compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Richard

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Victoire Jasmin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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État D (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Deuxième partie

Loi de finances pour 2023

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Défense
Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Défense

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (n° 114, rapport n° 115, avis nos 116 à 121).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Défense

Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Défense » (et article 42).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » s’élèvent à 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 53,1 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).

Sans compter les pensions, et à périmètre courant, les CP progressent donc de 3 milliards d’euros, pour s’établir à 44 milliards d’euros.

Ainsi, d’un strict point de vue budgétaire, la loi de programmation militaire (LPM) aura été respectée chaque année depuis 2019, ce dont nous nous félicitons. Cependant, si elle est respectée d’un point de vue budgétaire, elle ne l’est pas d’un point de vue capacitaire, pour trois raisons principales.

Premièrement, le prélèvement de vingt-quatre avions Rafale sur la dotation de l’armée de l’air et de l’espace, pour les besoins d’un export au profit de la Grèce et de la Croatie, constitue une profonde remise en cause de l’objectif fixé par la LPM à l’horizon de 2025 pour la flotte de Rafale. Par ailleurs, cette ponction de près de 20 % du parc a des conséquences sur le plan opérationnel et affecte durablement la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d’heures de vol passerait de 162 à 147 en 2023, loin de l’objectif fixé par la LPM.

Deuxièmement, la fourniture de dix-huit canons Caesar aux forces armées ukrainiennes ampute les moyens de l’armée de terre de près du quart de son parc.

Troisièmement, l’actualisation stratégique décidée en 2021, au mépris du respect de la LPM et du Parlement, a eu pour conséquence de remettre en cause l’exécution et le calendrier de plusieurs programmes pour un montant que nous estimons à plus de 3 milliards d’euros, et que nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées évaluent à près de 8,6 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas tout à fait de l’épaisseur du trait…

Ainsi, les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale s’élèvent à plus de 2,5 milliards d’euros et celles du parc de canons Caesar à près de 80 millions d’euros. Elles seront financées sous enveloppe LPM, affectant d’autant son exécution dans l’attente de la prochaine programmation annoncée par la Première ministre dès l’année prochaine.

Cette année, nos armées ont été mobilisées sur le flanc Est de l’Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).

À ce titre, la France intervient notamment comme nation-cadre de la mission Aigle en Roumanie. Le surcoût de cette projection de nos armées s’élève à près de 700 millions d’euros en 2022, et il est déjà estimé à environ 250 millions d’euros pour 2023. Il a fait l’objet d’un financement grâce à l’ouverture de crédits dans le cadre de la loi de finances rectificative en fin de gestion.

Cependant, comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) – en raison, notamment, de la réarticulation en cours du dispositif Barkhane au Sahel – ont été financés par des redéploiements internes à la mission, sous enveloppe LPM, contrairement aux dispositions de son article 4. Ces surcoûts représentent près de 400 millions d’euros.

Au-delà de ces éléments de contexte, plusieurs points d’attention méritent d’être soulignés pour l’exercice qui s’ouvre.

Premièrement, il convient de mettre l’accent sur les effets de l’inflation sur le budget des armées, évalué à 1 milliard d’euros. Afin que cela ne conduise pas à absorber le tiers de l’augmentation des crédits, le Gouvernement a fait le choix d’un financement par reports de charges sur l’année 2024, privilégiant ainsi l’affichage d’un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées. Cette méthode, qui revient à créer de la dette dans la dette, me paraît constitutive d’une forme d’insincérité.

De plus, à l’heure où le Gouvernement parle d’« économie de guerre » et attend une réactivité accrue de la part des industriels pour accélérer les livraisons indispensables au renouvellement des matériels, il paraît malvenu de laisser entrevoir un paiement différé des livraisons, lui-même générateur d’agios en raison des retards.

Deuxièmement, des efforts importants ont été consentis ces dernières années en matière de maintien en condition opérationnelle, notamment grâce à la conclusion avec les industriels de larges contrats verticalisés dont il conviendra d’évaluer l’efficacité. Pour autant, la disponibilité technique opérationnelle des équipements des trois armées reste globalement en deçà des objectifs, avec un point de vigilance qui perdure s’agissant des hélicoptères de l’armée de terre.

Troisièmement, notre retrait du Sahel et notre soutien à l’Ukraine modifieront certainement nos projections, avec une baisse des Opex au sens financier du terme et une structuration de notre mobilisation sur le front ukrainien. Je ne doute pas que nos collègues de la commission de la défense développeront ce point.

Quatrièmement, et surtout, cette année budgétaire sera l’heure de vérité pour l’avenir de nos armées et, au-delà, pour notre souveraineté nationale. Je veux parler du système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017. Ce projet conditionne l’avenir de notre armée, ainsi que notre place en Europe et au sein de l’Otan.

Chaque jour de retard supplémentaire dans la conduite de ce projet est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur, alors même que les besoins opérationnels ont été exprimés avec la plus grande clarté par nos chefs d’état-major.

Le projet consiste à rassembler et à connecter des moyens de combat autour d’un nouvel avion de chasse polyvalent et en ayant recours à l’intelligence artificielle. Ce futur avion devra aussi répondre aux exigences opérationnelles des armées françaises, puisqu’il devra assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être « navalisable », c’est-à-dire en mesure d’apponter sur le nouveau porte-avions.

Toutefois, les négociations ont pris un sérieux retard, même si l’accord entre les industriels devant fixer le cahier des charges du nouvel avion, en vue du lancement de la phase de démonstration prévue pour l’an prochain, a enfin été signé. Il ne s’agit toutefois que d’une première étape sur un chemin qui semble encore semé d’embûches.

Dans ce contexte, on ne peut plus tout à fait exclure qu’il faille travailler à une solution de remplacement. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons un amendement de notre commission ; le Gouvernement pourra ainsi exprimer clairement ses intentions et sa vision des choses. (MM. Marc Laménie et Bruno Sido applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2023, les crédits du programme 144 s’élèveront à près de 2 milliards d’euros en crédits de paiement. En matière d’innovation, l’enveloppe consacrée aux études amont atteindra le milliard d’euros, ce qui est conforme aux engagements. Nous vous en donnons acte, monsieur le ministre.

Ces crédits importants permettront, notamment, le financement des études relatives au successeur du char Leclerc et au système de combat aérien du futur, ainsi que la poursuite des études sur les thématiques comme la lutte anti-drones, l’hypervélocité et le quantique.

Si les priorités retenues et les moyens inscrits dans le projet de loi de finances nous semblent aller dans le bon sens, nous constatons que l’Agence de l’innovation de défense (AID) n’a plus de directeur de plein exercice depuis près de six mois. À nos yeux, le message envoyé n’est pas bon, alors que le rôle de l’AID est absolument fondamental. Nous appelons donc à nommer un directeur à sa tête dans les plus brefs délais.

L’accord sur le démarrage de la phase 1B du Scaf, confirmé la semaine dernière par Dassault, est évidemment bienvenu, mais il mérite d’être suivi avec vigilance. Nous souhaitons que le Gouvernement fasse preuve de la plus grande transparence sur ce dossier.

Au-delà de la question des moyens consacrés à l’innovation, plusieurs défis doivent être relevés par l’AID et la direction générale de l’armement.

Le premier concerne l’accélération de la montée en maturité des technologies. Nous proposons que le rôle crucial des démonstrateurs soit renforcé, avec la réalisation d’un prototype à un stade assez précoce pour permettre aux opérationnels de prévoir les incréments nécessaires.

Le second porte sur l’absolue nécessité, que le conflit ukrainien a rappelée, de retrouver de la masse. Il s’agit de prendre en compte cette exigence au stade des études amont, par exemple en envisageant dès le départ deux versions d’une même technologie : une version de haute technologie, permettant l’entrée en premier, et une version moins sophistiquée, mais pouvant être produite en plus grande quantité, permettant un volume d’attrition plus important et dont l’exportation serait facilitée.

J’en viens à la question du financement de notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Le passage à une économie de guerre nous semble nécessiter, aujourd’hui plus encore qu’hier, de garantir l’accès aux sources de financement des entreprises de la défense.

Si les discours tenus sur le sujet sont contradictoires, nous considérons pour notre part qu’il existe bien des cas de refus de financement du fait de l’appartenance au secteur de la défense.

En outre, les projets de taxonomie ou encore la montée en puissance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) constituent autant de risques pour nos entreprises. Nos alertes répétées ont permis de sensibiliser jusqu’au sommet de l’État sur cette problématique ; nous nous en félicitons. Pour autant, en la matière, la vigilance reste de mise.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et de celles que je vous présenterai dans un instant en remplacement de Yannick Vaugrenard, la commission a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 144. (MM. Marc Laménie, Olivier Cigolotti et André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, en remplacement de M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis.

M. Pascal Allizard, en remplacement de M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prends ici la parole en lieu et place de mon collègue rapporteur spécial Yannick Vaugrenard, qui ne peut pas être présent aujourd’hui. Lui aussi aurait salué la concordance globale des crédits du programme 144 pour 2023 avec la ligne tracée par la loi de programmation militaire.

Mais il y a des problèmes qui ne sont pas d’ordre budgétaire. Nous partageons avec Yannick Vaugrenard le souci du financement de la BITD, notamment s’agissant des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui ne disposent pas des mêmes facilités d’accès au crédit que les grands groupes. Nous pensons à la souveraineté industrielle, qui est le vrai sujet de l’économie de guerre.

Pour le département de la Loire-Atlantique, Yannick Vaugrenard vous aurait dit que la construction du porte-avions de nouvelle génération se prépare dès maintenant, avec la mobilisation de tout l’écosystème industriel autour des Chantiers de l’Atlantique, même si la livraison n’est prévue qu’en 2038. Je pourrais d’ailleurs en dire autant pour la Normandie en ce qui concerne la construction des sous-marins de nouvelle génération !

J’en viens maintenant aux crédits dédiés aux services de renseignement. L’année 2023 correspondra, pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), à une montée en puissance dans la cyberdéfense et à la modernisation immobilière de leurs sièges respectifs.

La DGSE s’engage dans une opération de grande ampleur de déménagement à Vincennes à l’horizon de 2028. Elle conduit aussi une importante réforme de son organisation, avec la fusion des fonctions de recherche et d’opération au sein d’une même direction. La DRSD a aussi lancé une vaste reconfiguration de ses locaux et de ses systèmes d’information.

Dans ce contexte de transformation, le budget global de fonctionnement et d’investissement de la DGSE et de la DRSD augmentera de 16,5 %, pour atteindre près 476 millions d’euros. En comptant les dépenses de personnel qui dépendent du programme 212, le renseignement bénéficiera de plus de 1,1 milliard d’euros. Cette tendance s’inscrit dans les priorités de la LPM et apparaît justifiée au regard de l’intensification des menaces conventionnelles, mais aussi hybrides dans les domaines du cyber et de l’influence.

C’est pourquoi au moins trois sujets posent question et devront être surveillés tout au long de l’exécution de ce budget pour 2023.

Il faudra d’abord être attentif à la question du recrutement de spécialistes cyber. La réalité du marché de l’emploi en fait une denrée rare et chère. Les services utilisent les réseaux sociaux pour lancer leurs campagnes de recrutement. C’est une politique de communication novatrice à encourager.

Il faudra ensuite examiner de près le chiffrage de l’impact budgétaire de la guerre en Ukraine. Nécessairement, et sans entrer dans le détail, la DGSE comme la DRSD procèdent à un redéploiement opérationnel sur le flanc Est de l’Otan.

Enfin, nos services vont devoir dès 2023 s’investir dans le champ de la guerre informationnelle et de l’influence pour mettre en œuvre ce que le Président de la République a désigné comme une nouvelle « fonction stratégique » lors de son discours du 9 novembre 2022 à Toulon.

Ces priorités sont nouvelles, et elles s’imposent à nous. Il faudra donc les prendre en compte dans la prochaine LPM. À cet égard, je vous annonce que je conduirai avec mon collègue rapporteur spécial un groupe de travail spécifique sur le financement de l’innovation, de la BITD et des services de renseignement.

Sous le bénéfice de ces observations, Yannick Vaugrenard a émis un avis favorable sur les crédits du programme 144. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (M. Olivier Cadic applaudit.)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les crédits de paiement du programme 178 augmentent de 1,2 milliard d’euros, essentiellement pour financer l’effort en faveur de l’entretien programmé du matériel (EPM) nécessaire au regard des résultats en berne en termes de disponibilité technique opérationnelle. En effet, 71 % des indicateurs sont en stagnation ou en diminution en 2023.

Pour l’armée de terre, cinq des sept indicateurs régressent : ceux des hélicoptères, du char Leclerc, des engins blindés de reconnaissance et de combat (VBRC) avec le retard de livraison des Jaguar et, enfin, des Caesar, en raison de la cession de dix-huit canons aux forces armées ukrainiennes.

Pour la marine nationale, trois des sept indicateurs reculent. C’est notamment le cas de ceux de la chasse et des hélicoptères, à cause du passage au standard F4 du Rafale et de la corrosion des Caïman.

Pour l’armée de l’air et de l’espace, les difficultés tiennent aux exportations des Rafale.

En 2023, les crédits consacrés à l’EPM s’élèveront à 5,5 milliards d’euros, ce qui correspond à l’addition de l’annuité prévue par la LPM, soit 4,4 milliards d’euros, et des 900 millions d’euros manquants faute d’inscription en loi de finances initiale depuis le début de la période de programmation.

Pourtant, ce n’est pas satisfaisant, puisque ce montant de crédits ne rattrape pas les retards, mais finance 500 millions d’euros supplémentaires destinés aux munitions. Les leçons tirées de la guerre en Ukraine s’imposent en la matière. Mais cela signifie qu’une fois de plus les crédits d’EPM financent des besoins non prévus par la LPM 2019-2025, au détriment des besoins initialement retenus. Nous devrons donc être attentifs à la pleine satisfaction des besoins en EPM dans la prochaine période de programmation.

Nous savons déjà que ces besoins sont importants et sous-dotés dans l’actuelle loi de programmation pour l’entretien des nouvelles infrastructures et des nouveaux équipements livrés aux armées, mais aussi pour le démantèlement des flottes d’aéronefs en déflation et des navires retirés du service actif. Leur stockage faute de démantèlement ne peut pas être vu comme une solution satisfaisante.

Il faudra également prendre en compte l’adaptation du service interarmées des munitions à l’hypothèse d’engagement majeur en le dotant des quatre-vingts personnels militaires supplémentaires nécessaires, en augmentant et en modernisant sa capacité de stockage et en organisant de nouveaux modes de mise à disposition des munitions, notamment par acheminement ferroviaire.

Nous approfondirons dans le cadre de nos travaux de préparation de la prochaine LPM ces premières réflexions sur les munitions, avec d’autant plus d’efficacité, monsieur le ministre, que vous recommanderez aux services de faciliter notre tâche.

Mes chers collègues, sous réserve de ces observations, la commission a adopté les crédits du programme 178 de la mission « Défense ». (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la hausse des crédits du programme 178 ne permet toujours pas la remontée de l’activité opérationnelle des forces et de l’entraînement, qui reste inférieure de près de 10 % aux objectifs fixés.

En 2023, la situation se détériore pour trois quarts des indicateurs d’activité, ce qui se traduit par une diminution de la capacité de deux des trois armées à honorer leur contrat opérationnel.

Depuis 2017, la préparation opérationnelle de l’armée de terre stagne. Elle doit remonter en 2022 à quatre-vingt-deux jours, mais elle pourrait être de nouveau fragilisée par la réassurance en Roumanie de l’Otan.

Pour la marine nationale, le retard pris par le programme des frégates de défense et d’intervention explique la baisse de la capacité à honorer le contrat opérationnel à 70 %. Pour l’armée de l’air et de l’espace, l’impact des exportations Rafale, sur lequel notre commission alertait le Gouvernement, est désormais tangible et très important : la capacité à honorer le contrat opérationnel chute à 65 % en 2023 et ne devrait pas remonter en 2024.

Le choc stratégique de la guerre en Ukraine rappelle à quel point l’entraînement est essentiel ! Nous devrons obtenir des objectifs chiffrés de remontée de la préparation opérationnelle dans la prochaine LPM. Il faut éviter qu’elle ne soit la variable d’ajustement inavouée des ambitions non financées de la LPM.

Il nous faudra aussi veiller sur les services de soutien. Aujourd’hui à la peine, ils ne doivent pas être de nouveau sacrifiés à tous les autres objectifs de la LPM. Nous savons qu’ils sont essentiels et indispensables dans l’hypothèse d’un engagement majeur. La guerre en Ukraine l’a assez rappelé avec ses colonnes de chars russes immobilisés faute de ravitaillement.

Le déficit en médecins de premier recours, de l’ordre de cent vingt-cinq en 2021 et non communiqué pour 2022, et la surprojection des personnels fragilisent le service de santé des armées. Il ne tiendra l’hypothèse d’engagement majeur qu’avec le plein appui du service public de santé, lui-même en crise. Sans oublier qu’il est également impératif de préparer une défense contre une attaque radiologique, biologique et chimique. La réflexion sur l’économie de guerre ne peut en aucun cas se dispenser du volet sanitaire : la prochaine LPM devra refléter cette nécessité.

De même, les besoins du service du commissariat des armées pour faire face à l’inflation, aux nouvelles normes légales et à la haute intensité ne doivent pas être négligés. Nous les évaluons déjà à au moins 250 millions d’euros.

Pour approfondir notre travail de recensement des besoins des services de soutien, il est indispensable, monsieur le ministre, que votre cabinet nous aide à organiser dans les meilleurs délais les auditions qui nous permettront d’effectuer notre travail de préparation de la prochaine LPM. L’urgence en la matière vous est désormais connue.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme 212, « Soutien de la politique de la défense », rassemble comme chaque année l’ensemble des crédits dédiés aux dépenses de personnel du ministère des armées, qui s’élèvent à 22,4 milliards d’euros pour l’année 2023.

À la suite des annonces importantes faites cet été, nous avons orienté nos travaux sur la réserve opérationnelle, qui est financée par des dépenses de personnel rattachées au programme 212.

Pour rappel, la réserve opérationnelle de premier niveau est constituée de citoyens français volontaires, qui signent un engagement à servir dans la réserve d’une durée renouvelable de un an à cinq ans.

Une fois intégrés à leur organisme de rattachement, ces réservistes servent sous statut militaire au sein des forces armées et des formations rattachées. Je tiens à souligner que ces réservistes opérationnels jouent un rôle essentiel dans nos différentes forces. On peut notamment penser à l’implication très importante des réservistes de l’armée de terre dans le cadre de l’opération Sentinelle depuis 2015.

Cette observation peut également être déclinée dans les autres forces. Par exemple, il nous a été indiqué que, lors des déploiements majeurs du groupe aéronaval (GAN) du porte-avions Charles de Gaulle, l’état-major embarqué est renforcé par 10 % à 20 % de réservistes opérationnels de la marine nationale.

Actuellement, la réserve opérationnelle des armées est constituée d’environ 40 000 réservistes, conformément à un objectif fixé dans la loi de programmation militaire de l’été 2015. Cette cible a été confirmée dans la loi de programmation actuelle pour la période 2019-2025. Ce format correspond à une remontée en puissance pour les réserves des armées, qui comptaient encore moins de 28 000 personnels voilà près de dix ans.

Lors de son discours aux armées le 13 juillet dernier, le Président de la République a annoncé un objectif de doublement du volume de la réserve opérationnelle des armées.

Ce nouveau format impliquera de renforcer très largement le rythme de recrutement des réservistes dans les années à venir. Selon les informations qui nous ont été communiquées, le volume de recrutement annuel devra passer de 4 700 à plus de 9 000 pour atteindre l’objectif annoncé.

La mise en œuvre de cette remontée en puissance devra être prise en compte sur le plan budgétaire. Pour atteindre les objectifs de renforcement de la résilience de notre corps social et de diffusion de l’esprit de défense, il faudra que le temps de service moyen des réservistes opérationnels soit préservé, c’est-à-dire que la trajectoire budgétaire du programme 212 tienne compte de cette ambition nouvelle.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, en remplacement de Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis.

M. Joël Guerriau, en remplacement de Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous avons également travaillé sur la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM).

L’année 2023 sera marquée par la mise en œuvre définitive d’une réforme qui porte bien mal son nom. Elle se voulait d’ampleur, mais restera partielle, car le choix a été fait de se concentrer uniquement sur la part indemnitaire de la rémunération des militaires, avec un double objectif de simplification et d’équité.

Rappelons que cette rémunération est composée de deux parties, sur le modèle de la fonction publique : la part indiciaire ou solde de base, qui dépend des grades et des échelons ; et la part indemnitaire, composée d’indemnités et de primes diverses. Les primes et indemnités représentent une part importante de la rémunération des militaires : 30 % en moyenne pour les militaires du rang et 44 % pour les officiers généraux.

En 2021, avant la réforme, la rémunération des militaires était caractérisée par la complexité de la composante « primes et indemnités ». On n’y comprenait rien. (Sourires.) Il existait cent soixante-quatorze primes différentes ; c’était un système illisible, que nous avions nous-mêmes qualifié d’obsolète.

Concernant la simplification, il faut souligner le succès de cette réforme. Désormais, le ministère des armées aura à gérer le versement de huit primes seulement, contre plus de cent soixante-dix auparavant, grâce à la suppression des primes obsolètes, à l’harmonisation des critères d’attribution, au renforcement du caractère universel, comme la prime de mobilité géographique et à la réouverture des primes aux célibataires, ainsi qu’à toutes les formes d’union.

Le système indemnitaire du ministère des armées sera-t-il plus équitable ? Y aura-t-il des perdants ? La direction des ressources humaines (DRH) du ministère de la défense dit que non, mais il est difficile de répondre clairement à ce stade. Nous y serons donc attentifs.

Par exemple, l’absence de mécanisme de revalorisation automatique va créer – nous le constatons déjà – un tassement des salaires, qui sanctionne particulièrement les officiers, car les primes représentent près de la moitié de leur rémunération. La question de la fiscalisation de certaines primes sur le revenu des militaires aura des conséquences difficiles à évaluer.

Sur le plan financier, si la NPRM s’est appuyée sur une enveloppe budgétaire de 70 millions d’euros en 2022, ce montant reste très limité au regard de l’ensemble des dépenses de personnel du ministère. Il représente moins de 1 % de l’ensemble des rémunérations d’activité versées par le ministère des armées en 2022.

Enfin, sur la méthode, nous regrettons que les instances de concertation aient été associées dans une logique d’information plutôt que de coconstruction.

Au regard du respect de la trajectoire fixée dans la LPM, la commission a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 212, mais nous resterons attentifs pour que la question de la condition militaire soit pleinement prise en compte dans les travaux à venir sur la prochaine programmation budgétaire. (MM. Marc Laménie et André Gattolin applaudissent.)