l’organisation des championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016 ou encore d’athlétisme en 2019.

Dans le cadre de cette relation de confiance, la France s’est engagée, en réponse à la demande des autorités qatariennes, à accompagner le Qatar dans la préparation et la conduite des actions destinées à assurer la sécurité de la Coupe du monde de football de 2022, qui se tiendra à Doha. Le Qatar sera le premier pays du monde arabe à accueillir cette compétition, du 21 novembre au 18 décembre prochains.

Dans ce contexte, le ministère de l’intérieur français propose d’apporter aux services qatariens une expertise de haut niveau, dans une offre dite « intégrée », afin de les accompagner dans la planification et la conduite de cette compétition. À cette fin, il peut s’appuyer en particulier sur la relation historique entre la gendarmerie nationale et la force de sécurité intérieure qatarienne qui a conduit à l’organisation de nombreuses actions de formation et d’exercices conjoints.

La richesse de la coopération entre la France et le Qatar dans le domaine de la sécurité s’est d’ailleurs illustrée par la mobilisation de plusieurs experts français à Doha, en fin d’année dernière, lors de la Coupe arabe des nations de football de 2021. Cette compétition a permis à la France d’affiner encore son offre sécuritaire et d’aider le Qatar à définir ses besoins en vue de l’organisation, en 2022, d’un événement de plus grande ampleur.

Je voudrais ajouter que ces échanges croisés, qui ont pour objectif principal d’accompagner les forces qatariennes avant et pendant la compétition, nous offrent également l’occasion de développer nos propres savoir-faire dans la perspective des grands événements sportifs que la France organisera ces deux prochaines années, à savoir la Coupe du monde de rugby, en 2023, et les jeux Olympiques et Paralympiques, en 2024.

Le présent accord s’inscrit ainsi dans la volonté d’offrir un cadre juridique protecteur aux experts français qui pourront être déployés pendant la préparation et le déroulement de cette compétition. Négocié par le ministère de l’intérieur français et le comité de sécurité qatarien en charge de l’organisation de cet événement sportif, cet accord vise à rendre possible le déploiement d’une assistance technique et opérationnelle.

Je me félicite qu’il constitue le premier instrument juridiquement contraignant signé entre la France et le Qatar dans le domaine de la sécurité intérieure. Les coopérations liées à de précédents grands événements sportifs n’avaient en effet jamais donné lieu à une formalisation juridique spécifique, dans la mesure où elles revêtaient un caractère essentiellement technique et restaient d’une ampleur plus modeste. Le présent accord pourra donc offrir une référence pour l’avenir et contribuer à encourager la partie qatarienne à inscrire le développement de la coopération bilatérale dans un cadre juridique de long terme.

L’objectif de cet accord est double. Tout d’abord, il s’agit d’accompagner le Qatar dans l’organisation et la gestion de la sécurité de la Coupe du monde dans les meilleures conditions. La France est ainsi en mesure de proposer une offre de coopération articulée autour de dix grandes fonctions : planification, contre-terrorisme, gestion de l’ordre public, renseignement et anticipation, sécurité des installations, sécurité des mobilités, moyens spéciaux terrestres, moyens aériens, cybersécurité et sécurité civile.

Ensuite, il nous est apparu essentiel de sécuriser juridiquement le déploiement d’experts destinés à apporter une assistance technique et opérationnelle aux autorités qatariennes dans le cadre de l’organisation de cet événement majeur. En effet, en l’absence d’accord, le personnel français déployé sur le territoire qatarien aurait été soumis au droit local, donc exposé à des risques. Le présent accord crée ainsi des garanties équivalentes à celles qu’un accord de statut des forces à l’étranger, ou Status of Forces Agreement (SOFA), procure pour une coopération de défense. Je tiens à préciser que le SOFA entre la France et le Qatar fait actuellement l’objet d’une procédure d’approbation distincte et sera examiné prochainement par la Haute Assemblée.

Rédigé sur la base de la réciprocité et s’inspirant des clauses classiques figurant dans les accords de statut des forces signés par la France, l’accord aujourd’hui soumis à votre examen détermine le statut juridique et les conditions de séjour des personnels français déployés au Qatar et des personnels qatariens déployés en France dans le cadre d’activités de coopération en matière de sécurité.

Les experts déployés sont tenus au respect de la législation de la partie d’accueil et ne sont autorisés à pénétrer sur son territoire qu’avec son consentement préalable.

En matière de dépenses, l’essentiel de la charge liée aux actions de coopération incombe à la partie qui en bénéficie. Ainsi, la partie d’accueil paie les frais occasionnés par les activités de la partie d’envoi dans l’État d’accueil. En outre, la partie d’envoi peut importer et réexporter, en franchise de droits de douane et taxes, les matériels, équipements, véhicules et engins qui lui appartiennent et qui seraient engagés sur le territoire de la partie d’accueil dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord.

En matière pénale, l’accord prévoit un partage de juridiction.

Les infractions commises par un membre du personnel de la partie d’envoi relèvent en principe de la compétence des juridictions de la partie d’accueil. Toutefois, les autorités compétentes de la partie d’envoi exercent prioritairement leur juridiction lorsque l’infraction a été accomplie dans le cadre du service, ou lorsqu’il a été porté atteinte aux biens ou à la sécurité de la seule partie d’envoi ou de son personnel.

En cas de poursuites devant les juridictions de la partie d’accueil, la personne concernée bénéficie des garanties relatives au droit à un procès équitable, et en particulier du droit à être jugée dans un délai raisonnable, à être représentée ou assistée, à bénéficier des services d’un interprète, à communiquer avec un représentant de son ambassade, à être informée des accusations portées contre elle, à être confrontée aux témoins à charge et à se voir appliquer le principe de non-rétroactivité de la loi pénale.

Si les poursuites intentées aboutissent à une condamnation dans l’État d’accueil, l’accord prévoit que ce dernier examinera avec bienveillance les demandes tendant à permettre à la personne condamnée de purger sa peine dans l’État d’envoi.

Si dans l’État qui exerce sa juridiction une infraction est punie de la peine de mort ou d’une peine contraire aux engagements résultant des conventions internationales auxquelles adhère l’autre État, ce dernier ne remettra au premier État une personne faisant l’objet de poursuites que contre l’assurance que de telles peines ne seront ni requises ni prononcées ou, si elles sont prononcées, qu’elles ne seront pas exécutées. (Des bruits de conversation se font entendre sur diverses travées.)

Mme le président. Un peu de silence, je vous prie, mes chers collègues ! Le bruit empêche Mme la ministre de poursuivre dans les meilleures conditions.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Je vous remercie, madame la ministre, d’autant que ce texte n’est pas facile – mais il est important !

La peine de mort étant toujours en vigueur au Qatar, la France a inséré dans l’accord cette clause de juridiction conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles, résultant notamment de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il était essentiel pour la France que l’accord écartât toute possibilité d’application de la peine de mort ou d’un traitement inhumain ou dégradant, aussi bien pour un Français ayant commis une infraction au Qatar que pour un Qatarien ayant commis une infraction en France et dont le Qatar demanderait la remise.

La France entretient un dialogue régulier et exigeant avec le Qatar quant au respect des droits de l’homme, mais également au respect des normes et des standards internationaux en matière de droit du travail. Des efforts ont été faits et un certain nombre de réformes ont été engagées par le Qatar, en particulier en ce qui concerne les droits des travailleurs étrangers. Je pense notamment à la suppression de la kafala, ce régime de tutelle légale qui était imposé aux travailleurs migrants, ainsi qu’au dialogue tripartite engagé entre la France, le Qatar et l’Organisation internationale du travail.

Ces progrès bien réels doivent être poursuivis et approfondis. Nous entendons, à cette fin, maintenir un dialogue continu avec les autorités qatariennes, avec nos partenaires européens et avec les organisations internationales sur ces questions.

Telles sont, madame le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde de football de 2022, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Cadic, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde de football de 2022.

Ce texte a été adopté par notre commission lors de sa réunion du 9 février. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste et le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont souhaité le retour à la procédure normale, afin qu’il soit débattu de cette convention de partenariat.

Toutefois, je tiens à rappeler que nous ne pouvons amender ce projet de loi, qui sera soit adopté soit rejeté par notre assemblée.

Cet accord, signé le 5 mars 2021 à Doha, concrétise l’ambition politique qui avait été tracée par la déclaration d’intention conclue au nom des deux gouvernements le 28 mars 2019, en lui donnant un cadre juridique robuste.

Le Qatar a été désigné en décembre 2010 par la Fédération internationale de football pour accueillir sur son territoire la Coupe du monde de 2022.

Afin de prendre en considération le climat particulièrement chaud du pays, la Coupe du monde de football a été décalée en novembre-décembre 2022. Cela étant, les douze stades dans lesquels se joueront les matchs seront climatisés.

Il s’agira du plus grand événement sportif jamais organisé dans le monde arabe. Le Qatar pourrait accueillir jusqu’à 1,5 million de supporters.

Je voudrais tracer un parallèle permettant de prendre la mesure du défi qui attend les autorités du Qatar : ce pays compte 2,6 millions d’habitants, dont seulement 300 000 Qatariens, soit 11,5 % de la population. À l’échelle de la France, cela signifierait que sur notre territoire vivraient 60 millions d’étrangers pour 8 millions de Français et que nous nous apprêterions à accueillir 40 millions de visiteurs étrangers supplémentaires !

M. Bruno Sido. C’est énorme !

M. Olivier Cadic, rapporteur. Vous l’avez compris, cet événement va engendrer des flux considérables et une très forte concentration de personnes sur les différents sites. Il va mettre le Qatar face à de nouvelles questions de sécurité : gestion de la menace terroriste, hooliganisme, mouvements de foule, cyberattaques… Le Qatar sera également confronté à certaines problématiques que, pour des raisons culturelles, il n’est pas habitué à gérer : contrefaçon, consommation d’alcool, actions d’organisations contestataires…

Pour relever ces défis, le Qatar a cherché, dès sa désignation en 2010, à développer des partenariats avec différents États avec lesquels il était déjà lié, dont la France.

En effet, la France et le Qatar ont développé une forte coopération bilatérale en matière de sécurité et de défense. Le Qatar est le deuxième partenaire opérationnel de la France dans le Golfe, après les Émirats arabes unis.

Cette coopération a été renforcée par la signature de contrats majeurs, comme en témoigne l’achat récent de trente-six Rafale.

Le Qatar est également, ces dernières années, un partenaire stratégique, tant au niveau français qu’au niveau international, en matière de lutte contre le terrorisme et la radicalisation.

Sur le plan bilatéral, Le Président de la République et l’émir du Qatar ont signé le 7 décembre 2017 une lettre d’intention visant à renforcer la coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Cette coopération a été confortée par la mise en place d’un dialogue stratégique, en février 2019.

L’émirat joue un rôle actif au sein de la Coalition internationale contre Daech, à laquelle il apporte notamment un soutien logistique important en mettant à disposition la base militaire d’Al-Udeid et en fournissant un appui logistique à la force conjointe du G5 Sahel.

De surcroît, le Qatar et l’Organisation des Nations unies ont récemment signé un accord portant sur l’ouverture à Doha d’un bureau du programme des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme.

Force est de constater que le Qatar, en parallèle de son implication dans la lutte contre le terrorisme, a réalisé d’importantes réformes en faveur des conditions de travail des immigrés. Il est en effet le premier État de la région à avoir abrogé, en 2016, le système de la kafala, qui oblige l’expatrié à dépendre d’un « parrain », souvent qualifié de « sponsor », qui peut être une personne physique ou morale.

Le Qatar est aussi le premier État de la région à avoir instauré un salaire minimum pour les travailleurs expatriés non qualifiés. Le texte législatif afférent, adopté en août 2020, est entré en vigueur en mars 2021. Ces efforts doivent néanmoins être poursuivis.

Le rapport de l’Organisation internationale du travail publié en novembre dernier conclut à un nombre trop important d’accidents du travail, dont certains se sont avérés mortels, sur les chantiers de la Coupe du monde. Dans ce rapport, élaboré en collaboration avec les institutions qatariennes, sont identifiées des lacunes dans la collecte des données ; ses auteurs recommandent la mise en place d’une plateforme nationale qui permettrait une meilleure indemnisation des victimes et de leurs familles.

La peine de mort, toujours en vigueur au Qatar, continue d’être prononcée, mais le pays applique depuis 2003 un moratoire sur les exécutions, si l’on met à part le cas de l’exécution d’un ressortissant népalais, condamné à mort pour meurtre, en 2020.

La coopération bilatérale entre la France et le Qatar en matière de gestion des grands événements sportifs existe depuis les jeux Asiatiques de 2006, qui furent le premier grand événement sportif accueilli par l’émirat.

Elle s’est poursuivie lors des championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d’athlétisme en 2019, et à l’occasion de la Coupe arabe des nations de football de 2021.

Concernant la Coupe du monde de football de 2022, le partenariat projeté est plus ambitieux que ce qui a été réalisé jusqu’à présent ; d’où le souhait d’une formalisation juridique plus aboutie, c’est-à-dire d’un cadre sécurisant le déploiement d’un volume important d’experts sur le terrain.

Cet accord peut se définir comme une offre de services de la part de la France, de nature à couvrir l’ensemble du spectre des besoins de sécurité inhérents à l’organisation d’un grand événement sportif.

Sa mise en œuvre pourra s’appuyer sur les grandes directions opérationnelles du ministère de l’intérieur, gendarmes, policiers, pompiers, pour des missions de conseil et d’accompagnement, voire pour un appui opérationnel au partenaire qatarien.

La partie qatarienne doit, à brève échéance, formuler plus précisément ses besoins, en fonction desquels l’offre de coopération française sera modulée.

L’accord prévoit que les actions de coopération seront essentiellement financées par la partie qatarienne.

Il prévoit également des garanties fortes au bénéfice des agents français du ministère de l’intérieur qui se rendraient sur le territoire qatarien aux fins de la mise en œuvre du présent accord.

Ainsi bénéficieront-ils des garanties relatives au droit à un procès équitable au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) du 4 novembre 1950 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

En outre, l’accord organise une protection contre l’application de la peine capitale ou d’autres traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CESDH.

Ces dispositions offriront une parfaite sécurité juridique aux agents français du ministère de l’intérieur qui participeront aux activités de coopération mises en œuvre en vue de la Coupe du monde de football de 2022 et durant l’événement, à l’instar des garanties offertes aux agents du ministère de la défense via l’accord bilatéral relatif au statut des forces, qui a été présenté à la commission des affaires étrangères du Sénat la semaine dernière.

Notons toutefois que, contrairement à ce dernier, le présent accord prendra fin le 30 juin 2023.

En outre, une telle conclusion est à replacer dans son contexte économique : les enjeux économiques et commerciaux liés à la Coupe du monde de football, estimés à 200 milliards de dollars, offrent des opportunités importantes à nos entreprises, dans de nombreux secteurs d’activité.

Ce partenariat est aussi l’occasion de nous préparer à l’accueil et à la sécurisation de la Coupe du monde de rugby, en 2023, et des jeux Olympiques, en 2024.

Les autorités qatariennes n’ont à ce jour pas notifié à la France l’accomplissement des procédures nationales requises pour l’entrée en vigueur de l’accord, qui sera examiné par l’Assemblée nationale à la reprise des travaux parlementaires.

Notre commission s’est montrée majoritairement favorable à l’adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. François Bonneau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord tracer les contours des relations qu’entretient la France avec le Qatar.

Pour anciennes qu’elles soient, elles ont pris un véritable essor au début des années 1990, et ce dans les domaines de la sécurité et des hydrocarbures. La volonté qatarienne de diversifier l’économie du pays et de réduire sa dépendance à la rente gazière a ensuite permis d’élargir le spectre de nos coopérations à de nombreux secteurs, qu’il s’agisse du domaine économique, de la culture ou de l’éducation.

La coopération de sécurité et de défense entre nos États constitue un pilier essentiel de cette relation bilatérale. La visite effectuée par le Président de la République le 7 décembre 2017 s’est ainsi assortie de la signature d’accords majeurs, dont une déclaration d’intention relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment.

Par la suite, le 11 février 2019, lors de la visite du ministre de l’Europe et des affaires étrangères à Doha, nos deux gouvernements ont signé une déclaration d’intention relative à la mise en place d’un dialogue stratégique, afin de renforcer notre partenariat dans tous les domaines et de permettre un suivi technique de ses principales réalisations.

Quelles sont les finalités du présent accord et quelles en seront les conséquences ? Il faut bien mesurer qu’il s’agit là du premier accord instaurant un instrument juridiquement contraignant conclu entre nos deux États dans le domaine de la sécurité intérieure. Se trouve créé, par là même, un cadre de coopération que les parties pourront décliner en fonction des besoins capacitaires qui seront identifiés.

Par le biais du présent accord, la France porte l’ambition d’aider le Qatar, pays classé parmi les plus sûrs au monde et donc peu préparé aux débordements susceptibles de se produire pendant la Coupe du monde, à gérer dans les meilleures conditions un événement aussi sensible que complexe.

Plus largement, les enjeux économiques et commerciaux liés à la Coupe du monde de football, estimés à 200 milliards de dollars, offrent à nos entreprises d’importantes possibilités, dans de nombreux secteurs d’activité.

De surcroît, cet accord concourt à dynamiser notre coopération policière bilatérale autour d’un projet structurant d’accompagnement de l’organisation d’un événement sportif mondial. À cet égard, il est susceptible de constituer une vitrine permettant de valoriser les compétences de nos services et de faire rayonner nos pôles d’expertise.

En même temps, il nous importe de prendre absolument conscience de la condition sociale des migrants travaillant sur les chantiers liés à la Coupe du monde. Si, en 2017, le Qatar a mené un certain nombre de réformes positives, les lois ainsi votées ne sont que trop peu appliquées, sinon pas du tout. L’émirat a, par exemple, adopté des lois facilitant l’accès des travailleurs à la justice et instaurant un salaire minimum.

Reste que la condition sociale des travailleurs migrants n’est pas le seul objet de vigilance. D’autres sujets doivent compter au nombre de nos préoccupations, au premier rang desquels les droits des femmes et la liberté d’expression.

Ainsi, il convient pour la France et son gouvernement d’user de toute son influence et de tous les leviers possibles pour permettre une meilleure prise en compte de ces points.

Nous voterons cet accord pour trois raisons.

Premièrement, ces dispositions offriront une sécurité juridique nécessaire aux agents français du ministère de l’intérieur qui participeront aux activités de coopération mises en œuvre avant et durant l’événement.

Deuxièmement, l’accord favorise la sécurisation de la région moyen-orientale.

Troisièmement, il permet de mettre en valeur le savoir-faire français et constitue, en cela, un levier d’influence.

Le Qatar s’est révélé être un partenaire stratégique essentiel en matière de lutte contre le terrorisme et la radicalisation au cours des dernières années, tant au niveau de la France qu’au niveau international.

L’Émirat joue un rôle actif au sein de la coalition internationale contre Daech, à laquelle il apporte notamment un solide soutien logistique en mettant à disposition la base militaire d’Al-Udeid et en fournissant un appui à la force conjointe du G5 Sahel.

Parallèlement à son implication dans la lutte contre le terrorisme, il faut accompagner le pays dans les importantes réformes en faveur des droits et de la condition sociale des travailleurs étrangers.

Assurément, l’accord contribuera à stabiliser notre partenariat à un niveau très élevé, dans un contexte plus concurrentiel que par le passé. En effet, il faut bien voir que si les autorités qatariennes continuent de s’appuyer sur des coopérations historiques, avec les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, elles établissent également de nouveaux partenariats, notamment avec l’Allemagne, l’Italie, la Turquie, afin de profiter du savoir-faire de plus grand nombre à l’approche de la Coupe du monde.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît important d’approuver cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Sido applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette convention internationale, qui devait faire l’objet d’une procédure d’examen simplifiée, a finalement droit à sa discussion générale.

Compte tenu des multiples enjeux de la Coupe du monde de football de 2022, je crois qu’il est sain que nous puissions effectivement en débattre.

Signé à Doha le 5 mars 2021, l’accord intergouvernemental que nous examinons aujourd’hui permet la mise en place d’un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde organisée cet automne au Qatar.

Il porte sur divers aspects de la sécurité de l’événement, dont le commandement des opérations, le contre-terrorisme ou la cybersécurité. Il prévoit un appui technique de la France, avec des visites d’études, des missions d’expertise ou encore des échanges de bonnes pratiques, ainsi qu’une assistance opérationnelle, avec des exercices et la mise à disposition d’experts et de matériels.

Le Qatar étant l’un des pays les plus sûrs au monde, notamment du fait de sa culture et de son système judiciaire, il est peu préparé à de potentiels débordements. Cet accord prévoit donc une coopération policière de la France, financée par le Qatar.

Mais cette convention bilatérale est pour nous l’occasion de débattre plus largement des conditions d’attribution et de préparation de la Coupe du monde.

Ce petit émirat est connu pour son gaz, son pétrole et ses buildings ; plus globalement, donc, pour son empreinte carbone désastreuse. Mais, pour ceux qui l’ignoraient jusqu’alors, l’organisation de la Coupe du monde a été l’occasion de découvrir un autre désastre, humanitaire cette fois, avec la fameuse pratique de la kafala et des conditions de travail infernales ayant entraîné la mort de plusieurs dizaines d’ouvriers. Je dis « plusieurs dizaines », car l’opacité est telle sur le sujet qu’il nous est impossible d’en connaître le chiffre exact.

À l’instar des jeux Olympiques d’hiver de Pékin, certains ont naturellement appelé au boycott de la Coupe du monde 2022. Elle est, à n’en pas douter, une aberration écologique, avec des structures pharaoniques construites ex nihilo et promises à une quasi-inactivité une fois la compétition achevée.

Comme lors des championnats du monde d’athlétisme organisés en 2019 au Qatar, les stades seront dotés de superclimatiseurs. Mais ni ces climatiseurs ni le changement de calendrier ne garantissent des conditions météorologiques acceptables pour le corps humain. On se souvient ainsi du triste record du marathon féminin de 2019, avec 40 % d’abandons.

Cette compétition est également le théâtre de multiples violations des droits humains, notamment ceux des ouvriers asiatiques qui subissent des conditions de travail et de vie indécentes, des privations de droits, de la discrimination…

Mais doit-on pour autant boycotter l’événement, tandis que les échanges commerciaux avec le Qatar, et notamment les ventes d’armes, se poursuivent ? Rappelons que le système de la kafala a été aboli en 2020 sous la pression internationale, et que les premières élections de portée nationale ont été organisées en octobre au Qatar. La Coupe du monde est un accélérateur de la modernisation et de l’ouverture du pays.

D’ailleurs, les organisations non gouvernementales (ONG) n’appellent pas au boycott de cette compétition. Elles demandent que l’on s’en serve comme d’un levier pour améliorer la situation sociale et écologique dans le pays, parce que le boycott pénalise avant tout les sportifs et que la politique de la chaise vide a ses limites.

Nous devons toutefois remettre sérieusement en question les procédures d’attribution de ces grands événements. Peut-on encore s’obstiner dans cet apolitisme de façade et cette absence de conditionnalité qui ne correspondent pas du tout à l’éthique du sport ?

Une véritable régulation est à opérer au sein des organisations sportives internationales. Elles ne peuvent plus se contenter d’être des chambres d’enregistrement du sportswashing, et doivent enfin prendre des mesures drastiques pour conditionner l’organisation des grandes compétitions sportives au respect de certaines valeurs largement partagées par les sportifs du monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Mickaël Vallet.

M. Mickaël Vallet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons nous contenter d’examiner le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, pour technique ou formel qu’il puisse paraître, sans nous interroger sur le contexte.

Sur le texte et ses effets juridiques proprement dits, le propos est simple : la France est un partenaire ancien du Qatar et, à ce titre, partage son expertise dans des domaines répondant précisément aux besoins de ce pays qui n’a pas, autant que nous l’avons, l’expérience de la gestion de l’ordre public lors de grands événements sportifs.

La seule évocation d’une coupe du monde de football nous renvoie, nous Français, à des expériences heureuses, en termes tant d’organisation que de résultats sportifs. Cette coopération doit permettre de « valoriser les compétences de nos services et faire rayonner nos pôles d’expertise », pour reprendre les termes de l’exposé des motifs.

Il y est également rappelé que les quelque 200 milliards de dollars d’enjeux économiques liés à une coupe du monde ne sont pas sans offrir des perspectives à nos entreprises dans cette cité-État qui ne représente pas moins que le sixième excédent commercial français. Les domaines de l’armement et de la défense y sont particulièrement bien représentés.

Ajoutons à cela que l’accord prévoit la prise en charge par la partie bénéficiaire de la coopération de l’intégralité du financement et que nos personnels seront juridiquement sécurisés dans leur cadre d’intervention, comme l’a souligné Mme la ministre : garantie du droit à un procès équitable en cas de mise en cause et impossibilité de mettre en œuvre à leur endroit la peine de mort, encore en vigueur dans cet État. À ce stade, si j’ose dire, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Toutefois, autour du texte se trouve le contexte. Se pose alors la question de savoir si l’intérêt de la France n’est pas d’abord de rester crédible dans ses choix de coopération. Voilà une idée qui paraît simple et c’est ainsi, chacun le sait désormais, qu’il faut voler « vers l’Orient compliqué »…

Disons donc les choses simplement : cette coopération s’inscrit dans le cadre d’une compétition que certains ont qualifiée de « Coupe du monde de la honte », celle dont les conditions d’attribution et de mise en œuvre ont heurté à bon droit l’opinion et interrogent sur l’opportunité d’un tel niveau de coopération et sur sa signification politique.

Le processus d’attribution de l’événement fait l’objet dans plusieurs pays, dont le nôtre, de procédures judiciaires lourdes. Les magistrats du parquet national financier (PNF) ont ouvert une information judiciaire pour « corruption active et passive » et « recel et blanchiment ». Des procédures similaires ont actuellement cours aux États-Unis et en Suisse. Et c’est à très haut niveau que ces faits de corruption sont présumés, dans l’entourage des plus illustres supporters français du PSG.

Interrogent également, et même scandalisent, les conditions de travail épouvantables des milliers de travailleurs étrangers sur les chantiers de construction des stades et des différentes infrastructures nécessaires à un tel événement. Pas un de nous ici ne tiendrait dans des conditions pareilles.

L’Organisation internationale du travail (OIT) et certaines ONG saluent des avancées ces dernières années, notamment l’abolition de la kafala, qui revient en fait à l’instauration d’un salaire minimum, ou l’ouverture d’un bureau de l’OIT dans le pays. Mais nombreuses sont les organisations de défense des droits de l’homme qui continuent de les trouver profondément insuffisantes et surtout de mettre en doute le nombre de « morts au travail ». Les conditions de travail des ouvriers doivent toujours être défendues avec une vision internationaliste.

Et que dire de la débauche énergivore de l’événement, nonobstant le discours qatarien – le Qatar n’est d’ailleurs pas le seul à le tenir – consistant à repeindre en vert les modalités de construction des stades et bâtiments ?

Le Qatar, que nous allons assister dans cette Coupe du monde, est le champion mondial des émissions de CO2 par habitant. Pendant ce temps, on exhorte les Français qui comptent ce qui leur reste à la fin du mois à tendre vers la sobriété…

Enfin, quand cet accord, dans les dix grandes fonctions autour desquelles s’articule la coopération – vous les avez rappelées, madame la ministre –, met en avant la lutte contre le terrorisme et l’expertise en cybersécurité, on ne peut que s’interroger sur la fin de non-recevoir adressée récemment aux services de renseignement français à la suite de leur demande de cessation de financement, par des fonds qatariens, de certaines mosquées, écoles ou associations impliquées dans la diffusion de l’islamisme politique.

Cet événement et sa mise en œuvre appelaient-ils, dès lors, un tel degré d’implication de la diplomatie française ?

De tous ces sujets – corruption, travailleurs ou lutte contre l’islamisme politique –, il n’a pas été publiquement question lors de la tournée de la délégation française dans le Golfe en décembre dernier, conduite par le Président de la République en personne.

Il est aisé de comprendre que notre groupe, au regard du décalage constaté entre cet accord de coopération accepté par le Gouvernement et les pratiques inadmissibles entourant cette coupe du monde de football, ne pourra voter ce texte.

Seule la protection offerte à nos coopérants militaires et civils nous empêche de voter contre. Nous ne nous l’interdisons que pour eux et pour eux seuls. En conséquence, le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à débattre d’un texte et d’un contexte.

Le contexte est celui des détestables soupçons de corruption et d’escroquerie qui jettent l’opprobre sur la FIFA. Ce scandale pollue, depuis plusieurs années, ces moments festifs de communion nationale footballistique. La prochaine Coupe du monde n’en est pas exempte, ce que je regrette.

Pourtant, il n’est pas aujourd’hui question de voter sur le choix du pays organisateur de la prochaine coupe du monde, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, cette décision ne relève pas de notre compétence de législateur, comme l’a rappelé notre collègue rapporteur Olivier Cadic, que je félicite pour son travail et la justesse de son propos. Cette compétence est celle d’une instance privée, la FIFA.

Ensuite, ce choix, qui remonte à douze ans, est désormais acquis. La Coupe du monde se tiendra cette année. En disant cela, je ne nie absolument pas les conséquences écologiques qui découleront de l’emploi des climatisations géantes prévues pour contrer des conditions météorologiques difficiles pour la pratique du football de haut niveau. Cela n’est pas sans faire écho aux critiques formulées contre les actuels jeux Olympiques d’hiver, au cours desquels l’usage de la neige artificielle bat son plein.

Je ne nie pas non plus les enquêtes qui ont révélé les coûts humains des préparatifs de cette Coupe du monde de football. Ils ne sont jamais excusables. Nous avons tous été profondément choqués.

Je ne nie pas non plus que la perspective de cette compétition ait pu encourager le Qatar à se moderniser et à s’ouvrir. Face aux critiques récurrentes quant aux conditions de travail des ouvriers sur les chantiers de la Coupe du monde, le Qatar a opéré depuis trois ans d’importantes réformes de son droit du travail, en coopération avec le Bureau international du travail, afin de se conformer aux normes internationales.

Cette marche doit se poursuivre. Il reste du chemin à parcourir pour atteindre pleinement nos standards en matière de droit du travail comme de droits de l’homme. Nos recommandations, lors de l’examen périodique universel (EPU) de l’Organisation des Nations unies (ONU), en mai 2019, constituent une bonne feuille de route. C’est en bonne voie et je salue les premières améliorations.

Ainsi, le Qatar a été le premier pays de la région à instaurer, en 2020, un salaire minimum pour les expatriés non qualifiés. Il a aussi été le premier, fin 2016, puis en 2020, à abroger la kafala, système honteux de parrainage contraignant qui discriminait les travailleurs étrangers et prévoyait d’autres exigences qui leur déniaient toute liberté de mouvement. Fait encourageant, ce pays a été récemment suivi par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.

Notre pays doit poursuivre ce dialogue constructif, étroit, régulier et exigeant, pour accompagner le Qatar dans la poursuite de ses progrès.

Ce premier instrument juridique conclu entre nos deux pays en matière de sécurité intérieure témoigne de l’ancienneté et de la qualité de notre coopération en termes de conduite de grands événements sportifs.

Ce cadre de partenariat s’appliquera définitivement et spécifiquement le temps de la prochaine Coupe du monde de football, pour en assurer la sécurité. Il témoigne de l’expertise française face à des enjeux auxquels le Qatar n’est pas habitué, tels que le hooliganisme, la gestion des « fan zones », la menace terroriste et les cyberattaques, la contrefaçon ou la consommation d’alcool. Il contribuera à faire rayonner nos pôles d’expertise et à dynamiser notre coopération. Je me félicite qu’il vienne apporter de fortes et précieuses garanties de protection juridique à nos agents français du ministère de l’intérieur déployés au Qatar dans le cadre de ces activités de coopération.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cet accord.

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Coupe du monde de football est un événement majeur qui, tous les quatre ans, fait vibrer des millions de personnes.

Depuis 2002, le pays organisateur est choisi par un vote des 211 nations membres de la Fédération internationale de football. Le pays organisateur est mis sur le devant de la scène et bénéficie de nombreuses retombées.

En 2010, le Qatar a été chargé de l’organisation de la Coupe du monde 2022. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, à l’approche de cet événement, la France a conclu un accord visant à garantir, par son assistance technique et opérationnelle, un haut niveau de sécurité.

Les jeux Olympiques ou le Rallye Dakar nous ont rappelé que les événements sportifs pouvaient être la cible d’attaques. Le Qatar n’a pas été épargné, ces dernières années, par le terrorisme. La France dispose d’une expertise particulière en matière de sécurisation de grands événements, comme elle l’a prouvé lors de la Coupe du monde 1998 et de l’Euro 2016, dans un contexte sécuritaire difficile. Et Paris se prépare à accueillir prochainement la Coupe du monde de rugby et les prochains jeux Olympiques.

Il est tout à fait judicieux que la France propose son assistance au Qatar. Cela contribuera non seulement à assurer les meilleures conditions de sécurité lors de l’événement, mais aussi à maintenir et perfectionner l’expertise de nos services compétents.

Je comprends que nos collègues communistes aient souhaité que nous ayons un débat sur ce texte. N’oublions pas que la désignation de la Russie et du Qatar comme pays organisateurs des coupes du monde 2018 et 2022 s’est déroulée dans un contexte de suspicion de corruption.

Le choix du Qatar, en raison de ses conditions climatiques particulières, pose évidemment d’autres questions. Il est inédit qu’un pays arabe puisse organiser un tel événement, dans une région souffrant de conflits armés.

Nos collègues communistes nous rappellent que diverses sources font état de la mort de plusieurs milliers de travailleurs immigrés au Qatar. Certains étaient employés sur les chantiers des installations destinées à la Coupe du monde. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur ces décès.

Les conditions climatiques du Qatar sont particulièrement dures pour l’organisme ; le calendrier de la compétition a d’ailleurs été adapté pour cette raison.

À l’heure actuelle, beaucoup de ces décès sont identifiés comme résultant de causes naturelles. Il est difficile de l’accepter quand il s’agit d’hommes dans la fleur de l’âge. Ce n’est pas la première fois que ces faits se produisent : des scandales de même nature ont entouré la Coupe du monde 2014 au Brésil.

C’est notamment la responsabilité de la FIFA de s’assurer que ces situations dramatiques cessent de se répéter : nous lui adressons un appel. Aucun jeu ne peut valoir la vie d’un homme. La préservation de la vie humaine doit rester la première des priorités.

Certains ont pu appeler à un boycott de la compétition. Historiquement, le football a renforcé les liens de paix entre les nations en respectant l’identité de chaque pays. Dans ce contexte, le Gouvernement a maintenu une diplomatie d’ouverture, sans pour autant transiger sur nos valeurs, ce que nous soutenons – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur. D’ailleurs, il n’a pas été question de boycotter les Jeux de Pékin.

Ces événements ne sont pas seulement des rencontres sportives. Ils sont des moments d’échange, au cours desquels nous pouvons faire rayonner nos valeurs et tenter d’influencer pour le mieux nos homologues. C’est tout à fait l’esprit de l’accord en question : coopérer en faveur de l’intérêt commun.

La participation à un événement sportif ne signifie pas apporter son soutien à la politique d’un État. La sécurité des travailleurs et la liberté des individus doivent être mieux protégées. Il nous semble, en la matière, que des échanges réguliers sont plus à même de faire évoluer les choses dans un sens qui nous paraît favorable.

« Le secret pour gagner : une action après l’autre, une balle après l’autre, un match après l’autre, une saison après l’autre », disait Luis Fernandez. Nous sommes convaincus que cela vaut également en matière de diplomatie : allons-y pas à pas.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires souhaite que le Qatar protège davantage les travailleurs immigrés. Pour autant, l’esprit de coopération porté par l’accord nous conduit à voter en faveur du texte.

Mme le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Bouchet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le retour à la procédure d’examen normale pour cette convention entre la France et le Qatar nous offre l’occasion d’un débat qui, je l’espère, apportera des réponses à nos questions.

Le présent texte est un accord de coopération bilatérale entre la France et le Qatar établissant un partenariat sur la sécurité de la Coupe du monde de football, qui aura lieu dans quelques mois au Qatar – une première dans cette zone géographique.

Avant d’aller plus loin, mes chers collègues, permettez-moi, au nom de mon groupe et à titre personnel, de saluer tous les athlètes qui, après deux années de pandémie, vont pouvoir participer à cette compétition internationale et nous apporter joie et espoir. Ils incarnent les valeurs essentielles et universelles que sont la pugnacité, la discipline, l’humilité, le dépassement de soi et le fair-play sur lesquelles nous ne devons pas céder.

Le contexte géopolitique de cet événement est marqué par de nombreux défis sécuritaires. C’est l’un des premiers fondements de cet accord qui s’inscrit dans une logique de coopération bilatérale ayant commencé dans les années 1990.

Comme l’a souligné notre rapporteur Olivier Cadic et comme le mentionne l’étude d’impact, la France et le Qatar ont signé en décembre 2017 des accords relatifs à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Cette coopération s’est accompagnée de la mise en place d’un dialogue stratégique en 2019.

Ces deux actes sont déterminants pour la sécurité de la France et pour celle des autres pays, dans la mesure où le terrorisme islamiste et son financement menacent la paix entre les nations et fragmentent les sociétés.

Madame la ministre, nous savons que le Qatar apporte un appui logistique conséquent à la force conjointe du G5 Sahel. Pourriez-vous nous préciser quelles mesures concrètes sont mises en place par le Qatar depuis 2017, dans le cadre de la lutte contre le financement international du radicalisme, notamment au travers des établissements religieux et des associations ?

Parallèlement à la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, je souhaite revenir un instant sur un autre aspect important de cet accord : le partage de l’expertise française dans la gestion de cet événement et dans des fonctions clés telles que la planification, le contre-terrorisme, le renseignement, la sécurité civile, la cybersécurité…

Ce sont autant de secteurs dans lesquels nos fonctionnaires des services de gendarmerie, de police, de secours et de logistique pourront instaurer des liens professionnels à long terme, développer leur expertise, diffuser leur savoir-faire reconnu, mais non exempt de concurrents.

Enfin, certains de nos collègues se sont interrogés, en commission, sur les droits des travailleurs et leurs conditions pour la préparation et l’accueil de cet événement.

En tant que membre du groupe d’études « Pratiques sportives et grands événements sportifs » du Sénat et de la commission des affaires étrangères, je peux comprendre ces questionnements. Toutefois, ils ne relèvent pas du texte qui nous est soumis. Nous resterons attentifs aux réponses que vous voudrez bien nous apporter sur ces sujets, madame la ministre.

L’objectif premier de l’accord reste la sécurité de la compétition, tout en permettant à nos deux pays d’approfondir leur coopération dans la lutte contre le terrorisme à différents niveaux. Pour cette raison, et dans sa majorité, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, des milliers de vies humaines emportées – 6 500 morts, selon The Guardian –, les pires conditions de travail constatées depuis l’abolition de l’esclavage, 200 milliards de dollars engloutis dans des stades pharaoniques à usage unique, une dépense énergétique invraisemblable pour refroidir de 40 à 15 degrés l’air ambiant de stades ouverts : après les innommables jeux Olympiques d’hiver de Pékin, voilà le coût de ce Mondial de la honte, attribué à la surprise générale et dans des conditions plus que douteuses par la FIFA, avec l’entregent funeste de l’ancien président Nicolas Sarkozy. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette FIFA, qui demande aujourd’hui le même statut défiscalisé que l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) pour s’implanter à Paris, et devant laquelle le Gouvernement déroule le tapis rouge !

C’est une bien triste année que 2022 pour les valeurs du sport, devenues le paillasson d’un capitalisme sans vergogne. (Mêmes mouvements.)

Que l’on ne vienne pas me dire que les écologistes sont des ennemis du sport ! C’est justement parce que nous défendons les valeurs du sport, de l’olympisme et les principes de tolérance, de paix, de fair-play et de noble émulation visant à la création d’une société pacifique que nous nous élevons contre cette aberration mercantile.

Quels footballeurs peuvent se satisfaire de ce détournement de leur sport ?

Quels footballeurs peuvent trouver du plaisir à jouer dans des stades plus imprégnés par l’odeur de la mort que par celle de la célébration ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est parce que les écologistes chérissent et défendent le sport qu’ils condamnent cette folie meurtrière !

Alors que le boycott, a minima diplomatique, s’impose, le Gouvernement nous propose au contraire de faire participer la France à la sécurité de cet événement… Ce cynisme est insoutenable !

Jusqu’où devrons-nous fermer les yeux pour écouler nos Rafale ? Combien de morts tolérerons-nous ? Combien de prisonniers torturés ? Combien de violations des droits humains nous faut-il accepter pour choyer le troisième plus gros client de notre industrie de défense ?

Ce projet d’accord est moralement inacceptable. Nos forces de l’ordre n’ont rien à faire au Qatar. Laissons l’émirat organiser cet événement qu’il a tout fait pour obtenir, à l’encontre de tout sens commun.

On lit, curieusement, dans le rapport de la commission que cette participation de la France à la sécurité du Mondial permettra de « nous préparer à l’accueil et à la sécurisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques de 2024 ». Quelle curieuse justification…

La France, qui a organisé un championnat d’Europe de football en plein état d’urgence, quelques mois seulement après les attentats de novembre 2015, ne serait pas capable d’assurer la sécurité d’une Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques ? C’est faire bien peu de cas des capacités de notre pays. Voilà qui est étrange de la part des partisans de la candidate qui défend la « fierté française retrouvée » ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Plus largement, je regrette vivement la position de notre commission et la teneur du rapport que vous avez adopté, mes chers collègues. Mentionner des avancées des droits humains sans rappeler les innombrables violations de ces mêmes droits dont s’est rendu coupable le Qatar me semble donner une vision pour le moins incomplète, pour ne pas dire orientée. Notre commission nous a habitués à davantage d’objectivité.

Il a fallu notre intervention et celle de nos collègues communistes, que je remercie, pour ne pas laisser le Sénat avaliser ce projet en catimini. Car même si l’on se plaçait, comme vous, du côté de la real politik, dénuée d’états d’âme, force est de constater que ce projet d’accord n’est pas plus opportun. Souhaitons-nous vraiment renforcer le partenariat dans la lutte contre le terrorisme avec un pays qui a potentiellement financé des groupes terroristes que notre armée combat encore au Mali ?

Toujours fidèles à nos incohérences, nous allons mettre en place un partenariat bilatéral avec un pays qui a longtemps financé les Frères musulmans sur notre sol et, dans le même temps, continuerons à voter des lois séparatistes pour pouvoir fermer les mosquées concernées dans notre pays, en abîmant au passage des libertés publiques.

Ce projet d’accord compromet tout autant notre dignité que notre sécurité nationale. Le Sénat doit évidemment le rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette Coupe du monde cristallise toutes les problématiques de nos relations avec le Qatar.

Disons-le d’entrée, son boycott ne nous semble plus pertinent pour plusieurs raisons : sur la forme, cette question aurait dû se poser avant même le premier match des éliminatoires, en mars dernier ; sur le fond, cela revient à faire peser sur les épaules des sportifs la responsabilité de l’État et à leur donner un rôle de diplomates qu’ils n’ont pas.

Ce Mondial sera-t-il celui de la fête ou de la honte ?

Dès son attribution, le doute a plané. Les soupçons de corruption sont étayés par des milliers de mails et renforcés par des présomptions de pressions politiques venant, notamment, de l’Élysée.

Rappelons également que le dossier du Qatar était le moins bien noté par l’expert de la FIFA. Ce triste épisode, qui s’ajoute aux suspicions concernant les éditions 1994, 1998, 2002 et 2010, impose une réelle réflexion sur le mode d’attribution des compétitions sportives internationales. Je rejoins en cela Marie-George Buffet, dans sa tribune publiée dans LHumanité du 25 janvier dernier.

C’est ensuite la préparation du Mondial qui scandalise. Pour accueillir la compétition, le Qatar doit construire six des huit stades du tournoi, recourant pour cela à des milliers de travailleurs népalais, indiens et bangladais, dont les passeports sont confisqués.

Sous des températures dépassant parfois les cinquante degrés, 6 750 de ces travailleurs ont perdu la vie, quand les autorités qataries n’en concèdent que 37.

Comment jouer sous de telles températures, me demanderez-vous ? Tout simplement en déplaçant la compétition en hiver et en installant des systèmes de climatisation ultrapolluants dans le pays qui émet déjà le plus de CO2 par habitant.

Pendant la compétition enfin, on peut craindre le pire. Au Qatar, l’homosexualité est toujours passible d’une peine de prison. Les femmes, si elles possèdent certains droits, sont toujours placées sous le régime de la tutelle et doivent, depuis 2014, tenir compte d’une liste de vêtements interdits. En ce qui concerne la consommation d’alcool, qui n’est pas formellement interdite, la réglementation est floue.

Dans ce contexte, pourquoi devrions-nous prendre la responsabilité d’envoyer des agents et des matériels pour assister les forces de sécurité qataries avant et pendant l’événement ?

Cette convention, tout comme celle dont l’examen a été repoussé, doit nous interroger sur nos relations avec le Qatar.

Mme Michelle Gréaume. Ce royaume est aujourd’hui dans l’obligation de redorer son image, faisant face à la fois aux pressions de ses voisins émiratis et saoudiens et à une économie trop peu diversifiée, dont deux ressources sont par ailleurs amenées à disparaître.

Il serait naïf de penser que Doha investit autant par amour de la pratique sportive et de son développement. En cela, le Qatar rejoint d’autres États ayant mené dans le passé ou encore aujourd’hui une stratégie de sportswashing non déguisée.

La France a fait du Qatar, depuis 1972, un partenaire privilégié. Cette coopération a des retombées culturelles, éducatives et dans le domaine des transports. Mais c’est surtout dans le secteur militaire que brillent les relations entre nos deux pays. Ainsi, le Qatar est le deuxième plus grand acheteur d’armes de la France, après cette autre grande démocratie qu’est l’Arabie Saoudite.

Malgré les multiples atteintes du Qatar aux droits humains, également constatées durant la préparation de la Coupe du monde, la France se satisfait très bien d’une relation qui rapporte plusieurs dizaines de milliards d’euros à sa balance commerciale. C’est à peine si Paris parle de « discours exigeants » à tenir à l’émir d’un pays que les différents gouvernements qualifient volontiers d’État « en voie de modernisation ».

Je ne pense pas que nous puissions nous satisfaire d’un tel discours et de telles pratiques, alors même que la France s’enorgueillit d’être le pays des droits de l’homme et de la lutte contre le terrorisme et que le Qatar est fortement soupçonné de financer des groupes terroristes.

Compte tenu de tous ces éléments, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de l’état du qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la coupe du monde de football de 2022

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022, signé à Doha le 5 mars 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le rapporteur.

M. Olivier Cadic, rapporteur. Mes chers collègues, l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football suscite des interrogations légitimes, comme on vient de l’entendre. Toutefois, à l’instar de Xavier Iacovelli, je tiens à vous rappeler que nous ne sommes pas là pour faire le procès de l’attribution de cet événement au Qatar.

Le projet de loi que nous allons voter ne comporte qu’un article, lequel ne peut être amendé. La question est de savoir si nous souhaitons coopérer avec le Qatar pour que la Coupe du monde de football 2022 se déroule dans les meilleures conditions. Pour la commission, la réponse est oui.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. J’ai bien entendu les explications données par le rapporteur. Certes, nous ne sommes pas là pour juger de l’attribution du pays organisateur de la Coupe du monde, mais on est tout de même dans l’accessoire qui rejoint le principal…

Nos relations avec le Qatar sont extrêmement difficiles : ce pays héberge, comme l’a souligné notre collègue, non pas des groupes terroristes, mais les Frères musulmans, et notamment le cheikh al-Qaradawi, qui répand sa mauvaise parole partout et contre l’influence duquel on lutte sur notre territoire.

Par ailleurs, la convention fiscale qui nous lie au Qatar fait de notre pays un paradis fiscal.

Pour ces raisons, et même s’il ne s’agit que d’une convention accessoire, je ne pourrai pas voter l’accord qui nous est proposé.

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022.

(Le projet de loi est adopté.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures trente-six.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du Monde de football de 2022
 

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Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Discussion générale (suite)

Harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 1er

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français (texte de la commission n° 428 rectifié, rapport n° 427).

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire (CMP) est parvenue, le 1er février dernier, à un texte commun sur le projet de loi de reconnaissance et de réparation envers les anciens membres des formations supplétives et leurs familles.

Cet accord traduit l’objectif partagé de nos deux assemblées de franchir un pas supplémentaire dans la reconnaissance que la Nation doit aux harkis, à ces combattants qui se sont engagés pour la France et qui ont été abandonnés à leur sort, puis hébergés, pour certains d’entre eux, dans des conditions particulièrement indignes, dans des structures telles que des camps ou des hameaux de forestage.

Le Sénat a adopté ce projet de loi en première lecture. Il a considéré que, bien que présentant des avancées notables, ce texte ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte » envers les harkis et les autres membres des formations supplétives.

Par l’adoption du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, qui reprend la plupart des apports du Sénat et de l’Assemblée nationale, nous avançons donc sur le chemin de la réconciliation et de la mémoire, qui – nous le savons – sera encore long.

Nous affirmons ainsi, à l’article 1er, la reconnaissance de la Nation envers les harkis qui ont servi la France et qu’elle a abandonnés. Est également reconnue, à cet article, la responsabilité de l’État du fait de l’indignité des conditions d’accueil dans des camps et des hameaux. Sur l’initiative du Sénat, la responsabilité de l’État concerne des « structures de toute nature » qui ont hébergé des harkis et des membres de leurs familles dans des conditions indignes. Cette précision permet ainsi de viser certaines prisons reconverties en lieux d’hébergement.

Cette responsabilité étant ainsi reconnue, un mécanisme de réparation est prévu, à l’article 2, pour que toute personne ayant séjourné dans ces structures puisse bénéficier d’une somme forfaitaire, calculée au prorata de la durée d’hébergement et dont le montant sera fixé par décret.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire a en outre conservé l’article 1er bis dans la rédaction du Sénat, lequel a précisé que la journée d’hommage national aux harkis permettra de commémorer non seulement les sacrifices des harkis, mais aussi les sévices subis.

Une commission nationale de reconnaissance et de réparation, créée à l’article 3, statuera sur les demandes de réparation de préjudice et contribuera au travail mémoriel. La commission mixte paritaire a retenu les apports de l’Assemblée nationale pour que cette commission puisse proposer de faire évoluer la liste des structures concernées par le mécanisme de réparation.

Elle a également conservé les apports du Sénat, qui ont permis de garantir l’indépendance de cette commission et de clarifier la répartition des rôles entre cette instance et l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), en la rattachant notamment au Premier ministre.

Sur l’initiative du Sénat, cette commission devra entendre les harkis combattants qui en font la demande et pourra leur proposer toute mesure de reconnaissance appropriée. Elle pourra également proposer de faire évoluer les mesures de reconnaissance et de réparation existantes envers les harkis et les membres de leurs familles. Cette dernière mission est essentielle en ce qu’elle laisse la porte ouverte à d’éventuelles évolutions des dispositifs existants et à des mesures complémentaires de reconnaissance ou de réparation.

Les futurs travaux du Gouvernement et du Parlement pourront ainsi s’appuyer sur les propositions de la commission nationale, qui aura recueilli de nombreux documents et témoignages.

Ainsi que le prévoit l’article 4, les missions de l’ONACVG sont complétées pour que l’Office puisse assister la commission nationale dans l’exercice de ses missions.

Le texte de la commission mixte paritaire conserve l’apport du Sénat qui, à l’article 7, a allongé de quatre à six ans la période au cours de laquelle les veuves des anciens membres des formations supplétives ou assimilés peuvent solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère.

Enfin, la commission mixte paritaire a fait le choix de supprimer l’article 8 qui prévoyait une peine d’amende spécifique pour l’injure et la diffamation commises envers un ancien supplétif en raison de sa qualité. Ces infractions sont déjà punies par la loi au titre de l’assimilation aux forces armées ou dans le cadre du droit commun.

Il convient donc de s’en tenir au droit existant, un régime spécifique présentant d’importants risques de rupture d’égalité devant la loi pénale et de traitements différenciés selon l’appartenance à telle ou telle communauté, réelle ou supposée.

Mes chers collègues, au nom de la commission mixte paritaire, je vous propose donc d’adopter ce projet de loi qui, loin de panser des plaies encore vives pour nombre de nos compatriotes, apporte toutefois des mesures utiles pour la reconnaissance et la réparation que la Nation doit aux harkis et à leurs familles. C’est une étape : nul doute qu’il nous faudra poursuivre le travail ; nous le devons à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Madame le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, commençons par écouter les vers de Messaoud Gadi :

« Nous devons nous souvenir,

« Nous soutenir, et avec l’encre du passé,

« Sur une page oubliée,

« De l’Histoire de France,

« Écrire notre espérance. »

Ces vers disent tout ce que, collectivement, au-delà des divergences, nous avons voulu faire. Ils disent l’émotion que nous ressentons en pensant à nos compatriotes harkis. Ils disent l’esprit de ce projet de loi sur lequel vous vous apprêtez à vous prononcer.

La lecture des conclusions de la commission mixte paritaire devant le Sénat, après le vote de l’Assemblée nationale, marque pour ce projet de loi la fin d’un parcours parlementaire : un parcours fait d’échanges fructueux, de débats pour l’essentiel respectueux et d’une coopération que je qualifierai d’exemplaire.

Je veux d’abord vous remercier, sincèrement, pour avoir mis du cœur à l’ouvrage et pour les amendements que vous avez apportés au projet initial du Gouvernement. Le Parlement a joué tout son rôle ; il a enrichi, élargi et précisé le texte.

Je tiens tout particulièrement à saluer les rapporteures des deux chambres pour la qualité de leurs travaux : ce fut un réel plaisir de travailler ensemble à la réussite de ce projet de loi.

En votant ce texte, vous permettez à la République d’être fidèle à sa promesse. Les engagements du chef de l’État pris au nom de la France, le 20 septembre dernier, devant les représentants des associations harkis, devant des harkis et leurs familles, sont tenus et honorés. Ils trouvent dans ce projet de loi une traduction concrète.

Vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte qui marque une avancée inédite de la reconnaissance et de la réparation. J’ai entendu les commentaires et les critiques, les demandes d’aller plus loin. Je le réaffirme devant vous, et c’est un point fondamental : cette loi ouvre une nouvelle étape de l’histoire entre la Nation et les harkis combattants, une nouvelle étape dans la prise en compte des souffrances des familles de harkis. Cette étape est celle du pardon.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, quelle que soit votre sensibilité, la possibilité de voter un texte qui marquera la vie de plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens, qui s’inscrit dans la profondeur mémorielle de notre pays, qui parle à des hommes et à des femmes ressentant encore douloureusement les épreuves de la guerre d’Algérie, qui répond à l’exigence de fraternité de notre pacte républicain. Ce texte permet de répondre en partie à la soif de justice légitime de nos compatriotes.

Vous connaissez l’esprit qui sous-tend ce texte, aboutissement d’une longue concertation et d’un long chemin menés sous plusieurs gouvernements. Pour ma part, j’ai souhaité que cette loi réponde aux attentes et aux besoins que j’ai entendus depuis 2017. Elle est le fruit d’un temps d’écoute et de dialogue quasi permanent avec les associations représentatives, de temps d’échanges sur les lieux de mémoire harkis, de réflexion avec le rapport commandé dès 2017 à M. Dominique Ceaux.

Au cours des heures de débats que nous avons partagées, nous avons rappelé l’histoire des harkis, nous avons retracé les parcours de ces hommes et femmes entre les rives de la Méditerranée, nous avons affirmé la reconnaissance par la Nation d’une tragédie française. Car oui, le sort des harkis reste une profonde blessure dans notre société, une page sombre de notre histoire.

La France a tourné le dos à des hommes valeureux, à ses propres combattants. À celles et ceux qui l’avaient loyalement servie de 1954 à 1962. À celles et ceux qui avaient cru dans les promesses de l’étendard tricolore et de la fraternité d’armes. À celles et ceux qui ont tout perdu : leur terre natale, leur foyer, leurs biens… C’est là toute la singularité de ce drame. Ce projet de loi le réaffirme.

En effet, j’ai souhaité que ce texte soit d’abord une nouvelle affirmation de la gratitude de la Nation à l’égard de tous les combattants harkis qui ont servi notre pays dans la guerre d’Algérie. Je n’oublierai jamais les leçons de fidélité française que porte leur histoire.

Au cours des dernières semaines, au cours de votre mandat sur chacun de vos territoires, vous avez entendu les témoignages et les récits des harkis débarqués un jour de 1962 sur le sol de France. Leur récit est celui de l’arrachement à leurs racines, de l’exil douloureux sur une terre qui leur était souvent inconnue.

Il est celui de l’incompréhension et de l’incertitude de familles balayées par les événements. Je sais pouvoir associer le Sénat à cette émotion qui nous saisit lorsque nous échangeons avec nos compatriotes harkis. Et aujourd’hui, solennellement, nous leur adressons l’affection et l’hommage de la Nation.

Nous le savons, la vérité est cruelle. La France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles. Pour ceux qui attendaient l’hospitalité et la fraternité, nombreux ont trouvé l’hostilité et l’arbitraire. Pour beaucoup, l’arrivée sur le sol métropolitain a signifié le début de la marginalisation et de conditions de vie totalement indignes – et le Sénat a particulièrement voulu insister sur cette notion d’indignité.

Nous avons rappelé les maux et les traumatismes, les injures et les conséquences à long terme sur les enfants de harkis. Cette trahison de la promesse républicaine est le cœur de ce texte.

C’est aussi pour cela que le Sénat a élargi le projet de loi aux structures de toute nature dans lesquelles les harkis ont été soumis à des privations de liberté, à une tutelle et à des conditions de vie particulièrement précaires. Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons avancé ensemble.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est l’honneur de la République que d’affirmer cette réalité avec force et de l’inscrire dans le marbre de la loi. Ainsi, nous complétons efficacement l’édifice de réparation bâti, depuis plusieurs dizaines d’années, par de nombreux gouvernements et de nombreuses majorités. Je vous en suis particulièrement reconnaissante.

La version finale de ce texte permet d’ancrer la journée nationale du 25 septembre dans la loi et de l’enrichir en rendant hommage à nos compatriotes qui ont accompagné des harkis dans leur arrivée sur le sol métropolitain. Je me réjouis que nous ayons trouvé ce chemin pour leur témoigner l’estime de la Nation.

Ensuite, ce projet de loi, dont le coût – je le rappelle – est évalué à 310 millions d’euros, précise le périmètre de la réparation des préjudices. Je salue les avancées sur ce sujet issues des discussions parlementaires. Cette loi instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation qui sera, comme vous l’avez souhaité, indépendante et placée auprès du Premier ministre. Grâce aux enrichissements du parcours parlementaire, cette commission aura un rôle plus large, des missions renforcées, une responsabilité plus ample. C’est, finalement, une institution forte que nous fondons pour le suivi des dossiers, pour le suivi social, pour l’étude des lieux concernés, pour la collecte et la transmission de la mémoire.

À l’image du travail mené par le Gouvernement depuis 2017, cette loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce pour davantage d’équité. En parallèle de ce texte, je rappelle que, depuis le 1er janvier, l’allocation de reconnaissance attribuée mensuellement à tous les anciens combattants harkis et à leurs veuves a été doublée.

Avec vous, je suis consciente que rien ne peut changer les errements du passé, que rien ne peut guérir les blessures ni gommer les traumatismes. Vous l’avez tous rappelé, rien ne pourra être effacé, rien ne doit être oublié ou passé sous silence.

Je suis ardemment convaincue que l’État doit tout faire pour accompagner une meilleure connaissance de l’histoire des harkis. Il est primordial que les parcours et les destins de harkis soient mieux connus dans la France tout entière. Et nous y travaillons constamment.

Hier encore, j’étais dans l’ancien camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, où un projet est développé en partenariat avec des élus locaux que je veux sincèrement remercier. Il y a là un enjeu essentiel de transmission mémorielle, un enjeu éducatif et un enjeu culturel. Il s’agit aussi, je le crois, d’un devoir moral pour nous, car il n’est pas de véritable reconnaissance sans la connaissance. Je le dis avec force en un temps politique où les faits historiques subissent quelquefois des assauts inédits et sont déformés.

La République connaît et reconnaît ses manquements. Elle fait face à la vérité douloureuse. Mais nous savons aussi que les harkis, leurs enfants et leurs petits-enfants ont fait la France, qu’ils font encore la France et qu’ils feront toujours la France. Car leur histoire est celle d’une fidélité française.

En votant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous faites œuvre de fraternité. Je vous en remercie pour les harkis, pour leurs enfants, pour leurs familles et pour leur mémoire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme le président. Mes chers collègues, je vous prie de vous assurer que votre masque couvre bien le nez, afin d’éviter aux huissiers de venir vous le demander. Je sais que cela vous ennuie tous et que 98 % d’entre vous le mettent correctement, mais je demande gentiment aux 2 % restants de s’astreindre à cette obligation.

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi portant reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français

Chapitre Ier

Reconnaissance et mesures de réparation

Discussion générale (suite)
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Article 1er bis

Article 1er

La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés.

Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables.

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 3

Article 1er bis

Est instituée une journée nationale d’hommage aux harkis, aux moghaznis et aux personnels des diverses formations supplétives et assimilés en reconnaissance des sacrifices qu’ils ont consentis et des sévices qu’ils ont subis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie. Cette journée rend également hommage aux personnes qui leur ont porté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement et de leur accueil sur le territoire français.

Cette journée est fixée au 25 septembre.

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Article 1er bis
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 4

Article 3

I. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles. Cette commission est chargée :

1° A D’entendre à leur demande les combattants mentionnés au premier alinéa de l’article 1er, d’examiner leur situation et de leur proposer toute mesure de reconnaissance appropriée ;

1° De statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 2 ;

2° De contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire de l’engagement au service de la Nation des harkis, des moghaznis et des personnels des diverses formations supplétives et assimilés ainsi que des conditions dans lesquelles ces personnes, les membres de leurs familles ainsi que les autres personnes mentionnées au même article 2 ont été rapatriées et accueillies sur le territoire français ;

3° D’apporter son appui à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre dans la mise en œuvre des missions définies aux 3° et 3° bis de l’article L. 611-5 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. À ce titre, la commission signale à l’office toute situation individuelle particulière, nécessitant un accompagnement social adapté, dont elle a connaissance dans l’exercice de ses missions ;

4° De proposer des évolutions, au vu de ses travaux, de la liste mentionnée au premier alinéa de l’article 2 de la présente loi ;

5° De proposer, au vu de ses travaux, toute mesure de reconnaissance et de réparation envers les personnes mentionnées au 2° du présent I.

La commission publie un rapport annuel d’activité, qui rend notamment compte des témoignages recueillis dans le cadre de l’exécution de la mission mentionnée au même 2°.

bis. – L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre assiste la commission mentionnée au I dans la mise en œuvre de ses missions.

À ce titre, il assure le secrétariat de la commission, instruit les demandes qui lui sont adressées et exécute les décisions qu’elle prend sur le fondement du 1° du même I. Il peut également, à la demande de la commission, solliciter de tout service de l’État, de toute collectivité territoriale, de tout établissement public ou de tout organisme gestionnaire de prestations sociales communication de tous renseignements utiles à l’exercice de ses missions.

II. – La commission comprend :

1° Un député et un sénateur ;

2° Deux maires de communes ayant accueilli sur leur territoire des structures mentionnées au premier alinéa de l’article 2 ;

3° Un membre du Conseil d’État et un magistrat de la Cour de cassation ;

4° Des représentants de l’État, désignés par le Premier ministre ;

5° Des personnalités qualifiées, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire des harkis, des moghaznis, des personnels des diverses formations supplétives et assimilés ainsi que des autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local ou de leurs compétences.

Le président de la commission est nommé par le Président de la République parmi les personnes mentionnées aux 3° et 5° du présent II.

III. – Un décret précise la composition et le fonctionnement de la commission, ses attributions et celles de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, les conditions de son indépendance dans l’exercice de ses missions, les modalités de présentation et d’instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.

Article 3
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 7

Article 4

L’article L. 611-5 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre est ainsi modifié :

1° Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis D’assister la commission instituée au I de l’article 3 de la loi n° … du … portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français dans l’exercice de ses missions ; »

2° Au 2°, les mots : « à ce titre » sont remplacés par les mots : « au titre des 1° et 1° bis du présent article » ;

2° bis À la fin du 3°, les mots : « rapatriés, notamment celles destinées à faciliter leur réinstallation, ainsi que celles fixées par la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et par la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » sont remplacés par les mots : « personnes mentionnées au 1° » ;

3° Après le même 3°, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis De faciliter les démarches administratives des descendants jusqu’au second degré des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local, notamment l’accès aux dispositifs d’aide de droit commun auxquels ils peuvent prétendre et à ceux réservés aux enfants des anciens membres des formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local ; ».

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Chapitre II

Mesures relatives à l’allocation viagère

Article 4
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 8

Article 7

I. – L’article 133 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Après le mot : « survivants », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « d’anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local ayant servi en Algérie, si ces derniers ont fixé leur domicile en France, selon des modalités fixées par décret. » ;

b) Le 3° est abrogé ;

2° Le II est ainsi rédigé :

« II. – S’ils n’ont présenté leur demande d’attribution de l’allocation viagère ni avant le 31 décembre 2016, ni dans l’année ayant suivi le décès, les conjoints et ex-conjoints survivants d’un ancien membre des formations supplétives ou assimilé décédé avant la publication de la loi n° … du … portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français peuvent y prétendre, sous réserve du respect des conditions prévues au I du présent article. » ;

3° Au III, la référence : « au I » est remplacée par les références : « aux I à II bis » et, après le mot : « supplétives », sont insérés les mots : « ou assimilé » ;

4° Après le II, sont insérés des II bis et II ter ainsi rédigés :

« II bis. – Sous réserve du respect des conditions prévues aux 1° et 2° du I, sont éligibles à l’allocation viagère les conjoints et ex-conjoints, mariés ou ayant conclu un pacte civil de solidarité, survivants d’anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local ayant servi en Algérie, si ces derniers ont fixé leur domicile dans un autre État membre de l’Union européenne.

« II ter. – Les personnes mentionnées aux I à II bis bénéficient des arrérages de l’allocation afférents à la période postérieure au décès de leur conjoint, dans la limite des six années précédant celle de leur demande. »

II. – Au 12° du I de l’article L. 136-1-3 du code de la sécurité sociale, les mots : « versée au profit des conjoints et ex-conjoints, mariés ou ayant conclu un pacte civil de solidarité, survivants de harkis, moghaznis et personnels des autres formations supplétives de statut civil de droit local ayant servi en Algérie qui ont fixé leur domicile en France dans les conditions prévues » sont remplacés par les mots : « viagère prévue ».

Article 7
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 8

(Supprimé)

Mme le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 8
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Jocelyne Guidez et M. Claude Kern applaudissent également.)

M. Jean-Claude Requier. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans difficulté, la commission mixte paritaire a convergé vers l’adoption d’un projet de loi en faveur du renforcement de la reconnaissance et de la réparation par la France des drames subis par les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives au lendemain du 19 mars 1962.

Notre rapporteure a rappelé que les modifications apportées par les deux assemblées aboutissaient à un texte équilibré. Dans ces conditions, mon groupe est globalement satisfait de son évolution.

Par l’adoption de ce texte, nous concrétiserons ainsi la volonté, exprimée d’abord par le Président Jacques Chirac et reprise par ses successeurs jusqu’au président Emmanuel Macron, de mieux reconnaître le sort des harkis et la responsabilité de l’État de l’époque quant à leur accueil en métropole.

À quelques jours des soixante ans des accords d’Évian, il est en effet important de marquer, par un assez large consensus politique, une nouvelle étape de la gratitude que la France doit à ceux qui l’ont choisie à un moment de son histoire déchirée.

Nous avons tous rappelé, en première lecture, le terrible quotidien que fut celui des harkis et de leurs familles dans les camps et hameaux de forestage, dans ce qui constituait de véritables prisons à ciel ouvert : insalubrité, brimades, privations de liberté… Condamnés à mort dans leur pays, près de 42 000 harkis ont été condamnés à la survie sur notre territoire.

Oui, incontestablement, la France a abandonné les harkis. Elle a manqué à son devoir moral, ainsi qu’à ses valeurs, lorsqu’elle n’a pas mis en place le digne accueil que méritaient pourtant tous ces hommes, femmes et enfants qui laissaient derrière eux leur terre natale, leur Algérie devenue algérienne dans la douleur.

En face de cet abandon, qui sera désormais inscrit dans la loi, une nouvelle réparation verra le jour avec l’indemnité forfaitaire en compensation du préjudice résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de séjour dans des structures fermées.

En première lecture, le Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) a approuvé tous les dispositifs du texte, même si – cela a été largement dit – nous aurions aimé que l’ensemble des structures d’accueil soient visées.

Néanmoins, grâce à l’apport de nos collègues députés, qui ont donné à la commission nationale de reconnaissance et de réparation la capacité de proposer des évolutions de la liste des structures concernées, la porte reste ouverte à des améliorations futures. Nous devons rester vigilants sur ce point, afin que tous les harkis bénéficient de la politique de réparation, dès lors qu’ils ont subi une forme de relégation.

Je relèverai également, dans ce projet de loi, l’enrichissement de la journée nationale du 25 septembre, qui permettra de rendre hommage, non seulement aux harkis, mais aussi à tous ceux qui leur ont porté assistance : officiers, particuliers ou maires.

Si cette journée fait déjà partie de notre calendrier mémoriel depuis le décret du 31 mars 2003, son ancrage dans la loi permettra de garantir la transmission de cet épisode difficile de l’histoire française aux futures générations.

Évoquer le destin des harkis, c’est aussi évoquer une part de l’histoire de l’Algérie. La réconciliation entre ce pays et la France n’a toujours pas franchi tous les obstacles, plusieurs décennies après la fin des combats. Des deux côtés de la Méditerranée, les sensibilités restent vives.

Cependant, le 4 février dernier, le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra n’a pas manqué de rappeler, en marge du sommet de l’Union africaine, que les relations entre la France et l’Algérie étaient « dans une phase ascendante ». Souhaitons que cela dure afin que nos deux pays regardent ensemble l’avenir et les défis que nos peuples ont aujourd’hui à surmonter en commun ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.

M. Jean Louis Masson. Madame le président, madame le ministre, chers collègues, nous voterons bien entendu ce texte, car il permet de réparer beaucoup de mal, de carences et d’incuries.

En ce qui concerne les séquelles de la guerre d’Algérie, beaucoup reste à faire. Ce texte, dont le mérite revient au Gouvernement, ne constitue pas une fin en soi. Nous déplorons que, depuis près de cinquante ans, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, n’aient ni fait leur travail ni assumé leurs responsabilités.

À mon avis, le bouclage de la guerre d’Algérie est un véritable désastre. On pouvait quitter l’Algérie, mais il est invraisemblable de l’avoir quittée comme on l’a fait, (M. Gérard Longuet opine.) en laissant tant les pieds-noirs que les harkis dans une situation catastrophique et en faisant semblant, pendant des décennies, qu’il n’y avait plus aucun problème et plus rien à faire ! C’est une véritable honte pour la France !

Je ne partage pas le point de vue de ceux qui parlent de « décolonisation ». Quand on voit l’état dans lequel est l’Algérie aujourd’hui, malgré les ressources financières énormes dont elle dispose grâce au pétrole, ceux qui voudraient nous donner des leçons du côté d’Alger sont peut-être mal placés pour le faire. Je regrette que tous les gouvernements, en voulant faire preuve de compréhension et de tolérance, ne se laissent finalement guider par une sorte de dictature intellectuelle émanant tant du gouvernement algérien que des milieux soi-disant bien-pensants de la France.

Je le dis et je le répète, si ce texte est positif, il ne va pas assez loin et ne répare pas tous les torts que la France a faits à ces pauvres gens expulsés d’Algérie à l’époque, Européens comme Algériens, dont les harkis. Je vote le texte, mais ce n’est pas un solde de tout compte.

Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier une nouvelle fois les associations de harkis pour avoir accompagné notre travail de leurs éclairages et de leurs propositions, nourris par leurs vies ou celles de leurs proches. Je remercie également l’ensemble de mes collègues parlementaires de leur engagement et de leur participation à un texte aussi important.

Les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont voté en faveur de ce projet de loi, car ce texte s’inscrit dans la lignée des différentes lois et des discours présidentiels ayant donné des signes de reconnaissance envers les harkis.

François Hollande, dans un discours de 2016, a reconnu explicitement la responsabilité du gouvernement français dans « l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie, et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ».

En inscrivant dans la loi la reconnaissance de la Nation envers les harkis, leur abandon et la responsabilité de l’État dans les conditions indignes de leur rapatriement après les accords d’Évian, nous faisons un pas de plus vers une mémoire apaisée.

Ce projet de loi répond également à une ancienne demande des veuves de harkis en modifiant le délai durant lequel elles peuvent faire valoir leur droit à l’allocation viagère. Le bénéfice de cette allocation sera de plus étendu aux veuves dont le conjoint vivait dans un autre pays de l’Union européenne.

Néanmoins, comme nous le soulignons tous, ce texte ne peut valoir pour solde de tout compte. Nous regrettons que nos propositions n’aient pas été retenues et que subsiste ainsi une distinction de reconnaissance et de droits entre les anciens harkis. Nous l’avons dit à maintes reprises, le texte exclut du dispositif de reconnaissance celles et ceux qui n’ont pas transité par certaines structures. Pourtant, dans bien des cas, il s’agit de familles arrivées en France par leurs propres moyens, sans bénéficier d’un rapatriement militaire.

Nous déplorons donc que la loi n’étende pas la reconnaissance de la responsabilité de l’État en ce qui concerne les conditions d’accueil et de vie sur le territoire à l’ensemble des anciens harkis et de leurs familles rapatriées. Nous en sommes convaincus, un droit à réparation individuelle et une reconnaissance non discriminatoire seraient source d’apaisement.

De plus, au-delà des sommes allouées, le système forfaitaire retenu n’est pas à la hauteur des préjudices dont furent victimes les harkis et leurs familles. En aucun cas, il ne représente une reconnaissance par la Nation des violences vécues. Dans son idée même, ce système permet certes l’acceptation d’un préjudice, mais non la reconnaissance de la culpabilité. Les anciens harkis et leurs familles méritent que leur histoire et leurs souffrances soient entendues et justement réparées.

Enfin, le texte ne reconnaît pas que les personnes concernées étaient et sont des citoyens français à part entière, comme le précise l’ordonnance du 21 juillet 1962. Ce manque de reconnaissance demeure une vraie blessure pour l’ensemble des anciens harkis. Nous regrettons qu’un consensus n’ait pas pu être trouvé sur cette question.

Si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte, c’est parce que nous faisons un pas supplémentaire pour mieux reconnaître tant les souffrances des harkis et de leurs familles que les sacrifices endurés par toutes les victimes de la guerre d’Algérie, qu’il s’agisse des rapatriés, des anciens membres des formations supplétives et assimilés, des disparus ou des victimes civiles et militaires.

Le travail de reconnaissance et de mémoire, qui s’inscrit dans le temps long, doit continuer. Il est primordial d’engager au plus vite le processus de réparation. La commission nationale indépendante mise en place par ce texte doit se mettre au travail au plus tôt, afin que chaque ancien harki reçoive la réparation à laquelle il a désormais droit. En tant que parlementaires, nous y veillerons.

Enfin, nous veillerons aussi à ce que la mémoire des harkis continue de vivre et d’être transmise, notamment grâce au travail de l’ONACVG, pour qu’aucune voix ne soit oubliée. Il faut faire vivre cette mémoire commune, qui participe à notre richesse : celle de la réconciliation nationale et du vivre-ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire réunie le 1er février dernier a trouvé un accord sur le projet de loi portant reconnaissance et réparation de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie.

Il s’agit, comme mes collègues Nicole Duranton et Bernard Buis l’ont rappelé lors de la discussion générale, de franchir un nouveau pas historique.

Historique, car les harkis appartiennent à l’histoire de France. Cette page est sombre, car après avoir servi la France durant la guerre d’Algérie, ces hommes, harkis, moghaznis et membres des autres formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local, se sont retrouvés soit délaissés sur leur terre natale, soit rapatriés en métropole où ils ont été relégués dans des cités urbaines, des camps ou des hameaux de forestage.

Historique, car ce texte traduit l’engagement pris par le Président de la République le 20 septembre 2021, à l’occasion de son discours à la communauté harkie dans lequel il demandait pardon, à juste titre, au nom de la France. Ce discours, salué unanimement, avait créé un espoir légitime et une forte attente.

Historique, enfin, car pour réparer la faute de l’État que représente l’indignité de ces conditions d’accueil et de séjour en France, nous inscrivons dans la loi la responsabilité de l’État et l’impérieuse nécessité d’indemniser et de rendre justice.

Ainsi, les deux premiers articles du projet de loi actent la création d’un mécanisme de réparation des préjudices subis par ces personnes, leurs conjoints et leurs enfants, dans les structures mentionnées. L’abandon dont ces personnes ont été victimes est enfin reconnu explicitement, conformément à la réalité historique.

La commission nationale de reconnaissance et de réparation créée à l’article 3 constitue également une avancée majeure. Elle aura pour missions principales de statuer sur les demandes de réparation, de contribuer au recueil des témoignages et aux actions essentielles de transmission de la mémoire et d’appuyer l’ONACVG dans la conduite de ses missions d’assistance en faveur des rapatriés.

Nous nous félicitons, à cet égard, que notre amendement visant à permettre à cette commission d’entendre, à leur demande, les anciens combattants harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie, quelles que soient les conditions dans lesquelles ont été réalisés leur rapatriement et leur accueil sur le territoire national, ait été maintenu en CMP.

Cette disposition, largement soutenue sur toutes les travées de cet hémicycle et par le Gouvernement, qui avait déposé un amendement similaire, est essentielle. Grâce à cet accès prioritaire, la commission pourra proposer toute mesure de reconnaissance appropriée au regard des services rendus à la Nation.

Les modifications apportées tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale ont permis de renforcer ce texte.

Je pense notamment à la possibilité de compléter la liste des camps et des hameaux de forestage, votée à l’Assemblée nationale, mais aussi à l’introduction, au Sénat, d’une disposition précisant que la responsabilité de l’État concernera « des structures de toute nature » ayant fait subir à leurs résidents des conditions indignes et attentatoires à leurs libertés, ce qui ouvre la voie à l’inclusion de certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour les harkis.

Le Sénat a permis d’accroître le rôle précieux de la commission nationale, puisque cette dernière pourra étendre le champ de la reconnaissance et de la réparation grâce à un travail de recherche continu.

Il s’agit enfin de transmettre la mémoire des harkis et d’enseigner cette page de notre histoire aux jeunes générations, pour ne jamais oublier.

Nous saluons l’accord trouvé en commission mixte paritaire, ainsi que le travail de Mme la rapporteure Marie-Pierre Richer, qui a permis de renforcer ce texte, et enfin l’action et la volonté du Gouvernement qui, en inscrivant ce projet de loi à l’ordre du jour, traduit son exigence de poursuivre le chemin vers la réconciliation nationale.

Aujourd’hui, mes chers collègues, notre assemblée s’apprête, je l’espère, à voter un texte fort et à contribuer ainsi à écrire un nouveau chapitre de notre histoire.

C’est pourquoi le groupe RDPI, avec fierté et émotion, votera en faveur des conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2001, Jacques Chirac, alors Président de la République, prononçait ces mots qui résonnent jusqu’à nous au moment d’adopter définitivement ce projet de loi : « Les harkis ne sauraient demeurer les oubliés d’une histoire enfouie. Ils doivent désormais prendre toute leur place dans notre mémoire. »

Il est impossible de réparer les préjudices subis par les milliers de harkis qui se sont battus pour la France lors d’un conflit long de huit années ayant fait des dizaines de milliers de morts de chaque côté.

Par ce projet de loi, nous consolidons notre indispensable devoir de mémoire. Le processus de reconnaissance a été lent : en mars prochain, soixante années se seront écoulées depuis la signature des accords d’Évian.

J’aimerais à mon tour rendre hommage à ceux qui se sont engagés aux côtés de la France, au prix de sacrifices immenses. Le devoir de mémoire que nous menons depuis des années, qui aboutit en partie aujourd’hui, nous le leur devons, à eux et à leurs familles, dont les souffrances sont tout aussi immenses.

Je salue la volonté du Gouvernement et l’engagement des parlementaires qui ont œuvré pour parvenir à ce texte. Je tiens à remercier notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, de son travail. Les discussions menées et les précisions apportées lors des examens ont montré le caractère essentiel de ce texte pour notre pays.

Le temps de la mémoire et de la reconnaissance consiste aussi à porter un regard de vérité sur les événements de notre passé. Il s’agit, pour la France, d’accepter son histoire et de l’assumer pleinement. Ce devoir de mémoire, que tous ne font pas, est un passage incontournable pour notre avenir.

Si la loi ne peut pas tout, j’espère qu’elle apportera malgré tout un peu de sérénité. L’article 1er constitue le cœur de ce projet de loi.

Il nous permet d’abord d’exprimer notre reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives. L’ajout précisant que notre nation les a abandonnés était nécessaire. Je me réjouis qu’il ait été préservé par la commission mixte paritaire.

L’article 1er nous permet ensuite de rappeler la responsabilité de notre pays pour l’accueil indigne réservé à certains et les souffrances occasionnées – les blessures sont encore vives. Plus de 80 000 personnes sont arrivées sur notre territoire après le conflit. Les conditions de cet accueil ont été évoquées par nombre de mes collègues ; je n’y reviendrai pas. Cependant, je tiens à souligner l’apport essentiel du Sénat, qui a permis des précisions importantes sur ce point.

Comme je le disais au début de mon intervention, ni une loi ni une réparation ne pourront être à la hauteur des préjudices subis. Toutefois, ce texte prévoit un régime d’indemnisation auquel le Sénat n’a apporté aucune modification. Il s’agit d’une avancée notoire, même si elle peut sembler bien tardive et paraître dérisoire aux yeux de certains. Elle contribuera à l’émergence de la vérité et devrait concerner environ 50 000 bénéficiaires. Ses conditions d’octroi me semblent justes et équilibrées.

Enfin, je salue la création d’une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis. Le Sénat a modifié le texte afin de la placer sous l’autorité du Premier ministre, ce qui me paraît nécessaire et adéquat.

Les discussions en commission mixte paritaire ont permis de conserver la quasi-totalité des apports manifestes du Sénat concernant cette commission nationale. Assistée de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, elle aura pour mission de faciliter et de concrétiser les démarches des familles.

Le texte issu de la commission mixte paritaire est équilibré. Il inscrit dans notre loi la reconnaissance de la France envers ceux qui l’ont servie, qui ont choisi de se battre à ses côtés et qui étaient avant tout des Français. Tel était notre devoir, il y allait de la grandeur de notre pays.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera à l’unanimité en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissement au banc des commissions).

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelque temps, nous avions déjà eu à nous exprimer sur cette page douloureuse de notre histoire. Nous l’avions fait avec mesure et sens des responsabilités, car en aucun cas nous n’aurions pu laisser instrumentaliser ceux qui ont choisi la France au péril de leur vie. Je tiens d’ailleurs à remercier notre collègue Marie-Pierre Richer pour la qualité de nos échanges.

Au cours de cette commission mixte paritaire, nous avons su défendre les apports du Sénat et obtenir des avancées. Il était inconcevable, par exemple, de voir nos concitoyens divisés. Les harkis, qui ont eu une vie aussi difficile que valeureuse, ne peuvent être catégorisés ou hiérarchisés.

Leurs conditions de vie ont bien évidemment pu être différentes, plus ou moins douloureuses, et leurs séjours plus ou moins longs, mais c’est précisément parce que chaque histoire familiale a dû porter son lot de souffrances qu’il nous a semblé indécent d’exclure des compatriotes au prétexte qu’ils n’auraient pas assez souffert pour mériter notre reconnaissance.

C’est ainsi que la commission nationale pourra désormais proposer « toute mesure de reconnaissance et de réparation » envers les anciens supplétifs et membres de leurs familles. L’amendement visant à préciser ce point, proposé par le groupe Les Républicains et défendu par son président Bruno Retailleau, a été adopté par le Sénat. Ces dispositions permettront, malgré les contraintes constitutionnelles, de faire évoluer le droit à la réparation en fonction des travaux menés par la commission nationale. Cette condition, vous vous en doutez, n’était pas négociable pour nous.

L’article 7, modifié par un amendement de notre rapporteure, porte sur l’allocation viagère ; il constitue également une avancée en ce qu’il allonge de quatre à six ans la période au cours de laquelle les veuves des anciens membres des formations supplétives ou assimilés peuvent solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère. Cette mesure n’a rien d’anodin pour ces femmes, souvent modestes, et leurs familles.

Je pense également au rattachement de la commission nationale sous l’autorité du Premier ministre, gage d’une plus grande indépendance. Je me réjouis que les dispositions de l’amendement déposé avec Christine Bonfanti-Dossat, et cosigné par un grand nombre d’entre vous, aient été conservées.

Mes chers collègues, ce projet de loi panse des plaies encore vives. Nous sommes ici tous lucides : aucun texte ne peut ni ne pourra réparer les blessures d’une guerre. Il faudra encore du temps pour que ces plaies cicatrisent, au nord comme au sud de la Méditerranée, même si nous ne doutons pas que des personnalités politiques sans vergogne chercheront encore à les rouvrir pour mieux s’en servir dans les prochaines années.

Ce travail de reconnaissance, commencé par le Président Jacques Chirac, n’en demeure pas moins une étape importante. Nous devrons veiller à le poursuivre, afin que les jeunes générations ne soient pas en proie aux discours de haine.

Au moment de clore cette prise de parole, je veux également avoir une pensée pour nos anciens combattants qui, très souvent, pour ne pas dire toujours, n’ont plus jamais été les mêmes à leur retour. Leurs témoignages, parfois simplement leur regard, nous rappellent à quel point la paix est précieuse.

En cette période où la situation géopolitique s’assombrit, il me semble important de rappeler qu’une guerre peut très vite se déclarer, mais qu’il faut plusieurs générations pour retrouver une paix harmonieuse. Ce projet de loi en témoigne.

Comme en première lecture, les élus du groupe Les Républicains voteront très majoritairement ce texte.

Madame la ministre, ce projet de loi n’est pas un solde de tout compte. Il rend hommage aux harkis qui ont cru en notre idéal républicain et pour lesquels la République n’a pas su être à la hauteur. Cela, rien ne pourra jamais le réparer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez et M. Olivier Henno applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi était attendue comme celle de la reconnaissance des maltraitances et des souffrances, comme celle de la réparation des injustices et des préjudices subis par les harkis.

Elle découlait d’une volonté du Président de la République, qui avait pour objectif de faire de son mandat un moment de réflexion et de réconciliation sur ce sujet. « La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes et leurs enfants », avait-il déclaré en septembre dernier.

Elle s’inscrivait aussi dans la lignée d’un arrêt du Conseil d’État de 2018, qui avait reconnu la responsabilité de l’État et qui l’avait condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par ce dernier.

Les récents débats sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 au sein de notre assemblée ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie perdurent. À l’approche des soixante ans des accords d’Évian, il devenait évident de reconnaître et de réparer les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis ont rejoint la métropole.

Pourtant, ce projet de loi qu’elles ont réclamé ne répond pas réellement aux attentes des associations de harkis et de leurs descendants. Les résultats issus de nos débats et des travaux de la commission mixte paritaire peuvent paraître équivoques.

Certes, ce texte est une avancée. Il permet un nécessaire changement de paradigme, en passant de mesures de solidarité à des mesures de réparation du préjudice subi du fait de l’action de l’État.

Mais il ne prend pas en compte l’ensemble des harkis et de leurs familles ni n’embrasse la diversité des situations, des conditions de vie, des lieux dans lesquels ils ont séjourné et les conséquences induites sur leur vie familiale et professionnelle.

La déception est à la hauteur de l’espoir suscité. Le manque de concertation dans l’écriture initiale du texte a été unanimement relevé et critiqué, de même que la décision de ne pas inclure l’ensemble des harkis, qu’ils soient ou non passés par les camps ou arrivé avant 1975.

Tous nos amendements, qu’ils aient eu pour objet les périodes ouvrant droit à réparation, les critères d’évaluation des préjudices subis, l’inclusion des années de prison en Algérie, la réparation possible des décès de combattants à destination des veuves et même la création d’une fondation mémorielle ont été jugés irrecevables pour raisons financières.

Malgré nos demandes répétées au Gouvernement, il n’a manifesté aucune velléité de les reprendre à son compte, même partiellement, alors qu’il en avait la possibilité. Comment a-t-il pu ne pas entendre cette volonté d’étendre la reconnaissance et la réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs, parce qu’ils préféraient se débrouiller seuls plutôt que de vivre contraints, qu’ils soient parvenus en métropole avant ou après 1975 ?

Les conditions indignes de leur accueil dans ces structures particulières constituaient bien sûr un problème majeur, mais loin de se limiter aux seuls camps et autres hameaux de forestage.

L’espoir d’une réparation est certes une réelle avancée, si tant est qu’elle soit à la hauteur suffisante pour compenser les pertes de chance de toute une génération en tenant compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles que toutes ces familles ont subies.

Nous entendons les craintes des associations quant à l’apparition d’une certaine fongibilité entre solidarité nationale et réparation du préjudice subi. Nous devons rester vigilants sur ce point, dans le respect de la position exprimée par notre rapporteure, afin que les réparations prévues par ce texte ne soient pas perçues comme un solde de tout compte.

Le manque de reconnaissance concernant l’affirmation de leur citoyenneté française blesse aussi les harkis. Cette reconnaissance n’est pas superfétatoire pour tous ceux qui l’attendaient.

Nous avons aussi porté l’ambition d’une commission indépendante et diverse dans sa composition, apte à rattraper les imperfections de ce texte. À l’instar de tous les membres de notre assemblée, nous serons attentifs au rôle de cette commission et suivrons son travail.

Mes chers collègues, de l’avis de tous, ce texte aurait mérité des améliorations pour répondre à l’attente et à l’espoir suscité par son annonce. Il devait couronner une longue réflexion sur la place que notre pays n’a pas su octroyer aux harkis. Il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile qu’elle soit.

À une époque où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons et où les révisionnismes tentent de gommer le travail des historiens, il semble judicieux de soutenir ce texte. D’autant que le temps presse eu égard à l’âge de certains harkis.

Ces derniers ont souffert des décisions de l’État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tout cela ne soit reconnu ni réparé.

Ce projet de loi permet enfin de le faire, mais presque à contrecœur plutôt que clairement ou sans ambiguïté. Ce texte est incomplet, ce que nous regrettons profondément et ce que regrettent aussi les associations. Nous devons bien mieux aux harkis, à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Notre groupe votera majoritairement pour le texte, mais une partie d’entre nous, dont moi-même, s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les travaux de la commission mixte paritaire ont démontré l’existence d’un large consensus politique en faveur tant de la reconnaissance de la Nation envers les harkis que de la réparation due à leurs descendants.

La guerre d’indépendance algérienne fut, avec celle d’Indochine, la plus dure des guerres de décolonisation française du XXe siècle.

L’exigence de mener un travail mémoriel dans un climat d’apaisement nous impose de reconnaître la responsabilité de la France dans le massacre de Sétif du 8 mai 1945, ainsi que la responsabilité de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin en 1957.

Avec d’autres parlementaires communistes, j’étais présente, la semaine dernière, aux commémorations du massacre du métro Charonne. Voilà soixante ans, le préfet de police Maurice Papon réprimait dans le sang une manifestation pour l’indépendance en Algérie, tuant neuf militants communistes ou syndicalistes et faisant 250 blessés.

Nous n’oublions pas l’ensemble des victimes des crimes et atrocités commis lors de la guerre de décolonisation algérienne. La réconciliation de la France et de l’Algérie a été trop longtemps entravée. Il est temps de reconstruire une mémoire commune entre nos deux pays : c’est indispensable.

Contrairement à ceux qui voudraient réécrire l’histoire et rouvrir les plaies, je voudrais rappeler le rôle des députés Georges Colombier et François Rochebloine et des sénateurs Alain Néri et Guy Fischer, notre regretté collègue. Ces quatre parlementaires, issus de tendances politiques différentes, sont à l’origine de la loi faisant du 19 mars la journée nationale du souvenir.

Le texte qui nous réunit aujourd’hui n’est pas parfait. Nous partageons les propos de Mme Patricia Mirallès, rapporteure de la commission mixte paritaire pour l’Assemblée nationale, qui a dit avoir conscience que ce projet de loi ne répond peut-être pas à toutes les souffrances, à toutes les douleurs, à tous les traumatismes subis par les harkis et leurs familles.

Comme nous l’avions souligné en première lecture, nous continuons de regretter que les critères d’indemnisation choisis par le Gouvernement excluent la moitié des harkis du bénéfice de la réparation.

En limitant la réparation aux seules familles passées par des structures comme les camps de transit et de reclassement, le texte exclut celles qui ont été placées dans les cités urbaines.

En limitant la réparation aux harkis ayant séjourné dans des structures entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, le texte ne tient pas compte des familles qui y ont demeuré pendant de nombreuses années.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que la réparation aurait dû prendre la forme d’une somme unique, plutôt que d’une somme forfaitaire créant une division entre familles de harkis. Je pense notamment à celles qui ont perdu leurs proches dans les camps date d’internement et qui, avec les critères prévus par l’étude d’impact, subissent une double peine.

Ce texte constitue néanmoins une étape supplémentaire de la reconnaissance de la Nation envers les harkis et les oubliés d’Algérie. Toutefois, madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les moyens dont bénéficie l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour remplir sa mission d’indemnisation.

Le rapport budgétaire de notre collègue Marc Laménie lors de l’examen de la dernière loi de finances montrait que l’évolution des crédits ne suivait pas celle des missions attribuées. Ainsi, entre 2014 et 2021, les crédits ont progressé de seulement 2,6 millions d’euros, tandis que les effectifs de l’ONACVG ont été réduits quasiment de moitié.

Alors que le traitement des dossiers de demande d’indemnisation des harkis nécessiterait le recrutement de 6 équivalents temps plein supplémentaires, le budget 2022 supprime 23 postes par rapport à 2021.

Cette contradiction entre les besoins supplémentaires et la réduction des dépenses de personnel et de fonctionnement de l’Office ne peut se justifier uniquement par la baisse des ressortissants. Au-delà de l’inscription de la responsabilité de la Nation dans la loi, il faut, pour la transmission de l’histoire des harkis, des moyens financiers et humains. Nous espérons par conséquent que les crédits budgétaires pour les prochaines années seront revus à la hausse.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur du texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Union Centriste se réjouissent de la réussite de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local.

Ce projet de loi vise à réparer les préjudices subis par eux et leur famille, du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

Les versions du texte adopté par l’Assemblée nationale le 18 novembre 2021 et par le Sénat le 25 janvier 2022 comportaient peu de divergences, ce qui a favorisé une voie de compromis de bon augure. Nous nous félicitons de cet accord équilibré et cohérent, qui résulte du travail mené en bonne intelligence par nos deux chambres, dans un esprit de coopération.

Je tiens à remercier Mme la ministre Geneviève Darrieussecq de son engagement, ainsi que notre collègue Marie-Pierre Richer de la qualité de son rapport sur un sujet difficile et sensible, qui concerne une page tragique de notre histoire.

Nous considérons que ce projet de loi constitue une avancée. Il s’inscrit en effet dans une trajectoire de réparation des blessures liées à une mémoire encore vive et toujours douloureuse.

Même si ce texte ne répondra jamais à toutes les douleurs de la composante harki, il marque une étape importante du processus de reconnaissance et de réparation.

La navette parlementaire a permis d’en améliorer les dispositions. Je pense à l’introduction par l’Assemblée nationale, à l’article 1er, de la notion d’« abandon », qui correspond bien au sort réservé aux harkis et à leurs descendants, ou encore au renforcement des missions de la commission nationale de reconnaissance et de réparation instituée à l’article 3.

Le Sénat a précisé et enrichi ce projet de loi, particulièrement grâce aux efforts de notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer, pour qui il ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte ».

Grâce au Sénat, la journée d’hommage national aux harkis permettra de commémorer non seulement leur sacrifice, mais aussi les sévices qu’ils ont subis. Notre assemblée a également précisé que la responsabilité de l’État visait des structures de toute nature, y compris certaines prisons qui ont été reconverties en lieux d’hébergement.

Nous apprécions le rattachement de la commission nationale de reconnaissance et de réparation au Premier ministre. Cette mesure permet de clarifier la répartition des rôles entre cette commission et l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, tout en renforçant les garanties d’indépendance de cette nouvelle instance.

Les représentants de l’État siégeant en son sein seront désignés par le Premier ministre et non plus par le ministre chargé des anciens combattants. Cette commission pourra ainsi statuer sur les demandes d’indemnité, signaler toute situation qui mérite un accompagnement spécifique et contribuer aux futurs travaux du Gouvernement sur ce sujet.

Quant à l’ONACVG, elle assurera des missions de soutien nécessaire au bon fonctionnement de la commission. Nous saluons donc la création de ce dispositif tout à fait pertinent.

Enfin, il faut mentionner une autre réelle avancée : l’allongement de quatre ans à six ans de la période au cours de laquelle les veuves des anciens membres des formations supplétives ou assimilés peuvent solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère.

La rédaction initiale du projet de loi a été enrichie par les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale, afin de répondre aux préoccupations légitimes des harkis.

À la veille de la célébration des soixante ans des accords d’Évian, ce texte instaure de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation et pose le principe de la responsabilité de la France. Toutefois, il ne comble pas toutes les attentes, ne referme pas toutes les plaies et ne compense pas notre retard accumulé. Surtout, il ne répond pas à toutes les frustrations et à tous les traumatismes subis par la composante harki pendant tant de décennies.

En tout état de cause, aucune mesure d’indemnisation financière ne permettra jamais de réparer intégralement un tel préjudice. Il nous appartient d’avancer sur ce long chemin de la réconciliation et de la mémoire envers les harkis et les autres membres des formations supplétives. Nous avons toujours un devoir de reconnaissance, un devoir de réparation et un devoir de mémoire envers ces combattants et leurs familles, ces soldats qui, par le sacrifice du sang versé, ont tout donné à leur pays, la France.

Notre travail ne s’arrête pas là ; il devra se poursuivre pour défendre la cause harki, pour communiquer sur le drame des harkis et la grande résilience dont ont fait preuve leurs familles, pour réfléchir aux modalités les plus appropriées de réparation des préjudices subis par les harkis, pour rendre à leurs descendants la fierté d’être Français et totalement intégrés à la Nation, pour transmettre aux futures générations la mémoire de l’engagement des supplétifs au service de la Nation lors de la guerre d’Algérie et des conditions dans lesquelles ils ont été accueillis en France – nous ne pouvons accepter aucune forme d’oubli.

Enfin, à tous ces combattants et à leurs familles, je voudrais dire que leur sacrifice et leur résilience ne seront pas oubliés.

Comme le disait Paul Valéry : « La mémoire est l’avenir du passé. » La mémoire est un socle pour la construction de nos identités, un pilier pour notre cohésion nationale afin de bâtir une nation plus forte, plus solidaire, plus unie et plus résiliente. Une nation qui connaît son passé, qui défend ses valeurs et qui n’oublie pas ceux qui se sont engagés pour elle. La connaissance de notre passé et la reconnaissance de sa complexité sont des clés pour comprendre notre présent et construire sereinement notre avenir.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Jocelyne Guidez. Le courage de la composante harki nous oblige et nous élève dans la continuité de notre histoire.

Nous souhaitons affirmer aux harkis et à leurs familles notre soutien dans la durée et en toutes circonstances.

Mme le président. Il faut vraiment conclure !

Mme Jocelyne Guidez. Nous voterons le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 329
Contre 7

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Discussion générale (suite)

Choix du nom issu de la filiation

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au choix du nom issu de la filiation (proposition n° 409, texte de la commission n° 468, rapport n° 467).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur cette proposition de loi ont été publiés. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévue par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 1er

Mme le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous allez examiner aujourd’hui touche, au fond, à l’une des composantes les plus intimes de l’identité d’un homme ou d’une femme : son nom de famille.

Toujours porteur des racines, le plus souvent source de fierté, le nom de famille peut aussi être une souffrance : une souffrance que, trop longtemps, notre société n’a pas voulu voir ou, pis, qu’elle a accentuée en transformant en parcours du combattant la procédure pour en changer.

Ce texte est un texte qui répare, un texte que beaucoup de nos concitoyens attendent pour apaiser la douleur de porter un nom. Car, nous le savons, certaines personnes supportent leur nom plus qu’elles ne le portent.

Ce texte est avant tout un texte qui simplifie. Le nom de l’enfant mineur peut en effet être une source de tracasseries pour le parent qui n’a pas transmis son nom et qui, pourtant, élève l’enfant au quotidien. Je pense également à l’humiliation qu’éprouvent ces mères de famille qui doivent sans cesse montrer leur livret de famille pour prouver qu’elles sont bien la mère de l’enfant qui ne porte pas leur nom.

Ce texte est aussi un texte d’égalité, un texte qui permettra aux deux parents – j’y insiste : aux deux parents – de transmettre plus facilement leur nom de famille à leur enfant.

Ce texte permettra également à tous ces enfants qui portent le nom d’un père absent ou violent de rendre enfin hommage à leur mère courage.

Ce texte, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ne bouleverse ni le droit de la filiation, qu’il ne modifie d’ailleurs en rien, ni les règles d’attribution et de dévolution du nom de famille. Il vise à permettre à nos concitoyens qui le souhaitent de retrouver la fierté de porter un nom en adéquation avec leur passé, avec leur identité, avec leur intimité. C’est là quelque chose d’absolument indispensable.

Alors, bien sûr, j’entends un certain nombre de contrevérités exprimées ici et là, notamment dans la presse. J’ai entendu également les procès d’intention qui étaient intentés au Gouvernement. Que les choses soient ici très clairement dites : je soutiens cette loi pour ce qu’elle est une loi majeure de simplification, d’égalité et de liberté.

Je vais donc revenir très précisément sur ce que contenait cette proposition de loi avant qu’elle ne soit amendée par votre commission.

De quoi s’agit-il exactement ? Il s’agit tout d’abord de simplifier les règles de changement de nom pour les personnes qui, après leur majorité, veulent substituer ou ajouter à leur nom celui du parent qui ne leur a pas été transmis.

Vous le savez, les réformes de 2005, puis de 2013, ont introduit dans le droit du nom une certaine souplesse. La procédure de changement de nom est cependant restée d’une grande rigidité : elle nécessite des formalités préalables de publicité, puis une instruction par les services de la Chancellerie, qui contrôlent l’existence d’un motif légitime.

S’il est fait droit à la demande, il faut encore que le Premier ministre signe un décret, lequel est ensuite publié au Journal officiel de la République française. Cela coûte de l’argent – environ 200 euros – et cela prend du temps, parfois beaucoup de temps. Cela demande aussi de se dévoiler, de dévoiler des choses qui relèvent très souvent de l’indicible, qui ne regardent personne, et certainement pas l’administration.

J’ai reçu un nombre colossal de témoignages qui convergent : cette procédure longue et intrusive au mieux décourage ceux qui l’entament, au pire ravive les flammes d’une souffrance déjà bien difficile à supporter.

Là encore, que les choses soient bien claires : cette procédure se justifie pleinement dès lors qu’il s’agit de prendre un nom qui n’est pas celui de l’un ou l’autre de ses parents.

Sur les 4 000 demandes de changement de nom dont je suis saisi chaque année, près de la moitié concernent des personnes majeures qui souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Il s’agit ici de permettre à toute personne majeure, de manière simplifiée, une fois dans sa vie, d’adjoindre ou de substituer à son propre nom celui du parent qui ne lui a pas transmis le sien.

Ce changement se fera devant l’officier d’état civil et non plus par décret. L’officier d’état civil n’aura pas à contrôler le motif de ce changement, et il ne sera pas besoin de prévoir des formalités de publicité autres que celles qu’assurent les registres de l’état civil. (M. François Bonhomme sexclame.) En effet, il s’agit seulement pour l’intéressé de porter le nom qui aurait pu lui être attribué à la naissance.

Je soutiens cette réforme avec autant de vigueur que d’enthousiasme, parce que je sais qu’elle est logique, juste et équilibrée.

M. François Bonhomme. C’est visible ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si les parents ont pu faire le choix du nom de l’enfant nouveau-né, il n’y a aucune raison que cet enfant, lorsqu’il a atteint l’âge de la majorité, ne puisse faire le même choix pour lui-même. Dans la très grande majorité des cas, il sera heureux et fier de porter le nom que l’on a choisi pour lui à sa naissance ; il ne se posera peut-être même aucune question. Mais il faut pouvoir donner la possibilité à ceux qui le souhaitent d’en décider autrement.

Cette proposition de loi offre également la possibilité de simplifier et de compléter les règles relatives au nom d’usage.

Le nom d’usage, c’est celui-ci dont toute personne a le droit de faire justement usage dans sa vie sociale au travail ou dans sa relation avec les administrations. C’est un nom qui ne se transmet pas à ses descendants. Cette proposition de loi fait d’abord entrer dans le code civil les règles de la loi Badinter de 1985, qui ne sont pas assez connues et qui permettent à chaque personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom de famille, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis.

Les possibilités offertes en la matière seront élargies, pour les majeurs comme pour les mineurs, puisqu’il sera également possible de substituer le nom du parent qui n’a pas été transmis ou de l’adjoindre dans l’ordre voulu.

En ce qui concerne les mineurs, l’attribution d’un nom d’usage est considérée en jurisprudence comme un acte grave de l’exercice de l’autorité parentale, qui nécessite préalablement l’accord des deux parents ou, à défaut, l’autorisation du juge.

En cas de séparation, cette règle peut être source de difficultés lorsque l’enfant ne porte le nom que d’un seul des parents et que ce dernier n’est pas d’accord pour modifier le nom d’usage de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est nécessaire de permettre au parent dont le nom n’a pas été transmis d’adjoindre son nom, à titre d’usage, à celui de l’enfant, à condition d’en avoir informé préalablement l’autre parent. Il est effectivement plus juste que, dans cette hypothèse, ce soit au parent qui s’oppose à l’adjonction de saisir le juge.

Si votre commission a conservé certaines de ces avancées, elle est également revenue sur un certain nombre de ces points.

Les mesures concernant les majeurs ont été conservées. Tout à l’heure, votre rapporteur vous proposera d’ailleurs un amendement visant à reprendre les propositions de renvoi aux différentes combinaisons de noms qui sont offertes par l’article 311-21 du code civil. Cela me paraît aller dans le bon sens.

En revanche, concernant les mineurs, c’est le retour au droit actuel, à la « case départ ». Cela ne vous étonnera pas : je ne puis approuver ce choix, qui fait peser sur la mère la responsabilité de saisir le juge, et cela même lorsqu’il s’agit simplement d’adjoindre au nom du père le nom de la mère qui a porté l’enfant et qui l’a élevé autant que le père. Car, il faut le dire, c’est bien des mères qu’il s’agit la plupart du temps, et cela leur cause bien sûr un tracas supplémentaire.

Le texte issu de votre commission ne permet plus de répondre aux préoccupations légitimes de ces mères séparées, qui sont, on le sait, trop souvent fragilisées.

Votre commission n’a pas souhaité non plus, à l’égard des mineurs, autoriser à titre d’usage la substitution du nom, sous prétexte de stabilité et sous prétexte d’éviter toute exacerbation des conflits. C’est source de complexité. L’idée était d’harmoniser les règles entre le nom d’usage et le nom de famille ; ce texte modifié ne le permet pas, ce qui est, de notre point de vue, regrettable.

Plus encore, à l’article 2, qui concerne le changement de nom de famille, cœur de cette proposition de loi, votre commission a rejeté purement et simplement la réforme proposée. Ce texte devait permettre une plus grande liberté pour chaque Française et chaque Français, sans bouleverser les règles relatives à l’attribution et à la dévolution du nom de famille.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai tout autant que vous pleinement conscience que les équilibres en matière de nom sont particulièrement sensibles et, à vrai dire, toujours fragiles.

Certains ont également parlé d’une « mise à mal de l’unité du nom de la fratrie ». Je leur réponds que non : le principe d’unité du nom de la fratrie prévu par le code civil n’est ici aucunement modifié. D’ores et déjà, dans certains cas, les membres d’une même fratrie portent des noms différents. Cela a toujours existé et c’est inévitable, notamment en raison des modalités d’établissement de la filiation, qui peuvent varier au sein d’une même famille.

Votre commission s’est, quant à elle, inquiétée du risque d’utilisation frauduleuse du changement de nom et de la charge des officiers d’état civil. Je veux répondre sur ces points.

Tout d’abord, le risque d’utilisation frauduleuse, même s’il est négligeable, n’est pas sous-estimé.

Il est négligeable au regard du champ d’application de cette proposition : le choix du nom est limité ; il ne peut s’agir que de porter le nom du parent qui n’a pas été transmis. La procédure simplifiée ne permet pas de choisir un nom fantaisiste ; elle demeure inscrite dans le cadre des noms de la parentèle, c’est-à-dire de ceux qui sont d’ores et déjà inscrits sur l’acte de naissance au titre de la filiation.

Aussi, il ne sera pas possible de perdre la trace de quelqu’un qui aura changé de nom dans le cadre de la réforme. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’organiser une mesure de publicité autre que celle qui est d’ores et déjà prévue à l’état civil.

En outre, les officiers d’état civil transmettent à l’Insee toutes les actualisations et modifications des actes de naissance, et les administrations peuvent obtenir auprès de l’Insee les informations nécessaires pour actualiser leurs propres fichiers. La plupart le font, et cette réforme sera l’occasion de généraliser ce dispositif par voie réglementaire auprès des administrations qui ne le font pas encore.

Concernant à présent la charge des officiers d’état civil, il ne faut pas la surévaluer : le passage par cette procédure simplifiée de changement de nom ne constituait nullement un saut dans l’inconnu pour les officiers d’état civil.

Cette procédure, en réalité, existe déjà en cas de disparité entre le nom porté en France et le nom étranger. Ce changement de prénom se fait déjà devant l’officier d’état civil. Enfin, dans la version initiale de la proposition de loi, l’officier d’état civil n’a pas à contrôler le motif du changement de nom.

Enfin, le texte qui vous est proposé conserve la procédure de changement de nom par décret devant la Chancellerie, mais supprime l’exigence d’un intérêt légitime. Vous me permettrez d’y voir une fausse bonne idée.

La procédure de changement de nom par décret est longue, bureaucratique et, disons-le, aléatoire. Elle nécessite des formalités préalables de publicité, une instruction par les services de la Chancellerie, puis un décret du Premier ministre, lequel est publié au Journal officiel. En cela elle s’oppose à l’esprit même de cette loi : liberté, simplification et égalité.

L’adoption de l’amendement proposé à cet égard par Mme le rapporteur, visant à créer une procédure ad hoc de changement de nom par arrêté devant le ministre de la justice, n’apporterait pas, selon moi, la simplification nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne change pas de nom de famille par plaisir. Un changement de nom est un acte fort, qui fait intervenir son histoire personnelle, toujours, des souffrances familiales, souvent, et parfois la douleur que l’on peut éprouver chaque fois que l’on entend ce mot, qui fait partie de l’identité de tout un chacun.

Changer de nom pour retrouver de la fierté, pour rendre hommage et pour éteindre une souffrance ancrée en soi, voilà ce que va permettre cette proposition de loi.

Voilà pourquoi elle est selon moi indispensable, voilà pourquoi je vous demanderai de préserver les équilibres qui ont été trouvés par l’Assemblée nationale. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. « Bonjour ! Comment vous appelez-vous ? » « Et toi, c’est quoi ton nom ? » Telles sont les premières questions que l’on pose. Le nom, c’est notre identification et notre différenciation.

Aussi, je voudrais saluer Mme le président – Mme Gruny –, M. le garde des sceaux – M. Dupond-Moretti –, M. le président de la commission des lois – M. Buffet –, et vous tous, mes chers collègues, individuellement – je n’ai pas le temps, bien que j’en aie l’envie, de vous citer personnellement.

L’annonce que vous avez faite, monsieur le garde des sceaux, selon laquelle il sera bientôt possible de choisir son nom de famille une fois dans sa vie, a suscité beaucoup d’espoir, mais aussi quelques craintes.

La commission a évidemment été sensible aux situations particulières décrites par les initiateurs de ce texte et a souhaité y apporter une réponse, tout en restant attentive à préserver l’intérêt de l’enfant, à ne pas trop alourdir les charges qui pèsent sur les services d’état civil et à prendre en compte les conséquences pratiques que cette réforme pourrait entraîner.

À ce jour, personne ne peut évaluer le volume de demandes qui seraient à traiter si cette procédure déclarative entrait en vigueur.

Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, commandé par le journal LExpress, 22 % des Français souhaiteraient changer de nom de famille si cette loi était adoptée, ce qui est considérable et inattendu.

Compte tenu de ces enjeux, la proposition de loi méritait de bien meilleures conditions d’examen. Nombre d’interlocuteurs m’ont fait part de leur incompréhension du choix de la procédure accélérée pour un texte ayant de telles répercussions, tant du point de vue de la famille que de l’organisation des services de l’État.

À l’origine de ce texte se trouve la volonté de résoudre les difficultés rencontrées par certains parents dans leur vie quotidienne lorsqu’ils ne portent pas le même nom que leur enfant. Je dis « ils », mais il s’agit, dans la grande majorité des cas, de mères, puisque 80 % des enfants portent le nom de leur père.

Le droit existant permet déjà d’utiliser dans la vie de tous les jours, à titre de nom d’usage, l’adjonction des deux noms de ses parents. Pour les mineurs, cette faculté suppose d’abord l’accord des deux parents exerçant l’autorité parentale ou du juge aux affaires familiales, le JAF, en cas de désaccord.

L’article 1er propose de permettre une substitution de nom à titre d’usage, et non plus la seule adjonction. Il autoriserait par ailleurs un parent à ajouter unilatéralement son nom au nom de l’enfant, toujours à titre d’usage, moyennant l’information préalable de l’autre parent qui pourrait saisir le JAF s’il conteste cette initiative.

La commission n’a adopté qu’une partie seulement de ce dispositif. Pour les majeurs, elle a approuvé la substitution. Cela apporterait une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d’un parent maltraitant, malfaisant ou délaissant. Cela leur permettrait également de tester l’opportunité d’un changement de nom avant d’entamer la procédure adéquate pour modifier ce dernier à l’état civil.

En revanche, s’agissant des mineurs, la commission a pris en compte le fait qu’un enfant ne fait pas de différence entre son nom d’usage et son nom de famille. Le faire connaître dans la vie de tous les jours sous un autre nom équivaut, en pratique, à lui faire changer de nom. Or le nom est un élément essentiel de sa construction.

Cette dimension du nom d’usage ne semble pas avoir été suffisamment prise en compte par les députés. Dans l’esprit de certains, on a l’impression que le nom d’usage ne serait qu’une mention administrative sur une carte d’identité, mais c’est faux ! Pour l’enfant, ce sera le nom par lequel sa maîtresse va l’appeler, celui qui figurera sur son titre de transport et ses relevés de notes.

Si le but de l’article 1er n’était que de faire apparaître le nom de la mère sur la carte d’identité de l’enfant, alors une loi n’était pas nécessaire. Il suffirait de demander au ministère de l’intérieur de changer le format de la carte d’identité pour le mentionner.

Pour cette raison, la commission est défavorable à une substitution de nom à titre d’usage pour les mineurs. Cette disposition risquerait d’ailleurs d’exacerber les conflits familiaux et de susciter davantage de contentieux qu’il n’en existait jusqu’à présent.

La commission n’a pas souhaité non plus accepter la solution, proposée par les députés, qui permettrait à un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant s’il en informe préalablement et en temps utile l’autre parent, pour que celui-ci puisse saisir le JAF en cas de désaccord.

Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l’enfant serait nommé différemment selon qu’il se trouve chez son père ou chez sa mère et devrait revenir à son nom d’origine si le juge considérait qu’il n’était pas dans son intérêt d’y adjoindre l’autre nom.

Par ailleurs, n’étant pas informés de la saisine du JAF, les services des préfectures eux-mêmes ne pourraient savoir s’ils peuvent, ou non, délivrer un titre d’identité ou de voyage comportant le nom d’usage.

Il nous a semblé que le droit existant était finalement plus protecteur pour l’enfant, puisqu’il comporte l’exigence d’un accord des deux parents ou, en cas de désaccord, d’une autorisation du JAF.

Il existe déjà des solutions pratiques aux situations décrites par les mères seules. Il faudrait que le choix du nom d’usage soit un sujet systématiquement abordé avec le père lors de la séparation, au même titre que la résidence habituelle, le droit de visite et d’hébergement ou le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

De même, si le père est absent ou fait de l’obstruction systématique, la mère peut toujours demander l’exercice exclusif de l’autorité parentale et peut décider seule du nom d’usage de l’enfant.

L’article 2, qui focalise toute l’attention, permettrait à tout majeur, une fois dans sa vie, de choisir son nom par simple déclaration à l’officier d’état civil, de la même manière que les parents peuvent le faire pour leurs enfants depuis 2005.

Cet article semble résulter à la fois d’un souci sincère de répondre à des situations individuelles difficiles et d’une volonté assumée de procéder à une simplification administrative qui permettrait à l’administration centrale du ministère de la justice de transférer partiellement la charge de la procédure de changement de nom aux communes.

Cette idée, qui peut sembler logique et séduisante, est loin de faire l’unanimité auprès des juristes et des professionnels du droit que j’ai entendus.

En faisant du changement de nom un acte administratif banal, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une démarche exceptionnelle, la proposition de loi entraînerait des bouleversements qui risqueraient de susciter de nombreuses difficultés personnelles et administratives, sous couvert de simplification. Or il semble que celles-ci n’aient pas été toutes envisagées ou, à tout le moins, qu’elles aient été sous-estimées.

Outre un nombre accru de demandes de titres – cartes nationales d’identité et passeports – auquel il aurait à faire face, le ministère de l’intérieur devrait concevoir de nouveaux outils pour que l’identification des personnes figurant dans ses fichiers soit mise à jour en temps réel, tout en adaptant le cadre réglementaire nécessaire après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

En effet, il ne dispose pas de la possibilité de s’interconnecter avec le répertoire national d’identification des personnes physiques tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Insee, comme le fait le ministère de la justice.

Les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux, entrevoient également des difficultés à venir dans leurs rapports avec l’administration, en l’absence d’un accompagnement par des dispositifs techniques de mise à jour globale et uniforme des données de l’état civil.

Tout ceci ne peut être balayé d’un revers de main au motif qu’il s’agit d’intendance et que l’intendance suivra.

La commission a estimé qu’il fallait maintenir une procédure centralisée et formelle, car le changement de nom est un acte structurant, juridiquement et psychologiquement, qui a des impacts à très long terme sur la personne et les membres de sa famille – en particulier les enfants mineurs, qui changent de nom par ricochet. Elle est consciente des obstacles qui existent pour changer de nom dans certaines situations et vous proposera un amendement visant à simplifier plus encore la procédure.

Il s’agirait de créer une procédure spécifique auprès du ministère de la justice, qui pourrait mettre en place à cet effet une téléprocédure assortie d’un formulaire du centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, ou Cerfa, pour une meilleure accessibilité. La décision finale serait prise par arrêté du ministre de la justice, et non plus par décret du Premier ministre comme cela était initialement proposé, ce qui allégerait considérablement la procédure.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, le nom, c’est toute une histoire : une histoire qui est belle, ou quelquefois laide ; claire, ou quelquefois noire ; sombre, ou quelquefois en couleurs. Mais le nom est aussi quelquefois une histoire d’amour. Quand Juliette dit « Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet », Juliette aime Roméo, non un Montaigu !

Quelquefois, néanmoins, les histoires de nom sont des histoires de désamour, des histoires de souffrance.

Mes chers collègues, faut-il modifier la loi, oui ou non ? Faut-il changer la loi pour un oui ou pour un non ? C’est cette question que nous devons nous poser pour trouver une solution solide, juridiquement forte et simple, pour répondre aux demandes de nos concitoyens, pour faciliter la vie des parents et pour prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants d’aujourd’hui et surtout de demain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre nom est un pilier de notre identité. Il est depuis la Révolution française, à de rares exceptions près, immuable. Si la rigidité de l’état civil fut assouplie par la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, l’état actuel de la législation relative à la possibilité de changer de nom n’est plus adapté à certains besoins de notre société.

Si un nom de famille peut être synonyme de fierté, il peut tout autant représenter un véritable fardeau, source de souffrance.

Je pense, bien sûr, à toutes ces personnes dont le nom rappelle, à chaque moment de leur existence, un parent absent, violent ou incestueux. Je pense aussi à toutes les mères élevant seules leurs enfants et qui, ne portant pas le même nom qu’eux, doivent sans cesse prouver leur lien de filiation. Je pense enfin à celles et ceux qui sont dotés d’un nom difficile à porter, souvent victimes de quolibets, de moqueries et, dans les pires situations, de harcèlement.

Or la procédure de changement de nom, complexe, longue et coûteuse, est souvent insurmontable pour toutes ces personnes, condamnées à subir une partie de leur identité.

Les dispositions permettant de simplifier le processus de changement de nom prévues par les députés sont donc les bienvenues. Il en va de même de l’assouplissement des conditions dans lesquelles une personne peut porter, à titre d’usage, celui des noms de ses parents qui ne lui a pas été transmis.

Malheureusement, la commission des lois du Sénat semble sous-estimer l’importance que représentent certaines des dispositions adoptées à l’Assemblée nationale pour nos concitoyennes et concitoyens.

Je regrette la suppression du recours à la procédure déclarative auprès des officiers d’état civil, actée en commission. Les arguments avancés, notamment la peur de voir apparaître un état civil à la carte, ne sont pas raisonnables. L’idée de ce texte est non pas de démanteler notre état civil, mais bien de l’adapter, dans l’intérêt des Françaises et des Français. J’espère donc que nos discussions permettront à ce texte de retrouver sa consistance initiale.

Je souhaite, enfin, que ces débats ouvriront la voie à d’autres évolutions visant à assouplir les modifications d’état civil relatives aux changements de prénom et de genre, afin de rendre notre société plus inclusive pour toutes les personnes souhaitant changer cette partie de leur identité. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier Marie Mercier, notre rapporteur, de la série d’auditions qu’elle a conduites et auxquelles j’ai pris un plaisir tout particulier à participer, puisqu’elles nous ont permis de préparer le débat de ce jour.

Je voudrais saluer la présence en tribune de l’auteur de la proposition de loi, notre collègue Patrick Vignal, député de l’Hérault. Par sa présence ici, il témoigne de l’intérêt qu’il porte à nos travaux.

Mes chers collègues, légiférer sur le nom est tout sauf anodin. Le nom relève de l’intime, mais ce qui fait la singularité de cet intime, c’est qu’il revêt une dimension à la fois individuelle et collective.

En effet, le nom est le marqueur d’une filiation, de l’appartenance à une famille. Il proclame aux yeux des tiers l’identité unique et singulière propre à chaque personne. C’est grâce à ce nom que l’être humain est identifié et distingué par la société, mais aussi qu’il s’inscrit dans une histoire et dans une trajectoire personnelle, familiale et sociale.

Cependant, le nom renvoie aussi à une réalité sociale : celle de la prégnance de nos coutumes, de nos traditions, de nos mœurs. Le nom est le fruit d’un héritage culturel et social.

Si, depuis les années 1980 – comme M. le garde des sceaux l’a rappelé tout à l’heure –, l’usage du terme « patronyme », renvoyant au nom du pater familias, au père de famille, tend à s’estomper, c’est principalement dû à l’action du législateur, qui a tenu à rendre à la mère la place qui devait être la sienne dans l’attribution du nom de son enfant.

En effet, héritage du code civil de 1804 et de la loi du 6 fructidor an II, le nom, tant de famille que d’usage, transmis aux enfants a longtemps été strictement et uniquement celui du père.

L’article 43 de la loi du 23 décembre 1985, dite « Badinter », est venu rompre avec cet usage et cette habitude. Il a en effet permis à toute personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui avait pas été transmis à la naissance, ouvrant ainsi la possibilité aux enfants d’ajouter le nom de leur mère à celui de leur père.

Intervint ensuite la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, qui a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père. Elle a ainsi permis aux parents de choisir le nom de famille de leur enfant : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre de leur choix.

Enfin, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents.

Pourtant, malgré les évolutions successives du droit et l’existence de possibilités nouvelles, les chiffres fournis par l’Insee en 2019 nous apprennent que, parmi les enfants nés en France cette année-là, 81,4 % ont reçu le nom de leur père, 11,7 % portent un double nom et seulement 6,6 % portent le nom de leur mère. Cette réalité participe à une « invisibilisation » du nom des mères auprès de leurs enfants.

Comme le résume si justement et si tristement Marine Gatineau-Dupré, présidente du collectif Porte mon nom, « la mère donne la vie et, toute sa vie, elle va devoir le prouver ». Ces réalités ont des conséquences fâcheuses au quotidien pour les parents séparés et les familles recomposées. C’est en partie pour répondre à ces situations que notre collègue, le député Patrick Vignal, a rédigé cette proposition de loi.

Le texte qui avait été voté à l’Assemblée nationale nous semblait aller dans la bonne direction. Force est de constater qu’il n’a, hélas, pas été accueilli de la même manière par la majorité sénatoriale et par Mme le rapporteur. Je le regrette.

Quels étaient les objectifs de ce texte ?

Il s’agissait tout d’abord de faciliter les conditions de vie au quotidien des mères et des beaux-parents de familles recomposées.

L’ambition de cette proposition de loi était aussi de répondre à certaines violences et à certains traumatismes survenus dans le cadre intrafamilial – un enfant souhaitant, par exemple, se défaire du nom d’un père coupable d’inceste ou de féminicide.

Cette proposition de loi représentait également un espoir pour les personnes auxquelles le hasard de la vie a attribué un patronyme tristement célèbre. Porter le même nom qu’un terroriste, par exemple, peut constituer un poids pour les personnes concernées et ne facilite ni leur recherche d’emploi ni leur insertion professionnelle.

Pour certains et certaines de nos compatriotes, ce nom, que l’on doit normalement porter avec fierté, devient un poids, parfois même un boulet. Or en refusant la substitution pure et simple du nom d’usage pour les enfants, je crains, mes chers collègues, qu’indirectement nous ne laissions s’instaurer un climat favorable au harcèlement de ces enfants, notamment en milieu scolaire.

Ce texte se donnait aussi pour vocation de simplifier les procédures pour les parents en difficulté face aux lourdeurs administratives et aux frais suscités par de telles démarches.

La démarche de changement de nom peut effectivement durer plusieurs années – nous avons reçu plusieurs témoignages sur ce sujet – et même coûter cher si le demandeur finit par demander le concours d’un avocat. Il est évident que ces paramètres peuvent être de nature à décourager les familles en situation de précarité, notamment les femmes élevant seules leurs enfants.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne saurait voter ce texte, tel qu’il a été modifié par la commission des lois du Sénat.

Notre groupe a déposé des amendements susceptibles de trouver un équilibre subtil entre le texte sorti de l’Assemblée nationale et les apports rédactionnels bienvenus de Mme le rapporteur Marie Mercier.

Sur un sujet aussi sensible, je forme le vœu que nous n’ayons pas pour seul argument à opposer à cette loi, qui est tant attendue, l’hostilité de principe de telle ou telle corporation professionnelle. Je ne souhaite pas que nous ayons pour seule réponse à opposer à celles et ceux qui nous demandent cette loi la position de principe ou la réticence de principe d’un haut fonctionnaire, aussi responsable soit-il.

Mes chers collègues, nous passons notre temps ici, comme à l’Assemblée nationale et comme partout ailleurs, à plaider pour la simplification administrative. Pour une fois que nous avons l’occasion d’œuvrer pour cette dernière, qu’allons-nous expliquer à ces quelques milliers de Françaises et de Français qui nous demandent pourquoi ce qui est légitime et bon dans le domaine économique ne le serait pas aussi pour ce qui concerne le droit de la personne ?

En conclusion de mon intervention, je voudrais vous dire que tout changement législatif créera nécessairement une surcharge de travail et des évolutions administratives. Mais les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales sont là pour exécuter les décisions souveraines du Parlement.

Je ne saurais accepter que les oppositions de principe de fonctionnaires, aussi responsables et respectables soient-ils, relevant de tel ou tel ministère ou de tel ou tel syndicat de fonctionnaires locaux, viennent entraver l’action du législateur.

En outre, que pèse cette surcharge de travail face aux souffrances des personnes que nous avons entendues et qui nous ont décrit les difficultés qu’elles portent avec elles, parfois depuis tant d’années ?

Répondre à cette question en toute conscience et de manière responsable, c’est ne pas céder à la tentation d’apporter des réponses homéopathiques et consentir à changer vraiment et réellement la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, GEST et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l’ignorez peut-être, mais, jusqu’en 2000, les Français nés à Mayotte étaient identifiés par une série de vocables, sans distinction du nom et du prénom. L’ordonnance du 8 mars 2000 a alors créé un service d’état civil de droit commun.

Les personnes majeures relevant du statut civil de droit local applicable nées avant la publication de ladite ordonnance – c’était mon cas – devaient choisir un nom parmi les vocables figurant dans leur acte de naissance, parmi les vocables servant à identifier leurs ascendants, ou encore parmi les surnoms sous lesquels elles justifiaient être connues dans la société. Un magistrat veillait évidemment à ce que ces choix ne soient pas trop baroques.

Je reconnais que, dans mon département, cette possibilité élargie a pu entraîner une certaine confusion en matière de filiation.

Toutefois, en l’espèce, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui ne révolutionne pas les règles de dévolution du nom de famille, qui doivent répondre à un enjeu de stabilité – nous sommes tous d’accord sur ce point. Il ne crée pas non plus un état civil à la carte.

Non, la présente proposition de loi vise simplement à faciliter les démarches des personnes qui souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis à la naissance, tant à titre d’usage que s’agissant du nom de famille. Les mesures qu’elle contient s’inscrivent donc dans le strict cadre familial et dans la filiation. Ce point devrait pouvoir nous fédérer assez largement sur ces travées.

Concernant les règles relatives au nom d’usage, celui que l’on utilise dans sa vie quotidienne et sociale, le texte introduit la possibilité de remplacer le nom du parent qui a été transmis à la naissance par le nom de son autre parent et codifie ce que la loi de 1985 permet déjà, c’est-à-dire l’accolement du nom de ses deux parents.

Pour tenir compte de difficultés particulières auxquelles font face de nombreuses personnes, notamment les mères qui élèvent seules leurs enfants et doivent en permanence apporter la preuve de leur parentalité pour effectuer des démarches scolaires, administratives, médicales ou de loisir, nos collègues députés avaient prévu que l’un des deux parents puisse adjoindre unilatéralement son nom à celui de son enfant, à titre d’usage exclusivement.

La commission des lois a supprimé, pour les mineurs, ces deux facultés de substitution et d’adjonction unilatérale.

Nous vous proposerons de les rétablir, car elles nous semblent suffisamment assorties de garanties. La substitution du nom à titre d’usage est conditionnée à l’accord des deux parents titulaires de l’autorité parentale, ce qui permet de prévenir les conflits familiaux. Quant à l’adjonction unilatérale du nom de l’autre parent, le dispositif prévoit déjà l’information préalable en temps utile de l’autre parent pour que celui-ci puisse, en cas de désaccord, saisir le juge aux affaires familiales, qui statuera dans le seul intérêt de l’enfant.

L’autre objectif du texte est de faciliter les démarches de ce millier de personnes qui demandent chaque année à changer de nom, parce qu’elles supportent leur nom plus qu’elles ne le portent, comme vous l’avez très justement dit, monsieur le garde des sceaux. Dans certains cas tragiques, il s’agit pour elles d’effacer le nom d’un parent incestueux, violent ou délaissant.

Aujourd’hui, la procédure est complexe, puisqu’il faut justifier d’un intérêt légitime ou affectif, se soumettre à de lourdes obligations de publicité et adresser sa demande au ministère de la justice. Elle est également longue, voire très coûteuse.

Grâce à cette proposition de loi, toute personne âgée de 18 ans pourra, au moyen d’un formulaire en mairie, une seule fois, choisir son nom de famille pour garder celui de sa mère ou celui de son père, ou les deux, dans le sens qu’il souhaite.

La commission a fait le choix de revenir sur la procédure simplifiée de changement de nom de famille étendue aux demandes consistant à porter le nom de famille du parent qui ne l’a pas transmis, en les exonérant seulement de la preuve de l’existence de motifs légitimes.

Nous souhaitons le rétablissement de ce dispositif : cette procédure simplifiée ne concernera qu’un nombre restreint de demandes consistant à opter pour le nom du parent qui n’a pas transmis le sien ; elle ne s’appliquera pas aux autres demandes de changement de nom.

Par ailleurs, elle ne crée pas de missions inconnues pour les officiers de l’état civil, qui sont déjà compétents en cas de demande de changement de nom fondée sur la disparité entre le nom porté en France et le nom porté à l’étranger et en cas de demande de changement de prénom.

Enfin, l’officier d’état civil pourra toujours, en cas de difficulté, saisir le procureur de la République, lequel pourra s’opposer à la demande.

Sur ces points majeurs, le texte tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale nous paraissait répondre de façon pragmatique à des difficultés modernes et à des situations douloureuses, tout en tenant compte de l’évolution de notre société ou de la libération de la parole. Je note d’ailleurs, madame la rapporteure, en saluant au passage la qualité de votre travail, que vous avez évolué vers plus de souplesse dans votre positionnement à l’article 2, par un amendement qui a été déposé tardivement, mais dont nous débattrons tout à l’heure.

Le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), que je représente, espère que les débats sauront nous réunir dans la suite de la navette sur les moyens permettant d’atteindre effectivement les objectifs que nous partageons tous, sans pour autant priver le texte de ses principaux effets. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le nom de famille nous distingue et nous identifie, tant dans nos rapports avec les autres que dans ceux que nous entretenons avec l’administration.

Le nom est avant tout un héritage. C’est un flambeau qui se transmet de génération en génération. Il contient une signification, une histoire, que nous recevons et que la majorité d’entre nous conserve jusqu’à la mort.

Pendant des siècles, les femmes ont été exclues de cette histoire. Elles ne transmettaient pas leur nom de famille à leurs enfants.

Pendant longtemps également, ce sont uniquement les femmes qui adoptaient le nom de famille de leur mari, à titre d’usage. Le nom de jeune fille s’effaçait devant le nom de l’épouse. Les choses changent, et la loi offre désormais à nos concitoyens davantage de liberté.

Depuis 2003, les parents peuvent décider du nom transmis à leur enfant et choisir notamment celui de la mère. Cette possibilité n’est pas majoritairement mise en œuvre : plus de 80 % des enfants nés en 2020 portent le nom de leur père, mais cette attribution n’est désormais plus imposée ; elle est laissée au libre choix des parents.

Cette plus grande liberté n’a cependant pas permis de résoudre toutes les difficultés, car notre nom de famille est choisi pour nous ; nous en héritons.

Cet héritage est parfois lourd à porter. Il est parfois bien difficile d’être « le fils de » ou « la fille de ». Porter un nom qui prête à rire l’est parfois tout autant. Si certains noms nous font sourire, nous avons du mal à mesurer le fardeau qu’ils constituent pour ceux qui les portent.

Dans d’autres cas, le nom de famille renvoie à un passé douloureux. Il rappelle cruellement une histoire de violence, de maltraitance ou d’abus.

Pour des raisons qui leur appartiennent, nombre de nos concitoyens demandent à changer de nom chaque année. La procédure est souvent longue et toujours complexe ; elle nécessite la démonstration d’un intérêt légitime.

La proposition de loi que nous examinons vise à accroître la liberté de nos concitoyens en matière de nom, en ce qui concerne tant le nom de famille lui-même que le nom d’usage.

Le texte entend ainsi clarifier la possibilité pour les époux de prendre le nom de leur conjoint à titre d’usage. Il précise également le régime du nom d’usage pour les mineurs. Si cette dernière possibilité n’est pas très usitée – les mineurs sont moins de 2 % à s’en être emparés –, il demeure important de clarifier les règles en la matière pour leur permettre de mieux s’en saisir.

Le cœur de la proposition de loi est constitué par l’instauration d’une procédure simplifiée de changement de nom. Si une telle évolution paraît nécessaire à tous, les avis divergent quant aux moyens d’y parvenir.

Le texte initial proposait un changement de nom par déclaration auprès de l’officier de l’état civil, ouverte aux personnes qui souhaitent substituer ou ajouter à leur nom le nom de famille du parent qui n’a pas transmis le sien. Chaque Français pourrait alors, par simple dépôt de formulaire, changer de nom une fois dans sa vie.

La commission des lois du Sénat a craint qu’une telle procédure ne banalise le changement de nom. La solution qu’elle a retenue consiste à maintenir la procédure actuelle, mais à ne pas exiger d’intérêt légitime lorsque le changement de nom de la personne porte sur le nom de ses parents. Cela nécessite toujours la prise d’un décret, mais devrait réduire les délais de traitement.

L’objectif de ces deux propositions est identique, mais les formules qu’elles avancent diffèrent. Nous devons nous assurer qu’elles parviennent à trouver un équilibre entre sécurité juridique et liberté. En effet, le changement de nom n’est pas une procédure anodine. Nous sommes néanmoins convaincus que nos concitoyens doivent bénéficier de la plus grande liberté dans leur appréciation de ce qui leur convient.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient l’objectif porté par ce texte et votera donc en faveur de son adoption. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, en mars 1804 était promulgué le code civil des Français. Innovation juridique majeure, il a permis d’unifier les diverses coutumes et droits écrits.

En matière d’affaires familiales, notamment, sa rédaction a été guidée par le souci d’offrir aux Français une stabilité et une traçabilité de leur état civil. Ne sous-estimons pas ce progrès majeur, fruit d’un long processus historique marqué par l’apparition des noms de famille au Xe siècle.

Depuis l’Antiquité, la tradition veut que ce soit le nom du père qui soit transmis. Quoi qu’en pensent les auteurs de cette proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, celle-ci n’a jamais fait l’objet d’une contestation d’ampleur dans la société française.

Les noms de famille font partie de notre patrimoine. Si un comptage précis est difficile, il est certain que la France en détient le record mondial, avec 1,4 million, selon l’Insee.

La question de la protection de la filiation et des noms de famille s’est toujours posée, surtout quand certains d’entre eux pouvaient être menacés de disparition, par extinction de la lignée ou en raison de la primauté du nom du père.

Depuis la loi du 4 mars 2002, les parents peuvent transmettre à leur descendance le nom du père, celui de la mère ou les deux, dans l’ordre de leur choix. Malgré cela, quelque 81,4 % des enfants nés en 2019 portent encore le nom de leur père, 11,7 % un double nom et 6,6 % uniquement le nom de leur mère, preuve que la transmission du patronyme fait toujours consensus.

Pour les auteurs de la proposition de loi, pourtant, ces chiffres apporteraient la preuve, non démontrée, que la conservation du seul nom du père serait le fruit d’une oppression patriarcale.

Il faut pourtant rappeler cette évidence : l’encadrement de la liberté de choisir son nom n’est pas guidé par une quelconque oppression des Français. Au contraire, il s’agit de faciliter l’identification et les interactions, de stabiliser le droit dans le temps et de sécuriser juridiquement les transmissions. C’est aussi un outil de police générale.

Si cette proposition de loi part d’une bonne intention, ses conséquences peuvent se révéler graves. Il est d’ailleurs regrettable qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée.

L’usage de la procédure accélérée sur un texte qui nécessite de prendre le temps de la réflexion est problématique. Cela a d’ailleurs été rappelé par la commission des lois et son rapporteur, Marie Mercier, dont je voudrais saluer le travail.

Bien sûr, certains aspects de cette proposition de loi peuvent faire consensus. L’article 1er se contente ainsi de codifier le droit existant concernant les noms d’usage. La commission y a apporté des améliorations substantielles en retirant l’autorisation de substitution pour les mineurs. Elle a aussi empêché la possibilité pour un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant.

L’article 2, toutefois, ouvre la procédure simplifiée de changement de nom par déclaration devant l’officier de l’état civil. Un simple formulaire Cerfa pourrait ainsi permettre un effacement du nom. La notion d’intérêt légitime, qui pouvait justifier un changement de nom, disparaît.

Cette disposition risque de déconstruire la famille, la généalogie, la transmission et la filiation, en plus de faciliter l’usage par les délinquants du changement de nom afin d’échapper aux autorités.

La commission a donc eu raison de supprimer la procédure déclarative par Cerfa. Nous comprenons qu’il existe des situations individuelles dramatiques, mais ne transformons pas des cas particuliers en règle générale. Ne simplifions pas à l’extrême les procédures pour apporter des réponses à des difficultés individuelles. Les 2 000 demandes de substitution ou d’adjonction de nom par an ne justifient pas l’instauration d’un état civil à la carte.

Comme le rappelle la philosophe Sylviane Agacinski, l’état civil, c’est l’institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d’elle, et chacun ne peut pas décider de la loi commune.

Ne nions pas les motivations idéologiques de ce texte, justifié par un individualisme forcené et un rejet de la masculinité.

Méfions-nous de cette tendance qui consiste à transformer des droits objectifs en droits subjectifs, au nom de l’individu-roi et de la déconstruction.

Finalement, cette proposition n’apportera pas de liberté supplémentaire par rapport à la loi de 2002 ; n’ayant pas été sérieusement évaluée, notamment au plan administratif, elle créera plus de problèmes qu’elle n’en aura résolus. Elle pourrait constituer un bouleversement non maîtrisé, que ne peuvent justifier des drames personnels ou des objectifs idéologiques.

Oui aux libertés pour les Français. Oui à la simplification des procédures administratives quand cela est légitime. Non aux lois précipitées, qui remettent en cause notre droit et la sécurité juridique des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de grande importance, dans la lignée des combats féministes contre l’invisibilisation des femmes, pour leur liberté et leur égale dignité.

Si notre nom est bien le symbole social de notre statut d’individu inséré dans une société, être contraint d’y renoncer, comme être contraint de le garder contre son gré, c’est bien être contraint d’abdiquer son individualité.

C’est à cela que sont tenues depuis des siècles les femmes, au travers du mariage et de la filiation, et c’est cela qu’elles continuent majoritairement à faire aujourd’hui. Car c’est un fait : la loi française actuelle n’est toujours pas adaptée aux objectifs que se donne notre société. Si elle a bien tenté de rendre notre cadre légal moins sexiste, en permettant aux parents de choisir quel nom transmettre à leurs enfants et en brisant ainsi le monopole des hommes dans la transmission du nom, elle n’a su tenir compte du fait que le patriarcat allait néanmoins perdurer.

Ainsi, malgré la loi, dans 80 % des cas aujourd’hui, l’enfant porte encore le seul nom du père. Seulement 6 % des enfants ne portent que le nom de leur mère. Ce n’est évidemment pas parce que, par hasard, les noms des hommes seraient consensuellement considérés comme plus jolis à transmettre que les noms des femmes, lesquels ne sont d’ailleurs, en général, que les noms des hommes de la génération précédente.

Non, c’est bien que les dominations systémiques ne s’estompent pas d’elles-mêmes ; elles perdurent si on ne les contraint pas à disparaître. Or on ne le fait pas en négociant au neuvième mois de grossesse, quand la naissance arrive, à un moment qui n’est pas idéal pour gérer un conflit et pour résister à des pressions du père ou de sa propre famille.

Par ailleurs, au-delà de la violence symbolique qui consiste à effacer le nom des femmes dans 80 % des cas, la situation actuelle les contraint à gérer des complications et des souffrances additionnelles par la suite, comme les enfants qui ne portent pas le nom de leurs deux parents.

Le collectif Porte mon nom recueille ainsi tous les jours de nombreux témoignages émouvants, dont certains exemples ont déjà été mentionnés.

Je souhaitais vous en livrer un, qui est personnel. Ma mère a été abandonnée par ses deux parents ; son père a disparu à peu près immédiatement, sa mère non, mais celle-ci ne s’est pas occupée de sa fille. Ma mère a été élevée par ses grands-parents, pour être plus précis par sa grand-mère maternelle biologique et par le deuxième mari de cette dernière, le premier, violent, ayant fini par être éloigné.

Ma mère portait le nom de son « père », qui n’en était évidemment pas un. Plus tard, sa mère a eu deux enfants avec un autre homme, ses frères, mes oncles, qui portent le nom de leur père à eux.

Toute ma vie, ma mère m’a dit : « Je ne m’appelais comme personne. J’étais la seule à avoir ce nom, ce nom que personne ne partageait, le nom d’un inconnu qui m’avait abandonnée. Je ne m’appelais pas comme ma grand-mère, pas comme mon grand-père, pas comme ma mère, pas comme mes frères, pas comme mon oncle, pas comme ma cousine, pas comme mes cousins, je ne m’appelais comme personne. »

C’est pour cette unique raison que, lors de son mariage, elle a pris le nom de mon père, non pour s’appeler comme lui, comme sa famille à lui, mais pour pouvoir s’appeler comme nous, ma sœur et moi, ses enfants. Et lorsque nous avons voulu, pour un de ses anniversaires, prendre son nom comme nom d’usage, on nous a dit que c’était impossible. J’avais 17 ans. (M. Vincent Segouin sexclame.)

À elle seule, cette histoire montre que rien ne va. Pour réparer la blessure de porter seule le nom d’un négligent inconnu, ma mère a dû prendre celui d’un autre homme. Si elle avait pu s’appeler comme ses frères, comme ses grands-parents, comme sa mère, si nous avions pu nous appeler comme elle, son nom n’aurait pas été une violence qui exclut, mais au contraire un lien qui aurait pu apaiser.

C’est à ces injustices que nous souhaitons mettre fin, en donnant la possibilité au parent n’ayant pas transmis son nom à son enfant – la plupart du temps, c’est la mère – de le faire librement et simplement ; en donnant la possibilité aux individus de changer de nom, notamment de prendre le nom du parent qui ne leur a pas transmis le sien, simplement et librement ; en automatisant la transmission du nom des deux parents, afin de sortir cette question de la négociation interpersonnelle, qui, on le voit, ne produit pas de résultat égalitaire.

Certains élus se sont inquiétés que l’on aille ainsi vers un changement profond de l’état civil traditionnel français, qui participerait à la déconstruction de la société et de la famille traditionnelle. Je veux les rassurer : ils ont raison, c’est bien notre idée ! Il s’agit de déconstruire un système traditionnel dans lequel le nom de la moitié du monde disparaît à chaque génération et de bâtir un système égalitaire et libre.

Nous espérons donc que les débats permettront d’entendre ces préoccupations et nous déterminerons notre vote en fonction du sort qui sera réservé à un certain nombre d’amendements. Cela signifie que, vraisemblablement, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chaque année, 3 000 personnes en moyenne demandent à changer de nom, pour des raisons multiples : leur nom est difficile à porter ou à prononcer, la plupart du temps, ou encore, dans certains cas, leur nom porte une charge affective qui renvoie à un mal-être ou un traumatisme, tel qu’un parent violent ou délaissant.

Depuis 2014, ce changement de nom est déjà possible, mais à la suite d’une longue procédure administrative, inscrite à l’article 61 du code civil, qui impose de saisir le ministre de la justice et de lui indiquer les motivations de cette demande. À l’issue d’une instruction qui dure environ deux ans, un décret de changement de nom est publié, si l’avis définitif est favorable.

Le texte initial de cette proposition de loi de liberté visait principalement à modifier cette longue procédure pour permettre de changer de nom de famille plus facilement, une fois dans sa vie, de manière à faire cesser des souffrances et à apaiser des familles.

Le texte initial offrait une réponse pertinente aux demandes des associations et à celles de milliers de nos concitoyens, qui alertent sur les difficultés résultant de la rigidité du droit actuel, même si celui-ci a évolué en la matière depuis quelques années.

En effet, pendant longtemps, les motifs affectifs n’étaient pas retenus comme pouvant justifier un changement de nom. Il a fallu attendre l’année 2014 pour que le Conseil d’État décide que ceux-ci puissent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil.

Comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi : « En dépit de cette évolution, il est apparu pour le moins anachronique d’opposer à ces situations individuelles éminemment douloureuses une procédure aussi longue et incertaine, puisque soumise à l’appréciation de ces motifs affectifs, qui relèvent pourtant de l’intime. »

La commission des lois du Sénat a admis que la justification demandée pour changer de nom était abusive ou excessive et qu’il appartenait à chacun de souhaiter changer de nom pour des raisons affectives qui lui sont propres et intimes. Ce volet du texte initial a donc été conservé, ce que nous saluons.

Cependant, si le texte initial proposait une véritable simplification de la démarche, la version dont nous discutons désormais revient, à l’exception des motifs à faire valoir, à la longue procédure existante, la commission ne souhaitant pas mettre en place une procédure déclarative par simple formulaire Cerfa.

Nous considérons qu’il s’agit là d’un recul profond par rapport au texte de la proposition de loi initiale et nous le regrettons.

De plus, la commission des lois justifie cette position par des difficultés administratives, tout en pointant dans son rapport que la section du sceau du ministère de la justice devrait « perfectionner ses méthodes de travail et accélérer son temps de traitement administratif pour répondre plus efficacement aux demandes de changement de nom, quitte à prioriser les dossiers dans les cas les plus sensibles. »

Si je puis me permettre, cela paraît compliqué et contradictoire : si les motifs de demandes de changement ne sont plus exprimés, comment les demandes pourraient-elles être priorisées ? Cela ne pourrait se faire que de manière subjective, voire nécessairement discriminante.

Ainsi, au regard du droit positif en vigueur, la rédaction actuelle reste une avancée, au moins sur le fond. Nous simplifions en n’exigeant plus des personnes désirant changer de nom de s’en justifier par des arguments qui les regardent et qui sont du ressort de l’intime. En revanche, la difficulté demeurera s’agissant de la démarche à engager. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Cette proposition de loi, a priori anecdotique, révèle certaines problématiques sociétales d’importance et s’ancre dans une vision progressiste de la société, notamment en ce qui concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, tout en œuvrant à une meilleure prise en compte de la diversité des individus et des spécificités de chacun. Il est regrettable de l’avoir ainsi substantiellement modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une évidence : un nom, ce n’est pas qu’une simple suite de lettres, c’est aussi l’expression de l’identité au quotidien.

Le nom, c’est ce qui nous rattache à notre passé, à l’histoire de notre famille, comme un symbole d’appartenance et de reconnaissance.

Le nom, c’est aussi notre futur, avec la responsabilité de sa transmission, génération après génération, afin de le faire perdurer.

Le nom, c’est parfois le sien et parfois celui qu’un mariage, ou une adoption, nous aura permis de prendre afin d’intégrer une famille. Dans ces cas-là, c’est un choix, très souvent positif, et cela peut être une source de fierté.

Le sujet est sensible, d’ailleurs, pour les femmes : choisir le nom de son père ou celui de son mari ? En effet, jusqu’à présent, avouons-le, nous avions rarement le choix du nom de la mère.

Choisir son histoire personnelle ou celle de la famille à laquelle on se lie ? Ou prendre les deux ? C’est souvent plus facile à justifier que de ne garder que son nom de jeune fille, tant, symboliquement, le nom est la marque du lien, qui est au plus serré au moment du mariage.

Le nom, c’est enfin la part d’intime de chaque famille. S’il peut apporter de la fierté, il peut également être porteur de drames et de douleurs. Dans certains cas, le mal est bénin – on pense à des noms un peu ridicules ou difficilement prononçables –, mais cela peut être une source de souffrance personnelle.

Pour celui ou celle qui aura subi un parent abusif ou violent, la filiation à travers le nom ne devrait pas s’imposer.

La société évolue. Nombre d’enfants aujourd’hui naissent en dehors du mariage. Les mariages ont des durées très variables, mais de plus en plus rares sont ceux qui durent une vie.

Papa et maman n’ont donc pas le même nom, et, au-delà de la tradition, comme personne n’est au courant, ou presque, que l’on peut donner les deux noms aux enfants, 80 % des enfants portent seulement le nom de leur père.

J’ai à l’esprit ces mères qui doivent sans cesse justifier leur lien avec leur enfant, parce qu’elles s’appellent autrement, contrairement à la nouvelle femme de leur mari, qui, elle, peut être sans souci considérée comme la mère, puisqu’elle a adopté le nom du père. On peut comprendre que cela entraîne lassitude et exaspération.

Il existe pourtant une façon de simplifier la vie des mères, suggérée par Marie Mercier, que je félicite de son excellent travail, une solution purement réglementaire, monsieur le garde des sceaux : il suffit de porter sur la carte d’identité le nom du père et celui de la mère. Ainsi, la mère n’a plus à prouver sa qualité et personne ne peut se substituer à elle sous prétexte de porter le même nom que l’enfant.

Revenons au changement de nom. De quoi parlons-nous ? Il y a nom d’usage et nom de famille. Pour le premier, la procédure existe déjà et elle est très simple. Une fois adultes, nous pouvons déjà ajouter à notre patronyme celui du parent dont nous n’avons pas été gratifiés.

Ce texte, dans sa version originale, proposait que l’un des deux parents puisse décider unilatéralement d’accoler les deux noms pour les enfants. La commission ne souhaite pas que cela se fasse sans l’accord de l’autre parent. Nous avons une petite divergence à ce sujet, car, de mon point de vue, l’accolement ne lèse personne.

Pour autant, il serait possible de limiter les risques de conflits concernant le nom des enfants bien en amont en faisant systématiquement remplir et signer par les deux parents le formulaire sur le choix du nom de famille. S’ils ont à se poser la question avant la naissance, les parents prendront le temps d’y réfléchir et pourront faire un choix éclairé. Cela éviterait ensuite bien du travail à vos services, monsieur le garde des sceaux.

Ce texte entendait également permettre aux enfants de substituer le nom du père, dans le cas le plus général, par le nom de la mère. Une substitution, c’est une disparition ; effacer un nom, c’est un peu effacer celui qui le porte.

Je trouve positif d’adosser les noms des deux parents, donc de montrer que les deux pèsent autant dans la famille, mais je ne puis me résoudre à l’effacement d’un parent, donc d’une partie de l’histoire de l’enfant. En cela, je rejoins la commission et son rapporteur.

Le nom de famille, quant à lui, est indélébile, ou presque, car même si la loi permet déjà de changer de nom de famille, la procédure pour ce faire est très longue, coûteuse et pas toujours couronnée de succès.

Pourtant, dans la majorité des cas, nous nous trouvons dans la situation qu’évoque le texte : les demandeurs souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Pour eux comme pour les autres, il est nécessaire de justifier de la légitimité de la demande auprès de la Chancellerie.

Toutefois, dans ce cas précis, ne peut-on faire plus simple ? Ne peut-on pas apporter une réponse plus rapide ? C’est ce qu’a proposé notre collègue député Laurent Vignal, c’est aussi ce à quoi répond la commission des lois, mais avec une autre méthode. En effet, résumer un changement de nom à un Cerfa est une source de simplification évidente, mais qui va probablement trop loin. Nous mesurons tous ce que le nom porte de symbolique en nous.

Changer le nom ne peut se faire sans un minimum de démarche ; en moins de temps qu’aujourd’hui, car c’est nécessaire, mais pas au travers d’un Cerfa sur un coin de table.

C’est pourquoi je préfère la position de la commission consistant à améliorer la procédure existante en exemptant de toute justification une demande d’adjonction ou de substitution avec un nom de sa filiation. Cela simplifiera la tâche de la Chancellerie, tout en évitant les rejets de dossiers fondés sur l’absence de justificatifs.

En fin de compte, les propositions du Sénat ne trahissent pas l’objectif initial de la proposition de loi : faciliter la vie des Français en permettant de répondre efficacement à des situations pénibles, tout en préservant la solennité de l’acte.

Au regard de ces ajouts, et pour que le nom puisse toujours être un héritage qui se recueille et non un fardeau qui se subit, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « ne pas subir son nom pour ne plus subir son passé » : en quelques mots, la députée Aina Kuric explique la nécessité de simplifier le changement de nom. Elle témoigne : « J’ai été victime d’un père incestueux. […] Je souhaite simplement porter non plus le nom de mon bourreau, mais celui de la femme qui a fait de moi celle que je suis aujourd’hui, le nom de ma mère. »

Comme l’a souligné mon collègue héraultais Patrick Vignal, auteur du texte que nous examinons aujourd’hui, dont je salue d’ailleurs la présence dans nos tribunes : « Cette loi, c’est du bon sens ! » Elle répond non pas à un besoin théorique ou rhétorique, mais bien à une demande réelle des Français, qui ont des raisons personnelles pour cela.

La question est de tout premier ordre, car elle concerne les enjeux de construction identitaire et d’équilibre psychologique. Dans les faits, huit enfants sur dix portent encore le seul nom du père. Très souvent, cela ne pose pas de difficulté et relève du choix assumé de s’accorder avec une pratique traditionnelle dont les familles n’entendent pas se départir.

Il existe cependant des situations dans lesquelles cette pratique crée des difficultés. Le texte initial voulait y répondre. Il était question de permettre à chacun, une fois dans sa vie, de demander à prendre ou à ajouter le nom de son autre parent, par une simple démarche en mairie.

Il est important de préciser que la procédure simplifiée proposée ne permet pas de céder aux fantaisies, car tout ne sera pas permis. Elle rétablit simplement l’équilibre dans le cadre familial.

La commission des lois du Sénat a intégré de fortes modifications au texte. À l’article 1er, il a été décidé de refuser la faculté de substituer le nom d’un parent à celui d’un autre au titre de nom d’usage de l’enfant et de rétablir le consentement préalable de l’autre parent pour procéder à une adjonction de nom, tout en précisant le rôle du juge aux affaires familiales.

S’agissant du nom de famille, il a été décidé de supprimer la procédure simplifiée auprès des officiers de l’état civil, permettant à chaque majeur, une fois dans sa vie, de choisir parmi les noms de ses parents celui qui lui convient, sans avoir à le justifier.

Je regrette ces modifications, qui ne permettent pas, à mon sens, de simplifier la procédure et qui dénaturent complètement les enjeux du texte. « L’article 1er ne prend rien à personne », souligne Patrick Vignal, et il a raison : faisons confiance aux citoyens et nous retrouverons la leur.

Sur un point idéologique, la limitation du changement de nom à une unique occurrence préserve le caractère solennel d’une telle demande.

En outre, il nous faut prendre la mesure de ce que la majorité légale signifie : un élément de liberté et de responsabilité. À partir de cette étape, beaucoup de choix décisifs sont faits. Il convient, dès lors, en vertu tant de la liberté que de la responsabilité, de laisser chaque personne décider de son nom de famille. Cessons d’infantiliser les citoyens !

Enfin, il ne s’agit nullement d’éliminer le rôle du père, les noms pouvant être adjoints. Nous n’avons de cesse de réfléchir aux moyens de mieux sensibiliser les Français aux enjeux de la citoyenneté. En choisissant de ne plus les brider dans leurs choix les plus personnels, c’est-à-dire la construction de leur identité, nous optimiserons nos chances d’agir efficacement sur l’envie de chacun d’eux de dessiner plus globalement, au travers de l’exercice de la citoyenneté, l’identité nationale.

Aussi, n’oublions pas que ce texte résulte de l’écoute du terrain. Il vient de la société et de demandes concrètes de familles parfois en grande souffrance.

Le collectif Porte mon nom a notamment lancé une pétition qui a obtenu plusieurs dizaines de milliers de signatures et qui reçoit plusieurs dizaines de témoignages au quotidien. Les généalogistes, les responsables d’associations et collectifs concernés par cet enjeu, comme l’association SOS Papa, ont également apporté leur expertise.

Vous l’avez compris, l’ambition de la proposition de loi initiale ayant été malheureusement contournée en commission des lois, le RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le nom est un élément constitutif de notre identité. C’est lui qui, avant même la nationalité, le genre ou l’apparence physique, nous singularise. Le nom, c’est aussi la famille, cet écrin de valeurs et d’attachements premiers, ce lieu de solidarité, d’éducation et de transmission.

Le patronyme qui lui est indissociable est parfois multiséculaire, car près de mille ans d’épaisseur historique ont donné aux noms de famille, notamment français, une valeur patrimoniale exceptionnelle.

Parce qu’ils furent ceux des illustres ou des moins illustres personnages de notre roman national avant de devenir les nôtres, nous leur devons sauvegarde et protection. À l’instar de nos monuments, de nos paysages, de nos œuvres picturales ou littéraires, ils prennent part à la richesse de notre pays et contribuent à faire de nous un peuple singulier.

Inscrit dans le marbre de la loi révolutionnaire en 1794, le principe d’immuabilité du nom a consacré sa portée identitaire et patrimoniale. Jadis, en violer les usages exposait d’ailleurs à l’emprisonnement, voire à la dégradation civique.

Les dispositions du code civil relatives au nom de famille ne datent pas non plus d’hier et font écho à ce qui constitue la structure familiale traditionnelle. Cette proposition de loi modifie donc une très ancienne législation, ce qui doit nous inciter à n’y toucher que « d’une main tremblante ».

Cela étant, la famille et les liens qui lui sont propres se sont transformés au cours des dernières décennies. Le modèle de la filiation légitime et de la prééminence du père ne va plus de soi. Il serait désuet, pour ne pas dire rétrograde, de postuler la primauté du lien de la filiation paternelle sur celui de la filiation maternelle.

Il y a plus de vingt ans, un rapport d’information sénatorial constatait déjà que la famille dite « légitime » ne constituait plus l’alpha et l’oméga de l’organisation sociale. À bon droit, le législateur a par la suite voté un certain nombre de textes pour accompagner ces évolutions et leur donner un cadre juridique propre.

Il nous appartient aujourd’hui de poursuivre cette adaptation pour répondre aux exigences de notre époque et à l’aspiration de nos concitoyens à une plus grande liberté.

C’est la raison pour laquelle les assouplissements prévus à l’article 1er sont les bienvenus. Ils épargneront notamment à de trop nombreuses femmes l’humiliation de voir leur maternité mise en doute.

Je salue également le travail de Mme le rapporteur, Marie Mercier, qui a su trouver le bon équilibre entre une procédure certes trop longue et fastidieuse et la simple déclaration devant un officier d’état civil. Ce dernier ne saurait, seul et sans nul autre élément qu’un formulaire Cerfa, décider de la substitution d’un nom de famille à un autre.

À cet égard, la nouvelle rédaction de l’article 2 conforte la gravité et la dimension presque solennelle d’un changement de nom, quels qu’en soient le motif et la nature. Je défendrai d’ailleurs des amendements aux fins de parfaire ces adaptations et de prévenir les risques d’une décision spontanée et irréfléchie.

Pour autant, certains témoignages nous obligent, notamment ceux de ces milliers de Français qui portent leur nom, il est vrai, comme un accablant fardeau.

Chacun de nous, mes chers collègues, a pris connaissance de ces récits poignants dont il émane une réelle attente. Et pour cause : c’est précisément parce qu’un nom n’a rien d’insignifiant qu’en changer plus aisément peut et doit pouvoir libérer d’une souffrance qui ne l’est pas davantage.

C’est à la croisée de ces enjeux qu’intervient cette proposition de loi. D’une part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et aux attentes de nos concitoyens ; de l’autre, on ne doit pas rompre le fil de la transmission de ces noms, qui constituent, je le redis avec force, des repères historiques et patrimoniaux irremplaçables.

Je voterai cette version, rendue plus cohérente et plus sage par la commission des lois, de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Belrhiti, je prends naturellement acte de votre conception de la famille et je respecte bien évidemment votre liberté de conscience.

Vous avez évoqué l’ordre patriarcal et la tradition française. Ce n’est pas de cela que je veux débattre à cet instant, parce que rien de ce à quoi vous tenez n’est au fond remis en cause dans cette proposition de loi : elle ne justifie en tout cas certainement pas votre crainte d’une déstructuration de la famille.

Je vais vous dire de quoi il s’agit avec simplicité et, je l’espère, le plus clairement possible.

Ce qui me gêne, c’est qu’une femme qui élève seule un enfant ne portant pas son nom soit obligée aujourd’hui de transporter avec elle son livret de famille pour l’inscrire à un cours de musique, au judo ou à l’école. Cela me chagrine, et je voudrais lui donner un petit coup de main. Ce n’est pas plus compliqué que cela ! (M. Jean-Pierre Grand applaudit.)

Ce qui me gêne aussi, c’est que des femmes qui portent un nom très prestigieux ne pourront pas le transmettre à leurs enfants, en raison de l’ordre patriarcal, pourriez-vous me dire. Je souhaiterais qu’on les aide, faute de quoi ces noms vont s’éteindre. C’est ainsi un petit pan de notre patrimoine qui risque de s’éteindre à cause des oppositions qui sont les vôtres, madame la sénatrice.

Ce qui me gêne encore plus, c’est la femme violée qui porte le nom de son violeur. Dans le journal La Croix, j’ai lu le témoignage d’une femme de 67 ans qui avait hâte que l’on puisse recourir à ce texte. Elle y expliquait porter son nom comme une plaie, une croix vivace. Elle ne voulait pas que le nom de son violeur soit sculpté sur sa tombe. Je trouve que ce type de déclaration mérite l’écoute, et c’est cette femme-là que j’ai envie d’aider.

Madame la sénatrice, j’ai reçu un nombre incroyable de courriers dans lesquels il est question d’un fils ou d’une fille qui souhaite rendre hommage à sa mère – ce n’est pas plus compliqué que cela – en adjoignant son nom à celui du père.

Mme Catherine Belrhiti. Mais c’est déjà possible !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On peut l’entendre, et cela ne déstructure en rien la famille, puisque, de toute façon, le nom de l’enfant découle soit du nom de son père, soit de celui de sa mère, soit de l’adjonction du nom de son père et de celui de sa mère, quel que soit l’ordre choisi.

Comme vous le savez, personne ne peut prendre un nom fantaisiste, et, avec ce texte, on reste dans le périmètre des patronymes de la parentèle. (Mme Catherine Belrhiti proteste.)

Pardonnez-moi de me répéter, mais ce texte ne déstructure strictement en rien la famille : il prend simplement en considération son évolution. Je l’ai souvent dit et j’ai d’ailleurs déjà eu l’honneur de le dire ici : ce n’est pas le droit qui fait la société ; c’est la société qui fait le droit, puis qui le fait évoluer.

Mme Catherine Belrhiti. Mais ce n’est pas le choix de la majorité !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce texte a pour objet de simplifier les choses. C’est un texte de liberté et d’égalité.

Les services de la Chancellerie ont grosso modo 4 000 dossiers à instruire aujourd’hui. Je ne plaide pas pro domo, mais la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a bien d’autres affaires à traiter.

Au fond, si l’on maintient le système actuel, on fait perdurer une forme d’aléa, parce que personne ne peut être certain aujourd’hui de voir aboutir sa demande de changement de nom.

J’ajoute que, pour changer de nom, on est obligé d’exposer la raison pour laquelle on le demande. Or il n’est pas toujours facile de dire à l’administration que l’on a été violé par son père ! Cela relève plutôt du registre de l’intime.

Dernier argument que l’une d’entre vous a avancé tout à l’heure : il ne faut pas infantiliser nos compatriotes. Il faut au contraire leur donner la possibilité de choisir. En définitive, il y aura probablement très peu de demandes, parce que la très grande majorité d’entre nous est fière de porter son nom.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, laissons le choix à chacun.

Mme Catherine Belrhiti. Vous venez de reconnaître que nous ne légiférons que pour une minorité !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous sommes en démocratie, et vous aurez l’occasion d’exprimer votre désaccord.

En outre, je pense à toutes ces Françaises et à tous ces Français qui portent un nom ou, plus exactement, comme je l’ai dit tout à l’heure, qui le supportent. Je veux pouvoir les aider : ce n’est pas plus compliqué que cela.

Madame la rapporteure, nous sommes au fond d’accord sur bien des choses.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Tout à fait !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le dis parce que c’est une réalité. Vous proposez de centraliser la procédure de changement de nom au niveau du ministère de la justice. Or cela ne changerait rien pour l’adaptation des applicatifs des administrations. En effet, les changements de nom seront portés sur les actes de naissance des intéressés, qui sont tenus dans toutes les communes de naissance.

J’ajoute un dernier mot, même si nous en discuterons de nouveau tout à l’heure plus longuement – ou peut-être moins longuement d’ailleurs, madame la présidente, puisque ce qui est fait n’est plus à faire (Sourires.) –, à propos de l’actualisation des fichiers. Celle-ci ne pourra jamais s’opérer depuis le ministère de la justice, parce qu’il ne détient aucune base de données relative à l’état civil.

En d’autres termes, on met en place une machine supplémentaire ou, plutôt, on crée une boucle administrative qui est inutile et, me semble-t-il, superfétatoire.

« Simplicité », « liberté », « égalité », je pense que nous pourrions tous nous réunir derrière ces trois mots, qui finalement donnent son sens à ce texte, tel qu’il a été envisagé par l’Assemblée nationale. D’ailleurs, je sais que nous ne sommes pas loin d’être d’accord, madame le rapporteur, comme souvent sur un certain nombre de textes.

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article additionnel après l'article 1er - Amendements n° 8 et n° 14

Article 1er

I. – Le livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° L’article 225-1 est complété par les mots : « , dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux » ;

2° La section 3 du chapitre Ier du titre VII est ainsi modifiée :

a) L’intitulé est complété par les mots : « et du nom d’usage » ;

b) Elle est complétée par un article 311-24-2 ainsi rédigé :

« Art. 311-24-2. – Toute personne majeure peut, à titre d’usage, intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisi par ses parents, substituer le nom de famille de l’un d’entre eux à son propre nom ou adjoindre à son nom, dans l’ordre qu’elle choisit, le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille pour chaque parent.

« À l’égard des enfants mineurs, cette faculté ne peut consister qu’en l’adjonction du nom du parent qui n’a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille, et dans un ordre choisi. Elle est mise en œuvre par les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale. En cas de désaccord, le juge aux affaires familiales peut être saisi par le parent qui souhaite adjoindre son nom pour statuer selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant.

« Dans tous les cas, si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis. »

II. – (Non modifié) L’article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est abrogé.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.

M. Jean-Pierre Grand. La proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation de mon collègue et ami Patrick Vignal, député de l’Hérault, a été détricotée par la commission ; en tout cas, c’est comme cela que je le perçois.

Je ne retiendrai à cet instant que l’article 1er, qui permettra à l’un des deux parents d’un enfant mineur d’ajouter son nom à titre d’usage, après en avoir informé l’autre parent. Voilà une simplification historique et qui ne change rien. N’allons pas chercher des problèmes ou des arrière-pensées là où il n’y en a pas, mais alors pas du tout ! (M. le garde des sceaux acquiesce.)

On parle d’un père et d’une mère. Or c’était le slogan de la Manif pour tous, mes chers collègues ! (M. le garde des sceaux rit. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout le monde devrait se réjouir que ce texte offre la possibilité d’adjoindre le nom du père et de la mère.

De plus, j’observe que ceux qui pourfendent la proposition de loi de mon collègue de l’Hérault étaient en première ligne de la Manif pour tous ! Je tenais à le dire, car je trouve que c’est vraiment étonnant.

Dans la période que nous traversons, j’estime qu’il faut être clair.

M. Vincent Segouin. Vous avez le mérite de l’être ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Grand. Il faut dire ce que l’on fait et éviter les coups de billard à quatre bandes.

Ce texte n’est pas fortuit. Ce n’est pas le fruit du hasard si deux sénateurs de l’Hérault, mes collègues Hussein Bourgi et Henri Cabanel, se sont exprimés lors de la discussion générale et si un député du même département en a pris l’initiative.

C’est tout simplement parce que nous avons été saisis par des associations, de femmes notamment, dont la représentante de l’une d’entre elles est d’ailleurs présente dans nos tribunes cette après-midi. Nous avons été extrêmement attentifs au message qui nous a été adressé et aux témoignages qui sont les leurs.

Mme le président. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 17, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 311-24-2. – Toute personne majeure peut intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisi par ses parents ou porter, à titre d’usage, le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien ou le nom de famille de l’ensemble des frères, sœurs ou demi-frères et demi-sœurs, par substitution ou par adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’elle choisit, dans la limite de deux noms de famille.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a pour objet d’étendre le choix qui s’offre à une personne souhaitant modifier son nom d’usage. Celle-ci doit pouvoir adjoindre ou substituer le nom de l’un des deux parents, mais également celui de ses frères et sœurs ou demi-frères et demi-sœurs.

J’ai déjà cité cet exemple tout à l’heure : je pense à celles et ceux qui ont des demi-frères ou des demi-sœurs et qui, parce que chacun porte le nom de son père, n’ont de fait aucun lien avec leur belle-famille.

Dans de tels cas, ils n’ont pas d’autre moyen de faire famille avec eux, alors que, pourtant, il s’agit parfois du lien auquel ils attachent le plus de prix.

Mme le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 21 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 27 rectifié est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 6

Après le mot :

peut

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

porter, à titre d’usage, l’un des noms prévus par les premier et quatrième alinéas de l’article 311-21.

II. – Alinéa 7

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« À l’égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en œuvre par les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale.

« En outre, le parent qui n’a pas transmis son nom de famille peut l’adjoindre, à titre d’usage, au nom de l’enfant mineur. Cette adjonction se fait dans la limite du premier nom de famille de chacun des parents. Il en informe préalablement et en temps utile l’autre parent exerçant l’autorité parentale. Ce dernier peut, en cas de désaccord, saisir le juge aux affaires familiales, qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 21.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de rétablir l’article 1er, tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale, sous réserve d’un renvoi à l’article 311-21 du code civil.

Votre commission des lois a souhaité supprimer, pour les mineurs, l’ensemble du mécanisme relatif au nom d’usage qui avait été introduit par l’Assemblée nationale. Or, j’ai eu l’occasion de l’indiquer tout à l’heure, le Gouvernement souhaite une évolution en la matière.

Tout d’abord, il n’y a franchement aucune raison, dès lors que les deux parents sont d’accord ou que le juge l’autorise, d’interdire de donner à l’enfant, à titre d’usage, le nom de l’autre parent, avec l’ensemble des combinaisons qui sont offertes par la loi, y compris la substitution de ce nom.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Absolument !

Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout le monde en est d’accord.

Je ne comprendrais absolument pas une logique de simplification qui conduirait à interdire la substitution d’un nom à titre d’usage et à obliger les parents à entamer une procédure lourde de changement du nom de famille, notamment au vu de toute la machinerie administrative parfois pesante, coûteuse et, je l’ai dit, aléatoire et intrusive – il faut raconter à l’administration un certain nombre de choses que l’on n’a pourtant pas toujours envie de relater –, qu’il faut mettre en branle. En résumé, pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ?

Actuellement, la Chancellerie est saisie de cas de parents qui ont donné un double nom à leur enfant à sa naissance et qui souhaitent lui substituer le nom d’un seul d’entre eux. Faut-il, dans cette hypothèse, interdire la substitution du nom à titre d’usage ? Personnellement, je ne le crois pas.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite simplifier la vie quotidienne des femmes séparées, dont l’enfant ne porte pas le même nom, en leur permettant d’adjoindre leur propre nom, à titre d’usage, à celui de l’enfant, à condition bien sûr d’en avoir préalablement, et en temps utile, informé l’autre parent – c’est la moindre des choses. La simplification résulte précisément du fait que c’est ce parent qui, en cas de désaccord, devra saisir le juge aux affaires familiales, et non la mère.

Votre commission a supprimé ce dispositif au motif qu’il serait contraire à l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où la procédure devant le juge aux affaires familiales dure en moyenne six mois. Je vous rappelle qu’il existe des procédures d’urgence, comme le référé, qui permettent au juge de statuer en quelques jours si nécessaire. Votre argument – pardonnez-moi de le dire aussi nettement – ne tient pas.

Enfin, le Gouvernement souhaite améliorer la rédaction du texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, en ce qui concerne le choix des noms possibles. Pour les majeurs comme pour les mineurs, nous proposons de renvoyer à un dispositif connu, celui de l’article 311-21 du code civil, plutôt que d’énumérer les différentes possibilités de choix de noms, au risque bien sûr d’en oublier.

Ce renvoi, que je proposerai également dans le cadre du dispositif de l’article 2, permet d’unifier les règles relatives au nom d’usage et à la dévolution du nom de famille. Il permet à l’évidence d’assurer une continuité entre le nom d’usage, porté éventuellement pendant la minorité de l’enfant, et l’option dont celui-ci bénéficiera à sa majorité, s’il décide de changer de nom selon la procédure simplifiée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à voter cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 27 rectifié.

M. Thani Mohamed Soilihi. Je serai bref : dans le même esprit que le Gouvernement, et en complément des arguments que le garde des sceaux vient d’avancer, je précise que les dispositions que nous proposons sont assorties de garanties conformes à l’intérêt de l’enfant. En effet, l’accord des deux parents qui ont l’autorité parentale est exigé, et le juge reste compétent en cas de désaccord.

Nos propositions s’inscrivent de plus dans le strict cadre familial et dans celui de la filiation. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter ces amendements.

Mme le président. L’amendement n° 29, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Après le mot :

usage,

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

porter l’un des noms prévus par les premier et quatrième alinéas de l’article 311-21.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à apporter davantage de souplesse au nom d’usage, en reprenant la rédaction proposée par le Gouvernement.

Mme le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mme Artigalas, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et Monier, M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« À l’égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en œuvre par les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale.

« En outre, le parent qui n’a pas transmis son nom de famille peut l’adjoindre, à titre d’usage, au nom de l’enfant mineur. Cette adjonction se fait dans la limite du premier nom de famille de chacun des parents. Il en informe a posteriori, une fois la démarche effectuée et en temps utile l’autre parent exerçant l’autorité parentale. Ce dernier peut, en cas de désaccord, saisir le juge aux affaires familiales, qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant.

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction de l’article 1er, tel qu’elle est issue de l’Assemblée nationale, enrichie des apports de notre rapporteur. Le dispositif nous semble ainsi plus équilibré.

Mes chers collègues, nous vous proposons donc, pour plus d’efficacité, de voter notre amendement.

Mme le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Alinéa 7, deuxième phrase

Après le mot :

œuvre

insérer les mots :

pour tous les enfants communs

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Cet amendement vise à compléter et à préciser l’article 1er, afin de consolider et de sécuriser l’union patronymique d’une fratrie.

Comme l’a mentionné tout à l’heure Mme Vogel, mais de manière différente, l’article 1er dispose que, à l’égard des enfants mineurs, la faculté proposée ne peut « consister qu’en l’adjonction du nom du parent qui n’a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille, et dans un ordre choisi ». Il est également indiqué que le choix est mis en œuvre « par les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale ».

Je propose de préciser que ce choix est mis en œuvre « pour tous les enfants communs ». Il s’agissait peut-être de la volonté implicite du législateur, mais mieux vaut que cette précision figure explicitement, pour éviter tout risque de morcellement patronymique d’une fratrie.

Mme le président. L’amendement n° 19, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Alinéa 7

1° Deuxième phrase

Remplacer les mots :

les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale

par les mots :

le parent exerçant l’autorité parentale n’ayant pas transmis son nom

2° Dernière phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Dans la même logique que celle du Gouvernement, cet amendement vise à rétablir la possibilité, pour un parent n’ayant pas transmis son nom et exerçant l’autorité parentale, de transmettre son nom a posteriori sans qu’il soit contraint d’exercer seul l’autorité parentale ou d’avoir l’accord préalable, mais après avoir informé bien sûr, et en temps utile, l’autre parent.

Nous allons donc dans le même sens que le Gouvernement et supprimons de surcroît la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. L’amendement n° 17 de Mme Vogel vise à étendre les choix possibles pour le nom d’usage aux noms des frères, sœurs ou demi-frères et demi-sœurs. Nous avons déjà étendu ces choix aux noms que portent les parents à la naissance – tel est l’objet de l’amendement n° 29. Aller au-delà ajouterait à la confusion des situations, me semble-t-il.

Je rappelle qu’il est possible de changer de nom d’usage sans formalité plusieurs fois dans sa vie. Accroître le nombre des choix possibles pourrait favoriser une succession de noms d’usage au fil de ses affinités affectives.

Or il ne faut pas mettre le nom au cœur de toutes les problématiques familiales ou affectives auxquelles fait face, en particulier, un enfant. Ce n’est pas le nom qui fait les liens familiaux ou affectifs. Il s’agit d’un élément d’identification des tiers, si bien qu’il est opportun d’en garantir une certaine stabilité.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Les amendements identiques nos 21 du Gouvernement et 27 rectifié de M. Mohamed Soilihi tendent à rétablir la rédaction de l’article 1er, tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale.

Je rappelle que, pour les mineurs, la commission a refusé de permettre la substitution d’un nom à l’autre et de se passer de l’office du juge en cas de désaccord entre les parents.

Je rappelle également que le nom d’usage n’est pas qu’une mention administrative sur une carte d’identité. C’est le nom par lequel l’enfant sera appelé par sa maîtresse ou son professeur de judo et celui qui figurera sur ses bulletins de notes. C’est son nom : il n’est pas en mesure de distinguer ce nom d’usage et son véritable nom de famille !

Si l’article 1er a pour seul objet de faire porter la mention du nom de la mère sur la carte d’identité de l’enfant, il n’est pas nécessaire de faire une loi : il suffit de demander au ministère de l’intérieur de changer le format de la carte d’identité et d’ajouter sur celle-ci une nouvelle rubrique, ce qui relève du pouvoir réglementaire. Cela correspondrait à un mini-livret de famille, que l’on n’aurait dès lors plus à emporter avec soi.

La commission est donc défavorable à ces deux amendements identiques.

L’amendement n° 7 de notre collègue Bourgi vise à rétablir la possibilité de substitution du nom d’un parent à l’autre et celle d’adjoindre unilatéralement un nom à titre d’usage.

Comme les amendements identiques nos 21 et 27 rectifié, il tend donc à revenir au texte adopté par les députés. Il en diffère toutefois en ce que ses auteurs prennent acte que l’usage d’un nom d’usage est instantané et que l’autre parent en serait informé a posteriori.

En commission, nous avions supprimé cette disposition, car un enfant ne fait pas la différence entre nom d’usage et nom de famille. Rien ne justifie de lui imposer dans sa vie quotidienne de ne plus utiliser le nom de l’un de ses parents ou de lui adjoindre un autre nom dans un contexte conflictuel.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

Les dispositions de l’amendement n° 1 rectifié bis de M. Paccaud reposent sur le principe d’unité du nom d’usage dans la fratrie.

Notre collègue souhaite que tous les enfants ayant les mêmes parents aient le même nom d’usage. Cela semble une bonne idée que de répliquer ici un principe qui existe pour les noms de famille. Cette unité serait respectée pour les enfants de moins de 13 ans, et sous réserve de leur consentement, pour les enfants plus âgés. La commission y est favorable. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

Enfin, l’amendement n° 19 de Mme Vogel vise à permettre au parent n’ayant pas le même nom que l’enfant d’ajouter son nom à titre d’usage, sans l’autorisation de l’autre parent. Notre collègue souhaite que le parent qui n’a pas transmis son nom puisse l’adjoindre de manière unilatérale, sans que l’autre en soit informé ou puisse s’y opposer.

Or nous l’avons vu, le nom d’usage est le nom par lequel l’enfant est désigné dans sa vie de tous les jours. Il semble par conséquent important de maintenir une décision conjointe des parents.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je souhaite vous signaler, madame la rapporteure, que deux de vos arguments me semblent parfaitement oxymoriques.

Mme Marie Mercier, rapporteur. J’aime beaucoup les oxymores ! (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. D’un côté, vous nous dites que vous craignez que les services de l’état civil ne soient surchargés, ce à quoi je vous ai répondu que cela ne changera rien, puisque, lorsque la DACS autorise un changement de nom, l’officier d’état civil doit de toute façon le transcrire à la marge.

D’un autre côté, vous incitez à ce que l’on refasse les cartes d’identité : pour le coup, ce serait une surcharge de travail colossale !

C’est l’un ou l’autre : soit on laisse les choses en l’état, et l’officier d’état civil retranscrit les changements de nom, ce qu’il a évidemment l’habitude de faire – que cela vienne de la Chancellerie ou non n’y change rien, puisque, comme je l’ai expliqué, la charge de retranscrire ce changement pèse au bout du compte sur les officiers d’état civil ; soit on refait les cartes d’identité, mais ce serait alors une tâche gigantesque, et pas seulement pour le ministère de l’intérieur d’ailleurs, car les officiers d’état civil en seraient chargés pour partie.

Pour le reste, je suis évidemment favorable à l’amendement que j’ai déposé – cela n’étonnera personne ! (Sourires.) –, ainsi qu’à celui de M. Mohamed Soilihi, puisqu’il lui est identique. À l’inverse, j’émets un avis défavorable sur tous les autres amendements en discussion commune.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 et 27 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Remplacer le mot :

treize

par le mot :

onze

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Cet amendement a pour objet l’âge de consentement d’un mineur dans la procédure de changement de nom. Celui-ci est fixé par le texte à 13 ans, et je propose de l’avancer à 11 ans.

Cela peut paraître étonnant, tant il est vrai que, à 13 ans, on est certainement beaucoup plus mature qu’à 11 ans. Cependant, c’est l’âge où l’on passe de l’école primaire au collège, ce qui peut toujours être un moment difficile pour un préadolescent.

Or, s’il s’accompagne d’un changement de nom qui a été subi, et non pas consenti, il peut y avoir une réelle perturbation, un réel traumatisme. C’est pour cette raison qu’il ne me semble pas illogique d’offrir aux enfants de 11 ans ce que nous nous apprêtions à accorder aux enfants de 13 ans.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, vous voulez avancer à 11 ans l’âge à partir duquel le consentement des mineurs est requis pour changer de nom d’usage.

La question de l’âge du consentement, dont nous avons souvent parlé ici, est très délicate. Ce genre de situation peut être un poids énorme pour l’enfant, qui sera pris dans un conflit de loyauté. Il peut ressentir ce choix comme l’aveu d’une préférence pour son père ou sa mère.

On ne peut pas se reposer ainsi sur un enfant, surtout en cas de conflit, dont le pédopsychiatre que j’ai entendu a souligné combien il était néfaste de faire peser sa solution sur l’enfant. J’y insiste, mon cher collègue, même si j’en suis désolée, il ne me semble pas que ce soit une très bonne idée.

Le code civil a déjà fixé cet âge à 13 ans pour l’adoption des changements des noms et prénoms, et la commission souhaite conserver cette cohérence pour le nom d’usage.

J’ajoute que, certes, l’enfant entre au collège à 11 ans, mais le premier examen qu’il va passer, c’est le brevet des collèges. Il a alors plus de 13 ans, et c’est souvent là qu’il se rend compte qu’il n’a pas les mêmes noms de famille et d’usage.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis en accord total avec ce que vient de dire Mme le rapporteur. Les deux raisons qu’elle évoque sont excellentes et me poussent à donner également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. J’entends bien vos arguments, madame le rapporteur, notamment celui du pédopsychiatre, que je comprends tout à fait.

Simplement, je vous rappelle que nous sommes sur le point de finir l’examen d’un texte sur le harcèlement scolaire, dont je suis rapporteur au Sénat. Dans le cadre des différentes auditions que j’ai pu mener, à la lecture des différents travaux que j’ai pu parcourir, j’ai appris qu’il y avait des cas de harcèlement liés au nom de famille.

Un enfant arrivant en sixième à 11 ans, voire à 10 ans, et dont le nom aurait éventuellement changé, sans qu’il l’ait intégré lui-même ou voulu, vivra certainement très mal les possibles moqueries de ses petits camarades à ce sujet. Le fait qu’il accepte lui-même ce changement, donc qu’il en porte le poids, pour reprendre le champ sémantique du pédopsychiatre, sera peut-être plus facile à vivre que si ce poids lui tombe sur le dos.

Je ne suis pas persuadé que ce soit fondamentalement différent à 13 ans. De toute façon, c’est une question complexe. La maturité et la capacité de l’enfant à subir certains traumatismes ou chocs émotionnels dépendent en fait de son mode d’éducation.

Cependant, je maintiens mon amendement, même si je comprends tout à fait votre plaidoirie.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 2

Après l’article 1er

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 8 est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mme Artigalas, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et Monier, M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 14 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 264 du code civil est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , mais peut conserver l’usage du nom de son conjoint s’il en fait la demande explicite » ;

2° Le second alinéa est supprimé.

La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l’amendement n° 8.

M. Hussein Bourgi. Cet amendement a pour objet la situation particulière du nom d’usage.

Comme vous le savez, lorsque deux personnes se marient, l’une d’entre elles peut utiliser le nom du conjoint pendant la durée du mariage et au-delà. Lorsqu’une séparation survient, il faut naturellement que l’époux concède l’usage de son nom patronymique ou qu’un juge en décide ainsi.

Des femmes qui ont eu une carrière professionnelle riche, dans le monde du spectacle, dans le monde du droit ou dans la médecine peuvent se voir interdire par le mari d’utiliser son nom, par mesure de rétorsion, même après vingt ans d’usage, ce qui peut perturber la clientèle ou la patientèle d’un avocat ou d’un médecin.

Par cet amendement, nous vous proposons de faire en sorte que cette faculté soit automatique, sans requérir obligatoirement l’autorisation du mari ou d’un juge, ce qui peut prendre du temps.

Or, dans ce délai, je le répète, la clientèle ou la patientèle peut être troublée de ne pas retrouver la plaque de l’avocat ou du médecin qu’elle consultait précédemment.

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 14.

Mme Mélanie Vogel. C’est le même amendement, donc je ne vais pas répéter ce qui a déjà été dit.

J’ajoute simplement que l’on ne peut pas en rester à un système où l’on a longtemps obligé les femmes à changer de nom lorsqu’elles se mariaient pour ensuite les obliger à renoncer au nom qu’elles avaient été obligées de prendre, au prix de toute une série de complications.

La majorité des femmes, je le répète, ont été obligées de prendre un nom qui n’était pas le leur et de mener une vie professionnelle, politique, publique avec ce nom-là. C’est une injustice ! Le minimum, c’est qu’elles puissent au moins le garder.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ces deux amendements identiques visent à permettre l’usage par une personne du nom de son conjoint après divorce sur simple demande, sans prendre en compte la volonté de l’ex-conjoint, qui aurait, en quelque sorte – il est un peu étrange de le dire ainsi –, prêté son nom.

Quand on épouse un homme, on prend son nom, mais notre nom patronymique, d’état civil, est notre nom de jeune fille. Après le mariage, il s’agit d’un nom d’usage que l’on emprunte au mari que l’on a choisi.

Actuellement, la possibilité de continuer d’utiliser le nom de son ex-époux n’existe que si celui-ci en est d’accord, ou si le juge aux affaires familiales (JAF) l’autorise en raison d’un intérêt particulier, pour le demandeur ou pour les enfants. Ce mécanisme participe de la dimension contractuelle du mariage. C’est un contrat : lorsqu’on le brise, le conjoint repart avec son nom. Il n’y a pas lieu d’en faire un droit.

Mme Catherine Belrhiti. Je ne suis pas d’accord !

Mme Marie Mercier, rapporteur. L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cela n’a strictement rien à voir, mais, tout à l’heure, Mme le rapporteur se posait la question de savoir si Juliette aimerait encore Roméo si Roméo changeait de nom.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Elle l’aimerait plus encore ! (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis d’accord avec vous, madame le rapporteur. Je tenais d’ailleurs à m’exprimer sur cette question précise. (Nouveaux sourires.)

Pour le reste, je suis également d’accord avec vous : cette possibilité est déjà ouverte dans le cadre du divorce par consentement mutuel. Le juge peut par ailleurs l’autoriser lorsque des intérêts professionnels sont en jeu. Je pense qu’il ne faut pas en faire un droit. C’est en tout cas ma vision.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 14.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendements n° 8 et n° 14
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article additionnel après l'article 2 - Amendements n° 12 rectifié,  n° 15 rectifié et n° 13 rectifié ter

Article 2

Le premier alinéa de l’article 61 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « N’est pas soumise à un tel intérêt la demande d’intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisi par ses parents, de substituer le nom de famille de l’un d’entre eux à son propre nom ou d’adjoindre à son nom, dans un ordre choisi, le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille pour chaque parent. »

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. L’article 2 est la disposition emblématique de cette proposition de loi de notre collègue député Patrick Vignal. Il est celui qui doit apporter la liberté de choisir son nom de famille une fois dans sa vie.

Les députés ont donc souhaité créer une procédure de changement de nom déclarative et décentralisée, afin de permettre à chaque Français majeur, sans qu’il ait à justifier de motif, d’exercer le choix dont disposent les parents à la naissance d’un enfant depuis le 1er janvier 2005.

Seraient ainsi indirectement satisfaites les demandes des personnes qui souhaitent abandonner le nom d’un parent avec lequel ils ont un passé douloureux ou ajouter le nom d’un parent pour lui rendre hommage.

La commission a estimé que les conséquences juridiques et pratiques de cette innovation étaient tout à fait incertaines. La question des mineurs, en particulier, a été occultée, alors que cette procédure reposant sur la simple volonté d’un parent entraînerait sans aucun contrôle un changement de nom automatique pour ces enfants de moins de 13 ans.

Nous avons considéré qu’il convenait de chercher un juste milieu entre la procédure de changement de nom par décret, qui est longue et très administrative, et dont l’organisation repose largement sur les services de l’administration centrale du ministère de la justice, et la procédure voulue par les députés et le garde des sceaux.

Je précise que la publication préalable au Journal officiel et dans un journal d’annonces légales, que M. le garde des sceaux invoque comme symbole de la lourdeur administrative de la procédure de changement de nom actuelle, a un fondement réglementaire. Vous pourriez peut-être lever ce formalisme sans passer par une loi.

Mes chers collègues, la commission vous proposera tout à l’heure de créer une procédure de changement de nom spécifique pour laquelle le ministère de la justice pourra mettre en place une téléprocédure avec formulaire Cerfa, ce qui est, à mon sens, un gage de simplification.

La décision finale serait prise par un arrêté du garde des sceaux, et non plus par un décret du Premier ministre, comme il était initialement proposé, ce qui allégerait considérablement la procédure, cet aller-retour étant évité.

Pour empêcher toute demande irréfléchie, une confirmation de la demande initiale serait nécessaire au bout de trois mois. Il nous semble logique de prévoir un délai de réflexion de quelques mois, alors que n’importe quel consommateur dispose d’un délai de rétractation après un achat.

Par ailleurs, afin de protéger les enfants mineurs de cet effet ricochet du changement de nom de l’un de leurs parents, une telle procédure simplifiée serait ouverte aux seuls majeurs, mais avant la naissance de leurs enfants ou une fois leurs enfants âgés de plus de 18 ans.

Mme le président. L’amendement n° 24, présenté par M. Bonhomme, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. L’article 2 prévoit la création d’une procédure de changement de nom déclarative et décentralisée, afin de permettre à chaque Français majeur de changer de nom à l’état civil beaucoup plus facilement, à condition, toutefois, que ce changement consiste en une adjonction ou une substitution du nom de l’un des parents, ou encore en une interversion de nom double.

Il existe cependant d’ores et déjà une procédure permettant de changer de nom de famille, avec, en l’état, des garde-fous.

Le dispositif proposé par le présent article est susceptible d’introduire un désordre généalogique, alors même que l’état civil est et doit demeurer une source de stabilité. Ce n’est pas du tout une question accessoire, comme j’ai pu l’entendre tout à l’heure lors de la discussion générale. L’état civil est même constitutif de notre identité et participe de notre construction personnelle.

Par ailleurs, l’élément central de la doctrine dite « de l’état de droit » réside dans l’impératif de sécurité juridique, c’est-à-dire de généralité, de stabilité et de publicité de la norme.

Dès lors, ce texte appelle un certain nombre de questions. Quelles seront les répercussions pour les services de l’État ? Quelles conséquences sur la paix des familles aura cette nouvelle liberté ? Combien de contentieux la justice devra-t-elle supporter ?

Enfin, cette réforme comporte un vice initial regrettable, monsieur le garde des sceaux : pourquoi le Gouvernement n’en a-t-il pas assumé l’initiative, ne serait-ce que pour apporter les garanties formelles d’un projet de loi au travers de l’étude d’impact, qui fait ici défaut ?

Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Mon cher collègue, vous voulez supprimer l’article 2, mais nous avons retravaillé ce dispositif pour en faire une procédure centralisée qui garde un certain formalisme. Je pense que l’on ne parle pas assez des vertus du formalisme…

Je vous propose donc de retirer cet amendement au profit de l’amendement n° 30 de la commission, qui tend à proposer une nouvelle rédaction cet article. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je suis assez surpris de votre dernier argument.

Vous vous étonnez, au fond, que je soutienne un texte qui est une initiative parlementaire. C’est curieux ! Je rappelle que vous avez vous aussi un droit d’initiative en matière législative. D’ailleurs je pense avoir ici défendu avec ferveur la proposition de loi de Mme Billon, devenue la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, par exemple. Je me suis aussi associé à un texte sur les conditions indignes de détention qui était porté, sauf erreur de ma part, par M. le président de la commission des lois.

Vous devriez au contraire vous féliciter de ce que le Gouvernement soit sensible au travail parlementaire !

Pour le reste, vous comprendrez évidemment que je sois totalement défavorable à votre amendement, puisqu’il vise à mettre en pièces ce texte, auquel je crois. Ce n’est pas plus compliqué que cela, et, dans ces conditions, point n’est besoin de disserter davantage, monsieur le sénateur.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Je suis tout prêt à entendre notre rapporteur, qui nous dit qu’elle a apporté quelques garanties formelles, ce qui est tout à fait vrai.

Monsieur le garde des sceaux, vous me reprochez d’oublier que le Parlement dispose d’un droit d’initiative. Je ne l’ignore pas, mais il n’empêche que ces deux véhicules législatifs n’ont pas tout à fait la même valeur en l’espèce.

Vu l’importance de la réforme qui nous occupe aujourd’hui, le Gouvernement aurait dû prendre l’initiative d’un projet de loi, avec une véritable étude d’impact qui nous permette d’en évaluer les conséquences à moyen et long termes.

À mon sens, c’est le défaut initial de ce texte, et, quels que soient les réserves ou l’enthousiasme que cette réforme peut vous inspirer, on ne peut aujourd’hui prédire avec précision les conséquences dans les prochains mois et les prochaines années, de cette liberté nouvelle que vous alléguez à chacune de vos interventions.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 28 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 61-3-1 du code civil est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne majeure peut demander à l’officier de l’état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom en vue de porter un des noms prévus par les premier et quatrième alinéas de l’article 311-21. » ;

2° Après le mot : « fixées », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « au présent article s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de treize ans et sous réserve de leur consentement au-delà de cet âge. »

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. L’amendement n° 28 rectifié a pour objet de rétablir quasiment à l’identique la formulation proposée par l’Assemblée nationale pour simplifier la procédure de changement de nom, qui aujourd’hui est fastidieuse et longue et qui passe par un décret.

Je sais que la commission des lois a supprimé l’exigence d’un intérêt légitime pour changer de nom dans certains cas. Mais, avec la procédure actuelle, aucun délai légal n’est imparti à la direction des affaires civiles et du sceau pour rendre sa décision. Aussi, les personnes peuvent attendre jusqu’à six ans.

Les délais sont incommensurables ; le demandeur n’est pas informé de l’avancement de son dossier ; l’administration peut bloquer des demandes sans raison apparente. Au fond, on voit bien que cela ne marche pas très bien, puisque peu de gens parviennent à changer de nom chaque année.

La possibilité de simplifier et de décentraliser le changement de nom est vraiment la disposition phare du texte. Le cadre proposé est tout de même assez strict, puisque la procédure est réservée aux parents, les enfants mineurs étant exclus. Rassurez-vous, nous ne sommes pas en train de forger un monde où chacun pourrait prendre le nom de sa voisine ou de son ex-copine du collège ! La simplification des conditions me paraît vraiment indispensable.

C’est pourquoi nous demandons le retour au texte de l’Assemblée nationale.

Mme le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 22 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 26 rectifié est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 61-3-1 du code civil est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne majeure peut demander à l’officier de l’état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom en vue de porter un des noms prévus par les premier et quatrième alinéas de l’article 311-21. Sans préjudice de l’article 61, ce choix ne peut être fait qu’une seule fois. » ;

2° Après le mot : « fixées », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « au présent article s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de treize ans et sous réserve de leur consentement au-delà de cet âge. »

La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 22.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avec cet amendement, je propose de rétablir le dispositif de la proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale, avec un ajustement.

Sur le cœur du dispositif, à savoir le changement de nom de famille, votre commission a refusé purement et simplement la réforme.

La proposition initiale permettait à un adulte de substituer ou d’ajouter à son nom le nom du parent qui ne lui a pas été transmis, et cet amendement tend à rétablir cette possibilité, avec la modification suivante : par un renvoi à l’article 311-21 du code civil, la rédaction proposée clarifie les possibilités ouvertes par la proposition de loi.

Ainsi, le nom qui pourra être choisi correspond à l’un des noms permis en application de cet article, sans limiter le dispositif aux seuls enfants qui sont nés après 2005. La procédure de changement de nom par décret, longue et bureaucratique, je le répète, se justifie pleinement dès lors qu’il s’agit de prendre un nom qui n’est pas celui de l’un ou de l’autre des parents, et tel n’est pas le cas ici.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à adopter cet amendement de rétablissement.

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié.

M. Thani Mohamed Soilihi. L’article 2 porte cette impérieuse nécessité de faciliter la mise en œuvre de la volonté de certaines personnes de ne plus porter le nom du parent qui leur a transmis, pour des motifs affectifs, de violence ou de délaissement parental, notamment.

Le texte de notre commission s’est rabattu sur la seule exonération pour ces demandes de l’exigence de justification des motifs légitimes, tout en conservant l’application de la procédure par décret en vigueur, une procédure longue, complexe, intrusive et mal adaptée à ces situations douloureuses.

Pourtant, à rebours de toute idée d’un état civil à la carte, le texte de l’Assemblée nationale limitait l’application de la procédure simplifiée aux seules demandes tendant, pour la personne majeure, à prendre le nom du parent qui n’a pas transmis le sien. Il s’inscrivait ainsi dans le strict cadre familial et dans la filiation.

Cette simplification était en outre cohérente avec le droit en vigueur s’agissant de la dévolution du nom. Elle ne faisait ainsi pas entrer dans l’inconnu les officiers de l’état civil, comme cela a été précisé.

Enfin, des garanties étaient prévues : la possibilité de changer de nom pour prendre le nom du parent qui n’a pas transmis le sien ne pouvait être mise en œuvre qu’une seule fois sur le fondement de cette procédure simplifiée et l’officier d’état civil pouvait, en cas de difficulté, saisir le procureur de la République.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous proposons donc de rétablir l’article 2 dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, sous réserve d’un ajustement permettant d’en simplifier la rédaction.

Mme le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Bourgi, Mme Conway-Mouret, M. Chantrel, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mmes Artigalas et Monier, M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 61-3-1 du code civil est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne majeure peut demander à l’officier de l’état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom, par inversion de l’ordre des noms choisi par les parents, par substitution ou adjonction à son propre nom du nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans l’ordre choisi par elle, dans la limite d’un nom de famille pour chacun des parents. Sans préjudice de l’article 61, ce choix ne peut être fait qu’une seule fois. » ;

2° Au dernier alinéa, les mots : « aux quatre premiers alinéas s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de treize ans » sont remplacés par les mots : « au présent article s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire si celui-ci en fait explicitement la demande lorsque lesdits enfants sont âgés de moins de treize ans et sous réserve de leur consentement dans le cas contraire » ;

3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret précise quel service d’état civil est compétent pour traiter les demandes émanant des Français nés à l’étranger ainsi que celles des Français vivant à l’étranger. »

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Il s’agit, comme l’ont indiqué les auteurs des amendements précédents, d’en revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, en précisant deux choses.

La première, c’est que l’autorisation explicite doit être demandée aux enfants de moins de 13 ans. Aujourd’hui, vous le savez, lorsque des parents se séparent, il est de plus en plus courant que l’avis des enfants soit requis pour ce qui les concerne, que ce soit l’éducation ou l’organisation du mode de garde. Il nous semble donc normal que les enfants, qui sont en construction à cet âge-là, puissent être associés à cette démarche et qu’ils n’apprennent pas du jour au lendemain qu’ils ont un nouveau nom, car l’un de leurs parents en a décidé ainsi.

La seconde précision que nous avons souhaité apporter concerne les Français résidant à l’étranger, mais notre collègue Yan Chantrel, sénateur représentant les Français établis hors de France, aura l’occasion d’y revenir tout à l’heure.

Mme le président. L’amendement n° 6, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 61-3-1 du code civil est ainsi modifié :

1° Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne majeure peut demander à l’officier de l’état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom, par inversion de l’ordre des noms choisi par les parents, par substitution ou adjonction à son propre nom du nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans l’ordre choisi par elle, dans la limite d’un nom de famille pour chacun des parents. Sans préjudice de l’article 61, ce choix ne peut être fait qu’une seule fois. » ;

2° Au dernier alinéa, les mots : « aux quatre premiers alinéas s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de treize ans » sont remplacés par les mots : « au présent article s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils sont âgés de moins de treize ans et sous réserve de leur consentement dans le cas contraire ».

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Une récente étude de l’IFOP vient de nous prouver à quel point ce texte répond aux attentes d’un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens : 22 % d’entre eux souhaiteraient changer de nom si cette loi leur en donnait la possibilité.

Un autre point relevé par l’étude est particulièrement frappant : alors que, dans 82 % des cas, le nom du père est transmis à la descendance, les personnes exprimant leur souhait de changer de nom le feraient, pour 47 % d’entre elles, afin de prendre celui des deux parents ; 23 % le feraient pour le nom du père et 30 % pour celui de la mère, ce dernier cas atteignant 45 % pour les 18-24 ans.

Faciliter le changement de nom, c’est donc répondre à une véritable attente sociétale. C’est aussi donner aux femmes toute la place qui leur revient. Les Françaises et les Français le demandent, surtout les plus jeunes.

Or, vous le savez, la procédure actuellement en vigueur est, selon les mots mêmes du ministre de la justice, « longue et humiliante », en plus d’être coûteuse, dissuasive et, dans 35 % des cas, non concluante.

L’article 2 adopté par nos collègues à l’Assemblée nationale allait dans le bon sens. La commission des lois du Sénat ne devrait pas rester sourde aux besoins de changement dans notre société. En le rejetant, elle a fait perdre à ce texte toute sa substance, notamment en supprimant la possibilité de recourir à la procédure simplifiée déclarative.

Je demande donc par cet amendement de réintroduire cette procédure, qui, contrairement à ce que certains de mes collègues avancent, ne met pas en péril le bon fonctionnement de notre état civil.

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que les masques doivent se porter sur le nez !

L’amendement n° 30, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article 61-3-1 du code civil, il est inséré un article 61-3-… ainsi rédigé :

« Art. 61-3-…. − Toute personne majeure peut demander à changer de nom en vue de porter l’un des noms prévus par les premier et quatrième alinéas de l’article 311-21. La demande est transmise au ministre de la justice et confirmée trois mois après son dépôt. Elle n’est pas recevable lorsque le demandeur a des enfants mineurs.

« Sans préjudice de l’article 61, cette faculté ne peut être exercée qu’une seule fois.

« Le changement de nom est autorisé par arrêté du ministre de la justice. »

La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les autres amendements en discussion.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Chers collègues, je vous ai déjà plus ou moins présenté cet amendement. La commission propose une solution médiane pour assouplir cette procédure de changement de nom, tout en conservant le formalisme et en maintenant un caractère centralisé.

Ce qui m’importe, en l’occurrence, c’est que l’intérêt des enfants soit préservé : la décision serait prise uniquement par des adultes et ne pourrait pas les concerner, puisque, soit ils ne seraient pas nés, soit ils auraient plus de 18 ans.

J’en viens aux autres amendements en discussion.

L’amendement n° 28 rectifié, les amendements identiques nos 22 et 26 rectifié et les amendements nos 10 et 6 visent tous, peu ou prou, à rétablir la rédaction de l’article 2 issue de l’Assemblée nationale.

L’amendement n° 28 rectifié de Mme Vogel tend à supprimer la limitation de l’usage de cette procédure simplifiée à une fois dans la vie, ouvrant ainsi la possibilité de plusieurs changements de noms successifs.

Les amendements identiques nos 22 et 26 rectifié du Gouvernement et de M. Mohamed Soilihi ont pour objet de préciser quel nom pourra être choisi, tout en maintenant la limite d’un seul changement.

Avec l’amendement n° 10, Hussein Bourgi entend limiter l’effet ricochet du changement de nom sur les enfants mineurs au seul cas où le demandeur en fait la demande expresse. Il ajoute également une disposition visant à ce qu’un décret désigne précisément les services de l’état civil compétents pour les Français nés à l’étranger ou résidant à l’étranger.

Enfin, avec l’amendement n° 6, Mme Benbassa reprend à l’identique la rédaction issue de l’Assemblée nationale.

Je ne vais pas revenir sur la position de la commission, que je viens de vous exposer.

Je relève qu’Hussein Bourgi a tenté de répondre à la question des mineurs : le changement de nom ne serait plus automatique pour les enfants de moins de 13 ans du demandeur ; c’est à la demande expresse de ce dernier qu’il en serait ainsi. Toutefois, cette option ne semble pas apporter une sécurité suffisante aux enfants, qui pourraient se retrouver dans des situations où ils ne portent plus le nom ni de leur père ni de leur mère. Je me demande vraiment si c’est mieux !

En résumé, la commission émet un avis défavorable sur tous ces amendements.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis évidemment favorable aux amendements identiques nos 22 et 26 rectifié et défavorable à tous les autres.

Mme le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Je souhaite intervenir en soutien à l’amendement n° 10, dont certaines dispositions sont relatives aux Français nés à l’étranger ou vivant à l’étranger.

Tout d’abord, vous l’imaginez bien, mes chers collègues, les lourdeurs et les difficultés qu’entraînent les rigidités actuelles du code civil sont décuplées pour les Français établis hors de France qui souhaitent changer de nom ou adopter le patronyme de leur deuxième parent. C’est notamment le cas pour celles et ceux à qui l’on demande de faire la preuve d’un intérêt légitime, alors même que c’est souvent une pratique courante et bien plus facile dans les pays où ils résident. Les témoignages que nous recevons en la matière sont légion.

Ensuite, il existe une seconde difficulté bien plus spécifique aux Français établis hors de France : savoir quel service d’état civil est compétent pour traiter leur demande.

En effet, les Français établis hors de France subissent les transferts des services d’état civil des consulats européens vers la France, tout comme, d’ailleurs, les suppressions d’emplois dans les postes consulaires, et, bientôt, la suppression même des métiers de la diplomatie. Ce délitement, accentué sous ce quinquennat, rend les procédures d’état civil pour les Français établis hors de France de plus en plus difficiles depuis 2017.

Pour rappel, les services consulaires ne sont plus dépositaires des actes d’état civil, qui sont désormais transférés au service central d’état civil (SCEC), à Nantes, un service qui n’a pas d’officier d’état civil et qui fait seulement fonction de dépositaire.

Cette proposition de loi nous donne donc la possibilité de préciser quel service d’état civil est équivalent à la mairie pour les Français nés à l’étranger.

La centralisation à Nantes semble l’option la plus intéressante, à la condition qu’il y ait un officier d’état civil dépositaire de cette compétence et que soit mise en place une procédure permettant de transmettre les demandes via les postes consulaires ou de manière décentralisée, afin de contourner les problèmes liés aux services postaux, inexistants ou dysfonctionnels dans certains pays et d’éviter l’exclusion de concitoyens touchés par la fracture numérique.

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.

M. Laurent Burgoa. Je vais aller dans le sens de la sagesse exprimée par Mme le rapporteur.

Monsieur le garde des sceaux, il ne faudrait pas que j’aie plus de difficultés administratives pour déclarer le fusil de chasse que mon grand-père m’a légué voilà trente ans que pour changer de nom ! (Sourires.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 26 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cette demande ne peut être effectuée qu’une seule fois et peut faire l’objet d’une rétractation dans les conditions fixées par décret.

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Dans leur immense majorité, les personnes qui changent de nom ont mûrement réfléchi leur choix.

Toutefois, on peut imaginer que certaines découvrent, en vivant avec leur nouveau nom, qu’elles se sont trompées. Au travers de cet amendement, nous proposons donc d’offrir une possibilité de retour au nom initial après une procédure de changement de nom, celle-ci n’étant plus irrémédiable.

Mme le président. Pardonnez-moi, mon cher collègue : l’adoption de l’amendement n° 30 avait des conséquences que je n’ai pas mentionnées : l’article 2 est ainsi rédigé, et les amendements nos 3 rectifié et 4 rectifié n’ont plus d’objet.

M. Olivier Paccaud. Je voulais introduire ici le droit à l’erreur, qui existe par ailleurs dans notre corpus juridique !

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)

Après l’article 2

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mmes Conway-Mouret et Artigalas, M. Chantrel, Mme Monier, M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 15 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article 311-21 du code civil est ainsi rédigé :

« Lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers accolent leurs deux noms dans l’ordre choisi par eux. En l’absence de déclaration conjointe à l’officier de l’état civil mentionnant l’ordre donné au nom de l’enfant, celui-ci prend le nom des parents dans l’ordre alphabétique. En l’absence d’un parent reconnu, le nom est celui du seul parent pour lequel la filiation est établie en premier lieu. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil en amont, au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend les deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique. »

La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

M. Jean-Claude Tissot. Marine Gatineau-Dupré, présidente du collectif Porte mon nom, a décrit la situation des femmes qui ne transmettent pas leur nom à leur enfant de la manière suivante : « La mère donne la vie, et, toute sa vie, elle va devoir le prouver ». Cette citation est parfaitement illustrée dans les faits et par les chiffres, puisque 85 % des enfants qui naissent en France reçoivent le nom de leur père à la naissance.

Le droit français du nom a d’ailleurs longtemps vécu dans un régime de domination quasi absolue du nom du père.

La loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003, a mis fin à cet état du droit issu du code civil de 1804 et a reconnu aux parents la possibilité de choisir le nom de famille de l’enfant : soit le nom du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux.

La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents. En cas de désaccord entre eux, elle a mis fin à la règle qui attribuait par défaut le nom du père et prévu l’attribution à l’enfant d’un nom composé du patronyme de chacun des parents, dans l’ordre alphabétique.

Pourtant, par tradition et malgré les évolutions positives du droit, de nombreuses femmes acceptent à la naissance de leur enfant que celui-ci ne voit que le nom du père inscrit à l’état civil.

Il est temps que les us et coutumes changent. Une évolution législative semble de nature à faire avancer des pratiques culturelles anciennes et ancrées.

En ce sens, le présent amendement du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à automatiser le double nom, celui des deux parents, dans la déclaration de naissance, quitte à conserver la possibilité de n’en utiliser qu’un sur deux en nom d’usage.

Une telle mesure est largement soutenue par les associations féministes. Elle est déjà appliquée dans certains pays, comme l’Espagne ou le Portugal, où cela ne pose aucun problème.

En faisant du double nom la norme à l’état civil, nous souhaitons également encourager l’usage de celui-ci dans la vie de tous les jours, donnant ainsi une légitimité égale aux deux parents, notamment aux mères, trop longtemps rendues invisibles dans le nom de l’enfant qu’elles ont mis au monde.

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié.

Mme Mélanie Vogel. Mon intervention sera brève, car beaucoup a déjà été dit.

Effectivement, les réformes ayant permis d’abolir le monopole de la transmission du seul patronyme sont allées dans le bon sens. Mais, dans une société qui, par ailleurs, n’a pas évolué, on se retrouve aujourd’hui avec plus de 80 % des enfants issus de couples hétérosexuels portant le nom de leur père.

J’ai eu l’occasion de le dire, ce n’est pas un hasard : ce n’est pas parce que c’est le plus joli des deux noms ou celui des deux qui s’accorde le mieux avec le prénom ; non, cet état de fait est lié à des traditions qui se perpétuent.

Si nous voulons vraiment changer la société et sortir de cette idée que l’emploi du nom du père est le plus naturel, la meilleure chose à faire est d’automatiser la constitution du nom de naissance à partir du nom des deux parents, lorsqu’il y en a deux. Cela n’interdit pas, bien au contraire, d’ajouter si on le souhaite un nom d’usage, lequel pourrait être le nom du père, de la mère, ou de l’une des mères ou de l’un des pères lorsqu’il y en a deux.

Les chiffres démontrent que faire reposer le choix sur une négociation interpersonnelle libre au sein du couple ne fonctionne pas, dès lors qu’une domination s’exprime.

Si cela fonctionnait, les chiffres seraient différents ; nous aurions, en gros, un tiers de noms du père, un tiers de noms de la mère et un tiers de noms composés des deux. Ce n’est pas ce que l’on constate, ce qui montre bien que la loi, en l’état, ne suffit pas.

Mme le président. L’amendement n° 13 rectifié ter, présenté par Mme Vérien, MM. Bonnecarrère et Le Nay, Mme Férat, M. Détraigne et Mme Doineau, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 311-21 du code civil est supprimée.

La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Pour ma part, je n’entends pas imposer les deux noms. J’observe qu’un formulaire de déclaration conjointe existe, que l’on devrait normalement donner aux parents, le plus souvent au père, au moment de la déclaration de l’enfant. Or tel est rarement le cas.

Systématiser le recours à cette déclaration conjointe signée des deux parents permettrait aux parents de réfléchir préalablement et, ainsi, de faire ensemble un choix éclairé.

Nous avons effectivement reçu des témoignages de pères qui, se rendant à l’état civil, soit par méconnaissance, soit parce que l’information ne leur était pas donnée par le service de l’état civil, soit par choix tout à fait personnel, prenaient systématiquement leur nom.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ces amendements tendent à modifier les règles de dévolution du nom de famille pour rendre obligatoire le double nom, le choix des parents ne portant plus alors que sur l’ordre des noms retenu.

L’article 311-21 du code civil a déjà été retouché à quatre reprises, alors qu’il n’avait subi absolument aucune modification depuis la Révolution.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les parents ne s’en saisissent pas. Certains disent qu’il faudra au moins une génération avant que cette habitude ne s’installe. Il me semble qu’il y a une méconnaissance des règles et des enjeux. C’est l’application de la loi de 2002 que nous devons améliorer.

Par ailleurs, les députés n’ont pas souhaité rouvrir ce débat, considérant que les conditions d’examen de ce texte n’étaient pas bonnes pour cela.

La question du double nom est complexe, car, en définitive, on risque de reporter le choix sur les enfants. Prenons deux enfants ayant deux noms chacun qui se marient, ils ne pourront pas utiliser quatre noms pour leurs enfants ; il faudra donc soustraire le nom de l’un de leurs parents, ce qui peut être source de tensions avec les grands-parents.

Ce n’est pas une bonne idée. J’émets donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 13 rectifié ter.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’émets également un avis défavorable sur tous ces amendements.

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Les dispositions des amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié s’inscrivent dans le combat pour l’égalité des noms du père et de la mère dans la transmission du nom.

C’est un combat que j’ai vécu, puisque, dans les années 1980, je luttais ardemment pour rendre possible la transmission du nom de la mère. Tout le monde était contre à l’époque !

Le gouvernement socialiste – la ministre était alors Mme Yvette Roudy – a inventé le nom d’usage. Ce dernier est une aberration, le nom d’usage ne pouvant pas se transmettre aux enfants, mais cela permettait au gouvernement de l’époque d’esquiver le problème, puisqu’il n’était pas favorable à cette transmission du nom de la mère.

Les choses progressent doucement. Je crois néanmoins que ces propositions de M. Hussein Bourgi et Mme Mélanie Vogel vont trop loin : c’est non plus un problème d’égalité entre l’homme et la femme, mais un problème d’égalité des noms au regard de l’ordre alphabétique qui se pose !

En effet, que nous suggèrent nos collègues ? Que l’on place les noms selon l’ordre alphabétique, en commençant donc par celui dont l’initiale est la plus proche de la première lettre de l’alphabet, et que l’on conserve uniquement ce nom à la génération suivante. Le problème est que, au bout de quelques générations, pratiquement plus personne n’aura de nom commençant par les lettres V, W, X, Y ou Z et que, au fil du temps, tous les noms finiront par commencer par A, B ou C. C’est aberrant !

La mesure qui nous est proposée part donc d’une bonne intention, mais, si l’on y réfléchit bien, elle conduira en quelques générations à ce que tout le monde ait un nom commençant par une lettre située entre A et G ou H.

Tout en approuvant la démarche, je ne puis donc voter ces amendements.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 rectifié et 15 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendements n° 12 rectifié,  n° 15 rectifié et n° 13 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 3

Article 2 bis

(Non modifié)

Après l’article 380 du code civil, il est inséré un article 380-1 ainsi rédigé :

« Art. 380-1. – En prononçant le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction saisie peut statuer sur le changement de nom de l’enfant, sous réserve du consentement personnel de ce dernier s’il est âgé de plus de treize ans. »

Mme le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Paccaud et Genet, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Rapin, Laménie, Tabarot, Guerriau et Burgoa, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

treize

par le mot :

onze

La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Le présent amendement aura une destinée funeste.

Mme Nathalie Goulet. On ne sait jamais ! (Sourires.)

M. Olivier Paccaud. Je m’apprête donc à le retirer, tout en faisant observer sa cohérence, puisqu’il vise à avancer l’âge à partir du duquel le consentement d’un mineur est requis lorsqu’une juridiction statue sur son changement de nom.

Je profite néanmoins des quelques secondes qui me sont accordées pour revenir sur l’article 2 et le regrettable ordre de présentation des amendements. Celui-ci ne m’a effectivement pas permis de « faire passer » – j’emploie cette formule, car j’ai vu avec grand plaisir M. le garde des sceaux hocher la tête au moment où j’intervenais – cette idée de droit à l’erreur, cette possibilité de retour en arrière.

Je ne sais pas si nous comptons dans les tribunes l’un de nos collègues députés. Mais je suggère à l’Assemblée nationale de réfléchir à cette idée et vous-même, monsieur le garde des sceaux, de l’appuyer.

Cela dit, je retire l’amendement, madame le président.

Mme le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 2 bis.

(Larticle 2 bis est adopté.)

Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 4

Article 3

(Non modifié)

À la troisième phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou d’un majeur en tutelle » sont supprimés. – (Adopté.)

Article 3
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

La présente loi entre en vigueur le 1er septembre 2022.

Mme le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

juillet

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Puisque nous en sommes à la présentation d’un amendement du Gouvernement, c’est très rapidement, monsieur le sénateur Paccaud, que je vous confirme n’avoir pas été du tout insensible à l’argument du délai de réflexion.

D’ailleurs, je l’ai dit à votre collègue député Les Républicains, M. Raphaël Schellenberger, que j’ai reçu à la Chancellerie. Nous continuons à travailler sur cette question.

Le présent amendement vise à rétablir la date initiale d’entrée en vigueur du texte. Je veux à ce titre, mesdames, messieurs les sénateurs, répondre en deux points à l’inquiétude légitime que vous avez manifestée – « légitime, mais mal fondée », diraient les juristes.

Premièrement, le passage par cette procédure simplifiée de changement de nom ne constitue absolument pas un saut dans l’inconnu pour les officiers d’état civil. Ceux-ci connaissent déjà cette procédure.

Deuxièmement, la réforme sera l’occasion de généraliser par voie réglementaire le dispositif d’échange d’informations entre le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) et les administrations qui n’en bénéficient pas encore.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Il convient de laisser le temps aux administrations et aux professionnels concernés de prendre en compte la réforme envisagée. Un délai de six mois semble donc raisonnable, selon l’adage voulant que les mots « vite » et « bien » ne fonctionnent pas très bien ensemble dans l’administration…

J’émets donc un avis défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
 

9

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques. Lors du scrutin public n° 99, mon collègue Henri Leroy souhaitait voter contre.

Mme le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

10

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Discussion générale (suite)

Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites (projet n° 395, texte de la commission n° 470, rapport n° 469).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Article 1er et annexe 1 (Texte non modifié par la commission)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, madame la rapporteure, chère Béatrice Gosselin, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, en ce début de discussion, de saluer les ayants droit ou les représentants de Nora Stiasny, David Cender et Georges Bernheim, qui sont présents dans le public et qui assistent ce soir à nos débats.

Voilà près de soixante-dix-sept ans que les armes se sont tues dans notre Europe ravagée par la Seconde Guerre mondiale. Nombre des responsables des crimes odieux qui ont été commis ont été poursuivis, jugés, condamnés et, le temps passant, la plupart d’entre eux sont aujourd’hui décédés.

La mémoire du nazisme et de la Shoah continue de se construire et de se transformer, sans s’effriter avec le temps, bien au contraire.

Dans le monde de la culture, dans les musées et les bibliothèques, la mémoire de la persécution et de la Shoah est également présente. Car les institutions culturelles, dans l’Europe entière, ont été liées à cette histoire, malgré elles ou parfois avec leur complicité ; des œuvres d’art et des livres spoliés sont toujours conservés dans les collections publiques, des objets qui ne devraient pas être là, qui n’auraient jamais dû être là.

La persécution des juifs a connu de multiples formes. Bien souvent, avant l’élimination méthodique, avant l’extermination, il y eut les vols des biens des juifs, sommés de tout abandonner. Ces spoliations recouvrent des réalités diverses : vol, pillage, confiscation, « aryanisation » – pour reprendre le vocabulaire des nazis et du régime de Vichy –, ou encore vente sous la contrainte.

Au-delà de la dépossession, la spoliation constitue une atteinte grave à la dignité des individus. Elle est la négation de leur humanité, de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions. Aujourd’hui, les œuvres spoliées non restituées sont parfois les seuls biens qui restent aux familles.

En 2019, le ministère de la culture s’est doté d’une mission spécifiquement consacrée à l’identification des œuvres spoliées présentes dans les collections.

Je vous présente donc aujourd’hui un projet de loi que, je crois, nous pouvons qualifier d’« historique ». C’est en effet la première fois depuis l’après-guerre que le Gouvernement engage un texte permettant la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation, en raison des persécutions antisémites.

Il faut souligner le travail collectif ayant permis ces restitutions : travail des familles, des ayants droit et des chercheurs qui sont à leurs côtés ; travail des services du ministère de la culture, de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), des musées nationaux et des collectivités territoriales.

La CIVS était compétente pour deux des quatre dossiers, et l’État comme la ville de Sannois ont suivi très exactement sa recommandation.

Cette démarche de restitution portée par la France est attendue, car nos musées, comme ceux du monde entier, sont confrontés à la nécessité de s’interroger sur l’origine de leurs collections. Le parcours des œuvres de ces collections pendant la période couvrant les années 1933 à 1945 doit être étudié toujours davantage.

Le Gouvernement vous propose aujourd’hui une loi d’espèce, portant sur quatre cas.

Le premier est celui du tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, acheté en 1980 par l’État.

Les recherches menées à l’époque sur la provenance de l’œuvre n’avaient pas permis d’identifier des doutes sur l’historique, compte tenu de la connaissance limitée, à ce moment-là, de la collection dont elle était issue. Il s’est révélé bien plus tard, voilà quelques années, que ce tableau pouvait correspondre au tableau intitulé Pommier que Nora Stiasny, nièce du collectionneur juif viennois Viktor Zuckerkandl, avait été contrainte de vendre en août 1938, pour une valeur dérisoire, quelques mois après l’Anschluss et le début des persécutions antisémites.

Les recherches menées par des chercheurs autrichiens, par le musée d’Orsay, que je remercie particulièrement, et par les services du ministère ont permis de confirmer cette hypothèse.

La spoliation étant avérée, nous avons sans hésiter validé le principe de la restitution de ce tableau, unique toile de Klimt dans les collections nationales. Cette œuvre majeure doit retrouver ses propriétaires légitimes, au nom de la mémoire de Nora Stiasny, qui fut déportée et assassinée en 1942.

Le deuxième ensemble est composé de onze œuvres graphiques de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, relevant du musée d’Orsay et du musée du Louvre, ainsi que d’une sculpture de Pierre-Jules Mène conservée au château de Compiègne, acquises par l’État en juin 1942, à Nice, lors de la vente publique ayant suivi le décès d’Armand Dorville, avocat français juif.

La CIVS, saisie par les ayants droit d’Armand Dorville, a considéré que cette vente n’était pas spoliatrice, car elle avait été décidée par les héritiers, qui en avaient finalement touché le produit et ne l’avaient pas remise en cause après la guerre. Le produit de cette vente, organisée par la succession du collectionneur, a cependant été, le premier jour, placé sous administration provisoire par le Commissariat général aux questions juives.

Outre une indemnisation justifiée par l’immobilisation du produit de la vente jusqu’à la fin de la guerre, la commission a recommandé, « en équité », que les douze œuvres achetées par l’État lors de cette vente soient « remises » aux ayants droit, en raison du « contexte trouble » de cette acquisition. En effet, l’acheteur pour le compte de l’État avait eu connaissance de la mesure d’administration provisoire et avait eu des contacts avec l’administrateur nommé par Vichy.

Le Gouvernement s’est conformé à cette recommandation de la CIVS et vous propose donc de remettre ces œuvres aux ayants droit.

Le texte vise également la restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, acheté par la ville de Sannois en 2004 pour son musée Utrillo-Valadon. Cette toile s’est révélée avoir été volée chez Georges Bernheim, marchand d’art à Paris, par le service allemand de pillage des œuvres d’art dirigé par Alfred Rosenberg en décembre 1940. Informée par une chercheuse de provenance indépendante, la CIVS a recommandé sa restitution à l’ayant droit de Georges Bernheim, victime des persécutions antisémites.

Je veux saluer l’engagement de la ville de Sannois, dont le conseil municipal s’est prononcé à l’unanimité pour cette restitution juste et nécessaire, et pour la sortie de cette œuvre de son domaine public.

Enfin, ce texte propose la restitution du tableau Le Père de Marc Chagall, qui relève du Musée national d’art moderne.

Cette œuvre, entrée dans les collections nationales par dation en paiement des droits de succession en 1988 sans aucune connaissance d’une éventuelle provenance problématique, ni par la famille, ni par l’État, s’est révélée très récemment avoir été volée à Lodz à David Cender, pendant ou après le transfert des juifs vers le ghetto de la ville en 1940.

Le parcours de ce tableau est très particulier : peint par Chagall en 1912, l’œuvre n’a plus été la propriété de l’artiste à partir d’une date inconnue, sans doute entre 1914 et 1922 ; elle a circulé jusqu’en Pologne, où elle a été volée à David Cender, puis a probablement été rachetée par Marc Chagall, sans doute après 1947 et, au plus tard, en 1953.

Le lien du tableau avec la spoliation subie par David Cender a été découvert récemment. Les démarches que celui-ci a lui-même entreprises après-guerre ont permis de s’assurer qu’il avait été le propriétaire d’un tableau de Chagall, spolié dans le cadre des persécutions antisémites, et correspondant au tableau Le Père.

Les recherches sur la provenance de cette œuvre ont abouti après le dépôt du présent projet de loi. C’est pourquoi le Gouvernement, estimant nécessaire de procéder sans délai à cette restitution, a proposé d’ajouter l’article correspondant, par un amendement adopté par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

Je sais que des questions ont été soulevées et seront soulevées sur l’opportunité d’un tel texte, certains regrettant l’absence d’un dispositif, créé par une loi-cadre, qui permettrait la restitution plus aisée des œuvres spoliées, sans présenter de nouvelles lois d’espèce au Parlement. Le Conseil d’État lui-même, dans son avis, a souligné le manque d’un dispositif plus simple.

Pour l’heure, il a paru capital au Gouvernement de soumettre à la représentation nationale ces dossiers spécifiques : il s’agit en effet de la première loi organisant la sortie du domaine public d’œuvres spoliées des collections nationales ou territoriales, en vue de leur restitution.

L’engagement pris par notre pays, notamment concernant le tableau de Klimt, a été salué unanimement et devait vous être soumis. Il fallait aller vite, mettre en œuvre ces restitutions, dont certaines – c’est le cas du tableau de Sannois – étaient en attente depuis plusieurs années.

Toutefois, je suis favorable à l’adoption d’une loi-cadre permettant la création d’un dispositif de restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites pendant cette période.

Nous y viendrons, car c’est une étape qui s’imposera. La réflexion actuelle sur une loi-cadre relative à la restitution des biens issus d’un contexte colonial, voulue et annoncée par le Président de la République en octobre dernier, nous engage évidemment sur le même terrain pour ce qui concerne les spoliations antisémites des années 1933 à 1945.

Un nouveau dispositif est souhaitable, mais il doit être affiné. Vous avez vous-même, madame la rapporteure, évoqué les pistes existantes et souligné les difficultés propres à chacune d’entre elles. Quoi qu’il en soit, une telle réflexion ne peut être mise en œuvre à la toute fin du quinquennat.

Le ministère y a travaillé, mais vous constatez la complexité des dossiers. Les critères de spoliation, ainsi que les bornes géographiques et temporelles, devront être pesés avec précaution. Pour l’heure, dans l’attente de l’aboutissement de ces travaux, nous souhaitons faire sortir ces œuvres du domaine public. C’est une avancée majeure.

Il y aura d’autres restitutions, et nous saurons proposer un nouveau dispositif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’évoquons pas ce soir un projet de loi ordinaire. Il constitue une première étape engagée par la France, qui est à l’écoute des familles touchées par les persécutions antisémites, pour permettre, de manière inédite, la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la période nazie ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation, en raison des persécutions antisémites.

Ces œuvres sont les traces toujours présentes de leurs propriétaires, spoliés, persécutés ; elles portent leur mémoire. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas sans une vive émotion que je m’exprime devant vous ce soir. Je mesure aussi celle que doivent ressentir les familles des victimes, dont certaines sont présentes dans les tribunes de notre hémicycle – je tiens à les saluer.

Le moment est solennel. Mme la ministre l’a souligné, ce texte est historique. Il n’a aucun équivalent dans notre histoire législative. Jamais le Parlement n’avait été amené à se prononcer sur la sortie d’œuvres de collections publiques pour les rendre à des particuliers, du fait des persécutions antisémites commises pendant la période nazie.

Ce texte pose pourtant une question essentielle : celle de la réparation des spoliations d’œuvres d’art intervenues pendant cette période.

Ces spoliations ne peuvent être dissociées de la politique d’extermination des juifs d’Europe, à laquelle se sont livrés le régime nazi et ses complices, parmi lesquels figure le régime de Vichy, qui y a collaboré de manière active. Ces spoliations visaient à anéantir le peuple juif, non pas dans sa chair, mais dans son esprit, sa culture, son identité. Elles font partie des crimes de la Shoah, pour lesquels nous conservons une « dette imprescriptible », selon les mots prononcés par le Président Jacques Chirac en 1995. (Mme Nathalie Goulet approuve.)

Même si ces crimes sont irréparables, il nous appartient de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour corriger ce qui peut l’être, pour reconnaître les atrocités, pour restaurer la dignité des victimes et pour entretenir et transmettre leur mémoire. C’est une œuvre de justice et d’humanité. C’est aussi un devoir de mémoire.

Comme le précise Emmanuelle Polack dans l’introduction de son livre Le Marché de lart sous lOccupation, « c’est seulement si cet esprit de justice et d’humanité prévaut dans la cohérence d’un travail de mémoire que l’expérience de la restitution des biens juifs peut tendre vers l’universalité ».

Accepter aujourd’hui de lever le caractère inaliénable de quinze œuvres pour permettre qu’elles soient rendues à leurs ayants droit s’inscrit dans cette démarche.

Ces œuvres sont non seulement la seule trace matérielle qui subsiste parfois d’une victime, mais aussi, plus globalement, les témoins silencieux de la barbarie qui a frappé notre continent voilà plusieurs décennies. Leur restitution, c’est une part de l’identité, de la mémoire et de la dignité de ces hommes et de ces femmes victimes de la barbarie nazie que l’on restitue ; c’est une reconnaissance symbolique de la spoliation et des crimes dont ils ont été victimes.

La sortie des collections de ces quinze œuvres s’impose pour permettre leur retour auprès des ayants droit de leurs légitimes propriétaires. Mme la ministre nous a rappelé voilà un instant le parcours de ces œuvres. Le travail effectué par ses services, par les musées et, pour deux des quatre articles, par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS, démontre que ces œuvres ont été spoliées ou acquises dans des conditions douteuses.

On pourrait regretter qu’il ait fallu attendre plus de soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour permettre le retour de ces œuvres. Notre pays a longtemps accusé du retard en matière de réparation des spoliations. Mais l’essentiel n’est pas là.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. L’essentiel, c’est ce que dit aujourd’hui de nous ce projet de loi.

Tout d’abord, il traduit le chemin parcouru par notre pays au cours des années récentes en matière de réparation des spoliations. C’est un travail collectif des autorités nationales et du monde de l’art.

La mission Mattéoli et la création de la CIVS à la fin des années 1990 ont été un premier pas. L’ouverture progressive des archives, le lancement de recherches proactives, le chantier de la recherche de provenance et la création de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au sein du ministère de la culture ont depuis lors permis d’enregistrer des avancées significatives. Ce projet de loi en est le fruit.

Ensuite, ce texte exprime la volonté de notre pays de regarder son passé en face et le devoir qui est le sien de mener un travail d’introspection. Au-delà de la restitution des œuvres, ce texte est bien un acte de reconnaissance, qui prolonge le discours de Jacques Chirac au Vél d’Hiv du 16 juillet 1995.

Enfin, il manifeste notre détermination à trouver des « solutions justes et équitables » pour réparer les spoliations d’œuvres d’art, comme nous y invitent les principes de Washington, auxquels nous avons souscrit en 1998. Il dit clairement que la Nation considère que les œuvres spoliées n’ont pas leur place dans ses collections. C’est une question éthique.

C’est pourquoi j’espère que nous voterons, mes chers collègues, ce texte à l’unanimité, comme l’a fait voilà trois semaines l’Assemblée nationale.

Ce texte peut marquer un véritable tournant dans la réparation des spoliations d’œuvres d’art, à la condition que nous poursuivions nos efforts dans les années à venir. Je crois que, dans un certain sens, il nous oblige même à les accentuer.

Ce que ce texte nous enseigne, c’est qu’en dépit des précautions ayant pu être prises au moment des acquisitions, les collections publiques peuvent, malheureusement, comporter des œuvres spoliées. Il faut donc encore accélérer le travail de recherche de provenance amorcé par les musées depuis quelques années, sous l’impulsion du ministère de la culture, dont je tiens à souligner ici l’engagement.

Bien sûr, la tâche est immense et nécessite du temps. Mais identifier parmi nos collections les œuvres qui pourraient être entachées de spoliation est un travail à la fois capital au regard du respect dû aux victimes et crucial pour la réputation de nos musées. Plus ces derniers seront transparents, plus les familles de victimes pourront trouver une forme d’apaisement, qui est l’un des axes du travail de réparation.

Y consacrons-nous aujourd’hui des moyens suffisants ? Si l’objectif est d’accomplir ce travail dans des délais raisonnables, la réponse est probablement « non ». Les musées sont sans cesse investis de nouvelles missions, sans avoir bénéficié d’une revalorisation équivalente de leurs budgets ou de leurs plafonds d’emplois. Il y aurait donc lieu de confirmer que la recherche de provenance est bien une priorité politique, en lui allouant plus de moyens, en formant davantage de personnels dédiés et en sensibilisant les collectivités territoriales à cet enjeu qui les concerne tout autant.

Au-delà de la recherche de provenance, comment pourrons-nous à l’avenir faciliter les restitutions d’œuvres spoliées ? L’adoption d’une loi-cadre serait-elle appropriée ?

La procédure législative impose des délais. Elle s’inscrit dans un temps long, qui n’est pas forcément conforme au calendrier prévu par les principes de Washington, lesquels mentionnent la nécessité de « prendre des mesures dans les meilleurs délais ». Elle impose aux ayants droit une attente qui leur est sans doute difficilement compréhensible, une fois l’instruction de leur demande achevée.

De ce point de vue, une loi-cadre aurait pour vertu de rendre plus aisées les restitutions.

Cependant, comment parvenir à définir des critères qui ne soient ni trop étroits, pour ne pas faire obstacle à des restitutions légitimes, ni trop larges, pour ne pas remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections, qui est un pilier de nos musées auquel il serait dangereux de renoncer ?

Comment rendre ces restitutions automatiques sans leur ôter leur portée symbolique en termes de reconnaissance de la spoliation ?

Ces questions, il faudra inévitablement les poser dans les années à venir. Le problème ne peut pas encore être tranché. Les résultats des travaux de recherches de provenance pourront sans doute nous aider à y voir plus clair sur la diversité des cas éventuels, pour déterminer le dispositif le plus approprié.

Quoi qu’il en soit, je souhaiterais rendre hommage à notre ancienne collègue, Corinne Bouchoux, qui avait été à l’initiative, en 2013, d’un rapport fait au nom de la commission de la culture sur la gestion, par la France et ses musées, des œuvres d’art spoliées par les nazis. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Goulet. Excellent rapport !

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. Son combat avait alors joué un rôle déterminant pour donner une impulsion à la politique en matière de recherche de provenance. « Le temps de l’histoire apaisée est venu », expliquait-elle à l’époque. Ce projet de loi en est l’incarnation. (Applaudissements.)

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.

M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pendant la Seconde Guerre mondiale, les occupants nazis organisèrent un pillage systématique des œuvres d’art, fondé sur l’idéologie génocidaire mise en œuvre par un organisme spécialement créé pour ce pillage, l’ERR, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, ou Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg.

Selon les archives de l’époque, près de 70 000 logements de juifs, dont plus de la moitié est située à Paris, sont alors vidés. Le Jeu de Paume devient une véritable « gare de triage » des trésors culturels envoyés en Allemagne entre 1941 et 1944.

Après-guerre, en France, les réclamations sont très vite recensées : on en comptera 96 000, dont 61 000 prospéreront, puisque les œuvres furent retrouvées.

Si une action résolue en faveur des restitutions est organisée à la Libération, puisque 75 % des œuvres retrouvées sont rendues à leur propriétaire, il est toutefois décidé de vendre une dizaine de milliers d’œuvres.

Le rapport général de la mission d’étude sur la spoliation des juifs de France, présidée par Jean Mattéoli, fait état d’une méthodologie d’une extrême légèreté s’agissant du classement des œuvres devant être vendues. Il existe donc des incertitudes sur le nombre de ventes réalisées après-guerre, et le passé de certaines œuvres demeure toujours flou.

Par ailleurs, quelque 2 000 œuvres sont compilées, et il leur est attribué un statut adapté, appelé MNR, pour « Musées nationaux récupération », qui impose qu’elles soient conservées par les musées sans pour autant faire partie des collections publiques. L’État n’en est pas le propriétaire, mais seulement le détenteur provisoire.

Depuis la fin des années 1990, une nouvelle dynamique est insufflée par le contexte historique, lequel mérite un bref rappel. En effet, à la chute du mur de Berlin, les archives allemandes sont ouvertes et les archives américaines déclassifiées. Cela donne lieu à une nouvelle médiatisation de la question des œuvres d’art pillées, spoliées ou vendues durant la guerre et à une nouvelle vague de demandes d’indemnisations ou de restitutions.

C’est dans ce nouveau contexte que le Président de la République Jacques Chirac prononce le discours du 16 juillet 1995, lors des commémorations de la rafle du Vél d’Hiv, qui marquera un vrai tournant.

La France réalise de nouveaux travaux, notamment la mise en place de la mission Mattéoli, confirmée dans sa tâche par le Gouvernement de cohabitation conduit par le Premier ministre Lionel Jospin, issu des élections législatives de 1997, qui réalisera ses études de 1997 à 2000.

Cinq préconisations de ce rapport concernent la spoliation des objets et œuvres d’art, parmi lesquelles figure la création d’une commission d’indemnisation des victimes de spoliation, la CIVS, qui a vu le jour en 1999, comme l’a précisé tout à l’heure Mme la rapporteure. Parallèlement, la Conférence de Washington de 1998 réunit 44 États sur la question des œuvres d’art volées par les nazis et fait adopter la Déclaration de Washington, afin de rendre applicables onze principes à ces œuvres confisquées.

Malgré les nombreux efforts fournis par la France, des améliorations sont toujours possibles.

Il existe d’ailleurs actuellement environ 40 000 œuvres et objets pillés dont on a perdu la trace et qui peuvent réapparaître à tout moment, que ce soit sur le marché de l’art ou dans les musées. Les initiatives privées existent également : certains organismes de ventes aux enchères vérifient la provenance de toutes les œuvres d’art et ne mettent pas en vente celles pour lesquelles un doute subsiste.

Un autre débat relatif à la restitution des œuvres d’art concerne le processus mis en œuvre. On le voit avec le texte que nous étudions aujourd’hui, le parcours de restitution n’est ni aisé, ni rapide, ni même connu du plus grand nombre.

À cet égard, il convient de souligner, comme vous l’avez fait, madame la ministre, la lenteur du processus de restitution de l’œuvre de Maurice Utrillo Carrefour à Sannois, qui a été reconnue en 2018 comme provenant d’un pillage de l’ERR, mais ne pourra être restituée qu’à l’issue d’un travail législatif de quatre ans au minimum. En effet, les restitutions d’œuvres d’art ne relevant pas du statut des MNR ne peuvent être opérées que par la voie législative.

Il est crucial de parler des spoliations par le régime nazi dans cet hémicycle. J’estime important d’évoquer ce sujet, qui relève du travail de mémoire et de justice, d’autant que nous évoluons dans une époque où les approximations historiques, pour rester courtois, doivent être combattues. (M. Joël Bigot et Mme Nathalie Goulet applaudissent.)

Je tiens à le redire avec vigueur et conviction, le peuple juif a subi des exactions commises par les nazis qui occupaient notre territoire, mais aussi par les collaborationnistes en tous genres. Il est de notre devoir de réparer les abominations commises.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Lucien Stanzione. Pour en revenir à mon propos, au vu des délais engendrés et de l’inadaptation d’une telle procédure, de nombreuses voix, auxquelles je me joins, s’élèvent pour faire évoluer les choses.

Les pistes sont diverses. Il est possible de créer un statut spécial à l’image des MNR ou d’adopter une loi-cadre pour toutes les restitutions, ce qui permettrait de réduire les délais de traitement de ces dossiers, qui ne sont pas anodins, vous l’avez souligné, madame la ministre.

Dans le cadre du projet de loi que nous étudions aujourd’hui, deux œuvres ont fait l’objet d’une spoliation par les nazis avant d’entrer dans les collections publiques, alors que les autres ont été achetées par l’État pendant l’Occupation. Elles relèvent donc toutes d’une logique systématique de spoliation des biens des familles juives durant la Seconde Guerre mondiale.

La facilitation des restitutions se heurte à certains principes généraux de notre dispositif juridique. Je pense ici aux dispositions de l’article L. 451-5 du code du patrimoine, selon lesquelles « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. »

Une autre problématique soulevée concerne le partage de l’œuvre, laquelle possède une valeur universelle et doit donc rester accessible au plus grand nombre. On peut ainsi imaginer qu’une représentation de l’œuvre, par exemple une photographie, demeure exposée.

Vous l’aurez compris, à mes yeux, la restitution de ces objets représente bien plus qu’un retour légitime d’œuvres d’art : elle est une question de reconnaissance nationale et républicaine, une question de justice équitable et de réparation mémorielle.

En retrouvant leurs propriétaires légitimes, ces œuvres contribuent à la nécessaire réparation des actes perpétrés à l’encontre du peuple juif, ce qui va dans le sens d’un apaisement, d’une réconciliation et d’une reconnaissance de notre histoire. C’est un acte symbolique fort et indispensable. Notre groupe soutient donc avec force ce projet de loi et le votera avec grande conviction.

Enfin, je souhaite saluer le beau travail réalisé par Mme la rapporteure Béatrice Gosselin, entourée de toute son équipe. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans La Tête dobsidienne, André Malraux écrit : « L’art est la présence dans la vie de ce qui devrait appartenir à la mort ; le musée est le seul lieu du monde qui échappe à la mort. » Cette part d’immuable et d’immortalité de l’œuvre d’art prend tout son sens lorsqu’il s’agit de restituer des œuvres d’art aux ayants droit de collectionneurs juifs spoliés par les nazis et, très souvent, déportés.

Je tiens à saluer ici la volonté politique qui anime à ce sujet le Gouvernement depuis 2018 et le consensus qu’a suscité ce projet de loi, adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale et en commission de la culture du Sénat. Le groupe RDPI du Sénat votera bien évidemment en faveur de ce texte.

Toutefois, ce premier pas, extrêmement louable, ne doit pas occulter le fait qu’il y a plus que jamais urgence à restituer ces œuvres d’art. En effet, les derniers témoins de la Shoah disparaissent aujourd’hui et emportent avec eux des mémoires familiales, pourtant indispensables à la recherche de provenance des œuvres d’art spoliées.

À mesure que le temps passe, les ayants droit des propriétaires spoliés se font plus nombreux, ce qui, outre les difficultés généalogiques accrues qui en découlent, fragmente la propriété desdites œuvres et rend difficile l’accord de l’ensemble des ayants droit sur le devenir de celle-ci.

De fait, ils se trouvent le plus souvent contraints de vendre les œuvres qui leur ont été restituées, avec l’espoir de tous qu’elles puissent rejoindre des collections publiques ou des collections exposées au public.

Cette urgence de la recherche en provenance et en dévolution successorale est d’autant plus grande que la France accuse un important retard en comparaison d’autres pays. Le nombre de restitutions effectuées dans notre pays ces dernières années est infiniment plus réduit que le nombre de celles qui ont eu lieu en Allemagne ou ailleurs.

Ce retard français s’explique notamment par l’institution très tardive, en avril 2019, d’une mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dont il convient néanmoins de saluer avec respect la création.

Les moyens alloués à la recherche de provenance de cette commission peuvent paraître faibles au regard de l’ampleur de la tâche.

La question des dates considérées n’est pas anodine, puisqu’elle fait remonter les travaux de la mission au moment de l’accession des nazis au pouvoir. Cette borne temporelle, qui peut paraître évidente, a l’avantage d’être identique à celle qui a été retenue par la plupart des pays ayant entrepris une démarche similaire.

Toutefois, je veux le souligner ici, cette date exclut de facto les descendants de personnes ayant subi des spoliations que je qualifierais de « non institutionnelles », mises en œuvre avant 1933 par des milices violentes et antisémites telles que les Freikorps, les Casques d’acier, les SA et d’autres groupes affiliés au NSDAP, le parti national-socialiste allemand.

Néanmoins, ce qui rend la recherche en provenance très difficile, c’est la manière dont la circulation de ces œuvres s’est internationalisée au fil du temps. Rappelons ici l’insupportable équation idéologique posée par Adolf Hitler dès 1925 dans Mein Kampf : l’antisémitisme et la guerre déclarée à l’art jugé « dégénéré », dans une rhétorique associant bien sûr étroitement les deux.

Durant le nazisme, de nombreuses pièces d’art moderne confisquées ont migré vers la France, la Suisse et d’autres pays, par l’entremise d’intermédiaires des plus douteux, pour être converties en numéraire, souvent pour acquérir des œuvres jugées conformes aux préceptes artistiques du régime hitlérien.

Comme le rappelle Emmanuelle Polack, dans l’un de ses ouvrages récents, Paris a été sous l’occupation l’une des plaques tournantes de ce blanchiment. Et les choses ont continué, de manière plus subtile, mais non moins odieuse, bien après la Seconde Guerre mondiale.

Le parcours long et laborieux de la restitution du tableau Rosier sous les arbres de Gustav Klimt illustre la complexité du processus de recherche de provenance et l’efficacité d’une collaboration européenne exemplaire de plusieurs années.

Oui, nous manquons encore cruellement de moyens au regard du retard accumulé et de l’urgence toujours plus pressante que j’ai déjà évoquée.

Oui, notre toute jeune mission de recherche et de restitution des biens est très loin d’être aussi bien dotée que ses homologues d’outre-Rhin. Ses effectifs actuels permettent tout juste d’instruire une quarantaine de dossiers par an, sur près de 1 800 œuvres encore en souffrance.

À notre décharge, il faut avouer qu’il s’agit de dossiers souvent complexes, qui relèvent parfois de situations assez atypiques. Nous ne disposons pas encore de suffisamment de personnes spécialisées et expérimentées. De nombreuses années seront nécessaires pour les former.

Cela ne pourra se faire sans une implication forte de nos musées. Ces derniers se retrouvent dans la situation paradoxale de devoir consacrer des ressources rares à une démarche pouvant les conduire à se séparer d’œuvres emblématiques, pour l’acquisition desquelles ils ont parfois déboursé des sommes considérables.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. André Gattolin. Je conclus, madame la présidente !

Nous franchissons aujourd’hui un grand pas, en passant de la prise de conscience à la prise en charge. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Hitler rêvait de réunir à Linz les plus grands chefs-d’œuvre pillés dans les territoires occupés, à commencer par les galeries d’art et les collections privées des juifs de France, sur fond de rafles et de déportations.

À l’époque où Paris était la première place mondiale du marché de l’art, la plupart des galeries appartenaient à des juifs, à l’image de la galerie Zborowski, rue de Seine, du nom du marchand d’art et ami de Modigliani.

Le gouvernement du maréchal Pétain a non seulement laissé le champ libre aux spoliations, mais il les a aussi favorisées. Des milliers de tableaux, de sculptures et d’instruments de musique, ainsi que des millions de livres ont été pillés, triés, entreposés au musée du Jeu de Paume et au Palais de Tokyo, avant d’être disséminés sur le territoire du Reich, jusque dans les sous-marins allemands.

Au cœur des plus sombres pages de l’histoire, des femmes et des hommes se sont démarqués par leur humanité, leur intelligence et leur courage hors du commun.

Rose Valland en fait partie. Cette jeune femme travaillait au Jeu de Paume et comprenait l’allemand ; elle a subtilisé les données relatives aux provenances des nombreuses peintures et sculptures qui transitaient par le musée avant de quitter la France. Au lendemain de la guerre, ses notes ont permis de récupérer 100 000 œuvres d’art, dont 2 000 n’ont pas encore été restituées à leurs propriétaires ou ayants droit.

En 2012, la presse allemande a révélé la découverte d’un millier d’œuvres entassées dans un appartement munichois appartenant au fils de Gurlitt, l’acheteur officiel à Paris pour le musée d’Hitler. Cette affaire a conduit le gouvernement allemand à présenter une loi visant à abolir le délai de prescription pour ce qui concerne la restitution des biens spoliés.

Dans la continuité du discours fondateur du Président Chirac du 16 juillet 1995, le Premier ministre Édouard Philippe a donné un nouvel élan aux travaux de restitution. Plus de quatre-vingts ans après les premiers vols, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise, pour la première fois, à rendre quinze œuvres d’art spoliées durant la Seconde Guerre mondiale aux ayants droit de leurs propriétaires.

De nombreuses autres restitutions sont à l’étude. Nous devons intensifier ce travail et l’étendre aux milliers d’instruments de musique et aux millions de livres volés. Pour certaines familles, un violon, une torah ou un tableau constitue l’unique héritage, à la valeur sentimentale inestimable, laissé par leurs ancêtres disparus.

Madame la ministre, un effort de recherche des provenances doit être engagé dans le secteur de la musique. Pour cela, il faudrait imposer aux maisons de vente d’indiquer la provenance des instruments de musique et centraliser les archives détenues par les luthiers, dans le cadre d’une nouvelle mission attribuée au Centre national de la musique, en partenariat avec le Musée de la musique. Nous devons former des experts à la recherche de provenance, dans le cadre, par exemple, d’un diplôme universitaire.

Il est du devoir de tous et, en particulier, des personnes n’appartenant pas à la communauté juive d’honorer la mémoire des victimes et de leurs familles. Je crois à la force du récit, à l’importance de la transmission des histoires individuelles et de l’histoire collective. À l’heure où les derniers témoins disparaissent, nous devons plus que jamais lutter contre l’oubli ou la négation du génocide et l’instrumentalisation politique des faits historiques.

L’antisémitisme n’est pas mort avec Hitler. Une nouvelle forme émerge depuis des dizaines d’années ; il faut voir la réalité en face.

Partout en France, des familles juives sont inquiétées, harcelées, agressées. Il y a seize ans, Ilan Halimi ; il y a dix ans, l’école juive Ozar Hatorah ; il y a sept ans, l’Hyper Cacher ; il y a cinq ans, Sarah Halimi, puis Mireille Knoll. Des flots de haine à l’encontre des juifs sont répandus chaque jour sur les réseaux sociaux. Des cimetières sont profanés. Des enfants sont changés d’école régulièrement pour les protéger d’un antisémitisme décomplexé. Tel est bien l’enjeu de la reconnaissance permise par ce texte.

Pour ma part j’ai eu le privilège de siéger aux côtés de Simone Veil au bureau exécutif de l’association des adhérents directs de I’UDF, l’Union pour la démocratie française. Cette grande dame de l’histoire de France, remarquable d’intelligence et de modestie, continuera d’inspirer d’autres destins. C’est toute la grandeur de ces personnalités, qui se mesure avant tout par leur attachement à placer leur vie au service d’une cause située au-delà d’eux-mêmes. J’aimerais lui rendre hommage aujourd’hui. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à Mme Toine Bourrat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Toine Bourrat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui marque une nouvelle et importante étape dans le processus de restitution des biens volés pendant l’Occupation à des familles juives, au nom de l’idéologie nazie.

Ce processus a suivi un cheminement étonnamment long. Je le rappelle, l’épisode tragique de la Shoah a conduit au pillage de 100 000 œuvres d’art environ sur le territoire national. Selon les archives de l’époque, près de 70 000 logements ont été vidés, dont 38 000 à Paris.

Si nombre de ces œuvres, environ 45 000, ont pu être restituées à leurs propriétaires légitimes ou à leurs ayants droit dans l’élan national qui suivit la Libération, d’autres n’ont pas été réclamées et ont connu un destin plus complexe.

Certaines, au nombre de 2 000 environ, sont entrées dans la catégorie des œuvres dites « Musées nationaux récupération » (MNR), c’est-à-dire qu’elles ont été placées sous la garde de musées nationaux et sont répertoriées sur un inventaire provisoire dans l’attente de leur restitution. D’autres, au nombre de 13 000 environ, furent vendues par l’administration des domaines et sont retournées sur le marché de l’art.

S’est alors écoulée une longue période de silence et d’oubli. Des voix se sont cependant élevées dans plusieurs pays, au milieu des années 1990, pour appeler les musées et les administrations à reprendre leurs recherches.

En 1998, quelque 44 États énoncèrent les grands principes de la restitution des œuvres d’art spoliées, s’engageant notamment à passer en revue les collections des musées.

En France, le discours prononcé en 1995 par le Président Jacques Chirac, dans lequel celui-ci reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, donc son devoir de réparation envers ceux qu’elle n’avait pas protégés, a déclenché une prise de conscience, qui s’est traduite par les travaux de la mission Mattéoli, puis par la création de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations.

Le Sénat a lui-même contribué à cette réflexion – Mme la rapporteure l’a rappelé – grâce à un rapport de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux. (Mmes Esther Benbassa et Nathalie Goulet applaudissent.)

Peu à peu, le ministère de la culture a consacré davantage de moyens aux recherches. Nous sommes ainsi passés de 6 restitutions entre 1954 et 1993 à 116 depuis cette dernière date, via notamment la création en 2019 d’une mission spécifique, dont notre commission a auditionné le responsable, M. David Zivie. Son témoignage fut particulièrement éclairant quant à la difficulté des investigations, notamment concernant les collections publiques de l’État.

Jusqu’à présent, les restitutions ont porté sur les œuvres dites « MNR », parce qu’elles ne font pas partie des collections publiques – l’État français en est le simple détenteur provisoire, non le propriétaire. En revanche, en vertu du principe d’inaliénabilité des collections publiques, il n’était pas possible de restituer les œuvres ayant été achetées par des musées français en toute bonne foi et dont l’origine tragique est apparue depuis lors.

En tant qu’il vise à s’attaquer à ce problème, ce texte présente un caractère inédit. Certes, le dispositif choisi se rapproche de celui que nous avons adopté voilà quelques mois pour restituer des biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. (Mme Nathalie Goulet le conteste.)

Cependant, pour la première fois, ce sont des particuliers et non des États qui sont visés, et le motif est nouveau. Un grand nombre d’institutions muséales ont lancé des recherches approfondies sur les itinéraires des œuvres ; nous pouvons les en féliciter.

En l’espèce, le dessaisissement décidé par la France est d’autant plus remarquable qu’il concerne plusieurs œuvres majeures. Ainsi le tableau Rosiers sous les arbres, conservé au musée d’Orsay, est-il la seule œuvre de Gustav Klimt présente dans les collections nationales.

Notre rapporteure, Béatrice Gosselin, dont je salue la qualité du travail et la sensibilité de l’écoute, souligne la nécessité d’allouer des moyens suffisants à la recherche de la provenance des œuvres et de former davantage de personnels affectés à cette mission, y compris au niveau territorial, afin que ce travail puisse être mené à bien dans des délais raisonnables. N’oublions pas que les restitutions concernent maintenant le plus souvent des petits-enfants ou arrière-petits-enfants des personnes spoliées.

Par ailleurs, il appartiendra à l’État de mener une réflexion sur l’éventuelle rédaction d’une loi-cadre qui éviterait de légiférer au cas par cas et permettrait d’accélérer la procédure de restitution. Notre rapporteure a souligné la complexité d’une telle entreprise et appelle en priorité à l’approfondissement des recherches sur la provenance des œuvres. Cette démarche volontariste doit en effet se poursuivre.

Notre groupe votera bien évidemment le présent projet de loi, qui répond à une exigence de vérité et de justice. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (M. Jacques Fernique applaudit.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, restituer ce qui a été mal acquis par le passé, cet impératif, appliqué au monde de l’art, occupe intensément notre calendrier parlementaire ces derniers mois.

Entre le projet de loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal (Mme Nathalie Goulet proteste.), la proposition de loi du Sénat créant un conseil scientifique de restitution de biens culturels aux pays extraeuropéens et le texte que nous examinons aujourd’hui, notre assemblée porte une attention particulière à l’éthique de nos collections.

Le présent texte diffère toutefois des deux autres, car il fait référence à une spoliation plus récente, massive et spécifique, celle des juifs de France.

Cette spoliation a précédé leur génocide, un génocide organisé avec la complicité et l’appui de l’État français. Spolier, voler des œuvres d’art appartenant à des individus en raison de leur appartenance, c’était vouloir les déposséder d’une part de leur sensibilité et de leur culture et briser les chaînes de transmission des idées et des valeurs.

Très tôt, lorsque la machine génocidaire s’est mise en place, ce processus a été combattu par quelques rares, trop rares, combattants de l’ombre – ou plutôt combattantes, car je pense évidemment à Rose Valland et à son incroyable travail d’archivage, de référencement et de suivi, qui a permis, à la Libération, de retrouver la trace de la plupart des œuvres spoliées par l’occupant nazi.

Son travail a par la suite guidé, dans l’immédiat après-guerre, toute une politique nationale de restitution, qui, si elle ne fut pas parfaite, permit de restituer une grande majorité des œuvres à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit.

Il y eut tout d’abord les travaux de la Commission de récupération artistique, qui permirent d’identifier 85 000 œuvres spoliées, d’en retrouver 61 000 et d’en restituer rapidement plus de 45 000.

Les 16 000 œuvres restantes ont été soit vendues, pour plus de 13 500 d’entre elles, soit confiées aux musées nationaux sous le statut « Musées nationaux récupération » (MNR), dont le bilan est plus mitigé – le mot est faible. Le rythme s’est ralenti extrêmement fortement au bout de cinq ans. Rappelons que, depuis 1950, 178 œuvres seulement ont été restituées sur les plus de 2 000 mises entre les mains des musées nationaux.

Pendant plus de cinquante ans, la question des restitutions disparaît quasiment de notre société : « Un secret de famille dans le monde des musées, de l’art, de la culture », comme l’écrit notre ancienne collègue sénatrice écologiste Corinne Bouchoux dans son rapport de 2013.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Thomas Dossus. Dans ce document, auquel je tiens aujourd’hui, comme d’autres, à rendre hommage, elle insiste sur l’importance cruciale des recherches systématiques de provenance, qu’il s’agisse des œuvres stockées parmi les MNR ou de tout autre bien acquis par nos musées entre 1933 et 1945. Il y va de l’éthique de nos collections.

Quelque 43 œuvres ont ainsi pu être restituées depuis 2012 grâce à des recherches proactives. Un vaste travail de recherche de provenance est effectué en ce moment même par nos musées, celui du Louvre notamment ; il faut saluer ce travail.

Les œuvres que ce projet de loi prévoit de restituer à leurs ayants droit s’inscrivent dans cette histoire longue et tragique ; particulières sont l’histoire et la trajectoire qui motivent chacun des articles du texte, comme est chaque fois particulier le processus qui a permis de déterminer l’identité des ayants droit, tantôt grâce aux recherches des ayants droit eux-mêmes et de leurs avocats, tantôt par le biais de généalogistes, tantôt par l’État via le travail de la CIVS : nous légiférons sur des parcours uniques.

Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, les douze œuvres de la collection d’Armand Dorville, Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo et Le Père de Marc Chagall sont autant de morceaux d’histoire que nous nous apprêtons à restituer.

Nous sommes aujourd’hui réunis pour donner notre aval à ces restitutions par voie législative, unique moyen et fin d’un trop long processus, pour que ces œuvres retournent à leurs ayants droit – moyen de réparer le préjudice, de rétablir le respect et la dignité dus aux familles des victimes de la barbarie.

Naturellement, le groupe écologiste salue ces restitutions, au nom de la justice, même après des décennies d’oubli ; au nom de la reconnaissance des crimes du passé, qui exige d’œuvrer, par le biais de la loi, à en réparer une partie ; au nom de la vérité, enfin, dont la culture de notre pays doit être le porte-drapeau, surtout en ces temps de confusion et de réécriture de l’histoire.

Ce débat nous conduit, comme c’est le cas dès qu’il est question de restitutions, à soulever l’idée d’une loi-cadre, une loi visant à accélérer les processus, qui sont trop longs, tout en les assortissant de garanties scientifiques et historiques sérieuses.

La nécessité d’une telle loi, de plus en plus d’acteurs la reconnaissent, qu’il s’agisse du Conseil d’État, de l’historien David Zivie, de la rapporteure du présent texte à l’Assemblée nationale ou de vous-même, madame la ministre.

Entendons-nous bien, la restitution de biens de l’époque coloniale à des pays africains et la restitution de biens spoliés durant la Seconde Guerre mondiale à des particuliers…

Mmes Esther Benbassa et Nathalie Goulet. Cela n’a rien à voir !

M. Pierre Ouzoulias. C’est ce qu’il dit !

M. Thomas Dossus. C’est ce que je suis en train de dire, mes chères collègues : ces deux types de restitutions recouvrent des situations tout à fait différentes.

Néanmoins, la réflexion que nous menons dans un cas doit enrichir notre appréhension de l’autre. S’il y a bien là deux réalités différentes, en effet, un seul et même impératif se fait jour : la recherche de la vérité, de la justice, de l’éthique de nos collections et de la concorde entre les hommes, les peuples et les générations à travers l’art.

Rendre ce qui a été mal acquis honore et grandit notre politique culturelle. Un tel élan prend heureusement toujours plus d’ampleur ces temps-ci.

Ce projet de loi y participe ; c’est pourquoi les écologistes voteront résolument pour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Pierre Ouzoulias et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, citant le Mikrokosmos d’Hermann Lotze, Walter Benjamin considérait qu’il ne peut y avoir de progrès s’il n’est pas rendu justice à ceux qui ont souffert dans le passé, car il faut, de façon presque « mystérieuse », satisfaire les attentes des générations passées.

Les œuvres que ce projet de loi propose de restituer font resurgir dans cet hémicycle les souffrances endurées par Eleonore Stiasny, Armand Dorville, Georges Bernheim, David Cender, leurs familles et tous les Français et étrangers de confession juive qui ont connu la persécution. « Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous », écrivait Gérard de Nerval.

Alors que les idéologies antijudaïques jaillissent de nouveau du ventre encore fécond de la bête immonde, rappelons, trop brièvement, pour le sujet qui nous concerne, ce qu’ont été les persécutions commises par l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’État français », dirigée par le maréchal Pétain et qui n’était plus la République.

Mme Nathalie Goulet. Exactement !

M. Pierre Ouzoulias. Dès le 22 juillet 1940, la collaboration prononce la déchéance de nationalité des Français qui ont été naturalisés depuis la loi du 10 août 1927. Plus de 6 000 Français de confession juive sont ainsi privés de leur nationalité et deviennent apatrides. Le Commissariat général aux questions juives est créé le 29 mars 1941. L’une de ses missions est de procéder à la liquidation des biens des citoyens français considérés comme juifs par le gouvernement de Pétain.

Ainsi le second statut des juifs du 2 juin 1941 interdit-il aux Français de confession juive toutes les professions en relation avec le commerce. Les fonds des galeries d’art sont expropriés et confiés à des administrateurs provisoires. La loi du 22 juillet 1941 organise l’éradication de toute « influence juive dans l’économie ».

Plus de la moitié des galeries d’art parisiennes subissent ces lois d’exception. Des administrateurs provisoires sont chargés de vendre leurs biens ou de liquider les sociétés.

De nombreuses œuvres sont saisies par l’occupant allemand, mais la plupart sont écoulées sur un marché de l’art qui n’a jamais été aussi prospère. L’hôtel Drouot est fermé dès l’été 1940, mais, avant la fin de la même année, ses gestionnaires obtiennent la réouverture des ventes, aux conditions fixées par la Kommandantur. Les acheteurs sont les autorités d’occupation, les musées allemands, des particuliers qui blanchissent des revenus tirés du marché noir, mais aussi des musées publics, dont celui du Louvre.

Dans un article de l’hebdomadaire Action du 9 novembre 1945, l’homme de lettres et résistant Jean Dutourd dénonçait ce pillage organisé : « Les juifs étaient volés de deux façons. Ou le commissaire-gérant vendait à l’encan les biens qu’il était chargé d’administrer, ou bien l’on pillait les garde-meubles. » Et il ajoute : « Les Allemands ont emporté pour 500 milliards d’œuvres. Ils furent beaucoup aidés dans cette belle opération par des experts, des commissaires-priseurs et des marchands français. »

Mes chers collègues, comme le dit notre rapporteure, Béatrice Gosselin, dont je salue la qualité du travail, cette loi est la première qui restitue des œuvres conservées dans des collections publiques, mais acquises hors du cadre de la légalité républicaine. Elle porte aussi, comme le dit encore notre collègue, reconnaissance et réparation des « spoliations dont le régime de Vichy s’est rendu coupable ».

J’ajoute que le Parlement de la République française n’a jamais reconnu par la loi les exactions commises par le gouvernement du maréchal Pétain.

L’ordonnance prise le 21 avril 1945 a frappé de nullité tous ses actes, mais il a fallu attendre le discours du Président Jacques Chirac,…

Mme Nathalie Goulet. Remarquable discours !

M. Pierre Ouzoulias. … le 16 juillet 1995, pour que la France admette enfin sa responsabilité dans la déportation de 76 000 personnes, dont 11 000 enfants. Seul le Conseil d’État, par une décision du 16 février 2009, a donné à cette responsabilité une base juridique, tout en demandant à l’État de la reconnaître de façon solennelle.

Par une loi définitivement adoptée aujourd’hui même, la Nation a reconnu sa responsabilité pour l’indignité faite aux harkis et à leurs familles lors de leur accueil en France. Il est désormais du devoir de la Nation de reconnaître par la loi la culpabilité de la France pour la déportation et la spoliation des personnes de confession juive. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

Le Gouvernement souhaite proposer au Parlement une loi-cadre pour faciliter les futures restitutions. Cette reconnaissance législative doit en être le préalable absolu.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Ouzoulias. J’en termine, madame la présidente.

Quinze œuvres vont retrouver les familles auxquelles elles ont été arrachées par une violence d’État responsable du pire génocide de notre histoire.

Mme le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Ouzoulias. Pour la mémoire des victimes, j’aimerais terminer, madame la présidente.

Mme le président. Vos collègues prendront la suite et vous interviendrez sur l’article 2 !

M. Pierre Ouzoulias. Ces œuvres rappellent la faillite de la démocratie et le suicide de la République. N’oublions pas ! (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui porte sur la restitution d’un ensemble de biens culturels aux ayants droit de victimes de persécutions antisémites.

Je me réjouis que ces œuvres retournent à leur propriétaire légitime, les spoliations nazies étant intrinsèquement liées à la volonté de faire disparaître tout un peuple.

Je salue le travail colossal mené par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS, qui, depuis sa création en 2000, en a fait beaucoup.

Le retour des biens culturels n’est pas une question facile, reconnaissons-le, tant elle met en présence des enjeux multiples et souvent contradictoires. Ce n’est pas rien que d’ébranler le principe d’inaliénabilité des collections, mais c’est nécessaire afin d’établir un équilibre entre l’éthique et la protection des collections.

Le Sénat a toujours joué un rôle moteur dans la réflexion sur les modalités d’une gestion plus éthique de nos collections publiques : en 2002, avec la restitution par la France de la Vénus hottentote grâce à notre ancien collègue Nicolas About, mais aussi en 2010, avec la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande grâce à notre collègue Catherine Morin-Desailly.

M. Pierre-Antoine Levi. Le Sénat a également été à l’origine de la création d’une Commission scientifique nationale des collections destinée à encadrer les déclassements de biens appartenant aux collections et à définir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession.

Nous ne pouvons que regretter que celle-ci ait été supprimée, sur l’initiative du Gouvernement, par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « ASAP ». Cette commission était pourtant une instance plus que bienvenue.

Pour pallier cette absence, mes collègues Max Brisson, Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly ont déposé une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. Je me félicite que le Sénat l’ait adoptée en ce début d’année 2022.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Quel rapport ?

M. Pierre-Antoine Levi. Ce texte vise à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extraeuropéens. La mise en place de cette instance permettrait de répondre à deux objectifs.

En premier lieu, un tel conseil national contribuerait à préserver le principe d’inaliénabilité des collections en éclairant scientifiquement les décisions des pouvoirs publics, réduisant le risque que celles-ci ne soient le « fait du prince » et répondent exclusivement à des considérations diplomatiques ou à des revendications mémorielles ou communautaires.

Ainsi laisserait-on davantage de temps à la réflexion et faciliterait-on la conciliation des différents intérêts, y compris scientifiques et culturels, qui peuvent être associés aux demandes de restitution.

Ainsi limiterait-on, de surcroît, le risque que la position de notre pays à l’égard des restitutions ne fluctue au gré des alternances politiques.

La France serait dès lors en mesure d’engager une réflexion de fond en matière de gestion éthique des collections, au sein de laquelle les autorités nationales et le monde muséal joueraient une place centrale.

Cette proposition de loi comprend un second article, dont l’objet est de faciliter la restitution de certains restes humains conservés dans les collections publiques.

Nous continuerons de mener ce travail pour obtenir la meilleure méthode possible. En attendant, le groupe Union Centriste votera bien évidemment ce texte, et je tiens à féliciter notre rapporteure Béatrice Gosselin de son excellent travail. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa et M. Jacques Fernique applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, que le groupe du RDSE soutient à l’unanimité, nous place à la croisée de trois chemins : ceux de l’histoire, de la culture et du droit.

L’histoire, tout d’abord, avec la réparation, près de quatre-vingts ans après, de la spoliation de biens culturels appartenant à des victimes de persécution antisémite.

Il a fallu attendre plus de cinquante ans pour que le Président de la République Jacques Chirac reconnaisse, le 16 juillet 1995, la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs de France,…

M. Bernard Fialaire. … comme de tous les autres juifs, contrairement à ce que certains pourraient laisser entendre.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Bernard Fialaire. Les musées abritant dans leurs collections des œuvres inventoriées « Musées nationaux récupération » se sont mis tardivement à la recherche proactive des ayants droit.

C’est trop récemment également que la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations a pu s’autosaisir de spoliations de biens culturels.

En outre, ces restitutions dépassent le seul champ de l’objet matériel ; elles sont un enjeu essentiel de la reconnaissance de la Shoah, de la collaboration de l’État français et du nécessaire effort de réparation que nous devons aux ayants droit des trop nombreuses victimes de cette barbarie.

Ce projet de loi nous invite par ailleurs à la rencontre du domaine de la culture et à l’appréciation de ce que c’est qu’un bien culturel. Certains biens ont une valeur affective importante pour les familles. Ils sont des témoignages de leur passé, en tant qu’ils expriment le choix affectif ou esthétique qui avait été porté sur eux à l’époque.

Néanmoins, certaines œuvres sont aussi des objets d’un marché de l’art hautement spéculatif et marqué par une grande mobilité.

C’est l’occasion, donc, dans ce temps de réflexion sur une future loi-cadre, de revenir sur la valorisation d’œuvres qui suscitent une spéculation intrinsèquement liée à leur statut de valeur refuge en temps troubles ; quant à la fiscalité afférente, il faut en faire régulièrement l’examen pour en mesurer le bénéfice culturel ou pour constater au contraire que son seul effet relève de la niche fiscale ou du droit des successions.

L’article 2 de ce projet de loi nous conduit à nous interroger sur la valeur marchande du bien culturel, qui peut fluctuer au gré des situations économiques, mais qu’il convient de réparer lorsqu’un contexte délétère a été imposé par l’ignominie des prises de position de l’État français de Vichy.

Quant au troisième axe de réflexion qu’appelle l’examen de ce texte, il nous engage, nous, parlementaires, réunis pour écrire la loi : c’est le droit.

Dire le droit, c’est utiliser des mots, qui peuvent guérir, qui peuvent réparer, comme d’autres peuvent blesser, meurtrir. Dire et écrire la nécessaire réparation due à la mémoire des victimes de persécutions antisémites est un devoir qu’il nous revient de remplir par l’intermédiaire de ce projet de loi.

La funeste période du régime de Vichy fut ouverte par la défaite militaire, mais aussi par la faillite morale de ce qui fut alors la représentation nationale.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Bernard Fialaire. La repentance, en ce cas, n’est pas une réécriture de l’histoire en dehors de son contexte ; c’est la lucidité et le courage d’assumer ses fautes et de demander pardon.

Je voudrais à présent revenir sur la notion d’inaliénabilité des biens culturels de nos collections publiques. Si l’on comprend les préoccupations de ceux qui ont décidé d’une telle inaliénabilité pendant la Révolution française, je plaide, quant à moi, plutôt que pour l’inaliénabilité de la propriété de tels biens, pour un glissement vers l’inaliénabilité de leur dimension culturelle.

Allons plus loin : il faudrait réfléchir à une dimension universelle des biens culturels en vertu de laquelle ceux-ci pourraient être partagés au sein d’un patrimoine de l’humanité ; quid, dès lors, du nu-propriétaire et de l’usufruitier d’un tel patrimoine ?

Tel est bien le rôle de la culture : ouvrir le chemin de la réflexion sur l’universalité des biens culturels, dont certains ont leur place sur leur lieu d’origine, et d’autres dans des collections muséales. Et pourquoi ne pas rêver, plus loin encore, de l’universalité d’autres biens, comme certaines ressources naturelles indispensables à la vie de l’humanité ?

Ce projet de loi, dont je disais en introduction qu’il nous plaçait à la croisée des chemins, nous offre de belles perspectives pour penser plus loin. Bien au-delà des justes réparations qu’il engage, c’est peut-être aussi l’hommage que l’on doit aux victimes de la barbarie que de penser un monde meilleur, plus juste et plus fraternel. (Applaudissements.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où certains tentent de réhabiliter le régime de Vichy dans le débat public, c’est avec émotion que je m’exprime aujourd’hui sur ce texte de réparation, de mémoire et de vérité.

Je dédie cette très modeste intervention de discussion générale à ma grand-tante, Victoria Matalon, qui avait émigré de Smyrne vers Marseille dans les années 1920 et qui fut déportée à Auschwitz-Birkenau avec sa famille.

L’art fut l’un des piliers de la politique nazie. Moins d’une semaine après la prise de Paris, en juin 1940, des officiers allemands dressent la liste des œuvres, scellent les collections et pillent tableaux, sculptures et livres rares. Ne l’oublions pas, cette spoliation sera également organisée par le régime de Vichy, conformément à sa politique antisémite. Celle-ci atteint son paroxysme avec l’adoption de la loi du 22 juillet 1941, lorsqu’est ordonnée la confiscation de tous les biens juifs non encore bloqués.

Le travail de restitution effectué lors de la Libération fut considérable, certes, mais incomplet. La mission Mattéoli estime que, sur les 100 000 œuvres spoliées, 60 000 furent rapatriées et 40 000 rendues à leurs propriétaires. Environ 2 000 d’entre elles sont aujourd’hui présentes dans nos musées, sous le statut particulier de « MNR », qui facilite leur restitution.

Cependant, d’autres pièces, pour lesquelles la trace de la spoliation avait disparu au cours du temps, se trouvent dans les collections publiques de nos musées. Parce qu’elles sont protégées par l’article L. 451-5 du code du patrimoine, qui les qualifie d’« inaliénables », seule la voie législative peut acter un transfert de propriété de ces œuvres. C’est donc une partie tragique de notre histoire que nous réparerons en les déclassant pour les restituer.

Je ne doute pas que le travail de la mission consacrée à la recherche et à la restitution des biens culturels spoliés permettra la restitution de nombreuses œuvres dans un avenir proche. Il est indispensable d’octroyer des moyens supplémentaires à cette mission, pour lui permettre de développer son activité.

J’estime également qu’il est de notre devoir de travailler à l’établissement d’une loi-cadre, afin de faciliter ce processus de restitution démesurément dépendant d’un calendrier législatif souvent surchargé.

Je voterai donc pour ce texte, dont la portée historique met en lumière les stigmates de notre passé et la difficulté à corriger celui-ci, à une époque où, je le rappelle, notre société se retrouve menacée par des courants politiques révisionnistes et antisémites. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mmes Sabine Drexler et Nathalie Goulet applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Meurant. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous nous apprêtons à voter va dans le sens de l’histoire, et nous pouvons nous en féliciter. Nous permettons ainsi la réparation de terribles spoliations qu’ont vécues, souvent au prix de leurs vies, des familles juives sous l’occupation allemande.

Nous serons unanimes à reconnaître la volonté de toutes les institutions de « réparer », avec toute la mesure que ce mot implique, ce terrible chapitre de notre histoire.

Ma réflexion, dans le temps qui m’est imparti, porte sur le cas précis de l’œuvre de Maurice Utrillo intitulée Carrefour à Sannois, acquise et conservée depuis plus de vingt ans par Sannois, ville de mon département.

Cette œuvre, payée avec des fonds publics, fera l’objet d’une restitution – la ville s’y est déjà engagée dans une délibération prise en mai 2018 –, et ce dès que la loi sera applicable.

Cela dit, la commune et le département ont engagé en 2004 une somme considérable, plus de 100 000 euros, pour faire l’acquisition de ce tableau lors d’une vente aux enchères organisée par la célèbre maison Sotheby’s. Le projet de l’époque consistait à enrichir le fonds patrimonial du musée Utrillo-Valadon situé à Sannois, une ville que le célèbre peintre de Montmartre avait pris pour habitude de coucher sur la toile, car il y séjourna quelques années.

Dans cette affaire, la ville de Sannois a souhaité que Sotheby’s Londres reconnaisse sa responsabilité au titre d’expert et de professionnel de l’art. Des discussions ont été engagées, mais sont à ce jour restées vaines.

Sotheby’s justifie son refus de participer financièrement à la restitution du tableau d’Utrillo par le fait que l’accès aux informations transcrites dans les fichiers de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, l’organe chargé dès 1940 de la confiscation des biens appartenant aux juifs, n’était pas possible au moment de la présentation de la toile en vente publique à Londres en juin 2004.

Malgré plusieurs échanges en 2019 par l’intermédiaire d’une avocate spécialisée dans le domaine de la spoliation, Sotheby’s oppose à la ville une fin de non-recevoir et refuse toute négociation d’une indemnisation reconnaissant sa responsabilité morale dans la vente de l’œuvre spoliée, en se fondant sur le droit britannique. Les élus de la commune n’ont par conséquent pas souhaité intenter une action judiciaire, dont l’issue semblait incertaine et le coût trop important.

Alors que Sotheby’s France lance une grande action de recherche de l’origine des œuvres acquises par le Louvre entre 1933 et 1945, je m’interroge sur la responsabilité, en tant que professionnel de l’art, d’une maison internationale de vente aux enchères, experte dans la vente de tableaux.

Il semble inimaginable qu’une œuvre authentifiée, peinte au début du XXe siècle par un artiste dont la renommée était déjà faite avant-guerre, n’ait pas pu être suivie depuis sa conception jusqu’à la vente à la commune de Sannois, en 2004. L’origine de propriété aurait dû être assurée par Sotheby’s et, selon le cas, soit garantie, soit déclarée comme présentant un doute certain quant à la période de la guerre et d’après-guerre.

Madame la ministre, nous pensons que la commune de Sannois, à l’instar d’autres institutions ou particuliers, serait fondée à demander réparation et que la maison Sotheby’s, qui ne veut sûrement pas entacher sa réputation, devrait s’accorder avec les acquéreurs lésés et prendre ses responsabilités. Chacun doit contribuer, à sa mesure, à réparer les préjudices de la folie nazie.

Que comptez-vous faire dans le cas précis, au nom de l’État, pour aider la commune de Sannois dans sa demande, légitime, de réparation auprès de la société Sotheby’s ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Mme Nathalie Goulet monte à la tribune avec différents documents.)

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis fille et petite-fille de déportés. Mes grands-parents, qui étaient bouchers 22, rue des Jardins-Saint-Paul, à Paris, furent déchus de leur nationalité, spoliés, déportés et sont morts en déportation. Et Vichy ne les a pas protégés !

Je souhaite durant les quatre minutes qui me sont imparties vous livrer un témoignage, madame la ministre. J’ai en main un document (Mme Nathalie Goulet brandit un feuillet manuscrit jauni.) : la fiche de spoliation de ma grand-tante, qui vivait à Douai, dans le Nord, département cher à Patrick Kanner.

Ce document concerne la vente de son petit magasin de chapeaux, qui a eu lieu le 24 août 1942. C’était cependant peu de chose à côté de ce qui les attendait le 11 septembre 1942 : la grande rafle des juifs du Nord.

Dans un document du 25 juin 1942 (Mme Nathalie Goulet brandit un courrier tapuscrit dapparence ancienne.), le comptable explique que, n’ayant pas reçu d’instruction de la part de l’autorité allemande, il ne sait pas quoi faire de ces biens. Ce document original, ma mère, qui est aujourd’hui âgée de 93 ans, l’a toujours gardé.

La spoliation des œuvres d’art, c’est ceci. (Mme Nathalie Goulet exhibe un volume de mince épaisseur.)

La spoliation des juifs de France, c’est cela ! (Mme Nathalie Goulet pose la main sur trois épais volumes posés devant elle.)

Si je me permets cet effet d’estrade, madame la ministre, c’est pour dire combien ce texte est important, signifiant, et à quel point il renvoie à des événements douloureux. Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec le Bénin !

La spoliation, c’est aussi le renvoi de mon père du lycée Charlemagne, à l’âge de 10 ans…

Je salue le travail de la mission d’étude sur la spoliation des juifs de France, présidée par M. Jean Mattéoli, qui fut président des Charbonnages de France, et que nous avons bien connu à Douai, ainsi que le rapport d’information de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux, qui a été rappelé.

La spoliation a porté, outre sur des œuvres d’art, sur du linge de maison, sur les quelques biens de gens modestes, comme mes grands-parents, qui étaient de simples bouchers et ne possédaient pas grand-chose, mais qui ont tout de même été spoliés de tout, y compris de leur vie.

Par miracle, après la guerre, deux petits chandeliers ont été retrouvés. Comme dans la nouvelle Le Chandelier enterré de Stefan Zweig, ils sont désormais le bien le plus précieux de notre famille. C’est en pensant à eux que j’interviens à la tribune aujourd’hui.

Évidemment, cette loi est indispensable et bienvenue, comme dans l’affaire Altmann qui a inspiré le film La Femme au tableau, sur la restitution des tableaux de Klimt. Je salue, à cet égard, les représentants des familles qui assistent à notre débat depuis les tribunes.

Je veux toutefois consacrer mon temps de parole à toutes les autres personnes spoliées, celles dont on ne parle pas et que l’on a oubliées. Il ne faut pas réduire le sujet de la spoliation aux propriétaires d’œuvres d’art. Les 70 000 juifs de France étaient, dans leur majorité, des femmes et des hommes modestes – tailleurs, marchands ambulants, entre autres. Vous connaissez tous, comme moi, cette histoire douloureuse.

De la même façon que je possède des documents qui sont dans ma famille depuis 1942, je pense que d’autres personnes en France détiennent chez elles des documents analogues.

Madame la ministre, il faudrait que vous puissiez lancer un appel afin que ces documents originaux soient collectés et collationnés, en vue non pas d’une indemnisation, laquelle n’aurait pas beaucoup de sens, mais d’une reconnaissance. Il est important que ces documents soient exposés, par exemple dans un musée, et versés aux archives.

Il est par exemple important de savoir que le 29 août 1942, à l’hôtel des ventes de Douai, situé 7, rue du Gouvernement, a été enregistrée la spoliation, en date du 24 août 1942, de deux pieds de mannequin, pour une valeur de 250 francs de l’époque, d’une petite cuisine, pour 500 francs, qui appartenaient à ma grand-tante Léa Slomoniki.

Madame la ministre, aujourd’hui, vous n’êtes pas seulement la ministre de la culture : vous êtes aussi la ministre de la justice. De cela, vous devez être remerciée. (Applaudissements.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Article 2 et annexe 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

Par dérogation au principe d’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date de publication de la présente loi, le tableau de Gustav Klimt intitulé « Rosiers sous les arbres » et conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée d’Orsay, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an pour restituer cette œuvre aux ayants droit d’Eleonore Stiasny.

Annexe 1 à l’article 1er

Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 1980-195 – Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er prévoit de déroger au « principe d’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France » ; Bernard Fialaire y a fait référence. Ce projet de loi n’est donc pas anodin !

Alors qu’une loi vise le plus souvent à tenter d’améliorer une organisation sociale, à résoudre des problèmes, ce texte a une haute portée mémorielle, morale, civilisationnelle même.

Rappelons que le droit de propriété est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’article XVII, que vous connaissez tous : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé… »

Nous le savons tous, la folie nazie et la peste brune se sont nourries de la haine du juif, mais aussi de la jalousie que pouvait susciter cette communauté.

Une restitution, c’est une réparation, mais ce n’est pas une résurrection. Les familles des propriétaires spoliés, qui le furent souvent avant d’être déportés puis exterminés, sont évidemment très attachées à ce qui est mis en œuvre aujourd’hui. Il est certainement bien tard pour y procéder, mais, par ce texte, la République peut non seulement « apaiser » quelques fantômes, mais aussi et surtout rappeler ce que fut le cauchemar national-socialiste dans son totalitarisme diabolique, avec la complicité d’un gouvernement collaborationniste indigne.

Elie Wiesel a écrit que l’oubli était une seconde mort. N’oublions donc jamais jusqu’où l’homme a pu perdre l’âme, en Allemagne, en France, en Europe, de 1933 à 1945.

Comme l’a dit de façon très émouvante Nathalie Goulet, ce texte est un second pas, après celui qui a été franchi par Jacques Chirac en 1995.

M. Olivier Paccaud. Il reste bien d’autres pas à franchir pour que « justice » – les guillemets s’imposent – soit enfin rendue.

Mme le président. Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 1er et de l’annexe 1.

(Larticle 1er et lannexe 1 sont adoptés.)

Article 1er et annexe 1 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Article 3

Article 2

(Non modifié)

Par dérogation au principe d’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date de publication de la présente loi, douze œuvres provenant de la collection d’Armand Dorville conservées dans les collections nationales placées sous la garde du musée du Louvre, du musée d’Orsay et du musée national du château de Compiègne, dont la liste figure en annexe à la présente loi, cessent de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an pour remettre ces œuvres aux ayants droit d’Armand Dorville.

Annexe 2 à l’article 2

1. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29342 – Jean-Louis Forain, Jeune femme debout sur un balcon, contemplant des toits parisiens, aquarelle (vendu en 1942 sous le titre Femme à la terrasse fleurie) ;

2. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29334 – Constantin Guys, Jeune femme et sa duègne, aquarelle ;

3. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29335 – Constantin Guys, Présentation de visiteur, plume et lavis (vendu en 1942 sous le titre La présentation du visiteur) ;

4. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29336 – Constantin Guys, Cavaliers et amazones, plume et aquarelle ;

5. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29337 – Constantin Guys, La loge de lEmpereur, plume et aquarelle, (vendu en 1942 sous le titre La loge de lEmpereur pendant une représentation de Madame Viardot dans « Orphée ») ;

6. Numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29338 – Constantin Guys, Une revue aux Invalides, plume et aquarelle, (vendu en 1942 sous le titre Revue aux Invalides par lempereur Napoléon III) ;

7. Numéro d’inventaire du château de Compiègne : C 42.064 – Pierre-Jules Mène, Lamazone présumée être Sa Majesté limpératrice Eugénie, cire originale ;

8. Numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29339 – Henry Bonaventure Monnier, Portraits de Joseph Prudhomme et de Henry Monnier, aquarelle ;

9. Numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29340 – Henry Bonaventure Monnier, Les trois matrones, aquarelle ;

10. Numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29341 – Henry Bonaventure Monnier, Les visiteurs, aquarelle ;

11. Numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29341 bis – Henry Bonaventure Monnier, Une soirée chez Madame X, plume gouachée ;

12. Numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29333 – Camille Roqueplan, La diligence en danger, aquarelle.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission de recherche et de restitution de biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par M. David Zivie, dont je salue le travail ainsi que celui tout à fait exceptionnel de ses équipes (M. André Gattolin applaudit.), a de larges attributions. Celles-ci concernent les biens culturels spoliés au cours de cette période, notamment du fait des mesures antisémites, que ces biens aient été spoliés en France ou qu’ils se trouvent sur le territoire national.

Cette mission est chargée, comme son nom l’indique, de faire des recherches. Les dossiers sont ensuite instruits par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS), dont le périmètre de compétence est beaucoup plus restreint, puisqu’il recouvre les spoliations de biens culturels intervenues du fait de législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation, c’est-à-dire en France de 1940 à 1944.

Madame la ministre, il serait important de modifier le décret du 10 septembre 1999 portant création de la CIVS pour élargir ses compétences à l’intégralité du domaine de recherche de la mission dirigée par M. Zivie – ce serait logique. Cette mission a actualisé le travail accompli et entrepris une démarche politique d’extension de la notion de spoliation. Il faudrait donc revoir ce décret, afin de conférer de nouvelles attributions à la CIVS. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 2 vise non à restituer, mais à remettre aux ayants droit d’Armand Dorville douze œuvres achetées par l’État au cours d’une vente aux enchères organisée à Nice, en 1942, par sa famille pour disperser une partie de cette collection après son décès.

Cet article traduit donc une recommandation du 17 mai 2021 de la CIVS, laquelle a préconisé que les œuvres soient rendues aux ayants droit pour des motifs d’équité.

L’histoire de cette instance a été longuement rappelée. À la suite du discours de 1995 du Président Chirac, la CIVS a été créée en 1999, ce qui était l’une des recommandations de la mission Mattéoli. Le rapport d’information de 2013 de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux a, par ailleurs, été évoqué à juste titre.

Je souhaite également citer le rapport d’information de juin 2018 que j’ai rédigé au nom de la commission des finances du Sénat, intitulé La commission dindemnisation des victimes de spoliations antisémites : vingt ans après, redonner un élan à la politique de réparation.

Ce rapport d’information comporte une trentaine de recommandations, notamment la recommandation n° 13 : « replacer les restitutions au cœur de la réparation des spoliations d’objets d’art et de culture ». Cette recommandation s’inscrit aussi dans le cadre de la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », comme l’ont rappelé plusieurs orateurs.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure et de nos collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur ce sujet très sensible, qui s’inscrit véritablement dans une politique de mémoire. Nous savons que la tâche est immense et que le volet humain doit prévaloir.

Mme le président. Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 2 et de l’annexe 2.

(Larticle 2 et lannexe 2 sont adoptés.)

Article 2 et annexe 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Article 4

Article 3

(Non modifié)

Par dérogation au principe d’inaliénabilité des biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public inscrit à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, à compter de la date de publication de la présente loi, le tableau de Maurice Utrillo intitulé « Carrefour à Sannois » et conservé dans les collections de la commune de Sannois placées sous la garde du musée Utrillo-Valadon de Sannois, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an pour restituer cette œuvre aux ayants droit de Georges Bernheim.

Annexe 3 à l’article 3

Numéro d’inventaire du musée Utrillo-Valadon de Sannois : FUV/HT/1936/MU/A/2004/S-MUV – Maurice Utrillo, Carrefour à Sannois.

Mme le président. Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 3 et de l’annexe 3.

(Larticle 3 et lannexe 3 sont adoptés.)

Article 3
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

(Non modifié)

Par dérogation au principe d’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date de publication de la présente loi, le tableau de Marc Chagall intitulé « Le Père » et conservé dans les collections nationales placées sous la garde du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an pour restituer cette œuvre aux ayants droit de David Cender.

Annexe 4 à l’article 4

Numéro d’inventaire du musée national d’art moderne : AM 1988-55 – Marc Chagall, Le Père.

Mme le président. Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 4 et de l’annexe 4.

(Larticle 4 et lannexe 4 sont adoptés.)

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à reprendre la parole, car j’étais un peu émue à la tribune.

Madame la ministre, la France a la chance et le privilège de présider le Conseil de l’Union européenne. Il est extrêmement important que le travail accompli aujourd’hui par le Sénat soit diffusé dans l’ensemble des États membres et que nous menions ce combat à l’échelon européen, car nous sommes en avance sur ce sujet.

Il faut bien évidemment procéder à la restitution des œuvres d’art, mais vous aurez compris que mon propos ne se situait pas du tout sur ce registre.

Je le répète, aujourd’hui, vous n’êtes pas seulement ministre de la culture, vous êtes ministre de la justice !

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.

(Le projet de loi est adopté définitivement.) – (Applaudissements nourris.)

Mme le président. Je salue cette unanimité, qui suscite une grande émotion !

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. Je me réjouis que ce projet de loi soit adopté par la Haute Assemblée, comme il l’a été par l’Assemblée nationale. Il permettra aux ayants droit de retrouver les œuvres spoliées à leurs parents. C’est un geste important de réparation et de mémoire envers les victimes de la barbarie nazie.

Pour l’État français, pour le ministère de la culture, pour les musées nationaux et territoriaux, pour le peuple français tout entier, ce texte correspond à un moment important, à un temps de l’Histoire apaisée où s’accomplit l’œuvre de justice et d’humanité.

Je tiens à remercier Mme la ministre, Mme la présidente de séance, Mme Laure Darcos, qui a accepté de remplacer Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et tous mes collègues membres de cette commission, ainsi que toutes les personnes auditionnées : M. Zivie, les avocats représentant les familles des ayants droit, les conservateurs et personnels des musées. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Goulet. Et tous les autres !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
 

10

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 16 février 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (texte de la commission n° 425, 2021-2022) et conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte (texte de la commission n° 426, 2021-2022) ;

Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, visant à démocratiser le sport en France (texte n° 477, 2021-2022) ;

Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer le droit à l’avortement (texte n° 481, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)

 

nomination dun membre dune commission

Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Daphné Ract-Madoux est proclamée membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Olivier Léonhardt, décédé.

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mmes Catherine Di Folco, Marie Mercier, MM. François Bonhomme, Loïc Hervé, Hussein Bourgi, Jérôme Durain et Mme Nadège Havet ;

Suppléants : Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Brigitte Lherbier, Françoise Dumont, Dominique Vérien, Laurence Harribey, M. Henri Cabanel et Mme Cécile Cukierman.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER