Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.

1. Procès-verbal

2. Éloge funèbre de Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais

M. le président

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

3. Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

4. Bilan de la présidence française de l’Union européenne. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

6. Bilan de la présidence française de l’Union européenne. – Suite d’une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. Pierre Laurent

M. Claude Kern

Mme Véronique Guillotin

M. Didier Marie

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Claude Malhuret

M. Alain Cadec

M. Jacques Fernique

M. Jean-Yves Leconte

Mme Marta de Cidrac

M. Guillaume Chevrollier

Mme Catherine Colonna, ministre

Suspension et reprise de la séance

7. Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Discussion générale

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

Mme Françoise Gatel

M. Jean-Yves Roux

Mme Esther Benbassa

M. Jérôme Durain

M. Ludovic Haye

M. Franck Menonville

Mme Nadine Bellurot

M. Guy Benarroche

M. Pierre Ouzoulias

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Mme Marie Mercier

M. Pierre Ouzoulias

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée

Amendement n° 1 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 2 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 3 du Gouvernement. –Rejet.

Amendement n° 4 du Gouvernement. – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Mme Marie Mercier

M. Bruno Sido

M. Pierre Ouzoulias

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

8. Ordre du jour

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 6 juillet 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Éloge funèbre de Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais

M. le président. Madame la ministre de la transition énergétique, mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 7 décembre dernier, la disparition de notre collègue Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre de la transition énergétique, se lèvent.) Elle nous a quittés à l’âge de 66 ans, à l’issue d’une longue et cruelle maladie contre laquelle elle s’est battue avec un courage incroyable. Jusqu’au bout, elle a continué à s’intéresser aux travaux de notre assemblée ; je me souviens avoir encore échangé avec elle à ce sujet dans ses tout derniers jours.

J’étais présent à ses obsèques, à Fréthun. Ce fut une émouvante cérémonie d’adieu, à laquelle assistaient de nombreux élus et habitants de sa chère commune et du Pas-de-Calais.

Le don de soi et l’amour du prochain ont sans cesse guidé la vie de Catherine Fournier.

Née à Boulogne-sur-Mer, elle a grandi près de Calais, à Fréthun, commune dont son père, René Hochart, qui est présent ici et que je salue, fut longtemps maire. C’est sans doute dans cet environnement familial, au cours des premières années de sa vie, que se forgea sa vocation pour le service de l’intérêt général, sa passion pour l’engagement public et politique.

Après un diplôme universitaire de gestion des entreprises et des administrations, obtenu à Lille, Catherine Fournier y fit ses débuts professionnels, dans le secteur des assurances.

Dès 1988, à l’âge de 33 ans, elle était de retour à Fréthun, où elle fondait une entreprise gérant une résidence hôtelière sous forme pavillonnaire. Elle fut longtemps chef d’entreprise et illustra dans ces fonctions, déjà, l’engagement, en contribuant par exemple, à travers l’édification de motels, à loger des ouvriers et leur famille lors de la construction du tunnel sous la Manche.

Ce don de soi, Catherine Fournier en apporta le témoignage le plus éloquent dans l’exercice de ses différents mandats, singulièrement son mandat de maire.

En 1995, sept ans après son retour à Fréthun, elle eut la fierté de succéder à son père à la mairie.

Brillamment réélue à trois reprises par la suite, toujours avec de très beaux scores – 90 % des voix au premier tour en 2008 ! – elle allait rester maire pendant vingt-deux ans. Elle n’y renoncera qu’en 2017, après son élection au Sénat, pour se mettre en conformité avec la législation sur le cumul des mandats.

Pendant plus de deux décennies, elle mit toute son énergie et sa générosité au service des habitants de Fréthun. Elle œuvra avec beaucoup d’efficacité pour l’emploi et l’aménagement du territoire. Elle s’investit à fond dans le dossier de la gare internationale de Calais-Fréthun, point d’entrée du tunnel sous la Manche. Grâce à son action, la ville s’est métamorphosée, en se développant autour de cette gare TGV internationale et des installations d’Eurotunnel.

Profondément enracinée dans sa commune, Catherine Fournier l’était aussi dans son département et dans sa région. Élue conseillère générale du Pas-de-Calais de 2006 à 2008, puis conseillère régionale à partir de 2015, aux côtés de Xavier Bertrand, elle contribua au dynamisme économique de la région. Elle exerça en outre d’importantes responsabilités dans les intercommunalités : elle fut ainsi vice-présidente de la communauté de communes du sud-ouest du Calaisis, puis vice-présidente de l’agglomération du Grand Calais Terres et Mers.

Catherine Fournier ne fut pas seulement une élue locale exemplaire ; elle fut aussi une grande sénatrice.

Son entrée au Palais du Luxembourg, en septembre 2017, marquera sa vie politique. Après avoir sillonné le Pas-de-Calais au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, allant de mairie en mairie aux côtés de Jean-François Rapin et du regretté Philippe Rapeneau, elle a défendu avec passion, au sein de notre assemblée, sa commune, le Calaisis et son département du Pas-de-Calais.

Dès son arrivée, nous avons apprécié cette femme souriante et chaleureuse, dont les premières interventions dans l’hémicycle furent écoutées avec attention sur toutes les travées.

Elle adhéra au groupe Union Centriste et devint membre de la commission des affaires sociales. Particulièrement assidue aux réunions de commission, elle se plongea très rapidement dans les travaux législatifs et fut nommée, dès juin 2018, corapporteur de l’important projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, chargée du volet relatif à la formation professionnelle.

En octobre de la même année, elle devint présidente de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Elle exerça cette lourde responsabilité avec pragmatisme et engagement, menant à bien, dans des délais brefs, l’examen de ce texte-fleuve et quelque peu hétéroclite, qui a donné lieu à près de 360 auditions et débouché sur la loi dite « Pacte », riche de plus de 200 articles.

Par sa maîtrise des sujets, souvent techniques, et par son sens du dialogue, elle sut immédiatement susciter l’estime et le respect de ses collègues. J’ai le souvenir de ses interventions en conférence des présidents.

En 2020, elle participa à la commission spéciale sur le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

Elle s’impliqua également dans les travaux de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Avec deux de ses collègues membres de la commission des affaires sociales, Michel Forissier et Frédérique Puissat, elle fut l’auteur d’un rapport d’information, remarqué pour sa grande qualité, sur le droit social applicable aux travailleurs des plateformes. Elle y a formulé d’intéressantes propositions pour améliorer la protection sociale de ces travailleurs, qui se trouvent souvent dans des situations précaires.

Elle s’est aussi mobilisée sur le sujet de la pénurie de médicaments, l’un des effets de la crise sanitaire, plaidant alors pour une mutualisation européenne de l’industrie pharmaceutique.

En outre, elle s’est beaucoup investie au sein de la délégation aux entreprises.

À la suite du renouvellement de 2020, Catherine Fournier rejoignit la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, dont les présidents Sophie Primas et Jean-François Rapin peuvent témoigner de la finesse de ses analyses et de sa bonne connaissance des dossiers économiques et sociaux.

Lors des questions d’actualité au Gouvernement, elle s’illustrait par sa pugnacité, qu’il s’agisse de l’apprentissage, de l’impact de la pêche industrielle sur l’écosystème ou encore du Brexit.

Catherine Fournier a toujours eu à cœur de défendre son territoire. Elle s’est battue avec acharnement pour que soient conservés les arrêts de l’Eurostar à Fréthun, tout comme elle s’est battue pour les droits des pêcheurs français lors des négociations du Brexit.

Sa dernière intervention dans notre hémicycle, il y a un peu plus d’un an, fut pour défendre la mise en place d’un statut adapté à la spécificité de la liaison fixe transmanche, à l’instar de celui des ports et des aérodromes.

Catherine Fournier ne cédait rien. En cet instant, je repense à cette phrase du général de Gaulle : « Soyons fermes, purs et fidèles ; au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n’ont pas cédé. » Catherine Fournier n’a jamais cédé ; jusqu’au bout, toute sa vie elle aura conservé la même ténacité, la même droiture.

Passionnée non seulement par la vie publique et politique, mais aussi par les voyages ou la musique, c’était, de l’avis unanime de ceux qui l’ont connue, une femme compétente, courageuse et persévérante, ainsi que profondément bienveillante, généreuse et charismatique.

En cet instant, je la revois siégeant dans cet hémicycle, en face de moi : c’était une sénatrice chaleureuse, une élue de proximité, une véritable humaniste, dotée d’une profonde empathie envers les autres.

À ses anciens collègues des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et des affaires européennes, à ses amis du groupe Union Centriste, à vous, Hervé Marseille et Valérie Létard, qui m’avez accompagné au dernier rendez-vous que nous avons eu avec elle à l’église de Fréthun, j’exprime une fois encore notre sympathie attristée.

À son père, René, ancien maire de Fréthun, à son époux, Jean-Claude, à ses enfants Antoine et Anne, à sa sœur Michelle, à ses proches, ainsi qu’à toutes celles et à tous ceux qui l’ont accompagnée tout au long de sa vie et ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur deuil. Votre peine est aussi la nôtre. Nous avions noué des liens d’estime et d’amitié avec elle dès notre première rencontre.

Catherine Fournier restera présente dans nos mémoires.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient le triste honneur de rendre hommage à votre très regrettée collègue, Catherine Fournier, et je le fais sous sa photographie, où transparaît dans son regard bleuté sa force de caractère.

Catherine Fournier : ce nom porte en lui le vent du littoral et le bruit des embruns de cette mer du Nord qu’elle aimait tant. Car elle était du Pas-de-Calais, autant de naissance que de cœur, et fière de cet héritage.

Elle est née en 1955 à Boulogne-sur-Mer, citadelle ouverte sur le monde, port de pêche et d’échanges de ce détroit du Pas-de-Calais. Puis, elle a grandi non loin de là, dans sa commune rurale de Fréthun, une commune qu’elle ne quittera jamais, ou du moins pas longtemps, notamment pour ses études, qu’elle a effectuées à Lille afin d’obtenir un diplôme universitaire de technologie (DUT) en finances et comptabilité.

Son diplôme en poche, elle est vite revenue à Fréthun, au cœur de ce territoire du Calaisis qu’elle aimait tant, et elle a décidé d’y lancer son entreprise de tourisme, qu’elle a gérée jusqu’en 2004, année durant laquelle elle a rejoint une société d’export.

En tant que chef d’entreprise, elle a beaucoup contribué au développement économique de ce territoire, notamment en travaillant en lien avec le Royaume-Uni.

Toutefois, la vie de Catherine Fournier, vous le savez tous sur ces travées, c’était aussi – peut-être même surtout – la politique, au service de son territoire, au service des habitants de sa commune, de son département et de sa région. Car elle était également du Pas-de-Calais de cœur et d’engagement.

À 40 ans, en 1995, comme une évidence, elle a repris le flambeau de son père René Hochart, celui de la mairie et de ses 1 300 habitants.

Réélue à trois reprises pendant vingt-deux ans, Catherine Fournier a été une maire exemplaire. Elle a fait naître une nouvelle école, un stade de football, un complexe sportif et de nouveaux logements.

Elle s’est engagée dans le dossier difficile de la gare internationale de Calais-Fréthun, l’un des combats les plus marquants de sa vie. Dorénavant, Bruxelles n’est plus qu’à une heure de Calais, Paris à une heure trente et Londres, pour les véhicules, à trente-cinq minutes. Ce succès doit beaucoup à sa ténacité et à son engagement constant pour le projet d’Eurotunnel.

Cet engagement pour son territoire, Catherine Fournier l’a poursuivi au sein du conseil régional des Hauts-de-France. En tant que membre de la commission « Au travail », qui portait bien son nom, elle n’a eu de cesse de défendre ses convictions, notamment en faveur de la réindustrialisation et de l’emploi.

Ses derniers combats politiques, elle les a menés ici, au Palais du Luxembourg, où elle a été élue lors du renouvellement de 2017. En tant que sénatrice et membre du groupe Union Centriste, au sein des commissions des affaires sociales, des affaires européennes, des affaires économiques et, enfin, de la délégation aux entreprises, jusqu’au bout elle s’est saisie des sujets qui lui tenaient à cœur.

Tout d’abord, notre modèle économique et de nos entreprises, avec la commission spéciale sur la loi Pacte, où sa rigueur, sa droiture et aussi sa bienveillance en ont fait une présidente aimée et respectée de tous. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai fait sa connaissance, appréciant aussitôt sa manière de conduire les débats.

Ensuite, les travailleurs des plateformes, au travers d’un rapport exigeant et complet sur le droit social qui leur est applicable.

Enfin et toujours, les sujets qui touchent à son territoire, la problématique du Brexit et du risque d’un no deal pour les pêcheurs de la côte d’Opale, par exemple ; ou bien encore la fermeture de l’usine Bridgestone de Béthune, dossier sur lequel nous avons également travaillé ensemble, ce qui m’a permis de mesurer la sincérité de ses engagements et sa très grande humanité.

Avec son concours, nous avions mis en place le tout premier dispositif Choc industriel, qui a permis le reclassement de la grande majorité des salariés, ainsi que le développement de plusieurs projets porteurs d’un nouvel élan industriel pour le territoire.

Catherine Fournier incarnait la belle politique, celle des convictions et des combats pour les autres. Toujours au contact de la réalité du terrain, jamais dans la posture, donnant une vocation universelle au très local, précise, technique, mais aussi audible, à l’écoute et accessible, elle portait en elle l’âme du Pas-de-Calais, l’âme de ce territoire dans toutes ses composantes, de la côte au bassin minier en passant par le Ternois et l’Audomarois, un territoire qui aura forgé autant son caractère que ses convictions.

Catherine Fournier était une femme que l’on n’oubliera pas. Elle était attachante, humaine et franche : sa forte personnalité nous aura collectivement marqués. Sur toutes les travées, on a vanté sa capacité d’écoute, mais aussi sa fermeté et sa volonté de faire avancer les choses en travaillant avec tous les élus de bonne volonté.

C’est avec ce même courage, cette même force qui a caractérisé sa carrière qu’elle a affronté la longue maladie – vous l’avez dit, monsieur le président – qui a fini par l’emporter.

Au nom du Gouvernement, avec beaucoup de tristesse et en associant plus particulièrement ceux de mes collègues qui la connaissaient de longue date, comme Olivia Grégoire, Gérald Darmanin et Bruno Lemaire, je tiens à adresser mes plus sincères condoléances, en l’assurant de ma solidarité dans l’épreuve, à son époux, qui avait cessé son activité pour l’accompagner jusqu’au bout ; à ses enfants, qu’elle aimait par-dessus tout ; à sa famille ; à tous ses proches et aux habitants du Pas-de-Calais et de Fréthun, pour qui elle s’est tant battue ; à vous enfin, ses collègues de l’Union Centriste et plus largement de toutes les tendances politiques, avec lesquels elle aimait tant débattre et échanger.

Souvenons-nous de son sourire solaire. Souvenons-nous de ses valeurs. Souvenons-nous de ses combats.

M. le président. Je vous invite à partager un moment de recueillement à la mémoire de Catherine Fournier. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, observent une minute de silence.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. Mes chers collègues, par courrier en date du lundi 11 juillet, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, demande que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut de leurs forces, inscrit à l’ordre du jour du mardi 19 juillet à quinze heures quinze, soit examiné selon la procédure normale et non la procédure simplifiée.

Acte est donné de cette demande.

Dans la discussion générale, nous pourrions attribuer un temps de parole de quarante-cinq minutes aux orateurs des groupes.

Le délai limite pour les inscriptions de parole serait fixé au lundi 18 juillet à quinze heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Bilan de la présidence française de l’Union européenne

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne.

La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à laquelle je souhaite la bienvenue au Sénat.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République et la Première ministre m’ont fait un immense honneur en m’accordant leur confiance.

Alors que je m’exprime pour la première fois devant vous dans cet hémicycle, je tiens à vous assurer, et je parle également au nom de Mme la secrétaire d’État Laurence Boone, que je mesure pleinement la responsabilité qui est la mienne.

Je tiens aussi à vous assurer que je souhaite associer pleinement les parlementaires à l’action de mon ministère, en les informant régulièrement de nos travaux, en débattant avec eux, comme nous le faisons aujourd’hui, en leur rendant compte de nos résultats et de l’action de la diplomatie que je conduis sous l’autorité du Président de la République et de la Première ministre.

Je n’aurai dans mon action qu’un seul impératif et qu’une seule boussole : agir au service des Français. En effet, alors que les désordres du monde et les crises à répétition ne cessent d’affecter davantage leur quotidien, je veux défendre une politique étrangère qui contribue à apporter des réponses à leurs préoccupations.

Voilà l’esprit dans lequel j’entends travailler en tant que ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je tenais à vous le dire clairement d’emblée, avant de dresser, avec vous, le bilan de six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE).

Je me réjouis vraiment de ce débat, parce que, pour moi, parler d’Europe, c’est parler de notre souveraineté, de nos valeurs, de notre avenir et de notre capacité à garder, en tant que Français et en tant qu’Européens, notre destin en main ou, pour le dire autrement, à rester les auteurs de notre histoire collective, que personne d’autre ne doit écrire à notre place.

Nommée ministre au terme d’un parcours qui m’a menée, entre autres, de Rome, où fut signé le traité fondateur du 25 mars 1957, à Londres, capitale d’un pays qui a fait le choix de quitter l’Union européenne – c’est une décision que nous devons respecter, même si nous la regrettons –, je sais l’importance capitale pour l’avenir de nos nations et de nos peuples que revêt ce projet politique majeur, j’y insiste, qu’est l’Europe.

Dans ce contexte, je suis particulièrement fière de pouvoir affirmer que les résultats de ce semestre français à la tête de l’Europe sont historiques. Ils le sont par leur portée, mais aussi en raison des circonstances inédites dans lesquelles s’est déroulée cette présidence. Je pense bien sûr à la guerre que la Russie a déclenchée en Ukraine, au mépris de la souveraineté de ce pays, du droit international, de ses propres engagements et de la sécurité de notre continent.

Le 24 février dernier, le choix funeste de l’agression a signé le retour de la guerre sur notre continent, ce qui a bien sûr profondément marqué notre présidence. Nous avons cependant su y répondre collectivement en tant qu’Européens – il était de la responsabilité de la France d’y parvenir en tant qu’État présidant alors l’Union européenne –, sans pour autant, je vais y revenir, perdre le cap de ce que nous avions décidé d’accomplir, à savoir réaliser l’agenda ambitieux que nous nous étions fixé en amont de ces événements.

Ainsi, je crois pouvoir dire que l’Europe de juillet 2022 n’est plus celle de décembre 2021. Elle est plus forte, plus souveraine et plus unie. C’est bien sûr le fruit des travaux de fond que nous avons menés. C’est également la conséquence des urgences que nous avons eues à gérer.

Le premier volet de notre action sur lequel je veux insister concerne la réponse immédiate à la guerre que Vladimir Poutine a pris la responsabilité de déclencher le 24 février dernier, aux portes de l’Union.

L’Europe n’était sans doute pas préparée à affronter une mise en cause aussi brutale de l’ordre international et de ses propres intérêts stratégiques. Pourtant, elle a su réagir avec force et unité à une crise qu’elle a tenté de désamorcer par tous les moyens.

C’est l’honneur de notre pays que d’avoir mobilisé ses partenaires européens et internationaux pour y faire face. Nous l’avons fait à titre national, en prenant toutes nos responsabilités pour soutenir l’Ukraine dans une guerre qu’elle doit gagner. Il y va de son avenir, mais aussi du nôtre : c’est une nécessité pour que l’Europe retrouve la paix et que les principes sur lesquels nous avons bâti notre sécurité collective depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale soient respectés.

Nous l’avons également fait en tant qu’État assurant la présidence de l’Union. Sur l’initiative de la France, l’Europe s’est en effet mise à la hauteur des enjeux. En trois mois, elle a pris à l’encontre de la Russie une série de sanctions sans précédent, au service d’un objectif clair : faire comprendre à la Russie qu’elle a choisi une impasse et asphyxier le financement de son effort de guerre.

On a souvent coutume de reprocher à l’Union européenne sa lenteur ou son manque de réactivité. Or, en moins de quarante-huit heures, le premier paquet de sanctions était adopté à l’unanimité des Vingt-Sept. Et notre main n’a jamais tremblé par la suite, ce qui a permis d’adopter tous les autres « paquets » de sanctions, qu’elles soient individuelles, financières ou commerciales.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes aujourd’hui au sixième paquet de sanctions et nous maintiendrons, voire renforcerons, la pression autant que nécessaire.

Parce qu’il le fallait, les Européens ont aussi brisé ce qui était jusqu’ici un tabou majeur en Europe, en décidant de financer les armements, y compris létaux, dont l’Ukraine a besoin pour se défendre. Là encore, il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’une telle décision soit prise : dès le dimanche 27 février, par une activation de la facilité européenne de paix, mécanisme qui permet de dégager des ressources à cette fin, le message de l’Europe était très clair : le temps de l’innocence stratégique est révolu. L’Europe est prête à faire face et sait le faire.

Les pays européens ont également été au rendez-vous de la solidarité et de la fraternité, en accueillant les millions d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens chassés par le conflit, auxquels a été accordée l’autorisation de se mettre à l’abri dans un pays de l’Union et de bénéficier de droits très concrets, comme le droit au logement, au travail, à la scolarisation des enfants et aux prestations de santé.

Pour ce faire, nous avons recouru pour la première fois à une directive de 2001 permettant d’accorder à ces personnes déplacées et à ces réfugiés ce que l’on appelle « la protection temporaire ».

Nous avons par ailleurs mis en place un très vaste pont logistique pour apporter à l’Ukraine l’aide humanitaire dont elle a besoin. Nous avons également soutenu la Moldavie voisine, directement touchée par les répercussions du conflit.

Nous avons enfin doté l’Union européenne des moyens de collecter des preuves sur les exactions et les crimes commis par l’armée russe en Ukraine, en renforçant le mandat d’Eurojust, l’agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale, parce qu’il ne saurait y avoir d’impunité en ce qui concerne les crimes de guerre. Ce travail indispensable est venu compléter l’engagement des États qui, comme le nôtre, ont soutenu et soutiennent encore le travail des autorités judiciaires ukrainiennes et de la Cour pénale internationale.

La réalité, c’est que ces circonstances inédites et tragiques ont confirmé à la fois la pertinence et l’urgence de l’agenda de souveraineté, auquel le Président de la République avait donné l’impulsion dès 2017, depuis l’amphithéâtre de la Sorbonne, et qui a constitué le fil d’Ariane de toute notre présidence.

Le deuxième volet de la présidence française de l’Union européenne a consisté à tâcher de tirer toutes les conséquences de la guerre en Ukraine pour continuer à renforcer notre souveraineté. Notre action a ainsi contribué à consolider l’indépendance, la sécurité et la stabilité de l’Europe.

Je voudrais dire quelques mots à ce sujet. Au sommet de Versailles, en mars dernier, l’Europe a affirmé sa volonté de rester maîtresse de son destin, c’est-à-dire pleinement libre de ses choix.

L’Union européenne veut rester libre de ses choix énergétiques. C’est l’ambition qui sous-tend la décision prise par les chefs d’État ou de gouvernement européens de sortir rapidement de notre dépendance au pétrole, mais aussi, car il le faudra également, au gaz russe. La France a pour sa part toujours considéré – il est inutile d’y insister – que son indépendance énergétique était indispensable pour garantir sa souveraineté et ne peut que se féliciter des choix qu’elle a réalisés par le passé.

Elle veut aussi rester libre de ses choix économiques. La politique industrielle européenne ne se réduit plus aujourd’hui au droit de la concurrence. Avec des programmes paneuropéens dans le domaine de la santé, de l’hydrogène ou encore des semi-conducteurs, nous bâtissons notre indépendance dans des domaines cruciaux pour notre avenir.

Du fait de crises qui, parfois, nous bousculent, soulignent nos vulnérabilités, et, de ce fait, nous poussent à réagir, la prise de conscience progresse jour après jour.

L’Europe ne peut pas être un grand marché de consommateurs qui achèteraient des produits fabriqués ailleurs. Si l’on veut être indépendant, il faut aussi être capable de produire soi-même, en particulier dans les secteurs critiques, mais pas seulement : chacun se souvient des difficultés qui étaient les nôtres à nous procurer ne serait-ce que des masques ou du gel hydroalcoolique au début de la pandémie de la covid-19.

Au sommet de Versailles, toujours au mois de mars dernier, l’Europe s’est mise à parler le langage de la puissance. C’est la condition de notre sécurité collective.

En effet, nous avons décidé de remédier au sous-investissement des Européens dans leurs capacités collectives et individuelles de défense et de nous doter d’une boussole stratégique, véritable « Livre blanc de la sécurité et de la défense européenne » pour les dix ans à venir. Celle-ci, adoptée par le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers, fixe des objectifs très concrets, de sorte que l’Union européenne puisse conduire plus facilement des opérations plus efficaces, améliore sa résilience, investisse davantage dans sa défense et renforce encore sa coopération avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Par ailleurs, au Conseil européen des 23 et 24 juin derniers, l’Union s’est affirmée comme une puissance de stabilité sur le continent. Il faut mesurer le caractère véritablement historique de la décision prise à l’unanimité par le Conseil européen d’octroyer à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l’Union européenne.

Pour aboutir à cette décision du Conseil européen, le Président de la République, le Chancelier allemand Scholz, le président du Conseil italien Draghi et le président roumain Iohannis se sont déplacés à Kiev, le 16 juin, à la veille de l’avis que devait rendre la Commission sur les demandes de ces pays. Ce déplacement a certainement contribué à forger un consensus.

L’Union européenne a fait le choix d’envoyer à l’Ukraine un message de solidarité vital pour elle, comme elle l’a fait pour la Moldavie, dont on sait qu’elle est fragile et exposée. Il était aussi dans notre intérêt stratégique d’agir ainsi – je veux le souligner devant vous –, car il n’y a plus de demi-mesure possible, dès lors que la Russie a décidé de se couper des principes du droit international et de s’isoler.

Pour autant, nous le savons tous : une fois ce statut de candidat reconnu, la perspective d’adhésion ne répond pas, à elle seule, au défi d’accueillir l’Ukraine et la Moldavie dans la famille européenne. Ni ces pays ni les nôtres ne peuvent attendre s’ils veulent renforcer une cohésion plus nécessaire que jamais.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République a proposé de créer une Communauté politique européenne.

Au sein de ce forum, qui ne se substituera pas aux organisations existantes que sont l’OTAN, le Conseil de l’Europe ou encore l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), nous pourrons non seulement développer des coopérations concrètes dans de nombreux domaines avec les pays candidats, mais aussi approfondir les discussions en matière de sécurité entre tous les pays européens qui partagent une même géographie et les mêmes valeurs.

L’organisation d’une première réunion des chefs d’État ou de gouvernement par la présidence tchèque, en octobre prochain, donnera le coup d’envoi de cette nouvelle communauté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons bien sûr mis en œuvre cet agenda de souveraineté dans le cadre du programme législatif ambitieux que nous nous étions fixé à l’origine et que nous avons mené à bien dans tous les domaines. C’est le troisième volet de notre présidence.

La tentation aurait pu être grande de considérer qu’à partir du 24 février il n’y avait plus, pour les Européens, qu’un seul sujet : la guerre en Ukraine, ses conséquences et la manière d’y répondre. Nous avons au contraire estimé que cette guerre au cœur de l’Europe ne faisait que valider notre priorité : faire en sorte que l’Europe soit plus souveraine, plus unie et plus proche de ses citoyens.

Aussi, malgré la guerre, nous avons accéléré nos efforts.

Tout d’abord, nous avons agi dans le domaine de la transition écologique, qui est pour nous tous un impératif stratégique. L’accord obtenu entre les États membres au Conseil environnement du 28 juin, presque au terme de notre présidence, sur le paquet Climat – Fit for 55, comme on l’appelle souvent à Bruxelles –, est une avancée majeure, qui doit nous permettre, au sein de l’Union européenne, de réduire de 55 % – telle est en effet notre ambition – d’ici à 2030 nos émissions de CO2 par rapport à 1990.

Cet accord confirme que l’Europe entend continuer à être sur la scène internationale à l’avant-garde du combat pour répondre à l’urgence climatique. Car tout est lié : la transition écologique, qui contribue à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des énergies fossiles, est également indispensable pour que notre continent gagne en souveraineté énergétique.

Cet agenda écologique se traduira par des bénéfices concrets pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne. Je pense, par exemple, à la mise en place de chargeurs uniques à compter de 2024 pour tous les smartphones, ordinateurs portables et autres objets connectés.

Cette mesure n’est pas anecdotique, parce que le fait d’utiliser un même chargeur pour tous les appareils certes facilitera notre vie quotidienne, mais aussi permettra d’éviter des milliers de tonnes de déchets électroniques chaque année – 11 000 tonnes selon les ONG.

Enfin, les États membres ont trouvé un accord en vue de mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, pour que nos efforts écologiques ne viennent pas donner un avantage concurrentiel à ceux qui n’en font pas. (Mme Sophie Primas sexclame.) C’est désormais au Parlement européen de se prononcer.

Je précise que l’enjeu est également environnemental, car ce mécanisme est l’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les fuites de carbone. En effet, dès lors que ce mécanisme empêchera toute forme de concurrence déloyale, une entreprise européenne n’aura plus aucune raison de se délocaliser à l’extérieur de l’Union, ce qui sera bénéfique pour nos économies, nos emplois et le climat. Il s’agit donc d’un pas extrêmement important.

La souveraineté de l’Europe s’est aussi affirmée dans le domaine social.

Jusqu’ici, on parlait beaucoup de l’Europe sociale. Il m’est d’ailleurs arrivé de l’évoquer dans d’autres circonstances et en d’autres temps. Désormais, elle prend corps, en pleine cohérence avec le modèle que la France a toujours défendu.

Chaque travailleur européen disposera, grâce à la directive créant un cadre commun sur le salaire minimum, d’un revenu minimal adéquat. C’est une avancée majeure, une véritable conquête sociale à l’échelon européen. Le socle européen des droits sociaux que nous appelions de nos vœux, qui n’était qu’une promesse, commence à prendre forme.

Je suis également fière que notre pays ait fait adopter, après dix ans de blocage, une directive fixant un objectif clair aux entreprises, celui d’attribuer au moins 40 % des sièges à des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises en Europe d’ici à 2026, soit une échéance très proche. Il s’agit d’une avancée considérable pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dont le Président de la République a fait pour son second mandat, comme pour le premier, une priorité.

Je voudrais aussi rappeler la proposition formulée le 19 janvier dernier par le Président de la République, qui vise à inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Comme vous le savez, le Parlement européen l’a reprise à son compte. À l’heure où ce droit fondamental est remis en cause dans une démocratie aussi importante que les États-Unis, l’Europe doit d’autant plus porter ce combat pour elle-même et au-delà de ses frontières.

Nous avons également fait deux pas de géant pour mieux réguler le numérique. Je veux parler de l’adoption des deux textes clés que sont le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

Ces textes auront un impact majeur sur nos vies et celles des générations futures. Il s’agit aussi bien d’empêcher les comportements monopolistiques des grandes plateformes et de mettre fin aux abus de position dominante, qui étaient patents, que de contraindre ces acteurs à la responsabilité et à la transparence quant à la suppression des contenus illicites sur les réseaux sociaux. Ce qui n’est pas permis hors ligne ne l’est pas non plus en ligne !

En effet, là était peut-être la première menace pour nos démocraties : des réseaux sociaux livrés à la loi de la jungle et, avec eux, la remise en cause de la validité de la parole publique et d’un débat éclairé entre représentants et citoyens.

Notre objectif est de faire en sorte que ces textes européens deviennent des références mondiales. En effet, ma conviction est que l’Europe, en se donnant des règles pour elle-même, est de fait en train de contribuer à l’élaboration d’un véritable ordre public international du numérique.

On le voit déjà depuis plusieurs années avec le fameux règlement général sur la protection des données (RGPD), qui est repris aujourd’hui par de nombreux pays tiers. Je ne doute pas qu’il en ira de même avec ces deux autres textes majeurs que nous venons d’adopter au cours de la présidence française de l’Union européenne, car ils répondent à des besoins fondamentaux.

Nous avons aussi renforcé la souveraineté de l’Europe en faisant définitivement surmonter à l’Europe commerciale sa naïveté. Parce qu’elle considérait souvent le commerce du seul point de vue économique, l’Europe a trop longtemps été prête à accepter des règles du jeu asymétriques. Le choix de l’ouverture, qui était le sien depuis toujours, devenait de plus en plus synonyme de naïveté aux yeux de nombre de nos concitoyens.

Ce n’est plus le cas et, pour le prouver, je voudrais citer trois exemples.

Tout d’abord, nous avons mis en place un instrument permettant une meilleure réciprocité en matière d’accès aux marchés publics. Les entreprises chinoises, par exemple, ne pourront venir répondre à des appels d’offres en Europe que si nos entreprises sont autorisées à en faire de même en Chine. C’est un progrès majeur, en vue duquel nous nous battions depuis longtemps. Je me souviens qu’il y a quinze ans – j’occupais alors d’autres fonctions, mais qui étaient tout de même en lien avec l’Europe –, il s’agissait déjà du combat que menait le gouvernement de notre pays.

De la même manière, les États tiers subventionnant à outrance leurs entreprises – on peut là encore penser à la Chine, mais il existe d’autres exemples –, venant ainsi fausser la concurrence au sein de notre marché intérieur, seront sanctionnés par la Commission européenne, grâce à l’accord trouvé au Conseil, le dernier jour de notre présidence, sur l’instrument de lutte contre les subventions étrangères.

Nous avons enfin contribué à la promotion de règles plus protectrices pour la santé des consommateurs, via des mesures « miroirs », qui nous permettent d’imposer aux produits importés les mêmes règles que celles que nous appliquons pour les productions au sein de l’Union.

Ce sont là des exemples qui, je le crois, parlent très concrètement à nos concitoyens, à nos entrepreneurs et aux salariés de notre pays.

La vérité – pour la mettre au jour, j’ai fait référence par deux fois à mon expérience passée –, c’est que cela faisait longtemps que la France portait ces questions au niveau européen. Elle n’a pas toujours été entendue, certains de nos partenaires ne voyant dans notre plaidoyer, chacun s’en souvient, qu’une forme de protectionnisme. Aujourd’hui, les temps ont changé. Nous avons saisi l’occasion que nous offrait la présidence française de l’Union européenne pour parvenir aux objectifs que nous nous étions fixés dans chacun de ces domaines.

Les résultats sont là : l’Europe est désormais beaucoup mieux armée pour protéger efficacement ses intérêts et ses emplois. (MM. Laurent Duplomb et Vincent Segouin le contestent.)

Affirmer notre souveraineté, nous l’avons fait également en renforçant l’espace Schengen et en débloquant les discussions sur le pacte sur la migration et l’asile, qui sont des sujets majeurs.

Mme Catherine Colonna, ministre. Nous avons consolidé l’espace Schengen, tout d’abord en réaffirmant son pilotage politique par la création d’un conseil des ministres Schengen qui se réunira régulièrement, puis en revoyant les règles qui régissent la gestion des frontières internes et externes de l’Union.

Chacun le sait, aucune réponse nationale n’est suffisante pour faire face au défi migratoire ; la réponse est forcément aussi européenne, dès lors que nous partageons un même espace de libre circulation pour nos citoyens.

Au sein de l’Union européenne, la seule réponse efficace est celle de la responsabilité renforcée des pays de première entrée, qui doit, bien sûr, aller de pair avec la solidarité des autres États membres.

Vis-à-vis des pays tiers, singulièrement des pays d’origine, il faut privilégier une approche équilibrée : poursuivre nos efforts en matière de développement. En effet, on le sait bien, c’est l’absence de perspectives économiques à laquelle font face les habitants des pays les moins développés qui constitue l’une des principales causes des migrations, en poussant ces derniers à entreprendre leur voyage.

Cette politique n’exclut nullement la fermeté dont il faut savoir faire preuve, par exemple lorsque certains pays tiers refusent de réadmettre sur leur territoire certains de leurs ressortissants entrés illégalement en Europe et n’ayant pas, selon notre droit, vocation à l’asile.

C’est cette logique fondée sur le respect de ces équilibres indispensables qui nous a permis de réaliser, en juin dernier, d’importantes avancées, en particulier pour mettre en œuvre un contrôle renforcé des migrants à leur arrivée sur le territoire européen.

Enfin, la présidence française de l’Union européenne a contribué à alimenter les travaux de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Nous avons invité les citoyens à écrire le prochain chapitre de notre Union dans le cadre d’un exercice participatif inédit.

Les membres du Gouvernement sont allés à la rencontre des Françaises et des Français dans toutes les régions entre mai 2021 et mai 2022 pour recueillir leurs propositions. Ces dernières ont été présentées le 9 mai dernier – le Président de la République les a évoqués – et doivent désormais trouver une traduction concrète. Il s’agit de l’une des priorités de la présidence tchèque, qui prend le relais de la nôtre, à laquelle la France prendra naturellement toute sa part.

Enfin, quatrième et dernier volet de notre présidence, il nous faut aujourd’hui créer les conditions de notre indépendance et de notre prospérité avec nos partenaires à l’extérieur de l’Europe. C’est une évidence : une part de notre avenir se joue dans notre capacité à renforcer nos partenariats avec les grandes régions d’un monde marqué par des interdépendances et plus que jamais globalisé.

Je pense en premier lieu à l’Afrique, continent que nous avons mis au cœur de notre présidence avec le sommet Union européenne-Union africaine des 17 et 18 février dernier. Nous y avons lancé un projet de refondation du partenariat entre l’Europe et l’Afrique, centré sur les questions économiques, mais aussi sur la formation et de la jeunesse. Nous continuerons bien sûr à nous impliquer sur ce dossier, afin d’en assurer la mise en œuvre – la Première ministre l’a elle-même mentionné lors de son discours de politique générale.

Je pense également à l’Indopacifique, région où la France est présente, région vitale pour nos exportations et nos approvisionnements, mais région qui fait face à la pression croissante de la Chine. C’est une nécessité absolue pour notre pays que de s’y investir, non seulement pour préserver son statut de puissance et nation du Pacifique, grâce à la force de ses territoires ultramarins, mais aussi pour garantir les grands équilibres du monde.

C’est pourquoi nous avons organisé à Paris, le 22 février dernier, le tout premier forum ministériel Union européenne-Indopacifique, qui a permis d’avancer de manière très concrète dans trois domaines : la sécurité et la défense, la connectivité et le numérique, enfin les enjeux globaux. Je me félicite que l’Union européenne ait adopté une stratégie ambitieuse pour cette région clé, dans laquelle une partie de notre avenir se joue. Là encore, la présidence tchèque prendra le relais de l’action que nous avons engagée.

Je pense également, bien sûr, au partenariat transatlantique. Nous savons qu’aucun des grands défis, qu’ils soient numériques – j’en ai beaucoup parlé –, écologiques, commerciaux ou internationaux ne pourra être réglé sans une coopération étroite entre l’Europe et les États-Unis. Ces derniers mesurent aujourd’hui, je crois, combien l’Union européenne peut également être utile aux équilibres du monde.

À cet égard, je me félicite que, sous la présidence française, le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui s’est tenu il y a quelques semaines, ait permis une meilleure appréciation par nos amis et nos alliés de la contribution de l’Union européenne à leur défense et à leur sécurité.

Le concept stratégique, adopté lors du sommet de Madrid, reflète cette complémentarité et cet équilibre. Vous vous prononcerez prochainement, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, sur la ratification de l’accord autorisant l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique, un choix qui était celui de ces pays. Cette adhésion renforcera notre sécurité collective, comme la place des Européens au sein de l’Alliance.

Je souhaite évoquer une dernière région, celle des Balkans occidentaux, région stratégique et encore trop troublée, que l’on ne doit pas laisser dériver loin de la famille européenne, a fortiori dans un contexte où des puissances tierces n’hésiteront pas – on le voit déjà – à occuper les vides politiques et stratégiques que nous aurions laissés se développer.

Les pays de la région sont sur le chemin exigeant et difficile de l’adhésion. Leur marche dépend avant tout d’eux-mêmes, mais notre intérêt est de les accompagner : c’est pourquoi nous avons organisé, en marge du Conseil européen des 23 et 24 juin, une réunion avec les chefs d’État et de gouvernement des Balkans occidentaux, afin de réaffirmer leur perspective européenne et de rappeler que, si la marche à suivre est claire de notre côté, elle doit l’être aussi du leur – vous connaissez les difficultés de quelques pays à régler leurs sujets bilatéraux.

Ces succès, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais aussi dire à qui nous les devons : d’abord, bien sûr, au Président de la République (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), qui a mis, depuis sa première élection en 2017, l’Europe au cœur de son projet politique…

Mme Catherine Colonna, ministre. … et qui a porté l’agenda et la vision de notre présidence.

Toutefois, au-delà de l’action du chef de l’État, je veux aussi saluer celle du Gouvernement, autour de Jean Castex, puis de la Première ministre, Élisabeth Borne, celle du secrétariat général des affaires européennes et du secrétariat général pour la présidence française, celle de tous les ministères et de tous leurs agents, mobilisés pendant des mois et cela avant même le début de la présidence française, pour concevoir, puis animer cette présidence, réussir ses négociations et faire vivre le projet européen.

Je veux saluer aussi tous les territoires et la mobilisation de leurs collectivités, tous les citoyens qui ont participé au débat sur l’Europe et, partout, la société civile, qui s’empare progressivement du projet européen, ce dont je me félicite.

Enfin, avec Laurence Boone, je veux saluer l’action déterminante de mon prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, qui a conduit pendant cinq mois les travaux de la présidence française, ainsi que celle de Clément Beaune : ils ont mené la PFUE à bon port.

En tant que ministre de l’Europe et des affaires étrangères ayant succédé à Jean-Yves Le Drian, je veux exprimer solennellement devant vous ma fierté du travail accompli par nos diplomates et agents du Quai d’Orsay, à Paris, à la représentation permanente auprès de l’Union européenne à Bruxelles et dans toutes nos ambassades, en Europe et dans le monde.

M. Christian Cambon. Et le Parlement ?…

Mme Catherine Colonna, ministre. Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, sur cette treizième présidence française depuis le début de la construction européenne.

Le 30 juin dernier, j’ai symboliquement passé le témoin, le relais ou le « bâton », comme l’on dit, à la présidence tchèque et à mon homologue, M. Jan Lipavsky. Nous pouvons être fiers, je crois, de laisser à la présidence tchèque une Europe qui n’hésite plus à affirmer sa souveraineté, qui ose défendre ses intérêts stratégiques et économiques, avec la fermeté et la clarté nécessaires pour être mieux respectée qu’auparavant.

La fin de la présidence française, le 30 juin dernier, ne signifie pas l’abandon de nos priorités ; bien au contraire ! Vous pouvez compter sur ma détermination, celle de Laurence Boone et celle de l’ensemble du Gouvernement pour faire en sorte que les résultats de la présidence française essaiment bien au-delà de ces six mois.

Nous travaillerons très étroitement avec nos partenaires, d’abord tchèques, puis suédois, au sein du trio de présidences que nous formons. Nous travaillerons aussi avec nos autres partenaires, au premier chef l’Allemagne, puisque nous sommes un ensemble de vingt-sept pays engagés dans la même aventure, en n’oubliant jamais que notre devoir est de bâtir, au service de nos concitoyens, une Europe encore plus forte, encore plus soudée, encore plus durable – en un mot, plus souveraine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

5

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans notre tribune d’honneur, une délégation de sénateurs du groupe d’amitié France-Espagne. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, se lèvent.) Elle est conduite par son président M. Pío García-Escudero Márquez, qui présida le Sénat espagnol de 2011 à 2019. Elle est accompagnée par Son Excellence M. Victorio Redondo, ambassadeur d’Espagne en France, et par nos collègues Michelle Meunier et François Bonhomme, respectivement présidente et vice-président du groupe d’amitié France-Espagne.

Lors de sa visite en Loire-Atlantique, la délégation a notamment visité les chantiers navals de Saint-Nazaire.

Elle sera reçue demain en audience à la présidence avant une série d’entretiens institutionnels. La coopération bilatérale entre l’Espagne et la France, nous le savons, est solide, que ce soit en matière de sécurité, de politique énergétique ou encore dans les domaines scientifiques et universitaires.

La présence de nos homologues espagnols à l’occasion de ce débat sur le bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne est un signe fort des liens d’amitié qui unissent nos deux pays ; elle revêt une portée symbolique que je me permets de souligner.

En votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à la délégation espagnole la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements prolongés.)

6

Bilan de la présidence française de l’Union européenne

Suite d’une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. Nous reprenons la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne.

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a dressé son propre bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, en forme de panégyrique, cela n’étonnera personne. Si l’on s’en tenait au dossier de presse qu’il a publié, nous pourrions en rester là, et notre séance n’aurait pas lieu d’être.

Néanmoins, permettez-moi de gratter le vernis, car tout ce qui brille n’est pas d’or. Il est de notre responsabilité de ne pas passer sous silence les zones d’ombre et les angles morts de cette présidence française.

Elle s’est donc déroulée au premier semestre de 2022, malgré, et nous l’avions déploré, la concomitance d’échéances électorales importantes pour notre pays. C’était un choix du Président de la République, qui aurait pu demander un report.

De fait, même si nos diplomates ont pu arracher des accords in extremis au Conseil, ce fut, sur le plan politique, une présidence tronquée.

M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. La France a manqué de temps pour convaincre ses partenaires sur certains dossiers ; je pense notamment aux textes relatifs au financement des partis politiques européens et à la transparence de la publicité à caractère politique, que le Président de la République affichait comme une priorité pour renforcer la démocratie en Europe.

Je ne nie pas que, dans l’ensemble, les grands dossiers européens aient avancé sous la présidence française. Mais, ces avancées tiennent autant, voire plus, à la Commission européenne : c’est la Commission qui a donné le tempo. Elle a suivi son programme de travail et publié les textes annoncés aux dates prévues.

Du côté du Conseil, le champ de la présidence française avait de toute façon rétréci par rapport à celui de 2008 : en 2022, le Conseil européen n’était plus présidé par la France, puisqu’il existe dorénavant un président permanent du Conseil européen, Charles Michel ; il en est de même pour le Conseil des affaires étrangères, présidé depuis l’adoption du traité de Lisbonne par le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aujourd’hui Josep Borrell.

Dans ce costume étroit, la France a consenti de réels efforts pour favoriser l’obtention de compromis au Conseil. Le Gouvernement les brandit « pêle-mêle » ; il se garde de distinguer, d’une part, les accords politiques obtenus et, de l’autre, les initiatives simplement lancées, mais loin d’aboutir. Et il néglige le poids du Parlement européen, qui pourrait bien, à l’issue des trilogues délicats qui s’annoncent, ternir certains résultats déjà hâtivement annoncés.

Venons-en au fond : comme en 2008, la présidence française fut de nouveau bouleversée par une crise d’envergure, cette fois-ci géostratégique. L’Union européenne s’est mobilisée pour répondre à l’agression russe de l’Ukraine : j’étais dans ce pays il y a quelques jours, avec le président Gérard Larcher.

Quelle tristesse, mais aussi quelle résilience du peuple ukrainien ! Sous l’impulsion française, l’Union a réagi vite et bien – il le fallait –, pour aider militairement l’Ukraine, sanctionner la Russie par l’adoption de six paquets de sanctions, accueillir 5 millions de réfugiés ukrainiens, leur accorder une protection temporaire et une aide humanitaire, enfin réorienter son approvisionnement énergétique.

Cette crise ukrainienne a-t-elle interféré avec les priorités de la PFUE ? Paradoxalement, on peut considérer qu’elle a plutôt servi l’ambition française d’amener l’Europe à se penser comme une puissance. Elle a en effet donné des arguments à l’impératif de souveraineté stratégique, pour lequel la France plaidait depuis longtemps et que refusaient d’entendre certains États membres.

Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite : ainsi, en matière de défense, l’activation de la Facilité européenne pour la paix, l’adoption de la boussole stratégique, le renforcement des investissements européens de défense, décidé à Versailles, sont autant d’étapes décisives, mais le retour en force de l’OTAN et le rééquipement militaire accéléré des États membres profitent surtout aux États-Unis.

M. Christian Cambon. Absolument !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Et rien ne garantit que l’effort d’investissement annoncé aille à l’industrie militaire européenne.

En matière d’énergie, les importations de charbon et de pétrole russes sont bannies, un partage solidaire des installations de stockage et des réserves stratégiques de gaz est prévu, le développement des énergies renouvelables sera accéléré. Mais cela ne suffira pas à rendre l’Europe souveraine : cela pourrait même la faire entrer dans de nouvelles dépendances, à l’égard de fournisseurs alternatifs d’énergies fossiles, mais aussi à l’égard de la Chine, dont l’Europe a besoin pour se doter des batteries électriques et des panneaux photovoltaïques requis par ses ambitions climatiques.

En matière spatiale, le volontarisme français a accéléré la décision de mettre en place une constellation de connectivité sécurisée européenne. C’est un élément important de souveraineté. Mais, là aussi, ne cédons pas au triomphalisme, car un long chemin, technologique et financier, reste encore à parcourir, et nous espérons que notre lanceur Ariane 6, dans le cadre de la préférence européenne, sera prêt et disponible pour la mise en place de cette constellation.

Mme Sophie Primas. Absolument !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Autre avancée valorisée par le Gouvernement : les nouveaux outils de régulation au service de la souveraineté numérique. Les accords sur les textes Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), qui régulent services et marchés numériques, sont aussi une bonne nouvelle pour freiner la domination des grandes plateformes.

Toutefois, sur le plan industriel, ne rêvons pas ! Rien ne dit par exemple que le European Chips Act permettra d’augmenter la production européenne de puces : l’effort financier européen pourrait là encore bénéficier à des entreprises étrangères, même si, ce matin, nous avons entendu les annonces de la présidence de la République relatives aux investissements en France.

Surtout, le développement d’écosystèmes industriels européens reste entravé par le statu quo des règles de concurrence européenne, qui empêchent toujours les concentrations nécessaires à l’émergence de champions européens.

Plus graves que les zones d’ombre sont les angles morts de la présidence française. Le premier, à mes yeux, est la souveraineté alimentaire.

Il est frappant de n’y trouver aucune allusion dans le bilan publié par le Gouvernement sur son semestre de présidence. En dépit de nos demandes répétées, en dépit de l’électrochoc du covid, puis de celui de la guerre en Ukraine, la nouvelle politique agricole commune (PAC) reste ordonnée à son verdissement et délaisse les objectifs de production, et cela malgré le spectre d’une pénurie alimentaire mondiale.

Deuxième silence inquiétant de la présidence française : la sécurité aux frontières européennes. La France vient de perdre la direction de l’agence la plus puissante de l’Union européenne, l’agence Frontex. Son directeur exécutif a démissionné, abandonné en rase campagne par notre gouvernement.

M. Christian Cambon. Tout à fait !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Il ne suffisait pas de désembourber les négociations sur le projet de pacte sur la migration et l’asile, il aurait aussi fallu affirmer, haut et fort, que la mission de Frontex était de surveiller les frontières extérieures dans le respect des droits fondamentaux, et non de contrôler le respect par les États membres des droits fondamentaux : une autre agence européenne s’y emploie déjà !

M. Christian Cambon. Voilà qui est bien dit !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Troisième lacune de la présidence française : la zone euro. Le débat attendu sur l’évolution du pacte de stabilité et de croissance n’a pas eu lieu. Les écarts de taux réapparaissent, à la faveur des dettes covid et de l’inflation, et menacent la cohésion de la zone euro.

En outre, l’union bancaire ne progresse pas : son troisième pilier, la garantie des dépôts, fait cruellement défaut. Je m’inquiète enfin de notre crédibilité sur les marchés, dès lors que l’Union n’a toujours pas finalisé les nouvelles ressources propres qui permettront de rembourser le plan de relance européen.

Quatrième négligence française : l’appartenance. C’était pourtant l’un des trois axes que le Gouvernement avait retenus pour sa présidence. Les urgences du moment ne doivent pas nous détourner de cet impératif qui conditionne l’avenir de l’Union : consolider l’adhésion populaire au projet européen, spécialement parmi les jeunes, et ce d’autant plus que l’Union entend s’élargir encore. Cela passe par une démocratisation de l’Union européenne, à laquelle les parlements nationaux peuvent contribuer de façon primordiale.

C’est précisément sur cette dimension parlementaire que je veux conclure, car la présidence française n’a pas été seulement l’affaire du Gouvernement. Elle a aussi mobilisé le Parlement et, au premier chef, le Sénat, qui a assuré la continuité parlementaire tout au long du semestre.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Nous avons œuvré au renforcement du rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, afin de rendre son fonctionnement plus démocratique.

Après un colloque universitaire organisé ici sur ce thème, dès décembre dernier, j’ai porté, avec mon homologue de l’Assemblée nationale, une redynamisation de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui réunit les organes des parlements nationaux spécialisés dans les affaires de l’Union. Nous avons innové en lançant en son sein deux groupes de travail : celui que je présidais s’est consacré au rôle des parlements nationaux dans l’Union et, au terme de quatre mois de travail intensif entre parlementaires de toute l’Union, il a pu adopter des conclusions le 14 juin dernier.

Parmi les quatorze propositions avancées par ce groupe, je souhaite en souligner deux.

La première est la mise en place d’un droit d’initiative commun et indirect des parlements nationaux, ou « carton vert ». Nous proposons un dispositif concret directement applicable, sous réserve que la Commission européenne en accepte le principe. Serait ainsi reconnu aux parlements nationaux un rôle actif dans la construction européenne.

La seconde proposition est un droit de questionnement écrit des institutions européennes, pour les présidents des commissions des affaires européennes de chacune des deux chambres, sur le modèle de celui dont disposent les eurodéputés. Un tel outil nous permettrait de mieux participer au contrôle des politiques européennes.

Autant de voies d’avenir que nous espérons voir prospérer sous les prochaines présidences. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le choix d’assumer la présidence française en pleine campagne électorale était discutable, mais il aurait pu avoir du sens, une fois la décision prise, s’il s’était agi d’ouvrir un grand débat démocratique sur l’avenir de l’Union dans un moment historique crucial.

Or, une fois encore, le débat n’a pas eu lieu. La non-campagne électorale du Président de la République en France et une Conférence sur l’avenir de l’Europe restée clandestine pour la grande majorité des Européens en ont scellé le sort.

C’est la guerre en Ukraine qui a tout bousculé, diront certains. C’est vrai, l’agression russe a changé la donne, mais elle aurait dû renforcer l’exigence de refondation européenne, pour rebâtir la puissance d’avenir que revendiquait le président Macron, devant le Parlement européen : « Une Europe apte à répondre aux défis climatiques, technologiques, numériques, mais aussi géopolitiques ; une Europe indépendante, en ce qu’elle se donne encore les moyens, de décider pour elle-même de son avenir et de ne pas dépendre des choix des autres grandes puissances. »

Loin d’une puissance retrouvée grâce à une autonomie stratégique reconstruite, l’Union européenne, toujours fracturée, sort de cette présidence comme une puissance passive, à savoir plus que jamais dépendante de l’action de puissances extérieures. Les États-Unis auront ainsi signé, sous la présidence française, leur grand retour au cœur des choix européens. (M. André Gattolin soupire.)

Le président Macron promettait pour l’Europe autonomie stratégique et reconstruction des souverainetés. Or, avant même le déclenchement de l’agression russe en Ukraine, il était déjà écrit que l’autonomie stratégique promise, au sein de la boussole stratégique, ne serait qu’un complément de l’OTAN. Six mois plus tard, c’est en réalité le concept stratégique de l’OTAN – organisation que vous n’avez pas citée une seule fois dans votre intervention, madame la ministre –, adopté à Madrid, écrit sous la dictée américaine, qui devient de fait la doctrine européenne, avec à la clé, entre autres, d’immenses perspectives de ventes d’armes américaines sur le sol européen.

Face à une guerre qui la menace au premier chef, l’Europe lie son sort à la politique américaine, guidée, quant à elle, par l’obsession de la confrontation avec la Chine. (M. André Gattolin sexclame.) La voix de l’Europe s’aligne, au moment où nous aurions au contraire besoin qu’elle s’affirme et que l’Europe renforce sa propre capacité d’initiative.

L’avenir énergétique de l’Europe est lui aussi en cause. Le gaz illustre, par exemple, un périlleux transfert de dépendance, du gaz russe au gaz naturel américain, mouvement d’ailleurs amorcé avant la guerre en Ukraine. Entre 2016 et 2021, les importations de gaz naturel liquéfié en Europe ont été multipliées par vingt. Nous ne nous arrêterons pas là : 15 milliards de mètres cubes de plus abreuveront l’Europe dès 2022 et quelque 50 milliards de plus chaque année jusqu’à la fin de la décennie, de quoi raviver les projets d’investissements américains massifs dans des terminaux méthaniers.

Or 80 % de la production américaine sont issus du gaz de schiste… Un comble, au moment où l’ambition est d’atteindre la neutralité climatique en 2050 ! Évalué sur une durée de vingt ans, le pouvoir de réchauffement de ce gaz est quatre-vingts fois supérieur à celui du CO2.

Que dire encore de notre souveraineté alimentaire et de l’énième accord de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande, dans les derniers jours de la présidence française ! Madame la ministre, le rôle du Parlement français sera-t-il uniquement de constater les dégâts écologiques et économiques de cet accord sans jamais pouvoir en discuter, comme cela a été le cas pour l’accord économique et commercial global (CETA) ?

Comme la couche d’ozone, le paquet climat européen commence également à compter de nombreux trous. S’il continue d’afficher de grandes ambitions, la dimension « socialement juste » de cette transition écologique ne cesse de s’étioler au fil des discussions.

Ainsi, l’adoption de la fin des immatriculations de véhicules thermiques et hybrides, ainsi que l’instauration d’un marché carbone pour le transport routier et le chauffage sont des bombes à retardement sociales et sociétales. Dans un contexte de prix de l’essence élevé, ce nouveau marché carbone aboutira, dans les faits, à une forme de taxe carbone européenne, frappant les ménages et les entreprises sans distinction, risquant d’aggraver les précarités énergétiques et les fractures sociales au regard du droit à la mobilité.

En effet, le Fonds social pour le climat, qu’il aurait fallu dans ces conditions massivement renforcer, a été finalement plafonné à 59 milliards d’euros, sans co-financement des États. La soutenabilité même des mutations de la production et des modes de vie est donc menacée.

Dans ces conditions, madame la ministre, je vous le demande : que compte faire la France pour demander, enfin, la révision complète du marché européen de l’électricité, que le Président de la République résumait de cette formule : « Une forme d’impôt de l’extérieur qui vient par le gaz et l’électricité » ? Quand allons-nous sortir de ce système responsable d’une inflation particulièrement pénalisante ?

Une fois encore, l’Europe sociale est restée la grande oubliée. La directive sur le salaire minimum – en effet, on parle enfin de salaire minimum en Europe, soixante ans après la création de l’Union européenne ! – ne comporte aucune disposition contraignante.

Dans ces conditions, le dumping social risque de demeurer la règle en Europe ; les incitations prévues par la directive étant encore extrêmement timides, même si elles sont bienvenues. Les hauts revenus, quant à eux, continueront de battre des records, en toute indécence, dans toute l’Europe.

J’allais oublier, même si vous l’avez citée, une autre avancée sociale majeure effectuée sous la présidence française, qui obligera, après dix ans de négociations, à accorder à des dirigeantes au moins 40 % des postes d’administrateurs non exécutifs des sociétés européennes cotées en Bourse. L’égalité progresse donc au CAC 40. C’est une bonne nouvelle.

En réalité, l’Europe ne retrouve ni souffle ni ambition pour son avenir, car elle conçoit sa souveraineté uniquement comme un repli. Ainsi vient-elle, sous la présidence française, d’enterrer un peu plus l’esprit du pacte global sur la migration, déposé il y a près de deux ans par la Commission européenne, qui prônait la notion de solidarité obligatoire.

Au contraire, la version finale du texte avalise le recul de nos valeurs d’accueil, car les migrations sont perçues uniquement comme une menace. Même la crise ukrainienne ne nous aura pas aidés à réfléchir sur le fond à l’avenir de cette question.

Toute la négociation aura été menée sous la pression du courrier indigne, cosigné en octobre dernier par douze ministres de l’intérieur et adressé aux institutions européennes, qui appelaient aux rétablissements de murs, financés par le budget de l’UE, aux frontières de l’Union. L’accord obtenu reste dominé par l’idée du partage du fardeau migratoire.

La présidence française a subi les événements et aura manqué l’occasion de lancer les grands débats d’avenir.

J’aurais pu relever les premières avancées, réelles celles-là, vers la reconstruction d’une souveraineté numérique, au premier rang desquels figurent les règlements DSA et DMA. Cependant, les révélations concernant Uber noircissent sérieusement le tableau, car elles montrent au fond qu’on est loin d’en avoir fini s’agissant de la connivence entre les pouvoirs politiques et les puissances d’argent, dont les Gafam sont les représentants.

À ce propos, l’Europe numérique ne peut se faire sur le dos des travailleurs des plateformes. Madame la ministre, pourquoi, la France traîne-t-elle les pieds au sujet du projet de directive qui permettrait, enfin, de reconnaître la présomption de salariat et les droits qui y sont attachés ?

Plus fondamentalement, le temps est venu de se préparer – on peut le craindre – à une nouvelle crise financière et à une récession. Il faut, dès lors, ouvrir de nouveau le débat sur la mobilisation des financements et des investissements publics massifs, quand, au contraire, revient le refrain de la dette et de la compression des dépenses publiques.

Qu’est devenu le débat promis sur la révision du pacte de stabilité et de croissance ? Quand le Parlement pourra-t-il enfin discuter les prétendues nouvelles règles qu’on nous promet ? Nous ne pourrons plus longtemps, madame la ministre, éviter d’affronter des choix politiques, seuls à même de dégager les nécessaires perspectives de financement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de sa conférence de presse du 9 décembre 2021, le Président de la République avait présenté un programme ambitieux pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne, fondé autour de trois mots d’ordre : une Europe plus souveraine, une Europe plus humaine et une Europe fondée sur un nouveau modèle de croissance.

Malgré l’irruption sur notre vieux continent de la guerre, qui a bouleversé le programme que la France s’était fixé, les objectifs définis lors de la conférence du 9 décembre ont pour la plupart été atteints.

Nombre d’observateurs avisés qualifient donc cette présidence de « réussite », car 97 % des objectifs annoncés en décembre ont été atteints. Je pense premièrement à l’accord final sur les textes DMA et DSA, fournissant de nouvelles armes face aux GAFA. Ces deux textes permettront de mieux anticiper les dérives, les abus et les distorsions de concurrence des GAFA.

Les avancées sont réelles sur de nombreux thèmes, tout d’abord sociaux, grâce à l’accord trouvé sur la directive relative aux salaires minimaux adéquats ou celui sur la proportion de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse au sein de l’UE, qui devra atteindre 40 % à l’horizon de 2026.

Les avancées sont réelles également sur le thème de la consommation, avec la mise en place d’un chargeur unique et compatible avec toutes les marques de smartphones, de liseuses ou de casques.

Enfin, je salue les accords trouvés à la toute fin de la présidence française sur les cinq textes phares du plan climat, ayant pour but de réduire de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Le tournant qu’a connu votre présidence à partir du 24 février dernier a permis de donner du corps à l’idée française de souveraineté stratégique. L’autre succès à mettre à votre crédit est le maintien de l’union des 27 États membres face à la mise en place des sanctions contre la Russie.

Les Vingt-Sept ont fait preuve de solidarité avec l’Ukraine en sanctionnant Moscou à six reprises, avec des embargos sur le charbon, le gaz et le pétrole. Ils ont également acté les livraisons d’armes à Kiev via la Facilité européenne pour la paix. L’Union européenne a offert un refuge aux Ukrainiens fuyant les bombes russes, grâce à l’activation d’un mécanisme d’accueil d’urgence, utilisé pour la première fois depuis sa création, voilà vingt ans.

C’est également dans ce contexte de guerre aux portes de l’Union européenne que les États membres ont réussi à trouver un accord, le 25 mars, sur leur boussole stratégique en matière de défense. L’accord initial a d’ailleurs été « musclé », au regard des événements auxquels notre continent fait face.

L’un des enjeux derrière ce projet était de parvenir à définir un consensus entre les 27 États membres de l’Union européenne, tant sur la perception des menaces pesant sur leur sécurité que sur les moyens d’y faire face ensemble.

En raison de leur histoire, les pays européens disposent de cultures stratégiques différentes et n’ont pas nécessairement la même analyse des menaces et des priorités en matière de sécurité et de défense. La boussole stratégique consiste donc à identifier les priorités sur lesquelles les Européens sont prêts à s’investir collectivement, à la fois sur le plan géopolitique et en termes opérationnels.

Ce texte, qui sera notre fil conducteur de la politique de sécurité et de défense européenne jusqu’en 2030, constitue donc une véritable avancée pour un esprit européen de la défense.

Enfin, nous avons accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, le 23 juin, dans un délai particulièrement court. Je me félicite de cette décision – signal fort envoyé autant à la Russie qu’à l’Ukraine et à son peuple –, même si, personnellement, je ne suis pas un adepte de l’élargissement trop rapide. Je regrette qu’il n’ait pu en aller de même pour la Géorgie, mais je pense que nous en reparlerons…

La guerre en Ukraine a replacé la sobriété énergétique au sommet des priorités. À ce titre, la question énergétique est en tête des objectifs de la République tchèque, qui occupe la présidence tournante de l’Union européenne depuis le 1er juillet.

Dès le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Versailles, qui s’est tenu en mars 2022, la question de l’énergie avait été centrale et les États s’étaient engagés à réduire notre dépendance énergétique, tout en maintenant l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050.

Presque quatre mois après ce sommet, les inquiétudes demeurent. L’invasion de l’Ukraine a un lourd impact sur l’augmentation des prix énergétiques, et l’action perturbatrice de la Russie sur le marché du gaz contribue également à l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des matières premières. Les conclusions du dernier Conseil européen sur ce sujet ne sont pas rassurantes. De nombreux constats ont été dressés et plusieurs pistes pour atténuer la hausse des prix énergétiques étudiées, sans que certaines soient définitivement arrêtées.

Alors que les réductions de livraison de gaz russe aux pays de l’Union européenne s’enchaînent, près de 12 États sont désormais touchés par des coupures unilatérales de gaz de la part de la Russie. L’Allemagne restant dans une totale incertitude quant à la réactivation de son gazoduc Nord Stream, nous sommes incapables de proposer des solutions efficaces et efficientes.

La seule avancée que nous pouvons saluer à ce stade est la décision du Parlement européen du 6 juillet dernier d’inscrire le nucléaire et le gaz parmi les énergies « vertes » dans l’Union européenne, afin d’attirer dans ces secteurs les investissements publics et privés.

On nous dit que la Commission travaille à un plan d’urgence de réduction de la demande d’énergie, sans être en mesure, semble-t-il, d’arrêter des décisions.

Dès lors, plusieurs questions s’imposent à nous. Quelles pistes seront privilégiées par la France, notamment le 26 juillet prochain, lors du sommet des ministres de l’énergie ? Comment éviter une fragmentation de nos 27 États membres sur cette question ? Quelles actions sont menées pour nous préparer dès maintenant à une réduction, voire à une coupure complète des approvisionnements russes cet hiver ?

Les réductions de livraison de gaz vers l’Europe opérées au cours des dernières semaines par Moscou laissent craindre le pire. Elles doivent nous inciter à nous préparer dès maintenant à une rupture complète de l’approvisionnement. En cas d’interruption totale, un rationnement pourrait être prononcé dès cet hiver, ce qui entraînerait une destruction de la demande aux conséquences désastreuses pour nos économies.

Dès lors, deux questions se posent. Quels nouveaux partenaires l’Union européenne favorisera-t-elle pour sécuriser ses apports ? Les objectifs de neutralité carbone sont-ils toujours tenables dans ce contexte ?

Par ailleurs, la présidence française de l’Union européenne a enfin vu aboutir la Conférence sur l’avenir de l’Europe, avec un an de retard, crise sanitaire oblige. Cet exercice inédit de réflexion et de débat sur l’avenir de l’Europe, largement encouragé par la France et plus particulièrement par le président Macron, a fait émerger 49 propositions pour rapprocher les institutions européennes des citoyens.

Si, lors de la remise du rapport, le 9 mai dernier, un élan s’était fait ressentir, le sujet n’a été que brièvement abordé au dernier Conseil européen, ne laissant pas présager d’évolutions rapides. Les députés européens avaient pourtant voté une résolution saluant et approuvant ces conclusions, et le travail de cette Conférence sur l’avenir de l’Europe avait été salué par la présidente Ursula von der Leyen.

L’évolution de nos institutions est une nécessité pour répondre aux défis auxquels l’Union européenne est confrontée.

Quels leviers allez-vous activer, madame la ministre, pour soutenir la volonté de mettre fin à la règle de l’unanimité pour certaines décisions prises au sein du Conseil de l’Union européenne, par exemple en matière budgétaire, fiscale ou concernant la politique étrangère et de sécurité commune ?

Ce mode de vote très lourd peut freiner l’action de l’Union européenne. L’idée de le remplacer par un système de vote à la majorité qualifiée pour une partie des décisions prises jusqu’ici à l’unanimité sur des domaines précis paraît inéluctable, surtout si l’Union européenne continue d’accueillir de nouveaux États membres.

Soyez assurée, madame la ministre, que nous resterons très attentifs aux suites qui pourront être données à ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on se souvient d’une présidence française de l’Union européenne en 2008, chahutée par une profonde crise financière. On se souviendra de celle de 2022, focalisée sur la tragédie ukrainienne.

Voilà un peu plus de six mois, la France avait abordé cette présidence de l’Union européenne avec un grand nombre de projets à porter sur plusieurs fronts : sécuritaire, institutionnel, climatique, numérique, etc. Pour le RDSE, profondément attaché à la construction communautaire, tout cela allait dans le bon sens.

Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui ? Vous en avez fait le dessin, madame la ministre, et, comme vous l’avez expliqué, le visage de l’Europe a changé en six mois.

Ce sont bien souvent les crises qui accélèrent le projet européen et renforcent la solidarité entre les États membres. Bien entendu, on ne peut pas totalement se réjouir de ce constat, car, s’agissant de la pandémie et de la guerre en Ukraine, le bilan humain est bien trop lourd.

Néanmoins, à l’évidence, l’une des formules employées par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne de 2017 prend tout son sens aujourd’hui : « La seule voie qui assure notre avenir, c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. »

On doit en effet reconnaître que la souveraineté de l’Europe, inscrite à l’agenda européen de la présidence française, semble prendre corps dans bien des domaines.

Nous adhérons tout d’abord au renforcement de la souveraineté stratégique de l’Union européenne, une orientation qui peut tout à fait s’accommoder avec les engagements des États membres au sein de l’OTAN.

Notre groupe salue les décisions prises au sommet de Versailles les 10 et 11 mars dernier, qui donnent un nouvel élan à la défense européenne. Toutefois, si les États membres augmentent leurs dépenses militaires, la mise en place de projets capacitaires communs semble patiner.

Dans un autre domaine, la souveraineté énergétique est devenue brutalement un enjeu majeur. La présidence française a fait le vœu d’une meilleure indépendance à l’égard de la Russie, mais il revient désormais à la présidence tchèque de préparer un plan. Il serait souhaitable que ce dernier ne consiste pas seulement à gérer la pénurie qui se profile. La question de la formation du prix du marché de l’électricité ne doit pas être taboue.

En outre, ce plan de sécurisation de l’approvisionnement de l’énergie sera-t-il compatible avec l’accord sur le climat que la présidence française a réussi à boucler ? Disons-le, le défi énergétique posé par la guerre en Ukraine et la nécessaire transition écologique pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ne font pas nécessairement bon ménage.

Je salue en tout cas le plan climat, en particulier le principe tant attendu de taxe carbone aux frontières, qui vise à imposer les normes environnementales de l’Union européenne aux entreprises étrangères exportant sur notre territoire.

J’en viens à un autre défi, celui de la souveraineté alimentaire. En dehors des problématiques actuelles liées à l’Ukraine, faut-il rappeler ici, dans la chambre des territoires, que cette souveraineté passe par la sauvegarde de nos exploitations ?

Alors que la question des céréales est au premier plan de l’actualité, l’enjeu agricole semble avoir été délaissé au cours de ces derniers mois.

En outre, Bruxelles semble parfois prendre des décisions en tenant pour secondaire leur impact financier sur le monde agricole. Je pense en particulier à la proposition de révision de la directive du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles, dite « IED », qui ajoute dans son champ d’application certaines activités non réglementées jusqu’à présent. Ce serait ainsi 185 000 exploitations de bovins qui seraient concernées, contre 20 000 aujourd’hui, pour un coût estimé à 2 400 euros par exploitation et par an.

Si les exploitations doivent bien sûr toutes s’orienter vers des pratiques plus vertueuses sur le plan environnemental, elles doivent, en retour, bénéficier des soutiens nécessaires à leur conversion. J’en profite pour préciser que ces soutiens doivent être plus efficaces et mieux contrôlés, comme vient de le souligner le rapport de la Cour des comptes européenne pointant les fraudes de la politique agricole commune.

Mes chers collègues, je ne puis épuiser tous les chantiers dont s’est emparée la présidence française au cours de ces derniers mois. J’ajouterai donc en quelques mots que le RDSE applaudit l’accord sur la directive relative aux salaires minimaux ou les deux lois sur le numérique réglementant la concurrence sur les grandes plateformes et limitant la diffusion de contenus illicites, haineux ou violents.

Par ailleurs, la mesure consistant à imposer un chargeur unique mérite d’être saluée : elle n’est pas si symbolique que cela ; il s’agit d’une disposition de bon sens, à la fois économique et écologique, touchant directement les consommateurs-citoyens.

On ne peut, en revanche, que regretter le veto hongrois brandi sur la taxation minimale internationale des entreprises. Cet épisode rappelle une fois de plus l’urgence de passer à la majorité qualifiée pour certaines décisions. C’est une nécessité si l’Europe veut s’affirmer davantage en tant que puissance économique.

M. Didier Marie. Très juste !

Mme Véronique Guillotin. Cette question d’ordre institutionnel va devenir d’autant plus prégnante que se profilent des perspectives d’élargissement.

À cet égard, la France restera dans les annales comme le pays qui a ouvert la porte de l’Union européenne à l’Ukraine et à la Moldavie. Dans le contexte actuel, c’était bien évidemment un devoir moral.

Il n’en demeure pas moins que la relance d’un potentiel élargissement devra s’accompagner d’un travail de réflexion sur les règles de fonctionnement de l’Union européenne, d’une part, et sur le concept de communauté politique européenne lancé par le Président de la République, d’autre part. Si ce concept est de nature, notamment, à rassurer les Balkans occidentaux, il mérite d’être précisé.

Enfin, vous le savez, mes chers collègues, l’Europe du quotidien se construit aussi, et surtout, oserai-je dire de manière quelque peu impertinente, dans les territoires transfrontaliers.

Je ne vous rappelle pas les enjeux qui concernent mon propre territoire, situé à la frontière avec le Luxembourg, en matière de fiscalité, de mobilité ou encore de santé. Nous aurons à nous revoir sur ces sujets : les frontaliers en attendent autant de l’Union européenne que du gouvernement français !

Nous passons désormais le flambeau à la République tchèque. Souhaitons que celle-ci fasse preuve du même volontarisme que la France pour affirmer la place de l’Europe. Espérons peut-être aussi que Prague puisse faire comprendre à certains de ses partenaires du groupe de Visegrad où se situe leur intérêt, celui d’appartenir à un espace de paix et déterminé à le rester… (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Yves Détraigne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Didier Marie. Avant toute chose, madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et vous assure de l’engagement européen sans faille de mon groupe.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sortons de six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne et nous restons quelque peu sur notre faim, malgré des avancées notables sur lesquelles je reviendrai.

Cette présidence, que M. Emmanuel Macron voulait exceptionnelle pour l’Europe, pour la France et, peut-être aussi, pour sa campagne électorale, l’aura été, mais pour une tout autre raison. En effet, le 24 février, la Fédération de Russie déclenchait la guerre, que certains n’avaient pas voulu voir venir, et agressait sauvagement l’Ukraine.

Cette nouvelle donne géopolitique a confirmé, comme la crise sanitaire avant elle, la capacité des Européens à réagir rapidement, efficacement et en restant unis, ce qui a pu susciter la surprise de nombreux observateurs extérieurs, à commencer par les Russes.

Cette situation a levé les réticences de certains États membres à l’égard des objectifs stratégiques d’autonomie et de souveraineté européennes, devenus centraux et naturels. Du jour au lendemain, le terrible imprévu de la guerre a joué un rôle moteur et permis des avancées dans de nombreux domaines. Paradoxalement, M. Vladimir Poutine aura fait plus pour l’Europe en quelques semaines que les dirigeants européens au cours des dernières années.

La solidarité des Vingt-Sept avec l’Ukraine n’a eu aucune difficulté à s’imposer et s’est concrétisée par un soutien humanitaire, économique et militaire massif. Nous saluons à cet égard la décision de conférer le statut de protection temporaire aux 4,7 millions de réfugiés ukrainiens, tout en nous interrogeant sur les suites qui lui seront données en cas d’enlisement du conflit.

De même, nous nous félicitons de la mise en œuvre, pour 2 milliards d’euros, de la Facilité européenne pour la paix, qui a permis de fournir les armes défensives nécessaires à la résistance ukrainienne.

L’unanimité s’est aussi rapidement faite pour décider des six trains successifs de sanctions visant à faire pression sur les dirigeants et à assécher les sources de financement de l’effort de guerre russe, sans, malheureusement, que cela produise à ce jour les effets escomptés.

De même, les orientations de la boussole stratégique ont été adoptées, actant un réinvestissement militaire. Mais, faute d’anticipation, elles le sont sous parapluie américain, au sein d’une OTAN renforcée, organisation que le Président de la République estimait pourtant « en état de mort cérébrale ». Reste à savoir qui en sera bénéficiaire : la défense européenne, ou seulement les États-Unis et leur industrie d’armement ?

Cette recherche de souveraineté et d’autonomie s’est aussi imposée dans le champ de l’énergie, l’Europe, dépendante des hydrocarbures russes, s’accordant sur le boycott du charbon et du pétrole, mais échouant malheureusement à se mettre d’accord sur un embargo du gaz.

Pour le reste, la France a accompli le travail normal d’une présidence ; endossant le costume de médiateur, elle a pu faire progresser les textes législatifs.

Au nombre des satisfactions, on peut noter, comme vous l’avez fait, madame la ministre, l’accord sur le numérique, avec l’adoption du DMA et du DSA, la réciprocité de l’accès aux marchés publics au sein du commerce international, l’adoption du salaire minimum, l’équilibre entre femmes et hommes dans les conseils d’administration des grandes entreprises ou des progrès sur l’intelligence artificielle.

D’autres succès ont été mis en avant, mais, en examinant ces accords de plus près, nous restons circonspects. Je pense au paquet climat, avec un fonds social pour le climat rétréci, à l’espace Schengen sur les aspects défensifs, aux droits sociaux et à d’autres sujets que mon collègue Jean-Yves Leconte évoquera.

Enfin, notons les échecs, en particulier celui qui concerne la taxation des grandes entreprises à hauteur de 15 % de leurs bénéfices et celui de la réforme du marché de l’électricité, toujours indexé sur le cours du gaz. Remarquons que rien n’a été engagé face à la menace de stagflation et qu’aucune feuille de route n’a été dressée pour un agenda rural, comme le demande la résolution du Sénat dont mon ami et collègue Patrice Joly est à l’origine.

Avant de conclure, madame la ministre, permettez-moi quelques mots sur l’avenir de l’Europe.

Nous nous félicitons que l’Ukraine et la Moldavie aient obtenu le statut de pays candidats à l’Union européenne et que la Géorgie n’ait pas été ignorée. Nous saluons l’initiative à l’égard des Balkans occidentaux, les rassurant sur leur avenir européen. Nous notons avec satisfaction la levée du veto à l’engagement des négociations avec la Macédoine du Nord par le Parlement bulgare, même si cela reste à confirmer.

Toutefois, s’il est opportun d’avancer dans le processus d’élargissement à ces pays que les pressions extérieures menacent, rappelons que celui-ci ne peut se réaliser que dans le cadre des critères de Copenhague et, tout particulièrement, de la primauté de l’État de droit.

Or, à cet égard, l’approbation par la Commission et le Conseil du plan de relance de la Pologne, sans que toutes les garanties sur l’indépendance de la justice aient été données, inquiète. L’unité de l’Europe repose certes sur le dialogue politique, mais aussi, et avant tout, sur le respect de nos valeurs.

S’agissant de nos relations avec les pays candidats et ceux de notre environnement proche, la proposition du Président de la République d’une communauté politique européenne a reçu un accueil allant du glacial au tiède. L’avenir sous présidence tchèque nous dira si cet objet européen non identifié prospérera. Pour ma part, je m’interroge sur son périmètre et sur son contenu.

Plus largement, c’est le fonctionnement même de l’Union européenne qui doit être interrogé. À cet égard, on ne peut que regretter l’absence de prise en compte des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et des appels du Parlement européen pour ouvrir le chantier d’une révision des traités pour une gouvernance renouvelée de l’Union, dans laquelle les citoyens auraient tout leur rôle à jouer.

Madame la ministre, la France a rempli sa mission, et il convient de féliciter les diplomates qui y ont travaillé. Mais cette présidence s’est terminée assez loin des slogans enthousiastes qu’Emmanuel Macron lançait en décembre 2021 : « Relance, puissance, appartenance ». Le Président de la République parle beaucoup d’Europe et ne manque pas d’idées, mais il y a encore loin des paroles aux actes !

Cette présidence en demi-teinte aura plus été portée par les événements qu’elle ne les aura provoqués. Elle restera malheureusement dans l’histoire comme celle qui aura vu la guerre revenir sur notre continent.

Ces six mois nous auront aussi rappelé que l’Europe est un collectif forgé par la culture du dialogue politique, la recherche du consensus et une action résolue fondée sur nos valeurs : la liberté, la démocratie, la justice sociale et la responsabilité environnementale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, six petits mois ont passé, et déjà l’Union européenne n’est plus ce qu’elle était avant 2022 ! Il ne s’agit pas de lancer un cocorico cocardier pour se faire plaisir… Mais je constate que notre Union européenne a beaucoup progressé, et par gros temps.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne marque aussi l’aboutissement d’un certain nombre d’initiatives lancées par le Président de la République dès 2017. On se souvient, sur ces travées, de son discours de la Sorbonne pour une Europe plus souveraine et plus protectrice.

Elle marque également la finalisation de chantiers lancés ou suivis par de précédentes présidences. C’est là le jeu harmonieux de ces passages de flambeau d’un État membre à l’autre chaque semestre.

Et dire, comme le rappelait André Gattolin, que certains recommandaient que la France passe son tour pour cause d’élection présidentielle ! Je souhaite d’ailleurs rappeler au président Jean-François Rapin que, en 1995, déjà, la France présida le Conseil de l’Union européenne alors que des échéances présidentielles avaient lieu.

Certes, le calendrier des événements a été très ramassé. Mais le plus important, c’est le fond, la substance. Le plus important, c’est que le compte y soit et que des progrès majeurs aient été enregistrés.

Ce « succès historique », pour reprendre l’expression de Mme la ministre, revient bien au Président de la République, épaulé bien sûr par l’ensemble des ministres – vous-mêmes, madame la ministre, mais aussi vos prédécesseurs Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune ; du secrétariat général de la présidence française – je pense à toutes les équipes animées par Xavier Lapeyre de Cabanes ; de notre représentation permanente auprès de l’Union européenne, sous l’égide de Philippe Léglise-Costa ; du secrétariat général des affaires européennes ; de l’ensemble des agents mobilisés, que ce soit au Quai d’Orsay ou dans les autres ministères ; de notre Haute Assemblée, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président.

Tout cela sans oublier les collectivités locales qui ont mis beaucoup d’engagement et de cœur dans l’accueil des événements. Je peux en témoigner, à titre personnel, pour les maires des bonnes villes de Pau, de Dijon, cher François Patriat, de Montpellier ou encore de Strasbourg, cher Ludovic Haye, plus que jamais capitale européenne.

« Relance, puissance, appartenance » : tel était le triptyque de cette présidence française de l’Union européenne. Si celle-ci a effectivement commencé sous le signe de la relance post-covid, l’agression russe sur le sol d’Ukraine et le retour de la guerre sur le continent européen ont, cela s’est très vite vu, porté les thèmes de puissance et d’appartenance au cœur de l’action conduite par cette présidence.

En cela, elle est en adéquation avec le fil rouge tiré par le Président de la République depuis 2017 : celui d’une souveraineté et d’une indépendance européennes accrues. L’idée est tout simplement que nous reprenions le contrôle « en Européens », et non solitairement, comme l’ont tenté nos voisins d’outre-Manche. Ce dont il est question, c’est que nous, Européens, soyons non pas des objets de l’histoire qui s’écrit, mais bien des sujets maîtrisant leur destin et leur avenir.

La présidence française s’est inscrite dans un contexte global marqué naturellement par le conflit en Ukraine, mais aussi par un déplacement du barycentre mondial vers le Pacifique, sur fond de rivalité sino-américaine, et par l’urgence climatique, qui taraude encore et toujours nos sociétés.

Tout au long de cette présidence, l’Union européenne et ses États membres se sont affirmés en tant que puissance politique et géopolitique.

J’en veux pour preuve l’adoption de la boussole stratégique, qui crée une culture stratégique commune, le renforcement des capacités de déploiement rapide de forces, l’augmentation des investissements de défense actée lors du sommet de Versailles, une meilleure tenue de nos frontières externes, avec la création du Conseil Schengen, qui s’est déjà réuni deux fois et qui permettra, je crois, des avancées en matière de coordination.

En outre, dans ce monde marqué en quelque sorte par le retour des empires, l’Europe se pense et se projette dans toute sa vaste dimension. Je fais allusion ici aux outre-mer, cher Michel Dennemont, et aux régions ultrapériphériques qui font de l’Europe un continent-monde et lui donnent une voix particulière à faire entendre dans ce concert mondial.

Que de chemin parcouru depuis la chute du mur de Berlin, depuis la réunification de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe de l’Est ! Désormais, c’est la poursuite de l’unification du continent européen qui est en marche.

Je ne puis m’empêcher d’invoquer l’un des penseurs de cette Europe, Denis de Rougemont, qui disait : « L’Europe unie n’est pas un expédient moderne, économique ou politique, c’est un idéal qu’approuvent depuis mille ans tous les meilleurs esprits, ceux qui ont vu loin ». Les Européens et la présidence française ont vu loin !

Le statut de candidat à l’adhésion a ainsi été accordé par les Vingt-Sept à l’Ukraine et à la Moldavie dans un délai particulièrement court après les mots d’encouragement prononcés à Kiev – vous étiez aux côtés du Président de la République, madame la ministre.

Combien de temps cela prendra-t-il maintenant ? Nul ne peut le dire, mais le cap est fixé, et c’est le plus important. Nous n’oublions pas l’importance des Balkans occidentaux, que je sais également chers à notre collègue Alain Richard.

Comme la géographie commande et que seuls 14 petits kilomètres nous séparent de l’Afrique, nous pouvons également nous honorer du partenariat renouvelé avec le continent africain, au travers du sommet de Bruxelles de février, qui a permis d’aller de l’avant en matière de sécurité, d’environnement, de santé et de migrations.

Au-delà, avec certains de nos partenaires, nous avons des défis mondiaux à relever – pour lesquels, très clairement, nous n’avons pas le choix : soit nous y arrivons ensemble, soit nous échouons ensemble.

C’est le cas, par exemple, dans la lutte contre le changement climatique, où nous devons être aux avant-postes. Par nos propres réglementations, nous devons faire évoluer les réglementations des autres ensembles dans le monde. Sous cet angle, je suis persuadé que la taxe carbone aux frontières influera sur les règles dont nos partenaires se doteront.

Outre la dimension géopolitique, la reprise de contrôle a également concerné les domaines économiques, énergétiques, industriels, commerciaux.

C’est par là que l’Europe a commencé, par la construction économique. Il serait absurde aujourd’hui, en 2022, qu’elle se fasse dicter sa loi en la matière et renonce à être une puissance économique. Il était donc très important de forger nos propres standards et de ne pas être les idiots utiles du village global.

Avoir de grands projets industriels européens, par exemple pour les batteries, en lancer de nouveaux dans le cadre de cette présidence française, notamment en matière de santé, développer notre indépendance énergétique et alimentaire, ne pas jouer les naïfs en matière commerciale en nous dotant de nouvelles règles – clauses miroirs ou instrument de réciprocité sur les marchés publics, afin de mettre de l’équité dans la concurrence –, nous a permis de progresser. Si, pendant longtemps, on nous regardait de travers à Bruxelles, cette fois, les résultats sont là.

Enfin, reprendre le contrôle, c’est s’armer face aux géants du numérique et se prémunir contre les pratiques déloyales. De ce point de vue, le paquet législatif sur les services numériques permettra d’encadrer et de réguler.

C’est donc un bilan fourni qui est présenté. Il s’appuie sur le respect tant de l’unité que de la diversité européenne. Nous le savons, c’est notre devise européenne, et la présidence française l’a illustrée de fort belle manière.

Ainsi, l’unité a été préservée dans toutes les prises de décision, avec, cela a été rappelé, six trains de sanctions. Quant à la diversité, dont je note qu’elle a été revendiquée par l’ambassadeur de la République tchèque lorsqu’il s’est exprimé devant notre assemblée, nous avons voulu une présidence en langue française qui respecte le plurilinguisme. De nombreuses actions ont été conduites dans la lignée du rapport du groupe de travail présidé par Christian Lequesne ; elles doivent être poursuivies, car nous partons de très loin. Nous avons d’ailleurs besoin, madame la ministre, de votre entier volontarisme politique pour que ces efforts soient maintenus dans la durée.

Le groupe RDPI salue donc un très bon bilan, qui est à l’honneur et au crédit de la France. Mais nous savons qu’il reste beaucoup à faire, et c’est pourquoi, madame la ministre, tous nos meilleurs vœux vous accompagnent, ainsi que l’actuelle présidence tchèque et la future présidence suédoise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concomitante de l’élection présidentielle et des élections législatives, la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) avait tout pour échouer : beaucoup avaient pris soin de le faire remarquer, au point d’en demander le report. Au terme de l’exercice, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, juge le résultat « exceptionnel ». Les chancelleries et l’ensemble de la presse sont du même avis.

M. André Gattolin. Tout à fait !

M. Claude Malhuret. Même si le dénigrement systématique de l’action politique est dans l’air du temps, il n’y a aucune raison de ne pas le dire clairement : la PFUE s’achève par un succès.

Nos diplomates, qu’il faut saluer, et notre gouvernement ont imprimé un rythme effréné à Bruxelles, capitale des compromis, des équilibres et des décisions chronophages. Même si quelques rares dossiers manquent à l’appel, plusieurs accords majeurs en ont forgé le bilan positif.

Les priorités étaient claires : climat, numérique et social.

La directive sur les salaires minimums a pu voir le jour. Avec elle, le cœur de cible de ces urgences a été atteint.

Pour ce qui concerne le climat, la France a su composer et, dans les tout derniers jours, trouver à l’arraché des terrains d’entente pour réduire collectivement nos émissions de gaz à effet de serre.

À ce titre, la vision de mon groupe est celle d’une écologie libérale, de progrès et d’innovations. Le travail relatif à la sobriété énergétique et les réponses industrielles associées seront des atouts importants de demain. Je salue particulièrement les avancées sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), exemple de l’alliance entre le développement économique et les ambitions climatiques.

Enfin, au sujet du numérique, j’approuve ce qu’a très justement déclaré le commissaire Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit offline doit l’être online. » Mme la ministre l’a rappelé au commencement de ce débat : la régulation des grandes plateformes numériques est capitale, non seulement pour nos entreprises, mais surtout pour nos citoyens.

Les réseaux antisociaux sont un Far West où se développent complotisme et haine de l’autre. C’est un écosystème de fake news qui abîme nos démocraties et met les jeunes et les moins jeunes à la merci du cyberharcèlement.

La régulation des contenus avec le Digital Services Act (DSA) et l’encadrement des pratiques commerciales avec le Digital Markets Act (DMA) sont les meilleurs moyens de maîtriser notre espace européen. Je forme le vœu que ces textes soient applicables dès la fin de l’année et que l’on continue sans relâche à travailler sur ces sujets.

La performance des six derniers mois est d’autant plus appréciable que cette présidence a été percutée de plein fouet, le 24 février dernier, par la guerre en Ukraine. L’idée de réorienter les priorités ayant été à juste titre écartée, tout a dû être mené de front.

La sale guerre de Poutine a donc été la toile de fond des deux tiers de la présidence française. Elle aurait pu faire voler l’Union européenne en éclats : elle n’a fait, paradoxalement, que la renforcer.

Poutine voulait diviser l’Europe : il la cimente ; ridiculiser l’OTAN : il la retrempe ; humilier les États-Unis : il ressuscite Biden après le revers de Kaboul ; rallier à lui les régimes autoritaires : la Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents et le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours : il est embourbé pour longtemps.

Le principal succès français – il faut y associer la présidente de la Commission – a été, dans des circonstances difficiles, avec certains partenaires à la limite du chantage, de parvenir à maintenir l’unité des Vingt-Sept, de décider de sanctions communes, de réunir une aide militaire et humanitaire efficace à l’Ukraine et, enfin, de renforcer la cohésion avec les États-Unis et l’ensemble des démocraties.

La prochaine étape sera plus difficile. Poutine le sait : il l’attend et l’espère. Elle consiste à relever le défi du long terme, quand la guerre va peu à peu affecter l’économie et renchérir l’inflation et le coût de la vie en augmentant les dépenses d’énergie.

Le défi sera de tenir face aux opinions publiques quand une mauvaise petite musique, bien sûr renforcée par tous les trolls, les bots et les trash media de la cinquième colonne des Le Pen, des Zemmour et des Mélenchon, viendra susurrer que la guerre coûte trop cher, que tout n’est pas noir ou blanc et que, après tout, cette guerre n’est pas la nôtre, alors que bien sûr elle l’est. (M. André Gattolin opine.) Seuls les naïfs ou les agents de désinformation peuvent croire le contraire.

Poutine vient enfin de l’avouer, lors de la célébration du 350e anniversaire de Pierre le Grand : la guerre en Ukraine n’a rien à voir avec la supposée menace occidentale que dénoncent depuis des années ses affidés. Il apporte lui-même la réponse claire et définitive à tous les idiots utiles qui répètent depuis des mois que la Russie n’a fait que répondre aux menaces de l’Europe et de l’OTAN : « L’Ukraine fait partie de la propre histoire, de la culture et de l’espace spirituel de la Russie. » Après Pierre le Grand, « c’est maintenant notre tour de reprendre et de renforcer ce qui appartient à la Russie ».

La guerre en Ukraine n’est rien d’autre qu’une tentative d’annexion ethno-nationaliste, comme en témoigne, depuis deux jours, la délivrance de passeports russes aux Ukrainiens. Le fauteur de cette guerre vient lui-même de l’annoncer. Le masque est tombé.

La guerre vient, enfin, apporter de l’eau au moulin du Président de la République qui, depuis cinq ans, n’a cessé de prêcher, jusqu’alors dans le désert, pour l’Europe puissance.

C’est, là encore, l’un des plus grands échecs de Poutine : avoir ouvert les yeux à des centaines de millions d’Européens qui croyaient que la guerre était une relique et qu’ils étaient parvenus à la paix perpétuelle de Kant, alors qu’ils n’étaient qu’en train de préparer leur sortie de l’histoire.

L’Europe a engagé son réarmement et a adopté sans ciller la boussole stratégique proposée par Emmanuel Macron. Espérons que cette leçon sera retenue plus longtemps que toutes celles qui disparaissent au gré d’une actualité qui ne fait plus qu’exacerber les émotions et s’évanouir la mémoire.

Reste que l’Union européenne devra se garder de céder à la tentation d’un gaullisme du pauvre. Une telle doctrine, qui n’a rien à voir avec le gaullisme, conduirait à prêcher la médiation, voire l’équidistance entre Amérique et Russie, et demain entre Amérique et Chine, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures.

Cette nouvelle guerre froide avec, à terme, un adversaire chinois beaucoup plus puissant et inquiétant que ne l’était l’Union soviétique sera, à l’instar du climat, une menace majeure pour les générations à venir.

Contrairement à ce que prétendent les tyrannophiles d’extrême droite et d’extrême gauche, ce ne sont pas les démocraties qui en sont à l’origine, mais les dictatures et les systèmes totalitaires, qui portent en eux la guerre comme la nuée porte l’orage.

Prétendre échapper à ce cadre géostratégique ou y occuper une position de neutralité, telle une sorte de grande Suisse qui fut trop longtemps la tentation des Européens, serait une erreur, même le jour lointain où nous nous serons enfin réarmés. Aujourd’hui, ce choix trahirait tout bonnement une incompréhension totale des rapports de force.

La boussole stratégique est bienvenue ; cela étant, elle ne se conçoit que dans une alliance toujours plus étroite avec les démocraties extra-européennes (Mme la ministre acquiesce.) et avec un rôle toujours aussi fondamental de l’OTAN.

La réussite de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ne lève pas tous les doutes. Bien sûr, l’avenir de l’Union est problématique. Les nouveaux clivages politiques se dessinent désormais entre pro-européens et populistes. L’avenir de l’Europe reste fragile, car cette dernière continue de vivre sous un régime perpétuel de crises.

Les blocages institutionnels persistent ; nous avons dû faire face à un Brexit qui nous hante, même après le départ du Prime Minister du Get Brexit done ; nous vivons avec la guerre à nos portes et une crise sanitaire qui n’est pas terminée. Nos prises de décisions sont de plus en plus compliquées, nos valeurs sont menacées de l’extérieur et, hélas, de l’intérieur. La Conférence sur l’avenir de l’Europe n’a pas connu l’élan escompté, et, pour l’heure, la refondation des traités européens semble bien compliquée.

Toutefois, je suis certain que le désir d’Europe sera plus fort que tout, comme l’espérait dans son essai Europa Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il nous demandait de réussir à réaliser le rêve européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. André Gattolin, Christian Bilhac et Yves Bouloux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon analyse différera un peu de celle de M. Malhuret, ce qui ne vous surprendra pas.

Le fait que la France occupe la présidence tournante et semestrielle du Conseil de l’Union européenne est un événement d’autant plus notable qu’il est peu fréquent. On se souvient que la dernière présidence française remonte à 2008, et que nous étions alors déjà dans un contexte de crise.

Rappelons au passage que la présidence du Conseil de l’Union européenne coïncidait à l’époque avec celle du Conseil européen. Elle réunissait les chefs d’État et de gouvernement, ce qui conférait à Nicolas Sarkozy, pendant le semestre concerné, la qualité de président de cette institution.

Tel n’est plus le cas depuis le traité de Lisbonne.

M. Alain Cadec. Le Conseil européen dispose désormais d’une présidence permanente, actuellement assurée par le Belge Charles Michel. Aussi, ce n’est que par abus de langage ou par facilité journalistique que l’on a souvent présenté Emmanuel Macron comme « président du Conseil européen », voire, sans craindre l’emphase, comme « président de l’Europe ».

M. Roger Karoutchi. Eh bien quoi ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Il importe également de rappeler la nature véritable de la présidence du Conseil de l’Union européenne.

Cette fonction confie essentiellement aux ministres concernés un rôle d’animation, de modération et, le cas échéant, de bons offices, pour dégager des consensus ou des majorités et fixer la position du Conseil en vue de négociations avec le Parlement qui, dans la plupart des matières, est colégislateur. Ce rôle est certes important, mais il n’est pas décisionnel.

Le document de synthèse du bilan de la présidence française, que j’ai consulté pour préparer ce débat, me semble quelque peu faire fi de ces réalités institutionnelles. J’y vois même une part de forfanterie et d’exagération. Il présente en effet les décisions prises par le Conseil européen, notamment en réaction à l’agression de l’Ukraine, comme liées à cette présidence, voire orchestrées par celle-ci. Or, comme je viens de l’expliquer, il n’en est rien.

Par ailleurs, il met au crédit de la France l’ensemble des avancées législatives accomplies au premier semestre de cette année avec une liste impressionnante de cases cochées – « fait », « fait », « fait »… –, comme autant de missions accomplies. Or la liste ne comporte aucun dossier traité de bout en bout par cette présidence. Certains accords ont pu être menés à terme sur la base d’un travail au Conseil bien engagé sous la présidence précédente. D’autres ne sont pas encore conclus et, à leur sujet, les négociations interinstitutionnelles se poursuivent aujourd’hui sous présidence tchèque.

Nos représentants au Conseil, appuyés par d’excellents fonctionnaires à Paris et au sein de la représentation permanente à Bruxelles, ont certes fait du très bon travail et obtenu de véritables succès. Je salue particulièrement l’adoption des règlements DSA et DMA en matière numérique, celle de l’instrument de réciprocité sur les marchés publics et d’importantes avancées en vue de l’adoption d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Toutefois, je ne puis m’empêcher de relever certains raccourcis audacieux, pour ne pas parler de contre-vérités. Je n’en mentionnerai que deux.

Non, madame la ministre, la France n’est pas parvenue à « favoriser la mise en place de normes de production identiques pour les produits fabriqués dans l’Union européenne et pour les produits importés ». Le fameux concept de « clauses miroirs », concocté à Paris pour l’occasion, est considéré par la plupart des experts comme bancal et contestable du point de vue de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

M. Roger Karoutchi. Oh ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Il n’a reçu de nos partenaires européens qu’un accueil poli, pour ne pas dire froid ; et, dans un récent rapport, la Commission européenne invite à ne pas former de trop grandes attentes quant à sa mise en œuvre concrète.

Non, madame la ministre, la politique commerciale n’a pas été réorientée sous l’impulsion de la France, « afin notamment de renforcer les exigences environnementales et sociales dans les accords commerciaux ».

La volonté de procéder à un tel renforcement est affichée par la Commission européenne depuis des années. Le rapport, longtemps attendu, qu’elle vient de publier sur ce sujet va encore dans ce sens. Sa lecture attentive révèle néanmoins que des sanctions commerciales pour non-respect de ces exigences par nos partenaires ne pourront être envisagées qu’en tout dernier ressort, à des conditions très difficiles à réunir et au terme de procédures lourdes et complexes.

De plus, ces procédures ne concerneront que les accords commerciaux futurs et non ceux qui ont déjà été conclus ou sont en attente de conclusion – je pense en particulier au Mercosur. Les progrès réels sont donc très limités.

De manière plus générale, la question des accords commerciaux pose problème.

Tout le monde en convient, la France est parvenue, sous sa présidence, à bloquer la conclusion de certains accords : dont acte. Mais, au fil des mois, il est devenu clair que la Commission, sa direction générale du commerce et le groupe des États membres les plus libre-échangistes de l’Union européenne attendaient simplement leur heure.

L’annonce de la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande est dramatique pour notre agriculture. Elle a été faite en grande pompe par la présidente de la Commission européenne et la Première ministre de Nouvelle-Zélande le 1er juillet dernier, c’est-à-dire dès le lendemain de la fin de la présidence française !

Pis, la nouvelle présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a inscrit la relance de l’agenda européen de négociations commerciales en tête de ses priorités pour le semestre.

Au titre de la concurrence économique internationale, la présidence française n’aura pas non plus été à même de lever tous les blocages sur la taxation minimale des multinationales ou de convaincre la Hongrie de se joindre au consensus européen. Nous en sommes donc littéralement réduits à espérer que le gouvernement américain, qui entend dénoncer la convention fiscale le liant à Budapest, soit plus efficace sur ce sujet que la présidence française.

Ces constats illustrent, à mon sens, tout ce que les pouvoirs découlant d’une telle présidence peuvent avoir de relatif.

Les autocongratulations dédiées aux succès de la présidence française ne sauraient nous faire oublier que l’Europe, si elle semble désormais avoir davantage conscience d’elle-même, de ses intérêts et de la réalité du monde, se trouve à la croisée des chemins.

Je le répète, la France a sans doute fait du bon travail. Elle n’a pas à rougir de son bilan. Toutefois, un peu de modestie aurait sans doute été plus raisonnable dans la présentation des résultats obtenus. Il est vrai que l’humilité n’est pas la qualité première du Président de la République… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne ont été lourdement marqués par un tragique imprévu.

La guerre russe contre l’Ukraine n’est pas seulement l’attaque contre un pays souverain, contre un peuple courageux qui défend ses droits, sa liberté et sa démocratie. C’est aussi le plus grand défi lancé à la sécurité commune en Europe depuis mai 1945 ; c’est une attaque délibérée contre les principes et le mécanisme de coopération et de sécurité en Europe.

La réponse solidaire et déterminée de l’Union européenne a pu surprendre ceux qui misaient sur son inertie et sa mollesse. Concrètement, elle se traduit à la fois par des sanctions et par une aide militaire, financière et humanitaire.

Madame la ministre, cet imprévu tragique a sans doute contribué à renforcer l’esprit de consensus qui marque le bilan du semestre écoulé.

Tant avec le Conseil qu’avec le Parlement européen, de nombreuses avancées ont bel et bien été enregistrées. Pour autant, il ne faudrait pas que ce débat d’évaluation sans vote, auquel le Gouvernement invite les deux chambres, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, gomme les aspérités problématiques, les blocages, voire les régressions et les sujets sur lesquels on peine encore à discerner de franches orientations européennes.

Tout d’abord, je déplore les insatisfactions provoquées par certaines absences notables de ministres français. Nous savions que l’articulation de notre calendrier électoral national et de l’agenda de la présidence française pourrait poser problème. De fait, lors de certains débats thématiques du Parlement européen concernant directement la PFUE, la place de plusieurs ministres français est restée vide. Or il était question de sujets majeurs, comme l’État de droit !

Cette absence a produit un effet regrettable, à l’heure où les gouvernements hongrois ou polonais tentent de profiter de la forte tension internationale pour que s’émousse notre vigilance sur la pratique de l’État de droit. Le Président de la République considère pourtant cet héritage comme un « trésor », fondé sur « nos valeurs d’Européens, qui font notre unité, notre fierté et notre force »…

En revanche, avec l’accord sur le paquet Climat, notre pays a incontestablement joué, peu avant de passer la main, un rôle positif pour faire avancer les dispositifs correspondant au rehaussement de l’ambition climatique européenne.

Cela étant, les objectifs 2030 de progression des renouvelables ou de l’efficacité énergétique ne sont pas encore assez nettement dans la trajectoire de 1,5 degré Celsius fixée par les accords de Paris.

Surtout, au-delà de l’affichage d’objectifs, le plus compliqué reste devant nous. Il s’agit de faire bifurquer en conséquence les politiques publiques, par exemple par la fin des subventions aux fossiles et la suppression des quotas gratuits des grands émetteurs industriels, qui ne saurait traîner indéfiniment.

Il faut aussi que les territoires – le Sénat le demande à chaque occasion – aient les moyens de décliner efficacement ces politiques climatiques. Je pense tout particulièrement aux enjeux d’adaptation.

Je souligne à quel point les élus de mon groupe déplorent que la France n’ait pas appuyé la proposition du Parlement européen pour que les ménages soient exclus du marché carbone des transports routiers et du chauffage des bâtiments, et à quel point ils s’inquiètent du rétrécissement du fonds social pour le climat.

Nous savons l’importance décisive des dispositifs d’accompagnement et de réduction des inégalités sociales et territoriales face à ces transitions. La gestion difficile des conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine, avec le renchérissement des coûts, pourrait être l’occasion de hâter l’indispensable fin de notre dépendance aux énergies fossiles. Il s’agit là d’une perspective claire ; mais telle n’est pas l’orientation qui se dégage des décisions européennes.

Pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, sans doute aurait-il fallu reprendre cette proposition de la Commission européenne : taxer les superprofits des multinationales de l’énergie.

La fin des voitures thermiques neuves, à présent programmée pour 2035, nous oblige à déployer enfin massivement les stratégies industrielles d’innovation, de reconversion et de formation. Ce sont les seules à même d’éviter le désastre social et économique qui nous attend si nous n’anticipons pas, si nous n’entendons que ceux qui s’obstinent à maintenir le plus longtemps possible un modèle industriel périmé.

À mon sens, c’est le même état d’esprit dépassé qui a, hélas, permis aux tenants du gaz fossile et du nucléaire d’obtenir un vote très politique, et si peu scientifique, pour labelliser « durables » ces énergies dans le référentiel pour la finance verte. De ce fait, la fameuse taxonomie va perdre une bonne part de sa crédibilité.

Si le Pacte vert et les ambitions européennes pour le climat et la biodiversité ont besoin du levier de la finance, ils ont également besoin du levier décisif des pratiques agricoles.

Or la présidence française n’a guère fait preuve de volontarisme pour l’actionner, bien au contraire : notre gouvernement s’évertue encore et toujours à obtenir une déclinaison nationale « à la carte » de la politique agricole commune (PAC). Dans le contexte du drame ukrainien, il pèse pour que soient rabotées les ambitions environnementales de la stratégie européenne pour l’agriculture.

Chers collègues de majorité sénatoriale, nos discussions viennent de le prouver une fois de plus, cette question fait débat au sein de notre assemblée. En la matière, votre résolution européenne va dans le sens du Gouvernement ; mais, pour les élus de mon groupe, vous faites fausse route.

Pour ce qui concerne l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, je tiens à opérer une autre mise au point : non, nous n’en sommes pas encore à la nouvelle génération d’accords annoncée, celle des accords commerciaux vertueux. Pour les normes environnementales, le compte n’y est pas.

Certes, la directive sur les salaires minimums a bien été gérée dans les temps, et ce cadre commun permettra de lutter un peu mieux contre le dumping social. En revanche, les membres de mon groupe déplorent le rôle joué par la France pour ce qui concerne le statut des travailleurs des plateformes.

L’actualité toute récente – je pense à l’enquête menée par le journal Le Monde et ses partenaires – met au jour la nécessité d’une loi de séparation des lobbies et de l’État. Pour la reconnaissance du salariat des Uber et autres Deliveroo, pour l’inversion de la charge de la preuve, la France pèse-t-elle vraiment du bon côté en Europe ? Non. Pour reprendre l’expression de notre collègue Olivier Jacquin, elle freine plutôt des deux pieds.

Pour achever ce tableau des six mois de présidence française, j’insisterai sur trois enjeux déterminants face auxquels l’action de notre gouvernement n’a manifestement pas permis de progresser.

Tout d’abord, je pense à l’enjeu budgétaire. Beaucoup le savent, il serait contre-productif de revenir aux règles budgétaires que Romano Prodi qualifiait de « stupides » et que les années de covid ont achevé de disqualifier. Qui envisagerait sérieusement de mener les investissements de la décarbonation et de l’adaptation dans le carcan du pacte de stabilité ? Le Président de la République envisageait une réforme significative de ces fameux critères : où en est-elle ?

Ensuite, je pense à l’enjeu des ressources propres. Nous savons que l’emprunt commun de la relance s’appuie sur une série de ressources propres à mettre en place. Plus que d’autres États membres, La France avait sans doute la carrure pour faire avancer concrètement ce chantier. L’Union européenne aurait ainsi pu être la première à entériner le projet de taxe sur les multinationales résultant de l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

L’échec face au blocage hongrois vient, hélas, renforcer l’impression que l’on traîne encore et toujours. Or ces ressources propres sont indispensables si l’on ne veut pas que le remboursement futur de la dette européenne se fasse au détriment des programmes européens et du budget existant.

Enfin, même si elle n’a pas tout à fait rencontré l’écho populaire espéré, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, notamment la manière dont des citoyens et des forces vives s’y sont investis, oblige à sortir du statu quo. Il faut bouger pour plus et mieux d’Europe. À l’issue de la présidence française, les conditions sont-elles en place pour que les responsables européens engagent des réponses adaptées à la hauteur des recommandations et des suggestions de cette conférence, qui impliquent de modifier le cadre fixé par les traités ?

Madame la ministre, voilà, dans les quelques minutes qui nous sont imparties, notre contribution au débat relatif à cette PFUE. Si elle vous semble manquer de mesure, en pointant davantage les insatisfactions, c’est parce qu’elle est portée – soyez-en assurée – par des aspirations fortes au renforcement européen. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Laurent applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président – je salue votre première apparition au plateau –, madame la ministre – je salue votre première apparition au banc du Gouvernement –, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne, ce n’est pas la présidence de l’Europe par le chef de l’État français. Le titulaire de cette fonction est appelé à jouer un rôle de catalyseur, pour que le travail du Conseil européen avance, sur la base des propositions de la Commission.

Lors du premier semestre de l’année 2022, il importait de faire progresser un certain nombre de dossiers, pour que les trilogues puissent aboutir avant la fin du mandat du Parlement européen et de la Commission. Il était d’autant plus précieux que la présidence du Conseil revienne à un pays disposant d’une administration que l’on sait efficace et mobilisée et qui, pendant ces six mois, n’a pas menti à sa réputation : c’est la clé pour obtenir, sur des sujets souvent techniques, des accords ou des avancées.

Restait, toutefois, la partie politique. Bien entendu, nous avons tous été profondément choqués par l’agression russe contre l’Ukraine. Face à cet événement majeur, nous avons dû nous unir pour prendre des sanctions contre la Russie, accélérer l’élargissement de l’Union européenne, accueillir les réfugiés venus d’Ukraine et actionner la Facilité européenne pour la paix (FEP), afin d’accompagner les forces armées ukrainiennes.

En parallèle, cette agression remet en cause plusieurs de nos fondamentaux.

Je pense tout d’abord au climat : à lui seul, le défi climatique justifie le renforcement de toutes nos politiques communes et l’extension de la solidarité européenne.

Le paquet Fit for 55 a avancé, certes, mais somme toute assez peu. La fin des quotas gratuits a été repoussée pour permettre l’adoption de mécanismes d’ajustement carbone aux frontières, mais la question de l’accompagnement de la compétitivité de nos entreprises à l’export n’est pas encore totalement traitée.

Toutefois, dans le contexte de la guerre en Ukraine, la taxonomie élaborée semble totalement anachronique : je pense notamment à la place du gaz, à l’heure où nous sommes dans l’obligation de renforcer notre indépendance énergétique.

À cet égard, la guerre en Ukraine vient remettre en cause le modèle de développement européen en général et allemand en particulier, qui est fondé depuis plus de vingt ans sur le gaz russe.

Je pense aussi aux effets de la crise alimentaire et à la manière dont la PAC devra y répondre.

Mes chers collègues, j’en viens aux questions d’asile et d’immigration. Pour faire avancer le pacte asile et migrations proposé en 2020 par la Commission européenne, l’on a opté pour une approche assez technique et graduelle.

On a obtenu de petites avancées, mais plutôt sur des textes répressifs, comme le règlement Eurodac. À ce titre, les personnes débarquant après un sauvetage en mer ne sont plus soumises aux règles de l’immigration illégale : elles font désormais l’objet de dispositions spécifiques. C’est précisément grâce à cette avancée que l’Espagne a accepté le texte en question.

N’oublions pas non plus le règlement Filtrage, au sujet duquel le Parlement européen aurait encore beaucoup à dire.

Quant à la déclaration de solidarité européenne, elle reste très faible : les pays qui l’ont signée s’engagent aujourd’hui à quelque 8 000 relocalisations, chiffre insuffisant au regard des besoins.

Au demeurant, les accords obtenus sur ces textes doivent encore être validés par le Parlement européen. Or, nous le savons, un certain nombre de pays continuent d’espérer que cette institution, fidèle à la ligne qu’elle a suivie jusqu’à présent, revienne sur un certain nombre d’acquis obtenus.

Madame la ministre, la protection temporaire a été mise en œuvre en faveur des Ukrainiens. C’est une première. Espérons que cette décision permette de faire évoluer un certain nombre de fondamentaux européens en matière d’asile.

Pour la première fois, des personnes qui viennent demander la protection de l’Europe disposent de la liberté de circulation et ont immédiatement droit au travail. Ces deux avancées méritent d’être prises en compte pour faire évoluer la politique d’asile en Europe.

M. Patrick Kanner. C’est vrai !

M. Didier Marie. Tout à fait !

M. Jean-Yves Leconte. Il faudra en tirer tous les enseignements. En effet, on ne saurait se contenter d’affirmer qu’il s’agit là d’une exception qui ne se reproduira jamais. Il y va de l’efficacité de notre politique d’asile.

De son côté, depuis 2014, l’Ukraine paye au prix fort le fait d’avoir choisi la voie européenne. Depuis longtemps, les pays des Balkans ont eux aussi fait le choix de l’Europe, mais l’élargissement de l’Union européenne n’avance pas.

Il est heureux que cette présidence ait permis d’affirmer, même si c’est dans un contexte particulièrement tragique, la candidature de la Moldavie et de l’Ukraine à l’Union européenne, tout en dynamisant la candidature de plusieurs pays des Balkans occidentaux. J’en suis convaincu : aujourd’hui, pour renforcer l’esprit européen, il est absolument nécessaire de répondre à ces peuples qui considèrent le projet européen comme le leur, qui comptent sur lui pour assurer leur développement et améliorer leur gouvernance.

À cet égard, j’éprouve deux inquiétudes.

La première porte sur l’État de droit. Pour tenter d’obtenir un accord quant à la fiscalité minimum des multinationales, l’on a fait un certain nombre de concessions à la Pologne. Or il n’est pas possible de transiger sur l’État de droit ; il n’est pas possible de négocier telle taxation contre telle disposition du plan de relance, sans examiner comment la justice fonctionne dans les pays concernés.

Dans des pays qui refusent le parquet européen et qui ne disposent pas d’une justice indépendante, nous ne pouvons pas accepter la mise en œuvre du plan de relance européen sans le moindre contrôle.

Je termine en évoquant le budget et l’économie européenne. Le plan de relance, qui consiste à endetter l’Europe pour faire des plans nationaux – ce devait être un moment hamiltonien –, reste aujourd’hui un one shot. Or, parce qu’il faut reconstruire l’Ukraine, parce qu’il faut réussir la transition écologique, nous avons besoin de disposer de ressources propres et de transformer ce plan de relance, dans une démarche significative et de long terme, pour doter l’Europe d’une économie forte et attractive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 décembre dernier, le Président de la République présentait les priorités de la PFUE. En l’abordant sous l’angle d’une Europe plus souveraine, il mettait en avant la stabilité et la sécurité de notre voisinage. Il estimait alors que l’on ne pouvait pas bâtir l’Europe de la paix en laissant les Balkans occidentaux dans leur situation d’alors, appelant donc à un réengagement fort de l’Union européenne dans la région.

Six mois plus tard, face à la nouvelle donne géopolitique en Europe, une telle affirmation est plus que jamais d’actualité. Mais le réengagement promis fait toujours défaut. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, je ne peux que le regretter.

Lors du dernier Conseil européen, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement ont accordé le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie. Face à l’agression russe, ce geste de solidarité et d’unité européennes était nécessaire.

Le Conseil européen a d’ores et déjà annoncé que le chemin vers l’adhésion serait long. Il a eu raison : la priorité est à la fin du conflit militaire, à la reconstruction, puis à la mise en œuvre progressive des acquis européens avant d’envisager toute accession à l’Union européenne.

Pourtant, la nouvelle donne a totalement bouleversé la perspective européenne des Balkans occidentaux. Quel a été le message envoyé à ces États voisins de l’Union européenne ? Y a-t-il eu un réengagement, comme l’avait promis le Président de la République ?

Malheureusement, la réponse européenne fut faible ; tout juste l’Union européenne a-t-elle réaffirmé à cette occasion son attachement total à la perspective de l’adhésion des Balkans occidentaux et à une accélération du processus.

Les conclusions du Conseil européen donnent l’impression que la région demeure au milieu du gué. Il y a pourtant urgence à réengager clairement la dynamique européenne des Balkans occidentaux. D’une part, les pays concernés nous adressent des signes de progrès : des tensions bilatérales s’apaisent, et des efforts sensibles de mise en conformité avec les règles européennes sont opérés ; cela doit être récompensé. D’autre part, l’influence sur la région de pays étrangers comme la Chine, la Russie ou la Turquie est grandissante – vous l’avez rappelé, madame la ministre – alors que la frustration et les tensions s’aiguisent face à l’absence de perspective européenne.

L’accélération demandée par le Conseil européen doit se traduire concrètement. Madame la ministre, la France et les institutions européennes doivent s’engager fermement pour mettre en musique les conclusions du Conseil européen sur les Balkans occidentaux.

Toujours au chapitre du renforcement de la souveraineté de l’Europe, il est tout aussi essentiel d’évoquer la question énergétique. Les conséquences de la guerre en Ukraine ont confirmé, s’il en était besoin, le caractère fondamentalement stratégique de l’énergie.

Qu’il s’agisse des livraisons alternatives de gaz de pétrole liquéfié (GPL), des achats communs de gaz ou de la gestion des stocks stratégiques, les réponses communes élaborées pendant la présidence française apparaissent aussi ambitieuses dans leur principe que fragiles dans leur mise en œuvre.

En effet, la PFUE n’aura pas permis d’avancées décisives sur l’organisation du marché de l’électricité – en l’occurrence, le débat n’a pas débouché sur des progrès suffisants –, sur la dépendance persistante à certaines matières premières et équipements indispensables au développement des énergies renouvelables ou encore sur le rôle du nucléaire, dont la place au sein de la taxonomie verte vient d’être confirmée in extremis au Parlement européen, mais qui fait toujours l’objet d’attaques virulentes.

Alors qu’aucune transition énergétique ne saurait être viable sans l’atome, la PFUE n’aura pas été l’occasion de remettre le nucléaire au centre du jeu énergétique européen.

Si l’Europe semble donc être revenue à davantage de raison dans le secteur de l’énergie, force est de constater qu’il y a encore du chemin à parcourir. Madame la ministre, la France a un rôle moteur à jouer en la matière ; elle doit se faire entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat et M. Yves Détraigne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a plus de six mois, la France avait souhaité faire de l’environnement et du climat une priorité de sa présidence du Conseil de l’Union européenne.

À l’heure du bilan, le premier constat qui s’impose est que notre pays a réussi à aboutir à un accord global sur le paquet climat devant mettre l’Europe sur la trajectoire de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Ce résultat était loin d’être évident compte tenu de la taille du paquet proposé, de son caractère structurant et des positions parfois très divergentes des États membres sur les textes qui le composent.

Sur le fond, on peut par ailleurs se satisfaire globalement des orientations générales du Conseil. Vous avez évoqué, madame la ministre, des « avancées majeures », dont beaucoup correspondent aux points d’attention que le Sénat avait mis en exergue dans sa résolution sur le paquet climat et dans le rapport d’information que sa commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait consacré à la réforme du marché carbone, ainsi qu’à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Le Sénat s’est en effet investi dans la PFUE. Nous avions ainsi rappelé que la France devait, d’une part, maintenir le niveau d’ambition général du projet proposé par la Commission européenne, en cohérence avec l’objectif de réduction des émissions de 55 %, et, d’autre part, préserver l’acceptabilité sociale de l’ensemble du paquet.

Cet équilibre est globalement conservé par l’accord trouvé au Conseil, notamment grâce à la mise en place d’un Fonds social pour le climat, dont la taille est probablement insuffisante pour accompagner, à lui seul, les ménages, notamment les plus précaires, et les travailleurs, mais qui a le mérite d’avoir résisté aux attaques des États dits « frugaux » ; ces derniers n’en voulaient pas.

Toutefois, le compromis de dernière minute arraché par la présidence française l’a été au prix de plusieurs concessions abaissant quelque peu la portée de l’ensemble. Nous constatons d’ailleurs que la copie rendue par le Parlement européen est plus ambitieuse.

M. Guillaume Chevrollier. Ses positions correspondent souvent aux recommandations exprimées par notre commission lors de ses travaux du printemps dernier.

J’ai tout d’abord à l’esprit le rythme d’extinction des quotas gratuits sur le marché carbone. La date retenue, 2035, est lointaine ; cela retardera d’autant l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières que nous étions nombreux à appeler de nos vœux.

Le Conseil aurait également pu aller plus loin, en intégrant à cette taxe carbone aux frontières d’autres catégories de biens, par exemple les produits chimiques organiques, les plastiques ou l’hydrogène, ainsi que nous l’avions proposé et que le prône aujourd’hui le Parlement européen.

En outre, l’accord au Conseil ne comble pas certains angles morts, comme les émissions du transport aérien international, qui sont couvertes non pas par le marché carbone, mais par un mécanisme Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation (Corsia) particulièrement peu ambitieux.

Le Parlement européen s’est saisi du sujet en proposant d’étendre le marché carbone aux vols internationaux au départ de l’Union européenne.

Enfin, on ne peut pas évoquer le bilan climat de l’Union européenne sans aborder notre dépendance énergétique, à l’heure où les centrales à charbon rouvrent partout en Europe en raison du conflit ukrainien. La possibilité d’une coupure totale du gaz russe, combinée à l’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires, nous fait « craindre le scénario du pire », pour reprendre les propos du Gouvernement.

Cette crise énergétique menace très sérieusement la compétitivité de nos entreprises, mais aussi l’ensemble de nos compatriotes, en particulier les plus modestes, à l’heure où les prix de l’essence, de l’électricité et du gaz ne cessent de grimper. Elle démontre la nécessité de développer une politique européenne cohérente sur l’énergie, à la fois sur la production et sur la consommation, notamment en matière de lutte contre les passoires thermiques.

Cela ne fait plus aucun doute : si nous voulons atteindre nos objectifs climat, il nous faudra avant tout garantir une indépendance énergétique nationale et européenne, une vraie souveraineté dans ce domaine. La tâche demeure importante. La treizième PFUE n’a pas tout réglé ; il reste du travail à accomplir pour renforcer notre Europe ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Didier Marie, Jean-Yves Leconte et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Colonna, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, commentaires, appréciations et questions.

J’ai entendu quelques compliments ; je vais commencer par y répondre de manière positive. (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.) Je suis en particulier très sensible aux remerciements du président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, Claude Malhuret, et du sénateur Jean-Baptiste Lemoyne.

Ces compliments, cher Jean-Baptiste, je vous les retourne, car vous avez directement contribué au succès de la PFUE comme ministre délégué chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, puis comme ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, fonction que vous venez tout juste de quitter ; vous avez donc participé à l’essentiel de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Vous l’avez souligné, l’Union a entrepris de « reprendre le contrôle ». C’est une expression que j’ai entendue dans une acception bien différente voilà encore quelques semaines de l’autre côté de la Manche. Si nous la faisons nôtre, c’est de manière plus positive, en l’appliquant à l’Union européenne.

C’est par l’Europe que nous continuerons demain à peser dans le monde et que nous pourrons pleinement protéger nos concitoyens, définir nos standards, nos choix énergétiques, alimentaires, industriels, numériques.

Derrière tout cela, il y a une véritable réhabilitation de la politique industrielle et de la politique économique européenne. Je vous remercie d’avoir porté ce combat dans vos anciennes fonctions, cher Jean-Baptiste.

Plusieurs d’entre vous, notamment Jacques Fernique, Claude Kern et Marta de Cidrac, ainsi que le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, ont évoqué à juste titre la hausse des prix de l’énergie.

Comme vous le savez, le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire qui gèle les tarifs réglementés du gaz naturel. Ce dispositif sera prolongé – cela a été annoncé – jusqu’à la fin de l’année.

La coordination et la solidarité des partenaires européens seront déterminantes pour nous permettre de nous préparer au mieux à l’hiver prochain. Le Gouvernement y veillera, et la Commission européenne reviendra vers nous dès le 20 juillet avec un plan de réduction de la demande d’énergie. Là encore, il sera crucial de réagir en Européens solidaires.

La Commission a d’ores et déjà adopté une boîte à outils pour autoriser les aides d’État visant à soutenir les consommateurs et les entreprises. Nous poursuivrons nos efforts.

J’ai aussi entendu, après des commentaires constructifs et quelques compliments, des regrets.

Monsieur le sénateur Pierre Laurent, nous serions une « puissance passive » ? Si vous ne me croyez pas lorsque j’affirme que cette présidence a été une réussite, écoutez les autres Européens. Tous les pays de l’Union ont indiqué que la présidence avait, au contraire, été active et réussie. Tous les gouvernements, de droite, de gauche ou du centre, nous félicitent d’avoir fait progresser l’Europe dans une période au demeurant particulièrement difficile, voire dramatique, et de l’avoir rendue plus forte et plus unie.

Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont estimé que nous aurions manqué d’ambition sur la transition écologique. La vérité est que nous avons au contraire abouti à un record d’ambition et de rapidité avec le consensus obtenu sur le paquet climat.

Écoutez le vice-président de la Commission européenne chargé de ces questions, Frans Timmermans, qui a félicité la PFUE. Il a même indiqué que, en tant que socialiste, il aurait préféré ne pas avoir à le faire ; et pourtant, il l’a fait !

Sur le plan social, nous aurions obtenu des avancées « en trompe-l’œil » ? C’est inexact. Si celles-ci étaient aussi symboliques que vous semblez le penser, les discussions n’auraient pas donné lieu à des années et des années de négociations et de blocage. Ces textes attendaient parfois depuis dix ans ou quinze ans. Nous sommes parvenus à convaincre et à réaliser le consensus européen sur ces avancées ; c’est une bonne chose. Nous devrions reconnaître la réalité et nous retrouver pour nous féliciter ensemble de ce qui a été fait.

Certains sénateurs ont évoqué l’État de droit. Il n’est pas possible de dire que la présidence française ne se serait pas battue suffisamment pour que nos partenaires, certains États membres, respectent l’État de droit.

Nous avons mené le combat contre les régressions démocratiques qui apparaissent – c’est vrai – au sein même de notre Union. Il s’agit d’un combat juridique et politique. Nous le mènerons d’ailleurs autant qu’il le faudra.

Monsieur le sénateur Didier Marie, j’ai bien entendu vos déceptions, mais la vérité est que l’État de droit a été un fil conducteur tout au long de ce semestre. Nous avons notamment inscrit à l’ordre du jour la situation en Hongrie et en Pologne ; je reviendrai sur ce dernier pays.

Notre présidence a vu l’activation du mécanisme sur la conditionnalité relative à l’État de droit. Nous avons adopté des conclusions sur la protection des journalistes. Nous avons finalisé un accord au Conseil sur le financement et le statut des partis politiques européens. Nous avons soutenu une révision de la Charte des droits fondamentaux pour défendre le droit à l’avortement. Vous m’avez entendu rappeler la proposition du Président de la République à ce sujet ; elle est désormais reprise par le Parlement européen.

Nous n’avons donc évité aucun débat. Nous ne nous sommes enfermés dans aucun confort. Nous n’avons accepté aucune compromission sous prétexte de faire avancer notre agenda législatif.

Depuis plusieurs années, la situation de l’État de droit en Pologne est suivie avec une attention soutenue par l’Union européenne, et en particulier par la France. Au cœur de nos préoccupations se trouve le constat de défaillances structurelles, notamment celles qui compromettent l’indépendance de la justice.

À l’issue de longs échanges et d’une suspension du plan national de reprise et de résilience (PNRR), des engagements ont été obtenus de la part de la Pologne. Leur respect fera l’objet de contrôles.

Ainsi, si le 1er juin, la Commission a donné son feu vert de principe au PNRR polonais, le 1er juillet, la présidente de la commission, Mme von der Leyen, a indiqué que les progrès réellement effectués étaient insuffisants pour permettre d’aller de l’avant et de débloquer le premier paiement. Celui-ci n’a donc pas eu lieu. En cause : les questions de justice, qui sont au cœur des difficultés de l’État de droit en Pologne, la loi ne garantissant pas l’exclusion de toute poursuite disciplinaire à l’encontre d’un juge qui aurait interrogé le degré d’indépendance d’un autre juge.

Le dialogue se poursuivra au sein du Conseil, mais aussi dans le cadre de la procédure fondée sur l’article 7 du traité sur l’Union européenne, que nous avons mise en œuvre. Soyez assurés que nous serons vigilants.

Monsieur le président Jean-François Rapin, nous aurions subi un « revers » avec la démission du directeur français de Frontex ?

Quelles que soient les qualités de M. Leggeri, permettez-moi de souligner qu’il ne faut pas mélanger deux choses. Il y a, d’une part, une situation individuelle, que je n’ai pas à commenter – elle fait l’objet d’une enquête toujours en cours – et qui a conduit notre compatriote à présenter sa démission, et, d’autre part, le renforcement de l’agence Frontex, qui est engagé depuis des années et pour lequel a France a toujours plaidé. Ce n’est pas facile, parce qu’il y a beaucoup à faire pour renforcer la maîtrise des frontières extérieures de l’Union.

Je suis fière que les réformes aient été accélérées sous notre présidence. Le recrutement du corps permanent de garde-frontières et de garde-côtes ? C’est fait ! L’amélioration des procédures de signalement d’incidents graves ? C’est fait ! Idem s’agissant de la montée en puissance en matière de retour vers les pays d’origine en appui aux États membres.

Plusieurs d’entre vous ont également évoqué la réforme du pacte de stabilité et de croissance. Ce débat n’a pas été mis de côté. Je peux vous l’indiquer, la Commission européenne fera prochainement des propositions sur la base des orientations qu’elle avait décidées préalablement au sommet de Versailles du mois de mars et qui reposent sur plusieurs principes auxquels nous souscrivons.

Tout d’abord, nous avons besoin d’une politique économique coordonnée pour contrer les effets de la guerre en Ukraine, conforter la stratégie de relance adoptée par l’Union au mois de juillet 2020 et détendre les goulots d’étranglement qui font monter les prix, notamment de l’énergie.

Cette fonction de stabilisation, la Commission la promeut d’ores et déjà en étendant la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance jusqu’à 2023. Nous sommes donc toujours sous l’emprise de circonstances exceptionnelles, ce qui a permis à la Commission d’assouplir la contrainte.

Ensuite, il faudra élaborer une trajectoire intelligente de désendettement compatible avec l’investissement dans la double transition numérique et climatique. Pour cela, il sera très important de tenir compte des situations et des choix de chaque État membre, à l’instar de ce mécanisme d’appropriation qu’a permis l’élaboration des plans nationaux de relance et de résilience.

Après l’urgence et cette flexibilité qui a été étendue jusqu’à 2023, nous souhaitons nous inscrire dans une approche de moyen terme donnant à chacun la lisibilité et la prévisibilité nécessaires.

L’appartenance a-t-elle été la grande absente de notre présidence ? Monsieur le président de la commission des affaires européennes, j’ai entendu vos regrets, et je vous remercie de cette question, parce que c’est un mot-clé au cœur du triptyque de notre présidence. Cela va d’ailleurs de pair avec la volonté de la France de bâtir une Europe plus souveraine.

Pourtant – permettez-moi de le dire – les regrets que vous avez exprimés paraissent presque paradoxaux au moment où plusieurs peuples, ukrainien, moldave, géorgien, ont exprimé leur aspiration forte à intégrer l’Union européenne. Le sentiment d’appartenance ne doit pas se trouver seulement à l’extérieur de l’Union européenne ; il doit également être à l’intérieur. C’est cela que nous devons encourager et c’est ce que nous avons voulu faire. Nous sommes conscients que l’Europe apparaît trop souvent, à tort, comme une entité lointaine. Il faut changer cela : nous devons conquérir les cœurs et les esprits plus encore que nous ne le faisons déjà. Cela a été l’un des axes de notre présidence, par le truchement de débats citoyens qui ont été menés pendant un an.

L’appartenance, c’est d’abord ressentir la force et la singularité de notre modèle, de nos valeurs, de nos convictions, de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux. À l’extérieur, l’Ukraine nous y appelle ; à l’intérieur, nous devons encourager le sentiment d’appropriation européen. Pour résumer, au cours de ce semestre, face à la guerre en Ukraine, le sentiment d’appartenance de tous les Européens n’a pas diminué ; il s’est accru.

Monsieur le sénateur Pierre Laurent, l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande n’est pas un accord mixte ; c’est bien un accord signé par l’Union européenne dans le cadre de ses compétences, au sens des institutions européennes. Il revient donc au Parlement européen de se prononcer, et il le fera. Sur le fond, il s’agit d’un bon accord, le plus ambitieux en matière de développement durable que l’Union européenne n’ait jamais conclu, sur le modèle qui nous conduit désormais à intégrer des clauses environnementales et sociales dans les accords de nouvelle génération. Ce n’était pas le cas précédemment s’agissant des accords commerciaux. Cet accord protège nos filières agricoles sensibles et 200 indications géographiques. Le Gouvernement viendra – j’en prends l’engagement – vous en présenter les enjeux.

Mme Guillotin s’est interrogée sur la ruralité et l’attention portée à la politique agricole. Là encore, notre action a été marquée par la guerre en Ukraine, une réalité qui s’est imposée à tous. Elle a permis de conforter trois objectifs cardinaux.

Le premier est la production. Alors que les pays du Sud sont exposés à l’insécurité alimentaire, dont la Russie porte l’unique responsabilité par son blocus et la guerre qu’elle mène, par les exactions qu’elle continue de perpétrer, notre continent doit plus que jamais être un continent de production et d’exportation.

Le deuxième est la réduction de nos dépendances. En matière agricole, nous dépendons trop souvent des intrants qui viennent d’ailleurs, par exemple de Russie et de Biélorussie pour les engrais phosphorés. (M. Laurent Duplomb sexclame.) Nous devons donc reconquérir notre autonomie stratégique.

Le troisième est la contribution à la lutte contre le réchauffement, à la préservation de nos écosystèmes et à la protection de la biodiversité. Cela reste un impératif de long terme, qui requiert des actions dès maintenant.

Ces trois objectifs ne sont pas incompatibles entre eux.

J’en viens à la politique agricole commune (PAC). Le 23 mars, donc environ un mois après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, la Commission a autorisé la mise en culture de jachères pour libérer de nouvelles capacités de production. C’est un pas. Sans doute faut-il l’encourager et, si la guerre devait s’installer dans la durée, réfléchir à de nouvelles évolutions. (M. Laurent Duplomb proteste.) Nous avons souhaité permettre tout de suite d’accroître les capacités de production européennes.

En parallèle, parce que le marché des céréales – c’est d’ailleurs vrai des marchés alimentaires en général – est mondial, nous devons veiller à maintenir le marché ouvert. C’est ce que nous avons fait en agissant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le dernier conseil ministériel du 12 juin a ainsi permis d’interdire des restrictions à l’exportation pour le Programme alimentaire mondial (PAM). Nous agissons également au sein du Fonds international de développement agricole (FIDA), et nous dotons le PAM de moyens supplémentaires.

Nos trois objectifs de production, de réduction des dépendances et d’affirmation agroécologique ne pourront aller ensemble que si nous protégeons nos marchés contre des productions qui n’auraient pas les mêmes niveaux d’exigence sociale et environnementale. C’est tout l’objet des fameuses clauses miroirs (M. Laurent Duplomb sexclame.), sur lesquelles la Commission a marqué sa disponibilité à avancer.

Nous en sommes au début – je vous le concède –, mais nous avons souhaité que notre présidence en pose le principe, monsieur le sénateur Alain Cadec, parce que la réciprocité des normes est essentielle. Il y va de l’efficacité de nos propres règles. Cela permet de s’assurer que les efforts demandés à nos producteurs ne se traduisent pas pour eux par une perte de compétitivité. Croyez-moi : nous suivrons de près ce dossier, ainsi que les propositions de la Commission.

Pour résumer, certains ont évoqué la « modestie » nécessaire à nos fonctions ; je parlerais même d’« humilité ». Je ne tomberai certainement pas dans l’autosatisfaction en laissant penser que rien n’aurait été fait avant nous et que nous aurions tout fait en six mois. Ce n’est pas cela, une présidence. Cela suppose de l’humilité, de la persévérance, une vision.

Nous prenons l’Europe telle que l’on nous la confie, et nous la rendons à ceux qui nous suivent, si possible, en meilleur état. C’est ce que nous avons fait. Je veux souligner le travail de tous ceux qui nous ont précédés, comme de tous ceux qui vont nous suivre. Tout le travail accompli, qui a été salué partout en Europe, a été possible grâce à votre aide, à l’impulsion du Président de la République et au soutien de nos forces vives et de nos citoyens.

Je souhaite répondre à M. Marie et à Mme Guillotin sur ce qui est un long combat de la France. La transposition de l’accord de principe trouvé à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la taxation du numérique n’a pas pu aboutir sous notre présidence. L’OCDE vient elle-même de se donner un peu plus de temps.

Vous avez évoqué le débat sur la réforme du fonctionnement de l’Union européenne. Le Président de la République a promis que nous n’aurions pas de tabou à cet égard. Ce débat, qui concernera peut-être la sortie de l’unanimité, devra porter sur la politique étrangère, mais aussi sur la fiscalité. Nous le souhaitons, même si certains de nos partenaires seront sans doute plus circonspects.

Il y aura beaucoup d’autres chantiers. Je fais toute confiance à la présidence tchèque et à celles qui suivront pour continuer à construire une Europe plus souveraine, plus unie et qui réponde aux attentes de nos peuples. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-quatre, est reprise à dix-sept heures quarante-six.)

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Discussion générale (suite)

Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (proposition n° 514, texte de la commission n° 753, rapport n° 752).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Article unique

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée, à laquelle, en votre nom à tous, mes chers collègues, je souhaite la bienvenue. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais commencer par vous faire part de tout le plaisir et de toute l’émotion que je ressens aujourd’hui à intervenir à la tribune de cette assemblée que je connais bien. J’aurai à cœur que nous puissions travailler ensemble dans un esprit de responsabilité et avec un souci permanent du dialogue.

Depuis 2017, la France a subi quinze attentats terroristes islamistes. À travers ces actes ignobles, c’est notre République et nos valeurs qui ont été visées.

Dans un contexte de menace très élevée, le Gouvernement, à la demande du Président de la République, s’est pleinement mobilisé dans la lutte contre la radicalisation et le terrorisme. C’est cet engagement sans faille de nos services qui a permis de déjouer trente-neuf attaques au cours des cinq dernières années.

À la faveur de la diffusion informatique d’une vaste propagande terroriste et de l’émergence de nouveaux moyens de communication électroniques, les actions terroristes sont de plus en plus le fait d’individus qui s’inspirent des messages de propagande émanant d’organisations terroristes – celles-ci incitent au passage à l’acte en fournissant des tutoriels à cet effet – sans pour autant être entrés en contact visible ou direct avec lesdites organisations ou avec un quelconque réseau ou groupe terroriste ; aussi ces individus échappent-ils à toute capacité de détection par le biais d’une surveillance ciblée.

Depuis 2017, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste en augmentant les moyens humains, budgétaires et juridiques dont bénéficient les services de renseignement, les forces de sécurité et les magistrats, qui mènent un combat sans relâche.

Pour ce qui est des moyens humains et financiers, les services spécialisés en matière de lutte antiterroriste ont, depuis 2017, fait l’objet d’un effort sans précédent. Au total, 1 900 postes supplémentaires ont été créés.

Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont également fait l’objet d’un effort inédit. Ceux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont par exemple presque doublé depuis 2015 !

Nous avons également créé le parquet national antiterroriste (PNAT) aux fins de renforcer la force de frappe judiciaire antiterroriste.

Le cadre légal a, quant à lui, évolué pour être adapté.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a ainsi introduit dans le droit commun quatre mesures de police administrative issues de l’état d’urgence. Elles ont démontré toute leur efficacité et leur pertinence. Je pense au périmètre de protection, à la fermeture des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) et aux visites domiciliaires.

C’est dans cette même veine que s’est inscrite la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, qui a notamment pérennisé les dispositions de la loi SILT et la technique de l’algorithme, en les adaptant à l’évolution de la menace. Cette même loi a en outre apporté des avancées significatives en matière d’activités de renseignement : extension des techniques de l’algorithme aux URL ; expérimentation d’une technique d’interception des communications satellitaires ; échanges de renseignement entre services, avec la liberté du partage de renseignements entre les services des premier et second cercles et la possibilité d’exploitation de données brutes issues des techniques de renseignement pour d’autres finalités que celles qui en ont justifié le recueil.

L’action de l’État se concentre non seulement sur le terrorisme et la radicalisation violente, mais aussi sur leur terreau, à savoir l’islamisme et le repli communautaire. Fin 2019, nous avons généralisé à tous les départements le dispositif des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur s’est fait le promoteur d’une stratégie globale de lutte contre le séparatisme et l’islamisme, par le biais notamment de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce texte a été une étape majeure.

De telles avancées doivent être poursuivies et nos outils doivent être adaptés, afin d’appréhender plus efficacement des criminels aux profils et aux méthodes qui évoluent. La majorité des porteurs de menace détectés ces deux dernières années ne sont pas en lien avec des réseaux terroristes structurés, mais se radicalisent et s’aguerrissent de manière isolée.

Les enjeux de détection sont donc fondamentaux, raison pour laquelle nous avons engagé la valorisation du numéro vert affecté au recueil de signalements. L’importance desdits signalements doit d’ailleurs être rappelée, car chacun doit se sentir acteur de la lutte antiterroriste.

Un effort accru a de surcroît été accompli en matière de détection en ligne. Les moyens de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) ont été augmentés. La technique de renseignement permettant le traitement automatisé de données de connexion a été pérennisée.

La circulation de contenus de haine en ligne ne s’arrêtant pas aux frontières nationales, un règlement de l’Union européenne relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne a été adopté. Il vise à permettre le retrait des contenus terroristes en ligne en une heure maximum. Si les plateformes ne retirent pas un contenu terroriste dans l’heure, elles doivent s’acquitter de sanctions financières allant jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires.

Pour assurer le bon fonctionnement du dispositif, des autorités indépendantes chargées d’assurer et de contrôler la légalité du retrait des contenus doivent être désignées par chaque État membre.

La présente proposition de loi, qui a été déposée en début d’année sur l’initiative de la députée Aude Bono-Vandorme, puis enrichie par votre commission, viendra donc renforcer notre arsenal en adaptant notre droit national au règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, qui constitue un outil décisif contre le terrorisme en Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, en remplacement de M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président – je salue au passage la première présidence de séance d’un éminent commissaire aux lois ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.) –, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient d’intervenir sur le premier texte de cette session extraordinaire à la place de notre collègue rapporteur André Reichardt, qui est malheureusement empêché cet après-midi.

Ce texte est, à certains égards, l’exemple typique d’une pratique régulièrement critiquée sur nos travées : la fausse proposition de loi.

M. Jérôme Durain. Très juste !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Le texte a été rédigé par les directions centrales des ministères concernés et déposé par les députés du groupe majoritaire avant d’être discuté par le Parlement. La conséquence, désormais bien connue, est qu’il n’y a eu ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État.

En l’occurrence, il nous aurait pourtant été utile de disposer d’estimations concernant le nombre de procédures d’injonctions à venir et les moyens humains alloués à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), mieux connu sous le nom de la plateforme qu’il met à disposition des internautes, Pharos, et à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour exercer les nouvelles missions qui leur sont dévolues par la présente proposition de loi.

Une analyse du Conseil d’État sur la constitutionnalité du dispositif aurait pu également être opportune compte tenu de la position exprimée par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cela étant dit, la présente proposition de loi vise à adapter la législation française aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Mais notre marge de manœuvre est en réalité assez étroite – il faut bien le reconnaître –, car elle est définie par le règlement européen lui-même. Ce texte devrait donc faire consensus.

Je me contenterai d’en mentionner les principaux apports : retrait en une heure, possibilité d’émettre des injonctions transfrontalières, possibilité de soumettre les fournisseurs de services d’hébergement à des mesures spécifiques.

De tels dispositifs ne sont pas totalement nouveaux dans notre droit, la France étant en la matière plus avancée que les autres pays de l’Union européenne, probablement parce qu’elle a – hélas ! – souvent été la cible d’attaques terroristes.

Depuis 2015, les dispositions de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoient une procédure administrative de retrait qui permet à Pharos de demander aux éditeurs et aux hébergeurs de retirer des contenus faisant de la provocation ou de l’apologie du terrorisme ou des contenus pédopornographiques.

En cas de non-retrait sous vingt-quatre heures, Pharos a la faculté de notifier la liste des adresses électroniques permettant l’accès aux contenus illicites aux fournisseurs d’accès à internet, afin qu’ils les bloquent sans délai, et aux moteurs de recherche, afin qu’ils les déréférencent.

L’articulation avec le droit existant de la nouvelle procédure d’injonction de retrait a suscité quelques réserves de la part de notre rapporteur, André Reichardt. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d’un système dual, dans lequel les deux procédures coexisteraient, ce qui ne semble pas tout à fait respecter l’esprit du règlement européen ; celui-ci vise en effet à harmoniser la procédure et les obligations découlant des injonctions de retrait en matière de contenus à caractère terroriste.

Finalement, en pratique, il reviendrait à Pharos d’articuler ces dispositifs potentiellement concurrents et de décider quelle procédure employer, injonction de retrait en une heure ou demande de retrait en vingt-quatre heures…

Nous comprenons tout à fait le choix de ne pas « désarmer » Pharos et de lui conserver la possibilité d’user d’une procédure déjà existante qui a fait ses preuves, en particulier pour continuer à pouvoir notifier des blocages ou des déréférencements.

La commission des lois a souhaité renforcer la cohérence entre les deux dispositifs en veillant à ce que les autorités concernées soient les mêmes et en instituant une supervision de Pharos par la personnalité qualifiée de l’Arcom pour l’ensemble des injonctions de retrait.

Celle-ci pourra ainsi s’assurer que Pharos adopte la même pratique que les autres autorités compétentes européennes et utilise les injonctions de retrait du règlement européen dans les mêmes cas de figure, sans se reporter sur la procédure moins formaliste de l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Nous avons en outre étendu la compétence du suppléant de la personnalité qualifiée, qui a été créé sur l’initiative de la rapporteure à l’Assemblée nationale, afin que ce suppléant puisse également intervenir dans les procédures de l’article 6-1, y compris celles qui sont relatives aux contenus pédopornographiques, et ainsi alléger la charge de travail de la personnalité qualifiée.

Reste un dernier sujet sur lequel nous avons un désaccord avec le Gouvernement : celui de la procédure juridictionnelle ouverte aux fournisseurs de services d’hébergement et aux fournisseurs de contenus pour contester les décisions prises par Pharos, par la personnalité qualifiée de l’Arcom ou par l’Arcom dans le cadre du règlement européen.

Dans la proposition de loi initiale, seulement la première instance, à savoir une procédure accélérée au fond devant le président du tribunal administratif, était prévue. Nous avons ajouté une procédure d’appel dans les mêmes délais devant le Conseil d’État.

Le Gouvernement propose une procédure d’appel classique devant la cour administrative d’appel, dans un délai contraint d’un mois. En réalité, ce point n’est pas dirimant ; je suis sûr que nous pourrons poursuivre nos discussions de manière fructueuse et trouver une solution en commission mixte paritaire avec nos collègues députés.

Par conséquent, mes chers collègues, la commission, sous réserve de l’adoption des amendements sur lesquels elle a émis un avis favorable, vous demande de voter le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment où nous allons parler de prévention d’actes terroristes, je souhaite avoir une pensée particulière pour le personnel du centre de déradicalisation de la prison des femmes de Rennes, établissement unique en France, qui effectue un travail remarquable.

Le développement d’internet dans nos sociétés a multiplié l’accès à l’information. Mais son caractère anonyme, simple et accessible à tous a malheureusement aussi favorisé l’apparition de nouveaux phénomènes tels que le cyberharcèlement, la désinformation massive ou l’exposition de mineurs à la pornographie, dont nous avons assez souvent parlé ici.

Dans la continuité de travaux précédents, qui ont donné lieu à la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet et à la loi confortant le respect des principes de la République, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à accroître la sécurité de notre cyberespace, et plus particulièrement à assurer la protection de nos concitoyens face à la diffusion de contenus à caractère terroriste.

Nous avions déjà légiféré à ce sujet après les attentats ayant endeuillé notre pays en 2015. L’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication peut demander aux éditeurs et aux hébergeurs de retirer des contenus relevant de la provocation ou de l’apologie du terrorisme sous vingt-quatre heures. Mais nous devons aller plus loin.

En effet, le risque terroriste reste l’une des urgences auxquelles notre pays doit faire face. Les différents attentats récents – j’ai une pensée particulière pour Samuel Paty –, ainsi que les affaires quotidiennement traitées par la cellule antiterrorisme montrent qu’il est nécessaire et urgent d’améliorer la situation. Cette menace, qui pèse sur notre pays, pèse aussi sur le reste du monde. Elle utilise massivement internet, qui ignore toute frontière. C’est pourquoi la lutte ne peut être menée qu’à l’échelle internationale. La menace étant globale, la réponse doit l’être tout autant, aussi bien militairement que virtuellement, car le cyberespace est devenu un terrain d’enrôlement.

Si internet permet le meilleur, on sait aussi qu’il peut faciliter le pire, notamment par la diffusion de messages de haine et d’incitations au terrorisme ou par la recherche de cibles.

Identifier et retirer de tels contenus représente un travail long, fastidieux et complexe, mais indispensable.

L’Union européenne nous a offert des moyens de faire face en élaborant un règlement visant à contraindre les services en ligne à supprimer des contenus à caractère terroriste en moins d’une heure sur injonction d’une autorité administrative. Ce règlement laisse aux États membres trois marges de manœuvre relatives à la désignation des autorités compétentes, au régime de sanction applicable et aux modalités de mise en place de « procédures efficaces » en matière de recours.

Il était donc nécessaire d’adapter notre droit interne aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a adopté au mois de février dernier une proposition de loi sur ce thème. Nous en saluons les dispositions.

À l’issue de son examen en première lecture par l’Assemblée nationale, le texte avait été amélioré sur trois points, comme cela a été rappelé.

Tout d’abord, il a été prévu la désignation d’un organisme suppléant dans l’hypothèse où l’Arcom, autorité compétente pour examiner les injonctions de retrait, ne pourrait pas s’acquitter de ses obligations dans les plus brefs délais, notamment en cas d’émission d’une notification étrangère visant à obtenir le retrait d’un contenu en France.

Ensuite, les sanctions prévues pourront être appliquées de manière plus dissuasive, c’est-à-dire directement ou lorsque l’infraction est commise de manière « habituelle », et non plus seulement en cas de non-respect « systématique ».

Enfin, la faculté a été accordée à l’Arcom de recueillir les informations nécessaires à l’exercice de sa mission de suivi des obligations administratives découlant du règlement européen.

Ainsi que cela vient d’être rappelé, notre commission des lois a, quant à elle, enrichi le texte de plusieurs modifications importantes et fort pertinentes ; j’en profite pour saluer l’excellent travail réalisé dans l’urgence par notre rapporteur André Reichardt. Elle a notamment prévu la transmission systématique des injonctions de retrait à l’Arcom, afin que celle-ci puisse intervenir de manière complète sur les procédures visées et veiller à la cohérence globale du traitement des contenus terroristes.

Notre commission a également retenu l’harmonisation des peines encourues par les fournisseurs de services d’hébergement en cas de non-respect de leurs obligations, la peine de prison encourue pour non-signalement d’un « contenu à caractère terroriste présentant une menace imminente pour la vie » étant abaissée de trois à un an. Nous prévoyons par ailleurs le raccourcissement des délais applicables à la suite de la procédure, en fixant à soixante-douze heures le délai d’un possible appel et en abaissant le délai d’un mois laissé au Conseil d’État à compter de la saisine.

En dépit des regrets pertinents exprimés par M. le président de la commission des lois quant à ce que nous aurions souhaité voir inclus dans cette proposition de loi, le groupe UC – vous l’avez deviné – votera pour cette proposition de loi dans sa rédaction si sagement amendée par notre commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Christchurch, Samuel Paty, tuerie de Buffalo : autant de noms ou d’événements dramatiques associés à une diffusion de masse sur les réseaux sociaux.

Internet est un lieu ouvert, un espace parfois présenté comme privilégié en matière de liberté d’expression ; mais, terrible contrepartie, il facilite dans le même temps la propagande terroriste et l’échange de contenus haineux et violents.

Certains utilisateurs oublient trop souvent que leur pseudonyme ne justifie pas d’écarter les règles les plus élémentaires, comme l’interdiction de l’incitation à la haine.

Aussi, internet ne saurait être un espace de non-droit laissant à des individus la liberté de répandre leur haine en toute impunité. Bien entendu, un arsenal juridique existe déjà, permettant un contrôle et des sanctions. Et leur mise en œuvre justifie de mobiliser les plateformes et autres supports pour qu’ils agissent de concert avec les pouvoirs publics dans le sens d’une meilleure réglementation et d’un meilleur encadrement.

Cela a été dit, notre législation permet le retrait ou le blocage des contenus à caractère terroriste ; l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique donne ainsi à l’administration la possibilité de demander aux éditeurs ou aux hébergeurs de retirer un contenu à caractère terroriste en s’appuyant sur des signalements effectués sur la plateforme de signalement Pharos.

Ce mécanisme est efficace. Je me réjouis qu’il soit maintenu, ce qui n’empêche d’ailleurs nullement de lui adjoindre une nouvelle mesure issue du règlement du 29 avril 2021 et visant à obtenir le retrait de contenus terroristes en ligne dans l’heure.

Bien entendu, ce dispositif n’est pas neutre du point de vue du respect des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel l’avait souligné à l’occasion de l’examen de la loi Avia.

Comme le règlement européen, cette loi prévoyait de réduire à une heure le délai dont disposent les éditeurs et hébergeurs pour retirer les contenus notifiés par l’autorité administrative.

Le Conseil constitutionnel avait considéré que l’atteinte à la liberté d’expression et de communication n’était ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée à l’objectif.

Comme chacun sait, le groupe RDSE s’est toujours montré favorable au développement de la coopération européenne. Nous nous réjouissons donc que, sur ce point, le règlement européen ait permis, dans une certaine mesure, de dépasser le verrou constitutionnel, et ce, certes, pour des raisons de hiérarchie des normes, mais aussi du fait des garanties supplémentaires apportées au regard du dispositif censuré de la loi Avia.

Nous partageons évidemment les regrets de M. le rapporteur. Deux procédures pour un même objet témoignent d’un manque de cohérence dans la construction de notre droit. Cela dit, il n’était pas question de faire disparaître la procédure initiale, puisque celle-ci fonctionne.

Mais mon principal regret réside surtout dans le fait qu’un tel dispositif aurait pu être élaboré avec plus de temps et de recul, dans le cadre, peut-être, d’un projet de loi. Cela aurait permis de bénéficier des analyses souvent éclairées des conseillers d’État.

Un tel recul est tout particulièrement nécessaire s’agissant de législations qui touchent les jeunes générations. Ces dernières sont de plus en plus présentes sur des réseaux sociaux, qui se diversifient.

Il me semble d’ailleurs qu’il serait judicieux d’approfondir nos réflexions quant aux dispositifs imposant un encadrement renforcé de l’usage de ces réseaux par les mineurs, s’agissant tant de l’accès aux contenus, notamment violents ou à caractère sexuel, que de la collecte de leurs données personnelles.

Il conviendrait également de rechercher les moyens d’améliorer l’encadrement et les sanctions applicables à ceux qui partagent des contenus auprès de mineurs.

Il n’en demeure pas moins, mes chers collègues, que le groupe RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe est en permanence sous le coup de la menace terroriste. Il est donc nécessaire pour la France de s’aligner sur la stratégie européenne de lutte contre cette menace, et notamment contre la propagande en ligne.

En effet, l’espace numérique est le premier lieu d’endoctrinement. Ayant travaillé sur la déradicalisation dans le cadre d’une mission d’information sénatoriale avec Mme Catherine Troendlé, je peux affirmer l’importance de la toile. Les jeunes sont recrutés sur des réseaux sociaux, ils trouvent leurs sources d’information sur des sites douteux et communiquent entre eux par le biais d’applications « secrètes » et de jeux vidéo. Souvenez-vous, mes chers collègues, de la tragédie de Christchurch ou de l’assassinat de Samuel Paty, qui furent le corollaire d’une radicalisation sur internet.

Il est urgent d’établir un bouclier puissant, à l’échelle européenne, pour contrer cette spirale numérique.

La présente proposition de loi est une adaptation aux dispositions du règlement européen 2021/784. Il s’agit de doter notre législation de nouveaux outils de renforcement du contrôle numérique, mais aussi d’alerter quant à la responsabilité des fournisseurs de services d’hébergement, qui sont désormais assujettis à un régime de sanctions plus contraignant et plus dissuasif.

Bien que l’objet de cette proposition de loi paraisse être des plus louables, sa substance ne semble pas satisfaire pleinement aux exigences démocratiques garantissant la liberté d’expression. Internet est un espace dont les contours échappent encore aux plus aguerris d’entre nous. C’est donc avec la plus grande précaution, et toujours d’une main tremblante, que nous devons intervenir pour restreindre la liberté au sein de cet espace si particulier.

Si, dans le dispositif précédent, deux autorités avaient la main sur la procédure, dorénavant l’Arcom en est la seule exécutrice. Le délai d’une heure, trop court pour saisir un juge, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, participe d’une déjudiciarisation déjà en marche. De nombreux exemples nous appellent à la plus grande méfiance quant aux moyens mis à disposition par ce texte ; les algorithmes ne remplacent ni l’esprit humain ni son jugement.

Le législateur doit s’attacher à trouver un juste équilibre entre l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, d’une part, et la protection et la sécurité des utilisateurs d’internet, d’autre part.

Je voterai pour ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, nous apprenons à vivre avec les réseaux sociaux. Mais les réseaux sociaux évoluent sans cesse. Nous avons découvert voilà une dizaine d’années que les islamistes radicaux utilisaient internet. Nous découvrons depuis peu que d’autres terroristes, racistes, masculinistes, parfois homophobes, sont tout aussi à l’aise avec les réseaux sociaux.

J’en veux pour preuve le récent acte terroriste commis aux États-Unis, à Buffalo, par un suprémaciste blanc. L’auteur a diffusé ses actes en direct sur la chaîne Twitch. La vidéo concernée a été retirée en moins de deux minutes. Comme l’a rappelé France Culture : « C’est considérablement moins que les 17 minutes qu’il avait fallu à Facebook pour retirer une vidéo similaire diffusée par le suprémaciste blanc autoproclamé qui avait tué 51 personnes dans deux mosquées néo-zélandaises à Christchurch en 2019 ». Mais ces deux minutes ont suffi pour que certains copient les images concernées et les rediffusent à leur tour. Le temps réel constitue bel et bien un défi en ce qui concerne le contrôle de la propagation des contenus terroristes en ligne.

La proposition de loi que nous examinons en séance aujourd’hui porte sur de tels enjeux. On s’interrogera, comme de nombreux collègues sur toutes les travées, sur le véhicule législatif choisi.

L’adoption du règlement Terrorist Content Online (TCO) nécessite une adaptation de la législation nationale. Ne pas le faire placerait la France en contradiction avec ses obligations et engagements européens. C’est bien la raison pour laquelle un projet de loi s’imposait ! Le Parlement aurait tiré profit de l’étude d’impact et, surtout, de l’avis du Conseil d’État sur la compatibilité du règlement avec notre ordre constitutionnel. En ce début de quinquennat et de législature à l’Assemblée nationale, espérons que cette mauvaise habitude de recourir abusivement aux propositions de loi, qui avait prévalu lors du mandat précédent, disparaisse !

Des clarifications s’imposent quant à la compatibilité de la définition européenne des contenus à caractère terroriste, moins restrictive, avec celle qui prévaut aujourd’hui en droit français, laquelle assure une appréciation « manifeste ». De même, peut-on considérer que la détermination illicite des contenus terroristes ne relève pas de la seule appréciation de l’administration dès lors que le règlement européen prévoit le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée au sein d’une autorité administrative indépendante (AAI), ainsi que le recours suspensif au juge administratif ?

L’objectif principal recherché par la présente proposition de loi, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme et sa propagande, n’est pas contestable. Son dispositif a vocation à s’insérer dans le cadre du régime de blocage administratif en vigueur dans notre droit interne.

Si l’hébergeur ou le fournisseur de contenus refuse de se conformer à l’injonction de retrait du contenu dans l’heure, une demande de blocage pourra être adressée par l’autorité administrative au fournisseur d’accès à internet à l’issue d’un délai de vingt-quatre heures, conformément à la législation en vigueur, c’est-à-dire l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Enfin, soulignons, à l’instar des considérants préliminaires au règlement TCO, que les mesures réglementaires visant à lutter contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne doivent être complétées par des stratégies des États membres pour combattre le terrorisme. Ces stratégies comprennent le renforcement de l’éducation aux médias et de l’esprit critique, l’élaboration de discours alternatifs et de contre-discours, ainsi que d’autres initiatives visant à réduire l’impact des contenus à caractère terroriste en ligne et la vulnérabilité à l’égard de ces contenus. Elles peuvent aussi porter sur l’investissement dans le travail social, les initiatives de déradicalisation et le dialogue avec les communautés touchées, afin de parvenir à une prévention durable de la radicalisation dans la société.

Mon groupe et moi-même avons entendu les critiques sur les délais accordés aux fournisseurs d’accès, ainsi que les interrogations quant au pouvoir extravagant de certains algorithmes supposés régir les publications des réseaux sociaux. Oui, les réseaux sociaux sont parfois plus prompts à réagir en cas de non-respect du copyright qu’en cas de diffusion de contenus supposés inciter à la violence ! J’ai précédemment évoqué Twitch, mais j’ai du mal à distinguer les bons ou les mauvais élèves en la matière.

Vous avez peut-être entendu comme moi parler des conséquences de l’évolution de la position des juges suprêmes sur l’avortement aux États-Unis. Facebook et Instagram censurent immédiatement tout post qui tend à communiquer sur la délivrance de pilules abortives.

Ainsi, des utilisateurs ont vu leurs posts du type : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des pilules abortives » supprimés sans attente. Ils ont été choqués de découvrir que s’ils écrivaient : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des armes », leurs messages pouvaient rester en ligne sans difficulté. Mais la suppression des contenus de Christchurch en deux minutes devrait nous convaincre, et convaincre les plus sceptiques, que les réseaux sociaux prennent le terrorisme au sérieux.

Pour terminer, je tiens à saluer le rapporteur : bien qu’il ait dû travailler dans une extrême urgence, il a contribué à éclaircir les flous pouvant exister en ce qui concerne la compatibilité de ce nouveau dispositif avec ce qui existait déjà en France dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Je souligne également son souci d’aboutir à un dispositif plus stable que la loi Avia, tristement célèbre sur ces questions.

En conséquence, notre groupe votera en faveur de ce texte tel qu’amendé par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il est intéressant pour notre Haute Assemblée d’examiner la présente proposition de loi après avoir débattu du bilan de la présidence française de l’Union européenne, dont le volet numérique a été amplement mis en exergue voilà quelques instants, notamment par mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne que je tiens à saluer ici.

Largement évoquées – et pour cause ! –, les nouvelles pratiques numériques, qui tordent les possibles et peuvent gravement porter atteinte à l’ordre public, nous imposent d’adapter nos outils de lutte contre le terrorisme.

Nous avons tous malheureusement à l’esprit le rôle de la viralité des contenus, notamment lors de l’attentat de Christchurch ou de l’assassinat de M. Samuel Paty.

Cette indispensable adaptation a été intégrée par la France, qui se distingue par les outils dont elle s’est dotée pour lutter contre la diffusion des contenus illicites, et plus spécifiquement à caractère terroriste.

Je pense bien entendu à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, au sein de laquelle le législateur a introduit dès 2014 la faculté pour l’autorité administrative de prononcer une demande de retrait des contenus terroristes dans un délai de vingt-quatre heures.

Je pense également, plus récemment, à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Par ses dispositions validées par le Conseil constitutionnel, ce texte a permis de renforcer la lutte contre les « sites miroirs » en facilitant notamment leur blocage sur décision de l’autorité administrative. Il a également renforcé les obligations de moyens des grandes plateformes dans la lutte contre certains contenus illicites, dont la provocation et l’apologie du terrorisme. Enfin, il a prévu un pouvoir de sanction du régulateur qu’est l’Arcom.

Cette ambition, la France l’a portée à l’échelon de l’Union européenne, dont les travaux ont abouti très récemment, en matière de contenus illicites, au Digital Services Act (DSA) et, plusieurs mois auparavant, en matière de contenus à caractère terroriste, au règlement TCO. C’est à ce dernier, introduisant une injonction de retrait des contenus à caractère terroriste dans l’heure, que la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre approbation adapte notre droit national.

Le texte a été adopté assez largement à l’Assemblée nationale, puis par notre commission des lois au Sénat, pour plusieurs raisons.

Je citerai en premier lieu le fait que le règlement européen s’applique, par définition, directement dans notre droit interne, en l’occurrence depuis le 7 juin dernier, et fait l’objet, le cas échéant, d’un contrôle restreint de la part du Conseil constitutionnel.

Mais, au-delà de ces considérations de forme, il faut, je le crois, nous attacher à rappeler les garanties concrètes que prévoient le règlement, à l’issue de presque trois années de discussions, et la proposition de loi. Je n’en évoquerai que quelques-unes.

D’abord, la gradualité de la procédure d’injonction de retrait des contenus à caractère terroriste en une heure. En effet, l’autorité administrative doit, sauf cas d’urgence, informer l’hébergeur, au moins douze heures en amont, des procédures et des délais applicables. Des dérogations à l’obligation de retrait sont en outre prévues en cas de force majeure ou d’impossibilité non imputables à l’hébergeur.

Ensuite, via le statut d’hébergeur « exposé » les obligations de moyens sont proportionnées au risque d’exposition. Les mesures prises doivent être « ciblées » en tenant compte de « l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information dans une société ouverte et démocratique ».

Plus généralement, les contenus à caractère terroriste visés par le règlement y sont clairement définis. En sont expressément exclus les contenus « diffusés au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme ».

Par ailleurs, le règlement impose aux hébergeurs de conserver les données pendant six mois, afin, par exemple, de rétablir les contenus en cas d’annulation de l’injonction.

Enfin, les voies de recours contre les injonctions de retrait sont clairement définies dans la proposition de loi. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir au cours de l’examen du texte s’agissant des délais de jugement et modalités d’appel des décisions du tribunal administratif, sujets sur lesquels je ne doute pas qu’un accord pourra être trouvé dans la suite de la navette parlementaire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI soutient ces dispositions pour leur pertinence, leur équilibre et leur caractère nécessaire dans la lutte contre le terrorisme.

Il faudra, comme cela a été dit, veiller à une bonne articulation en pratique entre les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et les articles additionnels introduits.

L’organisation de ces différentes dispositions marque dans le même temps l’incorporation d’un travail d’ampleur conduit à l’échelon national et européen. Je tiens ici à remercier les membres du gouvernement actuel et ceux du gouvernement précédent du travail qu’ils ont effectué.

Pour reprendre les termes de notre commissaire européen Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit offline doit l’être online. » En d’autres termes, l’évolution dans un sens favorable du droit de l’Union, progressivement étoffé, doit permettre que ce qui est proscrit hors ligne le soit effectivement en ligne dans le domaine des communications numériques, et ce à des fins de protection de l’ordre public. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, au cours de cette dernière décennie, lors d’attentats terroristes, internet et diverses grandes plateformes ont joué un rôle majeur. Ils sont malheureusement devenus des outils essentiels de recrutement, d’endoctrinement, d’exhibition et de propagande.

Nous avons tous pu faire ce constat à l’occasion de la diffusion des vidéos de la terrible tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande ou encore lors de l’odieux assassinat de l’enseignant Samuel Paty, désigné comme cible sur les réseaux sociaux.

Si ces espaces numériques facilitent la communication, il est insupportable que des terroristes puissent y revendiquer leurs actes barbares ou y faire l’apologie de leur doctrine.

Nous avons le devoir de responsabiliser efficacement les plateformes sur les contenus qu’elles partagent, afin de renforcer la protection et la sécurité des concitoyens, et d’éviter qu’internet ne devienne un espace de non-droit.

Vous le savez, madame la ministre, c’est un engagement fort de notre groupe et de son président, Claude Malhuret. Alors oui, la lutte contre le terrorisme et sa propagande nécessite l’implication de tous les acteurs, notamment des fournisseurs et hébergeurs de sites !

Aussi, je souscris pleinement à l’objectif de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi. Il vise à adapter la législation française aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Entré en vigueur le 7 juin dernier, ce texte harmonise les moyens de lutte contre le terrorisme en ligne au sein de l’Union européenne. Il prévoit notamment la possibilité de contraindre les services en ligne à supprimer des contenus à caractère terroriste en moins d’une heure sur injonction d’une autorité administrative.

D’application directe en droit français, il nécessite toutefois, pour être pleinement effectif, l’adaptation de certaines dispositions, permettant ainsi d’améliorer la coopération européenne.

L’article unique de la proposition de loi prévoit ainsi quatre adaptations de notre droit national par l’ajout de quatre articles à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Il s’agit d’habiliter l’Arcom à émettre l’injonction de retrait transfrontière prévue par le règlement européen, de préciser les sanctions pénales applicables à l’encontre des fournisseurs de services d’hébergement par internet qui ne respecteraient pas l’obligation de retrait des contenus à caractère terroriste, de définir des sanctions administratives et pécuniaires en cas de non-respect des obligations de diligence par les fournisseurs de services d’hébergement par internet et, enfin, de prévoir les voies de recours dont disposent les fournisseurs de services d’hébergement par internet à l’encontre d’une injonction de retrait.

Je me félicite du travail accompli par la commission des lois, travail qui a notamment permis de renforcer le rôle de l’Arcom.

Toutefois, l’examen de la présente proposition de loi appelle plusieurs remarques de forme.

En premier lieu, je regrette le choix du véhicule législatif, en l’occurrence une proposition de loi, et non un projet de loi. Ce choix qui nous prive d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, alors même que les sujets concernés touchent à nos libertés fondamentales, auxquelles nous sommes tous, au sein de cet hémicycle, particulièrement attachés.

En second lieu, je m’étonne que l’examen de la proposition de loi permettant d’appliquer le règlement européen intervienne aussi tardivement au Sénat, plus d’un mois après l’entrée en vigueur de celui-ci.

Madame la ministre, mes chers collègues, parce que notre détermination à combattre le terrorisme doit être totale, il existe une nécessité impérieuse à utiliser tous les leviers et moyens nécessaires pour y parvenir.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte tel qu’amendé par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par nos collègues députés et consacrée à la lutte contre les contenus à caractère terroriste sur internet.

Comme cela a été rappelé, personne n’aurait l’idée de remettre en cause l’objectif de ce texte. Nous savons ce que représente le partage en ligne des contenus à caractère terroriste, qui contribue à entretenir la radicalisation et aboutit à des actes d’horreur, comme ceux commis contre Samuel Paty et bien d’autres victimes.

Nous abordons un aspect technique de la lutte contre le terrorisme. C’est un prisme primordial, car nous avons aujourd’hui besoin de renforcer les outils indispensables pour combattre un tel fléau. L’actualité nous rappelle que la menace est encore présente en France et en Europe : je pense au tragique attentat qui a frappé la Norvège le 25 juin dernier.

Au Proche-Orient, Daech se réorganise au travers de cellules dormantes et reste une menace au quotidien en menant des attaques nombreuses et meurtrières. Aux portes du continent européen, au Sahel, on constate que l’instabilité socioéconomique et le vide sécuritaire alimentent les groupes djihadistes, toujours présents. L’idéologie du terrorisme islamiste a pour objectif de remettre en cause nos libertés, nos valeurs républicaines, notre modèle de société et notre sécurité. Il est en effet de notre responsabilité de prendre des mesures pour garantir la sécurité de nos concitoyens et éviter le prosélytisme.

La disposition phare du texte, qui consiste à pouvoir contraindre les entreprises du net à supprimer des contenus à caractère terroriste en l’espace d’une heure après injonction d’une autorité administrative, est une mesure forte.

Cependant, à l’instar de notre rapporteur, nous ne comprenons pas le choix fait par l’Assemblée nationale d’ajouter les nouveaux dispositifs européens à ceux qui existent déjà dans notre pays. Il en résulte que ce sont les autorités compétentes qui devront d’elles-mêmes en assurer la coordination.

Alors que nous faisons tous unanimement le constat, citoyens comme législateurs, des dangers de la complexité des normes et des procédures pour notre vie démocratique, nous nous examinons un texte qui, une fois de plus, conduit à un enchevêtrement de mécanismes administratifs.

Nous regrettons un tel manque de cohérence et, par voie de conséquence, d’intelligibilité, qui écorne la confiance des citoyens comme celle des acteurs économiques.

Nous tenons également à souligner que pour garantir l’efficacité du dispositif, il reviendra à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication d’adopter la même pratique que les autres autorités européennes et d’utiliser les injonctions de retrait du règlement européen dans les mêmes cas de figure.

Parmi les améliorations apportées au texte en commission, nous saluons les dispositions visant à alléger la charge de la personnalité qualifiée par l’extension des compétences de son suppléant, ainsi que l’instauration de délais de recours plus contraints.

Il y a tout lieu d’espérer que les apports sénatoriaux seront maintenus dans le texte adopté par la commission mixte paritaire.

La question de la constitutionnalité des dispositions a été pointée par certains. Il nous semble que les garanties prévues par le règlement comme par la présente proposition de loi, qui n’existaient pas – cela a été dit – dans la loi Avia, permettent d’écarter les risques d’inconstitutionnalité.

Pour conclure, j’ai une pensée pour notre rapporteur André Reichardt, que je tiens à remercier de la qualité de son travail malgré les délais très contraints. Je lui souhaite un bon rétablissement.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’indiquer, notre groupe votera en faveur de la présente proposition de loi telle qu’amendée par notre commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous ouvrons l’agenda législatif de la présente session extraordinaire par l’étude d’un texte sur la prévention de la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Nous ne le savons que trop : la haine prolifère en ligne, et nous devons nous doter d’un arsenal le plus efficace possible pour limiter cette propagande terroriste et ces méthodes de recrutement, qui ont pour objectif de nuire à notre République.

Le terrorisme tue, et internet demeure le terreau fertile permettant la diffusion de certaines idéologies macabres, ainsi que le recrutement et le financement des terroristes. Il est donc essentiel de se doter d’outils de droit freinant cette utilisation d’internet.

Nous avons – hélas ! – du recul sur les enjeux et problématiques liés aux contenus terroristes en ligne.

Le règlement européen qu’il nous est demandé de faciliter par l’adaptation de notre droit est le fruit d’une réflexion sereine, loin d’un monde caricatural où – je cite un ancien président de la République – « quand on consulte des images de djihadistes, on est un djihadiste ». Heureusement, ce règlement distingue de manière sensée la diffusion de certains contenus à des fins journalistiques, pédagogiques, artistiques.

Plus restreint et plus équilibré dans la définition des contenus nécessitant d’être retirés, garantissant la possibilité de maintenir des contenus dans le cadre du débat public par exemple, il constitue un outil majeur et nécessaire pour notre législation.

Toutefois, la loi qui nous est proposée aujourd’hui contient des limites certaines.

Le choix d’une proposition de loi, qui nous prive du contrôle a priori du Conseil d’État, ne semble pas être le plus sécurisant, notamment s’agissant de l’évaluation des conséquences sur les libertés publiques et individuelles.

Nous exprimons cette crainte, car le Conseil constitutionnel a déjà censuré des mesures proches contenues dans la loi Avia. Il rappelait que la détermination du caractère illicite des contenus à caractère terroriste ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l’administration.

Le choix de l’Arcom, désigné depuis la loi sur le séparatisme comme l’opérateur pour traiter la haine en ligne, démontre une cohérence, mais suscite de nombreuses interrogations.

Comme ont pu le rappeler plusieurs fois mes collègues Thomas Dossus et Monique de Marco dans leurs travaux au sein de la commission de la culture, l’Arcom se voit confier de plus en plus de responsabilités. Mais les moyens humains et financiers suivent-ils ?

Je sais que nous entrons dans un quinquennat sans hausse d’impôt ni accroissement de dette. Aussi, je suis impatient de voir comment, à fonds constants, le Gouvernement va faire pour doter l’Arcom des moyens nécessaires pour mener à bien cette nouvelle mission, en termes non seulement de nombre d’agents, mais aussi de nécessaire formation adaptée. Si j’insiste sur ce point, c’est que le drame de Samuel Paty a démontré que le circuit de signalement existe et qu’il fonctionne bien, mais que le manque de personnel aboutit à des délais de traitement ayant eu la funeste conséquence que nous connaissons tous. Nous serons donc très vigilants lors de la discussion du projet de loi de finances à la rentrée.

Il reste trois autres points majeurs à évoquer.

D’abord, l’urgence du délai d’une heure représente, pour de nombreuses associations de protections des libertés, un risque.

Au-delà des erreurs techniques inhérentes à des procédures automatisées dans la sélection des contenus à supprimer – elles ont été mises en avant par La Quadrature du net –, beaucoup d’ONG craignent de voir la mise en place des « filtres de téléchargement » qui permettraient à l’hébergeur d’interdire à un utilisateur de poster du contenu.

Ensuite, la subjectivité des éditeurs ou hébergeurs dans l’évaluation du contenu. Ces opérateurs privés ont des démarches à géométrie variable selon le sujet qu’ils pensent devoir être retirés. Comme l’a très bien souligné Jérôme Durain, nous l’avons vu récemment lorsque Meta, la maison mère de Facebook, n’a pu répondre aux différences de traitement entre plusieurs posts possiblement litigieux. En effet, l’Associated Press rapporte qu’un journaliste ayant publié deux annonces, l’une proposant une pilule abortive et l’autre une arme à feu, a vu son premier post supprimé dans la minute tandis que le second restait intouché.

Je voudrais également évoquer l’aspect transfrontalier des demandes de retrait. Au vu de l’arrivée au pouvoir de régimes aux valeurs parfois très éloignées de celles de notre pays au sein même de l’Union européenne, le règlement pour› lequel nous adaptons notre droit aujourd’hui permet des demandes transfrontalières de retrait de contenus qui pourraient être litigieuses. Comment, sans contrôle d’un juge judiciaire, garantir la liberté d’expression sur notre territoire face à des gouvernements parfois totalitaires qui caractérisent de manière caricaturale leurs oppositions de « terroristes » ?

Il existe parfois trop peu de garanties sur l’autorité compétente désignée par chaque pays membre, notamment en termes d’indépendance. Certes, la procédure prévoit un droit de regard de l’autorité nationale du pays sollicité, mais la coopération entre pays et la réciprocité de leurs actions pourraient poser problème.

Ces inquiétudes, mes chers collègues, sont réelles ; elles ne sont pas fantasmées. Elles s’imposent dans une réflexion globale et apaisée de la recherche, qui est celle de notre assemblée, d’un équilibre entre une lutte juste, ferme et efficace contre la dissémination de contenus terroristes sur internet et la protection de la liberté d’expression.

Cette protection nous semble constitutionnellement revenir au juge judiciaire, malheureusement écarté dans les dispositifs étudiés.

Toutes ces réserves nous empêchent de soutenir pleinement la démarche qui nous est présentée. Mais notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en responsabilité et bien conscient de la nécessité du besoin d’agir rapidement contre l’expansion du terrorisme via la lutte contre les contenus internet, ne s’opposera pas à ce texte et s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Première ministre, au nom du Gouvernement, a pris à cette tribune l’engagement de changer sa méthode de travail avec le Parlement, et singulièrement avec le Sénat, qu’elle souhaite voir devenir une « force de coconstruction ».

Madame la ministre, vous avez la redoutable responsabilité de nous montrer en pratique comment le Gouvernement va mettre en œuvre cette nouvelle méthode législative. Je ne suis pas sûr que la présente proposition de loi soit le meilleur choix pour l’inaugurer.

En effet, la proposition de loi que vous nous soumettez a été adoptée par l’Assemblée nationale le 16 février dernier. Son principal objet est d’adapter le droit national français aux dispositions du règlement adopté le 29 avril 2021, mais déjà appliqué dans l’Union européenne depuis le 7 juin 2022.

Tout le monde vous l’a dit, il est singulier, voire quelque peu cavalier, d’utiliser une proposition de loi pour transposer les dispositions d’un règlement européen. Cette méthode n’est pas respectueuse des droits du Parlement, car elle le prive d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État, alors même que les juridictions administratives seraient fortement sollicitées par les procédures que le texte met en œuvre.

Il y a pire ! Cette proposition reprend bon nombre des dispositifs de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, et notamment sa mesure principale obligeant au retrait des contenus haineux en moins d’une heure. Le Sénat s’y était fermement opposé, et le rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa, avait très justement montré que cette injonction allait renforcer le pouvoir des grandes plateformes du numérique en leur donnant un droit de censure exorbitant. Il s’était écrié que ce n’est pas à elles « d’exercer la police de la liberté d’expression » !

Le groupe Les Républicains du Sénat avait saisi le Conseil constitutionnel sur ce texte. Les sages ont censuré la quasi-totalité de ses articles en considérant que le délai d’une heure imposé aux hébergeurs « porterait à la liberté d’expression et de communication une atteinte » excessive. Je cite son argument, qui est décisif pour la présente proposition de loi : « […], l’engagement d’un recours contre la demande de retrait n’est pas suspensif et le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d’obtenir une décision du juge avant d’être contraint de le retirer. »

Nous avons dès lors le pénible sentiment d’examiner un texte dont la mesure principale a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel.

Vous allez nous expliquer que le règlement européen apporte aux auteurs des contenus des garanties qui n’existaient pas dans la loi Avia. Par prolepse, je vous répondrai que le règlement institue que les procédures de recours peuvent être engagées après la suppression des contenus, alors que le Conseil constitutionnel considère qu’elles doivent pouvoir l’être avant.

Madame la ministre, tout se passe donc comme si vous considériez que le règlement européen était supérieur en droit à la décision du Conseil constitutionnel français. C’est là un renversement total de doctrine, pour lequel vous nous devez des explications !

Mais ce n’est pas tout : la présente proposition de loi adapte la législation française à un règlement élaboré dans le cadre de la directive européenne du 8 juin 2000 relative à la société de l’information et au commerce électronique.

Or cette directive sera très prochainement rendue obsolète, à la suite de l’adoption par le Parlement européen, le 5 juillet 2022, des versions définitives des deux règlements sur les services et les marchés numériques, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Ces deux textes devraient être validés par le Conseil de l’Union européenne en juillet et en septembre ; ils entreront donc en vigueur avant la fin de cette année. Ils introduisent dans le droit européen de nouveaux régimes pour les fournisseurs de services d’hébergement, les contrôleurs d’accès et tous les acteurs du numérique. L’article 14 du DSA met également en place des mécanismes de signalement et de retrait des contenus illicites beaucoup plus respectueux de la liberté d’expression que votre texte.

Au lieu de nous demander d’examiner un texte qui sera caduc avant la fin de l’année, il aurait été plus intéressant d’engager avec le Sénat, dans une démarche de coconstruction, une réflexion sur l’éventuelle transposition de ces deux règlements majeurs.

Pour cette raison, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifiée :

1° Après l’article 6-1, sont insérés des articles 6-1-1 à 6-1-4 ainsi rédigés :

« Art. 6-1-1. – I. – L’autorité administrative mentionnée à l’article 6-1 est compétente pour émettre des injonctions de retrait au titre de l’article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

« II. – La personnalité qualifiée mentionnée à l’article 6-1 est l’autorité compétente pour procéder à l’examen approfondi des injonctions de retrait au titre de l’article 4 du même règlement.

« III. – L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique est compétente pour :

« 1° Superviser la mise en œuvre des mesures spécifiques en application de l’article 5 dudit règlement ;

« 2° Recevoir la notification de la désignation d’un représentant légal au titre du 4 de l’article 17 du même règlement.

« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret, notamment les modalités d’échange d’informations entre l’autorité administrative, la personnalité qualifiée mentionnée au II et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, d’une part, et entre ces autorités et les autres autorités compétentes étrangères désignées pour la mise en œuvre du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité, d’autre part.

« Art. 6-1-1-1 (nouveau). – En cas d’indisponibilité de la personnalité qualifiée mentionnée aux articles 6-1 et 6-1-1, ses missions sont exercées par un suppléant désigné en son sein par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pour la durée de son mandat au sein de l’autorité.

« Art. 6-1-2. – I. – La méconnaissance de l’obligation de retirer des contenus à caractère terroriste ou de bloquer l’accès à ces contenus dans tous les États membres dans un délai d’une heure à compter de la réception d’une injonction de retrait prévue au 3 de l’article 3 et au 2 de l’article 4 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité est punie d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.

« Lorsque l’infraction prévue au premier alinéa du présent I est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.

« II. – La méconnaissance de l’obligation prévue au 5 de l’article 14 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité est punie d’un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende.

« Lorsque l’infraction prévue au premier alinéa du présent II est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.

« III. – Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, des infractions prévues aux I et II du présent article. Elles encourent une peine d’amende, suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, ainsi que les peines prévues aux 2° et 9° de l’article 131-39 du même code. L’interdiction prévue au 2° du même article 131-39 est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l’activité professionnelle dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.

« Art. 6-1-3. – I. – L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille, dans les conditions prévues au présent article, au respect du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité par les fournisseurs de services d’hébergement définis par l’article 2 de ce même règlement qui ont leur établissement principal en France ou dont le représentant légal réside en France.

« Elle recueille auprès des fournisseurs de services d’hébergement concernés, dans les conditions fixées à l’article 19 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les informations nécessaires au suivi des obligations prévues au présent article.

« II. – L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre le fournisseur concerné en demeure de se conformer, le cas échéant dans le délai qu’elle fixe, aux obligations prévues au 6 de l’article 3, au 7 de l’article 4, aux 1, 2, 3, 5 et 6 de l’article 5, aux articles 6, 7, 10 et 11, au 1 de l’article 15 et à l’article 17 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité.

« III. – Lorsque le fournisseur concerné ne se conforme pas à la mise en demeure qui lui est adressée, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant prend en considération :

« 1° La nature, la gravité et la durée du manquement ;

« 2° Le fait que le manquement a été commis de manière intentionnelle ou par négligence ;

« 3° Les manquements commis précédemment par le fournisseur concerné ;

« 4° La situation financière du fournisseur concerné ;

« 5° La coopération du fournisseur concerné avec les autorités compétentes ;

« 6° La nature et la taille du fournisseur concerné, en particulier s’il s’agit d’une micro, petite ou moyenne entreprise ;

« 7° Le degré de responsabilité du fournisseur concerné, en tenant compte des mesures techniques et organisationnelles prises par ce fournisseur pour se conformer au même règlement.

« La sanction ainsi prononcée ne peut excéder 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent. Lorsque le même manquement a fait l’objet, dans un autre État, d’une sanction pécuniaire calculée sur la base de cette même assiette, le montant de cette sanction est pris en compte pour la détermination de la sanction prononcée en application du présent alinéa.

« L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut rendre publiques les mises en demeure et sanctions qu’elle prononce. Elle détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement. Elle peut également ordonner l’insertion de ces mises en demeure et sanctions dans des publications, journaux et supports qu’elle désigne, aux frais des fournisseurs faisant l’objet de la mise en demeure ou de la sanction.

« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.

« Art. 6-1-4. – I. – (Supprimé)

« II. – Le fournisseur de services d’hébergement visé par une injonction de retrait au titre de l’article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation de cette injonction, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa réception.

« Le fournisseur de contenus visé par une injonction de retrait au titre du même article 3 peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation de cette injonction, dans un délai de quarante-huit heures à compter du moment où il est informé par le fournisseur de services d’hébergement du retrait du contenu concerné.

« Il est statué sur la légalité de l’injonction de retrait dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal.

« II bis (nouveau). – La personnalité qualifiée mentionnée aux articles 6-1 et 6-1-1 reçoit transmission de toutes les injonctions de retrait émises au titre de l’article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité. Elle peut exercer dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur réception le recours prévu au II du présent article.

« III. – Les fournisseurs de contenus et les fournisseurs de services d’hébergement peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci la réformation de la décision motivée de la personnalité qualifiée de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique prise en application de l’article 4 du même règlement, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette décision.

« Le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par lui statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal.

« III bis (nouveau). – Les décisions rendues en application des II à III sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’État dans les quarante-huit heures.

« Le Conseil d’État statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine.

« IV. – Les fournisseurs de services d’hébergement visés par une décision motivée de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, prise en application de l’article 5 dudit règlement, les déclarant exposés à des contenus terroristes ou leur enjoignant de prendre les mesures spécifiques nécessaires, peuvent demander la réformation de cette décision, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.

« Le Conseil d’État statue dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. » ;

2° (nouveau) À la fin du I de l’article 57, la référence : « n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République » est remplacée par la référence : « n° … du … portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne ».

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, sur l’article.

Mme Marie Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis évidemment que l’on puisse retirer en une heure des contenus terroristes ou pédopornographiques.

Cependant, malgré la disposition législative votée ici à l’unanimité en 2020 et la bonne volonté tant de l’Arcom que de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), il est toujours possible pour des enfants de visionner des films pornographiques destinés aux adultes. Un mineur ne peut pas jouer de l’argent sur internet, mais il peut toujours être traumatisé par des films pornographiques. Je me demande jusqu’à quand nos enfants devront se protéger eux-mêmes !

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je suis obligé de m’exprimer sur l’article unique de la proposition de loi pour solliciter des réponses.

Je vous ai posé deux questions fondamentales. Ce sont des questions de droit. Dans cet hémicycle, nous sommes évidemment tous d’accord pour engager tous les moyens possibles afin de contrer le terrorisme. Mais pouvez-vous nous garantir que ce texte est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?

Certains de nos collègues considèrent que le règlement apporte des garanties que n’offrait pas la loi Avia. Or, selon le règlement, le recours est possible « après » le retrait des contenus, tandis que le Conseil constitutionnel souhaitait que les recours puissent être suspensifs. Il y a là une différence.

Ce texte retournera vraisemblablement à l’Assemblée nationale, et je doute que le Conseil constitutionnel n’en soit pas saisi à son tour. Il serait donc préférable de nous entendre ici sur ce qu’il est possible de faire.

Par ailleurs, Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères nous a indiqué à juste titre tout à l’heure que les deux règlements en cours d’adoption constituaient « deux pas de géants » dans la réforme du numérique. Sont-ils compatibles ce que vous souhaitez nous voir voter maintenant ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, le règlement est aujourd’hui stabilisé, et il ne présente aucune contradiction avec le texte.

M. Pierre Ouzoulias. Moi, je suis un peu déstabilisé par votre réponse !

Mme Marie Mercier. Et la réponse à ma question ?

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« II. – La personnalité qualifiée mentionnée à l’article 6-1 reçoit transmission de toutes les injonctions de retrait émises en application de l’article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité et constitue l’autorité compétente pour procéder à l’examen approfondi des injonctions de retrait en application de l’article 4 du même règlement.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Cet amendement vise à modifier l’article 6-1-1 de la loi, qui désigne les autorités nationales compétentes pour mettre en œuvre les procédures prévues par le règlement TCO.

Jusqu’à présent, le II de cet article disposait simplement que la personnalité qualifiée désignée en son sein par l’Arcom était au sens de l’article 4 du règlement l’autorité compétente pour examiner, soit d’office, soit à la demande des fournisseurs de service, les injonctions issues d’autorités étrangères, avec possibilité de s’y confirmer ou de s’y opposer.

Or M. le rapporteur André Reichardt a très judicieusement considéré qu’il fallait prévoir un mécanisme semblable en droit national lorsque l’injonction émanait de l’autorité nationale et s’adressait à un fournisseur installé en France. Simplement, la commission des lois du Sénat a inscrit cette précision dans le II bis de l’article 6-1-4 alors que cet article traite seulement de questions contentieuses.

Il nous semble donc plus simple et plus lisible d’inscrire à l’article 6-1-1 que la personnalité qualifiée désignée par l’Arcom reçoit copie des injonctions de l’OCLCTIC émises en application de l’article 3 du règlement et qu’elle constitue l’autorité compétente mentionnée à l’article 4 de ce même règlement, comme il était prévu dans la rédaction initiale de la proposition de loi.

Tel est le sens de cet amendement, qui vise à modifier la rédaction du II de l’article 6-1-1. Je vous proposerai dans quelques instants de procéder, par cohérence, à une correction symétrique à l’article 6-1-4, pour ne conserver que la partie du dispositif introduit par M. le rapporteur visant à ouvrir à la personnalité qualifiée désignée par l’Arcom la possibilité de déférer à la juridiction administrative une injonction de retrait émanant de l’OCLCTIC.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Il s’agit d’un problème d’organisation de l’article et de légistique. Certes, en lui-même, le présent amendement ne soulève pas de désaccord majeur de notre part. Mais il est lié à l’amendement n° 3, que nous examinerons tout à l’heure et auquel la commission est très défavorable, car il tend à supprimer la procédure de recours devant le Conseil d’État que nous avons établie.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 17

Remplacer les mots :

, 5 et 6 de l’article 5

par les mots :

et 5 de l’article 5

II. – Alinéa 18

Après les mots :

mise en demeure

insérer les mots :

ou à la décision prise en application du 6 de l’article 5 dudit règlement

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Cet amendement vise à modifier l’article 6-1-3 de la proposition de loi, qui, dans son II, permet à l’Arcom de mettre les fournisseurs en demeure de se conformer aux obligations prévues par le règlement TCO, et, dans son III, lui accorde le pouvoir de les sanctionner lorsqu’ils ne défèrent pas à ces mises en demeure.

Nous proposons d’abord de supprimer, dans la liste des obligations pour lesquelles l’Arcom peut mettre en demeure les fournisseurs, celle qui a trait aux « mesures spécifiques ».

En effet, le règlement prévoit déjà que l’Arcom peut enjoindre l’hébergeur exposé à des contenus à caractère terroriste à mettre en œuvre des « mesures spécifiques » supplémentaires lorsqu’elle considère que les mesures qu’il lui a présentées afin de protéger ses services contre la diffusion de contenus terroristes ne sont pas suffisantes. C’est ce qui est prévu au paragraphe 6 de l’article 5 du règlement TCO.

L’injonction prévue par le règlement constitue une mise en demeure dont la méconnaissance peut faire l’objet de sanction. Il serait donc incohérent de maintenir parmi la liste des mesures spécifiques prévues au II de l’article 6-1-3 une référence au paragraphe 6 de l’article 5 du règlement, relatif à la mise en demeure. Cela aboutirait à contraindre l’Arcom à devoir mettre le fournisseur en demeure de respecter une mise en demeure avant de pouvoir, éventuellement, le sanctionner.

Vous en conviendrez avec moi, une telle mécanique de double mise en demeure n’est ni pertinente ni efficace, et elle ne correspond certainement pas à l’objectif du règlement TCO.

Je vous propose donc de supprimer une telle référence du II de l’article, mais de la replacer au III, afin qu’il soit clair que la méconnaissance de l’injonction à prendre des mesures spécifiques supplémentaires peut donner lieu à l’enclenchement de poursuites.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je lève un suspense insoutenable : nous sommes favorables à cet amendement, car il faut effectivement éviter la double possibilité d’injonction.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je voudrais insister une nouvelle fois sur un point : l’article 14 du DSA, qui sera adopté et entrera en vigueur avant la fin de l’année, change radicalement toute la procédure et renverse la charge de la preuve. Bientôt, ce sera aux fournisseurs d’accès d’envoyer aux autorités régulatrices, dont l’Arcom en France, une série de pièces pour justifier le retrait des contenus. Pour cette raison, le délai d’une heure n’est plus tenable : le fournisseur a l’obligation de présenter l’identité de l’individu ou de l’entité ayant signalé un contenu illicite, son adresse électronique, ainsi qu’une déclaration confirmant que l’individu ou l’entité soumettant la notification pense de bonne foi que ses informations sont exactes.

Nous discutons d’un système dont la logique même sera complètement obsolète avant la fin de l’année. Il sera remplacé par un nouveau dispositif que je trouve beaucoup plus intéressant, car il consiste à renverser la charge de la preuve et à demander à l’hébergeur de fournir tous les moyens pour justifier la nécessité de la suppression.

Il aurait été préférable de travailler à la transposition des deux règlements, car nous raisonnons sur un élément qui n’existera plus dans quelques mois.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, le texte anticipe le règlement DSA, qui ne contient que des propos généraux. Les choses sont claires, me semble-t-il.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 30 à 33

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

« II. – Les fournisseurs de contenus et les fournisseurs d’hébergement visés par une injonction de retrait au titre de l’article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité ainsi que la personnalité qualifiée mentionnée aux articles 6-1 et 6-1-1 peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation de cette injonction, dans un délai de quarante-huit heures à compter soit de sa réception, soit du moment où le fournisseur de contenu est informé par le fournisseur de services d’hébergement du retrait du contenu.

« Il est statué sur la légalité de l’injonction de retrait dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal.

II. – Alinéa 34

Remplacer les mots :

la réformation de la décision motivée

par les mots :

l’annulation de la décision

III. – Alinéas 36 et 37

Rédiger ainsi ces alinéas :

« III bis. – Les décisions rendues en application des II et III sont susceptibles d’appel dans un délai de deux mois à compter de leur notification.

« La juridiction d’appel statue dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

IV. – Alinéa 38

Rédiger ainsi cet alinéa :

« IV. – Les fournisseurs de services d’hébergement visés par une décision de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, prise en application de l’article 5 dudit règlement, les déclarant exposés à des contenus terroristes ou leur enjoignant de prendre les mesures spécifiques nécessaires, peuvent demander l’annulation de cette décision, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. » ;

V. – Alinéa 39

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Cet amendement, qui est essentiellement rédactionnel, concerne la procédure contentieuse applicable aux décisions de retrait.

Premièrement, il vise à fusionner au sein d’un alinéa unique les dispositions identiques relatives aux possibilités de recours ouvertes aux fournisseurs de services d’hébergement, aux fournisseurs de contenus et à la personnalité qualifiée à l’encontre des injonctions de retrait.

Deuxièmement, il tend à uniformiser l’office du juge en supprimant le terme « réformation », utilisé aux alinéas 34 et 38 en faveur de celui d’« annulation », qui nous semble plus explicite.

Troisièmement, il a pour objet de supprimer la procédure d’appel devant le Conseil d’État pour les décisions rendues en application des II et III, pour rétablir une voie d’appel de droit commun devant les cours administratives d’appel s’agissant d’appels interjetés à l’encontre de décisions de fond. Nous proposons toutefois de limiter le délai de jugement à un mois à compter de la date de saisine de la juridiction.

Quatrièmement, il vise à supprimer la mention de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort s’agissant des décisions de l’Arcom, cette règle de compétence étant de nature réglementaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cet amendement est tout à fait intéressant sur le plan légistique, et nous aurons sans doute l’occasion de reprendre certaines de ses dispositions en commission mixte paritaire.

Mais son adoption aurait pour effet de supprimer la procédure à bref délai que nous instaurons devant le Conseil d’État. Il s’agit là non pas d’une lubie de la commission, mais de l’expression de la recherche d’une efficacité supplémentaire. En la circonstance, il faut aller très vite, purger le plus vite possible toutes les capacités de recours et trancher pour savoir si une publication doit être maintenue ou supprimée.

Une procédure classique devant les cours d’appel durerait trop longtemps. Il faut s’adapter aux circonstances de la cause. Nous sommes très attachés au dispositif de recours à bref délai devant le Conseil d’État, afin de purger tous les éléments de cette procédure.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement. (Très bien ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. En matière de procédure d’appel, il ne paraît pas opportun de déroger à la règle instaurée par l’article L. 321-1 du code de justice administrative, qui dispose : « Les cours administratives d’appel connaissent des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs, sous réserve des compétences que l’intérêt d’une bonne administration de la justice conduit à attribuer au Conseil d’État […] ».

Même si j’entends que les injonctions de retrait de contenu sur internet peuvent porter atteinte à la liberté de communication, il ne me semble pas que cela doive conduire à déroger à cette règle de compétence, sauf à considérer que tel devrait être le cas de tous les contentieux des mesures de police administrative, qui, dans leur majorité, portent atteinte – c’est leur objet – à une liberté fondamentale.

Or le contentieux d’appel de ces décisions relève invariablement des cours administratives d’appel, y compris pour de graves décisions en termes d’atteinte à des libertés fondamentales sans que le droit au recours effectif soit pour autant méconnu. Il en va ainsi des interdictions de manifestation ou de réunion, des expulsions d’étrangers, ou encore des décisions restreignant la liberté de circulation.

Le Conseil d’État est en principe un juge de cassation, et les dérogations doivent rester exceptionnelles, sauf à remettre en cause la cohérence de l’organisation au sein de l’ordre administratif.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Vous proposez que le recours devant la cour administrative d’appel soit traité dans un délai d’un mois. Certes, c’est plus court que le délai habituel. Mais la décision de la cour administrative d’appel peut elle-même faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, d’où des délais supplémentaires.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. L’idée, compte tenu de la matière, est de resserrer le plus possible les délais.

L’avis de la commission est, certes, défavorable, mais j’imagine que les discussions en commission mixte paritaire permettront de faire progresser la réflexion sur le sujet.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° L’article 57 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« …. – Les dispositions du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne sont applicables à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Cet amendement a pour objet de compléter le dernier alinéa de l’article unique, afin de rendre applicables les dispositions de ce règlement en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

Dans les pays et territoires d’outre-mer, où le règlement 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne n’est pas applicable en vertu du droit de l’Union européenne, il convient de prévoir explicitement une telle application.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cet amendement est utile. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Mme Marie Mercier. Notre groupe votera évidemment la présente proposition de loi. Mais, madame la ministre, vous savez comme moi qu’il est, si je puis dire, « contre nature » que des enfants soient exposés à des images violentes pour eux. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a été votée avec l’avis favorable du Gouvernement. J’aimerais donc vraiment connaître la position du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Je m’exprime en tant qu’ancien rapporteur de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, texte adopté en 2004 ; les choses ont bien évolué depuis…

Comme cela a déjà été souligné, le texte dont nous sommes saisis aurait dû être un projet de loi. Le Gouvernement a trouvé des députés pour déposer une proposition de loi, afin d’éviter le passage devant le Conseil d’État. Et nous venons d’examiner quatre amendements émanant du Gouvernement, qui a donc tenté de corriger une deuxième fois son texte, toujours sans passer par le Conseil d’État. Il faut en finir avec ce genre de méthodes !

M. Pierre Ouzoulias. Absolument !

M. Bruno Sido. Ce n’est pas un vrai travail législatif.

Ainsi que le président de la commission des lois l’a rappelé, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer a été préparé en urgence. De surcroît, le rapporteur est empêché. Ces questions très graves sont traitées trop rapidement. Il faudrait que cela cesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Je partage entièrement le propos de M. Sido.

Madame la ministre, je ne comprends pas votre argumentaire. La présente loi serait seulement, dites-vous, la transposition d’un règlement conforme aux deux règlements DSA et DMA, qui vont bientôt être adoptés. Or Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères nous a très justement indiqué plus tôt aujourd’hui que ces deux règlements constituaient des « pas de géants » et qu’ils changeaient radicalement la réglementation du numérique. Comment peut-on considérer que le règlement sur le commerce de 2000, dont vous affirmez que la présente loi serait une transposition, sera encore compatible avec eux ? Ce n’est pas possible !

Je crains que le Gouvernement ne soit obligé de revenir vers nous avant la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, en déposant cette fois – du moins, je l’espère – un projet de loi, afin d’adapter le droit français aux changements radicaux qui découleront de ces deux règlements européens.

Nous voterons contre ce texte. Même si, ayant une passion absolue pour la mythologie grecque, j’adore Pénélope, je pense que faire puis défaire, c’est parfois une perte de temps ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Monsieur Sido, je vous confirme que, comme il s’agit d’une proposition de loi, il n’y a pas eu de saisine du Conseil d’État ni d’étude d’impact. (Exclamations ironiques sur plusieurs travées.)

M. Bruno Sido. Ça, on avait compris !

M. Pierre Ouzoulias. C’est bien le problème !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. On peut le regretter, mais c’est le choix qui a été retenu.

La proposition de loi vise à adapter notre droit à un règlement européen qui…

M. Pierre Ouzoulias. Est obsolète !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. … s’impose à nous.

Dans un tel cadre – vous le savez aussi bien que moi –, l’étude d’impact n’a pas lieu d’être.

M. Stéphane Piednoir. C’est bien ce que nous reprochons !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Le Gouvernement a contribué à renforcer les capacités humaines de la plateforme Pharos, qui a répertorié 263 825 signalements en 2021, dont plus de 7 800 étaient liés au terrorisme.

Le doublement des effectifs entre décembre 2020 et juillet 2021, passant de vingt-quatre à cinquante-deux personnes, dont quatorze gendarmes, a permis de faire évoluer le fonctionnement et l’organisation de la plateforme. Il me semble que vous aviez réclamé des chiffres.

Permettez-moi également de souligner que les signalements sont pris en compte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Une cellule spécialisée dans le traitement des contenus discriminatoires a été créée. Une cellule spécialisée dans le traitement des demandes administratives visant les contenus pédopornographiques et terroristes est chargée des actions de détection proactive des contenus illicites ; voilà qui répond à votre question, madame Mercier. Enfin, une brigade judiciaire a pour mission d’accentuer la judiciarisation des contenus illicites.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
 

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 juillet 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions dadaptation au droit de lUnion européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. François-Noël Buffet, André Reichardt, Mmes Nadine Bellurot, Nathalie Goulet, MM. Jérôme Durain, Didier Marie et Ludovic Haye ;

Suppléants : Mme Muriel Jourda, M. Christophe-André Frassa, Mme Marie Mercier, M. Hervé Marseille, Mme Laurence Harribey, M. Jean-Yves Roux et Mme Éliane Assassi.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER