Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. André Gattolin. Impossible, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat sur les médias et les industries culturelles, de ne pas rendre hommage à Pascal Josèphe, un homme de télévision exceptionnel, qui nous a brutalement quittés la semaine dernière. (Applaudissements.)

Au travers des nombreuses fonctions qu’il a occupées, tant au sein des médias publics que dans les chaînes privées ou dans le monde du conseil, Pascal Josèphe est devenu, nonobstant sa retenue naturelle, l’un des acteurs les plus influents du paysage audiovisuel des quatre dernières décennies.

Encore choqué par la disparition de celui avec qui j’ai très souvent eu le bonheur de travailler au cours de ma vie professionnelle, j’avoue que l’avalanche d’éloges dont il fait l’objet depuis une semaine m’éclaire chaque jour davantage sur l’étendue impressionnante du respect qu’il suscitait.

Nous sommes ici nombreux à avoir bénéficié de ses perspicaces analyses sur l’état de notre audiovisuel et de ses mutations prévisibles.

Vendredi dernier, Jean-Pierre Leleux, notre ancien collègue, me rappelait combien ses avis étaient inspirants pour les législateurs que nous sommes. Son expertise était toujours mue par un souci rare de l’intérêt général.

Sa disparition prématurée est une perte immense et ses écrits publiés sont malheureusement trop peu nombreux. Comme l’on dit en Afrique, ce continent qu’il chérissait tant, « quand un sage disparaît, c’est une bibliothèque qui brûle ».

Dans le débat qui nous anime aujourd’hui, il serait bon, je crois, de lire ou de relire les premières pages du projet qui étayait sa candidature à la présidence de France Télévisions en 2015. (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)

Pascal était un fervent défenseur de l’audiovisuel public. C’est la raison pour laquelle, afin d’assurer sa survie à l’ère du numérique et de l’explosion de nouveaux acteurs internationaux, il considérait comme urgent d’entreprendre sa réforme.

Deux grands principes guidaient son ambition.

Il pensait d’abord que la vocation première du service public était de servir, de servir le public évidemment, et non de se servir. Car la tentation est souvent forte pour certains acteurs de l’audiovisuel – c’est vrai aussi pour la culture dans son ensemble – d’oublier l’utilité finale de l’intervention publique.

Cette hiérarchie des devoirs nécessite d’être périodiquement rappelée, au risque sinon de voir le ministère se transformer en institution au service des seuls acteurs des industries culturelles.

À ce propos, nombre d’entre nous ont encore en mémoire la manière dont nous avons dû batailler pour faire aboutir une loi visant à supprimer la publicité dans les émissions destinées aux enfants sur le service public, une mesure pourtant plébiscitée par les Français, les associations de parents d’élèves, de consommateurs et tout le corps de la santé.

La levée de boucliers que nous avons essuyée de la part des milieux dits « professionnels », y compris de la part des dirigeants du service public à l’époque, reste dans les annales de cette maison.

Et que dire, au passage, du rôle joué à l’époque par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui, après consultations des acteurs du marché, et eux seuls, a cru bon d’édicter un décret d’application restreignant le champ d’application déjà étroit de cette loi, sans même auditionner le Sénat, qui était à l’origine du dispositif et avait adopté le texte à l’unanimité des suffrages exprimés en seconde lecture !

La seconde ambition de Pascal Josèphe, en prolongement de la précédente, était que la télévision publique porte un projet de société autant qu’un projet d’entreprise, un projet qui rassemble pour résister à la fragmentation toujours accrue du corps social.

« Faire société » pour retrouver et, surtout, pour incarner les valeurs fondamentales de notre République et de l’État de droit.

Pour Pascal Josèphe, la mère des batailles, à l’heure du numérique, de la délinéarisation et de la démultiplication des canaux de diffusion était celle des contenus, autrement dit la bataille du sens.

Lorsqu’on parle de contenus porteurs de sens, on pense naturellement, mais de manière trop exclusive, à l’information, sa qualité, son indépendance et son pluralisme.

On oublie trop souvent l’impact considérable de la fiction, du patrimonial et même du divertissement sur les constructions mentales et la diffusion des idées. La fameuse série LInstit, que Pascal Josèphe porta sur les fonts baptismaux alors qu’il était directeur des programmes de France 2, en est l’une des plus belles illustrations encore aujourd’hui.

Là encore, au moment où nous semblons redécouvrir l’importance des grands narratifs et le rôle majeur qu’ils occupent dans la consolidation de nos identités collectives, il est bon de rappeler l’extrême pertinence et la nature anticipatrice de la vision de la télévision de Pascal Josèphe.

Ce qui vaut pour notre audiovisuel national vaut, au moins tout autant, pour notre audiovisuel extérieur, aujourd’hui frontalement attaqué, notamment en Afrique, par les narratifs autoritaires développés par la Russie, la Chine ou la Turquie.

Les paroles prononcées à ce propos par le Président de la République le 9 novembre dernier à Toulon, lors de la présentation de notre revue nationale stratégique, nous obligent !

Madame la ministre, au-delà du vote de ce budget, de grands chantiers nous attendent – et vous attendent – si nous voulons redonner à notre audiovisuel sa pleine utilité sociale dans un monde en profonde transformation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le budget qui nous est proposé est en trompe-l’œil. Il semble aller dans le bon sens, avec une hausse apparente des crédits, mais c’est de l’affichage.

Non seulement cette augmentation est deux fois moins importante que l’inflation – il s’agit donc finalement d’une diminution –, mais, surtout, elle ne corrige pas la gigantesque baisse qui, depuis cinq ans, rogne les crédits de l’audiovisuel public jusqu’à l’os.

Pourtant, face à la concurrence des grands groupes privés et des plateformes étrangères prédatrices, qui organisent la désinformation et uniformisent les contenus, l’audiovisuel public aurait plus que jamais besoin d’oxygène pour remplir ses missions essentielles d’information et de programmation culturelle de qualité.

L’audiovisuel public connaît en effet une situation très difficile. Vous avez significativement diminué son budget depuis cinq ans, tout en le privant de moyens de financement avec la désindexation de la CAP sur l’inflation à partir de 2019, la fin de l’affectation de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE) à l’audiovisuel public et, maintenant, la fin de la redevance.

Dans le même temps, vous avez réduit son périmètre en supprimant France Ô. Heureusement, France 4, que vous vouliez supprimer également, a été sauvée in extremis, en particulier grâce à la très forte mobilisation de nombreux collègues siégeant à la gauche de cet hémicycle et sur d’autres travées.

Oui, malgré les discours convenus sur sa nécessité, après avoir été dénoncé, au grand bonheur de tous ceux qui veulent sa fin, après avoir été qualifié de « honte de la République » par le Président de la République, le service public de l’audiovisuel a connu des heures sombres sous le précédent quinquennat.

Le plan dit « d’économie », décidé en 2018 pour quatre ans et affectant toutes les sociétés de l’audiovisuel public, a constitué une perte totale de 688 millions d’euros. Il s’est aussi traduit par le sacrifice des salariés : 900 emplois supprimés depuis dix ans à la suite de nombreux plans de départ à France Télévisions et 4 200 emplois à Radio France, tous équivalents temps plein.

Madame la ministre, vous venez de parachever ce travail de sape, en décidant cet été de supprimer purement et simplement la contribution à l’audiovisuel public, en lui substituant une part de la TVA pour financer l’audiovisuel.

Or ce système ne garantit ni son indépendance, ni sa pérennité, ni la justice sociale, puisque la TVA est l’impôt le plus injuste : tout le monde le paye de la même façon, riches ou pauvres. Et même les personnes qui étaient exemptées de la contribution jusque-là, du fait de leur situation de grande précarité, devront elles aussi contribuer désormais au financement de l’audiovisuel.

Certes, la CAP n’était pas juste. Elle n’était pas moderne non plus, puisqu’elle était assise sur un mode de consommation déclinant, qui n’est plus exclusif aujourd’hui – le poste de télévision –, à l’heure où les programmes se regardent sur une multitude d’écrans.

Elle avait toutefois le mérite de garantir l’indépendance de l’audiovisuel public et, depuis sa création, une certaine pérennité. Il fallait donc la réformer, pour qu’elle soit non seulement juste, mais aussi moderne. Vous n’avez fait ni l’un ni l’autre.

Nous avons fait une proposition alternative au travers d’un amendement, que vous n’avez pas soutenue. Elle crée une contribution progressive qui aurait entraîné une économie sur le coût de la redevance pour 85 % des foyers fiscaux français. Cette solution est plus juste socialement et plus moderne, car elle ne s’appuie plus sur le seul téléviseur. Surtout, elle sanctuarise un financement pérenne, indépendant et direct. Nous avons déposé une proposition de loi en ce sens.

Désormais, l’avenir de l’audiovisuel n’est plus garanti, car son mode de financement est temporaire. En effet, à partir du 1er janvier 2025, il ne sera plus effectif et vous avez fait savoir que le financement du secteur se ferait alors via le budget de l’État, un schéma que le Conseil d’État avait pourtant retoqué cet été.

Je le redis, votre proposition d’augmentation de budget est en trompe-l’œil. En effet, elle n’est même pas à la hauteur des prévisions d’inflation pour 2023. Quid, par exemple, de l’augmentation de 50 % de la facture d’électricité de Radio France et de l’augmentation de 22 % des coûts de serveurs informatiques ?

Avec mon groupe, j’ai déposé en première partie du budget un amendement tendant à pallier ce manquement. Vous avez, là encore, émis un avis défavorable. L’augmentation de budget se traduira donc par une nouvelle baisse effective pour notre audiovisuel public.

Pourtant, ce dernier mérite d’être soutenu, et pas seulement avec de belles phrases. Alors que les audiences des médias télé et radio sont en baisse constante depuis dix ans, Radio France et France Télévisions ont battu des records en la matière : Radio France réunit quotidiennement sur ses antennes 15 millions de Français, dont 2 millions de nouveaux auditeurs en quatre ans.

France Télévisions touche quant à elle, chaque semaine et tous écrans confondus, 81 % de la population française, soit plus de 50 millions de citoyens.

Ce succès sur le linéaire, mais également sur le numérique, est dû à des investissements massifs sur fonds propres. Durant les trois dernières années, Radio France et France Télévisions ont investi respectivement 31,4 millions d’euros et 511 millions d’euros pour innover, soit une progression des investissements de 34 % en deux ans.

Ces deux médias ont également réalisé un travail remarquable et remarqué lors des confinements.

Le service public de l’audiovisuel est essentiel pour le financement de la création audiovisuelle et cinématographique française dans son ensemble. Sans son investissement important, les risques seraient réels pour le secteur. Toute la chaîne des acteurs, jusqu’à la production, se trouverait fragilisée.

Ce travail important réalisé par l’audiovisuel public est aussi celui d’Arte et de France Médias Monde, à côté et avec Radio France, France Télévisions, l’INA et TV5 Monde.

Face à la concurrence internationale, notamment des Gafan – Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix –, l’audiovisuel public doit continuer d’innover. Pour cela, il lui faut un investissement à la hauteur de nos ambitions.

C’est pour toutes ces raisons que nous voterons contre les crédits du compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ».

En ce qui concerne la presse, l’effort est insuffisant. Face à la crise, à l’inflation, au prix du papier et à la crise du secteur, nous attendons toujours la refonte des aides à la presse que nous avons réclamée au travers de différents travaux.

J’ai pu parler précédemment de la création cinématographique et de l’impact du covid-19 sur l’audiovisuel public. Le cinéma a lui aussi subi fortement les effets de la crise sanitaire.

Avec 96 millions d’entrées en 2021, la fréquentation enregistre certes une hausse de 47 % par rapport à 2020, mais elle est en baisse de 55 % par rapport à 2019, deuxième meilleure année en termes de fréquentation depuis 1966.

Cette situation est inquiétante pour le financement de la création. Ce n’est pas la mise en application de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), transposée en droit français par le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, qui permettra de combler ce manque de recettes.

En outre, la hausse des moyens du CNC pour 2023 sera seulement de 3 %, donc inférieure à l’inflation attendue.

Pour ce qui est du livre, le budget de l’action n° 01, Livre et lecture, est satisfaisant, mais les inquiétudes du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour le secteur sont autres, entre une concentration toujours plus importante, l’incertitude sur l’avenir d’Editis, numéro deux français, et ses conséquences sur la diversité de la production.

L’autre sujet inquiétant est la flambée des matières premières. Si le chiffre d’affaires des éditeurs a connu une progression de 12,4 %, le secteur connaît un vrai bouleversement. Les petites maisons d’édition, aux marges trop faibles, connaissent de très fortes difficultés face aux plus grandes maisons.

Avec les temps difficiles marqués par la pandémie, les éditeurs indépendants ont retrouvé les lecteurs. Mais la crise du papier et les manœuvres financières dans le secteur sont inquiétantes. Il faut aider ce dernier plus massivement.

Enfin, l’industrie musicale n’est pas en reste et l’ensemble du spectacle vivant connaît une situation compliquée. Si le chiffre d’affaires de la musique enregistrée connaît une progression, la recette des billetteries des concerts baisse de 10 %.

Nous savons tous qu’il va manquer 20 millions d’euros pour que le CNM puisse mener à bien l’ensemble de ses missions. Il faudra y remédier en 2024. Même si le financement semble désormais consolidé, nous attendons le rapport de M. Bargeton sur le sujet.

M. Laurent Lafon. Nous l’attendons tous ! (Sourires.)

M. David Assouline. Pour finir, je dirai que ce n’est pas parce que nous vivons une grave crise énergétique et inflationniste que la culture doit être minorée. C’est au contraire parce que nous traversons une crise énergétique, sociale, économique, climatique et démocratique que, plus que jamais, la culture doit être promue et placée au cœur des politiques publiques. Il s’agit, autour des valeurs qu’elle incarne, de faire République ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » sont marqués par une insuffisante prise en compte de l’inflation galopante et de la crise énergétique que nous traversons, et par l’insuffisance de moyens dont la puissance publique devrait pourtant se doter pour faire face aux plateformes, géants du web et autres grands groupes, qui concentrent de plus en plus de médias dans les mains de quelques-uns.

Ces crédits reflètent même des choix qui risquent d’affaiblir considérablement la puissance publique, à l’image de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, qui n’est en rien un coup de pouce au pouvoir d’achat des Français.

Cette suppression n’est en effet que provisoirement compensée par une fraction de TVA, l’impôt le plus injuste qui soit et dont personne n’est exonéré, à la différence de la redevance.

En outre, madame la ministre, vous n’avez pas anticipé le fait que cette décision aurait pour conséquence de rendre les entreprises de l’audiovisuel public redevables de la taxe sur les salaires, ce qui nuance sérieusement l’engagement d’une intégrale compensation.

Qu’adviendra-t-il après 2025 ? Nous souhaitons que vous répondiez à cette question lors de nos débats.

En ce qui concerne la presse, pilier de notre démocratie avec l’audiovisuel public, l’explosion du prix du papier – dont l’augmentation est bien supérieure à l’évolution d’autres produits – menace de nombreux titres et, du même coup, le pluralisme.

Selon une décision prise lors de la crise sanitaire, une enveloppe de 150 millions d’euros devait être consacrée au crédit d’impôt sur le premier abonnement. Le dispositif n’ayant pas fonctionné, pourquoi ne pas affecter ces crédits à un soutien d’une autre forme, qui permettrait de faire face à ces surcoûts ?

Je ne parle même pas de l’amende de 500 millions d’euros due par Google, qu’a évoquée fort justement le rapporteur pour avis Michel Laugier. L’article 40 de la Constitution nous empêche, nous, parlementaires, de le décider, mais le Gouvernement peut agir et il serait souhaitable que cette aide privilégie les titres indépendants et favorise le pluralisme.

Cela pourrait même préfigurer une réforme des aides à la presse, comme l’a notamment demandé le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, dans le cadre de la commission d’enquête sur la concentration des médias, en proposant le doublement de l’aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires.

Concernant le livre, il convient de revaloriser le niveau minimum des frais de port, comme le demandent les libraires indépendants. En effet, ce dernier est fixé dorénavant à 3 euros alors que les frais de port leur reviennent à un peu plus de 7 euros.

Si ce seuil a le mérite de marquer une première étape, nous devons aller plus loin pour conforter le prix unique du livre et rétablir les conditions d’une concurrence équitable entre les libraires et les plateformes en ligne.

J’insiste, madame la ministre, sur les conséquences de l’augmentation du prix de l’énergie. Cette augmentation considérable affectera les salles de cinéma. Là encore, nous pensons aux salles indépendantes, d’autant que les problèmes de pouvoir d’achat rencontrés par nos concitoyens peuvent jouer sur la fréquentation, qui n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant le covid-19.

Elle pèse aussi très lourd sur la Bibliothèque nationale de France, qui fait face à un surcoût estimé à 3,6 millions d’euros en 2022 et près de 15 millions d’euros en 2023.

La BNF a déjà connu la suppression de 300 postes en dix ans, alors même qu’elle voit ses missions augmenter, avec la réouverture du site Richelieu, la poursuite de la numérisation des documents ou encore le dépôt légal numérique.

Il est temps d’engager un véritable débat sur le financement du Centre national de la musique. Les trois ressources dont dispose le CNM ne permettent pas à l’établissement d’assurer les missions qui lui incombent d’accompagnement de la filière musicale.

En effet, avec la baisse de 20 % à 25 % de la fréquentation dans le secteur du spectacle vivant et en l’absence d’un projet de loi de finances suffisamment ambitieux, l’année 2023 risque d’être compliquée. Une taxe de 1,5 % sur le chiffre d’affaires généré par le streaming contribuerait à financer le CNM, avec l’avantage d’aller chercher l’argent là où il y en a.

Cette taxe constituerait un modèle de redistribution, qui pourrait rapporter plus de 20 millions d’euros chaque année.

Enfin, concernant le secteur des jeux vidéo, nous regrettons le manque d’évaluation du crédit d’impôt dont le secteur bénéficie. Ce dernier pourrait d’ailleurs être conditionné à l’amélioration des conditions de travail, dans un secteur où la précarité règne et où l’usage abusif des heures supplémentaires reste très fréquent.

Par conséquent, en raison d’un budget bien trop fragile à nos yeux pour des secteurs essentiels à la vie démocratique, nous ne voterons pas ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. David Assouline applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Fialaire et Pierre Médevielle applaudissent également.)

Mme Sonia de La Provôté. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue du groupe Union Centriste Jean Hingray, qui s’exprimera pour la partie médias et audiovisuel.

Une inquiétude pèse sur le secteur du cinéma. D’après les chiffres du CNC, les Français ne sont jamais allés si peu au cinéma depuis 1909. Le soutien au secteur des salles de cinéma est donc urgent.

Si l’arrivée de nouveaux acteurs comme Netflix, Disney+ ou Amazon Prime profite financièrement à la filière, quel en est le prix sur le plan artistique ? Quel en est le coût pour l’exception culturelle française ? De quelle évolution du public cela augure-t-il, lui qui risque de s’éloigner plus encore des salles de cinéma ?

Ce budget, soulignons-le, affiche un soutien fort et bienvenu au CNC et à la Cinémathèque française. De même, les dispositifs fiscaux incitatifs pour le cinéma, qui sont maintenus et développés, participent largement à ce soutien.

Concernant le livre, les nouvelles sont bien meilleures. Après une année 2021 exceptionnelle en librairie, le livre continue de bien se porter : les ventes ont augmenté de plus de 10 % en volume et en valeur par rapport à 2019.

L’actualité du secteur est notamment marquée par la mise en œuvre de la loi du 30 décembre 2021 visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, dont notre collègue Laure Darcos est à l’origine. La loi amène reconnaissance et oxygène à la filière. Elle marque un premier pas en matière d’imposition de frais de port. (Mme Laure Darcos remercie loratrice.)

Pour autant, les coûts du papier et de l’énergie sont des menaces nouvelles et sérieuses qu’il convient de prendre en compte et de suivre, notamment pour les petits éditeurs.

Du côté de l’industrie phonographique, la dynamique est aussi positive, avec une cinquième année de croissance d’affilée et une progression du chiffre d’affaires de 14,3 %.

Citons dans les nouvelles mesures budgétaires le lancement du portail national de l’édition accessible (Mme la ministre approuve.), qui doit permettre, d’ici à 2025, de se mettre en conformité avec les exigences européennes en matière d’accessibilité.

Simplifier les démarches des personnes handicapées pour se procurer et repérer des livres est un atout supplémentaire pour la filière et une mesure d’inclusion essentielle.

Le Centre national du livre (CNL) a, quant à lui, les moyens pour accomplir ses missions. Doté d’un nouveau contrat d’objectifs et de performance pour la période 2022-2026, il devrait connaître un rééquilibrage bienvenu de ses missions.

Le CNL était déjà très présent en matière de soutien économique à la filière. S’ajoute désormais à ses objectifs le développement du soutien à la lecture, une politique culturelle et d’émancipation majeure pour nous toutes et nous tous.

Autre sujet, la situation de la Bibliothèque nationale de France est à surveiller, car l’établissement doit faire face à de nouvelles missions – réouverture du site Richelieu, nouveau musée, développement du dépôt légal numérique – à plafond d’emplois constants.

L’impasse budgétaire liée à l’inflation risque de conduire la BNF à ralentir et reporter des investissements importants : création du centre de conservation d’Amiens, sécurisation de l’esplanade du site Tolbiac et renouvellement de son système de sécurité incendie (SSI).

Venons-en au Centre national de la musique, dont le financement continue de soulever de vives interrogations. L’accompagnement de la filière musicale par cette institution impose une réflexion approfondie quant à ses missions et au financement supplémentaire nécessaire pour que le CNM puisse les remplir.

L’influence du streaming et du numérique prouve que les plateformes ont, à coup sûr, un rôle à jouer dans son budget. Le CNM a soutenu efficacement la filière durant la crise sanitaire, mais les ressources qui lui sont allouées sont inférieures à ce qui avait été envisagé au moment de sa création. Nous attendons les conclusions de la mission de notre collègue Julien Bargeton pour donner enfin un cadre optimal à son financement.

Je terminerai par le secteur du jeu vidéo, fleuron national et secteur économique ultradynamique. Le fonds d’aide au jeu vidéo joue un rôle de soutien à l’écriture, la préproduction et la production des entreprises de création. Nous soulignons cet effort pour un secteur très pourvoyeur d’emplois et qui valorise la France sur le plan international.

Madame la ministre, nous retenons les efforts qui sont fournis par le ministère au travers de ce budget pour soutenir les secteurs du livre et des industries culturelles.

Ces secteurs, qui devront faire l’objet d’un suivi très attentif, participent en effet largement à notre économie et font, pour les citoyens, bien plus encore. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la mission « Médias, livre et industries culturelles » rassemble les crédits que le ministère de la culture consacre au développement et au pluralisme des médias et à sa politique en faveur du livre, de la lecture publique et des industries culturelles.

Elle comporte deux programmes, le programme 180, « Presse et médias », et le programme 334, « Livre et industries culturelles ».

Il n’a échappé à aucun d’entre vous que la presse dans son ensemble a particulièrement souffert des années covid et a dû faire face à une érosion importante de son audience, qu’elle n’est pas parvenue à combler à ce jour.

La désaffection du lectorat se double malheureusement de difficultés d’ordre structurel déjà anciennes, en particulier l’érosion de la diffusion papier et la transition numérique inachevée.

Certes, les pouvoirs publics ont mis en place des mesures d’urgence, afin de garantir la continuité de la distribution de la presse et d’aider les acteurs les plus touchés par la crise sanitaire. Mais dans ces aides, madame la ministre, n’oubliez surtout pas la presse de la connaissance et du savoir !

Ces mesures se sont d’ailleurs ajoutées aux aides transversales, dont l’ensemble des acteurs économiques a pu bénéficier.

En 2023, les dotations du programme 180 évoluent de près de 10 %, afin, notamment, de soutenir la mise en œuvre de la réforme du transport de la presse. Mais cette évolution positive ne tient pas compte, malheureusement, de la très forte augmentation du coût du papier.

En fin de compte, le saupoudrage des dépenses, notamment fiscales et sociales, ne contribue pas, de mon point de vue, à traiter à la racine les maux qui affectent l’ensemble des titres de la presse.

S’agissant des radios associatives, acteurs de proximité importants, le projet de loi de finances pour 2023 leur apporte une aide renforcée au travers du fonds de soutien à l’expression radiophonique locale, abondé à hauteur de 1,7 million d’euros. C’est une nécessité de cohésion sociale et je l’approuve.

J’en viens à présent au programme 334, « Livre et industries culturelles », pour évoquer les crédits dédiés au livre et à la lecture.

Dans le contexte économique que nous connaissons, j’émets une crainte, celle de voir tout un pan de l’économie du livre s’effondrer. Comme vous le savez, les librairies sont le commerce de détail le moins rentable, avec des marges extrêmement faibles et des charges fixes – salaires et loyer – élevées. Elles sont donc particulièrement exposées aux conséquences de l’inflation et j’appelle le Gouvernement à la vigilance sur ce sujet.

Permettez-moi également d’exprimer un regret au sujet de la réforme, aux résultats mitigés, des frais d’envoi des livres achetés sur les plateformes de vente à distance, pourtant votée à l’unanimité en 2021 dans le cadre de ma proposition de loi sur le livre.

Le montant de 3 euros minimum et la quasi-gratuité à partir de 35 euros d’achat ne donnent pas aux libraires les moyens de lutter à armes égales contre le géant Amazon et de s’installer sérieusement sur le créneau de la vente à distance.

J’espère surtout que Bruxelles n’y mettra pas carrément, dans sa notification, un coup d’arrêt.

S’agissant du Centre national du livre, les crédits sont abondés de 1,1 million d’euros, afin de lui permettre de renforcer son action de soutien à la diffusion des œuvres et à la présence des auteurs sur l’ensemble des territoires.

Ces crédits supplémentaires ont également pour objectif d’accompagner les éditeurs dans la mise en œuvre de nouvelles obligations d’accessibilité aux personnes en situation de handicap ; je ne peux que m’en réjouir.

De même, je salue l’intérêt que l’État porte à la Bibliothèque nationale de France, qui bénéficiera d’un abondement significatif de ses crédits d’investissement et de fonctionnement, lui permettant de mener à bien son ambitieux programme de modernisation du site François-Mitterrand. Pour autant, sera-t-elle en mesure de faire face aux conséquences de la crise énergétique ? Je n’en suis pas convaincue.

Concernant la musique enregistrée, se pose en 2023 la question cruciale des moyens dont devra disposer le Centre national de la musique pour assurer la plénitude des missions que la loi lui confie.

Si Mme la ministre de la culture a rappelé que le budget pour 2023 du CNM était suffisamment solide, son modèle de financement a néanmoins avivé les tensions parmi les professionnels de la musique. Dans ce contexte, la mission parlementaire confiée à notre collègue Julien Bargeton est la bienvenue. Elle permettra, n’en doutons pas, de dégager des pistes pour un cadre financier cohérent. (Murmures.) La pression est forte ! (Sourires.)

Avec toutes les précautions d’usage, je souligne que la piste d’un financement au moyen de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels, dite taxe YouTube, peut sembler plus pertinente que celle d’une éventuelle « taxe streaming » permettant de mettre à contribution les acteurs de la musique enregistrée payante.

Je ne conclurai pas cette intervention sans évoquer la situation du cinéma. Depuis la fin de la crise sanitaire, l’industrie du cinéma semble retrouver quelques couleurs, même s’il convient de rester prudent au regard de la baisse de fréquentation de 30 % observée entre 2019 et 2022.

La situation du Centre national du cinéma et de l’image animée s’est, quant à elle, stabilisée, mais reste fragile d’un point de vue financier, en dépit de l’augmentation de 1,9 % des taxes affectées en 2023.

Toutefois, dans son avis budgétaire, notre collègue Jérémy Bacchi n’a pas manqué de souligner le contexte économique particulier dans lequel évolue le cinéma, peu favorable à la prise de risque, ainsi que les enjeux de la sobriété énergétique et du remboursement des prêts garantis par l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)